– Il vous faudra choisir un itinéraire qui permettant de rejoindre les Rizières sans être repérés par les Shien.
Tel était le conseil que leur avait donné le Chambellan peu avant leur départ. Les Six samouraïs avaient finalement opté pour un départ de nuit, vers 2 heures du matin. Ils avaient ainsi eu le luxe de manger et de dormir : tous en avaient besoin et en particulier Zanji. Ses blessures n’avaient été prises en charge que de manière sommaire, mais lui et les autres ne pouvaient pas se permettre d’attendre le jour : leurs chances d’être repérées auraient été multipliées.
– Le trajet prend normalement une journée et demi. Mais vos Coursier D'ébène surentraînés pourront le faire en une nuit. Dépêchez-vous : moins vous rencontrerez de soldats, mieux ce sera.
Rejoindre les Rizières impliquait de traverser le pays d’est en ouest. Les six compagnons avaient décidé de cheminer par la grande route pavée au pied des Montagnes, par le nord. Ils auraient tout aussi bien pu passer directement par les Plaines du sud, peut-être même aurait-ce été plus rapide, mais le nombre de soldat grouillant là rendait cette option inenvisageable.
Ils cavalèrent ainsi pendant plusieurs heures, longeant les massifs rocheux, ombres noires immenses qui délimitaient la voie à emprunter. Les chevaux, bien préparés en amont, se révélèrent extrêmement courageux, ne réclamant que de brèves pauses malgré la longueur du trajet. Seul le bruit de leurs sabots troublait le silence ambiant. En chemin, les guerriers passèrent à nouveau non loin du temple de Denko Sekka, sans s’y arrêter toutefois.
Indépendamment de cela, il constatèrent avec enthousiasme que la route n’était pas très empruntée à cette heure. Les samouraïs ne croisèrent personne durant toute la durée de la durée de la nuit.
Ce fut seulement vers 5 heures du matin, alors que le jour se levait lentement, que des silhouettes se dressèrent au loin devant eux. Le petit groupe avait alors presque terminé sa traversée : l’altitude des montagnes se faisait moindre, des parcelles de riz commençaient déjà à apparaître ça et là. De manière indiscutable, la frontière avec leur destination était à portée.
Les samouraïs avançaient plus vite que les silhouettes. Aussi, en se rapprochant, les jeunes guerriers purent constater qu’il s’agissait d’un groupe d’hommes à l’aspect menaçant. Tous étaient vêtus d’une armure pourpre reconnaissable entre mille.
– Des Shien ! glissa Yaichi à ses camarades, alors que son regard perçant était le premier à les identifier. Que fait-on ?
– Les Montagnes sont la seule région qu’ils ne contrôlent pas, mais c’est vrai qu’ils envoient ponctuellement des patrouilles, exposa Irou qui venait de la région. Ces hommes doivent être une quinzaine, suffisamment pour que l’on s’en charge. A mon avis, on ne peut pas tracer notre route sans nous en débarrasser.
Tous tombèrent d’accord avec cette analyse. De plus, les heures passées à cheval avait quelque peu raidi les membres des jeunes samouraïs, qui n’avaient envie que d’une chose : sortir leurs armes pour en découdre.
Durant ces quelques secondes, ils s’étaient furtivement rapprochés de la troupe qui marchait au pas. La rejoignant soudain, les six guerriers se séparèrent en deux groupes pour prendre l’ennemi en tenaille. Juste après, tous assénèrent de violents coups à la tête des Shien. Le résultat fut édifiant : la plupart d’entre eux s’écroulèrent simultanément, ne laissant que quatre ou cinq survivants parmi le groupe.
Les rescapés, un peu sonnés mais réactifs, se replièrent rapidement en formation circulaire. Pris par surprise, ils s’agissaient pour eux de former une défense impénétrable, au moins le temps d’apprécier la situation. Étrangement, les Six remarquèrent au centre du cercle un homme atypique qui devait être leur chef. Ce dernier se mit éclater de rire.
– Ahahahah ! Enfin de l’action ! avait-il rugi.
– Il n’est pas comme les autres ! alerta Kamon. Est-ce vraiment un Shien ?
C’était vrai : celui-ci avait troqué l’armure rouge habituelle du Régime pour une protection légère verte et noire, qui recouvrait même sa mâchoire. De longs cheveux gris rebelles se dressaient derrière un visage tordu par des grimaces provocatrices. Avec un katana dans chaque main et une naginata dans le dos, il semblait attendre un second assaut avec impatience, sautillant comme un enfant à qui l’on aurait promis une friandise. L’attaque surprise ne l’avait en rien déstabilisé, contrairement aux autres qui l’entouraient. Excentrique, il n’avait ainsi rien du Shien classique : tout aussi violent que les autres en apparence, il n’était pas une bête assoiffée de sang. Il semblait plutôt relever du chien fou incapable de tenir en place.
