https://www.youtube.com/watch?v=5KMzDVf2Bx4
Encore ce long couloir d’hôpital…Je n’aimais vraiment pas l’atmosphère qui régnait ici. Je la trouvais…Oppressante, pesante, froide, désagréable, hostile, agressive. J’avais l’impression que cet endroit pouvait happer soudainement ses occupants et ne jamais les relâcher, les emprisonnant pour toujours en son sein. Pour dire la vérité…Je détestais ce lieu.
Lorsqu’enfin j’arrivais devant cette porte ou était inscrit le nom de « Lucia Muller », je m’arrêtai et, après avoir pris une grande inspiration, frappai deux coups secs.
« C’est moi, j’entre. »
Lorsque je pénétrai à l’intérieur de la chambre, je vis la silhouette affaiblie et amaigrie de ma mère, assise sur son lit et regardant par la fenêtre les fumées s’échappant des cheminées des immeubles gris de Paris d’un œil vide.
Lorsqu’elle m’entendit rentrer, elle tourna la tête vers moi et tenta de me sourire mais voir ses joues creuses et ses cernes me serra plus le cœur que ne le réchauffa. Néanmoins, je ne laissai rien paraitre et lui souris en retour, m’installant sur cette chaise où j’avais passé tant de temps en si peu de mois puis nous entamâmes les banalités et les actualités du jour.
Comme à chaque fois, je commençai par lui raconter mes journées. Elle aimait vraiment écouter mes anecdotes sur les cours, sur mes amis et plus particulièrement sur Angéla qu’elle connaissait depuis que nous étions enfants. Elle avait toujours apprécié la jeune fille pour son caractère joyeux et enthousiaste qui contrastait avec ma personnalité renfermée et peu émotive.
« Il faudra que tu lui dises de venir me rendre visite un de ces jours, j’aimerais beaucoup la revoir. Elle mettrait un peu de gaité dans mes journées ; déclara ma mère.
-Parce que tu n’es pas contente de me voir ? M’offusquai-je. Moi aussi je peux être amusant !
-Ce n’est pas ce que j’ai dit ; rit-elle légèrement. Mais vous faisiez tant de bêtises avant, je ris rien qu’en pensant à la fois où elle t’a forcé à te déguiser en monstre de duel. Tu avais fait toi-même ton costume en carton et…
-Arrête avec ça, Maman ! L’interrompis-je, commençant à rougir en repensant à cet épisode ridicule. »
Puis nous éclatâmes de rire ensemble. Ma mère n’avait pas changé depuis tout ce temps. Même dans les moments les plus durs, elle se forçait à sourire, encore et toujours, parce que c’était sa philosophie.
Je restai avec elle jusqu’à tard le soir avant d’être obligé de repartir à cause des cours le lendemain. Je lui promis donc de repasser la voir dès que possible et nous nous séparâmes.
Lorsque je me retrouvai dans les couloirs sombre de l’hôpital, je fus à nouveau saisi par ce sentiment de malaise. Je n’aimais pas venir dans cet endroit mais j’aimais encore moins en repartir. Je craignais à chaque fois que, en mettant le pied à l’extérieur de ce bâtiment, les portes ne se referment à jamais et ne me laissent plus revoir ma mère…
Pendant que j’étais perdu dans mes pensées, je fus bousculé par une personne et je tombai à la renverse, face contre terre.
« Oh, je suis vraiment désolée…je ne voulais pas…Rien de cassé ? »
Me frottant le nez, je levai la tête et je vis une grande fille portant un pyjama de l’hôpital me tendre la main pour m’aider à me relever.
« Non, tout va bien…lui répondis-je en enlevant la poussière qui s’était accrochée à mon manteau. »
La fille semblait avoir mon âge. Son visage était rond, ses cheveux, blonds comme l’or, étaient coiffés de telle sorte à ne laisser qu’une longue mèche pendre du côté droit et recouvrant partiellement ses yeux…Verts comme l’émeraude…Exactement comme ceux de ma mère…
Je dus rester quelques secondes figé sur place car celle-ci claqua des doigts devant moi pour me faire revenir à la réalité.
« Eh, tu es sûr que ça va ? Tu as l’air secoué ; s’inquiéta-t-elle.
-Euh…oui, tout va bien ! Mais je dois y aller ! »
Sans perdre une seconde, gêné, je m’enfuis de cet endroit, laissant derrière moi cette fille mystérieuse.
Je marchai vite dans les rues, l’heure tournant rapidement et n’ayant toujours pas diner ni fait mes devoirs. Heureusement, j’habitai dans un quartier relativement sûr et il n’y avait aucun risque à se promener en ville le soir, même pour un collégien comme moi.
