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[Fic] Rising Hope Rebirth
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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [19/03/2020] à 23:25
Prologue


Spoiler :




https://www.youtube.com/watch?v=iRt5omaSz4E

Guerre. Catastrophe. Cataclysme. Il en existait une infinité, des termes pour décrire cet horrible spectacle. Ma vie tranquille avait cessé depuis des années. J’errais sur les ruines d’une paix jusqu’alors tenue pour garantie, désormais emportée par les caprices du destin.


Qui aurait pu prédire, à l’époque, que l’épilogue de notre histoire allait être écrit sur des pages maculées de sang ? Comment aurions-nous pu connaître l’absurde réalité qui nous piégerait forcément tôt ou tard, alors que nous ne nous y intéressions nullement ? Nous n’aspirions jadis qu’à vivre d’air pur. Nous ignorions tout bonnement cette épée de Damoclès prête à égorger nos rêves et nos espoirs.


Par notre stupidité, notre manque de courage, notre aveuglement, nous créâmes cet univers macabre que j’observais de ce piédestal de fortune, un regret infini en guise d’unique compagnon.


Je fixai l’horizon. Je n’y discernai rien d’autre que de la souffrance, des ténèbres, et du désarroi. Ma ville avait été avalée par un souffle de mort représenté en une fumée noire dans laquelle s’embrassaient pollution et soufre. Le voile obscur m’empêchait de constater toute l’étendue des dégâts, mais je ne me faisais aucune illusion. Toute vie s’était éteinte, ou avait été emportée par ces incendies destructeurs. Une odeur de brûlé me déchirait la gorge et les poumons.


Seules mes émotions me prouvaient que j’appartenais encore à l’espèce des Hommes. Elles me surprenaient lorsque je pensais avoir le courage nécessaire pour affronter cette folie, comme en cet instant précis où je maudissais le jour durant lequel tout avait basculé.


J’affirmais pouvoir toujours rester optimiste, mais je ne croyais plus en mes propres mots. Il suffisait de prêter un regard à mon visage gonflé par les larmes afin de comprendre que mes limites étaient atteintes. Il fallait reconnaître qu’au bout de vingt années de péril, la pitoyable santé de mon épiderme n’incarnait plus que le cadet de mes soucis. Je ne représentais plus qu’une existence en perdition, au beau milieu d’une capitale déchirée par le désespoir. Ses ruines se consumaient toujours, comme si le premier jour de la guerre l’avait figée dans le temps.


J’essuyai ces larmes de faiblesse et de chagrin. Le frottement de la manche de ma veste usée par les cendres m’irrita les joues. Je grimaçai. Une simple inflammation suffisait désormais à me faire vaciller, même un petit peu. Mon intégrité psychologique s’était bien fragilisée au fil des années.


Chaque fois, je cherchais en moi une réminiscence à laquelle me raccrocher, mais aucune ne me tirait des abîmes du silence. Alors je perdais espoir. Je me laissai tomber sur les genoux, et hurlai à ce ciel enténébré les destins tragiques que je portais sur mes épaules. Mais je n’obtins aucune réponse. Il ne me restait plus qu’à accepter la cruelle évidence : celle dans laquelle je devais continuer à vivre, à survivre, dans cet univers qui remettait en cause tous les fondements mêmes de notre humanité.


« J’implore ton pardon, murmurai-je d’une voix morte, je tâcherai de ne plus jamais te décevoir. Je te le promets. »


Je cherchai dans le fond de ma poche le dernier objet qui contenait mes espoirs. J’en sortis un cube violet que je jetai au sol. Lorsqu’il l’eut violemment heurté, il se brisa, et laissa apparaître une forme similaire à celle d’un projecteur d’images.


Enfin je pus m’échapper de cette abjecte fatalité, et j’emportai avec moi tout ce qui donnait encore un sens à ce monde.




Chapitre 1: La parole d'un homme


Spoiler :



https://www.youtube.com/watch?v=4FqoqxD-DHA


Reisuke

Quel est le sens véritable d’une promesse ?


Si en quelques mots résidait le pouvoir de changer une histoire, voire de plusieurs, et qu’il suffisait de les prononcer afin d’accomplir une destinée, quelqu’un saurait-il s’engager en ignorant toutes les conséquences résultant de ses paroles ?


La société dans son ensemble menait finalement une existence dictée par les obligations : la scolarité, l’orientation, le travail, l’amour, le mariage, les enfants, la vieillesse… Nous prêtions serment lorsque nous témoignions, et offrions volontiers des gages de sincérité dans le but d’exhiber une certaine maturité, elle-même évaluée sur les promesses tenues et conduites à terme.


Mais au fond, nous négligions tous la valeur de l’engagement. De nos jours, rares étaient ceux prêts à risquer tout ce qu’ils possédaient, y compris les biens matériels, les liens affectifs, ou bien même leur vie, afin d’honorer leur parole par des actes. Pour ma part, je restais persuadé que le destin les attendait de pied ferme au coin de la rue. Il s’apprêtait à leur rappeler qu’ils avaient bafoué leur dignité, et laissé pousser des ronces autour des cœurs brisés par leurs promesses manquées.


Car oui, je m’identifiais à ceux qui n’ont qu’une parole. Mes parents m’avaient inculqué dès mon plus jeune âge la nécessité de respecter chaque décision prise, et d’en assumer les conséquences. Alors, je ne m’engageais pas à la légère. Je tenais toujours prêt à tout risquer, à consentir à tous les sacrifices, ou à commettre les pires infamies, si cela me permettait de ne pas traîner dans la boue mes valeurs et mes convictions.


Tout cela, simplement pour conserver un honneur qui semblait peut-être dénué de sens…


***


Le soleil brûlait sur Sagamihara, en Nouvelle-Nipponie. L’année scolaire semblait déjà reléguée aux archives, alors que le calendrier affichait encore vingt-neuf juin. Un doux parfum de saison estivale prenait progressivement place dans les rues animées du quartier que j’habitais. Chacun se réjouissait des instants à vivre, et des souvenirs à créer. Pour ma part, je me trouvais bien loin de la fougue juvénile ; à des années-lumière de cette ambiance faite d’effusions de joie et de soupirs de soulagement.

Car je me situais sur la côte, face à la mer. Je scrutais d’un œil attentif la course frénétique des vagues qui allaient et venaient, comme il leur avait été dit de l’accomplir depuis la nuit des temps. Il m’arrivait fréquemment de me perdre dans le bleu de l’océan. Il semblait comme embrasser le ciel et fusionner avec lui. Je me complaisais d’ailleurs souvent devant ce tableau dans lequel on ne pouvait vraisemblablement pas définir les frontières des eaux. Le soleil s’y reflétait en des moutons de lumière semblables à des cristaux scintillant dans le rideau couleur smalt qui s’étendait à perpétuité.


J’extériorisai un soupir de nostalgie qu’une brise légère emporta aussitôt. Je baissai les yeux, posai un genou sur le sol jonché de cailloux rouges, pour enfin m’entretenir avec mon passé gravé dans la roche.


« Il y a maintenant plus de dix ans que vous nous avez quittés, et pourtant, il m’arrive parfois de l’oublier et de vous penser à mes côtés. »


Je n’obtins aucune réponse. Semisi Yamada et sa femme, Yuki, étaient morts en octobre 2001. Avec leur disparition, je découvris la notion d’orphelin. J’avais cependant été victime d’un heureux hasard, puisqu’il se trouvait que notre voisine exerçait la profession d’assistante maternelle, et se porta volontaire pour devenir ma tutrice. Je pus donc conserver la maison de mes parents et continuer à y résider, sous réserve de vivre sous sa constante surveillance.


Ma majorité me surprit comme la tempête se formait, sans aucune sommation. En un clin d’œil, douze ans s’étaient écoulés. J’étais désormais seul responsable de mes actions. J’habitais toujours cette maison que m’avaient léguée mes ascendants. La femme, jusqu’alors ma tutrice, devint une amie. Je l’aidais dès qu’elle nécessitait mon soutien. Elle me le rendait en me conseillant lorsque je me heurtais à des dilemmes d’ordre professionnel ou personnel.


Je me trouvais finalement satisfait d’être parvenu à me construire. Mon diplôme d’études secondaires en poche, je devais bientôt confirmer mon engagement chez les sapeurs-pompiers par un concours, afin de ne plus appartenir aux simples volontaires.


Une fraîche brise vint me taquiner la joue, jusqu’à se glisser dans le col de ma chemise. Cela me tira de mes songes par une sensation vivifiante, en ces moments de chaleur. Ainsi, je changeai les fleurs de la tombe de mes parents, afin d’y disposer quelques magnolias roses soigneusement entretenus dans un vase. Je lâchai un dernier regard aux portraits incrustés dans la pierre, avant de tourner le dos au passé. Car l’avenir m’appelait, et il n’allait pas omettre de me reprocher ce manquement, si je trahissais aujourd’hui mon engagement.


Ce futur se nommait Erika Sloane, ma précieuse amie d’enfance. Nous nous connaissions depuis des années, et mon affection envers elle avait grandi en même temps que nos corps jusqu’à devenir un amour porté à maturité. La jeune fille se présentait comme un boute-en-train qui me tirait des abîmes de l’introversion. Une petite braise de motivation et de courage qui trouvait toujours les mots pour me donner la force d’entreprendre des projets. Elle incarnait l’unique personne auprès de laquelle j’osais rester moi-même, sans craindre le jugement extérieur.


Seule ombre au tableau : je demeurais paralysé à la simple idée de lui avouer mes sentiments. Je ne parvenais pas à trouver en moi la confiance nécessaire à un tel obstacle. Un mur de flammes semblait une vaste plaisanterie face à cette difficulté. Erika paraissait comme une présence scintillante apte à révéler la lumière en chacun de nous, excepté la mienne. Car je n’étais constitué que de ténèbres, incapable de profiter des émotions candides, et des rêves d’adolescents.


Cerise sur le gâteau, Erika incarnait également la muse de bien des jeunes hommes aux ambitions tout aussi nobles que les miennes. Son prétendant le plus sérieux était un garçon de quatre ans plus vieux que moi, beaucoup plus assuré, mature, et adulte. Il représentait l’aîné des enfants élevés par Mary Sloane, ma tutrice, la tante de mon amie, ce qui lui donnait un charisme de grand frère sur lequel pouvaient compter tous les gamins du quartier. Elle lui était par conséquent plutôt favorable, mais ne l’avait jamais exprimé de manière explicite.


Je ne désespérais cependant pas pour autant. Erika et moi avions traversé les classes ensemble, et nous étions adonnés à la musique en même temps. Elle m’entraînait toujours dans ses aventures les plus folles et rocambolesques, et pour tout dire, j’aurais été hypocrite si j’avais nié apprécier ces frasques.


Aujourd’hui, je devais marcher dans un autre de ses caprices : me rendre sur la place de la renaissance afin d’assister à une cérémonie de commémoration. La Nouvelle-Niponnie, qui ne portait ce nom que depuis une quinzaine d’années tout au plus, fêtait sa reconstruction. Erika m’avait contraint de participer à cet événement dans lequel devait être présente la présidente en personne : Laure Delacour. La cheffe de notre territoire allait prononcer un discours, et présenter les projets à venir concernant notre pays.


Arrivé « place de l’espoir », je scrutai les environs afin d’y retrouver mon amie. De toute évidence, la manifestation n’avait pas commencé. Erika ne semblait pas encore arrivée. Alors je me dirigeai vers l’un des gradins, et m’assis sur un siège libre.


« Coucou Rei ! s’exclama joyeusement une voix aiguë, presque fluette. »


Je lâchai un cri de surprise. Elle était apparue de nulle part. Je voulus rétorquer, me mettre en colère ; impossible d’y parvenir. Je me stoppai net en lui lançant un regard. En effet, la jeune fille qui venait de me rejoindre m’absorba instantanément.

Mon cœur battait la chamade tandis que je déshabillai d’un œil envieux cette fleur d’espoir qui s’était laissée croître à mes côtés. Elle s’était montrée coquette spécialement pour notre rendez-vous — ou du moins, je me complaisais à le croire —. Elle avait minutieusement brossé sa chevelure blonde éclatante, dont elle avait pris le soin de mettre en valeur deux longues boucles qui s’échouaient délicatement sur sa clavicule. Elle taillait ses cheveux de sorte à laisser un regard pétillant couleur azur dominer en permanence son expression d’innocence et d’empathie profonde. Une lueur enfantine enflammait ses yeux. Je discernai un peu d’espièglerie dessinée sur ses fines lèvres — que je scrutais d’ailleurs depuis quelques secondes en refrénant une arrière-pensée —.


« Reisuke Yamada ! m’interrompit la jeune fille en se penchant vers moi, dis-moi quel songe anime cette expression d’envie sur ton visage ?

— Aucun, affirmai-je en mauvais menteur, ton imagination te joue clairement des tours si tu en es arrivée à ce genre de déductions, ma pauvre.

— J’en doute, sourit-elle malicieusement. J’ai constaté une lueur malsaine dans ton regard.

— Si tu m’as amené jusqu’ici simplement pour agir comme une gamine, tu aurais pu t’abstenir. »


Je soupirai. Cette fille restait loin d’accéder à la sagesse ; la voir gonfler des joues en rougissant aurait fait comprendre à n’importe qui qu’une décennie n’aurait pas suffi à la rendre mature. Mais nous nous complétions. J’étais plus réservé et réfléchi, et elle plus ouverte et spontanée. Tandis que je manquais terriblement de confiance, elle se sentait capable d’aboutir à tous les projets, et m’entraînait souvent dans ses ambitions.


Erika avait une fâcheuse tendance à refuser de constater mon absence d’estime. Elle me rappelait sans cesse qu’elle pouvait passer des heures à plonger ses yeux dans mon regard qu’elle désignait comme « rigide, mais réconfortant à la verdure de printemps ». Elle ajoutait que je devais malgré tout m’entretenir davantage si je souhaitais gagner en assurance. Selon elle, je me devais de tailler mes cheveux châtain foncé pourtant déjà assez courts, mais auxquels je laissais une totale liberté, sans jamais les coiffer. Mon amie m’avait également proposé d’autres vêtements qu’une veste en jean et un pantalon assorti pour m’habiller. Elle plaidait qu’un corps sculpté au labeur de l’entraînement d’un sapeur-pompier méritait une tenue qui le mettrait plus en valeur, sans jamais obtenir gain de cause.


La jeune fille s’installa à mes côtés dans les gradins. Laure Delacour, la présidente de la Nouvelle-Nipponie, surgit de nulle part afin de se dresser sur l’estrade. La grande femme aux longs cheveux châtains et au regard rigide de couleur marron était entourée d’une garde qui me semblait compétente. Une escouade composée de plusieurs individus en uniformes noirs. Elle s’engagea dans un discours dans lequel elle entreprit une rétrospective des tribulations de notre ville. Tandis qu’elle détaillait toutes les étapes de la résurrection de Sagamihara, quelqu’un vint à notre rencontre.


« Tiens donc, entama la voix grave et placide d’un jeune homme, Reisuke et Erika. Bonjour.

— Oh, salut mon Kôsei ! s’exclama Erika, enthousiaste. Ta mère resplendit de charisme ! Elle me donne des frissons lorsqu’elle s’exprime.

— Je te remercie, mais elle stressait vraiment en préparant son discours. Elle a rencontré des tas de difficultés, depuis que le Japon fait partie intégrante de la fédération ESTER. La population reste assez mitigée face à ce qu’ils nomment “colonisation abusive”. Enfin, laissons ces problèmes au gouvernement. J’imagine que tout est en ordre pour le concert hommage que nous devons donner, n’est-ce pas ?

— Nous avons travaillé toute la nuit, assurai-je, je pense que nous parviendrons à gérer la partition.

— Parfait, sourit-il, on peut donc prendre place. Kenny et Marc sont en train de monter les instruments, derrière le rideau. »


Nous suivîmes le leader de notre groupe de musique : « The Fallen Moon » ; le plus populaire de notre lycée. Nous formions, avec Erika, Kôsei, Kenny et Marc, un groupe de « cover artists » dont la réputation demeurait plutôt bonne, tout du moins à ma connaissance. Le projet semblait vraiment tenir au cœur du fils de l’actuelle dirigeante de la Nouvelle-Nipponie. Il nous faisait travailler dur afin de viser des événements locaux et régionaux, à l’instar de ce jour durant lequel nous devions nous produire lors d’une cérémonie officielle.


https://www.youtube.com/watch?v=8zj0eWxRYU4


Cependant, à peine le rideau s’ouvrit sur le public, un coup de feu émanant de derrière me surprit. Je l’évitai de justesse en plaquant mon amie d’enfance au sol. Réactifs, nous nous retournâmes tous vers la provenance de l’atteinte à notre vie. Un homme nous faisait face, le regard voilé par l’ombre de sa capuche.


« Jolis réflexes, sourit l’individu en laissant entrevoir une expression perfide. »


Ces mots prononcés, je me pris un coup de poing fulgurant qui provenait de derrière nous. Je m’écrasai au sol, tel un vulgaire insecte. Sous l’effet de la surprise, je ne pus me protéger, ce qui me fit encaisser l’impact de plein fouet, sans recourir à mes réflexes salvateurs. À peine me fus-je redressé que je constatai l’horrible situation : les gardes du corps de la présidente s’étaient révélés des traîtres, et ils nous avaient attaqués dans le dos. Ils profitèrent de l’occasion pour nous arracher Kôsei et Erika. Les deux jeunes étaient désormais leurs captifs, les mains jointes, serrées, et bientôt ligotées. Ils gesticulaient afin de se débattre, en vain. Le groupe de malfrats semblait être composé de professionnels. Le chef prit la parole, d’une voix méprisante.


« Nous nous retrouvons, présidente Delacour ; ou plutôt devrais-je dire, Fédération ESTER.

— Qui êtes-vous ? grimaça la femme qui recula de quelques pas en les dévisageant. Si vous touchez à un seul cheveu de ces jeunes, je vous promets que —.

— Vous n’êtes pas en position de nous menacer alors que nous retenons votre fils, trancha sèchement l’homme, le nom “Purple Revolution” vous dit-il quelque chose ? »


Je lus une faiblesse dans les yeux de la présidente lorsque le terroriste mentionna ce nom. Elle resta figée quelques secondes ; cette trahison l’avait laissée abasourdie. Pour ma part, personne ne me regardait. Je profitai donc de l’occasion pour agir.




Chapitre 2 : Une créature monstrueuse


Spoiler :




Je passai discrètement la main dans la poche arrière de mon pantalon, et j’en sortis un couteau. Je ne pris même pas la peine de le déployer ; je le lançai droit sur le garde qui retenait Erika. Ce dernier l’esquiva de justesse. Cela me permit de gagner quelques précieuses secondes. Avant qu’il ne le remarque, je m’étais déjà rué sur lui. Un seul coup de poing en direction des tempes suffit à l’écraser au sol, sans qu’il puisse rétorquer quoi que ce soit.


Je comptais profiter de l’affolement pour agir, mais je n’y parvins pas. Un pistolet fut pointé sur mon front en moins de temps qu’il n’en fallut pour que je neutralise un garde. Je devins un otage à mon tour, sous le regard meurtri d’Erika qui, elle aussi avait été saisie par un autre d’entre eux.


Je déglutis. Une fraction de seconde avait suffi pour que nous nous retrouvions dans une condition extrêmement délicate. Trois hommes au minimum se trouvaient derrière moi, tandis qu’un autre braquait un revolver en ma direction. Peu importe l’angle selon lequel j’analysais la situation ; mes chances de survie sans obtempérer n’excédaient pas zéro. Il en était de même pour Erika, qui elle, s’agitait violemment. Des vibrations singulières émanèrent d’elle. Je n’ignorais rien de leur dangerosité, mais pour être honnête, elles représentaient le cadet de mes soucis.


La présidente entama un dialogue avec le groupe armé. Tandis qu’ils négociaient, j’essayais encore de trouver une solution afin que l’on en sorte indemnes, en vain. Les gradins me parurent soudainement vides ; les spectateurs s’étaient enfuis. Pour ma part, je scrutais chaque angle dans le but d’y repérer un moyen de nous secourir. Au bout de quelques secondes, je remarquai quelque chose au sol : une espèce de petite pierre couleur ébène qui luisait d’un éclat étrange. Elle se trouvait juste sous le pied de Laure Delacour, qui y écrasait discrètement son poids afin d’actionner un mécanisme dont j’ignorais le but. Je compris alors que la femme n’avait pas entamé un échange simplement pour faire plaisir à des malfrats.


« Nous pouvons quitter les lieux et vous laisser continuer votre mascarade, conclut finalement celui qui me gardait en otage, mais nous emportons celui-ci avec nous.

— Pourquoi Rei !? hurla Erika, qui se débattit soudainement avec beaucoup plus de violence. Prenez-moi à sa place ! »


Je m’arrêtai quelques secondes. Pourquoi me voulaient-ils, alors qu’ils retenaient également le fils de la présidente en otage ? Leur but consistait-il vraiment en un coup d’État contre le gouvernement dirigé par le parti TNT ? Un nuage d’incompréhension vint obscurcir mes capacités de réflexion. Pourtant, l’urgence nous faisait face. Même si Laure Delacour avait appelé des secours par son mécanisme, ils n’allaient peut-être pas arriver à temps pour sauver Kôsei et Erika…


« Je vais vous suivre, déclarai-je fermement, en essayant de ne pas laisser transparaître ma peur. Cependant, je veux m’assurer que vous relâcherez les autres otages, comme convenu. »


Le terroriste en chef acquiesça, et recula de quelques pas en me gardant prisonnier. Je distinguai derrière nous une voiture noire aux vitres teintées qui semblait la première étape de cette course à la mort. Il fit signe à ses acolytes, qui projetèrent Kôsei et Erika droit sur le sol, avant de battre en retraite à leur tour. Tous braquèrent leur arme sur les ex-otages, tandis qu’ils gagnèrent petit à petit du terrain afin de prendre la fuite.


https://www.youtube.com/watch?v=8zj0eWxRYU4


Je sentis un changement d’atmosphère radical. Erika, dont je pouvais jusqu’alors ressentir les émotions, devint subitement bien plus sombre. Ses effusions d’incompréhension s’estompaient pour laisser place à une réaction inconnue. Je grimaçai. Je savais ce qui était en train de se passer. Cette présence allait revenir sous peu, c’était inévitable. Purple Revolution ne le notifia cependant pas. À vrai dire, personne ne pouvait deviner ce qu’il allait advenir de cette prise d’otage.


Erika fronça les sourcils et me dévisagea d’un air bourré de reproches. Mon cœur rata un battement. Le temps se figea. Une lumière pourpre étincelante nous aveugla tous, y compris mes agresseurs. Je fermai les yeux, et m’en remis à mon instinct, dans l’intention de profiter de la clarté pour me débattre. En quelques secondes, je le bousculai, et me saisis de son arme afin de la braquer contre son front. Cependant, lorsque l’éclat s’estompa, et que je posai mon regard sur mon amie d’enfance, la surprise m’écrasa instantanément…


Ce qui caractérisait Erika n’existait plus. Il ne subsistait d’elle qu’une présence radicalement métamorphosée. Exit la spontanéité, et l’empathie. Erika ne représentait plus que l’ombre d’elle-même. Une jeune fille dure et rigide. Ses cheveux blanchirent, ses yeux se colorèrent de pourpre. Je ne distinguais dorénavant rien de plus que de la frustration et de la méchanceté. L’étincelle malicieuse et puérile qui animait son regard s’était laissée fondre dans le vide désormais en elle. Je la sentais fragile ; comme prête à s’effriter si quiconque osait la toucher. Il allait être difficile de négocier dans cette situation.


Mes instincts me signalèrent un danger imminent. Cette pensée se confirma lorsque je distinguai un éclat étincelant de la même couleur que les yeux de mon amie illuminer sa poitrine. Pire encore, Erika s’éleva lentement dans les airs jusqu’à stagner à quelques centimètres au-dessus du sol. Elle fut progressivement imbibée d’un flux de puissance dont j’ignorais les propriétés, et fixait désormais « Purple Revolution » d’un regard empli de haine.


Ils se mirent en garde, comme s’ils pouvaient rivaliser. Le chef, subitement intéressé par Erika, me bouscula afin de la confronter.


Une irruption brève et soudaine me surprit. Cela sortit de la poitrine de l’existence en désordre. De la matière flottante de couleur pourpre, semblable à de l’énergie vraisemblablement vivante, se déplaça rapidement jusqu’à arriver à quelques mètres de nous. Cette essence prit un aspect qui semblait humanoïde à première vue. Cependant, lorsqu’elle fut totalement générée, elle me fit comprendre que ce qui nous attendait était bien plus dangereux que « Purple Revolution ».


C’était un monstre. Il n’existait aucun autre mot pour décrire une telle abomination. Elle apparut sous mes yeux, accroupie, avant de s’élever à quelques centimètres au-dessus du sol. Elle était remarquablement grande : quatre ou cinq mètres, selon mon estimation. Sa morphologie semblait à peu près similaire à celle d’une femme lorsque l’on considérait son visage ou sa poitrine. Cependant, sous sa taille n’étaient pas dessinées des jambes, mais une interminable queue constituée d’écailles bleu nuit. Elle mesurait plusieurs coudées de long, en s’enroulant autour du corps de cet être étrange. Au-dessous de cette armure reptilienne se cachait une couche de peau colorée d’un blanc cassé qui ressortait particulièrement en contraste avec sa chevelure violet terne ondulée. Des boucles composées de serpents qui possédaient chacun leur propre volonté. Comme pour ne me laisser aucun doute sur les intentions de cette nouvelle venue, ses yeux rouges s’illuminèrent d’une lueur faite de rage, tandis que ses deux longs bras s’ouvrirent en gueules de vipère qui sifflaient une mélodie funeste de leur langue de fourche.


« Qu’est-ce que… murmura mon assaillant, paralysé par la surprise. »


Il n’eut pas le temps de réagir. La queue de l’immense reptile s’était déjà écrasée contre lui, et l’avait projeté au loin. Elle avait abandonné à la suite de son passage une traînée de sang qui sembla flotter dans les airs pendant quelques secondes. Mes yeux s’écarquillèrent, tandis que les autres individus laissèrent tomber leur arme avant de prendre la fuite. Je lançai un regard furtif derrière moi. Le corps de leur chef gisait désormais sur le sol ; ils ne l’avaient pas emporté.


« Erika, bégayai-je, comment as-tu… »


Elle ne répondit pas ; à la place, elle me fixait en fronçant les sourcils, comme si je devais me sentir coupable de quelque chose. Lorsqu’elle se trouvait dans cet état, il semblait impossible de le maîtriser. Je connaissais ce type de revirement de personnalité. Je le nommais « sa crise intérieure ». Cela lui donnait une puissance considérable, au prix de ses capacités de raisonnement. Elle se manifestait toujours quand Erika éprouvait de la frustration, mais n’avait encore jamais pris une forme physique.


Je n’eus pas le temps de réfléchir davantage, puisque le monstre m’attaqua. Je l’esquivai de justesse en me jetant au sol. Le reptile aux cheveux de serpent cherchait à m’écraser de sa force colossale, et comble de l’étrange, elle m’avait désigné comme sa seule cible. En effet, ni Kôsei, ni sa mère ne furent inquiétés par la nouvelle venue. J’ignorais s’il était bon de riposter, et surtout, de comment organiser ma frappe.


Je reculai instinctivement, tandis que la créature tenta de nouveau de me porter atteinte. Je pus voir la queue de cette chose qui voulait m’attaquer en revers suffisamment tôt pour pouvoir anticiper cette autre offensive, mais le temps pressait. Le monstre en Erika semblait déterminé à me faire la peau si je ne trouvais aucune solution pour rivaliser.


Je me baissai de justesse pour esquiver une nouvelle agression. La femme-reptile laissait paraître de la frustration chaque fois qu’elle me manquait, ce qui me conforta dans l’idée qu’elle possédait ses propres émotions. Ainsi, je pris une décision hâtive, dus tout miser sur elle. Armé du revolver abandonné au sol, j’allais contre-attaquer. Mais alors que j’allais tirer, je fus tout simplement soufflé par un coup de queue, qui me propulsa au loin avant même que je ne puisse faire feu.


Cela me projeta droit contre la vitrine d’un magasin d’alimentation générale, sur la place de l’espoir. Je serrai les dents. Mon corps entier se raidissait sous le poids de la douleur. Je sentais que des morceaux de verre avaient écorché mon épiderme, mais l’heure n’était pas à s’y attarder. Il fallait que je me relève.


Le reptile s’approcha de moi. Mon cœur battait la chamade. Je suais à grosses gouttes, intimidé à l’idée de croiser le regard de cette créature. J’avais peur. Peur de manquer de force, de mourir, d’abandonner le sort d’Erika à cette infâme existence.


« Du calme Reisuke, me murmurai-je en essayant de contrôler mon rythme cardiaque. C’est exactement comme un entraînement à la caserne. Ne te soucie pas du risque ; tu as vu pire. »


Je repris ma course effrénée vers la libération de mon amie. Je gardai en tête l’atmosphère dégagée par une maison en flammes, ou par un sauvetage périlleux. Ainsi, lorsque le monstre tenta de me cracher une salve de venin, il me fut aisé d’esquiver l’attaque, tout en conservant mon sang-froid et ma concentration. Mon objectif ne consistait plus en la défaite de ce reptile, mais se centrait sur Erika. Si je sortais la jeune fille de cet état de transe, peut-être allait-elle pouvoir rappeler cette chose une bonne fois pour toutes.





Chapitre 3 : Bataille contre la créature serpentine



Spoiler :



https://www.youtube.com/watch?v=0iyMfUhRRKk


Alors je courais, et tentais de préserver ma vie. Mes coups de feu furent facilement déviés, mais ce n’était plus mon objectif. Je réussis à gagner du terrain afin de me ruer sur Erika.


« Erika ! lui hurlai-je. Il faut absolument que tu te —. »


Je n’eus pas le temps de terminer que je fus saisi par l’un des bras du monstre. Elle me rappela devant son énorme visage, et me tira des gémissements de douleur bien trop faibles pour couvrir les sifflements de fureur de sa chevelure. Les serpents qui la composaient essayèrent de me mordre à plusieurs reprises ; tandis que, ligoté, je tentai tant bien que mal de les repousser. J’agrippai l’un d’eux, puis l’étranglai de toutes mes forces. Cela eut pour effet de faire pâtir toutes les autres consciences, y compris la femme, qui me lâcha sous la pression de la souffrance.


La bête enragea. Ses yeux devinrent aussi noirs que du charbon tandis que la lueur qui les animait luisit d’un violet qui me fit frissonner. Dans un accès de fureur, elle brisa le sol de la place, afin d’en soulever un morceau de parpaing qu’elle prévoyait de me projeter en plein visage avec sa queue. Je déglutis. Je devais retrouver Erika coûte que coûte, tant que sa créature portait ce bloc de pierre et ne pouvait pas m’atteindre.


Dès que je fus arrivé près de mon amie, je sautai afin de l’agripper. Sous mon poids, elle redescendit sur terre. Je dévisageai le monstre qui, à peine m’avait-il rattrapé, montra pour la première fois un signe de faiblesse.


« Ne cherche pas à me lancer ça, sinon elle y passera aussi ! hurlai-je à l’attention de mon ennemie, en espérant qu’elle me comprenne. Si tu tentes quoi que ce soit, je m’occupe d’elle !


— Tu n’oserais pas, me répondit sa voix grave et chargée de haine. Je sais à quel point tu aimes cette fille.

— Tu risquerais vraiment de la tuer ? la défiai-je en essayant de masquer au mieux ma peur. Je n’hésiterai pas si cela peut m’éviter de mourir. »


De longues secondes passèrent. Cette chose me dévisagea d’un air profond, comme si elle lisait mon âme. Elle semblait cependant une piètre lectrice, puisqu’elle mordit à l’hameçon, et reposa le parpaing au sol. Elle rappela ses serpents dans sa chevelure. Mais ce n’était pas fini. Je n’avais pas encore réglé la situation. Je n’avais pas causé la moindre égratignure à mon ennemie. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne reprenne son offensive.


Mais alors que j’y réfléchissais, un bruit sourd me surprit. Une forme inconnue fut propulsée droit contre mon adversaire et explosa à son contact. Un épais écran de fumée se répandit aux alentours. J’allais profiter de cet imprévu pour en finir, en ramenant Erika à la raison.


Je me précipitai vers cette dernière en ignorant ce qui venait de s’écraser sur sa créature. L’heure demeurait grave. Il était de mon devoir de la sortir de cet état de transe, afin que tout cela cesse et obtenir sa liberté. Je secouai mon amie d’enfance avec toute la détermination du monde.


« Erika, je t’en prie, reprends tes esprits ! Il faut que tu rappelles ce monstre !

— Rei… murmura la jeune fille tandis que je resserrai mon étreinte. Que se passe-t-il… ? »


J’avais beau essayer de la ramener à elle ; impossible d’y parvenir. Elle demeurait plus inaccessible que jamais. Erika était liée à cette présence reptilienne. Lorsqu’elle manifestait une intense émotion négative, la puissance lui montait depuis les entrailles de son esprit, jusqu’à lui octroyer une force colossale et ténébreuse. Leurs sentiments paraissaient désynchronisés, car la créature en question semblait bien plus agressive que l’humaine, et jalouse de surcroît, puisque je restais son unique cible. Elle était apparue afin de mettre en déroute « Purple Revolution », et en avait profité pour entreprendre de me tuer dans la foulée.


Je tentai de faire remonter quelques souvenirs afin de l’aider à reprendre le contrôle. Cependant, elle me repoussa violemment au bout de quelques minutes de maîtrise. Une projection d’énergie me propulsa quelques mètres plus loin. Je me relevai ; j’étais à mille lieues d’abandonner cette bataille. Et je n’étais plus le seul : derrière moi se trouvait désormais une escouade de la présidente qui se battait avec le reptile invoqué par mon amie d’enfance. Une brigade bien singulière, de surcroît.


En effet, si Laure Delacour avait sûrement jugé bon de se mettre en sécurité, ainsi que son fils, elle avait laissé derrière elle une autre créature féminine, totalement humanoïde pour sa part. Une géante aux longs cheveux bruns et aux yeux de la même couleur, dont le corps entier luisait d’un éclat jaunâtre. Une expression glaciale affichée sur le visage, elle se battait avec force et détermination.


Deux solutions demeuraient plausibles : soit j’errais dans un rêve, soit le monde que je connaissais devenait un enchaînement d’évènements sans aucune logique. Regarder ces gens affronter le monstre m’était cependant impossible. Je devais retourner auprès de mon amie d’enfance, et l’arrêter.


À force de paroles, Erika regagnait progressivement ses sens. Elle se calmait au fur et à mesure qu’elle réalisait que « Purple Revolution » ne représentait plus une menace pour personne. Mon intuition s’avérait exacte, puisque la femme-reptile perdit de la puissance proportionnelle au changement émotionnel de la jeune fille, comme si cette dernière lui drainait ses forces en retrouvant ses esprits.


Je me retournai. Un chevalier blond en armure avait rejoint la bataille, accompagné d’un homme en uniforme de policier et aux cheveux bruns. Les deux nouveaux venus, qui semblaient appartenir à la même escouade, gagnèrent facilement de l’emprise sur la femme qui, affaiblie par Erika, peinait désormais à garder une offensive aussi effrayante que celle déployée auparavant. Elle tenta de m’asséner un autre coup furtif droit dans l’abdomen, mais elle me manqua. Je perdis néanmoins l’équilibre et m’écrasai contre le sol.