– Tu te demandes si je suis un Shien ? répliqua t-il, alors que les six samouraïs tournoyaient autour du petit groupe avec leurs chevaux. Eh bien, moi aussi je me le demande !
– Hein ?
– C’est trop compliqué pour ton petit crâne ? Alors descend de ton cheval et viens te battre, je vais t’expliquer !
Kamon le prit au mot.
– Ne cède pas à la provocation !! cria Irou.
Mais c’était trop tard, son coéquipier était déjà descendu de son destrier, et allumait sa dynamite pour la jeter sur les derniers ennemis.
– Hinhin, inutile !
Kamon avait levé son bras, prêt à lancer ses explosifs. Mais déjà, sa cible principale s’était élancée vers lui. Il se rapprochait bien plus vite que ce que ce que le samouraï avait anticipé, probablement à cause de son armure légère. En quelques fractions de seconde, il s’était tellement rapproché que ses explosifs étaient devenus inutilisables : ils auraient explosé tout deux.
– Mais qu’est-ce que tu fais ?!
Agacé, Irou bondit à son tour de son cheval dans l’espoir de contrer l’attaque ennemi.
– Tu sais pourtant bien que tu ne peux rien faire en un contre un avec tes armes, alors pourquoi te laisser entrainer dans son jeu ?
Le Shien repoussa Irou en ricanant :
– Tu es déjà moins stupide que ton partenaire…
– Irou a raison, continua Yaichi. Nos devons travailler ensemble, en équipe.
« Ensemble… » pensa Zanji…Lui qui avait tellement délaissé ses camarades pour partir à l’aventure seul, comment devait-il se comporter vis-à-vis d’eux à présent ?
– Zanji, aide-moi de ce côté ! lança Nisashi exactement au même moment.
Les sous-fifres Shien semblaient en effet relâcher leur formation, certainement dans l’espoir d’attaquer les samouraïs encore à cheval. Cet espoir était bien entendu vain face à la puissance des montures : Nisashi et Zanji parvinrent à les mettre à terre en quelques secondes seulement. L’un des soldats essaya bien de se relever, mais un coup de naginata bien placé lui pulvérisa le crâne. Les autres jugèrent plus judicieux de rester au sol.
Dès lors, il ne restait alors plus que l’homme excentrique. Les quatre cavaliers restés à cheval l’encerclaient. Cependant, ils jugèrent bon de descendre de leur monture pour le combat qui s’annonçait : c’était le seul moyen d’affronter correctement l’ennemi à six.
– Qui es-tu, exactement ? insista Kamon. De tous les Shien que j’ai réduit en poussière, je n’en ai jamais rencontré des comme toi !
– « De tous les Shien que tu as réduit en poussière ? » répéta-t-il avec une grimace. C’est vrai que je n’ai jamais été très synchro avec les autres Shien. Ces brutes n’ont aucune personnalité…Ils n’ont pas cette folie qui distingue les hommes dignes de la masse.
– Que fais-tu dans cette région ? enchaîna Irou, constatant que l’homme s’était mis à parler. Tu sais bien que les Shien ne sont pas les bienvenus ici…
– Oui, bien sur que je sais…Après tout, c’est moi le gouverneur de cette foutue région…
– Le quoi ?!
Tous se regardèrent. Alors cet individu haut en couleurs était le chef de tous les Shien des Montagnes, celui qui faisait autorité dans la région, au même titre que Tenkabito dans les Forêt et le Bushi Immortel dans les Rizières ?
– Au Château De Brume De Shien, tout le monde m’appelait le Casse-Cou Déterminé à cause de mon appétit pour le combat….Il paraît qu’un génie comme moi est « ingérable »….Ils ne savaient plus quoi faire de moi, et ils m’ont exilé dans ce trou à rat. Alors quand je vois des gars dans votre genre débarquer par surprise sur mes terres….
Il plongea brusquement sur Kamon et Irou, les deux en face de lui.
– ça…me…donne…envie…
– Irou, on pare ça !
– DE FAIRE UN CARNAGE !!
– O.K. !
Tout deux se placèrent en position de défense et encaissèrent leur choc, résistant de toutes leurs forces à la charge ennemie. Mais le Shien ne semblait nullement troublé par ce léger contretemps. Tout autour, les quatre autres samouraïs essayaient d’approcher.
– Mouwahah, inutile !!
Alors que ses deux bras étaient occupés à percer la défense d’Irou et de Kamon, le gouverneur détacha d’un coup sec la naginata accrochée dans son dos. La protection autour de sa mâchoire prenait tout son sens : sa lance était désormais coincée entre ses dents.
De par ce geste inattendu, l’excentrique guerrier gagnait plusieurs mètres de portée. A cause de sa lame de plusieurs mètres de long, tout espoir de se rapprocher devenait vain pour les samouraïs restés en retrait. Yaichi lui-même ne pouvait pas tirer de flèche, de peur de blesser ses camarades si proche de sa cible.
– On a beau sortir d’entraînement, affronter directement un gouverneur…grommela-t-il.