Lorsqu’enfin j’introduisis la clé dans la serrure de mon appartement, je poussai la porte et restai une seconde sur le pas, n’arrivant pas à me faire à l’idée que les lumières puissent être éteintes à mon arrivée.
« Je suis rentré ; lançai-je machinalement. »
Personne ne me répondit, évidemment.
Depuis que ma mère était tombée malade, cinq ans auparavant, la maison me semblait bien vide et, chaque soir, je continuai à espérer voir un quelconque signe de vie dans cet appartement froid et sans vie.
Lâchant un soupir de lassitude, j’allumai la lumière et, après avoir posé mes chaussures dans un casier à côté de deux places vides, je me fis un diner léger, suivi d’une douche chaude avant de me mettre à ma table de travail, alternant les devoirs et les discussions sans queue ni tête avec Angéla, Ambre et Maya sur le groupe que nous avions créé deux ans plus tôt et qui se nommait « Allons en Agartha ».
https://www.youtube.com/watch?v=Ov1U1JLi8SU
Le lendemain, je retrouvai Angéla et ses amies à la pause de midi comme toujours et j’eus droit à son lot quotidien de plainte sur les lentilles de la cantine ainsi que sur les professeurs s’acharnant sur elle.
« Sérieusement, vous trouvez ça normal vous que je me sois pris encore un zéro parce que j’ai répondu honnêtement à la question ? »
Devant mon air dubitatif, Maya qui se retenait d’éclater de rire et Ambre qui se prenait la tête dans les bras, l’air désespérée, la blonde me montra sa copie en me prenant à témoin.
Lorsque je vis ce qui était inscrit sur la feuille, je fronçai les sourcils, me demandant si je devais en rire en pleurer. Il y avait un triangle rectangle dont l’hypoténuse valait X et la question demandait de « trouver x » …
Lentement, je levai les yeux de cette copie et lançai à Angéla un regard compatissant.
« Dis-moi…Angéla…Tu as vraiment marqué « il est ici » en entourant le x ? Lui demandai-je, n’en croyant pas mes yeux. »
Maya, n’en pouvant plus de se retenir, éclata de rire tandis qu’Ambre avait l’air de vouloir disparaitre à cet instant.
« Donc tu es d’accord avec moi ? C’était la bonne réponse ! J’aurais dû avoir les points !
-Tec…Techniquement…La réponse est juste ; tenta de dire Maya entre deux éclats de rire.
-Voila ! Enfin quelqu’un qui me supporte ! On va voir ce prof de maths alcoolique et lui dire deux mots ! Aymeric, tu viens avec nous ! »
Avant même que je n’aie eu le temps de répondre, Angéla se leva brusquement de table et fila hors de la cantine, laissant son plateau sur la table, suivie de Maya qui activa la caméra de son téléphone et qui nous un clin d’œil avant de disparaitre à son tour.
A la table, il ne resta donc plus qu’Ambre qui finissait tranquillement son repas, et moi, qui avais toujours la copie d’Angéla dans les mains.
« Je devrais peut-être aller lui rendre…Non ? Proposai-je.
-Oh, non, notre prof a marqué sa réponse dans son cahier de blagues avec son nom à côté. Il s’en souviendra je pense ; me répondit la brune en sirotant son jus d’orange personnel. »
La jeune fille s’arrêta soudainement et me lança un regard qui ne me dit rien de bon.
https://www.youtube.com/watch?v=AleCFI1hHkA
« Plus sérieusement, Aymeric, quand est-ce que tu l’invites à sortir ?
-Hein ? De quoi tu parles encore ? »
Ambre fronça les sourcils et posa son verre sur la table puis rapprocha son visage du mien si près que je fus obligé de reculer avec ma chaise.
« Ne crois pas que je n’ai pas remarqué les petits regards que tu lui lances. On se connait depuis le primaire et on est bientôt en troisième, alors, qu’est-ce que tu attends ? Angéla ne fera pas le premier pas, elle est bien trop immature pour ça.
-Je… »
Je détournai le regard, conscient qu’Ambre disait la vérité mais depuis quelques temps, je n’avais plus la tête à cela. Par le passé, je rêvais d’inviter Angéla à sortir un jour mais ce sentiment avait fini par s’atténuer depuis que l’état de ma mère s’était dégradé et ma seule priorité était de faire tout mon possible pour qu’elle aille mieux.
La jeune fille, voyant mon malaise devant cette question, se radoucit et se remit à siroter son jus en soupirant.