Je me relevai tant bien que mal, j’approchais mes limites. En tombant, j’avais enfoncé les morceaux de verre plantés dans ma chair ; ce qui m’affaiblit au point de ne plus pouvoir entreprendre de gestes brusques. Je devais cependant raisonner Erika. Quelqu’un se devait de lui porter secours.


https://www.youtube.com/watch?v=o6BgI6IVnQU


Mais alors que j’étais sur le point d’abandonner sous le poids de la fatigue, je sentis une lourde présence pénétrer l’espace dans lequel nous nous trouvions.


« Zéphyra ! hurla une voix féminine que je ne connaissais pas. Time Freeze! »


Au moment même où elle prononça ces mots, le temps autour d’Erika et moi sembla s’arrêter. Seul le combat entre l’escouade et mon ennemie continuait, tandis que le reste du monde demeura en suspens. Quelqu’un nous rejoignit vite. Je ne pouvais discerner son visage ni son corps, puisque l’individu était couvert d’une longue cape noire qui masquait son identité. Il se plaça entre moi et Erika, avant de prendre la parole.


« Ce n’est pas comme ça que tu résoudras tes problèmes Reisuke, me sermonna la même voix que celle qui avait arrêté le temps. Il faut parfois user de méthodes radicales. »


Une seconde suffit. La personne donna un coup de poing en plein dans l’estomac d’Erika, qui s’écroula au sol en poussant un gémissement de souffrance. Les cheveux de mon amie reprirent leur couleur d’origine, tandis que son monstre disparut en une pluie de fines lumières qui s’évaporèrent dans les airs. Désormais inconsciente, la jeune fille venait d’être calmée par la force, ou plutôt, réduite au silence.


Je restai subjugué, les yeux écarquillés. Mais avant que je ne puisse protester, l’être, qui semblait selon sa voix être une femme, me coupa la parole.


« Je suis désolée d’être en retard. Je désirais calmer Erika rapidement, mais j'ai rencontré des obstacles sur ma route.

— Je… bégayai-je, abasourdi, qui êtes-vous au juste ? »


Le temps autour de nous reprit progressivement son cours. La brise souffla de nouveau, et les feuilles d’arbres se laissèrent une fois de plus aller à leur danse frénétique. Le bruit des vagues parvint jusqu’à mes oreilles. Tout semblait revenir à la normale. Je fus soulagé, mais avant que je ne puisse l’exprimer, la femme me coupa la parole.


« La partie n’est pas encore terminée, Reisuke. Il faut absolument que tu emportes Erika le plus vite possible. Rentrez chez vous et faites-vous oublier pendant un petit moment.

— Nous faire oublier ? Que veux-tu dire ?

— L’incident d’aujourd’hui va créer une polémique assez importante. Je te passe les détails, mais il se peut bien que la fédération ESTER désire supprimer ton amie afin de détruire son monstre.

— Impossible ! m’étranglai-je. Comment sais-tu ça !?

— Je n’ai pas le temps de t’expliquer. Mais je viendrai vous aider, ne t’en fais pas. Je connais un endroit où vous pourriez vous cacher pendant que les choses se calment. En attendant, je vais utiliser les pouvoirs de Zéphyra pour vous soigner. Tâche de trouver une bonne excuse afin de fausser compagnie à la présidente. »


La présence s’évapora avant que je ne puisse lui poser la moindre question. Elle se fondit dans l’espace, et emporta avec elle les blessures que le conflit nous avait infligées, à Erika et à moi. Le temps avait repris son cours. Des tas d’interrogations surgirent en mon esprit. Cette créature qui a émergé de mon amie d’enfance, la géante qui l’avait combattue, ce présumé retour dans le temps, ainsi que cette personne mystérieuse… Tout me semblait complètement irrationnel, comme si je sortais d’un épisode de la quatrième dimension. Je venais de franchir les frontières d’un univers dont on ne pouvait revenir, je le sentais au fond de moi.


Mais je n’eus pas le luxe d’y réfléchir davantage. En effet, le temps avait repris son cours, et déjà l’affolement se faisait ressentir. La place se trouvait toujours vide d’âmes, si l’on exceptait l’homme brun à l’uniforme de police et son acolyte le chevalier blond qui, tous deux, avaient confronté le monstre en Erika. Un long silence plana dans l’atmosphère. Cela me pétrifia. J’avais l’impression que le pays entier s’apprêtait à chercher un responsable ; et naturellement que nous allions devoir en porter la casquette. D’une ruelle adjacente qui menait à la scène du crime, j’observais les dégâts avec prudence. Le corps du leader présumé du groupe de malfrats gisait toujours au sol, et c'était Erika qui l'avait mis dans cet état.


« Rei, m’interrompit la concernée alors que nous faisions profil bas, que se passe-t-il ?

— Tais-toi, chuchotai-je en restant en alerte, je t’expliquerai la situation à la maison. Partons vite.

— Et le concert ?

— Crois-moi, je peux te certifier qu’il est annulé. »


Mon amie d’enfance ne remit pas mes paroles en cause. Elle se contenta de me suivre dans cette course à la discrétion dont le seul objectif consistait à rentrer sain et sauf. Tandis que nous filions main dans la main en direction de mes quartiers, nous pûmes distinguer plusieurs camionnettes qui semblaient appartenir à des chaînes d’information alternative dans notre pays. Elles se ruaient sur la scène du litige, sûrement dans le but d’examiner l’incident et fournir une autre version des médias déjà présents sur les lieux. Je compris alors qu’il ne nous restait que peu de temps avant de devenir des fugitifs recherchés sur l’ensemble du territoire.




Chapitre 4 : Retour sur un passé trouble


Spoiler :



https://www.youtube.com/watch?v=BMqtkQcYyxA


Quarante-huit heures s’étaient écoulées depuis qu’Erika et moi étions rentrés à la maison. Mon amie d’enfance séjournait chez moi, depuis que cet épisode s'était produit. Cela ne changeait pas grand-chose étant donné que Mary Sloane, sa tante, était ma voisine, mais cela la rassurait beaucoup.


Il fallait admettre que la situation était pour le moins assez compliquée. Comme je m’en doutais, les médias s’étaient emparés de l’incident. Cependant, là où j’espérais qu’ils se focalisent sur l’attaque terroriste du groupe « Purple Revolution », les journalistes ont tout simplement noyé cet imprévu dans la polémique de l’irruption du monstre d’Erika. L’apparition d’une femme-reptile géante défraya la chronique. D’où venait-elle, et comment avait-elle été maîtrisée ? Ce problème brûlait les lèvres de tous les invités, représentants politiques, et chroniqueurs. Seule la présidente Laure Delacour semblait en savoir plus sur le sujet, mais elle se gardait de prononcer le moindre discours.


Mais le plus terrifiant ne provenait pas de cet engouement médiatique, que le syndicat de police arrivait plus ou moins à contenir en promettant des résultats. Pour connaître l’envers du décor, l’unique solution consistait à plonger dans l’océan d’incompréhension et constater la face immergée de l’iceberg. En effet, à notre époque, derrière chaque annonce officielle se cachaient toujours des informations officieuses.


Ainsi, j’eus rapidement l’occasion de voir de nombreuses séquences vidéo amatrices diffusées sur YouTube et Twitter. Elles provenaient principalement des personnes qui s’étaient rassemblées afin d’assister au discours et qui étaient parvenues à s’enfuir avant de se faire attaquer par le monstre d’Erika. Fort heureusement, la qualité des enregistrements se trouvait proche du médiocre. Les pouvoirs du serpent semblaient avoir saccadé l’ensemble des films, y compris ceux postés par des journaux officiels. Nous ne craignions par conséquent rien de la population, puisque notre anonymat avait été conservé.


Cependant, là où le représentant des forces de l’ordre ne fournit pas plus d’informations, le réseau d’internautes s’en donnait à cœur joie. Des théories fusaient de partout et de nulle part. Une dizaine voyait le jour chaque fois qu’une heure s’écoulait, et en toute honnêteté, cela m’inquiétait.


« Tu devrais ralentir tes recherches Rei, me conseilla Erika, bienveillante. J'ai conscience que tu te soucies de moi, mais nous sommes restés anonymes. Laisse passer un peu de temps.

– Ce n’est pas aussi facile. Kôsei et le groupe savent tout de ton identité, et notre leader est le fils de la présidente. Si ESTER te poursuit vraiment, ils peuvent simplement faire pression sur lui pour arriver à toi. Et puis, j’ai l’impression de dénicher des informations utiles dans cette pile de théories.

– Quel genre d’informations ? s’interrogea mon interlocutrice en prenant une chaise.

– Si l'on exclut toutes les hypothèses foireuses qui mentionnent les reptiliens, les extra-terrestres, et la secte du serpent anarchiste qui pense reconnaître son messie, on trouve des témoignages récurrents qui énoncent l’histoire de la Nouvelle-Nipponie. Des détails sur le passé de l’ancien Japon. Regarde. »


Erika se pencha sur l’écran. Je lançai une vidéo dans laquelle un scientifique expliquait une théorie assez compliquée. Il cita quelques termes familiers, à l’instar du « Purple Requiem » une tragédie nucléaire qui s’était déroulée vingt-cinq ans auparavant. Il avançait que l’apparition de la créature en mon amie d’enfance se trouvait être liée à ce phénomène, et que le gouvernement cachait en son sein d’autres êtres semblables à celui-ci.


« Izrath ? s’étonna Erika, une fois la vidéo terminée. J’avoue ne pas vraiment comprendre. Izrath, Kvantiki, Purple Requiem… »


Je voulus lui expliquer, mais nous fûmes interrompus par une annonce à la télévision. La directrice de la fédération ESTER, celle qui avait racheté le Japon pour fonder la Nouvelle-Nipponie actuelle, prévit une conférence pour le lendemain matin. Si Violène Leblanc, présidente de la République française, et par extension la supérieure de Laure Delacour, prenait la parole, elle avancerait avec certitude des faits concrets. Je déglutis. Il ne nous restait que très peu de temps avant de pouvoir échapper à l’organisation, si effectivement la mystérieuse femme m’avait dit la vérité.


« Tu devrais dormir, Erika, lui conseillai-je, je vais rassembler des affaires avant de te rejoindre. Nous devons nous préparer à nous éloigner pendant que les choses se calment.

– Pourquoi ne pas partir immédiatement dans ce cas ?

– Cela ne sert à rien. Nous ne connaissons pas encore la position de Violène Leblanc sur cette affaire. Elle détient le pouvoir de taire définitivement cet incident, ou au contraire, de t’extrader dans la journée jusqu’en France afin de disposer de toi. Si elle choisit la première option, nous aurons fui pour rien, et nous risquerons éventuellement de nous faire suivre par la Fédération ESTER Japon qui déciderait de ne pas observer ses directives. »


Elle hésita un instant, mais finit par baisser les armes. Elle me baisa, puis elle alla se coucher. Pour ma part, je restai quelques heures de plus à me plonger dans la théorie la plus plausible que j’avais trouvée. La vidéo semblait vieille. Le scientifique qui y apparaissait était mort quelques années auparavant, selon celui qui l'avait publiée. Nommé Eric Sawyer, il aurait été le martyr de la révolution après avoir révélé toutes ces informations concernant le gouvernement. Un héros de la résistance japonaise contre la Nouvelle-Nipponie en somme. Mais cette partie ne m’intéressait pas vraiment. Déterminer si ESTER était l’instigatrice d’une reconstruction de notre pays ou de sa dictature ne représentait pas mon objectif. Néanmoins, le témoignage du scientifique me permit de façonner une théorie plutôt plausible.


La centrale qui avait explosé fournissait selon lui non pas une énergie nucléaire, mais une nouvelle ressource aux propriétés similaires que l’on appelait le Kvantiki. D’après ses affirmations, cette source était reliée à une autre dimension nommée Izrath. Elle aurait offert de la puissance à toute la ville de Tokyo par le biais d’un réacteur qui faisait office de relais entre les deux dimensions. Le Purple Requiem représenterait le drame qui a mis un terme à l’utilisation de cette ressource.


Mais ce n’était pas tout, des créatures paraissaient pouvoir provenir d’Izrath grâce à cette énergie. Leur monde semblait vraisemblablement habité par des entités aux formes diverses capables de voyager entre les deux dimensions. Ces créatures auraient également cessé d’apparaître lorsque le Purple Requiem eut lieu.


C’était un bon début de piste. La théorie de cet Eric Sawyer était appuyée par les aînés qui témoignaient de la véracité de ces propos. Selon eux, le fait qu’un passage était ouvert entre deux dimensions représentait une réalité connue de tous, et la population avait accepté le Kvantiki comme une source d’énergie renouvelable du futur qui remplacerait l’électricité et le gaz. Même si j’aurais voulu pouvoir le confirmer par quelqu'un de plus fiable qu’un internaute, cela me semblait de plus en plus plausible, surtout après ce que j’avais vécu l’avant-veille avec Erika.


Je m’accordai une pause. Je me dirigeai vers ma cuisine afin de mettre de l’eau sur le feu pour le thé. Une fois la tâche accomplie, je pris la peine de téléphoner à la tante d’Erika dans le but de la rassurer. Certes, elle logeait juste à côté de chez nous, mais elle restait très méfiante et ne se montrait pas beaucoup à l’extérieur. Elle se trouvait d’ailleurs très concernée par la sécurité de sa nièce. J’incarnais la seule personne en qui elle avait confiance ; en outre, quand j’accompagnais Erika quelque part, Mary me fournissait sa liste de recommandations, avec comme priorité absolue de surveiller nos arrières au cas où quelqu’un nous suivrait. Cela représentait sa hantise. Nous ne la comprenions pas, mais nous obtempérions afin de la rendre plus sereine.


Une fois que j’eus raccroché, je lançai un œil au radio-réveil. Minuit trente. Une heure assez tardive, en prenant en compte que nous allions peut-être devoir fuir le lendemain. Je préparai donc le fameux sac dont j’avais parlé avec Erika, puis j’entrepris de monter les escaliers afin d’aller me coucher.


Cependant, à cet instant précis, la sonnerie de mon entrée retentit. Elle résonna quelques secondes dans le salon en dominant sur le silence, avant de s’estomper à la même vitesse qu’elle n’était arrivée. Je déglutis. Devais-je vraiment ouvrir cette porte ? ESTER se situait peut-être derrière cette protection certes barricadée, mais maigre quand on considérait les moyens de la fédération.


Je m’arrêtai quelques secondes, tandis que la mélodie retentit de nouveau. Je ne pus cependant pas réfléchir, car la personne se mit à appuyer frénétiquement jusqu’à me casser la tête. Dans l’urgence, je me saisis d’un couteau de cuisine que je cachai sur le chevet qui se trouvait derrière la porte, et j’ouvris.




Chapitre 5 : La main salvatrice


Spoiler :



J’entrouvris timidement la porte, en entreprenant de pouvoir garder le contrôle si la personne essayait de la forcer. Derrière elle se trouvait un individu que je ne pouvais distinguer. Il semblait parler avec quelque chose d’un peu plus petit qu’elle. Je distinguai une voix féminine légère, mais mature qui s’amusait avec son interlocuteur. Tandis qu’elle restait accroupie de dos à moi, je tentai de discerner ce qu’elle disait.


« Patience mon Rocky, lâcha-t-elle avec tendresse, cela ne durera pas longtemps avec le monsieur. »


Un aboiement suivi de couinements canins lui répondit. Elle rétorqua qu’il était un bon garçon et qu’il obtiendrait une récompense, une fois rentré à la maison. M’étais-je vraiment fourvoyé concernant la venue soudaine de cette femme ? Elle semblait plutôt douce et gentille, tout du moins, avec cet animal. Alors je baissai ma garde, j’ouvris complètement la porte afin de considérer la visiteuse.


Elle s’était relevée, mais restait de dos à moi. Je ne pouvais distinguer d’elle qu’une longue et magnifique chevelure brune qui lui descendait jusqu’aux hanches. Elle mettait en avant une silhouette élancée et sportive habillée de cuir. Les bras croisés, elle perdit de nouveau patience, et tapait du pied sur le palier en marmonnant des mots incompréhensibles. Elle ne me remarqua même pas. Je dus faire mine de tousser pour qu’elle se retourne.


Superbe. Ce mot me vint directement à l’esprit. Son visage dessiné par des traits fins et harmonieux, son teint clair souligné par la couleur de sa chevelure. Deux grands yeux verts expressifs animés d’une étincelle malicieuse me fixaient. La femme vêtue d’un ensemble en cuir composé d’une veste et mini-short affichait une profonde assurance, et semblait à première vue beaucoup plus mature qu’Erika. Je lui donnais vingt-trois ou vingt-quatre ans. Il suffisait de lui prêter attention une seconde pour comprendre qu’elle possédait une très forte personnalité.


« Bonsoir mon brave, entama-t-elle, d’une voix qui mêlait chaleur et ironie, je me nomme Hakaze. Je me situais dans les gradins en attente de votre concert. »


Dans les gradins ? Cette femme se trouvait donc sur les lieux de l’incident ? J’avais baissé ma garde bien trop tôt. Tant pis, j’allais devoir rester naturel.


« Bonsoir, si vous venez pour des singles, ou autre chose liée au groupe, c’est Kôsei, notre leader qu’il faut voir.

— Oh non, ne te méprends pas ! s’exclama la visiteuse après avoir gloussé, en toute honnêteté; je trouve que votre musique, c’est de la merde. Je souhaite discuter avec Erika. »


Je grimaçai de frustration face à sa spontanéité. Je m’étais fait une mauvaise idée en jugeant sa gentillesse sur le rapport qu’elle entretenait avec son animal. Ce dernier, un berger allemand typique, me fixait en restant assis aux côtés de sa maîtresse. J’avais l’impression qu’il me faisait comprendre que je risquais de finir déchiqueté si je la contrariais.


« Oh, poursuivit la brune, sois rassuré, Rocky n’attaque que si je le lui ordonne. Il n’est pas du tout méchant, pas vrai mon bébé ? »


Il lui lécha la main en guise de réponse, avant de me fixer une nouvelle fois de son regard menaçant. Je tentai de l’ignorer, et essayai de reprendre mon argumentaire.


« Qui vous dit qu’Erika se trouve ici ? Nous n'entretenons pas de telles relations, vous savez. Il faudrait vous rendre directement chez elle.

— C’est vrai… soupira Hakaze. Ce n’est pas grave, je vais obtenir la confirmation. Tiens mon Rocky, cherche. »


Elle tendit un bout de tissu déchiré qui me rappelait étrangement quelque chose et pour cause, c’était un fragment de la robe d’Erika, meurtrie dans l’affrontement. Il huma le morceau quelques secondes sous mon regard stupéfait, avant de faire le loup devant ma porte. Satisfaite, sa propriétaire me dévisagea avec jouissance.


« Maintenant je sais qu’elle se trouve ici et que tu m’empêches de la voir, s’amusa-t-elle.

– C’est quoi ce clébard…marmonnai-je avec rage.

– Je l’ai dressé, poursuivit fièrement Hakaze, il est capable de courir vite, mordre, se battre, renifler, nager, secourir, ramener les journaux, cibler les parties génitales masculines et utiliser les toilettes, excepté celles à la turque.

– Très bien… Oui, Erika se trouve chez moi et non, vous ne pouvez pas la voir; bonne soirée. »


Je refermai la porte. Enfin, j’essayai. Hakaze la bloqua avec son pied, ce qui me contraignit à l’ouvrir de nouveau. Je voulus lui hurler dessus afin qu’elle parte, mais les grognements de son animal me forcèrent à prendre sur moi et canaliser ma rage. J'inspirai profondément, et tentai de me répéter avec diplomatie.


« Ne connaissez-vous pas le sens du mot “non” !?

— Oh la ferme, tu m’agaces, soupira la brune alors que j’étais à deux doigts de m’en prendre physiquement à elle. Je suis venue à pied jusqu’ici et tu me claques la porte au nez ! Sérieusement, Reisuke, où se trouvent tes manières !?

— Comment savez-vous mon prénom… ? bégayai-je, surpris. Nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant. »


Hakaze tiqua pendant quelques secondes. Elle perdit rapidement ses moyens, et bredouilla quelques syllabes incompréhensibles qui ne firent qu’accentuer le malaise. Son chien la suivit du regard et tourna la tête, lui aussi interpellé par le comportement de sa maîtresse. Au bout de trois ou quatre tentatives, elle réussit finalement à aligner une phrase.


« J’ai eu l’occasion d’entendre Erika t’appeler avant le concert, donc je le connais ! sourit-elle. Coïncidence absolue ! »


Je restai silencieux. Même Rocky ne semblait pas convaincu. La brune, gênée, poursuivit d’une voix lasse et dépitée.


« J’ai vraiment l’air d’une personne louche n’est-ce pas ?

— Vous êtes totalement une personne louche. Maintenant bonsoir.

— Qu’il est lourd ! s’exclama Hakaze, exaspérée. Écoute Reisuke. Pas la peine de prendre le rôle du chien de garde, j’en possède déjà un ! Je le ferai se reproduire si tu en souhaites un pour qu’il protège ta copine, mais pour le moment, je désire seulement lui parler ! »


Lorsqu’elle mentionna la reproduction, l’intéressé lui porta un regard interloqué. Pour ma part, je lui claquai la porte au nez. Elle était sacrément atteinte. Elle voulait tout simplement me forcer la main et rentrer chez moi sans ma permission ! Eh bien, non.


Je retournai en cuisine. Avec ma tasse, je me dirigeai vers là où créchait Erika, afin de vérifier si tout allait bien pour elle. Pour mon plus grand malheur, j’y retrouvai la femme qui m’avait harcelé pour que je lui ouvre la porte, quelques minutes plus tôt. Elle se tenait assise sur une chaise, les jambes croisées, et me fixait d’un air snob. Le pire dans l’histoire, c’est que son chien l’avait suivie et restait couché à ses pieds.


« C’est gentil de m’apporter du thé, entama-t-elle joyeusement. Tu vois que tu peux être sympathique quand tu le veux. »


Une pulsion meurtrière me tenta soudain. Cependant, plutôt que de passer une décennie ou deux derrière les barreaux, je poussai ma diplomatie à ses limites.


« Et comment as-tu fait pour entrer ici sans les clés ? Tu n’as tout de même pas emprunté par la fenêtre ?

— Eh bien si ! rétorqua fièrement l’intruse. Mais j’ai dû grimper jusqu’à l’étage, étant donné que tu as fermé toutes les autres. Mais ce n’est pas grave. À présent, je sais que tu n’as pas menti et qu’Erika roupille.

— Et le chien ?

— J’ai oublié de dire qu’il est également capable escalader les murs.

— En attendant, soupirai-je, tu peux revenir demain, puisqu’Erika dort.

— Ou bien je peux passer la nuit ici et guetter qu’elle se réveille, sourit Hakaze. Ne t’en fais pas, une gamelle d’eau pour Rocky, une couverture, et nous nous installerons dans un coin de chez toi sans nous faire remarquer. »


La tasse que je tenais céda sous le poids de mes nerfs. Elle éclata en mille morceaux. Le liquide chaud brûla ma chair. Je me retins de hurler ma douleur, mais ce fut difficile. À la place, je me ruai à la cuisine afin de me soulager sous l’eau glacée. Hakaze me rejoint rapidement, l’air moqueur.


« Je vais appeler les flics, grognai-je. Ma patience a des limites.

— Arrête donc de réagir de manière aussi hostile. Donne-moi ta main.

— Et pour quoi faire ? rétorquai-je méfiant. »


Agacée, elle se saisit de mon membre, sans même demander la permission. Elle l’essuya avec le torchon à vaisselle, ce qui me fit grimacer de douleur. Hakaze y plongea son regard, comme pour constater les dégâts qu’elle avait causés. Elle sourit. Elle prit ma main dans les siennes et l’y enferma.


« Zéphyra, Anagénnisi, murmura-t-elle en fermant les yeux. »


Une intense lumière semblable à un rayon de soleil surgit des paumes de ses mains afin d’inonder la mienne de leur éclat. Je restai bouche bée face à ce qu’entreprenait Hakaze, sous mes yeux. Des tas de réponses me vinrent d’un seul coup. Cette voix, Zéphyra… Je compris en quelques instants plusieurs choses importantes auxquelles je cherchais des explications. Pendant que la magie de Hakaze opérait, son animal me fixait du regard. Cette fois, il n’était pas hostile. Il me dévisageait avec approbation, comme s’il essayait d’effacer mes doutes face à cette démonstration.


Trente secondes s’écoulèrent, et le pouvoir se dissipa. La jeune femme lâcha ma main, comme si elle me la rendait après l’avoir empruntée. J’y promenai mon regard, et là, je fus stupéfait. La brûlure et la douleur appartenaient au passé. Je venais d’être soigné ; exactement comme lorsqu’Erika avait éveillé son monstre.


« Tu es… cette personne qui a arrêté le temps… »


Elle ne me répondit pas tout de suite. À la place, elle me fixa d’un sourire paisible, presque affectueux, dans lequel je ne pouvais rien lire. Lorsqu’elle reprit la parole, elle était soudainement devenue plus douce et calme.


« Alors, es-tu décidé à m’écouter, Reisuke ? »




Chapitre 6 : Les véritables intentions d'ESTER


Spoiler :



Je baissai les armes. Ainsi, cette Hakaze se révélait comme celle qui avait arrêté le temps et permis à Erika de s’échapper des griffes de la fédération ESTER. Je déglutis. Sans lui répondre, je mis de nouveau de l’eau sur le feu, mais cette fois, pour deux tasses. Puis nous nous installâmes, sans omettre d’offrir un bol d’eau à ce berger allemand qui apparaissait soudain plus docile.


« Je vais te montrer quelque chose, murmura-t-elle calmement. Regarde. »


Elle passa sa main dans son corsage, et trifouilla dans son soutien-gorge. Elle en ressortit un objet étrange : un pendentif en or qui représentait une espèce de soleil dessiné à l’ancienne, comme un vieux talisman égyptien ou aztèque. Cela semblait éclatant comme un collier neuf, mais aussi usé qu’une babiole antique. C’était fascinant.

La brune s’adressa à moi en essayant de captiver mon attention.


« Ceci est une relique quantique. L’astre de Zéphyra. Par cet objet, je peux appeler Zéphyra, la commandante des armées de la sphère céleste. Elle possède des pouvoirs qui lui permettent de se battre ; et elle me prête allégeance au travers d’une alliance que nous avons conclue.

— Zéphyra… répétai-je, comme pour me le graver en mémoire. Elle est par conséquent une habitante d’Izrath elle aussi.

— Tiens, s’étonna Hakaze, j’ignorais que tu connaissais son existence. Tu m’as l’air bien renseigné sur le sujet. Que sais-tu exactement ?

— J’ai simplement entrepris quelques recherches, et j’en doutais jusqu’à maintenant. Je présume donc que ces histoires de Purple Requiem, de Kvantiki, et de dimension parallèle sont avérées.

— Je vois. Je suppose alors que tu es au courant que des créatures diverses habitent en Izrath, et qu’ils détiennent des pouvoirs spéciaux. Ces facultés sont octroyées par le Kvantiki, une énergie produite en abondance et en permanence par leur monde. Il représente leur oxygène en quelques sortes. Les Izrathiens peuvent voyager de chez eux à ici par le biais de reliques quantiques, comme celle que je t’ai montrée.

— C’est donc bien de cette dimension que vient le monstre en Erika… »


Je voulais lui poser d’autres questions ; mais impossible, en raison de l’heure tardive. Il fallait rester réactifs, si Violène Leblanc prenait la parole. J’installai ainsi un lit de fortune à Hakaze, ainsi qu’à Rocky, puis nous allâmes nous coucher.

Lorsque je repris connaissance, ce fut en toussant frénétiquement. J’ouvris les yeux, et aussitôt ma vision s’obscurcit. Un énorme nuage de fumée aussi noire qu’opaque avait envahi la maison entière. Je réalisai la terrible vérité. Une attaque se déroulait, et j’avais réagi trop tard. Je courus vers la chambre, et horreur ! Erika ne se trouvait plus dans son lit. Cette Hakaze m’avait berné comme l’homme crédule que j’étais. Je l’avais senti, et pourtant je lui avais fait confiance. Je n’allais jamais pouvoir me pardonner un tel acte.


La pression redescendit cependant lorsque je retrouvai l’intéressée, ainsi que mon amie d’enfance, en train d’essayer de ventiler la cuisine, qui avait vraisemblablement explosé en raison d’une mauvaise utilisation de mon grille-pain. Les deux jeunes femmes secouaient des serviettes en espérant évacuer l’atmosphère toxique. J’ouvris la fenêtre, et là, l’air devint plus respirable.

« Bonjour Rei… soupira Erika. Je suis désolée, cette femme voulait se servir du grille-pain, et elle n’a pas su l’allumer, alors je l’ai aidée et… Je suis confuse…

— C’est la faute de cet engin stupide, rectifia Hakaze, quelle idée d’acheter du tactile pour un truc aussi simple ! »


Je n’eus pas le temps de répondre. Rocky, le chien de Hakaze, passa devant nous avec une tartine dans sa gueule. Il se tint debout sur ses deux pattes arrières, plaça son petit-déjeuner dans l’appareil, et l’alluma d’un coup de griffe. Une minute plus tard, il repartit naturellement dans son coin avec sa tartine grillée, sous nos regards stupéfaits.

Je n’osai pas relever ce que venait d’accomplir l’animal étant donné que même sa propre maîtresse restait consternée. Nous convînmes plutôt qu’il était préférable que je me charge du petit-déjeuner. J’en profitai pour donner des conseils sur la manière d’utiliser le petit électroménager à Hakaze qui, attentive, me scrutait avec insistance. Erika quant à elle, avait décroché depuis que j’avais mis les tartines dans les fentes dédiées. À table, la conversation prit un autre sens.


« Bon, entamai-je, nous n’avons pas énormément de temps avant le discours de Violène. Erika, je te présente Hakaze. Elle est celle qui nous a aidés quelques jours auparavant.

— Pourquoi n’oses-tu pas tout simplement avouer que je suis ta maîtresse ? soupira l’intéressée qui me fit recracher mon thé. Il n’y a rien de mal à cela Reisuke !

— Veux-tu arrêter de dire des bêtises pareilles ? Nous n’avons rien fait ensemble.

— Faux, je t’ai cajolé pendant une bonne heure hier soir, petit coquin va !

— Ce n’était pas ce type de soin, rétorquai-je fermement.

— Si je vous dérange dans votre couple, trancha sèchement Erika, je peux très bien partir toute seule et vous laisser vivre votre merveilleuse romance. »


Je soupirai. Il allait falloir que je me méfie des lubies de Hakaze. Cela allait se révéler problématique si Erika pensait ce genre de choses, même si au fond, notre relation ne dépassait pas le stade d’une banale amitié.


« Donc, repris-je en essayant de monopoliser l’attention, Erika, le monstre que tu as en toi provient d’Izrath, comme nous l’avons vu hier. Il peut venir ici par le biais d’un talisman, et détient ses pouvoirs grâce au Kvantiki en Izrath. Arrête-moi si je me trompe, Hakaze.

— Tu ne dis pas encore d’énormités, sourit la jeune femme, tu es moins ignare que tu n’en as l’air.

— Attends, m’interrompit Erika, que veux-tu dire par “un talisman” ? »


Hakaze sortit de nouveau sa relique quantique. Les yeux de mon amie la blonde s’écarquillèrent en la considérant. Son corps entier trembla, comme si elle venait de réaliser quelque chose qui compromettait l’intégralité de son existence.


« Je pensais être la seule à posséder un tel objet…

— Eh bien c’est raté, plusieurs sont dans ton cas ! rit Hakaze. Peux-tu me montrer ta relique quantique, Erika ? »

Elle acquiesça, et sortit à son tour un pendentif de sous son tee-shirt. Contrairement à celui de Zéphyra, il ne représentait pas un soleil d’or, mais une tête de vipère verte aux yeux pourpres qui luisaient d’un éclat étrange. Un malaise me prit soudain, comme si quelque chose en moi réagissait à la vue de ce talisman. Une forte brûlure me parcourut la main pendant deux ou trois secondes, avant de tout bonnement disparaître.

« Eh bien, conclut Hakaze, ce n’est pas banal. Erika, tu détiens en ta possession l’emblème du désert Citrine : le “croc de la princesse des serpents”.

— C’est donc vraiment le messie de la secte du serpent anarchiste !? m’exclamai-je, stupéfait.

— Bien sûr que non sombre abruti, trancha la brune, il s’agit du talisman qui appelle la reine du désert Citrine d’Izrath : Toratura, la princesse des serpents. Elle représente celle qui domine les provinces les plus arides où siègent les reptiles du royaume. Ils sont d’ailleurs toujours en guerre. Leur réputation est très mauvaise en cette raison.

— Je précise que je ne sais pas où j’ai obtenu ce pendentif, et que je ne peux ni le détruire ni m’en défaire.

— C’est tout à fait normal, nous assura Hakaze, tout du moins pour la partie qui stipule que tu ne peux pas t’en débarrasser. Tu es liée à Toratura par un pacte. Concrètement, cela fonctionne exactement comme un contrat de travail dans notre monde. L’humain et l’Izrathien négocient les conditions dans lesquelles ce dernier peut passer la frontière, et une fois l’engagement signé, l’alliance prend effet. »

Il y eut un lourd silence. Erika fixa son pendentif pendant quelques secondes. Elle tentait sûrement de se rappeler quand et comment elle avait établi cette alliance, mais son regard m’évoquait qu’elle n’avait rien trouvé dans ses souvenirs. Je poursuivis, et brisai l’ambiance.

« Hakaze, tu étais au courant de ce qui allait arriver, n’est-ce pas ? Violène doit s’exprimer dans un peu plus d’une heure. Dis-moi le pourquoi tu es venue, de manière concrète.

— Excuse-moi, reprit sérieusement l’intéressée, je me suis égarée dans mon objectif. Ce que tu as découvert sur internet n’a rien d’une fausse nouvelle. Avant le Purple Requiem, les liens avec Izrath faisaient partie de notre culture, et c’est seulement après la catastrophe qu’ils ont disparu de la pensée commune. Lorsque la fédération ESTER a racheté l’ancien Japon dévasté, Violène Leblanc a promis de ne pas reproduire les erreurs du passé. Elle a dû, à contrecœur, supprimer toute opportunité concernant le Kvantiki.

— Alors ESTER traque tous ceux en lien avec Izrath…

— Plus ou moins. Il faut savoir qu’il existe des individus mal intentionnés qui ont décidé d’utiliser les pouvoirs de l’autre monde dans des objectifs égoïstes. Notre première fonction est de nous occuper de ces personnes afin de maintenir un équilibre de paix. C’est grâce à cette promesse que nous avons pu faire fructifier le Japon en Nouvelle-Nipponie, et c’est en cette raison que nous ne pouvons pas fermer les yeux sur un évènement comme celui d’Erika.

— “Nous” !? m’insurgeai-je. Ne me dis pas que tu bosses pour ESTER !?

— Je suis désolée de ne pas te l’avoir avoué plus tôt, mais jamais tu ne m’aurais fait confiance. Reisuke, je ne veux aucun mal à Erika. Mon objectif est justement de la préserver de la décision de Violène Leblanc, quelle qu’elle soit. Je refuse de sacrifier la vie d’une innocente sur l’autel d’une paix factice.