– Tu baisses les bras, Yaichi ?! cria Kamon, en plein bras de fer avec le Shien. Au contraire, c’est le moment de montrer…qu’il faut…se dépasser !!
Sa main gauche, cachée dans son dos, laissa apparaître un bâton de dynamite dont la mèche se rétrécissait à vue d’œil.
– Mais c’est de la folie ! Ça va vous exploser dessus ! alerta son coéquipier, désemparé.
– Ah ouais ?
Alors que la mèche était presque entièrement consumée, le samouraï se décida enfin à lâcher l’explosif. D’un coup, il lança celui-ci dans les airs, pile au-dessus des têtes des combattants. Moins d’une seconde après, la dynamite explosait.
Un grand flash de lumière, accompagné d’un bruit fracassant, retentit au-dessus d’eux. Aveuglés, le Shien et les deux samouraïs qu’il pressait furent projetés dans différentes directions.
– Prenez le relais ! cria Kamon tandis qu’il était poussé en arrière à cause de la déflagration.
Les quatre autres ne se firent pas presser : Yaichi passa le premier, en écorchant de son épée le bras du gouverneur. Il avait visé le cœur, mais le guerrier avait esquivé par une roulade sur le côté. A peine le Shien s’était-il relevé qu’il avait du faire face à la naginata de Zanji. Cependant, il semblait avoir repris ses esprits rapidement, car ses épées continrent la lame du lancier. Ne lui laissant aucun répit, Nisashi vint également à sa rencontre.
– Merde…
Les six samouraïs se ruèrent tous sur lui, tous ensemble. Soudainement, la situation avait changé. C’était à présent une pluie de coups qui jaillissaient de toute part sur lui. Le Casse-Cou Déterminé esquiva, para et renvoya un nombre inimaginable de coup. Cinq, dix, quinze minutes s’écoulèrent. Il faisait entièrement jour maintenant, et les samouraïs ne parvenaient pas à prendre l’avantage. Dès que l’un s’approchait, il était repoussé par une des trois armes ou un coup de pied ennemi. Néanmoins, un autre prenait le relais, lui laissant le temps de se relever. De temps en temps, le Shien se prenait un coup, mais ne réagissait pas. Les jeunes guerriers commençaient à fatiguer, et à perdre espoir.
Cela faisait 25 minutes à présent. On sentait que ce combat, qui était en fait une autre forme de bras de fer, approchait du dénouement. Les gestes des sept hommes devenaient plus lents. Le Casse-Cou finit par lâcher un petit soupir. Ses bras tombèrent tout doucement. Tout son corps suivit le mouvement, au point de le faire vaciller à genoux.
– Pff, j’en peux plus…Moi qui pensais être indestructible..au combat…
Tous l’encerclèrent de nouveau, prêts à lui trancher la gorge au moindre geste suspect.
– Nous sommes surement moins forts que toi, répondit Irou en haletant, mais c’est justement ce qui nous a permis de te vaincre. Car cela nous a obligé à unir nos forces. Et ainsi, à te faire plier.
« C’est vrai, pensa Zanji. Ce que j’ai accompli seul dans le repère de Tenkabito, je l’ai précisément accompli parce que c’était Tenkabito et que je souhaitais me venger de lui depuis des années. Dans n’importe quelle autre situation, je n’aurais sans doute pas fait le poids en solo. Si j’avais été seul aujourd’hui par exemple, je serais surement mort. Pardon d’avoir douté de vous les amis. Vous avez supporté mes caprices tout en me laissant une place parmi les Six. Mais au fond de moi, je savais que nous devions unir nos forces coûte que coûte. Il n’y qu’un seul moyen de procéder si nous voulons en finir avec le Régime. Se battre ensemble. »
Tout cela, il n’avait pas besoin de le dire à voix haute. Le regard que les Six s’échangèrent à ce moment-là, fiers du travail d’équipe qui leur avait permis de faire plier un gouverneur, signifiait déjà tout.
– Ahah…si vous avez besoin de vous mettre à six pour me battre…je n’ose même pas imaginer ce que ce sera si vous devez affronter des hommes comme le gouverneur des Plaines…
– Peu importe sa force. Nous le vaincrons, comme nous avons vaincu tous les autres avant lui.
Sur ces mots, Irou abaissa son arme dans la nuque du Shien, mettant brutalement un terme à sa vie. Seulement après, il se laissa tomber sur les pavés ensanglantés, s’autorisant un soupir. Même le plus lucide des samouraïs devait relâcher la pression.
– Reposons-nous quelques instants. Mais nous ne devons pas tarder : nous sommes certes fatigués, mais aucun d’entre nous n’est blessé et que les chevaux vont bien. D’ici une heure maximum, nous devrions atteindre la Cité aux Rizières.
Les autres acquiescèrent.
– Oui, nous devons prévenir le Samouraï Shiranui de la double menace qui se profile. A présent, la guerre est imminente.