La nuit était tombée depuis longtemps lorsque les samouraïs arrivèrent devant le Portail des Six. La mission avait finalement duré la journée entière.
– Alors vous voilà….
Le Chambellan était apparu devant eux, adossé contre les portes de la demeure. Il examina rapidement Irou, puis sourit :
– Sois le bienvenu parmi nous. Il est tard, tout les autres dorment déjà. Je vous laisse donc vous reposer, cette mission a du vous fatiguer. On fera plus ample connaissance demain./
Une chambre fut assignée au nouveau venu, puis chacun se sépara pour retrouver son lit.
Demain serait un nouveau jour, pensait Zanji. Il commençait à s'habituer à sa nouvelle vie qui avait commencé il y a maintenant 2 jours, au rythme épuisant des entraînements et des missions. Il sentait d'ailleurs qu'en si peu de temps, il avait déjà progressé, et cela lui donnait confidence en l'avenir. Il y avait peut être un espoir de se débarrasser de la tyrannie Shien.
Quelques heures plus tard, le soleil se levait de nouveau. Cette courte nuit avait suffi, il avait récupéré. Et apparemment, les autres aussi : il les avait rejoint dans la salle commune où l'on servait les repas. Chacun dégusta son bol de riz en silence, à part Kamon qui essayait de dégeler l'atmosphère avec des histoires drôles, sans succès. Zanji réalisa alors qu'il n'avait jamais vraiment parlé avec ses camarades en dehors des missions.
Vint alors l'heure de l'entraînement. Le Grand Maître resta quelques instants seul à seul avec Irou pour mieux le connaître, et lui expliquer comment fonctionnait l'ordre des Six. Finalement, il se retourna vers les autres, qui en avaient profité pour revêtir leurs armures :
– Je vais chercher votre adversaire qui attend de l'autre côté de la cour. Choisissez votre arme.
Une légère sensation de déjà-vu saisit Zanji. Il s'approcha d'un naginata et le saisit. Il remarqua que les autres aussi avaient gardé la même arme que la veille. Les habitudes étaient les habitudes. A ce moment précis, les portes s'ouvrirent.
– Je vous présente le Maître des Combos, déclara le Grand Maître. C'est un mercenaire que j'ai engagé pour tester votre habilité aujourd'hui. Il se battra à main nues.
L'impressionnant combattant aux muscles surdéveloppés se mit en garde. Son corps couvert de cicatrices impressionnait Zanji. Il esperait que ça se passerait mieux qu'avec Denko Sekka.
– Tout le monde est prêt ? Commenc….
Le Grand Maître avait à peine terminé sa phrase qu'Irou avait foncé sur l'adversaire. Il dégaina son katana : l'autre tenta un violent coup de pied en sa direction. Le samouraï sauta et prit appui sur le pied encore en l'air. Il profita de l'élan pour foncer : le Maître des Combos se prit la lame du katana en plein ventre et s'écroula au sol. Il était déjà vaincu, sans avoir eu le temps de sortir la moindre combo.
Irou fut interpellé par Zanji :
– Eh ! Tu as agi tout seul, sans même attendre qu'on établisse une stratégie ! Et l'esprit d'équipe alors ?
– Et alors, tu vois bien que ça a marché comme ça, répondit l'intéressé. Je ne vois pas où est le problème.
– Je croyais que tu étais prêt à coopérer ! Que tu nous avais rejoint pour qu'on se batte côte à côte, pas unilatéralem…..eh, tu m'écoutes ?!
Le samouraï violet s'était éloigné, ignorant Zanji. Nisashi vint les interrompre :
– Ca suffit. Zanji, ce n'est pas à toi de lui faire la morale. Quant à toi, Irou, essaye un minimum de faire équipe avec nous. Nous sommes un groupe, après tout !
– Pff….
L'homme aux longs cheveux bruns ne répondit pas. Il se dirigea vers la salle de repas : l'heure de la pose midi approchait. Les autres finirent par le rejoindre au bout de quelques minutes, sous le regard du maître.
Il y avait toujours une certaine tension dans l'air alors que l'on servait les plats. Même Kamon n'osait prononcer un mot, cette fois. Pourtant Zanji tenta de rompre le silence :
– Alors, euh, je me demandais…..Que faisiez vous d'intégrer l'ordre ?
Le silence se fit plus pesant encore, si bien qu'il regretta sa question.
– Ce que l'on….faisait ? répéta Irou.
– Bah moi, c'est pas gai ! lança Kamon, sans aucune tristesse cependant. Mon père était violent. Il s'était réfugié dans la boisson après que les Shien lui aient volé ses chevaux. Il nous a mis à la porte ma mère et moi quand j'avais 10 ans, j'ai dû me débrouiller seul à partir de ce moment. Et maintenant, me voilà ici !
– Moi aussi, les Shien m'ont causé bien du tort, dit Nisashi. Dans mon village, ils ont forcé les paysans à travailler toujours plus dur dans les champs. Et ils prenaient la majorité des récoltes. Si bien que dans ma famille, on arrivait pas à nourrir tout le monde. Un de mes jeunes frères est mort de faim. Moi, je me suis exilé loin, pour ne pas être une bouche de plus à nourrir pour eux.
– Je suis désolé, répondit Zanji. Je ne pensais pas que….
– Moi, je n'ai jamais connu ma famille, coupa Yaichi. J'ai toujours vécu dans la forêt. Mais les Shien menaçaient mon environnement en chassant à outrance, en abattant les arbres. C'est pourquoi j'ai rejoint l'ordre.