— Hakaze… murmura Erika, émue. »


Je confrontai le regard de l’invitée autoproclamée, et contre toute attente, je n’y retrouvai aucune intention perfide. Je ne fus toutefois pas attendri par cette expression. Après tout, elle pouvait également résulter d’un impressionnant jeu d’acteur. Cependant, lorsque Rocky, le berger allemand, vint se coucher aux pieds de sa maîtresse, et que lui de même, couina de tristesse, je compris que le sentiment manifesté par Hakaze apparaissait comme authentique à 100 %.


« Très bien, entamai-je, je te fais confiance. Qu’en est-il de toi, Erika ?

— Je suis prête à suivre Hakaze moi aussi, sourit-elle. J’ai ressenti qu’elle n’était pas mal intentionnée.

— Dans ce cas, nous nous en remettons à toi, Hakaze. Conduis-nous là où Erika sera hors de danger, s’il te plaît.

— Je vous remercie tous les deux, répondit la jeune femme en s’inclinant par politesse, je placerai Erika à l’abri. Personne chez ESTER ne pensera aller la chercher à l’endroit où je compte vous emmener, soyez-en certains. »


Ces paroles nous rassurèrent. Nous décidâmes de tous prendre une douche et de partir au plus vite, selon les recommandations de notre nouvelle guide. Tandis que cette dernière occupait la salle de bain, je me retrouvai seul avec son chien, qui semblait soudainement vouloir monopoliser mon attention. Je n’avais cependant pas le temps de jouer avec lui. Je préparai deux sacs, et nous fûmes prêts pour le large, vers une destination inconnue, avec pour unique objectif de placer Erika en sécurité.




Chapitre 7 : Agent d'ESTER : Maudret


Spoiler :



Nous sortîmes de chez moi afin de suivre notre guide improvisée. D’après ma montre, il ne restait plus que dix minutes avant que Violène Leblanc ne donne sa conférence de presse. Nous devions donc nous hâter avant que la Fédération ESTER ne décide peut-être de nous déclarer une guerre sans merci. Cela n’avait cependant pas l’air d’affecter Erika. La jeune fille semblait même particulièrement sereine à l’idée de devenir une fugitive recherchée par une organisation capable de racheter un pays entier. Elle continuait tranquillement son chemin, son sac sur le dos, en fredonnant une mélodie qui passait à la radio.

« N’es-tu pas préoccupée par le sort qui t’attendrait si jamais Violène décrétait qu’on doit en finir avec ta vie ? soupirai-je, dépité.

— Et pourquoi devrais-je l’être ? s’étonna Erika. Si l’on s’enfuit, c’est bien pour qu’il ne m’arrive rien, non ?

— Tout de même, j’ai l’impression que je m’inquiète bien plus que toi, alors que concrètement, je n’ai aucun lien avec un Izrathien.

— Eh bien, s’amusa-t-elle, j’imagine que je te fais assez confiance pour te laisser te soucier pour moi ! Ne vas-tu pas tout mettre en œuvre pour me protéger ?

— Quand bien même il le ferait, la coupa Hakaze, si la Fédération nous retrouve, je ne donne pas cher de ta peau, Erika. Il faut savoir qu’ils ont des moyens suffisamment importants pour reconstruire un pays, et donc, pour le détruire s’ils le voulaient. Nous avons régulièrement affaire à des personnes bien plus puissantes que toi, et nous sommes capables de les vaincre.

— D’ailleurs Hakaze, repris-je avec intérêt, comment en es-tu arrivée à travailler pour le gouvernement ? »


La jeune femme marqua une pause et afficha une mine déconfite. Ma question semblait l’avoir troublée. Elle se ressaisit cependant quelques secondes plus tard, et rattrapa son assurance habituelle.


« Avec toute cette agitation, je ne me suis même pas présentée convenablement. Je vis avec mon papa, qui est un scientifique. Il a consacré sa vie à Izrath, depuis son adolescence. Admirative, je l’ai imité, et j’ai intégré la Fédération à ma majorité. C’est d’ailleurs chez lui que nous nous rendons. Il saura nous aider à nous volatiliser.

— Lui aussi partage ta vision des choses ? la questionna Erika.

— C’est exact, approuva Hakaze, disons qu’il a un très lourd vécu, et que cela lui a fait développer une mentalité différente de la norme. Mais il n’est pas méchant, juste un peu grognon ! »


Elle voulut enchaîner, mais elle fut interrompue par une sonnerie vintage semblable à celles des téléphones des années quatre-vingt-dix. Elle sortit de sa poche une espèce de biper noir discret qu’elle consulta rapidement. Là, ses yeux s’écarquillèrent. Elle nous lança un regard horrifié. Je devinai immédiatement la situation dans laquelle nous nous trouvions. Violène Leblanc venait de donner l’ordre fatidique à l’ensemble de la Fédération. Leur nouvelle mission consistait en la capture d’Erika, ainsi que son extradition.


Sans échanger un mot, Hakaze et moi pressâmes Erika qui n’avait toujours pas compris l’urgence de notre position. Nous accélérâmes le pas, jusqu’à ce que l’agente de la Fédération ESTER affirme que nous étions arrivés sur les lieux tant attendus. J’exprimai un soupir de soulagement, même si je savais au fond que nous nous situions encore loin de notre objectif. Cependant, le simple fait de prendre ne serait-ce qu’une dizaine de minutes d’avance sur nos détracteurs suffisait à me rassurer, ne serait-ce qu’un petit peu.

Nous nous trouvâmes face à une énorme porte en chêne qui paraissait s’élever sur plusieurs mètres. Derrière elle semblait s’étendait une forêt particulièrement dense et impénétrable du regard. Le territoire avait l’air assez clos pour abriter une fugitive ; mais j’imaginais très mal quelqu’un y survivre plus de deux jours, à en juger par ce que je voyais. Hakaze savait cependant ce qu’elle entreprenait, puisqu’elle ouvrit la porte et nous invita à nous introduire dans l’endroit.

L’espace était recouvert d’une pelouse en friche dans laquelle s’épanouissaient des fleurs et des plantes d’une incroyable diversité. Le centre de cette prairie semblait quant à lui particulièrement aménagé, comme pour laisser place à la faune alentour. Ce spectacle me stupéfia. Certaines de ces espèces ne pouvaient pas pousser sous le climat nippon, et pourtant, elles resplendissaient, et évoluaient vraisemblablement sans artifice quelconque. Une colonie d’arbres se dressait fièrement tout autour de nous, comme pour délimiter l’endroit. Ils s’élevaient majestueusement dans les airs et nous procuraient une fraîcheur irréprochable, car ils bloquaient les rayons du soleil. Quelques-uns d’entre eux, bien chanceux, parvenaient à illuminer la forêt d’une bénédiction agréable. La douce brise qui nous caressait le visage s’écrasait frénétiquement sur le feuillage de la végétation, et brisait le silence par un délicat frottement qui nous chatouillait les oreilles.

Je ne possédais aucun mot suffisamment puissant en réserve pour illustrer ce que je ressentais en ces lieux. Je me trouvais comme chez moi, dans cet espace visiblement écarté de toute civilisation. J’en oubliai presque la raison de notre venue.

« C’est magnifique, murmurai-je, émerveillé.

— N’est-ce pas ? me sourit Hakaze. J’aime beaucoup cet endroit. J’y passe la plupart de mon temps. Mon papa et moi nous sommes installés ici approximativement dix ans auparavant.

— Vous résidez tous les deux dans cet environnement ? s’étonna Erika, non moins abasourdie que moi.

— En effet. L’espace nous sert de logement, mais aussi, et surtout, de repaire pour le travail. Au fond du bois, nous avons aménagé un laboratoire dans lequel nous effectuons nos recherches. Par ailleurs, étant donné que cet endroit regorge de Kvantiki, il fournit également un refuge aux Izrathiens qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent rentrer chez eux et sont bloqués ici.

— Tiens donc, nous interrompit l’écho d’une voix loufoque qui chantonnait dans la forêt. Dame Hakaze est de retour !

— Eh bien, soupira Hakaze, vous allez bientôt connaître l’un d’eux. Je vous en conjure, ne jugez pas tout le peuple avec ce seul échantillon. »

Elle semblait dépitée. Je me tournai vers l’endroit d’où provenait la tonalité grave. J’y discernai l’ombre d’une silhouette imposante. Un homme de forte carrure habillé d’une cuirasse dont la cape flottait au vent. Je déglutis. J’exultais à l’idée de rencontrer un autre de ces êtres magiques.

Lorsque l’Izrathien s’approcha suffisamment, je pus le considérer. Je distinguai un chevalier en armure, exactement comme dans les romans de fantaisie. Un beau blond à la touffe de cheveux ébouriffée et aux grands yeux verts expressifs. Il affichait un air assez accessible sur son visage. Il semblait gentil, et arborait une bonne bouille. Honnêtement, si ce n’était pour le reflet étrange qui animait son regard, je n’aurais pas pu le différencier d’un humain.

« La vie m’honore une nouvelle fois de votre sainte présence, dame Hakaze, déclara le gaillard, qui se prosterna et plia un genou devant l’intéressée.

— Arrête de m’appeler comme ça Maudret, soupira la brune. Fais-moi plutôt ton rapport de patrouille.

— Rien à signaler bien évidemment, reprit le chevalier d’un air fier. Damoiselle Hakaze, mettons de côté ces vaines jactances. Vous faites brûler ce petit cœur de moi. Vous m’animez de la fougue d’un jouvenceau désirant conquérir le petit cœur d’une jeune pucelle ! »

Elle voulut lui en coller une, mais elle se retint. À la place, elle s’arrêta quelques secondes, avant de nous présenter.

« Maudret, voici Erika, la fille que tu m’as signalée quelques jours plus tôt. J’ai réussi à lui mettre la main dessus avant qu’ESTER ne le fasse.

— Je ne puis que saluer votre noblesse, ma bachelette. Risquer la mortaille pour une simple gourdasse requiert beaucoup de courage.

— Je te demande pardon ? grognai-je. De quoi as-tu insulté Erika ?

— Ne t’en fais pas Reisuke, reprit Hakaze afin de me calmer, Maudret parle toujours de la sorte. Le pauvre est coincé au Moyen-Age.

— Rei… suke ? bégaya le blond à la touffe ébouriffée. »

Il bloqua quelques secondes pendant lesquelles il me dévisagea. Incrédule, je restai tout aussi stupéfait que lui qui affichait une expression livide face à moi. Quel déclic avait-il eu ? Je l’ignorais. Mon incompréhension demeura d’ailleurs encore plus grande lorsqu’il fronça les sourcils et s’adressa à moi avec mépris.

« Je vois. Pendant que votre serviteur quérissait la jeune damoiselle afin de lui épargner le trépas, il fut tristeusement déconfié par un vil couard ! Mortecouille, jamais je ne laisserai passer cette vergogne ! Va-t’en, sale coquebert, ou je te créant que cette forêt sera ta future sépulture !

— Je… te demande pardon ? bégayai-je, interdit. Je ne suis pas certain de comprendre…

— Arrête de faire l’enfant Maudret, le sermonna Hakaze, l’heure est grave, et nous devons nous entretenir avec Papa.

— Je ne puis y croire, dame Hakaze ! Je ne puis approuver cette cruauté que vous infligez à votre dévoué serviteur ! Vous osez vous dresser dévergoigneusement contre mon humble personne en cautionnant tout le mal occasionné par ce gueux à la sale trogne, et vous souhaitez en plus que je lui apporte mon soutien ? Que trépasse si je faiblis ! Jamais je ne trahirai mon jouvenceau ! JAMAIS ! Que l’on me mortisse si je ne puis rester fidèle à mon escuyer !

— Silence, le coupa Hakaze, ferme. Nous n’avons déjà que très peu de temps. En tant qu’agent d’ESTER, tu sais très bien de quoi je parle. »


L’izrathien rumina. Tandis qu’il réfléchissait, les mots de sa « bachelette » résonnaient en moi. Je me rappelai soudainement qu’il était le chevalier qui avait accompagnait l’homme en uniforme de police. Lui aussi faisait partie de la fédération. Pourtant, sa haine semblait dirigée contre moi, et non envers Erika. Cela m’interpellait. Je me trouvais cependant à mille lieues de savoir pourquoi, puisque je ne comprenais déjà pas grand-chose à son dialecte. Il finit par se rebeller, en poussant un énorme cri qui fit s’enfuir tous les oiseaux de la forêt tellement il résonna dans l’espace.

« Je ne puis pas ! Toi là-bas, le sale couard qui se cache derrière la gourdasse aux obus, montre-toi si tu n’es pas une boursemolle ! Moi, Maudret, le pourfendeur de foldingos, vais te punir pour avoir eu l’audace de fouler ce saint lieu de ton pied de malotru ! Je ne puis tolérer l’infiltration d’un gueux à l’allure dévergoigneuse venu semer la discorde dans mes rangs ! Approche donc afin de t’essayer à la lame du chef de la garde d’Astaris, sac à foutre ! 

— Comment oses-tu t’adresser à Rei de la sorte !? s’écria Erika dont l’aura virait déjà à la noirceur. Si tu cherches à te battre, sale guignol, je serai ton adversaire !

— Ces attraits ne m’atteindront pas, sorcière ! rétorqua-t-il en rougissant. Je ne me laisserai pas fouler par la chair que tu exhibes. Tes charmements ne prennent point sur la noblesse que ce petit cœur de moi représente ! Tu défends ce vil personnage, tu périras, peu importe combien tu me sembles bonne ! »


Je me mis devant Erika avant que celui-ci ne décide de l’étreindre ou de l’embrasser, car je sentais quelque chose de malsain qui provenait de lui. En me voyant, il perdit toute fébrilité, au profit d’une méchanceté prononcée à mon égard. Même si j’ignorais de quoi il m’accusait concrètement, il restait hors de question que je me laisse incommoder. Ainsi, je lui fis signe que j’allais accepter son défi. Mais alors que je ne savais comment nous allions régler notre différend, il me lança une énorme épée qui se planta dans le sol, juste devant moi. Je compris en conséquence l’ampleur de son animosité.




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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [20/03/2020] à 21:25
Chapitre 2 : Une créature monstrueuse


Spoiler :




Je passai discrètement la main dans la poche arrière de mon pantalon, et j’en sortis un couteau. Je ne pris même pas la peine de le déployer ; je le lançai droit sur le garde qui retenait Erika. Ce dernier l’esquiva de justesse. Cela me permit de gagner quelques précieuses secondes. Avant qu’il ne le remarque, je m’étais déjà rué sur lui. Un seul coup de poing en direction des tempes suffit à l’écraser au sol, sans qu’il puisse rétorquer quoi que ce soit.


Je comptais profiter de l’affolement pour agir, mais je n’y parvins pas. Un pistolet fut pointé sur mon front en moins de temps qu’il n’en fallut pour que je neutralise un garde. Je devins un otage à mon tour, sous le regard meurtri d’Erika qui, elle aussi avait été saisie par un autre d’entre eux.


Je déglutis. Une fraction de seconde avait suffi pour que nous nous retrouvions dans une condition extrêmement délicate. Trois hommes au minimum se trouvaient derrière moi, tandis qu’un autre braquait un revolver en ma direction. Peu importe l’angle selon lequel j’analysais la situation ; mes chances de survie sans obtempérer n’excédaient pas zéro. Il en était de même pour Erika, qui elle, s’agitait violemment. Des vibrations singulières émanèrent d’elle. Je n’ignorais rien de leur dangerosité, mais pour être honnête, elles représentaient le cadet de mes soucis.


La présidente entama un dialogue avec le groupe armé. Tandis qu’ils négociaient, j’essayais encore de trouver une solution afin que l’on en sorte indemnes, en vain. Les gradins me parurent soudainement vides ; les spectateurs s’étaient enfuis. Pour ma part, je scrutais chaque angle dans le but d’y repérer un moyen de nous secourir. Au bout de quelques secondes, je remarquai quelque chose au sol : une espèce de petite pierre couleur ébène qui luisait d’un éclat étrange. Elle se trouvait juste sous le pied de Laure Delacour, qui y écrasait discrètement son poids afin d’actionner un mécanisme dont j’ignorais le but. Je compris alors que la femme n’avait pas entamé un échange simplement pour faire plaisir à des malfrats.


« Nous pouvons quitter les lieux et vous laisser continuer votre mascarade, conclut finalement celui qui me gardait en otage, mais nous emportons celui-ci avec nous.

— Pourquoi Rei !? hurla Erika, qui se débattit soudainement avec beaucoup plus de violence. Prenez-moi à sa place ! »


Je m’arrêtai quelques secondes. Pourquoi me voulaient-ils, alors qu’ils retenaient également le fils de la présidente en otage ? Leur but consistait-il vraiment en un coup d’État contre le gouvernement dirigé par le parti TNT ? Un nuage d’incompréhension vint obscurcir mes capacités de réflexion. Pourtant, l’urgence nous faisait face. Même si Laure Delacour avait appelé des secours par son mécanisme, ils n’allaient peut-être pas arriver à temps pour sauver Kôsei et Erika…


« Je vais vous suivre, déclarai-je fermement, en essayant de ne pas laisser transparaître ma peur. Cependant, je veux m’assurer que vous relâcherez les autres otages, comme convenu. »


Le terroriste en chef acquiesça, et recula de quelques pas en me gardant prisonnier. Je distinguai derrière nous une voiture noire aux vitres teintées qui semblait la première étape de cette course à la mort. Il fit signe à ses acolytes, qui projetèrent Kôsei et Erika droit sur le sol, avant de battre en retraite à leur tour. Tous braquèrent leur arme sur les ex-otages, tandis qu’ils gagnèrent petit à petit du terrain afin de prendre la fuite.


https://www.youtube.com/watch?v=8zj0eWxRYU4


Je sentis un changement d’atmosphère radical. Erika, dont je pouvais jusqu’alors ressentir les émotions, devint subitement bien plus sombre. Ses effusions d’incompréhension s’estompaient pour laisser place à une réaction inconnue. Je grimaçai. Je savais ce qui était en train de se passer. Cette présence allait revenir sous peu, c’était inévitable. Purple Revolution ne le notifia cependant pas. À vrai dire, personne ne pouvait deviner ce qu’il allait advenir de cette prise d’otage.


Erika fronça les sourcils et me dévisagea d’un air bourré de reproches. Mon cœur rata un battement. Le temps se figea. Une lumière pourpre étincelante nous aveugla tous, y compris mes agresseurs. Je fermai les yeux, et m’en remis à mon instinct, dans l’intention de profiter de la clarté pour me débattre. En quelques secondes, je le bousculai, et me saisis de son arme afin de la braquer contre son front. Cependant, lorsque l’éclat s’estompa, et que je posai mon regard sur mon amie d’enfance, la surprise m’écrasa instantanément…


Ce qui caractérisait Erika n’existait plus. Il ne subsistait d’elle qu’une présence radicalement métamorphosée. Exit la spontanéité, et l’empathie. Erika ne représentait plus que l’ombre d’elle-même. Une jeune fille dure et rigide. Ses cheveux blanchirent, ses yeux se colorèrent de pourpre. Je ne distinguais dorénavant rien de plus que de la frustration et de la méchanceté. L’étincelle malicieuse et puérile qui animait son regard s’était laissée fondre dans le vide désormais en elle. Je la sentais fragile ; comme prête à s’effriter si quiconque osait la toucher. Il allait être difficile de négocier dans cette situation.


Mes instincts me signalèrent un danger imminent. Cette pensée se confirma lorsque je distinguai un éclat étincelant de la même couleur que les yeux de mon amie illuminer sa poitrine. Pire encore, Erika s’éleva lentement dans les airs jusqu’à stagner à quelques centimètres au-dessus du sol. Elle fut progressivement imbibée d’un flux de puissance dont j’ignorais les propriétés, et fixait désormais « Purple Revolution » d’un regard empli de haine.


Ils se mirent en garde, comme s’ils pouvaient rivaliser. Le chef, subitement intéressé par Erika, me bouscula afin de la confronter.


Une irruption brève et soudaine me surprit. Cela sortit de la poitrine de l’existence en désordre. De la matière flottante de couleur pourpre, semblable à de l’énergie vraisemblablement vivante, se déplaça rapidement jusqu’à arriver à quelques mètres de nous. Cette essence prit un aspect qui semblait humanoïde à première vue. Cependant, lorsqu’elle fut totalement générée, elle me fit comprendre que ce qui nous attendait était bien plus dangereux que « Purple Revolution ».


C’était un monstre. Il n’existait aucun autre mot pour décrire une telle abomination. Elle apparut sous mes yeux, accroupie, avant de s’élever à quelques centimètres au-dessus du sol. Elle était remarquablement grande : quatre ou cinq mètres, selon mon estimation. Sa morphologie semblait à peu près similaire à celle d’une femme lorsque l’on considérait son visage ou sa poitrine. Cependant, sous sa taille n’étaient pas dessinées des jambes, mais une interminable queue constituée d’écailles bleu nuit. Elle mesurait plusieurs coudées de long, en s’enroulant autour du corps de cet être étrange. Au-dessous de cette armure reptilienne se cachait une couche de peau colorée d’un blanc cassé qui ressortait particulièrement en contraste avec sa chevelure violet terne ondulée. Des boucles composées de serpents qui possédaient chacun leur propre volonté. Comme pour ne me laisser aucun doute sur les intentions de cette nouvelle venue, ses yeux rouges s’illuminèrent d’une lueur faite de rage, tandis que ses deux longs bras s’ouvrirent en gueules de vipère qui sifflaient une mélodie funeste de leur langue de fourche.


« Qu’est-ce que… murmura mon assaillant, paralysé par la surprise. »


Il n’eut pas le temps de réagir. La queue de l’immense reptile s’était déjà écrasée contre lui, et l’avait projeté au loin. Elle avait abandonné à la suite de son passage une traînée de sang qui sembla flotter dans les airs pendant quelques secondes. Mes yeux s’écarquillèrent, tandis que les autres individus laissèrent tomber leur arme avant de prendre la fuite. Je lançai un regard furtif derrière moi. Le corps de leur chef gisait désormais sur le sol ; ils ne l’avaient pas emporté.


« Erika, bégayai-je, comment as-tu… »


Elle ne répondit pas ; à la place, elle me fixait en fronçant les sourcils, comme si je devais me sentir coupable de quelque chose. Lorsqu’elle se trouvait dans cet état, il semblait impossible de le maîtriser. Je connaissais ce type de revirement de personnalité. Je le nommais « sa crise intérieure ». Cela lui donnait une puissance considérable, au prix de ses capacités de raisonnement. Elle se manifestait toujours quand Erika éprouvait de la frustration, mais n’avait encore jamais pris une forme physique.


Je n’eus pas le temps de réfléchir davantage, puisque le monstre m’attaqua. Je l’esquivai de justesse en me jetant au sol. Le reptile aux cheveux de serpent cherchait à m’écraser de sa force colossale, et comble de l’étrange, elle m’avait désigné comme sa seule cible. En effet, ni Kôsei, ni sa mère ne furent inquiétés par la nouvelle venue. J’ignorais s’il était bon de riposter, et surtout, de comment organiser ma frappe.


Je reculai instinctivement, tandis que la créature tenta de nouveau de me porter atteinte. Je pus voir la queue de cette chose qui voulait m’attaquer en revers suffisamment tôt pour pouvoir anticiper cette autre offensive, mais le temps pressait. Le monstre en Erika semblait déterminé à me faire la peau si je ne trouvais aucune solution pour rivaliser.


Je me baissai de justesse pour esquiver une nouvelle agression. La femme-reptile laissait paraître de la frustration chaque fois qu’elle me manquait, ce qui me conforta dans l’idée qu’elle possédait ses propres émotions. Ainsi, je pris une décision hâtive, dus tout miser sur elle. Armé du revolver abandonné au sol, j’allais contre-attaquer. Mais alors que j’allais tirer, je fus tout simplement soufflé par un coup de queue, qui me propulsa au loin avant même que je ne puisse faire feu.


Cela me projeta droit contre la vitrine d’un magasin d’alimentation générale, sur la place de l’espoir. Je serrai les dents. Mon corps entier se raidissait sous le poids de la douleur. Je sentais que des morceaux de verre avaient écorché mon épiderme, mais l’heure n’était pas à s’y attarder. Il fallait que je me relève.


Le reptile s’approcha de moi. Mon cœur battait la chamade. Je suais à grosses gouttes, intimidé à l’idée de croiser le regard de cette créature. J’avais peur. Peur de manquer de force, de mourir, d’abandonner le sort d’Erika à cette infâme existence.


« Du calme Reisuke, me murmurai-je en essayant de contrôler mon rythme cardiaque. C’est exactement comme un entraînement à la caserne. Ne te soucie pas du risque ; tu as vu pire. »


Je repris ma course effrénée vers la libération de mon amie. Je gardai en tête l’atmosphère dégagée par une maison en flammes, ou par un sauvetage périlleux. Ainsi, lorsque le monstre tenta de me cracher une salve de venin, il me fut aisé d’esquiver l’attaque, tout en conservant mon sang-froid et ma concentration. Mon objectif ne consistait plus en la défaite de ce reptile, mais se centrait sur Erika. Si je sortais la jeune fille de cet état de transe, peut-être allait-elle pouvoir rappeler cette chose une bonne fois pour toutes.




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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [27/03/2020] à 17:52

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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [11/07/2020] à 21:20

Spoiler :


Quel est le sens véritable d'une promesse ?


Si quelques mots avaient le pouvoir de changer une vie, ou même plusieurs, et qu'il suffisait de les prononcer pour accomplir une destinée, quelqu'un aurait-il le courage de le faire en ignorant toutes les conséquences en résultant ?


Chacun des êtres ayant foulé la surface de la terre menait finalement une vie dictée par les engagements : la scolarité, l'orientation, le travail, l'amour, le mariage, les enfants, la vieillesse… Nous prêtions serment lorsque nous témoignions, et nous offrions volontiers des gages de sincérité afin d'exhiber une certaine maturité, elle-même évaluée sur les promesses tenues et menées à terme.


Mais au fond, nous prenions tout cela à la légère. De nos jours, rares étaient ceux qui étaient prêts à risquer tout ce qu'ils possédaient, y compris les biens matériels, les liens affectifs, ou même leur vie, afin d'honorer leur parole par des actes. Pour ma part, j'étais persuadé que le destin les attendait de pied ferme au coin de la rue, afin de leur rappeler qu'ils avaient bafoué leur honneur et laissé pousser des ronces autour des cœurs brisés par leurs engagements manqués.


Car oui, j'étais de ceux qui n'ont qu'une parole. Mes parents m'avaient inculqué dès mon plus jeune âge qu'il était essentiel d'honorer chaque décision prise, et d'en assumer les conséquences, quelles qu'elles soient. Alors je ne m'engageais pas à la légère, car j'étais prêt à prendre tous les risques, à consentir à tous les sacrifices, ou à commettre les pires infamies si cela me permettait de ne pas traîner dans la boue mes valeurs et mes convictions.


Tout cela, simplement pour conserver un honneur qui était peut-être dénué de sens…


***


Le soleil brûlait sur Sagamihara. L'année scolaire était déjà reléguée aux archives alors que le calendrier affichait encore le vingt-neuf juin. Un doux parfum de saison estivale prenait progressivement place dans les rues animées du quartier que j'habitais. Chacun se réjouissait des instants qu'il allait vivre, et des souvenirs qui allaient être créés. Pour ma part, je me trouvais bien loin de ces effusions de joie, à des années lumière de cette ambiance se construisant peu à peu autour de moi.


Car j'étais sur la côte, face à la mer, scrutant d'un œil attentif la course frénétique des vagues qui allaient et venaient, comme il leur avait été dit de le faire depuis la nuit des temps. Il m'arrivait souvent de me perdre dans le bleu de l'océan. Il semblait comme embrasser le ciel et ne faire qu'un avec lui. Je me complaisais d'ailleurs souvent devant ce tableau dans lequel on ne pouvait vraisemblablement pas définir les frontières des eaux. Le soleil s'y reflétait en des moutons de lumière semblables à des cristaux scintillant dans le rideau couleur smalt s'étendant à perpétuité.


Je soupirai, laissant au vent une fraction de mes sentiments pour qu'il les emporte ailleurs. Baissant les yeux, je posai un genou sur le sol jonché de cailloux rouges, pour enfin m'entretenir avec mon passé gravé dans la roche.


« Il y a maintenant plus de dix ans que vous nous avez quitté, et pourtant, il m'arrive parfois de l'oublier et de vous penser à mes côtés. »


Je n'obtins aucune réponse. Shinichi Yamada et sa femme, Yuki étaient morts en octobre 2001, me laissant comme seul et unique orphelin derrière eux. J'avais cependant été victime d'un heureux hasard, puisqu'il se trouvait que notre voisine exerçait la profession d'assistante maternelle et se porta volontaire pour devenir ma tutrice. Je pus donc conserver la maison de mes parents et continuer à y habiter, sous réserve d'être sous sa constante surveillance à elle, ainsi qu'à celle de l'aîné des enfants dont elle s'occupait.


Ma majorité me surprit comme la tempête se formait sans aucune sommation. En un clin d'œil, douze ans s'étaient écoulés, me laissant désormais seul responsable de mes actions. J'habitais toujours cette maison que m'avaient légué mes ascendants, et celle qui était jusqu'alors ma tutrice devint une amie que j'aidais dès que je le pouvais, et qui me le rendait en me conseillant lorsque je faisais face à des dilemmes d'ordre professionnel ou personnel.


J'étais finalement satisfait d'être parvenu à trouver un équilibre. Mon diplôme d'études secondaires en poche, j'allais bientôt confirmer mon engagement chez les sapeurs pompiers par un concours afin d'acquérir le statut de professionnel plutôt que de volontaire. Il allait cependant falloir que je repousse l'échéance d'un an, puisque je m'étais engagé auprès d'un ami cher en lui promettant de rester une année de plus au lycée avec lui, tout cela pour prolonger la durée de vie de notre groupe de musique.


Car j'étais le guitariste du groupe de « cover artists » le plus populaire de notre lycée, et cela comptait beaucoup pour mon camarade qui était à la fois le vocaliste et le meneur de la bande. D'un an plus jeune que moi, il allait être incapable de maintenir en vie notre projet si nous partions, moi et l'autre vocaliste qui étions du même âge. Je me fus donc engagé de repartir pour une année de plus, et je devais signer mon inscription à la classe préparatoire d'ici quelques jours.


Une fraîche brise vint me taquiner la joue jusqu'à se glisser dans le col de ma chemise. Cela me tira de mes songes par une sensation vivifiante et rafraîchissante en ces jours de chaleur. Ainsi, je changeai les fleurs de la tombe de mes parents, afin d'y disposer quelques magnolias roses soigneusement entretenus dans un vase. Je lâchai un dernier regard aux portraits de ce couple m'ayant donné naissance qui étaient incrustés dans la pierre, avant de tourner le dos au passé pour penser à l'avenir. Car le futur m'appelait, et il n'allait pas manquer de me rappeler que je lui avais tourné le dos si je trahissais aujourd'hui mon engagement.


Cet avenir se nommait Erika Kurenai. Elle était ma précieuse amie d'enfance. Nous nous connaissions depuis des années, et mon affection envers elle avait grandi en même temps que nos corps pour devenir un amour porté à maturité. La jeune fille était un bout-en-train qui me tirait des abîmes de l'introversion et de la timidité. Une petite braise de motivation et de courage qui trouvait toujours les mots pour me donner la force d'entreprendre des projets. Elle était la seule personne auprès de laquelle je pouvais être moi-même, sans craindre le jugement extérieur.


Seule ombre au tableau : j'étais paralysé à la simple idée de lui avouer mes sentiments à son égard. Il m'était impossible de trouver en moi la confiance nécessaire à un tel obstacle. Un mur de flammes semblait une vaste plaisanterie face à cette difficulté que je rencontrais. J'étais tout bonnement incapable d'incarner autre chose que l'ombre de sa présence, disparaissant à son profit chaque fois qu'elle étincelait aux yeux de tous.


Cerise sur le gâteau, Erika était la muse de bien des jeunes hommes aux ambitions toutes aussi nobles que ne l'étaient les miennes. Son prétendant le plus sérieux était un garçon de quatre ans plus vieux que moi, beaucoup plus assuré, mature, et adulte que je ne laissais paraître. Il était le plus âgé des enfants élevés par Marie Kurenai, la tante de mon amie d'enfance, ce qui lui donnait un charisme de grand-frère sur lequel pouvaient compter tous les jeunes du quartier. Elle lui était par conséquent plutôt favorable, mais ne l'avait jamais exprimé de manière explicite l'engageant à toute forme de relation avec lui.


Mais je ne désespérais pas pour autant, puisque j'étais la personne partageant le plus clair du temps vécu par Erika. Nous avions fait nos classes ensemble, et nous nous étions adonnés à la musique en même temps. Elle m'entraînait toujours dans ses aventures les plus folles et rocambolesques, et pour tout dire, j'aurais été hypocrite si j'avais avancé ne pas m'y complaire.


Aujourd'hui, je devais marcher dans un autre de ses caprices : me rendre sur la place de l'espoir afin d'y donner un concert en plein air avec les membres de notre groupe. Être scruté par les passants me mettait mal à l'aise, mais le simple fait de pouvoir faire plaisir à mon amie d'enfance me donnait le courage de franchir le mur de la peur.


Il me fallait me rendre à Tokyo d'ici une heure, et pour être honnête, j'avais accumulé quelques minutes de retard en m'attardant sur les ronces du passé. Ainsi je dus prendre quelques raccourcis peu recommandables pour y arriver à l'heure. J'empruntai quelques ruelles qui étaient souvent désertes ou mal fréquentées, jusqu'à parvenir non loin de la grande place de l'espoir, là où allait se jouer un instant décisif pour le groupe « The Fallen Moon ».


Dans ma course, je me fis percuter par une masse lourde et puissante qui me prit par surprise. Je me retournai sur le qui vive afin de constater qui dans cette ruelle sombre et étroite avait été mon assaillant, mais personne ne se manifesta. Je fis ainsi mine de reprendre mon chemin, ne voulant pas me focaliser sur une recherche de bourreau sans aucun sens.


« Coucou Rei ! s'exclama joyeusement une voix aiguë, presque fluette qui était venue se positionner devant moi. »


Je lâchai un cri de surprise alors que j'étais jusque-là focalisé sur ma route. La « masse lourde et puissante » m'ayant percuté n'était en fait autre qu'Erika qui avait jugé bon de me tendre ce piège. Des tas de questions se bousculèrent dans mon esprit, mais elles furent vite effacées. En effet, je fus instantanément absorbé par la jeune fille qui venait de me rejoindre.


Mon cœur battait la chamade tandis que je déshabillai d'un œil envieux cette fleur d'espoir s'étant laissée croître à mes côtés. Elle s'était montrée coquette spécialement pour notre rendez-vous — ou du moins, je me complaisais à le croire –. Elle avait soigneusement brossé sa chevelure blonde éclatante, dont elle avait pris le soin de mettre en valeur deux longues boucles tombant délicatement sur sa clavicule. Ses cheveux étaient taillés de sorte à laisser un regard pétillant couleur azur dominer en permanence son expression d'innocence et d'empathie profonde. Une lueur enfantine animait ses yeux. Je pouvais discerner un peu d'espièglerie dessinée sur ses fines lèvres — que je scrutai d'ailleurs depuis quelques secondes en réfrénant une arrière-pensée –.


« Reisuke Yamada ! m'interrompit la jeune fille en se penchant vers moi. Dis-moi quelle est la pensée animant cette expression d'envie sur ton visage ?


— Je n'en ai aucune, affirmai-je en mauvais menteur. Ton imagination te joue clairement des tours si tu en es arrivée à ce genre de déductions ma pauvre.