« C’est à cause de ta mère…n’est-ce pas ?
-En partie…Oui…
-Et…Tu n’as toujours rien dit à Angéla j’imagine ? Me demanda-t-elle d’une voix faible.
-Non. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète. Tu sais comment elle est quand elle est inquiète…
-Tu devrais quand même lui dire un jour. Elle va finir par t’en vouloir si elle sait que tu l’as laissée sur le côté ; me prévint Ambre d’une voix douce.
-Je le sais bien mais ça ne durera pas. Je pense que d’ici quelques semaines, tout sera rentré dans l’ordre ! Et à ce moment-là, je compte sur toi pour m’aider !
-Nous verrons cela à ce moment-là ; s’amusa la brune. »
La cloche sonna la fin de la pause midi et, donnant la copie d’Angéla à son amie, nous partîmes chacun de notre côté. Lorsque je retournai en classe, je ne manquai pas de me faire chambrer par mes deux amis, Antoine et Charles, deux grands gaillards pas bien malins mais qui me prenaient pour leur modèle uniquement parce que j’avais toujours trainé avec des filles et pas eux. Mais je les laissai dire, au moins ils me tenaient compagnie en classe.
L’après-midi passa, comme chaque jour, lentement, entre les cours ennuyeux et l’angoisse à l’idée de pouvoir recevoir un message de l’hôpital à tout moment. Je n’avais même pas la bonne humeur des filles pour me changer les idées et j’étais condamné à rester sur l’îlot de mes pensées.
Le soir, Maya ne manqua pas d’envoyer sur le groupe la vidéo d’Angéla gagnant une heure de colle après avoir tenté de gagner les points sur sa question et la blonde passa la soirée à nous envahir de messages pour protester contre cette injustice.
Une journée typique pour moi somme toute.
https://www.youtube.com/watch?v=y5KS4i8kzjU
Lorsque je retournai voir ma mère en fin de semaine, je lui ramenai quelques affaires dont elle avait besoin dans sa chambre et je lui racontai mes journées, comme toujours. L’histoire la fit bien rire, comme à chaque fois que je lui parlais d’elle et je la laissai sur ces bonnes nouvelles.
Mais, alors que j’allais partir, je vis que la porte de la chambre d’en face était ouverte et, qu’à l’intérieur se trouvait la fille qui avait failli me rentrer dedans la dernière fois. Même si elle était assise sur le lit avec les vêtements de l’hôpital, elle semblait être en parfaite santé et était en grande discussion avec un homme qui devait être son père.
Elle ne me vit pas cette fois-ci et je passai mon chemin, pressé de rentrer.
Cependant, lorsque je revins la semaine suivante, je la vis encore, cette fois-ci dans le salon commun où ma mère regardait la télévision.
Lorsqu’elle m’aperçut, la jeune fille me sourit simplement, m’ayant reconnu, mais notre échange tacite n’alla pas plus loin. Après tout, je devais veiller sur ma mère.
Les semaines passèrent. Je continuais à venir à l’hôpital chaque semaine, toujours le même jour, toujours à la même heure et, même si certains patients arrivaient et d’autres repartaient, la fille aux yeux d’émeraudes, elle, restait là, toujours seule, dans ce salon à lire des livres, perdue dans ses pensées mais ne montrant jamais aucun signe de maladie.
Quant à moi, je passai également beaucoup de temps dans ce salon avec ma mère, mais jamais, je n’adressai la parole à cette fille. Nous nous contentions de nous regarder de loin, nous lançant un sourire en arrivant, et un regard en partant mais nous ne nous disions rien.
Les journées avec Angéla, Ambre et Maya, elles, restaient les mêmes. A midi, nous avions toujours ce rendez-vous quotidien à la cantine où la blonde du groupe animait le déjeuner en nous racontant ses « malheurs » et parfois, nous finissions avec un duel lorsque nous avions le temps.
Je n’étais pas spécialement fort à ce jeu mais déjà, ni Ambre, ni Maya ne savaient jouer et cela semblait faire plaisir à Angéla, alors je me prêtais au jeu avec mon deck de démarrage V pour victoire. La jeune fille n’arrêtait pas de me dire de m’acheter un vrai deck mais je l’appréciais moi. Après tout, nous étions allés l’acheter ensembles et j’étais persuadé que je pouvais en tirer quelque chose.
https://www.youtube.com/watch?v=Td1D1jjvrdE
Cela dura pendant six bonnes semaines, le temps que les vacances arrivent puis, lorsque je fus débarrassé de la contrainte scolaire, je me précipitai tous les jours à l’hôpital.