– Quant à moi, ajouta Irou, je vivais avec mon maître dans le village où vous m'avez trouvé. Un jour, ils sont venus et ils l'ont tué. C'est depuis ce jour que j'ai décidé de me battre.
– Moi aussi, les Shien m'ont privé de mon père. J'ai essayé de lutter contre eux, mais un certain Tenkabito m'a mis en difficulté. Seul, je ne peux arriver à rien. D'où ma présence parmi vous ici.
Les autres approuvaient. Ils avaient tous un passé commun, une histoire qui les liait. Ils étaient pareils : leur enfance avait été gâchée par le Régime, et maintenant ils allaient prendre leu vengeance. Jamais Zanji n'aurait imaginé que leur histoire était si similaire à la sienne. Il poursuivit :
– Et toi, Yariza ?
Le samouraï était resté en retrait. Il n'avait pas participé à la conversation. Il répondit cependant :
– Rien de tel pour moi. J'ai toujours vécu ici, au Temple des Six. Mes parents habitaient ici.
– Vraiment ? de qui s'agit-il ? Des membres du personnels ? Ils sont toujours là actuellement ?
– Cela ne vous regarde pas, répondit-il simplement, avant de se réintéresser à son plat. La discussion reprit de plus belle, bien plus animée qu'auparavant, mais il n'y prêta plus attention.
Le Chambellan surgit alors dans la pièce :
– Zanji, Irou, suivez moi : c'est au sujet de la voie attributaire.
Les deux combattants en question se levèrent. Après avoir traversé quelques couloirs, les trois hommes se retrouvèrent devant la chambre de l'Ancien.
– Entrez, tous les deux. C'est lui qui vous a convoqué.
Zanji reconnut la pièce où il avait déjà rencontré le vieil homme. Celui-ci était d'ailleurs toujours allongé dans son lit.
Lorsque les deux guerriers furent assis devant lui sur le tatami, le doyen prit la parole :
– Bonjour à vous. Et bienvenue à toi, Irou. Tu es exactement comme dans ma vision. Si je vous ai convoqué aujourd'hui, c'est à propos de la voie attributaire.
– C'est ce que nous a dit le Chambellan. Mais de quoi s'agit-il ?
– Eh bien, considérez cela comme votre spécialisation dans un style de combat. Chacun des Six samouraïs possède une affinité particulière avec l'un des six attributs de la nature, que sont le feu, l'eau, la terre, le vent, la lumière……et les ténèbres. Vous devrez choisir l'un d'entre eux, tous les deux.
– Si je devais choisir quelque chose de ce genre, ce seraient les ténèbres, répondit Irou. Moi qui suit aveugle, je n'ai jamais rien connu d'autre que l'ombre.
– Bien. Et toi, Zanji ?
– Je…je ne sais pas, fit il. J'aimerais faire rayonner la paix et la justice sur nos terres, alors….peut être la lumière ?
– Pff, encore tes grands airs de justicier…
– Et alors, Irou ? Je suis sincère. Tu n'as pas à me juger pour cela !
– Pff….
L'Ancien sourit.
– Comme je le pensais…Ce choix semble vraiment vous correspondre. Peut être que cela ne revêt pas beaucoup d'importance pour vous aujourd'hui, mais sachez que la voie attributaire ne détermine pas seulement votre style de combat. Considérez aussi cela comme une partie de vous même, comme votre karma. D'ailleurs, il n'est pas rare que les attributs diamétralement opposés aient des difficultés à coopérer….. fit il remarquer alors que les deux samouraïs se lançaient des regards noirs. Vous semblez ne pas échapper à la règle ! Allez, rejoignez donc votre maître, maintenant !
Ils quittèrent la salle en saluant leur ainé. Le reste de l'après midi fut consacré à l'entraînement, pour acquérir la maîtrise de nouvelles techniques.
En discutant, Zanji apprit que Kamon avait choisi la voie du feu, qui correspondait à son tempéramment, que Yaichi avait choisi la voie de l'eau, car il restait toujours calme, comme le ruisseau qui s'écoule lentement. Nisashi, avait opté pour la voie du vent, lui qui était tantôt apaisé, tantôt déchaîné comme la tempête. Quant à Yariza, il avait pris la voie de la terre : on disait que c'était à cause de son absence d'émotion….
Le soleil commença alors à décliner. Les combattants, épuisés par leur journée, quittèrent la cour pour rentrer dans leurs appartements. Le repas du soir fut bien plus jovial que celui du midi. On parla, de tout, de rien, de l'entraînement, et ce malgré les querelles répétées entre Zanji et Irou. Même Yariza tenta deux ou trois phrases. Arrivé il y a peu, le samouraï au naginata sentait déjà une routine s'installer. Coopérer avec ses compagnons, s'entraîner, puis vaincre les Shien. Il avait trouvé son rythme.
Ca y est, se disait il, en marchant vers sa chambre pour aller se coucher. Les Six samouraïs formaient de nouveau une entité réelle, comme il y a dix ans. Sauf que cette fois, il en faisait partie. Cet environnement lui plaisait, finalement.
– Comme aujourd'hui, demain sera une bonne journée, dit-il pour lui même avant de s'allonger dans son lit.
C'est alors que l'homme qui l'espionnait, caché dans l'ombre, murmura :
– Pauvre samouraï, tu ne peux même pas imaginer à quel point tu te trompes…..