— Es-tu certain de ce que tu avances ? sourit-elle malicieusement. J'ai constaté une lueur malsaine dans ton regard.


— Si tu m'as fait venir jusqu'ici simplement pour jouer à ce jeu de gamin, tu aurais pu t'abstenir. »


Je soupirai. Cette fille était loin d'accéder à la sagesse, il suffisait de la voir gonfler des joues en rougissant pour comprendre qu'une décennie n'aurait pas suffi à la rendre mature. Mais nous étions finalement complémentaires. J'étais plus réservé et réfléchi, elle était plus ouverte et spontanée. Tandis que je manquais terriblement de confiance, elle se sentait capable d'aboutir à tous les projets, et m'entraînait souvent dans ses ambitions.


Erika avait une fâcheuse tendance à refuser de me laisser me dévaloriser. Elle me rappelait sans cesse que je lui étais précieux, qu'elle pouvait passer des heures à plonger ses yeux dans mon regard rigide mais réconfortant à la verdure de printemps. Elle ajoutait souvent que je devais malgré tout m'entretenir davantage si je souhaitais gagner en assurance. Selon elle, il fallait que je taille mes cheveux châtains foncés pourtant déjà assez courts, mais auxquels je laissais une totale liberté sans jamais les coiffer. Elle m'avait également proposé d'autres vêtements qu'une veste en jean et un pantalon assorti pour m'habiller, avançant qu'un corps taillé au labeur de l'entraînement d'un sapeur pompier méritait une tenue le mettant en valeur, mais elle n'avait jamais obtenu gain de cause.


Au terme d'un argumentaire digne d'un affrontement de cour de maternelle, nous reprîmes finalement la route vers la place de l'espoir. Il ne nous restait qu'une dernière ruelle à traverser afin d'y parvenir. Mais alors que nous y étions pénétrés depuis quelques minutes, nous fûmes surpris par un coup de feu provenant de derrière. Je l'évitai de justesse, plaquant mon amie d'enfance au sol. Réactifs, nous nous retournâmes tous les deux vers la provenance de l'atteinte à notre vie, constant qu'un homme dont le visage était couvert par l'ombre nous faisait face.


« Jolis réflexes, sourit l'individu dont je ne discernais qu'une expression de perfidie incrustée sur le visage. »


Je n'eus pas le temps de prononcer le moindre mot que je me pris un coup de poing fulgurant provenant de derrière nous, me faisant m'écraser au sol comme un vulgaire insecte. Sur le coup de la surprise, je n'eus pas le temps de me protéger, ce qui me fit encaisser l'impact de plein fouet, dépourvu de réflexes salvateurs. À peine me fus-je redressé que je constatai l'horrible situation : trois complices de l'homme étaient sortis de nulle part et m'avaient attaqué dans le dos, profitant de l'occasion pour m'arracher Erika. La jeune fille était désormais leur captive, les mains jointes serrées par la paume d'un des ravisseurs. Ce-dernier essuyait les protestations de mon amie, mais la retenait fermement malgré toutes ses gesticulations.


L'homme au revolver, qui semblait être le leader du groupe, entama les négociations en pointant en ma direction :


« Reisuke Yamada, entama-t-il d'une intonation trahissant une détermination sans faille. Enfin je te trouve. Permets-moi de me présenter. Je suis un lieutenant du groupe « Purple Revolution ».


— Purple Revolution ? grimaçai-je en imaginant ce qu'il allait peut-être advenir d'Erika. Qui êtes-vous, et pourquoi nous attaquer ?


— Nous nous sommes déplacés jusqu'ici en te suivant jeune homme. Nous souhaitons nous entretenir brièvement avec toi. Vois-tu, nous aimerions sincèrement que tu viennes en notre compagnie afin de te présenter à notre maître. Ce dernier attend ta venue avec impatience.


— Et pourquoi spécialement moi ?


— Nous n'avons pas le devoir de répondre à tes questions. D'autant que je suis celui qui donne les ordres. Autrement dit, tu as dix secondes pour choisir entre nous suivre jusqu'à mon maître en mettant ton amie en sécurité, ou laisser la laisser se faire froidement exécuter, avant de nous suivre. »


Je déglutis. Une fraction de secondes avait suffi pour que nous nous retrouvions dans une situation extrêmement délicate. Trois hommes au minimum se trouvaient derrière moi, tandis que le quatrième braquait un revolver en ma direction. Peu importe l'angle selon lequel j'analysais la situation, mes chances de survie sans obtempérer étaient de zéro. Il en était de même pour Erika, qui elle, s'agitait violemment, laissant émaner de son être des vibrations que je ne voulais absolument pas sentir de nouveau.


Il fallait donc que je trouve une solution, mais aucune d'elles n'était plausible dans mon esprit. Chaque seconde décomptée par l'homme me glaçait le sang, et pour tout dire, je n'étais pas un cas isolé. Erika tremblait comme une feuille. Je pouvais sentir son malaise jusqu'à mon piédestal de martyr. La seule échappatoire qu'il existait dans l'immédiat était d'accéder à leur requête.


« Je vais vous suivre, déclarai-je fermement, en essayant de ne pas laisser transparaître ma peur. Cependant, je veux m'assurer qu'Erika sera bien relâchée comme il en est convenu. »


Je sentis un changement d'atmosphère radical. Erika, dont je pouvais jusqu'alors deviner les émotions, devint subitement bien plus fermée qu'elle ne l'était. Je le remarquai à ces effusions d'incompréhension qui avaient cessé. Je grimaçai. Je savais ce qui était en train de se passer. Cette chose allait revenir sous peu, c'était inévitable.


Ce qui devait arriver arriva : je m'avançai vers l'instigateur de l'organisation, sans prêter attention à mon amie. Si elle laissait surgir l'être en elle, cela allait certes augmenter nos chances de survie, mais elle allait être sujette à une influence qu'elle ne contrôlait pas, et peut-être se blesser dans la foulée.


Plus je m'avançais, plus elle gémissait que je ne devais pas me rendre. Je ne l'écoutai cependant pas. Il fallait que je l'écarte du danger, quitte à plonger tête la première dans ce qui était vraisemblablement un chemin sans issue. La ligne verte au bout de laquelle ne m'attendait que la mort.


Elle cria que je n'étais qu'un imbécile, puis elle se mit à sangloter. Mon cœur rata un battement. Le temps se figea tandis que mes oreilles me laissèrent entendre le son de ses larmes. Mon assaillant plissa les yeux alors qu'une lumière pourpre éclatante l'aveugla. Je profitai de ces quelques secondes d'inattention afin de me jeter sur lui afin de le bousculer et me saisir de son arme que je lui braquai ensuite sur le front. Mais lorsque je portai mon regard sur Erika, je fus abasourdi par ce qu'il était advenu de mon amie d'enfance…


Lorsque le flux se dissipa, ce qui caractérisait la jeune insouciante n'existait plus. Il ne restait de la fille qu'une présence radicalement métamorphosée. Exit la spontanéité, la gentillesse, et l'empathie. Erika n'était plus que l'ombre d'elle-même. Une existence dure et rigide. Ses cheveux avaient viré au blanc, ses yeux au pourpre. Mon amie respirait les ténèbres. Je ne pouvais rien déceler d'autre que de la confusion, de la frustration et des regrets…


Elle était revenue depuis les entrailles de mon amie aux cheveux du soleil, cette partie sombre enfouie au plus profond de la jeune femme. Erika sombrait de nouveau dans les tourments de son esprit. Alors que je considérais ce groupe, « Purple Revolution », comme une menace, je me rendis compte que la situation venait de franchir une marche sur l'échelle des complications, et qu'il allait être difficile pour nous tous d'en sortir vivants…





Spoiler :


Alors que j'étais résolu à me sacrifier et suivre ce groupe qui de toute manière avait un avantage clair et net sur nous, Erika me surprit. En effet, mon amie d'habitude si enjouée et enthousiaste, venait une fois de plus de se laisser corrompre par ses émotions les plus sombres : la frustration, la tristesse, et la rage. La fleur de l'espoir était de nouveau fanée, ne laissant derrière elle qu'une existence faite de tourments et de malice. Sa chevelure avait perdu son éclat aux couleurs du soleil pour devenir aussi blancs et ternes que de la neige, tandis que l'étincelle malicieuse et puérile animant son regard s'était noyée dans une mer pourpre faite de vide. Je la sentais fragile, comme prête à s'effriter si quiconque osait la toucher. Il suffisait de la considérer ne serait-ce qu'une seconde pour comprendre qu'il allait être difficile de négocier avec elle dans cet état.


Mes instincts me signalèrent un danger imminent. Cette pensée se confirma lorsque je pus distinguer un éclat étincelant de la même couleur que les yeux de mon amie illuminer sa poitrine. Pire encore, Erika s'éleva lentement dans les airs jusqu'à stagner à quelques centimètres au-dessus du sol. Elle fut progressivement imbibée d'un flux de puissance dont j'ignorais les propriétés en nous fixant de son regard vide duquel l'on pouvait discerner la mort de la raison.


Je déglutis. Les membres de « Purple Revolution » s'étaient déjà écartés, me laissant dernier être proche de la jeune fille. Le groupe de criminels resta abasourdi, à quelques mètres de ce spectacle invraisemblable, paralysé par la peur de représailles.


Mais alors que j'étais seul face à Erika, quelque chose de soudain et bref me surprit. Cela sortit de la poitrine de l'existence en désordre. Quelque chose d'informe, de couleur pourpre, similaire à de l'énergie apparemment vivante, se déplaça rapidement jusqu'à arriver à quelques mètres de moi. Cette essence prit une apparence semblant humanoïde à première vue. Cependant, lorsqu'elle fut totalement générée, elle me fit comprendre que ce qui m'attendait était bien plus dangereux que « Purple Revolution ».


C'était un monstre. Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire une telle chose. Elle apparut sous mes yeux, accroupie, avant de s'élever à quelques centimètres au-dessus du sol, me laissant la discerner totalement. Cette chose était remarquablement grande. Elle devait mesurer au moins trois ou quatre mètres. Sa morphologie semblait à peu près similaire à celle d'une femme lorsque l'on considérait son visage ou sa poitrine. Cependant, au-dessous de sa taille n'étaient pas dessinées des jambes, mais une longue queue faite d'écailles bleu nuit faisant plusieurs coudées de long s'enroulant autour du corps de cet être étrange. Au-dessous de cette armure reptilienne se cachait une couche de peau colorée d'un blanc cassé ressortant particulièrement en contraste avec sa chevelure violet terne ondulée, semblant composée de serpents ayant chacun leur propre volonté. Comme pour ne me laisser aucun doute sur les intentions de cette nouvelle venue, ses yeux rouges s'illuminèrent d'une lueur faite de rage, tandis que ses deux longs bras s'ouvrirent en gueules de serpent sifflant une mélodie funeste de leur langue de fourche.


« Erika… bégayai-je, terrorisé. Arrête ça, par pitié. Rappelle cette chose. »


Elle ne me répondit pas. Mon amie était comme figée dans le temps, fixant d'un regard vide le triste spectacle se déroulant sous ses yeux. Lorsqu'elle était dans cet état, il était impossible de la raisonner. Chaque fois, une puissance exceptionnelle se matérialisait en elle, avec pour contrepartie la perte de son discernement. C'était cependant la première fois qu'elle s'était incarnée en une telle créature. Je rencontrai enfin ce qui était la cause de sa soif de destruction.


Je n'eus pas le temps de réfléchir davantage, puisque le monstre m'attaqua. J'esquivai de justesse en me jetant au sol. Cette créature semblait posséder une conscience bien à elle, jalouse de surcroît, puisque j'étais la seule cible de ses assauts. Était-ce parce que j'avais conseillé à Erika de la combattre ? Je n'en avais aucune idée, mais l'heure n'était pas à la réflexion. Le reptile aux cheveux de serpent tentait de m'écraser de sa puissance colossale. J'ignorais s'il était bon de riposter, et surtout, de comment le faire. Je n'étais qu'un homme et je devais rivaliser avec une telle entité, et « Purple Revolution » n'était pas prêt à me porter secours. Les quatre lascars s'étaient déjà planqués derrière ce qu'ils avaient trouvé dans la ruelle, n'osant vraisemblablement pas fuir de peur d'être pourchassés.


Je reculai instinctivement tandis que la créature tenta de nouveau de me porter atteinte. Je pus voir la queue de cette chose voulant m'attaquer en revers suffisamment tôt pour pouvoir anticiper cette nouvelle attaque, mais l'heure se faisait grave. Erika ne réalisait vraisemblablement pas qu'elle s'en prenait à moi, alors que son monstre semblait bien décidé à me faire la peau si je ne trouvais aucune solution pour rivaliser avec elle.


Je me baissai in extremis pour esquiver une nouvelle attaque provenant d'elle. La femme-reptile laissait paraître de la frustration chaque fois qu'elle me manquait, ce qui me conforta dans l'idée qu'elle avait ses propres émotions. Ainsi, je pris une décision hâtive, et misai tout sur elle. Je courus à perdre haleine dans le maigre espace de bataille octroyé par la ruelle. Je tentai tant bien que mal de calculer les mouvements de cette chose, évitant ses assauts en sautant ou en me baissant selon l'angle de l'attaque. Je me rapprochai suffisamment d'elle en serrant mon arme, mais alors que j'allais tirer, je fus tout simplement soufflé par un coup de queue qui me propulsa au loin avant même que je ne puisse faire feu.


Je fus projeté droit contre la vitrine d'un magasin d'alimentation générale, sur la place de l'espoir. Le bruit sourd de la vitre brisé alerta les passants qui, sur mes recommandations, fuirent aussi rapidement que j'étais arrivé. Je serrai les dents, me crispant tout entier sous le poids de la douleur. Je sentais que des morceaux de verre avaient déchiré mon épiderme, mais l'heure n'était pas à s'y attarder. Il fallait que je me relève.


Lorsque mon ennemie sortit de la ruelle, elle retenait en sa queue les quatre individus m'ayant menacé quelques minutes plus tôt. Ils étaient tous ligotés dans la spirale écailleuse, incapables de se mouvoir. Les derniers sceptiques qui ne m'avaient pas crus s'enfuirent afin de me laisser seul avec elle. Mon cœur battait la chamade. Je suais à grosse goutte, intimidé à l'idée de croiser le regard de cette créature. J'avais peur. Peur de ne pas être à la hauteur, de mourir, d'abandonner le sort d'Erika à cette infâme existence.


« Du calme Reisuke, me murmurai-je en essayant de contrôler mon rythme cardiaque. C'est exactement comme un entraînement à la caserne. Tu as déjà affronté des flammes, des bâtisses fragiles pouvant s'écrouler à n'importe quel moment… Tu sais ce que c'est que de risquer ta vie pour en sauver une autre. Alors fonce. »


Je repris ma course effrénée vers la libération de mon amie, profitant de l'espace m'étant donné pour être plus libre dans mes mouvements. Je gardai en tête l'atmosphère dégagée par une maison en flammes, ou par une sauvetage périlleux. Ainsi, lorsque le reptile tenta de me cracher une salve de venin, il me fut aisé d'esquiver l'attaque tout en conservant mon sang-froid et ma concentration. Mon objectif n'était plus de vaincre ce reptile, c'était Erika. Si je sortais la jeune fille de cet état de transe, peut-être allait-elle pouvoir rappeler cette chose une bonne fois pour toutes.


Alors je courais, encore et encore, en essayant de semer les assauts du monstre. Mes coups de feu furent facilement déviés, mais ce n'était plus mon objectif. Ainsi, lorsque j'eus tiré ma dernière balle, au lieu de foncer sur le reptile, je disparus furtivement dans la ruelle où se trouvait toujours Erika.


« Erika ! lui hurlai-je. Il faut absolument que tu te – »


Je n'eus pas le temps de terminer que je fus saisi par l'un des bras du monstre, qui apparemment pouvait l'allonger à sa guise. Elle me rappela devant son énorme visage, me tirant des gémissements de souffrance ne couvrant même pas les sifflements de rage de sa chevelure. Les serpents la composant tentèrent de me mordre à plusieurs reprises, tandis que ligoté, je tentai tant bien que mal de les repousser. J'agrippai l'un d'eux, puis l'étranglai de toutes mes forces. Cela eut pour effet de faire souffrir toutes les autres consciences, y compris la femme qui me lâcha sous la pression de la douleur.


La bête fut enragée. Ses yeux devinrent aussi noirs que du charbon tandis que la lueur les animant devint aussi violette que la catastrophe ayant eu lieu des décennies auparavant. Dans un accès de fureur, elle brisa la route pour en soulever un morceau de parpaing qu'elle prévoyait de me projeter en plein visage avec sa queue. Si je me prenais cette chose, c'était la fin. Je déglutis. Je devais retrouver Erika coûte que coûte, tant que sa créature portait ce bloc de pierre et ne pouvait pas me rattraper.


Une fois arrivé près de mon amie, toujours figée dans le temps, je sautai afin de l'agripper. Sous mon poids, elle redescendit au sol. Je dévisageai sa créature qui, à peine arrivée, montra pour la première fois depuis son apparition un signe de faiblesse.


« N'essaie pas de me lancer ça, sinon elle y passera aussi ! hurlai-je à l'intention de la créature, en espérant qu'elle me comprenne. Si tu tentes quoi que ce soit, je m'occupe d'elle !


— Tu n'oserais pas, me répondit la voix grave et chargée de haine de la créature. Je sais à quel point tu aimes cette fille.


— Tu veux vraiment tenter le coup ? rétorquai-je en essayant de masquer au mieux ma peur. Je n'hésiterai pas si cela peut m'éviter de mourir. »


De longues secondes passèrent. Cette chose me dévisagea d'un air profond, comme si elle lisait mon âme. Elle semblait cependant une piètre lectrice, puisqu'elle mordit à l'hameçon, et reposa le parpaing au sol. Elle rappela ses serpents dans sa chevelure. Mais ce n'était pas fini. Je n'avais pas encore réglé la situation. Je n'avais pas causé la moindre égratignure à mon ennemie. Ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle ne reprenne son offensive.


« Fédération ETHER, tous ensemble ! cria une voix masculine pleine d'assurance provenant de la place. »


Un coup de feu, puis deux. S'ensuivit une salve de tirs venant acculer le reptile qui n'eut d'autre choix que de se retourner vers ce qui semblait être une garde nous portant secours. Je sortis de la ruelle afin de voir ce qui se déroulait. Quelle fut ma surprise lorsque je constatai qu'en face du monstre se trouvait une autre créature féminine, totalement humanoïde pour sa part. Une géante aux longs cheveux bruns et aux yeux de la même couleur, rayonnant cependant en permanence d'un éclat vert/jaune lui couvrant tout le corps. Une expression de détermination était dessinée sur son visage, soulignée par un regard assassin montrant deux iris portant en eux le symbole de la radioactivité.


Deux solutions étaient possibles : soit j'étais dans un rêve et on allait me réveiller, soit en l'espace d'une demi-heure le monde entier était devenu un enchaînement d'évènements n'ayant aucune logique. Toujours était-il que je n'avais pas le temps de regarder ces gens affronter le monstre. Il fallait que je retourne auprès d'Erika, et que je la stoppe.


« Erika je t'en prie, reprends tes esprits ! Reviens à moi et prends en main ton destin plutôt que de laisser cette chose te contrôler !


— Rei… murmura la jeune fille tandis que je resserrai mon étreinte. Qu'est-ce qu'il se passe… ? »


J'avais beau essayer de la ramener à elle, il n'en était rien. Elle était plus inaccessible que jamais. Erika était liée à cette chose. Plus le reptile se défendait avec ardeur, moins je pouvais raisonner mon amie. Elles dépendaient de la motivation et l'énergie de l'autre. L'humaine n'était pas celle qui dominait dans le rapport de force, elle subissait donc tous les états d'âme du reptile.


Mais à force de paroles, Erika se calmait, tout doucement. J'entendais également la fédération ETHER maîtriser mon ennemie. J'y jetai un œil. La géante semblait s'être alliée avec un chevalier blond en armure, et tous deux étaient suffisamment forts pour contenir les attaques du monstre. Mais ce n'était pas encore fini. L'hostile créature, dans un accès de rage, poussa un hurlement synchronisé avec Erika qui se laissa de nouveau happer par la colère. Elle me repoussa de quelques mètres.


Je me relevai péniblement. J'étais à ma limite. En tombant j'avais enfoncé les morceaux de verre plantés dans ma chair, ce qui m'avait fragilisé au point de ne plus pouvoir faire de gestes brusques. Il fallait cependant que je raisonne Erika. Quelqu'un devait lui porter secours.


Mais alors que tout était sur le point de basculer, je sentis une lourde présence arriver dans notre espace.


« Zéphyra ! hurla une voix féminine que je ne connaissais pas. Time Freeze ! »


Au moment même où elle prononça ces mots, le temps autour d'Erika et moi sembla s'arrêter. Seul le combat entre ETHER et mon ennemie continuait, tandis que le reste du monde resta en suspend. Quelqu'un arriva dans la ruelle où nous étions, en marchant d'un pas lourd. Je ne pouvais pas discerner son visage ni son corps puisque l'individu était couvert d'une longue cape noire masquant son identité. Il se plaça entre moi et Erika, avant de prendre la parole.


« Ce n'est pas comme ça que tu résoudras tes problèmes Reisuke, dit la même voix que celle ayant arrêté le temps. Regarde plutôt. »


Une seconde suffit. La femme donna un coup de poing droit dans l'estomac d'Erika, laissant cette dernière gémir un cri de douleur avant de s'écrouler au sol. Les cheveux de mon amie reprirent leur couleur d'origine tandis que son monstre disparut en une pluie de fines lumières s'évaporant dans les airs. Désormais inconsciente, la jeune fille venait d'être calmée par la force, ou plutôt, réduite au silence.


Je restai subjugué, les yeux écarquillés. Mais avant que je ne puisse protester, l'être semblant vraisemblablement féminin me coupa la parole.


« Sois heureux que j'étais dans le coin. Je vais régler ce problème pour toi. Zéphyra ! Time Rewind ! »


Une seconde suffit pour que l'environnement autour de moi ne change. Les dégâts avaient disparu. Tout était redevenu exactement comme ça l'était avant l'intervention de « Purple Revolution ». La fondation ETHER s'était éclipsée en emportant avec eux le groupe m'ayant assailli plus tôt, tandis que la foule avait repris son activité d'origine, comme si rien ne s'était passé avec le monstre d'Erika. La personne s'éclipsa, nous laissant Erika et moi complètement guéris de nos blessures, non pas sans prévenir au préalable qu'elle s'était chargée de nos assaillants.


Tant de questions se bousculèrent dans mon esprit, et je n'étais pas le seul. Erika, qui avait repris connaissance, me fixait, aussi subjuguée que moi. Je n'avais pas eu le temps de demander des comptes à cette personne, ni aux autres. Comment mon amie avait-elle sorti ce monstre, et surtout, quelles étaient toutes ces facultés qu'ils avaient eux aussi employées ?


« Bordel ! s'exclama la voix d'un adolescent que je connaissais. Ils font quoi, Erika et Reisuke !? »


Je déglutis. Le temps avait vraiment été rembobiné, puisque la voix qui venait de la place de l'espoir n'était autre que celle de Kenny Delacour, le guitariste du groupe. Nous échangeâmes un regard, Erika et moi. Nous nous mîmes d'accord pour reporter nos questions au soir même, puis nous nous rendîmes finalement sur les lieux du concert de « The Fallen Moon », le cœur lourd des évènements du jour.





Spoiler :


Encore sous le coup des évènements du jour, je réussis néanmoins à assurer une prestation dans la moyenne de mes compétences lors de notre concert. La voix cristalline d'Erika combinée à l'intonation forte et grave du leader de notre groupe, Kôsei, avait subjugué l'auditoire. Il fallait dire que tous nos fans venaient exclusivement pour les voir enflammer la scène. Notre leader savait jouer de tous les instruments que l'on pouvait imaginer en plus d'avoir une présence vocale particulièrement impressionnante sur scène, tandis qu'Erika, elle, resplendissait comme une idole en ajoutant toute l'émotion demandée par notre art.


Dans l'ombre, nous étions présents, moi, Kenny Delacour, et Marc Seiu, respectivement les deux guitaristes et le batteur. Personne ne prêtait attention à nous tant le duo de vocalistes prenait toute l'attention. Cela ne nous atteignait pas à vrai dire. Nous étions des amoureux de la musique, et non de la gloire. Pouvoir créer le champ dans lequel pouvaient s'épanouir de telles fleurs était notre seule motivation lorsque nous produisions nos mélodies.


Notre activité terminée, nous rentrâmes, Erika et moi. La pauvre était épuisée après avoir montré de telles prouesses lors du concert, mais aussi et surtout en conséquence de l'apparition de son monstre. Nous n'en avions pas encore reparlé. C'était un tabou éphémère qui ne pouvait être brisé sous aucun prétexte. Mais l'atmosphère était lourde, et au fond, nous étions l'un comme l'autre concernés par ce que l'on avait vécu ce jour. Erika, qui était d'habitude intarissable, restait dans le mutisme. Elle fixait le siège avant du bus dans lequel nous nous trouvions comme si elle allait y trouver le sens de la vie. Je n'avais pas le courage de l'interrompre, alors je l'imitai avec celui qui était devant moi. Elle me remarqua. Cela lui tira un petit rire.


« Tu as raison, j'ai l'air d'une imbécile. Inutile de faire comme moi pour me le prouver. »


Je souris. J'étais satisfait d'avoir pu l'amuser, même si cela n'avait duré qu'une fraction de secondes. Nous allions bientôt rentrer. Erika allait pouvoir longuement se reposer de cette journée éprouvante, c'était tout ce qui comptait.


Nous descendîmes juste devant chez moi, avant d'y entrer. Marie avait l'habitude que sa nièce découche pour dormir chez moi, je ne pris donc pas la peine de la prévenir. Et puis, je ne voulais pas l'alerter sur ce qui s'était passé cet après-midi. Alors nous entrâmes.


Ma seule compagnie, Erika exclue, depuis le décès de mes parents, c'était Ginpei, mon labrador couleur sable. Il était arrivé dans la famille deux ans avant que je ne devienne un orphelin, et il paraissait encore être un jeune chien. Pour une étrange raison, il avait cessé de grandir, et alors qu'il avait déjà quatorze ans, tout le monde ne lui en donnait que quatre au maximum. Il était cependant très craintif. Dès qu'un étranger passait la porte, il fuyait. Ma tutrice m'a dit qu'il devait avoir subi un traumatisme plus tôt, mais je ne pouvais pas dire ce que c'était.


« J'adore vraiment cette pièce ! s'exclama Erika qui était dans ma chambre. »


Et pour cause, la moitié de mes décorations la concernaient. Cet univers que je m'étais construit à mes heures perdues mettait en scène les moments les plus mémorables partagés avec mon amie, ainsi que tout ce que j'avais obtenu par son intermédiaire : notre groupe de rock, nos récompenses, nos délires et quelques cadeaux qu'elle m'avait offerts. Il suffisait d'un coup d'œil dans cette pièce pour se rendre compte qu'Erika représentait à elle seule la plupart de mes souvenirs.


« Je vais quand même téléphoner à Marie, répondis-je afin d'éviter la conversation fatidique. »


Je redescendis pour joindre la tante de mon amie. Je lui expliquai que sa nièce allait passer la nuit chez moi, et elle ne posa pas de problème, comme je m'en doutais. Cela me faisait plaisir de savoir qu'elle avait une confiance totale en moi. Car oui, Erika n'était pas autorisée à dormir chez quelqu'un d'autre, et en général, elle ne pouvait sortir que si je l'accompagnais. Marie avait très peur pour elle, au point de nous demander parfois si nous avions l'impression d'être suivis. Même quand je lui assurai que non, il fallait la convaincre avec force pour qu'elle chasse cette idée saugrenue de la tête.


Lorsque je revins dans la chambre, Erika dormait déjà. Elle s'était écrasée sur le lit toute habillée, comme une grosse masse. Elle était désormais affalée en ronflant la bouche ouverte. Je soupirai en souriant. Erika n'était qu'une gamine bruyante. Chacun de ses moments de grâce et de beauté étaient souvent ruinés par des spectacles de ce genre. Je voulus m'installer à ses côtés, mais elle prenait toute la place. Alors je me couchai sur un autre lit, dans la chambre adjacente à la sienne.


Je ruminai sur ce que nous avions vécu aujourd'hui. L'émotion d'Erika ayant pris une forme reptilienne, Purple Revolution, la fédération Ether et ses pouvoirs, et cette femme avec « Zéphyra ». Je n'arrivais pas à tout faire s'emboîter dans mon esprit, des tas de choses m'échappaient.


J'ouvris les yeux en sursautant. Je m'étais vraisemblablement endormi. La nuit était tombée et à en juger par les lumières encore allumées chez les voisins, il devait être aux alentours de minuit. Je me levai, il fallait que j'aille voir Erika afin de m'assurer qu'elle ne gardait aucune séquelle de nos émotions de la veille.


Je n'eus même pas besoin d'entrer dans ma chambre. L'orchestre nasal jouait son quatrième solo, et si le rythme était jusqu'ici en piano, c'était en allegro que la soliste poursuivait son récital. Alors je passai tout simplement mon chemin, le cœur léger.


Je descendis jusqu'à la cuisine. Ma radio affichait minuit trente. Alors je mis de l'eau sur le feu pour faire du thé. Mais alors que j'étais tranquillement installé en train de lire mon roman favori « L'avènement des dieux » ma sonnerie retentit.


C'était inhabituel de recevoir de la visite, surtout à cette heure. Ce n'était pas Erika que cela allait déranger au vu de son concert, mais cela restait étrange. Je me dirigeai vers la porte afin d'ouvrir. Je ressentais cependant quelque chose d'étrange, comme si la personne se trouvant derrière allait marquer mon existence à jamais.


Lorsque cela fut ouvert, j'eus la surprise de faire face à une femme, dos à moi. Je ne pouvais distinguer d'elle qu'une longue et magnifique chevelure brune qui lui descendait jusque les hanches, soulignant une silhouette élancée et sportive habillée de cuir. Elle était bras croisés, tapant du pied sur le palier en marmonnant des mots incompréhensibles. La femme, sûrement impatiente, ne me remarqua même pas. Il fallut que je fasse mine de tousser pour qu'elle se retourne, et là, je pus la voir de face.


Elle était superbe. Son visage était fin et harmonieux, son teint clair souligné par la couleur de sa chevelure. Deux grands yeux verts expressifs animés d'une étincelle éclairant son regard me fixaient tandis que j'étais bien trop occupé à la considérer. La femme vêtue d'un ensemble en cuir comprenant veste et mini-short était pleine d'assurance et semblait à première vue beaucoup plus mature que ne l'était Erika. Je lui donnais vingt-trois ou vingt-quatre ans. Un seul coup d'œil suffisait pour comprendre qu'elle possédait une très forte personnalité, puisqu'elle se tenait fièrement face à moi, sans aucune gêne, en toute franchise. Rien de discret, ni d'introverti en elle.


« Bonsoir jeune homme, entama-t-elle d'une voix mêlant chaleur et ironie. Je me nomme Hakaze, Namatame Hakaze. J'étais à votre concert tout à l'heure.


— Bonsoir… répondis-je hésitant. Si vous venez pour des singles ou autre chose lié au groupe, c'est Kôsei notre leader qu'il faut voir.


— Oh non ne te méprends pas voyons, sourit la femme. Pour être honnête je trouve que votre musique c'est de la merde. Je viens parler à Erika. »


Je dus réfréner une expression de frustration qui voulut s'incruster sur mon visage. J'avais bien raison : cette femme n'avait pas la langue dans sa poche, et je sentais vraiment que sa venue allait être problématique. Ainsi, je repris la parole, en tentant d'être le plus diplomate possible.


« Écoutez, entamai-je sans animosité quelconque. Je pense qu'il serait préférable que vous repassiez si vous voulez parler à Erika. Elle est bien trop fatiguée pour s'entretenir avec vous.


— Eh bien… soupira Hakaze. Si j'avais su qu'en plus d'Erika j'allais me taper son attaché-presse. Je n'ai pas de temps à perdre avec du menu fretin donc s'il te plaît appelle-la.


— Je me fiche de ce que vous pensez de moi, enchaînai-je, mais ici c'est chez moi, donc je décide des invités que je reçois. Sur ce, bonne soirée. »


Je refermai la porte. Enfin, je voulus le faire. Hakaze la bloqua avec son pied, ce qui me força à l'ouvrir de nouveau. Irrité par son obstination, je faisais déjà un effort de maîtrise de moi-même. Cependant, lorsque je vis qu'en plus c'était elle qui affichait un air agacé, je compris que la discussion allait être difficile.


« Ne connaissez-vous pas le sens du mot « non » !? criai-je. Vous allez foutre le camp une bonne fois pour toutes !


— Oh la ferme tu es lourd toi, soupira la brune alors que j'étais à deux doigts de m'en prendre physiquement à elle. J'ai fait tout ce chemin pour venir vous voir et tu me claques la porte au nez ! Sais-tu le sens du mot « galanterie » et « politesse », Reisuke !?


— Comment savez-vous mon nom… ? bégayai-je, surpris. Nous ne nous sommes jamais rencontrés auparavant. »


Hakaze tiqua pendant quelques secondes. Elle perdit rapidement ses moyens bredouillant quelques syllabes incompréhensibles qui ne firent qu'accentuer le malaise. Au bout de trois ou quatre tentatives, elle réussit finalement à prendre la parole.


« J'ai eu l'occasion d'entendre Erika t'appeler avant le concert, donc je connais ton nom ! sourit-elle. Coïncidence ! »


Je restai silencieux. La brune, gênée, reprit la parole d'une voix lasse et dépitée.


« Je ne suis pas du tout une personne louche n'est-ce pas ?


— Vous êtes totalement une personne louche. Maintenant bonsoir.


— Qu'il est lourd, soupira Hakaze. Écoute Reisuke. J'ai un berger allemand qui fait plus peur que toi, donc arrête de te la jouer chien de garde je veux juste parler à ta pote ! »


Je lui claquai la porte au nez. Cette femme avait décidément un sacré problème. Ce n'était tout de même pas compliqué de comprendre qu'Erika était en train de dormir, tout de même ! Qui plus est, elle voulait tout simplement me forcer la main et rentrer chez moi sans avoir mon accord ! Eh bien c'était non.


Je retournai en cuisine afin de servir le thé. Avec ma tasse, je me dirigeai vers la chambre où créchait Erika afin de veiller sur son sommeil. Pour mon plus grand malheur, je retrouvai dans la chambre éphémère de mon amie d'enfance la femme m'ayant harcelé pour que je lui ouvre la porte quelques minutes plus tôt. Elle était tranquillement assise sur une chaise, les jambes croisées, en me fixant d'un air snob.


« C'est gentil de m'apporter le thé, entama joyeusement la jeune femme. Tu vois que tu peux être sympathique quand tu le veux. »


Si je m'étais écouté, j'étais en détention préventive pour homicide dans quelques heures. Plutôt que de passer une décennie ou deux en prison, je décidai de pousser ma diplomatie à ses limites.


« Et comment as-tu fait pour entrer ici sans les clés ? Tu n'es tout de même pas entrée par la fenêtre ?


— Eh bien si ! rétorqua fièrement l'intruse. Mais j'ai dû grimper jusqu'à l'étage étant donné que tu as fermé toutes les autres. Mais ce n'est pas grave. Je sais maintenant que tu n'as pas menti et qu'Erika dort.