L’état de ma mère était stable selon les médecins et il n’y avait aucune raison de me faire du souci, mais je voulais m’assurer que tout allait bien, alors je me fichais de passer mes vacances dans cette chambre plus blanche que la montagne en hiver ou dans ce salon où les informations passaient en boucle malgré le harcèlement d’Angéla pour que je participe à ses activités telles que trouver le big foot ou explorer le bois de Vincennes.
Un jour, alors que le soleil et la chaleur étaient revenus et que nous nous baladions dans le parc, je vis une fois de plus cette fille, seule, à l’ombre d’un arbre, lisant inlassablement ce livre à la couverture ne laissant aucun indice sur sa nature.
Je ne savais pas pourquoi, mais cette fille m’intriguait vraiment. Elle n’était pas comme les autres résidents de l’hôpital. Elle n’était pas en fauteuil roulant, sa peau était claire, ses yeux respiraient la vie et personne ne semblait se faire du souci pour elle, pas même les infirmières qui passaient sans lui prêter une quelconque attention.
Le lendemain, ma mère voulut à nouveau prendre l’air et nous nous installâmes près du petit ruisseau artificiel du jardin de l’hôpital. Je calais son fauteuil sous un abri en bois pour la protéger du soleil et, la voyant s’endormir rapidement, je m’installai sur le banc à côté de l’eau et mis mes écouteurs pour passer le temps.
Mais, alors que j’étais perdu dans mes pensées, j’entendis un bruit de pas à côté de moi et, décalant légèrement le regard sur la droite, je vis à nouveau cette fille blonde, toujours avec son livre à la main, portant un large chapeau ivoire et une fine laine au-dessus de son pyjama d’hôpital.
Je la saluai, comme à chaque fois et elle s’installa sur ce banc à côté de moi, commençant à lire en silence.
Nous restâmes ainsi l’un à côté de l’autre pendant plusieurs heures, elle lisant inlassablement son livre et moi écoutant ma musique. De temps à autre, je la voyais me lancer de petits regards furtifs mais, dès que je tournai la tête, je me heurtais à la couverture de son livre mystérieux.
Finalement, ayant fait le tour de mon répertoire, je retirai mes écouteurs. Ce jardin était vraiment calme bien qu’en plein centre-ville.
La brise fraiche du soir, le clapotis de l’eau, les rayons ardents du soleil, l’ombrage des branchages, le bruissement des feuilles et ce froissement régulier des pages du livre de ma voisine…Tout cela avait vraiment quelque chose d’apaisant et de reposant. J’aurais pu rester là des années sans même m’en apercevoir.
Soudain, le vent se mit à souffler légèrement plus fort et l’une des pages du livre de la jeune fille s’envola. Elle poussa un petit cri d’étonnement mais je réussis à attraper le morceau de papier au vol et je lui rendis.
https://www.youtube.com/watch?v=mxIzlCdg76o
« Merci ; déclara-t-elle avec un large sourire.
-Mais de rien. »
Je m’arrêtai un instant en voyant que, contrairement à ce que je pensais, il ne s’agissait pas d’un roman mais d’une sorte d’encyclopédie où étaient dessinés toutes sortes de symboles auxquels je ne comprenais rien.
La jeune fille pencha légèrement la tête sur le côté, étonnée que je ne lâche pas ce bout de papier.
« Il y a un problème ? Me demanda-t-elle, l’air un peu désemparée.
-Oh, non, aucun ! Répondis-je précipitamment. Je me demandais juste ce que tu lisais ! »
La fille aux yeux d’émeraude regarda un instant son livre puis me montra la première page sur laquelle étaient inscrits les mots : « Les dieux Egyptiens sont parmi nous ! » et j’eus un petit hoquet de surprise, ne m’attendant absolument pas à voir cela.
Ma réaction amusa la mystérieuse fille qui ne put s’empêcher de pouffer avant de reprendre son ouvrage et de le poser sur ses jambes.
« C’est l’ouvrage de mon oncle qui est sorti l’année dernière ; me dit-elle d’une voix claire et calme. Il me l’a donné quand je suis arrivée ici.
-Ton oncle est un écrivain connu ? M’étonnai-je. »
Ma remarque refit pouffer la jeune fille qui mit sa main devant sa bouche pour cacher son amusement mais ses yeux remplis d’ironie la trahissaient.
« Pas vraiment. Enfin, il est connu dans le milieu comme il le dit lui-même…
-Mais tu aimes la mythologie ? Tu n’as pas l’air d’avancer énormément ; fis-je remarquer en voyant le marque page au tout début de l’ouvrage.
-Pas spécialement. Mais ma cousine m’a suppliée de le lire pour qu’il ait au moins un retour, alors je me force…Et puis, cela m’occupe on va dire. »
Je voulus continuer cette discussion plus longtemps mais au-même moment, ma mère fut réveillée par la cloche annonçant l’heure du diner.
« Oh, désolé…Je dois y aller, c’est l’heure ; m’excusai-je.
-Je vais y aller aussi de toute façon. Il commence à faire froid ici. »
Délicatement, la jeune fille remit son pull sur ses épaules et nous accompagna, ma mère et moi jusqu’à sa chambre où son repas était servi. Elle fut prise en charge par les infirmières venues également lui administrer ses médicaments et je me retrouvai seul dans le couloir avec cette fille étrange dont la chambre était juste en face.
« Bien, à une prochaine fois peut-être ; me lança-t-elle en me faisant un signe de la main tout en rentrant dans sa propre chambre. »
Lorsque je fus à nouveau seul, je ris de ce qu’il venait de se passer. On ne pouvait pas dire que j’étais vraiment habitué au calme et à la tranquillité entre Angéla et les boulets qui me servaient d’amis en classe. Passer du temps avec cette fille cette après-midi m’avait vraiment apaisé, moi qui n’arrivais jamais à trouver la paix lorsque je venais à l’hôpital, sans cesse pensant au pire.
Je repris mon téléphone et découvrit une centaine de messages de la part d’Angéla sur le groupe qui se battait avec Maya pour qu’on fasse ses devoirs à sa place et je souris. Malgré tout, j’aimais l’ambiance farfelue qu’Angéla nous imposait à tous les trois et je finis par accepter de lui donner les miens en rentrant chez moi.
https://www.youtube.com/watch?v=WEASss7MSQk
Les jours qui suivirent, je n’eus pas le temps de retourner à l’hôpital à cause de la rentrée approchant à grand pas et les examens d’avril. Mais encore une fois, c’était une période que je réussissais à supporter plutôt bien grâce aux réponses d’Angéla aux contrôles.
« Non mais, vous avez vu le sujet de français encore ? S’énerva la blonde comme à chaque repas. Qu’est-ce que l’inconscience ? Vous avez répondu quoi encore vous ?
-Et bien, j’ai cité Freud puisqu’on avait le texte à côté…Répondit Maya, qui faisait de son mieux pour imaginer une autre réponse.
-Ah, moi j’ai rajouté un passage sur Sartre et le philosophe Alain. Calvere nous avait demandé de les lire si on voulait donc je ne me suis pas privée ; rajouta Ambre, fière d’elle.
-C’est vrai qu’on ne peut pas vraiment inventer sur un sujet pareil…Déclarai-je, embêté pour la jeune fille. Qu’est-ce que tu as raconté toi ?
-Bah…Déjà j’avais pas lu les livres…
-Non ? Vraiment ? Nous soupirâmes tous les trois comme une seule personne.
-Donc j’ai dit que l’inconscience, c’est de s’inscrire à un tournoi avec Scorpion noir… »
Maya entra dans un fou rire tel à ce moment précis qu’elle fut obligée de sortir de table pour se calmer, Ambre fit de même, ayant visiblement trop honte de connaitre Angéla et moi, je me contentai de regarder la jeune d’un air dubitatif.
« Quoi ? C’est mieux que copie blanche, non ? S’offusqua-t-elle.
-Je ne peux pas nier que c’est vrai, oui ; soupirai-je.
-En parlant de ça, il serait tant que tu changes ton deck pourri toi !
-Hors de question. Et je te rappelle que le tien n’est pas meilleur, tu as simplement mis tous les elfes que tu avais chez toi.
-C’est faux ! Rétorqua Angéla en gonflant les joues. J’ai fait des changements depuis le temps !
-C’est vrai que Monster Reborn a disparu mais qu’Elfe Mystique est toujours là… »
Nous continuâmes à nous lancer des piques jusqu’à ce que Maya et Ambre revinssent nous chercher pour terminer la journée sur d’autres examens, dont Angéla ne manqua pas de se plaindre le soir, comme la physique ou elle avait été obligée de répondre « oui » à la question « la balle atteindra-t-elle sa cible ? » ou la géographie où elle n’avait pas été capable de placer la Belgique et l’avais mise à la place du Luxembourg.