— Donc tu peux repasser demain maintenant que tu as confirmation qu'elle ne te répondra pas.


— Ou bien je peux passer la nuit ici et attendre qu'elle se réveille. Une seule proposition est bonne, je penche pour la mienne. D'ailleurs tu me tutoies maintenant, donc le plus gros de la sociabilisation est fait ! »


La tasse que je tenais dans la main céda sous le poids de mes nerfs. Elle éclata en mille morceaux, laissant le liquide chaud, presque ardent, brûler ma chair. Je me retins de hurler ma douleur, mais ce fut difficile. À la place, je me ruai à la cuisine afin de passer ma brûlure sous l'eau glacée. Hakaze me rejoint rapidement. Elle était déjà prête à se moquer de moi, je le sentais.


« Je vais appeler les flics, grognai-je. J'ai été assez patient avec toi.


— Connaissant les forces de police actuelles, même si tu les appelais, cela ne ferait que rendre la situation encore plus déplorable, soupira la femme. Arrête donc de verser de l'eau, donne-moi ta main.


— Et pourquoi faire ? rétorquai-je méfiant. »


Agacée, elle se saisit de mon membre sans même demander la permission. Elle l'essuya avec le torchon à vaisselle, me faisant grimacer de douleur. Hakaze y plongea son regard, comme pour constater les dégâts qu'elle avait causés. Elle sourit. Elle prit ma main dans les siennes et l'y enferma, avant de prendre la parole une fois de plus.


« Zéphyra, Anagénnisi, murmura-t-elle en fermant les yeux. »


Une intense lumière similaire à un rayon de soleil surgit des paumes de ses mains afin d'inonder la mienne de leur éclat. Je restai bouche bée face à ce que faisait Hakaze, sous nos yeux. Des tas de réponses me vinrent d'un seul coup. Cette voix, Zéphyra… Je compris en quelques instants plusieurs choses importantes auxquelles je cherchais des explications.


Trente secondes passèrent, et la lumière se dissipa. La jeune femme lâcha ma main, comme si elle me la rendait après l'avoir empruntée. J'y passai mon regard, et là, je fus stupéfait. La brûlure et la douleur n'étaient plus qu'une histoire ancienne. Je venais d'être soigné, exactement comme lorsqu'Erika avait éveillé son monstre et que j'étais à bout de forces.


« Tu es… cette personne qui a arrêté le temps… »


Elle ne me répondit pas tout de suite. A la place, elle me fixa d'un sourire paisible, presque affectueux, dans lequel je ne pouvais rien lire. Lorsqu'elle reprit la parole, elle était soudainement devenue plus douce et calme.


« Alors, es-tu décidé à m'écouter, Reisuke ? »


Je déglutis. Sans lui répondre, je mis de nouveau de l'eau sur le feu, cette fois pour deux tasses. Je l'invitai finalement à s'asseoir à table, ce qui sembla lui faire plaisir. Le thé infusé, je lui amenai, et m'installai face à elle.


« Je vais te montrer quelque chose, me dit-elle calmement. Regarde. »


Elle passa sa main dans son corsage, trifouillant quelque chose qui semblait être dans son soutien-gorge. Elle en ressortit quelque chose d'étrange : un pendentif semblant en or représentant une espèce de soleil dessiné à l'ancienne, comme une vieille relique égyptienne ou aztèque. Cela semblait à la fois aussi éclatant qu'un collier neuf, mais aussi usé qu'une babiole antique. C'était plutôt fascinant à vrai dire.


La brune s'adressa à moi en essayant de captiver mon attention.


« Ceci est une relique quantique. Le soleil de Zéphyra. Par cet objet, je peux appeler Zéphyra, la commandante des armées du sanctuaire céleste. Elle possède des pouvoirs qui lui permettent de se battre, et elle me prête allégeance au travers d'une alliance que nous avons conclue.


— Zéphyra… répétai-je, comme pour me le graver en mémoire. C'est un esprit, un familier ?


— Non, ni l'un ni l'autre. s'amusa Hakaze face à mon ignorance. Laisse-moi t'expliquer un peu. Nous, sur terre, nous sommes dans une dimension nous étant propre. Mais il en existe une autre, dont les propriétés sont différentes. Son nom est Izrath.


— Izrath ? répondis-je sceptique. Qu'est-ce que c'est que ça ?


— Izrath est une dimension dans laquelle cohabitent des espèces différentes de nous. Ces êtres grandissent dans une atmosphère différente, baignée dans l'énergie quantique de leur monde, le Kvantiki. Cette force abstraite inondant en permanence leur monde leur a permis de développer des pouvoirs, des facultés diverses, dont tous les Izrathiens jouissent. La relique quantique que tu vois est un objet qui me permet de communiquer avec Zéphyra d'Izrath et d'ouvrir une passerelle qui l'amène dans notre monde à nous.


— Et donc, ce reptile qu'Erika possède en elle serait un habitant d'Izrath ?


— Précisément, sourit Hakaze. Le reptile en question est une habitante de la province Citrine d'Izrath. Le nom par lequel elle se fait appeler est : Toratura, la princesse des serpents. Elle est une membre de la famille royale du royaume reptilien d'Izrath, fille de Draekort. Ils sont connus pour être féroces, ils sont toujours en guerre. Je ne sais pas comment Toratura est entrée en contact avec Erika, mais une chose est certaine, elle a un objectif précis et je me dois de savoir lequel.


— Je vois. Donc si je récapitule. Izrath possède des créatures magiques, et ces babioles permettent de les appeler. Toratura est une Izrathienne, et on ne sait pas ce qui l'amène ici.


— C'est bien cela, approuva Hakaze.


— Cela explique tout ce que j'ai vu aujourd'hui… Pas étonnant que je ne comprenais plus rien à ce qui se déroulait sous mes yeux. Et donc, sais-tu comment aider Erika ?


— Je ne peux pas me prononcer pour le moment. Il faut que je m'entretienne avec Erika d'abord. Je compte sur ta coopération, Reisuke. Peut-être pourrons-nous empêcher Toratura de nuire, et la renvoyer à Izrath. »


Finalement, la venue de Hakaze n'avait pas été si vaine, bien au contraire. J'avais désormais le début d'une piste concernant Erika, ainsi que cette princesse des reptiles, dont le nom n'était autre que Toratura. Grâce à l'aide de l'intruse, je pus enfin discerner un chemin me menant à la paix de mon amie d'enfance, et c'était tout ce dont j'avais besoin.


J'installai une couche de fortune à Hakaze sur le divan, puis je m'installai dans l'autre, et nous parlâmes jusqu'à nous endormir tous les deux dans le salon.


Je ne réalisais pas encore que les prochains jours de ma vie allaient être les plus décisifs pour nous tous.





Spoiler :


J'oubliai l'espace d'une nuit tout ce qui s'était passé, notamment concernant Izrath et Toratura, la princesse des serpents. Lorsque je repris connaissance, je constatai avec surprise que je n'avais même pas la moindre courbature après l'effort d'hier, alors qu'une séance de sport trop violente me laissait généralement en kit Ikea du lendemain. Les talents de guérisseuse de Zéphyra étaient encore plus puissants que je ne le pensais.


Hakaze n'était plus dans son lit, mais je savais où elle se trouvait, puisqu'un nuage de fumée noire comme l'ébène émanait de la cuisine. Je bondis du divan, afin de m'y précipiter avant que la catastrophe ne devienne plus importante.


Les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent en me voyant. Elle appela son Izrathienne à la rescousse afin qu'elle fasse disparaître la vapeur noire de l'atmosphère, avant de remettre en état mon grille-pain explosé au milieu de la salle, visiblement objet du litige. Mon appareil reprit sa forme initiale, avant que le cataclysme Hakaze ne vienne le détruire. Cette dernière, visiblement blessée dans son orgueil, entama son offensive avant que je ne déploie la mienne.


« Ton grille-pain est stupide. Dis-moi qui sur cette terre ressent le besoin d'avoir des fonctions tactiles pour un truc aussi simple !?


— Erika, soupirai-je, dépité. Quand elle a vu le gadget elle a absolument voulu l'acheter.


— Oui eh bien dans tous les cas, pour se faire des tartines, ça laisse à désirer. »


Ainsi nous convînmes qu'il était préférable que je sois celui préparant le petit-déjeuner. J'en profitai pour donner des conseils sur la manière d'utiliser le petit électroménager à Hakaze qui, semblant vraiment attentive, me scrutait avec insistance. La moindre prouesse que j'accomplissais l'émerveillait, ce qui m'indiqua qu'elle n'était vraisemblablement pas une femme d'intérieur. Cela me fit sourire.


« Donc concernant Izrath, entamai-je déterminé alors qu'elle mangeait goulûment ses tartines grillées, c'est une dimension de laquelle proviennent des Izrathiens, mais nous les humains, nous pouvons passer chez eux aussi ?


— En théorie c'est possible oui, répondit Hakaze la bouche pleine. Mais pour l'instant personne n'a trouvé un procédé concret pour y accéder. Il faut savoir, Reisuke, que depuis 1988, les personnes liées à des Izrathiens sont plutôt mal vues au Japon. Le sujet est devenu tabou, et le nombre d'individus liés à Izrath a baissé en conséquence.


— Serait-ce lié à cette catastrophe s'étant déroulé cette année-là ? L'explosion de la centrale qui a séparé en deux Tokyo, le « Purple Requiem » ?


— Précisément. Avant cet incident, Izrath était connu de pas mal de personnes, et beaucoup possédaient une relique quantique. Le Kvantiki était une énergie renouvelable surpassant le gaz et l'électricité, et naturellement, Tokyo était prospère. Seulement, depuis la catastrophe, plus personne ne fait confiance à cette énergie, et tout a été mis sur le dos d'Izrath. Si je devais faire une estimation, je dirais que 5 % de la population connaît encore son existence. »


Voilà pourquoi ces personnes se battaient avec des pouvoirs semblant incroyables. Tout s'emboîtait finalement dans mon esprit. Erika avait un lien avec une Izrathienne, et cette fédération ETHER également. « Purple Revolution » quant à eux étaient loin d'imaginer cela, puisque cette dimension parallèle était un sujet tabou.


« Certaines personnes ont encore des reliques quantiques en leur possession et se servent des Izrathiens pour des objectifs personnels et parfois peu louables, avoua Hakaze. Par leur faute, tout le monde croît que le Kvantiki et Izrath sont la source de problèmes. Et moi, je veux faire taire ces dires, et laver le nom des scientifiques ayant travaillé dans le but de rendre cette énergie accessible à tous. Je suis une agente de la fédération ETHER branche japonaise et c'est mon travail.


— Tu es donc avec ceux qui ont affronté Toratura. Cela veut dire que ton objectif est d'exterminer Erika ? Je te préviens, cela fait longtemps qu'Erika lutte avec cette chose, je peux assurer qu'elle ne blesse personne de son plein gré.


— Ne t'en fais pas, me rassura-t-elle, j'ai compris qu'Erika n'était pas en coordination avec les désirs de Toratura. Je suis donc venue dans le but d'aider ta copine, tout simplement. Un ami m'a dit un jour : « Ne renonce jamais à l'espoir sommeillant en une personne ». Je laisse donc une chance à cette fille. »


Elle éveilla ma curiosité lorsqu'elle mentionna son ami ayant le même type de discours que ceux d'Erika. Il était un jeune homme qui étudiait le Kvantiki depuis un moment et s'était engagé dans la branche policière de la fédération ETHER. Il accomplissait donc beaucoup de missions en compagnie de Hakaze, qui était devenue sa partenaire officielle. Elle le désignait comme particulièrement productif, mais beaucoup trop sentimental. Il l'avait protégée dans beaucoup de piteux scénarios, ce qui faisait de lui la seule personne sur laquelle Hakaze pouvait se reposer sans une once de remise en question. Elle me certifia cependant qu'il pouvait être un sacré abruti et qu'il ne fallait pas lui donner trop de crédit.


Je voulus commenter, mais je fus interrompu par une voix plus aiguë que celle de mon interlocutrice. Cette personne, qui semblait nous écouter depuis un moment déjà, trancha l'échange d'une intonation sèche et sévère, comme une institutrice aurait réprimandé des bavardages.


« Je vois que tu te paies du bon temps pendant que je dors, siffla Erika d'une intonation similaire à celle de son reptile. »


Elle me fixait d'un air assassin, comme si j'étais coupable de quelque chose. Mais elle n'était pas vraiment crédible, puisqu'au bout de quelques secondes, elle se mit à bouder en gonflant les joues comme un enfant en bas âge. Elle me tira un petit rire qui l'agaça encore plus. Elle désigna Hakaze du doigt.


« Qui es-tu, toi ? Et qu'est-ce que tu fais ici ?


— Eh bien j'ai tout simplement passé une folle nuit d'amour avec ce jeune homme, s'amusa Hakaze tandis que je recrachai mon thé. J'ai toujours eu un faible pour les sportifs.


— Arrête de dire n'importe quoi, la coupai-je. Hakaze est venue pour parler du reptile que tu as en toi, Erika. »


Je lui fis un condensé de ce que m'avait dit Hakaze la veille et ce matin. Mon amie resta attentive, jusqu'à ce que la femme ne sorte sa relique quantique. La jeune fille eut un sursaut de surprise. Elle prit l'objet dans ses mains et le scruta quelques secondes.


« Je pensais être la seule à posséder un tel objet…


— Tu savais donc que la relique était à l'origine de ton pouvoir, conclut Hakaze, pourquoi ne pas en avoir parlé à Reisuke ?


— Qu'insinues-tu, Hakaze ? rétorquai-je, agacé. Erika serait complice de cette chose selon toi ? »


Erika posa sa main sur mon bras, me faisant comprendre que je ne devais pas m'en prendre à notre interlocutrice. Mon amie sortit à son tour un pendentif de sous son tee-shirt. Contrairement à celui de Zéphyra, il ne représentait pas un soleil d'or, mais une tête de serpent vertes aux yeux pourpres qui luisaient d'un éclat étrange.


« Erika, comment as-tu obtenu ce pendentif ?


— Aussi loin que je m'en souvienne, je l'ai toujours possédé. J'ai tenté plusieurs fois de m'en débarrasser, mais rien à faire. Chacune de mes tentatives s'est soldée par un échec. Il revenait et s'accrochait à mon cou.


— Je vois, soupira Hakaze, tu ne peux donc pas l'enlever et tu ne sais où tu l'as obtenu. C'est agaçant.


— Cela doit venir de mon enfance je pense. J'ai emménagé ici avec ma tante lorsque j'avais six ans, et je le possédais déjà. »


Hakaze marqua une pause pour réfléchir. Elle attrapa une feuille qui traînait sur ma table — et qui au passage était le verso de ma facture d'électricité —, et y gribouilla des tas de schémas qui semblaient l'aider à penser au problème d'Erika. Je ne comprenais pas ce qu'elle notait, mon amie non plus. Seule la brune semblait pouvoir se relire et tirer des conclusions en conséquence de ses réflexions.


« Je récapitule, reprit-elle, sérieuse. Erika débarque ici à ses six ans, soit douze ans plus tôt. Elle arrive ici avec une relique quantique dont elle ne connaît pas la provenance, et ne parvient pas à s'en débarrasser. Ce pendentif est différent du mien, puisqu'il appelle Toratura contre le gré d'Erika, et plonge cette dernière dans un état de transe.


— C'est ça oui, acquiesça Erika, et j'ai tout tenté pour jeter cette chose.


— Tu ne pourras pas la jeter. Si tu n'as pas réussi à t'en défaire, c'est parce que tu as d'une manière ou une autre, conclus une alliance avec Toratura. Ce contrat, qui est exactement comme un engagement de travail de notre monde, implique des conditions dans lesquelles elle peut traverser Izrath pour venir chez nous. Tant que tu seras alliée avec elle, le pendentif te reviendra perpétuellement.


— Je suppose qu'il ne reste plus qu'à tenter de le détruire, suggérai-je.


— Impossible, soupira Erika, abattue. Ce n'est pas faute d'avoir essayé.


— Nous allons avoir besoin de l'aide d'un spécialiste, sourit malicieusement Hakaze. Venez avec moi. Je vais rendre visite à mon père. »


Elle nous expliqua que son père était une personne compétente et nous invita à la suivre. Je dus convaincre Erika qui restait méfiante à son égard, ce qui était une première pour moi. Cependant, je ne ressentais rien de mal provenant de Hakaze. Alors après quelques minutes de négociation, mon amie baissa les armes.


Nous sortîmes de chez moi après que tout le monde ait eu le temps de prendre une douche. Suivant Hakaze, nous marchâmes une bonne heure puisque selon elle, aucun transport ne desservait son coin. Sceptique, je ne remis néanmoins pas en cause ce qu'elle avançait. Le silence pesait sur le groupe. Erika était généralement celle qui faisait la conversation, mais elle était cette fois assez hostile envers notre nouvelle alliée. Cette dernière, qui menait le pas, se retourna au bout d'un moment afin de se moquer de nous.


« Alors le couple ! rit-elle. Vous avez perdu votre langue ou c'est mon charisme qui vous impressionne au point de vous laisser sans voix ? »


Nous laissâmes couler cette auto-flatterie de la part de la propriétaire de Zéphyra et nous la suivîmes. Je pris la parole, afin d'essayer de cerner au mieux le personnage qu'elle représentait.


« Dis-moi Hakaze, comment en es-tu arrivée à rencontrer Zéphyra et t'engager dans ETHER ?


— Il est vrai que je ne me suis pas présentée convenablement, sourit la brune. J'ai vingt-trois ans et je dis avec mon père, un scientifique ayant voué sa vie à comprendre Izrath et développer des gadgets plus ou moins utiles grâce au Kvantiki. Pour l'imiter je me suis intéressée à cet univers, et j'ai rencontré Zéphyra. Nous nous mobilisons tous les trois pour éviter que des Izrathiens ne se fassent utiliser par des personnes perfides.


— Je ne suis donc pas ton premier cas pratique ? demanda Erika.


— Tu es l'un des premiers à vrai dire. Je ne suis présente sur le terrain que depuis quelques années. J'ai à peine croisé une centaine de personnes possédant un lien avec Izrath. Ici, il y en a moins qu'ailleurs, en France par exemple, où siège la branche principale d'ETHER.


— « À peine » cent personnes, raillai-je. Ce n'est vraiment pas grand-chose. »


Hakaze lâcha un petit rire qui me contamina. Avant que je ne puisse reprendre, elle nous indiqua que nous étions enfin arrivés chez elle et son père. Elle ouvrit une porte en bois colossale que nous franchîmes, nous laissant découvrir une gigantesque forêt à l'apparence singulière.


L'espace était recouvert d'une pelouse en friche dans laquelle s'épanouissaient des fleurs et des plantes d'une incroyable diversité. Le centre de ce qui était comparable à une prairie était quant à lui bien dégagé, comme pour laisser place à la faune alentour. Je fus stupéfait par ce spectacle. Certaines de ces espèces ne pouvaient pas pousser sous le climat japonais, et pourtant elles resplendissaient, et évoluaient vraisemblablement sans artifice quelconque. Une colonie d'arbres se dressait fièrement tout autour de nous, comme pour délimiter l'endroit. Ils s'élevaient majestueusement dans les airs et nous procuraient une fraîcheur irréprochable en bloquant les rayons du soleil au-dessus de nous. Quelques rayons bien chanceux parvenaient à illuminer la forêt d'une bénédiction agréable tandis que la douce brise nous caressant le visage s'écrasait frénétiquement sur le feuillage de la végétation, brisant le silence par un délicat frottement nous chatouillant les oreilles.


Je n'avais aucun mot suffisamment puissant pour illustrer ce que je ressentais en ces lieux. J'étais comme chez moi dans cet espace semblant écarté de toute civilisation. J'enviais quelque peu Hakaze et son père, j'aurais bien voulu vivre une éternité ou deux dans cette forêt moi aussi.


« C'est magnifique, murmurai-je, émerveillé.


— N'est-ce pas ? me sourit Hakaze. J'aime beaucoup cet endroit. J'y passe la plupart de mon temps. Mon père et moi nous sommes venus ici lorsque j'avais une dizaine d'années nous ne sommes jamais partis.


— Ton père vit ici ? s'étonna Erika, aussi abasourdie que moi.


— En effet, il vit ici également. L'espace nous sert de logement, mais aussi et surtout de repaire pour le travail. Au fond de la forêt, nous avons installé un laboratoire dans lequel nous effectuons nos recherches. Par ailleurs, étant donné que cet endroit regorge de Kvantiki, il sert aussi de refuge aux Izrathiens qui, pour une raison ou une autre, ne peuvent retourner chez eux et sont bloqués ici.


— Tiens tiens, nous interrompit l'écho d'une voix loufoque chantonnant dans la forêt. Dame Hakaze est de retour !


— Eh bien, soupira Hakaze, vous allez bientôt connaître l'un d'eux. Je vous en conjure, ne jugez pas tout le peuple avec ce seul échantillon. »


Lorsque je pointai mon regard vers l'endroit d'où provenait la voix grave, je distinguai une silhouette imposante. Sa présence se rapprocha de plus en plus de nous, me laissant apercevoir une carrure d'homme s'avançant d'une démarche assurée. Une cape flottait dans son dos, cela lui donnait un certain charisme. Lorsqu'il fut suffisamment proche, je pus le considérer. Il était un chevalier en armure, exactement comme dans les romans de fantaisie. Un grand blond à la touffe de cheveux ébouriffée et aux grands yeux verts expressifs. Je le reconnus directement. Il était ce chevalier qui avait affronté Toratura. Je n'aurais pas cru qu'il était un Izrathien. Pour être honnête, si ce n'était pour le reflet étrange animant son regard, je n'aurais pas pu le différencier d'un humain.


« La vie m'honore une nouvelle fois de votre sainte présence, dame Hakaze., déclara le chevalier en pliant un genou et se prosternant devant la jeune fille. J'ose espérer que damoiselle Zéphyra se porte bien également.


— Arrête de m'appeler comme ça, Medrawt, soupira la brune. Mets-toi à jour sur le plan linguistique. Zéphyra se repose après un dur labeur. J'espère que tu as honoré le tien de ton côté.


— Évidemment, reprit le chevalier d'un air snob. Que ne ferais-je pas pour ma chère et tendre dame du lac ? Vous faites brûler ce petit cœur de moi, damoiselle Hakaze. Vous m'animez de la fougue d'un jouvenceau voulant conquérir le petit cœur d'une jeune pucelle ! Et croyez-moi, je suis le meilleur lorsqu'il s'agit de – »


Le héros du jour s'arrêta net lorsqu'il notifia ma présence. Il agita sa tête, faisant des allers et retours entre moi et Hakaze, d'un rythme frénétique. Il bégayait en même temps « toi, et lui, toi, et lui, ensemble ? ». Impossible de s'y tromper, le dénommé Medrawt vit en moi un rival en amour, et cela sembla déclencher en lui une réaction aussi spontanée que pathétique, qu'il confirma lorsqu'il vint geindre à Hakaze.


« Je ne puis y croire, dame Hakaze ! hurla le chevalier d'une voix brisée par le chagrin. Je ne puis croire à cette cruauté que vous infligez à votre dévoué serviteur ! N'était-il pas suffisant d'avoir amené un homme ayant brisé ce petit cœur de moi, qu'il faille renouveler cette vile couardise une seconde fois !? Cet amour de moi est brisé ! Piétiné ! Traîné dans la boue ! Dans le trépas !


— Nous n'avons aucune relation ensemble Medrawt, soupira l'intéressée, et nous n'en aurons jamais.


— Han ! Les mots cruels de cette bachelette que je comptais épousailler viennent s'abattre tristeusement sur ce petit cœur de moi ! Que l'on me mortisse si je ne puis impressionner cette damoiselle pour laquelle même la vergogne ne me trouillerait point !


— Silence, le coupa Hakaze, ferme. Ces deux-là sont mes invités. Va prévenir mon père que je les lui amène afin qu'il mette fin à ses travaux. »


Le chevalier s'arrêta, net. Hakaze semblait avoir une certaine influence sur lui. Il baissa la tête, semblant essayer de se convaincre lui-même qu'il devait obéir à la brune, mais il ne sembla pas y parvenir.


« Je ne puis pas ! hurla-t-il de nouveau. Je ne suis point venu pour me souffrir d'accord !? Je ne puis tolérer cela ! Lorsque vous avez amené ce bon gaultier la dernière fois, je suis devenu le second plan de votre vie ! Et là, vous voudriez m'en amener un autre !? Mortecouille ! Je ne puis laisser ma dame du lac se faire arracher à ce petit cœur de moi de la sorte ! »


L'Izrathien rumina, puis se retourna vers moi en me désignant du doigt. La colère et la frustration étaient inscrites sur le visage du blond dont les yeux luisaient d'un éclat bien plus fort que lorsqu'il affichait une expression neutre. Sans me laisser le temps de m'expliquer, il prit la parole en me dévisageant.


« Toi là-bas ! Je suis Medrawt, le gardien de ce saint lieu que tu oses fouler de ton pied de scélérat, et le responsable de la sécurité de mes pairs ! Je ne puis tolérer l'infiltration d'un gueux à l'allure dévergoigneuse accompagné de sa gourdasse toute aussi lacrimable !


— Que tu m'insultes passes encore, grognai-je, mais je refuse que tu malmènes Erika !


— Voilà que le vil coquebert dévoile ses intentions scélérates ! Bien ! Toi qui oses pénétrer ces lieux pour me voler ma vie, viens donc subir le courroux de l'épée du chevalier noble ! »


Devant l'insistance de cet être respirant l'idiotie, je n'eus d'autre choix que de me soumettre à ses règles si je comptais progresser. Je devais affronter le responsable de la sécurité des lieux afin de gagner mon droit de séjour ici… Mais de quelle façon ? Lorsqu'il me balança une épée qui se planta dans le sol, je compris alors que je m'étais fourré dans un sacré bourbier.





Spoiler :


Le chevalier blond en armure ne cautionnait pas ma présence en ses lieux. Comme pour faire valoir son hostilité, il m'avait proposé un défi. L'épée plantée dans le sol semblait lourde, très tranchante, exactement comme une arme d'un univers de fantaisie. Je soupirai. Il allait falloir que je me batte contre lui. Ainsi, comme pour en finir vite, je me saisis de l'épée que je tentai de déterrer, en vain. Elle était beaucoup trop puissante pour que je ne la soulève. J'essayai de la main droite, puis de la gauche, enfin, des deux mains, sans aucun succès. Impossible de ne serait-ce que la désaxer.


« Je n'en peux plus, soupira Hakaze, ne me dis pas que tu lui as refourgué l'arme de cinquante kilos de l'autre abruti ?


— L'épée de mon jouvenceau est une arme de qualité, répondit Medrawt d'un air snob. S'il n'est point capable de se saisir de ce délicat artefact, je ne puis rien pour ce gueux. »


Constant mon incapacité à prendre l'arme — et pour cause, elle faisait les deux tiers de mon propre poids —, le chevalier en armure se donna une tape sur le torse d'un air fier. Il reprit ensuite avec arrogance, apparemment rassuré à propos de ce duel de virilité absurde.


« Ne te force pas trop fol dingo. Si j'avais été mis au courant que tu étais une bourse molle, je t'aurais directement proposé un jeu dans lequel tu avais une chance.


— Quel genre de jeu me proposes-tu ? grognai-je, agacé.


— Pierre, feuille, ciseau, en une manche gagnante. Que ce petit cœur de toi ne soit pas déçu lorsque Medrawt festoiera sa victoire. »


Je soupirai. Je mis ma main derrière mon dos, et il fit de même. Cependant, elle n'était pas totalement couverte par la carrure de l'homme de laquelle elle dépassait. Ainsi je pus voir qu'il allait jouer pierre, et je gagnai.


« Haha ! s'exclama joyeusement le chevalier ! C'était une partie test. Voyons si tu peux me vaincre en partie sérieuse ! »


Je le laissai faire. Cet abruti n'avait toujours pas remarqué que je voyais son jeu. Ainsi je gagnai une autre fois, cependant, cela ne lui fit pas perdre son sang-froid.


« Haha ! dit-il avec entrain. Tu as gagné une seule partie sérieuse, voyons si tu peux me vaincre en manche ULTRA sérieuse !


— Ça suffit Medrawt, finit par lâcher Hakaze. J'en ai plein le dos de ton numéro à deux yens, donc tu nous laisses passer maintenant.


— Pas question, reprit le chevalier, déterminé. Il doit me vaincre en partie ULTRA sérieuse. »


Hakaze bouillit de rage. Elle s'avança vers moi d'un pas lourd en affichant une expression meurtrière. Lorsqu'elle fut proche, elle souleva l'épée d'une main comme si elle n'était qu'un couteau, afin d'en donner un coup furtif à Medrawt. Ce dernier fut projeté au sol, fracassé face contre terre.


Je restai abasourdi. Erika, quant à elle, était traumatisée. Elle fixait Hakaze d'un air livide, les yeux ronds, pensant sûrement qu'il ne valait mieux pas contrarier la jeune femme.


« Quelqu'un a-t-il une autre objection à notre progression ? demanda Hakaze, nous dévisageant avec l'épée posée sur son épaule »


Aucun de nous n'osa la contester. Le malheureux blond nous avait appris qu'il valait mieux ne pas l'irriter. La maîtresse de Zéphyra nous assura qu'il avait peut-être survécu, mais pour être honnête, je n'étais pas convaincu. Elle replanta l'épée dans le sol et nous invita à la suivre. Je laissai Erika avancer, retournant sur mes pas pour essayer une autre fois de bouger cette lame, mais c'était impossible. Frustré et blessé dans ma fierté masculine, je me résignai et rejoignis le groupe.


Nous marchâmes tous les trois le long de la forêt, ce qui me permit de distinguer d'autres créatures semblant vraisemblablement venir d'Izrath. Certaines avaient une forme plus ou moins humanoïde, d'autres étaient animales. Mais quelques-unes d'elles étaient d'espèces inédites, apparemment sorties de nulle part, à l'instar de cet être ayant toutes les caractéristiques d'un oiseau, mais ayant les pattes d'un mammifère. C'était stupéfiant. Nous étions plongés dans un autre univers bien loin du nôtre, en ayant simplement poussé une porte.


Nous arrivâmes à l'entrée d'une caverne étant ma foi très intrigante. Le creux nous invitant à nous y insérer était sombre et étroit, si bien qu'il nous était impossible de discerner ce qui se trouvait derrière la paroi rocailleuse. Un frisson me parcourut l'échine. J'étais excité à l'idée de découvrir ce nouvel univers.


« Bien ! s'exclama joyeusement Hakaze. Erika, tu passes la première. Ensuite je viendrai derrière toi, et enfin, Reisuke suivra. Allez on y va ! »


L'habituée des lieux pressa mon amie, qui entra en grommelant dans la crevasse. Elle la suivit, m'invitant à faire de même. Cependant, avant même que je ne puisse entrer à mon tour, je pus déjà entendre l'écho d'une dispute entre mes deux camarades.


« Vous n'avez pas plus étroit comme entrée ? gémit Erika qui semblait avoir du mal à passer.


— Excuse-nous de ne pas avoir pensé aux poids lourds, rétorqua Hakaze, moqueuse.


— Lorsque je contrôlerai Toratura je te promets que tu seras notre première victime. »


Je soupirai, avant de les rejoindre. J'atterris dans un espace assez singulier. Un vaste lac cristallin s'étendant à une ou deux centaines de mètres, au milieu duquel jaillissait continuellement une fontaine déversant de l'eau de manière frénétique. Le bruit de la pression du flux était le seul son que l'on pouvait entendre, excepté cela, nous ne pouvions en discerner aucun autre. L'endroit était magnifique. Il était illuminé des lumières de lucioles qui se baladaient dans les environs en traînant des étincelles multicolores au bout de leurs membres. Je pris une grande inspiration, afin de m'enivrer de l'air frais du lac s'étendant à perte de vue. Tout était si calme et apaisant. Un parfum de mélancolie me chatouillait l'âme, laissant mon esprit baigner dans la quiétude et l'harmonie.


« Ce lac est important chez nous, m'interrompit Hakaze. L'eau n'est pas profonde, mais sa pression nous met à rude épreuve sur l'endurance lorsque l'on s'entraîne. Pour un combattant d'Izrath, cela l'aide à résister à la pression du Kvantiki. »


Elle enleva ses chaussures et fit un pli à son pantalon, avant de pénétrer le lac. Effectivement, l'eau n'était pas profonde. Nous imitâmes la jeune femme qui nous fit signe de la suivre. Nous marchâmes jusqu'à arriver derrière la fontaine. Là, nous y vîmes un vieil homme semblant avoir la soixantaine, habillé en kimono. Le sexagénaire semblait comme courbé sous le poids de la vie qui d'ailleurs était inscrite sur son visage par ses rides et son crâne dégarni. Il dégageait cependant un charisme incroyable. Ses yeux inexpressifs de couleur émeraude étaient ensorcelants, comme si un seul échange de regard aurait suffi à me laisser contrôler par eux.


Il était face à une autre personne : une adolescente semblant un peu plus jeune que moi, habillée du même kimono que lui. Elle était une petite rousse coiffée d'une frange carrée tandis qu'elle laissait quelques mèches souligner les contours de son visage par quelques boucles. Deux grands yeux bleu smalt profonds animaient son visage au teint de pêche duquel ressortaient des taches de rousseur. Son visage était harmonieux et bien proportionné, mais à en juger par son expression, elle semblait longue à la détente.


Nous nous arrêtâmes afin de les observer. La rouquine ne semblait pas du tout intriguée par la prestance de l'homme, puisqu'elle arrivait à le fixer en silence, l'air impassible. L'action était prenante, la pression palpable. Lorsque le vieillard prit enfin la parole, sa voix me fit un électrochoc. Une intonation grave et profonde, mais terriblement saccadée, qui me fit frémir.


« Bien gamine, ferme les yeux, détends-toi, et assieds-toi dans l'eau.


— Oui professeur, répondit solennellement la concernée. »


La fille s'exécuta, suivie par le père de Hakaze. Avant que je ne puisse poser la moindre question sur leur étrange activité, la brune nous accompagnant vint éclairer ma lanterne.


« Mon père est un expert, m'expliqua-t-elle, il est diplômé de la prestigieuse académie Rikoukei, et depuis, il s'est consacré au Kvantiki. Cette adolescente, c'est Dahlia Porreau, une fille du voisinage. Elle vient développer ses pouvoirs d'Izrath ici, en sa compagnie. Mon paternel a tendance à aimer le calme et la quiétude, et cette fille remplit les critères, donc ils s'entendent bien.


— Je vois, c'est donc ainsi que l'on développe ces fameux pouvoirs.


— C'est une façon parmi d'autres. Disons que cette manière convient à Dahlia. »


Nous les fixâmes pendant quelques minutes. Finalement, la rousse se leva, puis se mit en position de bataille, comme si elle allait attaquer le vieillard. Ce dernier ne prit d'ailleurs même pas la peine de se relever.


« Voyons si j'y parviens, entama calmement la rouquine. Cheat code activé ! Haut-Haut-Bas-Bas-Gauche-Droite-Gauche-Droite-B-A ! Ailes du soleil cramoisi ! »


La jeune fille agita son doigt, dessinant quelque chose que je ne pus discerner dans les airs. Quelques secondes plus tard, deux grandes ailes rouges, semblables à celles d'un oiseau, lui poussèrent dans le dos. Elles changèrent rapidement de couleur pour afficher des nuances de jaune et de violet se fondant dans leur teint initial. La rouquine exulta, avant de battre des ailes, pour finalement prendre son envol. Elle se déplaça dans l'espace, avant de revenir devant son professeur.