Enfin, lorsque la fin de la semaine arriva, je me précipitai à l’hôpital pour raconter à ma mère cette semaine plus que mouvementée. Evidemment, elle fit les gros yeux en voyant les sujets de cette année, particulièrement celui de philosophie.
« Vraiment…Ils vous font étudier ça en quatrième maintenant…Ils sont fous…
-Oui mais attends, tu ne connais pas la réponse d’Angéla en Français ! »
Lorsque je lui racontais, elle éclata de rire jusqu’à en avoir les larmes aux yeux et ne s’arrêta que lorsqu’elle fut à bout de souffle. S’il y avait bien une chose qui mettait ma mère de bonne humeur, c’était quand je lui racontais les mésaventures de la fille qu’elle appréciait depuis toujours, c’est pourquoi, je remerciais toujours Angéla intérieurement quand ma mère oubliait ses tracas grâce à elle.
Je restai une heure de plus pour discuter avec elle de la fin de l’année, parler de ses futures sorties d’hôpital et planifier nos prochaines vacances ensembles puis je m’éclipsais, la laissant comme toujours avec les infirmières.
Lorsque je sortis de la chambre, quelqu’un sortit également de la chambre d’en face. Une jeune fille portant le même uniforme que nous, et ressemblant vaguement à la personne occupant la chambre de par la couleur de ses cheveux et de ses yeux.
https://www.youtube.com/watch?v=nWx0Iw5lw3E
« Si tu as besoin de quoique ce soit, n’hésite pas à m’appeler ! Lança-t-elle à la fille mystérieuse. Je compte sur toi cousine ! »
Ne m’ayant pas vu, la visiteuse me bouscula légèrement en reculant et s’excusa avant de partir précipitamment, sans même fermer la porte derrière elle.
La jeune fille à l’intérieur me vit alors et me salua avec un large sourire que je lui rendis. Cependant, contrairement aux autres fois, elle ne se remit pas immédiatement à livre son livre et continua à me fixer pendant plusieurs secondes avec ce sourire bienveillant figé sur sa figure et je finis par comprendre qu’elle m’invitait à rentrer.
Prudemment, je franchis la porte mais ne m’avançai pas trop à l’intérieur, de peur de déranger.
« Cela faisait longtemps que je ne t’avais pas vu ; déclara la jeune fille avec sa voix douce et enchanteresse.
-Oui, j’ai eu pas mal d’examens ces derniers temps, je n’ai pas eu beaucoup de temps pour moi ; m’excusai-je en me frottant la nuque, comme si je me sentais obligé de rendre des comptes à cette personne. »
Ses yeux s’illuminèrent lorsque je prononçai le mot « examens » et un sourire passa sur sa figure, qu’elle tenta une fois de plus de camoufler en mettant son livre devant son visage.
« Vraiment ? Des examens ? Ça devait être amusant.
-Du point de vue de certains, oui, c’est très amusant, mais pas pour d’autres ; ris-je de bon cœur. »
La jeune fille pencha légèrement la tête sur le côté comme elle le faisait quand elle était intriguée par quelque chose et je remarquai alors que, à côté de son éternel livre, était posé une affiche pour un grand tournoi pour lequel Angéla avait raté les qualifications.
« Tu fais des tournois ? La questionnai-je, surpris.
-Oh, non. Je n’en fais pas. Ma cousine est juste venue me prévenir qu’elle allait passer à la télévision bientôt et a déposé ce prospectus pour que je ne la rate pas ; s’amusa la fille aux yeux d’émeraudes.
-Ah, celle qui t’a demandé de lire ce livre aussi ?
-Oui, on parle bien de la même personne ; enchaina-t-elle en regardant l’ouvrage posé sur sa table. »
L’horloge sonna sept heures du soir et des infirmières vinrent frapper à la porte pour annoncer le diner dans la cantine de l’hôpital où allaient manger les patients capables de se déplacer par eux-mêmes.
« Je crois que nous continuerons cette discussion un peu plus tard…Euh…
-Aymeric. Aymeric Muller ; déclarai-je en lui tendant la main amicalement.
-Enchantée, Aymeric. Mon nom est July. July Wheeler ; me répondit-elle en répondant à mon geste.
-July…Wheeler, hein ? C’est un joli nom… »
Sans ajouter un mot, la dénommée July descendit de son lit se rendit au réfectoire avec l’aide des infirmières.
https://www.youtube.com/watch?v=Y_bQW5hVkMI
A partir de ce jour-là, à chaque fois que je venais voir ma mère à l’hôpital et avant de partir, je faisais un saut dans la chambre d’en face pour saluer la jeune fille qui semblait parfois m’attendre, regardant simplement par la fenêtre, le livre de son oncle posé sur sa table de chevet.
Elle n’était pas bien bavarde mais s’intéressait à tout ce que je disais, même la moindre banalité sur le feu rouge en panne de la rue d’en face ou même si ma plomberie défectueuse. Elle semblait prendre plaisir à simplement écouter mes histoires et à y réagir en riant aux éclats tout en tentant de cacher sa bonne humeur à chaque fois.
Au début, je ne lui parlai que des faits banals comme les cours qui, étrangement, la captivaient, ou du dernier article que j’avais vu sur internet et elle me répondait de la même façon, me parlant rapidement de sa cousine ou de ce qui passait aux actualités.
Rapidement, July apprit l’existence d’Angéla en entendant ma mère éclater de rire régulièrement dans sa chambre lorsque je venais lui rendre visite et je finis par lui raconter à elle aussi les anecdotes, récentes ou anciennes, que j’avais sur la jeune fille qui passait son temps à faire des bêtises et à se plaindre ensuite.
« Et là, Angéla a entouré le X sur sa copie quand on lui a demandé de le trouver !
-Sérieusement ? Je t’envie vraiment d’avoir une telle amie ; pouffa July.
-Oh, crois-moi, c’est fatigant sur le long terme. J’ai l’impression de faire garderie parfois…Soupirai-je.
-Tu me la présenteras un jour ? Je lui présenterai ma cousine aussi, je suis certaine qu’elles s’entendraient bien.
-Qui sait. Peut-être qu’un jour, je lui dirai de venir, oui. »
C’était amusant. Nous ne savions rien l’un sur l’autre. Rien sur nos gouts musicaux, rien sur nos styles d’émissions, rien sur nos loisirs, rien sur nos passés respectifs, presque rien sur nos vies privées, et pourtant, je m’entendais bien mieux avec July qu’avec les deux idiots qui me servaient d’amis en cours. C’était une sensation étrange que je n’avais jamais ressentie auparavant, comme si nous n’avions pas besoin de mots pour communiquer.
L’été arriva, de même que la fin des cours. L’état de santé de ma mère ne s’était toujours pas amélioré et les médecins préconisaient une durée encore indéterminée à l’hôpital. Ainsi, tandis qu’Angéla partit pour le sud avec sa famille et qu’Ambre prit également des vacances bien méritées, il ne resta plus que Maya et moi à Paris, dans un mois de juillet étouffant de chaleur.
Mais cela ne me dérangeait pas et je passai même le plus clair de mon temps à l’hôpital, à l’ombre d’un chêne ou d’un marronnier, en compagnie de July, soit lisant son livre au bord de la rivière, soit écoutant mes histoires du quotidien avec intérêt.
Un jour, vers la mi-juillet, alors que je venais lui rendre visite comme souvent, je la trouvai assise à notre endroit de rendez-vous, sous le grand marronnier du parc près du cours d’eau mais, contrairement aux autres jours, elle ne portait pas son pyjama d’hôpital mais une fine robe blanche de satin, ainsi que de légères sandales et son imposant chapeau ivoire. Elle regardait au loin, comme perdue dans ses pensées et tenait entre ses doigts un crayon de papier tapotant à rythme régulier la feuille d’un grand bloc note.
https://www.youtube.com/watch?v=kVUekqhpt9M
Je m’arrêtai un instant, surpris par ce tableau singulier. C’était comme si une peinture impressionniste venait de prendre vie devant mes yeux : ces couleurs vives de l’été contrastant avec la candeur de la jeune fille, le vent faisant onduler lentement ses cheveux d’or et ses yeux brillant comme deux joyaux…
Soudain, July tourna la tête dans ma direction et me sourit, comme à chaque fois.
« Tiens, Aymeric. Je ne t’ai pas entendu arriver ; déclara-t-elle lentement.
-Tu avais l’air perdue dans tes pensées aussi. Qu’est-ce que tu fais avec ça ? Tu écris ? »
July hésita un instant en regardant son bloc-notes avant de me le tendre. Une fois de plus, je fus vraiment surpris de voir les occupations de la jeune fille. Sur ces pages à l’allure banale étaient faits des dessins. Mais il ne s’agissait pas de simples dessins faits au hasard mais d’une véritable histoire, un manga encore inachevé mais déjà bien plus beau que tout ce que j’aurais pu faire, même avec quatre bras.
Je me mis alors à regarder les autres pages, bouche bée et subjugué par la qualité du dessin, la qualité du trait et la finesse des détails constants de case en case. Chaque vignette aurait pu, à elle seule, être un tableau à part entière.