« Je suis fier de toi gamine, la félicita l'homme. Tu as enfin réussi à matérialiser le Kvantiki en un pouvoir qui te ressemble, mes félicitations.


— Merci beaucoup professeur. Je continuerai à m'entraîner dur et un jour, je rejoindrai ETHER moi aussi.


— C'est l'esprit. Cependant, repose-toi pour le moment. Rentre chez toi et passe le bonjour à ton père. »


Elle acquiesça en souriant, puis elle partit. Lorsque nous nous croisâmes, elle nous salua, avant de continuer sa route en silence. Hakaze s'avança ensuite vers son père, nous invitant à la suivre. Il ne fut pas surpris de la voir débarquer de nulle part. Il se contenta de lâcher un soupir, découragé d'avance. Je compatis en repensant à l'expérience que j'avais moi-même eue en confrontant le tempérament de la brune.


« Alors gamine, quel bon vent t'amène ?


— Papa je ne suis plus une enfant, soupira la concernée, arrête de m'appeler gamine ! Je t'ai amené un beau spécimen en plus, regarde donc. »


L'homme pointa son regard sur nous. Je dus regarder ailleurs tant il m'était difficile de le confronter. Je le sentis nous scruter de bas en haut, comme des bêtes de foire.


« Tu t'es enfin fait des amis, railla-t-il, c'est merveilleux. Amusez donc vous bien, j'ai autre chose à faire.


— Papa pour l'amour du ciel, laisse-les se présenter avant de tirer des conclusions ! Cette fille possède la relique quantique amenant Toratura du désert Citrine en Jindou ! »


Il s'arrêta net, avant de se tourner vers Erika qu'il dévisagea, l'air stupéfait. Mon amie la blonde ne semblait néanmoins pas intimidée par la pression de son regard.


« Je m'appelle Erika Kurenai. Je suis la propriétaire de la relique quantique me liant à Toratura, la princesse des serpents. Vote fille m'a vanté vos compétences en la science d'Izrath, et m'a donc menée à vous, mais pour être honnête, je doute de vos capacités. Mis à part un chevalier au QI d'une huître et une adolescente qui se laisse pousser des ailes, qu'avez-vous à proposer ? »


Je déglutis. Bien que l'assurance d'Erika m'impressionnait, il était peut-être mal pensé d'être arrogante envers la personne qui était peut-être la seule capable de nous porter secours en cette situation désespérée. Mais la blonde ne semblait pas s'en occuper. Elle dévisageait le vieillard en attendant sa réponse, tandis que moi je redoutais déjà son refus. L'intéressé s'avança vers nous, mais m'ignora totalement. Il avait trouvé un intérêt en mon amie, cela se lisait sur son visage.


« En voilà une jeune femme franche et directe, comme je les aime. Je me nomme Soichiro, maître de ce laboratoire à ciel ouvert, et accessoirement, le père de cette petite sotte.


— Papa je t'en prie ! geint Hakaze. J'ai un contrat avec toi, tu es mon patron, et tu me rémunères, donc je suis ton assistante !


— Et c'est bien pour cela que je t'envoie toujours en déplacement, pour pouvoir travailler en paix. Enfin, passons. Lorsque cela parle d'Izrath, je suis la personne la plus compétente du continent pour vous renseigner. Venez à mon laboratoire les jeunes, nous allons parler entre adultes. »


Soichiro se retourna dans la direction opposée à la nôtre et nous invita à le suivre. Nous nous exécutâmes tous afin d'accéder à son fameux laboratoire. Cependant, à ma grande surprise, il s'arrêta net. Il fit une rotation sur lui-même en me dévisageant. Il me défia de sa voix rauque et saccadée respirant le sarcasme.


« Tiens, j'avais oublié l'insecte. Laisse-moi deviner. Tu n'as aucun lien avec Izrath et tu veux simplement te rendre utile, tu es par conséquent venu dans l'espoir d'aider ta copine envers laquelle tu éprouves des sentiments n'étant un secret que pour elle.


— Je…


— Je n'ai aucune utilité pour un boulet voulant s'immerger dans un univers qu'il ne comprend même pas. Que feras-tu lorsque le monstre en elle resurgira et que l'on devra l'arrêter, à part courir dans tous les sens pour éviter de mourir ? Rentre chez toi petit, et laisse les personnes compétentes s'occuper de ta copine. »


La pression de son regard m'avait déjà terrassé, mais ces mots furent le coup de grâce. J'étais tétanisé face à cet homme. Comble de la peur, je sentais une énergie étrange provenant de lui. Une sorte de buée glaciale gravitant autour de lui dans un flux continu, comme se languissant de s'abattre sur moi.


Au bout de quelques secondes, il soupira, l'air navré. Il reprit sa route et partit sans se retourner. Cependant, je n'étais pas venu pour faire machine arrière à ce stade. Je voulais aider Erika, mais par-dessus tout, je brûlais d'envie de tout connaître sur Izrath. Charisme ou non, je n'étais pas décidé à renoncer. Ainsi, comme poussé par une puissance sommeillant au fond de moi, je lâchai un cri de révolte qui fit s'arrêter l'homme. Je piétinai la barrière du charisme jusqu'alors insurmontable afin de lui crier ce que j'avais sur le cœur de manière claire et concise.


« En effet, je n'ai aucun lien avec Izrath. J'ignore tout du Kvantiki, ainsi que de Toratura. Je débarque dans ce monde qui m'intimide, mais qu'importe. J'ai pour ambition d'aider Erika, et si pour ça je dois mettre ma vie en jeu, eh bien soit, je le ferai. Je serai le seul responsable de ma mort si j'échoue, et j'en suis conscient, donc si vous avez l'énergie requise pour faire du sarcasme, utilisez-la plutôt pour venir en aide à mon amie. »


Le lourd silence qui suivit ma déclaration me laissa réaliser que j'avais osé manquer de respect à un être aussi charismatique que Soichiro. Sa fille n'était cependant pas outrée, au contraire. Elle me fixait d'un air affectueux, comme si je venais d'effectuer une prouesse dont elle était fière. L'homme soupira, avant de reprendre la parole sans même se retourner.


« Tu as le don de me faire ramasser les cas désespérés gamine. Eh bien suis nous donc, simple humain, mais je ne réponds de rien si tu meurs. »


Enfin accepté comme un acteur du groupe qui allait tout entreprendre pour sauver mon amie de cette emprise, j'exultai à l'intérieur tandis que je rattrapai les autres. Pris d'un sentiment de puissance qui monta en moi comme le feu se propageait, j'attrapai la main d'Erika et accélérai la cadence, déterminé à changer son destin pour de bon.





Spoiler :


J'avais gagné mon droit d'accès au laboratoire de Soichiro, et pour être honnête, j'étais fier de cette prouesse. Erika, qui m'avait attendu alors que le père et la fille étaient déjà partis en avant, s'agrippa à mon bras comme elle en avait l'habitude. Nous constatâmes ensemble que progresser dans cette eau était plus difficile que dans un lac normal. Nos forces semblaient drainées à chaque pas, alors que nous n'avions que les tibias immergés. J'eus une pensée pour le vieil homme qui continuait à marcher malgré le fait que l'eau lui arrivait aux genoux.


« Rei, m'interrompt Erika, je voudrais te demander quelque chose. »


Je tournai ma tête vers elle, constatant ainsi que son regard s'était légèrement assombri. Au bout de quelques secondes d'hésitation, elle me lança un regard implorant, comme si elle allait me supplier de quelque chose de vital.


« Fais-moi une promesse. Tu l'as vu la dernière fois, Toratura est complètement sortie de moi. Sans l'intervention d'ETHER, j'étais bonne pour détruire la ville, et peut-être te tuer dans le procédé. Rei, je ne veux blesser personne, et surtout pas toi. S'il venait à t'arriver quelque chose, j'en deviendrais folle. Alors… Promets-moi de m'arrêter, peu importe ce qu'il doit m'arriver.


— Je te le promets, Erika, murmurai-je en redoutant ce scénario. Mais je suis certain que je n'aurai jamais à le faire. J'ai confiance en toi plus que je ne redoute cette chose. »


Cela lui rendit le sourire, à mon plus grand bonheur. Au fond, elle devait énormément souffrir de cette situation, alors qu'elle ne le laissait pas paraître. Erika avait toujours été comme ça. Elle cachait elle aussi son lot de souffrances, mais essayait de garder une étincelle d'innocence intacte en elle. Dès que j'essayais de parler du passé, de sa vie avant qu'elle ne déménage, quelque chose de plus sombre semblait la gagner, et elle se renfermait sur elle-même. Cela m'attristait, mais j'étais persuadé qu'un jour, elle allait s'ouvrir et crever l'abcès une fois pour toutes.


Nous rejoignîmes finalement les deux scientifiques. Nous sortîmes de l'eau, Erika et moi, tandis que Hakaze et son père étaient déjà en train de sécher. En me retournant, je me rendis compte que la caverne était bien plus grande que je l'imaginais. Cet endroit merveilleux défiait toutes les lois de la rationalité. S'il existait un tel environnement dans notre dimension, alors à quoi ressemblait Izrath ? Je mourais d'envie de le savoir, mais apparemment, il était difficile pour nous d'y accéder.


« Alors les amoureux ! lâcha Hakaze, pleine d'entrain. Un peu d'eau et vous freinez ? Vous abusez. Même mon vieux père est encore capable de traverser le lac sans soupirer !


— Dit-elle alors qu'à chaque fois qu'elle se rend à mon laboratoire, elle ne fait que se plaindre sur tout le chemin, se moqua Soichiro.


— Papa pour l'amour du ciel, pense à mon image ! »


Ce fut la première fois que je vis le père de bonne humeur depuis que l'on était arrivé. Il afficha un sourire narquois en direction de sa fille qui soupira en guise de réponse, exaspérée par l'attitude du patriarche. Elle l'avait pourtant cherché en le taclant, mais tout comme elle, il ne se retenait pas lorsqu'il s'agissait de railler une autre personne, même pas sa progéniture. Soichiro Namatame nous invita à le suivre dans son laboratoire, ce que nous fîmes après quelques instants d'hésitation. Nous passâmes au travers de la cavité faisant office de porte afin d'arriver au fond de la caverne, dans le fameux espace de travail du chef de la forêt.


Je fus surpris par le changement d'atmosphère soudain. La pièce dans laquelle nous venions d'entrer était vaste, mais surtout très peu éclairée. Cela lui donnait un air lugubre. L'endroit était vide de tout mouvement, en total contraste avec le lac que nous venions de quitter. La seule source de lumière provenait de quelques piliers violets faisant le tour de l'espace. Une lueur teintée de lavande se dégageait de chacun d'eux, me laissant discerner des cercles de la même couleur qui clignotaient au sol.


C'était stupéfiant. En avançant un peu dans le laboratoire, je découvris le bureau du scientifique, ainsi que quelques tables à expériences au fond de la salle. Près d'elles se trouvait le plus imposant des piliers luminescents de l'espace fermé. À l'intérieur semblait danser une énergie mystique dont la couleur partait du violet pour virer au rouge avant de revêtir sa teinte initiale, comme si la puissance se métamorphosait continuellement. Derrière le générateur trônait un tableau sur lequel étaient accrochés divers documents et photos datant sûrement de quelques années. J'y distinguai le portrait d'une blonde aux yeux verts portant une blouse. Sous cette photo était écrit le titre d'un journal : « Les miracles de la fédération ETHER ». La feuille était poussiéreuse et abîmée. À côté d'elle en siégeait un autre tout aussi vieux. Celui d'une jeune femme aux cheveux blancs et aux yeux bleus, sur lequel était inscrit « Un jour, je te retrouverai ».


« Bien, entama sérieusement Soichiro, je suis intéressé par le cas d'Erika. Toratura se liant à une enfant sans dévoiler de motivations. Connaissant le reptile, c'est tout sauf naturel. Il faut savoir les jeunes, que pour briser un contrat établi entre un Izrathien et un Homme, il est nécessaire soit de tuer l'Homme, soit de connaître les conditions de l'arrangement et l'annuler.


— Le problème, enchaîna Hakaze, c'est que tuer Erika est inconcevable, tandis que nous n'aurons aucune information provenant de Toratura à propos de son contrat. »


Le patriarche marqua une pause, avant de reprendre.


« J'ai beau me vanter d'être l'homme le plus compétent pour vous répondre, il me manque des tas de choses pour pouvoir vous aider au mieux de mes capacités. Cela me fait mal de l'admettre, mais je vais devoir passer par une autre méthode pour forcer la séparation d'un Izrathien et son humain.


— C'est possible ? demanda Erika. Comment faire ?


— Il suffirait en théorie de se rendre directement en Izrath, répondit Soichiro. Cependant, toutes les recherches sur le sujet ont été détruites lors du « Purple Requiem » d'il y a vingt-cinq ans. Cela serait possible d'y aller sans ces documents, mais le juge actuel n'acceptera jamais la présence d'hommes en ce monde. »


Erika s'arrêta quelques secondes, avant de poser la question lui brûlant les lèvres.


« Qu'est-ce que le « Purple Requiem ? »


Nous la fixâmes tous comme si elle venait d'une autre dimension. Mais finalement, c'était normal qu'elle n'en sache rien. Erika habitait en Australie depuis toujours, jusqu'à ce que sa tante n'émigre au Japon. Elle n'avait donc pas une connaissance assez poussée de l'histoire de notre pays, et donc, de cette catastrophe.


« Le « Purple Requiem » est un évènement tragique qui n'aurait jamais dû avoir lieu, lâcha Soichiro, qui semblait encore en souffrir. J'avais vingt-cinq ans à l'époque, et je m'en souviens comme si c'était hier. Une centrale a explosé, un réacteur Kvantiki. L'explosion a soulevé la terre avec elle, jusqu'à creuser une immense fissure aussi profonde que possible qui sépara en deux la ville de Tokyo, ainsi que ses alentours. De nombreux destins ont été brisés en l'espace de trois heures, et le pays entier s'est enflammé à la recherche de coupables.


— C'est affreux… murmura Erika, les mains jointes devant sa bouche.


— Je me souviens que mon père disait que la version annoncée dans les médias était fausse, repris-je. Avant sa mort, chaque fois qu'on voyait un reportage parlant des présumés coupables, il râlait contre son poste de télévision en disant que le scientifique condamné s'était sacrifié par pur pragmatisme, mais qu'il n'était en rien responsable. Je ne me rappelle plus du tout de qui il parlait par contre.


— Qui sait, me répondit Soichiro, je n'ai toujours pas trouvé la réponse vingt-cinq ans après les faits… »


Un long silence s'installa entre nous tous. Hakaze, qui fixait jusqu'alors son père en affichant une tristesse semblant infinie, décida de briser cet instant de déprime d'une intonation de détermination.


« Notre but est donc de mettre la main sur ces recherches, et les compléter. Je ne vais pas y aller par quatre chemins : étant donné que tout a été détruit vingt-cinq ans plus tôt, nous allons devoir partir vers le passé.


— Remonter le temps ? bégayai-je, livide. Genre, sérieusement ?


— En effet, approuva Soichiro. Vous avez sûrement remarqué qu'ici, rien n'est rationnel. C'est simple, ces lieux entiers ne sont pas régis par les règles terrestres. Nous nous situons dans une sous-dimension intermédiaire entre Izrath et Jindou. Autrement dit, le Kvantiki ici présent me permet de développer des inventions, comme une machine à remonter le temps.


— Il en a fait le prototype, et j'ai apporté les finalités à vrai dire, sourit Hakaze, fière d'elle. C'est un travail d'équipe.


— C'est cela, grogna le père. Je ne sais pas comment tu as fait mais ça me dépasse de toute façon. Votre mission consiste donc en un plan principal, et un autre de réserve. Le premier ordre est de retourner dans le passé, deux cents ans en arrière. Vous pourrez rencontrer Zesunis Bright, l'ancien juge d'Izrath qui lui devrait être capable de faire le nécessaire pour Toratura. Si jamais vous échouez pour une raison quelconque, il faudra vous rabattre sur le second choix : mettre la main les recherches sur la téléportation d'un humain dans l'autre dimension. Pour ce faire, je vais vous laisser une liste de personnalités connues ayant travaillé sur ce sujet depuis l'an 1800, et selon votre époque, vous aurez pour tâche de retrouver la personne correspondante. »


Je m'arrêtai quelques secondes, dubitatif.


« Que se passe-t-il si l'on échoue avec Zesunis Bright ? Comment fait-on pour rentrer à notre époque ?


— Je vais emporter Zéphyra avec moi, ainsi qu'une fiole à Kvantiki permettant d'y recueillir de l'énergie, m'assura Hakaze. Cela lui permettra de faire des allers-retours en me ramenant le matériel nécessaire à la reconstruction du prototype. Il est donc indispensable que je vous accompagne. »


Tout était très confus. Nous devions retourner dans le passé afin d'y retrouver un ancien juge d'Izrath apparemment bien plus souple que son successeur, et ce dernier allait nous faire profiter de ses talents pour s'occuper de Toratura. S'il nous était impossible d'effectuer cette tâche, notre objectif allait changer au profit de l'autre : retrouver les recherches permettant de traverser le portail entre nos deux dimensions afin d'effectuer la séparation par nous-mêmes. Cela me semblait vraiment tiré par les cheveux, mais je faisais confiance à Hakaze, étrangement.


« Hakaze, entamai-je, voulant néanmoins éclaircir un doute, pourquoi vouloir nous aider au point de revenir dans le temps avec nous ?


— J'ai mes motivations, sourit-elle, ne t'en fais pas pour ça.


— C'est bien ce que je pensais, tu es carrément louche.


— Est-ce vraiment difficile d'imaginer que moi, scientifique ayant des tas de choses à faire, offre de mon temps afin de plonger dans le passé avec deux adolescents que je connais à peine afin de les aider à supprimer un monstre pouvant me tuer à tout moment ?


— Cela m'en a tout l'air en effet.


— Je veux simplement voir mon père quand il était jeune, s'empourpra la femme, honteuse. »


Soichiro interrompit sa fille sans même relever sa remarque.


« Évitez de mourir dans le passé. Je sais qu'une fois une mort programmée, il est impossible de revenir en arrière. Si vous rendez l'esprit, vous êtes condamnés. Tâchez aussi de ne pas créer de paradoxes, et je parle en particulier pour toi gamine.


— Un paradoxe ? reprit Hakaze, malicieuse. Je ne vois pas comment je pourrais en créer un. Je vais simplement me contenter de dire bonjour à Violet dans la foulée. Je te ramène un autographe ?


— C'est cela, grogna Soichiro. Fais ce que tu veux. Vous partez tout de suite et je suis tranquille avec toi. »


Je me dirigeai vers un des cercles avec appréhension. Hakaze fit de même, suivie par Erika. Je ne savais pas quelles étaient les intentions de la scientifique. Que gagnait-elle à nous porter assistance dans notre quête… ? Après tout, cela semblait malgré tout très risqué, mais elle n'avait pas l'air de s'en faire. Erika de son côté ne possédait aucune assurance. Elle me regardait droit dans les yeux. Je pouvais lire un sentiment de profonde inquiétude dans son regard. Cependant, notre échange visuel fut vite interrompu par la voix du vieil homme qui raisonna dans le laboratoire.


« Je suis sur le point d'actionner le processus. Je vais essayer de vous envoyer tous au même endroit, mais dans le cas où vous n'y seriez pas, vous ne bougez surtout pas. Zéphyra se chargera de tous vous ramener au même endroit, ensemble.


— Merci, Soichiro, lui murmurai-je.


— Paix à ton âme, mon garçon. »


Je déglutis. Si même lui n'avait pas confiance en ce qu'il faisait, qui pouvait le faire ? Je voulus soudain me rétracter, mais pendant que j'y réfléchissais, Soichiro avait déjà entamé le processus afin d'envoyer sa fille dans le passé.


Le vieil homme actionna une sorte de mécanisme au sol qui s'illumina à la seconde à laquelle il l'eut foulée. Les faisceaux lumineux s'éteignirent, laissant la pénombre pénétrer dans la salle d'un seul coup. Je ne distinguais plus ni Erika, ni Hakaze. Seuls les cercles violets constituant le parterre du laboratoire brillaient au sol.


Je commençai à regretter le choix que nous avions fait. J'avais peur. Non, j'étais terrorisé. Un cercle au loin scintillait, laissant voir complètement Hakaze qui brillait de la même couleur, éclairée par l'inscription au sol. Un faisceau lumineux violet sortit de la marque, et illumina la brune avec lui. Cela ne semblait pas surprendre la jeune femme qui restait de marbre face à tout ce pouvoir l'emportant peu à peu. Elle se laissa simplement disparaître, que dis-je, comme fondre à l'intérieur de cette puissance.


J'entendis Erika pousser un cri de surprise et d'affolement. La jeune fille tenta de sortir du cercle, mais le faisceau lavande apparut pour elle aussi et la coinça à l'intérieur.


Son regard affolé croisa le mien. Moi comme elle, nous ne pouvions plus faire machine arrière devant cet engrenage dans lequel nous nous étions laissés entraîner. Elle lâcha quelques larmes d'appréhension, semblant aussi semblait regretter son choix, avant de disparaître quelques secondes plus tard tout comme l'avait fait Hakaze quelques minutes plus tôt.


Je compris que j'allais être le prochain. Cependant, mon cercle ne s'illumina pas de suite. À la place, j'entendis une voix essoufflée, saccadée, appartenant vraisemblablement au vieil homme.


« Si vous le pouvez, arrêtez-nous… »


Je n'eus pas le temps de répondre que je fus emporté par le vortex temporel, comme aspiré par le cycle irrémédiable des spectres du passé.


Le voyage fut pénible. Je n'avais jamais expérimenté ce genre de choses. J'étais dans un espace lumineux. Une sorte de grand tunnel dont les lumières violettes et azurs éclataient de partout et de nulle part. Je dus fermer les yeux face à la clarté aveuglante. Cela brûlait ma rétine à un point que je ne pouvais endurer. Mon corps était de plus en plus lourd. Je n'arrivais pas à bouger le moindre membre tandis que mon être entier semblait se défragmenter. J'étais cette fois littéralement aspiré par le passé. Et je n'étais pas le seul. Je ressentais qu'Erika et Hakaze étaient en train de subir le même sort, elles étaient toutes proches.


Et puis soudain, le noir total. Les lumières disparurent, le flux se stoppa, et tout autour de moi devint ténèbre. Je déglutis. Notre voyage avait-il échoué ?


J'entendis Hakaze s'étonner, ce qui me fit ouvrir les yeux. Il n'y avait plus personne aux alentours. J'étais seul, dans le noir. Je n'entendais plus une seule âme, et je ne ressentais plus rien… Étais-je mort ?


« Surprise, s'exclama joyeusement une voix grave et ténébreuse pleine d'ironie, nous nous retrouvons dans des circonstances bien étranges, Reisuke.


— Qui êtes-vous ? questionnai-je, inquiet. Où sont mes amies ?


— En train d'errer dans les abîmes du temps quelle question. Vois-tu, je m'ennuie. Alors j'assassine ce sentiment de lassitude, en agissant dans l'ombre. Et je sens que tu pourras me divertir.


— Qu'essayez-vous de me faire comprendre ?


— Que les caprices du destin sont parfois servis sur un plateau d'argent, ricana la voix, si bien que l'on n'ose presque pas les goûter de peur de croquer dans un mets empoisonné. J'ai hâte de voir jusqu'où vous plongerez tous dans le désespoir. Je me délecterai de chaque moment de votre misérable existence, ainsi que de tous vos échecs. »


J'entendis soudainement une explosion, suivie par les cris de Hakaze et Erika qui résonnèrent dans l'espace. Sans réellement comprendre, je cherchai mes amies des yeux, mais je ne rencontrai aucun succès. Le rire cynique de la présence les couvrit. Je sentis une altération dans notre voyage, comme si cet être en avait modifié les propriétés, puis le noir total une seconde fois.


Les ténèbres se dissipèrent quelques instants plus tard, et le voyage reprit son cours. Je ne savais pas qui avait réussi à l'interrompre, et pour être honnête, cela me tracassait, mais j'avais retrouvé Erika dans mon champ de vision, et c'était le principal. Nous allions sûrement traverser des épreuves difficiles, mais j'avais la foi qu'aussi longtemps que nous resterions ensemble, nous pourrions déplacer des montagnes. Ce raisonnement était peut-être un peu naïf, mais c'était l'espoir auquel je me raccrochai, alors que j'arrivais enfin à destination…


Dans le passé.





Spoiler :


Lorsque mes yeux s'ouvrirent, j'étais allongé au sol. Le voyage temporel m'avait fait perdre connaissance… Fort heureusement, mes souvenirs n'en avaient pas été affectés. Je savais encore quel était mon objectif, d'où je venais, et j'avais encore en tête qu'Erika avait besoin de moi, alors la volonté de me lever vint aussitôt. Cependant, lorsque je tentai de me relever, je ne pouvais pas le faire. Mon corps semblait comme paralysé par la traversée du temps. Cela ne m'étonnait pas finalement. Après tout, le voyage avait été pénible et mon enveloppe charnelle mise à rude épreuve, alors je me dis qu'il était nécessaire que j'attende.


Je profitai de cette inaptitude pour me concentrer sur les lieux extérieurs. J'avais atterri dans une petite ruelle assez sombre qui semblait être un coin reculé de la ville. En regardant au loin, je voyais qu'elle débouchait sur un boulevard où pas mal de passants allaient et venaient, cela devait être le centre-ville. Étions-nous vraiment arrivés à destination ? Oui, nous y étions. Je le sus lorsque je vis dans les ordures de la rue un journal sur lequel il y était marqué une date antérieure à la mienne, 44 ans plus tôt pour être précis. Nous étions bien revenus dans le passé, et notre mission avait commencé.


Je réfléchissais à une marge d'action. Qu'allions-nous faire, maintenant que nous étions dans le passé ? Nous allions avoir besoin d'un point de repère, d'un point de départ pour nous permettre de localiser la source la plus puissante de kvantiki. Je n'étais pas enjoué à l'idée de rester longtemps dans le passé puisque cela impliquait des risques de créer un paradoxe, alors il fallait que je m'y mette et que je réussisse vite afin de rapidement regagner mon époque.


J'essayai de nouveau de bouger mes membres. Cette fois, je réussis, ce qui me permit de me relever, non pas sans douleur cependant. Sortant de la petite allée, j'atterris dans le boulevard, et j'eus l'occasion de constater dans quel monde je me trouvais.


Tout était à la fois si différent, et si similaire à l'endroit d'où je venais, cela m'épatait. Je reconnaissais les bâtiments importants qui semblaient avoir été épargnés par la catastrophe à venir, mais plus aucun commerce, plus aucune habitation classique aux alentours. Je me trouvais d'ailleurs sur la place sur laquelle nous allions donner ce concert, 44 ans dans le futur. Elle était facilement reconnaissable à l'emblème de soleil incrusté dans les dalles qui étaient toujours présentes à mon époque.


Beaucoup de monde allait et venait ici, au carrefour principal de toutes les grandes rues de Yokohama. Tout comme à notre époque, les habitants s'étaient rassemblés au centre de l'espace pour organiser une fête en l'honneur de je ne savais quoi. Je m'arrêtai devant le rassemblement fait de danseurs, de chanteurs, de jongleurs et saltimbanques, qui vibraient tous au rythme de percussions et de guitares latinos en arborant des tenues colorées et jolies à regarder.


Un jeune couple dansait ensemble, au milieu de l'attroupement. Ils tournaient, virevoltaient en tapant des mains et claquant leurs souliers portés pour l'occasion contre le sol, dans un bruit sec et sourd. Au rythme de leurs pas ils entraînaient les passants dans une danse joyeuse et enjouée qui semblait comme enivrer Yokohama d'un esprit festif et léger. Je décidai de regarder ces personnes de plus près : une belle brune à l'allure de bohémienne et son partenaire au teint mat. La femme était assortie à l'homme : tous deux portaient des tenues extravagantes colorées de rouge et de jaune qui mettaient en valeur d'une part l'élégance de la demoiselle, et d'autre, le charisme de celui qui l'accompagnait. Leurs yeux bleus se plongeaient les uns dans les autres, sans jamais lâcher le regard complice qu'ils partageaient, jusqu'à ce qu'ils aient à partir chercher dans la foule une autre âme avide de festivité pour l'entraîner sur la piste.


Mais alors que je regardais en me satisfaisant de ma vue sur la scène, la femme à la chevelure noire corbeau vint m'attraper la main et m'entraîner sur la piste pour que je la suive. Tiré par la danseuse, je dus moi aussi rejoindre la troupe qui s'était rassemblée sur l'espace de danse, me traînant le moins lourdement possible derrière la démarche élégante et légère de celle qui m'avait amené avec elle. Nous formâmes une file, moi et les hommes qu'elle avait amené au fur et à mesure de sa chorégraphie, face à une autre dont le chef était le danseur aux cheveux ébène suivi par les dames du public. Nous nous croisâmes. Les deux files se placèrent l'une derrière l'autre, ce qui forma des couples mixtes invités à reproduire les pas relativement simples exécutés par le couple qui nous avait embarqué dans cette folie.


Je me retrouvai avec une jeune fille au teint typiquement indien, habillée d'une jupe couleur fuchsia qui lui tombait juste au-dessus des genoux. La brune aux yeux marron et aux boucles d'oreilles aux couleurs de rubis se prêta au jeu et m'entraîna avec elle dans la danse indiquée par les deux meneurs qui, eux, se régalaient de voir tout le monde festoyer de la sorte. Finalement, je m'avouai vaincu et terminai la chorégraphie avec l'Indienne qui bougeait délicatement en portant d'un long tissu de soie qu'elle agitait autour de nous aussi gracieusement qu'un paon déployait ses ailes.


Quelque chose clocha. Les deux danseurs meneurs se laissèrent emballer dans leur propre chorégraphie. Ainsi, pour le final, la femme se jeta sur son partenaire qui la porta gracieusement pour la faire tournoyer au-dessus de lui. Entraînées par la meneuse, les autres femmes l'imitèrent, l'Indienne comprise, et se jetèrent sur nous les hommes, pris au dépourvu. Par réflexe j'attrapai la jeune fille que je parvins à porter et à faire tournoyer. Lorsque je la reposai, je me rendis compte que tous les autres hommes avaient fini écrasés au sol sous le poids de leur partenaire.


Je soupirai, remerciant mon entraînement physique de l'intérieur. La musique cessa. Les passants se relevèrent, et tout le monde fut satisfait par le petit évènement. Je tiquai. J'avais passé trop de temps dans cette chorégraphie, j'en avais oublié Hakaze et Erika. Il fallait que je les rejoigne vite à la falaise Kosmos pour que la mission puisse débuter pour de bon.


« Attends l'inconnu !! me lança une voix féminine claire et aiguë provenant de derrière. Ne pars pas si vite !! »


Mais je ne l'avais pas écoutée, j'étais déjà parti. Je courais en direction de la falaise que j'avais localisée assez facilement grâce à mes connaissances de notre ville dans le futur. Je déambulais dans les allées qui menaient à la côte, sans me préoccuper de ce qu'il se passait autour.


Lorsque enfin j'arrivai côté plage, j'étais seul. Seul face à la mer, au flux des vagues qui venaient se reposer sur le sable fin tandis qu'une énorme falaise creusée en forme de requin à la bouche ouverte pointait vers le large. Je m'assis face à la mer pendant quelques secondes, quelque peu soulagé qu'Erika et Hakaze n'étaient pas encore arrivées. Elles me rejoignirent quelques minutes plus tard, ensemble. La brune affichait un air moqueur tandis que la blonde, elle, était clairement frustrée.


« Tu peux me dire qui était cette pouffiasse avec qui tu dansais mon Rei ? me balança sèchement la blonde. J'attends tes justifications.


— Vous m'avez vu ? m'étranglai-je en pensant à la honte que j'allais subir.


— En effet. s'amusa Hakaze. J'ai filmé et Zéphyra a posté la vidéo sur sa chaîne Izrathube.


— Une chaîne Izrathube !? m'exclamai-je, interdit. Tu veux dire que là-bas aussi ils ont des réseaux sociaux !?


— Évidemment ! acquiesça la brune. Je peux même te dire que tu as déjà un like de la part de « Messire Helio » !


— Sinon mon Rei, siffla Erika telle une vipère, tu ne m'as toujours pas dit qui était cette grognasse. Tu lui as donné rendez-vous avoue !!


— Erika… soupirai-je, dépité. Tu me soupçonnes vraiment d'avoir donné un rendez-vous galant à une fille, 44 ans dans le passé ? Ce n'est même plus de la préméditation à ce niveau… »


Hakaze sourit. Cette situation me semblait vraiment ridicule. Nous arrivions à peine dans le passé que nous étions déjà tous perdus à digresser et nous mettre dans des situations qui nous mèneraient dans un cul de sac ! Certes j'avais ma part de responsabilité, mais me filmer au lieu de venir me chercher ce n'était pas non plus la meilleure chose à faire. En plus, j'avais été traîné de force ! Tout le monde s'éloignait de l'objectif premier, alors il allait falloir que je m'impose en leader pour orienter les troupes.


« Donc ! lançai-je pour relancer la conversation. Je pense qu'il faudrait que l'on –


— Nous sommes arrivés sains et saufs dans le passé. me coupa sérieusement Hakaze. Primo : on trouve un endroit où dormir. Deuxio, nous localisons la source, et enfin tertio : nous nous accaparons le flux de Kvantiki. Objection ?


— Non… soupirai-je, triste. Aucune… »


Cependant, alors que nous allions nous mettre en route, une voix nous surprit en retentissant au loin. Cette intonation, je la connaissais. C'était la même que celle qui m'avait interpellé tout à l'heure lorsque je voulus quitter la place publique. Et ce timbre appartenait à cette Indienne avec qui j'avais dansé. Elle nous avait rattrapés. Elle courait vers nous en criant « Eh l'inconnu !! » en agitant ses bras comme si elle me voulait quelque chose. Sans comprendre, je restai sur place, attendant qu'elle arrive jusqu'à nous.


« Enfin je t'ai rattrapé mon inconnu fuyard ! me lâcha-t-elle essoufflée et transpirant à grosse gouttes. Tu as oublié ton porte-feuille en partant !


— Ah merde… murmurai-je en prenant l'objet. Merci de me l'avoir retourné, c'est très gentil de ta part.


— Par contre il faudra que tu refasses ta carte d'identité ! dit la jeune fille d'un ton dérisoire. Ta date de naissance indique que tu es né 26 ans dans le futur !


— Oui enfin…c'est compliqué. avouai-je en baissant les armes. Je suis désolé d'être parti, je devais rejoindre mes amies au plus vite.


— Ne t'en fais pas il n'y a pas mort d'homme ! Je me présente : Indy Muller. Je sais c'est étrange comme nom, mais ma mère est Indienne et mon père Allemand. C'est la première fois que je te vois dans le coin, Reisuke !


— Je viens de loin oui. repris-je, souriant. Je ne me présente donc pas. Voici mes amies, Hakaze, et Erika.


— Sa petite amie. me corrigea Erika, glaciale. Au cas où ça ne se verrait pas, nous sommes en couple.


— Oulala ! rit Indy. Une fille jalouse !! Tous aux abris ! Enfin, d'habitude je trouve cela absurde mais pour cette fois, je peux comprendre l'objet de la jalousie… »


Le regard de l'Indienne se posa sur moi et me fit ressentir tout de suite quelque chose de différent par rapport à ce qu'elle renvoyait jusqu'à maintenant. Je me sentais comme scruté par des yeux espiègles. J'étais littéralement reluqué par la jeune fille. Cela me mettait mal à l'aise, et l'air assassin d'Erika — comme si c'était moi le coupable — ne faisait qu'accentuer ce malaise.