« C…C’est toi qui as dessiné ça, July ? Bégayai-je, encore abasourdi. C’est…magnifique…
-Je n’ai pas grand-chose à faire ici…Alors je m’occupe comme je peux…Me répondit-elle en détournant le regard. Tu aimes ?
-Evidemment que j’aime ! Tu veux devenir dessinatrice plus tard ? Tu en aurais largement les moyens !
-Je…J’aimerais bien…Rougit-elle. Mais je suis nulle pour raconter des histoires…
-Allons, cela ne peut être que bon avec des dessins pareils ; la rassurai-je. »
Ne m’étant concentré jusque-là que sur les graphismes, je me mis à lire quelques lignes de dialogue et immédiatement, tout mon enthousiasme retomba d’un seul coup…
« C’est une maladie difficile que tu as là Michael ; déclarait un médecin sur la première vignette en parlant seul dans le vide. «
« Parce qu’il existe des maladies faciles ? Répondait une bulle sortant du vide. »
« Oui ; se contentait de répondre l’homme, sans expression. »
Toutes les autres lignes de dialogues étaient du même style et ressemblant à une conversation qu’on aurait pu avoir sur le groupe avec les filles. Je compris néanmoins qu’il s’agissait de l’histoire d’un lama invisible cherchant à rajeunir…ou quelque chose du genre…
Je restai encore une fois bouche bée devant son travail, mais pas pour les mêmes raisons cette fois-ci et le visage de la jeune fille s’empourpra davantage devant mon expression dubitative.
« C…C’est si mauvais que ça ? Bafouilla-t-elle.
-Comment dire…Je pense qu’il y a une bonne marge de progression…Déclarai-je en tentant de paraitre le moins critique possible.
-C’est aussi ce que ma cousine m’a dit la dernière fois…Mais ça fait trois ans qu’elle me le répète…
-Et elle ne te donne jamais de conseils, elle ? M’étonnai-je.
-Si, des tonnes…Mais je n’arrive pas à les appliquer. Ils sont à la fin… »
Intrigué, je passais directement à la dernière page du bloc-notes et, effectivement, de nombreuses inscriptions étaient marquées là, d’une écriture assez fine et élégante, tout le contraire d’Angéla dont l’écriture ressemblait à des pattes de mouche pour camoufler ses mauvaises réponses en espérant que le correcteur mette les points en supposant une bonne réponse.
Je me mis à lire les conseils qui étaient en réalité plus une réécriture de l’histoire que de vrais conseils, mais une réécriture plutôt bien tournée, simple mais compréhensible malgré les gribouillis servant d’illustrations.
« Ce ne sont que des petites histoires qui me passent par la tête mais J’ai…J’en ai aussi une autre plus aboutie ! S’exclama-t-elle en sortant un second bloc-notes de son sac. »
L’air un peu plus assurée, elle me le tendit et je me remis à lire. Les dessins étaient toujours somptueux et je ne manquais pas de lui faire remarquer et l’histoire, quant à elle, était légèrement meilleure mais toujours annotée de remarques de la main de sa cousine en bas de page.
Cette fois-ci, les événements semblaient un peu plus fantastiques et avec plus d’actions, comme dans un shônen.
« Je voulais mettre en image les écrits de mon oncle ; déclara-t-elle. Enfin…j’ai aussi essayé de faire une histoire autour…Mais ma cousine m’a dit que je pouvais encore faire mieux…
-Vraiment ? Et de quoi parle-t-elle ? Lui demandai-je, vraiment intéressé.
-Du combat d’une paysanne malade, accompagnée de son dragon contre un souverain maléfique ; me répondit-elle, l’air gênée de son idée…Tu trouves que c’est mauvais ?
-Non, j’aime beaucoup l’idée ; enchainai-je en lui souriant. Je peux t’aider à le mettre en forme si tu veux.
-Tu saurais écrire des histoires pour moi ? S’étonna July, ses yeux émeraudes pétillants d’une fougue nouvelle.
-Je…Je ne suis pas très bon mais à force de raconter les anecdotes d’Angéla à tout le monde…J’imagine que je dois pouvoir me débrouiller. Et puis, ta cousine pourra nous aider. Qu’en dis-tu ? »
July acquiesça avec un sourire rayonnant de bonheur. Je ne connaissais rien de cette fille. Je ne savais même pas pourquoi elle était hospitalisée et pourtant, à cet instant j’avais envie de l’aider à écrire son histoire plus que tout autre chose. Je voulais…voir son manga un jour terminé.