« Et sinon, reprit la nouvelle venue, vous êtes venus faire quoi dans le passé ?


— Tu ne penses sérieusement pas que l'on vient de 26 ans dans le futur ? lui répondis-je en feignant la moquerie. Es-tu folle ?


— Non je ne suis pas folle ! rétorqua Indy, semblant vraiment touchée par cette pique. J'ai vu dans un animé que le protagoniste voyageait dans le temps pour sauver en boucle une fille qu'il aime. Alors si tu viens du futur, tu dois avoir une bonne rai — »


Elle se stoppa net. Ses yeux s'écarquillèrent, sa bouche s'ouvrit, et un cri de stupeur en sortit. Elle me lança un regard émerveillé avant de reprendre la parole d'une voix respirant l'amour et l'admiration.


« Tu es venu pour me sauver d'une mort certaine afin que l'on vive notre amour… murmura-t-elle. Je suis si heureuse d'avoir un homme comme toi Reisuke…


— Je pense que tu dois faire erreur sur pas mal de choses… bégayai-je alors que Hakaze ne put s'empêcher d'éclater de rire. Cela serait une coïncidence trop grande, non ?


— Mais non inutile de faire ton timide. sourit la jeune fille en me donnant une tape sur l'épaule. Si tu es venu pour concevoir avec moi le leader à venir de la rébellion de l'homme contre les machines qui l'ont asservi, alors tu peux disposer de moi comme bon te semble, mon héros du futur. »


Je soupirai. Moi qui ne voulais absolument pas créer un paradoxe, il avait fallu que je tombe sur la jeune fille la plus folle que je pouvais trouver dans le passé. Et comble de la malchance elle avait trouvé mon portefeuille et accepté que je venais du futur avec pour seule preuve une imagination débordante sur un fond de romance impossible. Et bien évidemment, je sentais le regard empli de haine que me portait Erika alors que je n'étais qu'une malheureuse victime du hasard. En conséquence, cette fois j'ignorai la blonde, pour me concentrer sur mes problèmes.


« C'est vrai. avouai-je. Je viens du futur. Dans le monde duquel nous venons, une terrible menace a détruit presque toute la race humaine. Il y a eu une guerre, une énorme guerre. Elle a emporté nos amis, notre famille, nos amants, nos amours… Et il ne reste plus que nous trois. Nous sommes revenus de l'avenir pour empêcher que notre monde ne sombre, et pour cela il faut absolument que nous trouvions la personne responsable de la catastrophe dans l'avenir. »


Hakaze se mordit la lèvre lorsque je prononçai ces mots. Pour ma part, je risquais quelque chose avec Indy. Je voulais tenter de gagner sa coopération, et marcher dans son délire semblait être la manière la plus facile de le faire.


« Qui est cette personne à éliminer, Reisuke ? me demanda l'Indienne, concernée. Je vais t'aider à le faire !


— Nous n'avons pas parlé de l'éliminer Indy… soupirai-je. Je ne pourrai pas m'y résoudre.


— Mais si ! enchérit-elle. Si c'est pour sauver le monde il faut le faire !!!


— Je ne peux pas… répondis-je en me mordant la lèvre. Cette personne…C'est toi. »


La brune lâcha un hurlement de stupeur en fixant ses mains d'un regard aussi horrifié que celui d'un homme qui aurait en face de lui la mort elle-même. Elles tremblaient. Les larmes lui montaient aux yeux, comme si elle se sentait vraiment coupable de ce qu'elle était supposée faire à l'avenir. Je sentais que j'avais été un peu trop loin, mais elle sécha ses pleurs. Elle fronça les sourcils, d'un air déterminé, avant de reprendre :


« Tue-moi Reisuke. lâcha-t-elle solennelle. Je ne veux pas détruire l'humanité. Même si ma mort signifie que jamais nous ne pourrons nous épanouir dans notre affection mutuelle, je suis prête à l'accepter. Et toi aussi tu dois m'oublier et trouver une autre femme. Sois fort mon amour.


— Je ne peux pas t'abandonner de la sorte, Indy. rétorquai-je, tout aussi solennel. Si je suis venu dans le passé, c'est aussi pour prendre soin de ta vie. Montre-moi où nous pourrions nous reposer, et nous chercherons une solution pour éviter d'impacter à ta vie tout en sauvant le monde.


— Reisuke… bégaya Indy, émerveillée. Je n'arrive pas à croire que même face au sort du monde, tu refuses de me sacrifier. Je t'aime tellement, mon héros du futur… »


La jeune fille marqua une courte pause, avant de répondre en serrant les poings, déterminée à vouloir m'aider dans ma quête.


« Venez chez moi. nous lança-t-elle, combative. Nous sauverons la planète et nous vivrons tous heureux, tous ensemble !! Je vais aller chercher ma voiture et je vous y emmène ! »


Indy s'éclipsa par là où elle était arrivée. Je soupirai. Je ne pensais pas qu'un bobard aussi grotesque allait séduire l'esprit de cette fille, mais au point où nous en étions, n'importe quelle méthode était envisageable pourvu que cela nous permettait d'avancer. Je me sentais malgré tout un peu coupable d'avoir utilisé des procédés si mesquins pour que cela fonctionne, mais j'étais prêt à tout si cela permettait à Erika de se sentir mieux dans sa peau.


« Eh bien monsieur le tombeur, railla cette dernière qui ne semblait pas contente, il est où le petit John Connor dans le futur dis-moi ?


— Eh bien vas-y si tu as une meilleure idée pour avoir le gîte quelque part. grognai-je. Use de ton intelligence qu'on regarde.


— En attendant, monsieur le séducteur du futur, moi je n'utilise pas des faux charmes pour embobiner la première fille qui passe ! C'est de l'abus de faiblesse, voilà ce que c'est !!


— Reisuke nous a obtenu une piste, l'interrompit Hakaze, c'est déjà une bonne avancée en soi. Et puis j'ai le sentiment que cette fille s'amuse elle aussi, donc c'est gagnant-gagnant. »


Erika soupira. Elle ne voulait juste pas passer plus de temps avec Indy. Elle ne se préoccupait pas de l'état d'esprit de la jeune fille. Mais la jalousie allait attendre. Nous allions avoir un soutien de poids dans ce monde, quelque chose de non négligeable. Il était hors de question que je laisse filer cette chance.


Indy revint avec sa voiture. Enfin… « Voiture » était un mot exagéré pour parler de cette… chose. C'était une moto, avec un side-car. Un side-car deux places de surcroît. L'Indienne, satisfaite de sa trouvaille, me fit un grand signe de main avant de reprendre :


« Il y a de la place pour tes amies, mais toi tu devras monter à l'arrière et te cramponner à moi. me lâcha-t-elle en réprimant de l'embarras. Mais si notre fils est le futur leader de la résistance, nous devons passer cette étape sans aucune honte, mon amour.


— Ça ne te traverse pas l'esprit que mon Rei pourrait simplement être un lycéen comme les autres dans le futur ? railla Erika en exprimant du dégoût.


— Je fais confiance à mon héros du futur. nous assura Indy. Montez ! Mon avenir, votre présent, n'attendent que nous ! »


Et ainsi nous partîmes tous les quatre en direction des quartiers d'Indy. J'étais peu rassuré à l'idée d'avoir ce genre de filles à mes trousses, mais au moins, nous avions un allié. Un allié capable de comprendre nos motivations les plus folles, de nous croire sur parole, et de nous être utile…C'était finalement une belle trouvaille, et je m'en réjouissais, alors que j'étais encore accroché à sa taille.





Spoiler :


Nous roulâmes une dizaine de minutes, tandis que j'étais toujours agrippé aux hanches de la jeune Indienne, dont la chevelure m'empêchait de vraiment distinguer ce qui se trouvait devant nous. Je réfléchissais à ce qu'il se passait dans la tête d'Indy. Était-elle idiote, complètement folle, ou juste naïve au point de me faire confiance sur une histoire si farfelue ? Je me sentais au fond un peu coupable d'abuser de la faiblesse de la jeune fille, même si je savais cela nécessaire. Elle semblait m'apprécier particulièrement, sans que je ne sache vraiment pourquoi. Même si jouer avec les sentiments des autres n'était pas dans ma nature, je n'allais pas reculer devant un soutien si précieux dans un monde où je ne connaissais personne. Il fallait que j'assure.


La voiture s'arrêta quelques dizaines de minutes après avoir démarré, nous laissant dans un quartier assez en retrait de la ville. Nous n'étions toujours pas si loin de l'océan pour être exact. Nous entendions le bruit des bateaux qui ne semblaient qu'à quelques rues d'où nous étions. Indy descendit de son side-car, nous invitant à faire de même. Je m'exécutai, hésitant, doutant encore du choix que j'avais fait vis-à-vis d'elle. Nous marchâmes quelques minutes jusqu'à arriver devant une maison de taille standard. Une petite bâtisse pouvant convenir à une famille de quatre à six personnes. La façade n'était pas particulièrement luxueuse.


« Bienvenue chez moi ! entama joyeusement Indy. Cela ne paie pas de mine, mais c'est mon petit coin à moi, mon refuge, mon foyer. Entrez les amis ! »


Sur ces paroles, Indy ouvrit la porte, nous laissant entrer chez elle. L'intérieur était plutôt sobre et élégant. L'Indienne ne possédait rien d'extravagant dans son intérieur. Un couloir dans lequel étaient posés des crochets faisant office de porte-manteau, débouchant sur un petit salon aux murs peints de rose pâle. De nombreux cadres violets étaient posés sur les murs, mais aussi des affiches de films de science-fiction connus qui étaient devenus des classiques du cinéma international. Je n'y prêtai pas de suite attention, jetant un œil au reste de la maison. Une petite cuisine avait été aménagée sur la gauche de l'entrée tandis que le côté salle de bain se trouvait tout au fond de la bâtisse, en face de deux chambres l'une à côté de l'autre. C'était tout de même très grand pour une jeune femme vivant seule. Devant mes interrogations, Indy prit la parole d'un ton neutre.


« Mes parents m'ont légué cette maison à leur mort. dit la brune en soupirant. J'ai vécu sur leurs économies depuis mon plus jeune âge. Quand j'ai eu l'âge de travailler, j'ai arrêté mes études et j'ai décidé de trouver un job. Un jour j'étais une serveuse, du lendemain une hôtesse, ou une femme de ménage… Finalement, j'ai un peu dérivé.


— Je vois… murmurai-je en guise de réponse. Nous sommes un peu similaires, toi et moi. Mes parents sont morts aussi, j'ai vécu d'une rente orphelin que ma tutrice percevait, et depuis mes dix-huit ans, je vis sur mes bourses scolaires en finalisant un cursus pour devenir sapeur pompier.


— C'est difficile de finir seul n'est-ce pas ? lâcha l'Indienne, d'un air mélancolique. Tes parents sont là, tout se passe bien. L'instant d'après, ils ont disparu, tu es livré à toi-même, et tu ignores où aller, ce que tu dois faire ou ne pas faire… Tu ne sais pas dans quel monde ils t'ont laissé, mais tu as besoin de te relever et marcher. Tu dois continuer d'avancer sur un chemin obscur, sans savoir si tu erres, ou si tu traces une destinée dans laquelle tu triompheras.


— C'est vrai… Mais je suppose que c'est ce qui fait de nous des adultes avant l'heure. »


Indy me sourit, je fis de même. Nous avions finalement des choses en commun. Le sort de nos parents, et nos conditions d'évolution depuis l'enfance, nous partagions certaines choses. Cela me fit un peu de peine pour l'Indienne. Je savais ce que c'était, et je n'aimais pas vraiment voir la vérité en face, celle dans laquelle d'autres enfants avaient subi ma douleur.


« Bien ! reprit l'Indienne, remotivée. Je vais me changer, mes vêtements sentent et sont sales. Les filles, je vous prêterai des habits si vous voulez, j'en ai des tas dans mes armoires et je ne sais pas quoi en faire vu que je recouds tout au lieu de jeter ! Mon héros du futur, je t'aurais bien prêté quelque chose également, mais je n'aimerais pas voir mon courageux bienfaiteur en jupe ou en robe. »


Indy s'éclipsa dans la salle de bain de sa maison, verrouillant l'entrée de l'intérieur. Sa dernière remarque concernant les habits féminins m'avait un peu frustré, tandis que Hakaze et Erika semblaient en rire, m'imaginant dans une tenue féminine. Sans prêter attention à ces deux idiotes, je profitai de l'occasion pour inspecter davantage la maison. Après tout, pour connaître les véritables intentions d'Indy Muller, il fallait d'abord se renseigner sur qui était Indy Muller.


Dans cette habitation, il n'y avait rien de particulier. La seule source de média présente était un ordinateur dont le clavier était recouvert par un calepin ouvert qui était couché par-dessus. Je ne voulus pas fouiller plus loin dans l'intimité de la jeune femme. Je passai donc sans regarder le calepin en m'attardant à la place sur les cadres postés sur les murs. Je passai devant chacun d'eux, longeant le mur de l'habitat de l'Indienne. Dans ces cadres se trouvaient des photographies de Indy et une autre personne plus âgée qu'elle. Un homme semblant avoir la trentaine, de teint mat et aux cheveux noirs corbeaux. Il avait une allure de marginal : mal rasé, habillé de vêtements miteux, mais le regard de l'Indienne ne lui renvoyait que de l'affection. Ils devaient beaucoup s'apprécier, cela se voyait. Cela me tira un sourire. Cela me rappelait un peu Kôsei, Masuda et Kenichiro, les amis d'Erika qui étaient devenus les miens. Je me sentais plutôt à l'aise à leurs côtés, et voir Erika sourire avec tout le monde me faisait du bien…


Sans m'en rendre compte, longeant le mur, les photos, et repensant à mes expériences, je pénétrai pile dans la chambre d'Indy. Elle était toute aussi sobre que les autres salles de la bâtisse. La pièce était très peu meublée. Un lit une personne était placé au milieu de deux chevets, face à une grande armoire de la même couleur que les murs de la jeune femme. C'était un peu trop empreint de féminité à mon goût mais cela rendait plutôt bien. Mais alors que je voulais sortir d'ici, me maudissant moi-même d'avoir pénétré l'intimité de la jeune femme, je fus alerté par une étrange boîte verte sur son chevet. Je m'avançai doucement vers cette boite dont la clé était encore posée à l'intérieur.


Je tournai la clé, guidé par ma curiosité, pour finalement faire une découverte surprenante. Lorsque la boîte s'ouvrit, j'y trouvai quelque chose de singulier : Une pierre verdâtre, non, composée de nuances de bleu et de vert, ayant la forme d'un prisme étiré en longueur. Prenant la pierre entre mes mains afin de l'inspecter davantage, mon cœur palpita tandis que je plongeai mon regard dans le bijou. Troublé, je détournai mon regard, comme pour vérifier que je n'avais pas été pris en flagrant délit. Je posai de nouveau mon regard sur cet objet qui laissait en moi un sentiment de fascination mêlé à de la peur. Lorsque j'entendis la voix d'Indy provenant de derrière, je sursautai, laissant retomber la pierre au sol. Ramassant maladroitement les objets, je m'excusai à la jeune fille.


« Excuse-moi Indy. Je n'avais pas l'intention de venir ici. Je n'ai pas fait attention lorsque je suis entré ici, et j'ai été captivé par cette boîte que je devais ouvrir à tout prix pour satisfaire ma curiosité. Je ne voulais pas m'introduire dans ton intimité ou quoi que ce soit de malsain !


— Ne t'en fais pas. reprit la brune. J'ai confiance en toi, Reisuke. J'ai l'œil pour reconnaître les hommes mal intentionnés, et tu n'es pas une cible de mon radar. Par contre, tu as trouvé cette chose. Sais-tu ce que c'est ?


— Je n'en ai aucune idée… Je ne connais pas cette pierre, et à première vue, cela n'a pas l'air d'être quelque chose fabriqué à notre époque. Qu'est-ce que c'est ?


— Si je te le disais, tu me prendrais pour une folle… soupira Indy en perdant son regard ailleurs.


— Je te prends déjà pour une folle. lui lâchai-je spontanément avant de me rattraper. Et puis, tu sais mon secret du futur, alors j'ai le droit de savoir le tien, non ?


— Je suppose que tu as raison. sourit Indy avant de reprendre, sérieuse. Cette pierre est une relique quantique me mettant en lien avec un habitant d'une autre dimension. Grâce à cet objet je peux matérialiser un citoyen d'Izrath à mes côtés.


— Figure-toi que notre voyage implique les Izrathiens dans une plus ou moins grande envergure. ris-je. Alors toi aussi tu possèdes un engagement avec l'un des leurs… Est-ce pour ça que tu as su que je venais du futur ?


— Non, intuition féminine. Déduction personnelle me menant à ton identité et la raison de ta venue. »


Indy prit à son tour la relique dans ses mains, laissant son regard se perdre dans le bleu de la pierre l'espace d'un instant. Je distinguai en elle un profond sentiment de mélancolie… Non, pas de mélancolie, de regret. C'était un regret qui était venu animer son regard faible et perdu. Ma nouvelle amie devait avoir vécu des tas de choses liées à cet objet pour afficher une telle expression.


Toujours perdue dans ses pensées la brune ferma ses yeux, laissant couler une larme le long de sa joue. Lorsqu'elle comprit qu'elle venait d'afficher cette face faible et fragile d'elle-même, elle reprit la parole à mon intention, se dévoilant un peu plus au passage.


« Mon partenaire lié à cette roche…a disparu. avoua-t-elle enfin. Il était le seul ami que je n'avais jamais eu. Il était mon inestimable acolyte… Et puis d'un seul coup, un jour, j'ai su qu'il était parti. J'ai tenté de l'appeler, en vain. Il ne m'est jamais revenu…


— Je vois… repris-je, compatissant. Donc un Izrathien et un humain peuvent vraiment être amis et s'accorder au point de devenir des esprits tourmentés une fois séparés…


— C'est facile de créer des liens avec un inconnu, mais c'est difficile de les laisser se briser en restant indemne, Reisuke. me répondit Indy. Alors, devrait-on s'attacher aux autres en sachant qu'un jour on est condamné à souffrir ?


— C'est justement ce qui rend la vie si merveilleuse. murmurai-je naturellement. Si tu savais que tu étais pour toujours avec une personne, tu ne la chérirais pas de la même façon n'est-ce pas ? Si tu es capable de profiter de chaque instant avec un être cher, c'est parce que tu sais qu'au fond, il existe un jour ou l'autre où la séparation sera inévitable. Alors chéris tes souvenirs, ta façon d'aimer ton partenaire, et tu iras mieux, Indy. »


Les yeux de l'Indienne s'écarquillèrent lorsque je lui déballai tout ce que je pensais de ses regrets. Ces mots venaient du plus profond de mon cœur. Je les ressentais chaque jour lorsque j'étais aux côtés des personnes que j'aimais : Erika, Marie, Kôsei et les autres. Je profitais au maximum de mes instants avec eux, même en sachant que la séparation allait arriver un jour. Je vivais pleinement mes sentiments personnels et les laissais s'épanouir.


Devant mon assurance soudaine, l'expression choquée d'Indy laissat place à un sourire franc qui me réchauffa le cœur. Elle reprit la parole, cette fois d'un ton beaucoup plus souple et décontracté, les yeux ravivés de cette lumière s'étant estompée durant notre dialogue.


« Merci beaucoup, mon héros du futur. murmura-t-elle en rougissant, me laissant réaliser dans quelle situation je venais de me mettre. J'ai compris des tas de choses grâce à toi…J'ai l'impression que tu m'as sauvée de quelque chose qui me faisait mal.


— Ne t'en fais pas. murmurai-je sans confronter son regard. Si tu veux parler de quelque chose, n'hésite pas à venir vers moi. Je ne suis pas de cette époque, je ne gagnerai rien à te juger. »


À ma grande surprise, l'Indienne se laissa tomber contre moi pour se blottir contre ma poitrine. Elle resta quelques secondes dans cette position en se laissant aller, respirant à rythme régulier. J'étais embarrassé. Jamais je n'avais été si proche d'une jeune fille physiquement parlant, et cela me mettait un peu mal à l'aise. Pourtant, cela semblait aider Indy, alors j'allais supporter. Elle poussa un long soupir de satisfaction, puis elle se retourna vers moi, l'expression soulagée de quelque chose.


« Les filles sont parties se changer. entama-t-elle d'un ton plus léger. Je leur ai prêté quelques vêtements. Puis-je te servir quelque chose à boire ou à manger, mon héros du futur ?


— Non merci, je ne vais pas t'embêter. assurai-je. Je dois bouger un peu et essayer de voir par où l'on pourrait commencer pour récolter du kvantiki. Nous sommes dans une époque où il y a beaucoup d'énergie, je ne laisserai pas passer cette occasion.


— Tu comptes sortir seul !? Tu ne connais rien, ni personne ici. Tu n'y arriveras pas !


— Ne t'en fais pas pour moi. Je n'en ai pas l'air, mais je suis plus robuste que tu ne le crois. Et puis, je suis l'homme du groupe. Erika et Hakaze sont sous ma responsabilité. Je ne me pardonnerai jamais si l'une d'elles vient à souffrir de ce voyage.


— Vous les garçons… soupira Indy. Vous êtes irrécupérables. Tâche juste de ne pas te perdre, et appelle ce numéro s'il t'arrive quelque chose. Je me jetterai à corps perdu pour protéger mon héros du futur. »


L'Indienne me donna son numéro de téléphone. Je la remerciai d'un geste avant de me préparer à sortir.


Je préparai en vitesse un sac, rassemblant quelques affaires, avant de sortir de chez la jeune fille. Je voulais mettre cette nuit à profit afin de récolter quelques indices sur le lieu et l'heure à laquelle nous pourrions nous accaparer de cette énergie quantique dont avait besoin Soichiro, le père de Hakaze.


Sortant de chez l'Indienne, je me rendis compte que dehors, en plus du facteur nuit qui allait être gênant, j'allais être dérangé par un torrent tombant du ciel. Il pleuvait abondamment, rendant ma tâche beaucoup plus difficile. La bruine et l'obscurité ne faisaient pas bon ménage lorsqu'il s'agissait de repérer des lieux qui étaient inconnus. Pourtant, je devais redoubler d'efforts afin de trouver d'où pouvait venir la quantité de Kvantiki. Dévalant les rues les unes après les autres, j'inspectai différents aspects de la ville. Je retournai des cartons, des poubelles, à la recherche du moindre objet ou résidu suspect, sans réelle trouvaille. Je trouvai quelques babioles sans valeur qui étaient rongées par l'eau, mais rien de vraiment concluant qui pouvait me donner une piste.


Ce fut non loin de la falaise Kosmos que je perçus quelque chose attirant mon attention. J'entendis le cri strident d'un jeune garçon au loin. Pensant à une agression, je courus dans la direction d'où venait le son que j'avais entendu. Sans me préoccuper de mes repères, je cherchai avant tout à savoir ce qu'était ce bruit étrange m'étant parvenu aux oreilles. Soudainement, je vis apparaître la cause de ce vacarme. Deux individus recouverts d'une capuche jaune semblant étanche passèrent à vive allure sous mes yeux. Je ne pus distinguer que leur couleur de cheveux à ces deux garçons plutôt petits, respectivement bruns et verts.


J'étais désormais convaincu d'avoir assisté à quelque chose de suspect, ce que je cherchais de base. Ne voulant pas laisser passer l'occasion, je filai à mon tour pour rattraper les deux individus qui avaient une cadence plutôt rapide. Pourtant, courir après Erika était bien plus difficile, si bien que de ruelles en ruelles, je gagnai de l'avance. Au bout d'une dizaine de minutes de course, le garçon aux cheveux verts qui portait le sac dérapa et tomba net dans la boue, laissant tomber le sac. Me voyant le pourchasser, il le ramassa le plus rapidement possible, sans remarquer lorsqu'il le reprit qu'il avait perdu un des objets qu'il transportait. Lorsque j'arrivai au niveau de cet objet, je le ramassai et abandonnai les poursuites.


C'était exactement le genre de choses que je cherchais. Quelque chose semblant vieux et neuf à la fois, comme toutes les reliques quantiques que j'avais eu l'occasion de contempler jusque maintenant. Une sorte de baguette assez longue se terminant sur une forme circulaire sur laquelle était gravé un symbole étrange similaire à un blason que j'avais vu dans la forêt de Soichiro. C'était définitivement un artefact venant d'Izrath. Mais je n'avais aucune idée de ses propriétés. Il semblait fait d'or, ou du moins d'un matériau de même valeur, et il était assez lourd à porter. Alors je l'accrochai à ma ceinture pour le montrer à mes amies à mon retour.


Mais alors que je voulus rentrer chez l'Indienne, je me rendis compte que cette course m'avait fait perdre mes repères. Je ne savais plus où j'étais et où je devais aller pour revenir. Je ne distinguais plus la falaise Kosmos, je supposai donc que j'étais bien loin de chez Indy. Je sortis son numéro de ma poche, mais la pluie avait amoché le bout de papier qui était devenu illisible. Sans vraiment trouver une solution, je pris le risque de m'enfoncer davantage dans l'égarement en choisissant une direction, me reposant sur le facteur chance.


Marchant dans les rues sombres et humides de Yokohama, je cherchais mon chemin désespérément. Au bout de quelques minutes, j'eus cependant une surprise. Quelque chose arriva vers moi à toute allure, cela me semblait être une moto. Lorsque je m'aperçus qu'il s'agissait en effet de ce type de véhicule, je n'eus qu'une seconde à peine pour me jeter au sol afin d'éviter de me faire percuter. Couché au sol, j'entendis le cyclomoteur s'arrêter plus loin. Je me relevai péniblement tandis que le conducteur qui avait l'air de bonne foi revint s'assurer de mon état.


« Eh le jeune !! me cria l'homme Rien de cassé !? »


L'individu s'avança vers moi. Il semblait d'âge avancé, une quarantaine d'années tout au plus. Il était un homme blond aux traits épais. Il possédait deux grands yeux verts soulignés par d'épais sourcils qui lui donnaient un regard assez déroutant. En me regardant, il posa sa main assez large sur son menton mal rasé, avant de prendre la parole d'un air désolé.


« Je suis navré pour cet accident, je ne t'avais pas vu avec la pluie et l'obscurité. me dit l'homme en me tendant sa main. Et puis, j'étais parti chercher un gâteau aux fraises pour ma femme qui a des drôles d'envie depuis sa dernière grossesse, donc j'étais pressé… Je ne me suis même pas présenté d'ailleurs. Je m'appelle James. James Leocaser. Et toi tu es ?


— Je m'appelle Reisuke. dis-je en saisissant sa main pour me relever. Yamada Reisuke. Vous êtes étranger ?


— Oui, mes grands parents sont des immigrés australiens, donc j'ai gardé un petit côté anglophone haha ! Mais dis-moi, que fais-tu ici garçon ?


— Je devais me rendre chez une amie, mais je me suis perdu en route, donc je cherche mon chemin.


— Si ce n'est que ça, sourit l'homme, j'en fais mon affaire ! Je veux me faire pardonner pour cet incident, laisse-moi donc te raccompagner ! Où habite ton amie ?


— Eh bien… hésitai-je. Si vous pouviez me déposer à la falaise Kosmos, cela serait suffisant.


— Haha ! Qu'à cela ne tienne garçon ! Prépare-toi à voir la légende vivante qu'est James Leocaser à bord d'une moto ! »


L'homme enfourcha sa bécane, tandis que je me positionnai à l'arrière. Il me demanda si j'étais bien installé, et lorsque je lui répondis que oui, il démarra à vive allure vers la côte. Nous enchaînions les quelques rues sombres et humides de la ville tandis que le rire assuré de l'homme retentit avec notre passage. Il me cria un « J'ai hâte que mon petit Christophe monte à son tour sur une moto ». Cela me fit sourire, de voir cet adulte qui avait encore la flamme de la jeunesse dans son cœur.


Nous arrivâmes quelques minutes plus tard à destination. L'homme semblait satisfait à l'idée d'avoir réparé les dégâts qu'il avait causés. Il me salua et repartit d'où il venait. Le facteur chance m'avait décidément bien aidé ce soir, puisque quelques dizaines de minutes plus tard, je regagnai les quartiers d'Indy, ma trouvaille en poche, fier d'avoir trouvé quelque chose.


Lorsque la femme me laissa entrer, la première chose que je fis fut de m'assurer que tous mes effets n'avaient pas pris l'eau à travers le sac. Par chance, tout était sec. Indy me dit d'attendre dans le vestibule tandis qu'elle alla me chercher une serviette afin que je m'essuie au moins les cheveux. Erika quant à elle, se mit en tête de me sécher le corps au sèche-cheveux, qui, selon l'Indienne, n'avait même pas assez de puissance pour faire son travail habituel. Hakaze et Erika s'étaient toutes les deux changées. Sur les conseils d'Indy, elles n'avaient enfilé qu'un tee-shirt et un short, pour être plus à l'aise dans l'effort. Elles étaient parvenues à allier utile et agréable, à être dans des habits confortables tout en étant ravissantes.


Lorsque finalement je fus ne serait-ce qu'un peu moins dégoulinant, on me laissa m'installer à table et ainsi, je pus sortir mon bijou de son sac, le montrant aux jeunes femmes qui eurent à trois la même réaction de choc. Indy, qui fut la plus choquée de toutes, prit la parole, inquiète.


« Cette chose… bégaya-t-elle. Où l'as tu trouvée ?


— J'ai entendu une agression, et je suis allé voir. Le voleur a laissé tomber ça derrière lui et j'ai pensé qu'on aurait pu l'utiliser.


— On appelle ça créer un paradoxe, Reisuke. railla Hakaze. Tu as supprimé de l'histoire un objet semblant magique je te signale !


— Ça va… repris-je agacé. Paradoxe ici, paradoxe là, mais je vous signale que depuis qu'on est arrivés ici, sans vos foutus paradoxes on serait encore à se les geler sur la plage sans savoir quoi faire donc bouclez-la !


— Il n'a pas tort quand même… bégaya Erika, gênée.


— De toute façon en revenant dans le passé c'est obligé que vous changerez des choses. reprit Indy. À moins d'être rois de la discrétion, vous interagirez forcément avec des personnes de mon époque. Bien. Je pense que le mieux à faire, c'est d'aller voir Jin.


— Silver ? rétorquai-je sceptique. Qui est-ce ?


— Un ami à moi. Il possède beaucoup de liens avec Izrath, je suis certaine qu'il pourrait vous aider à vous approprier de la puissance, il est lui-même assez fort et est en possession de beaucoup d'énergie quantique.


— Bien. repris-je, emballé par la proposition d'Indy. Allons voir ce Silver.


— Ça ne m'inspire rien de bon… soupira Hakaze. J'en ai des frissons rien qu'à y penser. »


Je fis un sourire à l'Indienne et me levai, regardant par la fenêtre le temps dehors. Le jour s'était levé. Il devait encore être tôt cependant. Nous avions donc fait nuit blanche, malgré tous les évènements passés ces derniers jours. Je ne comprenais pas d'où me venait cette vitalité, mais aucun signe de fatigue ne pesait sur moi… Je ne condamnai pourtant pas cette endurance soudaine, puisqu'elle m'était bien utile pour mon voyage. Sans m'en préoccuper, je me tournai de nouveau vers mon groupe afin de donner les directives.


« Récapitulons donc. dis-je en tentant de m'imposer. Nous allons donc nous renseigner chez Silver pour avoir des informations sur cette baguette que je garderai sur moi. Hakaze, tu pourras rester à l'entrée, puisque tu as l'air réticente à l'idée de rencontrer l'ami d'Indy.


— Je ferai avec. répondit la jeune femme, mal à l'aise. Notre objectif primera.


— C'est d'accord. Nous partons donc dès maintenant. »


Notre réelle alliance débuta donc sur cette double mission. Indy partit chercher son side-car qu'elle avait garé quelques rues plus loin, tandis que nous sortîmes de la maison, Erika, Hakaze et moi. Cependant, l'objet que j'avais attaché à ma ceinture, exerça soudain une pression assez forte autour de moi. Je le détachai, afin de constater ce qu'il s'était passé avec la relique, sous les regards attentifs de mes amies. Mais lorsque je scrutai l'objet, dans son reflet, j'y vis quelque chose qui me choqua.


Je lâchai la baguette par réflexe, en réaction face à cette chose inattendue. La relique quantique vint s'écraser contre le sol, avant de se briser en mille morceaux.


« Eh bien bravo !!! hurla Hakaze, prête à me sauter dessus. Déjà que tu crées un paradoxe, mais en plus tu brises l'évidence pour être certain qu'on ne puisse pas le réparer !! »


Je n'eus pas le temps de rétorquer que les morceaux brisés attirèrent mon attention. Ils luisirent d'une lueur étrange, vraiment peu rassurante. Je ne comprenais pas de quoi il s'agissait, mais l'éclat jaune se fit de plus en plus intense jusqu'à m'éblouir totalement. Je sentis quelque chose d'étrange en moi, comme si j'étais absorbé par quelque chose, alors que je dus mettre mon bras devant mon visage et fermer mes yeux, afin d'éviter de me faire aveugler par cette lumière.


Lorsque la lumière s'estompa, je constatai que j'avais été transporté ailleurs. Il faisait chaud, bien plus chaud qu'à Yokohama. Je ne pouvais pas tout distinguer, j'étais encore ébloui par la luminescente projection d'il y a quelques secondes, mais là où j'étais désormais, il semblait faire nuit.


Regagnant peu à peu ma vision, je distinguai désert aride et dénué de vie dans lequel nous semblions nous trouver. Nous étions perdus au milieu du sable fin, tandis que très loin derrière nous se trouvait une ville rudimentaire qui semblait s'y être installé malgré les conditions difficiles du climat. Passer de Yokohama en début de journée à une nuit dans l'inconnu ne me semblait pas rassurant. Aussi, ma priorité fut de chercher après mes partenaires. Je les trouvai à quelques mètres de moi, elles avaient toutes deux perdu connaissance. Les secouant un peu, je tentai de les faire reprendre leurs esprits, avec difficulté. Erika avait toujours eu le sommeil lourd après tout. J'arrivai à mon objectif au bout d'une quinzaine de minutes. Hakaze fut la première à se lever et à poser des questions alors qu'Erika dormait encore.


« Mon Rei… Il fait trop chaud… Laisse-moi dormir…


— Où sommes-nous Reisuke ? me demanda Hakaze, vraisemblablement encore sous la confusion du voyage.


— Je n'en sais pas plus que toi… murmurai-je, aussi confus qu'elle. »


Réfléchissant à la situation, j'essayais de remettre en ordre tous les morceaux du chemin nous ayant conduits ici. La lumière qui émanait des pièces de l'objet brisé devait être responsable de cet évènement singulier. Qu'avait donc fait cette baguette étrange… Était-ce une hallucination ? Un voyage dans l'espace, dans le temps ? Avant que je ne puisse dire quelque chose, ce fut Hakaze qui prit la parole d'un ton vraiment pessimiste.


« Je sais où nous sommes… Nous nous trouvons dans le passé… En Égypte… »


Notre aventure allait prendre une drôle de tournure, alors que nous avions vraisemblablement fait un bond de 5000 ans en arrière vers l'Égypte ancienne, qui semblait elle-même être en son heure la plus sombre, à en juger par l'état du paysage que nous foulions de nos regards…





Spoiler :


Une nuit dégagée, un désert aride s'étendant à perte de vue, une brise tiède mêlée à du sable qui nous irritait le visage… Tout ce qui faisait Yokohama avait disparu au profit d'un paysage semblant tout droit sorti de l'Égypte ancienne et pour cause, nous étions d'après Hakaze revenus en Égypte ancienne. Il n'y avait aucune trace de civilisation proche, si ce n'était cette ville que l'on voyait au loin. Elle semblait dévastée, rongée par les flammes et le souffre, tandis qu'une épaisse fumée noire s'élevait vers les cieux en continu, comme pour accentuer l'impression ténébreuse se dégageant de cet endroit. Néanmoins je me posais une question à l'intérieur. Je la fis savoir à Hakaze.


« Comment sais-tu que nous sommes en Égypte, Hakaze ? la questionnai-je sans soupçonner une mauvaise intention de sa part. Connais-tu précisément l'époque dans laquelle nous sommes ?


— C'est Zéphyra qui me l'a dit. avoua Hakaze. Les Izrathiens liés à leurs propriétaires ont la faculté de les suivre même au-delà du temps. Zéphyra est donc en moi actuellement. Elle ne peut cependant pas rentrer à Izrath tant qu'elle ne sera pas revenue dans son époque.


— Je comprends… murmurai-je. Donc Toratura aussi est présente.


— En effet. reprit Hakaze. Zéphyra est ma gardienne depuis toujours, elle me suit donc où que j'aille.


— Toratura a toujours été là aussi. avança Erika qui semblait enfin avoir émergé de son sommeil. Mais elle est plus ma détractrice que ma bienfaitrice…


— En attendant, enchaîna la brune, je vais devoir faire appel à Zéphyra. Reculez-vous et tâchez de ne pas être choqués. »


Hakaze se recula de quelques pas, sous nos regards dubitatifs. Je lançai un regard incompréhensif vers Erika qui était aussi perdue que moi. Matérialiser un Izrathien juste comme ça ? C'était vraiment possible ? Apparemment oui. Lorsqu'elle fut à une distance suffisante, la brune sourit avant de déployer ses bras vers le ciel.


Alors que je me demandais ce que faisait la jeune femme, je la vis scintiller d'un seul coup comme jamais elle ne l'avait fait auparavant. Elle brillait d'une éclatante lumière composée de jaune et de blanc qui m'aveugla en une fraction de secondes. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait devant mes yeux, mais Hakaze semblait sûre d'elle donc je ne cherchai pas à intervenir.


La lumière se dissipa quelques secondes plus tard. Lorsqu'elle fut totalement écartée, je pus distinguer une majestueuse et grande jeune femme, vêtue de blanc, arborant un sceptre de la même couleur. Sa longue chevelure blanche flottait hors de son casque de la même couleur, faisant des allers et venus au gré de la faible brise qui soufflait dans le désert du soir. La femme prit position derrière celle qui l'avait invoquée, me fixant de ses deux grands yeux bleus expressifs. Une certaine maturité semblait inscrite sur son visage, comme si elle avait vécu beaucoup de choses pendant son existence. Erika recula d'un pas, tandis que personnellement je n'avais pas peur. L'Izrathienne aux cheveux blancs prit la parole à notre intention, d'une voix douce et chaleureuse.


« N'ayez craintes, humains. Je ne vous suis pas hostile. Mon nom est Zéphyra. Je suis habitante du sanctuaire céleste, dans le royaume d'Izrath, et je suis la gardienne de Hakaze Namatame, qui est mon actuelle maîtresse dans ce monde.


— Vous êtes impressionnante… bégayai-je, ébahi par cette femme. Je m'appelle Reisuke. Yamada Reisuke. Je suis honoré de pouvoir vous voir.


— Et moi c'est Erika. enchaîna la blonde, un peu plus timidement. Merci de nous avoir aidé par le passé, enfin par le futur…


— Tu me remercieras lorsque tu seras saine et sauve plutôt qu'au beau milieu d'un désert égyptien 5000 ans avant ton ère jeune fille. Lâcha Zéphyra, rigide. Vous êtes en danger ici. »


En danger… ? Que voulait dire l'Izrathienne ? Nous étions loin de chez nous, et nous ne connaissions personne ici. Qui pouvait nous vouloir du mal ? Je lançai un regard à Hakaze, qui semblait ne pas en savoir plus que moi. J'exclus Erika de mes réflexions, étant donné que de toute façon, elle était trop étroite d'esprit pour envisager qui que ce soit. Pourtant, Zéphyra restait en alerte. Elle fixait la ville qui était en train de brûler… Cela avait donc un rapport avec ce qu'il se passait là-bas ?


« Un conflit important se joue actuellement en Égypte. nous mit en garde l'Izrathienne aux cheveux blancs. Le Pharaon Solaris essaie tant bien que mal de repousser une menace venant de l'Australie, mais les forces des ténèbres gagnent petit-à-petit du terrain jusqu'au trône.


— Une guerre ? s'étonna Hakaze. Mais, qui est en guerre avec le Pharaon ?


— Mes archives ne sont pas aussi précises. avoua Zéphyra, honteuse. Jeune maîtresse, gardez seulement à l'esprit que nombre des Égyptiens ont perdu la raison dans ce conflit et que n'importe qui ici peut être votre ennemi. »


Au moment où Zéphyra nous prévint du danger, je sentis une présence arriver vers nous. Hakaze et Erika ne le sentirent pas, mais l'habitant d'Izrath, elle, n'était pas dupe. Elle savait que quelque chose de dangereux se rapprochait de nous. Ainsi, elle en avertit sa maîtresse.


« La menace arrive, jeune maîtresse. dit solennellement Zéphyra. Je vais revenir en votre intérieur afin de ne pas me faire notifier par l'ennemi, mais ne vous en faites pas, je reste attentive.


— Merci partenaire… lui sourit Hakaze. Mais arrête de m'appeler de la sorte. Tu n'es pas ma servante, nous sommes des amies ! »


Zéphyra sourit à la jeune fille. Elle murmura un « les mêmes » qui se fondit dans l'atmosphère en même temps que l'esprit du duel retournait dans l'esprit de son propriétaire. Erika se mit enfin en alerte, tandis que Hakaze fit de même. Finalement, nous étions prêts à nous défendre… Mais de qui, de quoi ? Je ne pouvais répondre.


Je n'eus pas le temps de trouver réponse à ma question que l'on entendit un son venir d'au loin. Ce bruit que je n'arrivais pas à reconnaître s'approchait de plus en plus de notre point actuel, telle une menace rapide et inévitable. Au fur et à mesure que le danger se rapprochait, nous pouvions l'entendre de plus en plus clairement. C'était comme un cheval qui galopait dans le sable du désert. Nous le vîmes d'ailleurs arriver à vive allure, ce cheval noir qui galopait vers nous. Aucun doute possible, c'était un ennemi. La bête était bien trop lugubre pour être une alliée. Elle nous regardait de ses grands yeux brillants tandis que son cavalier descendit face à nous.


Il était un jeune homme qui semblait avoir notre âge. Ses cheveux grisâtres nous empêchaient de distinguer son expression, ne nous laissant voir que son corps de teint mat recouvert par un habit égyptien déchiré et sale de couleur rouge et jaune. Lorsqu'il s'avança vers nous, nous pûmes distinguer son visage. Deux grands yeux mauves bourrés de haine soulignés par une balafre parcourant les trois quarts de son visage. On ne pouvait s'y tromper, cet homme inconnu de nos registres était un criminel. Il nous fit face, nous dévisageant. Je ne savais pas ce qu'il nous voulait, mais lorsqu'il prit la parole, tout fut éclairci par ces mots hostiles.


« Tiens donc. ironisa-t-il. Je patrouille afin de chercher des rescapés et je trouve sur mon passage trois personnes aux tenues inconnues. Quelle belle trouvaille à ramener à mon maître.


— Je serais toi je ne tenterais même pas. lâcha Hakaze, glaciale.


— Oh…j'ai si peur… fit l'homme se moquant ouvertement de mon amie la brune. Je vais te faire ravaler ces paroles et succomber au désespoir de mon maître !!! »


Tandis que le jeune homme semblait amusé par la tournure des choses, l'atmosphère autour de lui et nous changea radicalement. La pression atmosphérique devint plus importante, transformant cette légère brise en vent assez violent. Tandis que la cape du balafré flottait au gré de cette nouvelle source de mouvement, une aura violette émana du hors-la-loi. Cette puissance vira au noir, et explosa dans un hurlement de rage de la part du jeune homme aux cheveux grisâtres, provoquant un épais nuage de fumée couleur ébène qui obstrua totalement notre vision. Hakaze se mit en garde, Erika fit de même, tandis que moi, je guettais les mouvements au travers de ces écrans de fumée auxquels j'étais habitué.


Nous entendîmes un rugissement provenant du nuage. Cela nous glaça le sang à tous, si bien que lorsque l'épais écran de fumée se dissipa, nous nous attendions tous à voir ce monstre. Une énorme créature grisâtre se tenait à côté du criminel. Le monstre à l'allure sinistre dégageait une aura ténébreuse que je ne pouvais pas cerner. Le colosse à la queue de dragon paraissait incroyablement puissant, tandis que son propriétaire ne semblait avoir aucune pitié. J'eus une pensée angoissante. Et si Zéphyra était incapable de vaincre une telle chose… ? Et si nous y passions tous… ?


« Hahaha !! Voilà qui est intéressant ! Sheon ! Débarrasse-moi de cette vermine !!! »


La chose ne se laissa pas désirer et se jeta sur nous, utilisant sa queue de dragon pour espérer nous envoyer valser au loin. Hakaze fut la première à se jeter dans la bataille, sous nos regards choqués à moi et Erika. Alors que l'immonde balafré, le criminel, jubilait à l'idée de voir notre amie se faire écraser par Sheon, la jeune femme brilla intensément comme elle l'avait fait quelques dizaines de minutes auparavant, laissant apparaître une fois de plus la guerrière d'Izrath qui attaqua le monstre de par son sceptre.


La surprise avait fait son effet, puisque l'attaque de Zéphyra avait amoché le Sheon et son propriétaire. D'abord choqué par cette tournure des choses, je pus comprendre que lorsqu'un Izrathien subissait des dégâts, son partenaire ressentait les conséquences des attaques subies par l'appelé d'Izrath. Ainsi, attaquer le monstre suffisait à blesser celui qui le contrôlait, mais à l'inverse si Zéphyra se faisait toucher, alors Hakaze allait subir le même sort qu'elle.


Le bandit lança un regard agacé, il n'avait pas aimé cette attaque surprise. Il reprit de plus belle en lançant une nouvelle fois son étrange dragon à l'attaque, déclarant ainsi le match entre Zéphyra et Sheon. Zéphyra esquiva les attaques du monstre, profitant du contrecoup du recul afin de propulser des ondes d'énergies blanchâtres qui percutèrent son adversaire de plein fouet. Mais alors que l'Izrathienne avait pris l'avantage, le monstre ténébreux avait profité du nuage de sable soulevé par l'onde de choc pour disparaître dans les ténèbres et réapparaître par-derrière, assénant un coup de griffe qui entailla profondément le dos de la guerrière au service de mon amie. Hakaze ressentit le coup également, si bien que les cris féminins des deux femmes résonnèrent à l'unisson pour agrémenter cette nuit marquée par les ténèbres. Je me ruai vers Hakaze, voulant m'assurer de son état, tandis que notre ennemi jubilait face à la tournure des choses.


« Hakaze !!! lâchai-je en préparant déjà de quoi la soigner. Tiens le coup Hakaze !!!


— Zéphyra… murmura-t-elle en tentant de réprimer sa douleur… Il est d'un autre niveau que ce qu'on a affronté auparavant… Pourquoi nous n'y arrivons pas cette fois… ?


— Il y a quelques différences ici, jeune maîtresse, mais la principale réside en le fait que le chef de cet homme lui confère une puissance supérieure à la nôtre, au prix de sa raison. Si nous perdons, nous finirons comme lui, dénuées de sentiments au profit d'une force pure et brute.


— Alors nous ne perdrons pas. reprit la brune, glaciale. Je refuse de perdre la raison.


— C'est qu'elle est coriace la gamine dis donc. railla l'homme sur le cheval. Un conseil, abandonne et rejoins mon maître.


— Je ne te donne pas le droit de m'appeler gamine !!! hurla mon amie en déferlant un torrent de lumière. »


Irritée par l'appellation que lui avait donné l'homme, Hakaze bondit dans les airs, soulevée par la puissance conférée par Zéphyra. Les deux partenaires entrèrent en totale coordination qui leur permit de lancer une attaque groupée en direction de la créature. Zéphyra plongea dans la puissance, armée de son sceptre, ce qui lui permit de s'écraser à une vitesse folle sur Sheon qui se fit souffler par l'attaque. Tandis que le monstre était projeté au loin, son propriétaire hurla de douleur sous l'effet du contrecoup, dévisagé par Hakaze qui reprit la parole d'un ton méprisant et sec.


« Il n'y a qu'une seule personne au monde qui peut m'appeler gamine !! lâcha-t-elle, déterminée.


— Toi… !! grogna le bandit s'agrippant la poitrine sous l'effet de la douleur. Tu as signé ton arrêt de mort ! Sheon, détruis-la ! »


Le Sheon se jeta de nouveau sur Zéphyra en se fondant dans les ombres. Arrivé près d'elle, il cracha une salve de venin que la guerrière réussit à esquiver, profitant de la confusion pour récupérer son sceptre au loin. Cependant, dans l'engouement du combat, le Sheon ne se contrôla plus et projeta des traînées de venin dans tous les sens, cherchant à atteindre l'Izrathienne qui possédait une vitesse et une endurance formidable. Nous dûmes, moi, Erika et Hakaze, nous jeter contre le sol pour éviter les attaques venimeuses. Mais moi qui pensais que la situation était sous contrôle, l'avenir proche allait me confirmer le contraire.


L'attaque du monstre était incontrôlable. Il continuait à cracher des salves tout en manquant sa cible, énervant davantage son propriétaire qui entra dans une rage folle. Je faisais de mon mieux pour éviter les dommages collatéraux du combat, mais je fus finalement pris par surprise par une traînée de venin se dirigeant vers moi. Je fermai les yeux, sachant ce qui allait arriver lorsque la menace me toucherait, mais alors que j'entendis le bruit du choc, je ne sentis rien sur moi. À la place, une nouvelle présence s'était ajoutée à la bataille, rejoignant nos troupes.


J'ouvris rapidement les yeux et me retournai vers ce qui aurait dû me causer des dégâts sévères, mais tout ce que j'y vis, ce fut Erika. Ses cheveux étaient de nouveaux décolorés, comme lorsque Toratura prenait le contrôle. J'avais encore échoué. Échoué à protéger Erika de cette haine qu'elle avait à l'intérieur. Elle était désormais face à Sheon et son propriétaire, luttant aux côtés de Zéphyra, dans notre camp. Mais combien de temps cela allait-il durer alors qu'elle était incapable de maîtriser ses émotions et ses pulsions destructrices ?


« Tu regretteras d'avoir voulu t'en prendre à mon Rei !!! Hurla mon amie aux cheveux blancs. Toratura, massacre ce Sheon !!!


— Zéphyra, prête lui main forte !!! »


Zéphyra s'approcha rapidement du Sheon, utilisant son sceptre pour générer une lumière éclatante qui aveugla instantanément le dragon obscur. De cette luminescente projection surgit Toratura qui se rua avec puissance sur le monstre qui ne pouvait désormais plus se cacher dans aucune ombre alentour. Je vis la créature se faire propulser au loin, sous l'œil intéressé de son propriétaire qui regardait désormais Erika avec des yeux de prédateur. Je compris alors ses intentions bien avant qu'il ne reprenne la parole.


« Je vois… sourit-il, d'un air carnassier. Alors tu possèdes ce pouvoir… Changement de plan. Sheon !! Empare-toi de cette fille, notre maître va nous récompenser !!


— Hors de question que tu la touches !! enchérit Hakaze. Zéphyra !! »


Le Sheon se rua de nouveau sur nous, cette fois visant Erika. Toratura et Zéphyra se ruèrent sur lui afin de l'arrêter, mais le colosse à tête de dragon disparut dans l'ombre, évitant ainsi l'attaque des deux Izrathiennes qui se neutralisèrent mutuellement. Zéphyra, affolée, tenta de rattraper l'ombre, mais il était trop tard. Le monstre du hors-la-loi avait déjà attrapé mon amie, la ramenant auprès de son propriétaire. Les cheveux d'Erika rattrapèrent leur couleur d'origine, tandis que Toratura disparut en émettant un grognement de frustration. Le balafré, apparemment très satisfait par sa prise, reprit la parole l'air narquois, la voix emplie de satisfaction et d'ironie.


« Maintenant j'ai les cartes en main. lâcha-t-il tandis que nous étions acculés. Un seul mouvement et je tue cette gamine. Tu ranges gentiment ta partenaire, tu me suis, je vous offre tous à mon maître et peut-être que vous aurez la vie sauve en servant sa cause.


— Mon Rei… gémit Erika, compressée par la douleur de l'étreinte. Fuis… Tout de suite… »


Je restai figé sur place. Erika était en danger… Et plutôt que de m'appeler à l'aide, elle me disait de fuir… ? Même dans une pareille situation, rien que pour me sauver la vie, elle était capable de se sacrifier… ? Elle savait que si l'on tentait quoi que ce soit, il allait la tuer, et malgré ça… Elle avait choisi de me laisser vivre… Ou avait-elle simplement perdu espoir en moi, bien trop faible pour pouvoir lui porter secours ?


Pourquoi ? Pourquoi c'était elle qui avait ces problèmes ? Pourquoi n'étais-je pas celui qui devait revenir dans le passé pour régler mes soucis ? Pourquoi n'avais-je aucune relique quantique capable de protéger mes personnes précieuses ? Pourquoi avais-je été entraîné dans une série de combats si absurdes devant lesquels j'étais impuissant ?


Si seulement… Je pouvais être capable de protéger ceux que j'aime, au moins une seule fois.


« Tu en es capable. résonna une voix grave dans ma tête. Tu peux réaliser de grandes choses Reisuke, y compris protéger ceux à qui tu tiens.


— Qui êtes-vous… ? Comment parlez-vous dans mon esprit ?


— J'ai toujours été là… En toi. siffla la voix. J'attendais simplement que tu puisses m'entendre un jour. Laisse-moi prendre le contrôle, et je te garantis que je te sortirai de cette situation… »


Lorsque mes yeux s'ouvrirent et que je vis de nouveau la scène à laquelle je faisais face… Tout était différent.


« Lâche cette femme. lâchai-je malgré moi d'une voix beaucoup plus forte et assurée, choquant tout le monde autour de moi.


— Ce n'est pas toi qui négocies ici ! reprit le balafré. Obéis si tu veux vivre, compris !? »


Il n'eut pas le temps de s'en apercevoir, et à vrai dire, moi non plus. En l'espace d'une fraction de secondes, je disparus, puis je réapparus derrière l'homme qui tenait fermement Erika afin de lui asséner un coup furtif. Il fut projeté au sol, tandis que mon amie, elle, était désormais libre. Il se retourna vers moi, m'assassinant du regard, et pour toute réponse, je prononçai quelques mots provenant de ma bouche mais dits presque contre mon gré.


« Élève-toi des profondeurs du désespoir et plonge cette vermine dans le tourment, Draekort ! »


La terre trembla. La brise devint un vent chaud qui se déchaîna, emportant avec lui le sable dans un tourbillon aveuglant, tandis que des profondeurs des sables se réveillait une créature qui allait à jamais changer notre périple…





Spoiler :


A partir de ce chapitre, je narre selon le point de vue d'Erika !


Alors que ma position était délicate, je ressentis quelque chose d'horrible provenant de mon Rei. Lorsqu'il me vit dans cette posture, je sentis un tourment intense à l'intérieur de lui-même. Il s'agenouilla, se maudissant pour son impuissance… Mais alors que je pensais que c'était la fin pour moi, je le vis se parler à lui-même, comme si quelqu'un d'autre était dans sa conscience. Je compris à ce moment ce qu'il se passait… Mon Rei…possédait lui aussi un lien avec une créature venant d'Izrath…


En l'espace d'une seconde, il disparut, puis attaqua le bandit de derrière en lui assénant un coup furtif semblant avoir été comme chargé d'énergie magique dans sa main gauche. L'homme fut projeté au sol et je pus m'enfuir, mais lorsque je posai de nouveau mon regard sur mon bien-aimé… Je vis qu'il devenait peu à peu un autre garçon que celui que je connaissais…


« Élève-toi des profondeurs du désespoir et plonge cette vermine dans le tourment, Draekort ! »


Lorsqu'il libéra la puissance de son monstre, il lâcha son incantation comme un cri marqué par le désespoir et les ténèbres. Son hurlement était si profond et grave que je me demandai sur le coup si c'était bien mon ami d'enfance qui se trouvait devant nous. Une sombre aura encore plus abominable que celle m'entourant moi ou le Sheon gravita autour de lui. Hakaze était choquée par la tournure des évènements. Nous regardâmes toutes les deux mon Rei avec stupeur tandis qu'il changeait d'apparence sous nos yeux.


Les cheveux de mon partenaire poussèrent à une vitesse folle et prirent une couleur ébène. Son regard sincère et rassurant fut peu à peu dépossédé de sa lumière naturelle pour ne laisser place qu'à deux grands yeux noirs dont l'humanité avait été rongée par la folie. Son aura bienveillante avait tout bonnement disparu, ne laissant qu'un profond sentiment d'insécurité et de menace planer dans les alentours. L'homme que je connaissais avait disparu. Ce n'était plus le même qui était devant moi.


Tandis que le balafré semblait surpris par la tournure des évènements, un serpent marron étrange et colossal, composé de six têtes toutes différentes les unes des autres sortit de terre pour s'élever majestueusement derrière celui qui était il y a dix minutes mon allié le plus solide. Sa présence seule suffisait à me terroriser davantage par rapport à celle du monstre qui nous affrontait moi et Hakaze. Par ma faute, nous venions de réveiller des ténèbres encore plus sombres que celles incrustées en moi…


Tout ça… Tout ça était ma faute… Alors que j'étais censée…


« Écrase-le, Draekort. lâcha mon Rei, glacial. »


Tandis que je me lamentais, l'homme aux longs cheveux corbeaux avait déjà entamé sa contre-attaque. Le serpent se cacha sous terre avant de ressortir rapidement sous le Sheon, son propriétaire et moi, nous propulsant tous les trois dans les airs. Tandis que le balafré fut rattrapé par son monstre, ce fut l'invocateur du reptile à six consciences en personne qui bondit et me rattrapa au vol, nous laissant atterrir tous les deux dans l'épais parterre de sable qui jonchait le désert. Mon partenaire me reposa en silence et reprit la bataille qu'il avait entamée. Il ordonna une fois de plus à son serpent de se ruer sur l'autre créature, sous les yeux ébahis de Hakaze et les miens. Le criminel tenta de repousser l'offensive de mon ami par des salves de venin, mais Draekort les absorbait pour en ressortir encore plus vigoureux. Le bandit joua sa dernière carte. Il lança un assaut final avec son Sheon que mon Rei repoussa facilement, mais ce n'était pas l'objectif. Le hors-la-loi n'avait lancé cette attaque que dans le but de pouvoir attaquer mon ami directement, sans passer par son Izrathien. En vain. Son attaque fut neutralisée d'une main.


Pour dernière action, le balafré dégagea son monstre qui était enseveli petit à petit par les six têtes du serpent de mon bien-aimé, avant de prendre la fuite face au jeune homme ténébreux. Il jura que ce n'était pas la dernière fois qu'ils se verraient, mais nous sachions que tout cela n'était que paroles en l'air. Le combat était terminé. Malgré les manières utilisées par mon ami, j'imaginai que tout comme moi, une fois le combat terminé, il retrouverait son état normal. Je m'avançai donc timidement vers lui afin de le remercier d'avoir risqué sa vie pour moi.


« Mon Rei… entamai-je, reconnaissante. Merci pour ce que tu as fait…J'ai eu si peur que je – »


Je n'eus même pas le temps de terminer ma phrase qu'il me fit un signe de main qui me dit me taire. Il se tourna vers moi, et à ce moment précis, je fus pétrifiée par le regard qu'il me lança. Ses yeux n'avaient pas regagné leur lumière habituelle, au contraire. Si les regards pouvaient tuer, je serais morte à l'instant où Reisuke eut posé le sien sur ma personne. Il afficha un air impassible empli de ténèbres, reprenant la parole d'un ton encore plus hostile qu'il n'avait contre le balafré.


« À partir de maintenant, déclara-t-il, je fais cavalier seul. Débrouillez-vous pour rentrer à votre époque. Pour ma part, j'irai chercher le kvantiki moi-même, et je l'utiliserai pour ma propre personne.


— Ta propre personne ? lui demandai-je, consternée. Comment ça ?


— Imagine. me répondit-il. Un monde gouverné par la toute puissance d'un homme ayant obtenu tout le pouvoir d'Izrath !! Un univers fait de chaos et de désespoir, à toutes les époques !! Rien ni personne ne pourrait échapper à ma force !! Cette dystopie est trop belle pour que je l'ignore, ne trouves-tu pas ?


— Reisuke… murmura Hakaze. Tu es complètement fou ma parole… »


Il ne répondit pas. À la place, il invoqua de nouveau son reptile à six têtes qu'il chevaucha avant de lui ordonner de partir vers l'Est, en direction du palais du royaume d'Égypte. J'étais dans l'incompréhension totale. Il y avait quelques minutes encore, mon Rei était de notre côté et il voulait me protéger, et là, même si la menace immédiate était annihilée, j'avais l'impression que la situation avait pris des proportions bien plus dangereuses. Hakaze était cependant moins surprise que je ne l'étais. Elle fixait la silhouette de mon ami aux cheveux corbeaux disparaissant au loin, d'un air triste. Elle semblait déchirée de l'intérieur.


Quant à moi, je me posais des tas de questions. Où était l'homme qui avait affronté Toratura sans la moindre aptitude spéciale, rien que pour me protéger de sa menace ? Il était d'ordinaire quelqu'un qui pouvait tout risquer, y compris sa vie, pour protéger ceux qui faisaient partie de son cœur. Pourquoi avait-il radicalement changé d'objectif de la sorte… ?


Tout était de ma faute. L'origine de cette situation…C'était moi. C'était par ma faute si nous étions revenus dans le passé. C'était la faute de mon lien fragile avec Toratura si nous n'avions pas été capables de vaincre le Sheon de ce type… Ma faute. C'était ma faute. Mon unique responsabilité, alors que ce n'était pas le pourquoi j'existais. Il devait être heureux, et j'avais produit l'inverse de ce que je voulais accomplir…


Je lançai un cri désespéré au ciel, pour extérioriser ma peine. Hakaze me lança un regard compatissant, s'accroupissant pour poser sa main sur mon épaule en guise de soutien. Je savais qu'il fallait que je sois forte, mais je devais d'abord laisser couler mes sentiments pour être capable d'assurer la suite. Mon Rei avait tout fait pour m'aider à sortir de mes ténèbres. Je me devais de lui rendre la pareille et le délivrer des siennes.


Je sentis soudain une présence. Quelqu'un revenait de la direction opposée au palais, nous laissant l'entendre au bruit du galop d'un cheval. Je déglutis. Si c'était de nouveau le bandit qui venait, alors nous étions peut-être en grave danger. Mais dans tous les cas, nous n'avions pas le choix. Nous ne pouvions pas nous déplacer aussi vite que lui, et nous ne pouvions pas nous permettre de perdre, alors je me mis en garde.


Nous fûmes surprises par l'identité de la personne s'étant arrêtée devant nous. Elle était loin de ressembler au balafré dont on venait de se défaire. En effet, ce n'était pas un cavalier, mais une cavalière aux longs cheveux blonds et aux yeux bleus. La femme au teint plutôt pâle portait une longue robe, surplombée par une armure luxueuse couleur or, assortie à un diadème du même matériau, mais incrusté d'autres pierres précieuses, posé sur sa tête. Nous venions de rencontrer quelqu'un d'important pour ce royaume, cela se sentait à des kilomètres. Elle nous dévisagea, nous laissant plonger nos yeux dans son regard profond, mais je sentais qu'elle ne cachait aucune animosité à notre égard.


« Qui êtes-vous !? lança-t-elle hostile. Que faites-vous ici !?


— Nous sommes… hésita Hakaze. Nous nous sommes retrouvées piégées ici à cause d'un dérèglement du côté d'Izrath.


— Tant mieux… soupira la femme. Enfin ne vous méprenez pas, je ne me réjouis pas de votre situation, je me réjouis simplement que vous n'êtes pas vous aussi au service de ce despote qui en veut à Solaris !


— Ce despote ? questionnai-je, dubitative. Qui est-il ?


— Si seulement nous le savions ! grogna la femme, exaspérée. Il est apparu de nulle part, a envahi tout le croissant fertile, et il ne reste que nous pour lui barrer le passage !


— Je vois… soupira Hakaze. Zéphyra avait donc raison. Erika, nous allons nous rendre au palais. Reisuke y est parti et de toute façon nous ne regagnerons pas notre époque en restant plantées comme des piquets.


— Votre époque ? reprit la femme, interpelée par ce qu'avait dit Hakaze. Je comprends pourquoi j'ai ressenti l'espace d'un instant une faille dans l'espace et le temps. Je ne me suis d'ailleurs pas présentée ! Je me nomme Luna. Luna d'Héliopolis. Je suis la sœur du second du Pharaon, et accessoirement, la grande prêtresse du royaume d'Égypte ! »


La grande prêtresse du royaume d'Égypte… ? Je comprenais désormais d'où venait un tel accoutrement. La dénommée Luna semblait être importante, appartenant à l'équipe du Pharaon lui-même. Une telle rencontre était vraiment un coup de chance assez important. Apparemment la femme ne nous considérait pas comme des ennemies. Peut-être allait-elle pouvoir nous aider…


« Pouvez-vous nous emmener en ville ? demanda Hakaze, franche. Nous devons retrouver quelqu'un là-bas, avant qu'il ne cause des dégâts.


— Je peux vous y emmener oui. répondit Luna, qui avait accepté très facilement finalement. Cependant, mon cheval ne pourra porter que deux personnes, moi incluse. Je vais donc devoir faire deux voyages pour vous transporter toi et ton amie. »


Hakaze passa sa main sur son menton, réfléchissant aux éventuels scénarios possibles avec cette information de la prêtresse. Elle prit rapidement une décision en conséquence. Lorsqu'elle se tourna vers moi, ce fut pour prendre la parole d'un ton solennel, comme une mère qui parlait à sa fille. Je compris alors qu'elle allait me dire les mots que je ne voulais surtout pas entendre.


« Erika. entama-t-elle. Tu pars avec Luna la première.


— Je ne te laisse pas ici seule. rétorquai-je en me braquant. C'est hors de question.


— Tu n'as pas encore réglé tes problèmes avec Toratura. reprit Hakaze, sérieuse. Si tu croises un autre monstre comme celui du balafré, tu ne pourras même pas te défendre, alors que Zéphyra et moi sommes capables de nous en sortir.


— Mais il allait nous vaincre !!! enchéris-je, inquiète. Si jamais un autre monstre de ce genre te piège et qu'il te tue, que ferai-je !!?


— Erika. lâcha la brune, glaciale. Rentre-toi ça dans le crâne : je vous ai accompagné dans le passé. Ma mission est de faire en sorte de vous ramener tous les deux sains et saufs à notre époque. Toi, comme Reisuke. Si je venais à échouer, je ne pourrai jamais me présenter de nouveau face à son regard, car il place toute sa confiance en moi. Vas-tu salir mon honneur en me faisant prendre une voie dans laquelle je risque ta vie pour sauver la mienne ? »


Je déglutis. Hakaze semblait déterminée, et inarrêtable. Je ne voulais pas suivre ses directives, mais elle avait raison. Je n'étais pas en état de livrer un combat sur le long terme, et je ne devais pas non plus mourir ici. Je ne pouvais pas me le permettre. Ainsi je cessai d'agir en égoïste.


« Promets-moi que nous nous reverrons… lâchai-je d'une voix à moitié morte.


— Je te le promets, Erika. m'assura Hakaze avec le sourire. Ne t'en fais pas, j'ai vécu bien pire que cette broutille. »


J'acquiesçai avec tristesse. C'était une décision difficile à prendre et mettre en œuvre, mais elle devait être prise. Je montai avec difficulté sur la monture de Luna. C'était la première fois que j'en chevauchais une, mais j'y arrivais tant bien que mal. Je me tins à la taille de la jeune femme, prête à prendre la route. La confirmation donnée à notre nouvelle alliée, elle ordonna à son cheval de partir au galop et nous filâmes ensemble à vivre allure. Me retournant vers Hakaze, lui lançant un dernier regard, je priai pour que rien ne lui arrive jusqu'à notre prochaine rencontre…


« Sois forte, Hakaze. murmurai-je en espérant que mes mots soient portés par le vent sec du désert. »


Sur le cheval galopant dans le sable fin d'Égypte, j'étais inquiète. Inquiète et mal à l'aise face à cette situation à laquelle nous faisions face. Hakaze était restée en arrière en risquant des tas de choses dans un environnement qui ne nous était nullement familier, simplement car j'étais à découvert dans ce monde. Elle était une complète étrangère pour moi, et pourtant, elle risquait sa propre vie pour préserver la mienne. Mon Rei de son côté avait dû sombrer dans les ténèbres pour me protéger, une fois de plus.


Mais pourquoi ? Pourquoi devais-je être entourée de ce genre de personnes prêtes à risquer leur vie pour les autres ? Pourquoi devais-je les voir souffrir et se débattre contre la vie elle-même simplement pour me mettre en sécurité ?


Ce n'était pas censé se passer comme ça… Ma tante ne m'avait pas prévenue que j'allais tant souffrir. Tout le monde basculait dans les ténèbres simplement pour protéger ma misérable existence, moi, le fardeau de l'équipe, le boulet que mes amis se traînaient et qui les empêchait d'avancer.


Je m'insultai moi-même. J'insultai Toratura en mon for intérieur. Pourquoi cette foutue princesse des serpents m'avait-elle choisie pour accomplir ses objectifs !? Et quels étaient ces objectifs !? Pourquoi avait-elle besoin de répandre le désastre autour de moi !? Et comment la stopper ? Si j'avais pu me tuer là, maintenant, pour pouvoir libérer tout le monde, je l'aurais fait sans hésiter.


« Tu n'as pas à attenter à ta vie pour libérer tes proches. me surprit Luna qui semblait avoir lu dans mes pensées. Ce n'est pas une pensée négative qui va te permettre d'avancer dans un océan de ténèbres.


— Co… Comment sais-tu ça ? bégayai-je. Je n'en ai pas parlé…


— Je vous l'ai dit, reprit la brune, je suis une prêtresse dans le royaume, et j'ai un sixième sens pour tout ce qui est spirituel. J'ai entendu les lamentations qui provenaient de ton âme.


— Alors tu sais que je suis irrécupérable… me lamentai-je en me mordant la lèvre.


— C'est faux. Tu n'es pas irrécupérable. Tu es venue pour trouver une source d'énergie qui t'aiderait à vaincre cette chose que tu as en toi, c'est respectable, mais si tu veux mon avis, tu choisis la mauvaise route. »


Comment pouvait-elle en savoir autant ? Était-elle une sorte de medium ou quelque chose du genre ? J'étais stupéfaite. Cela fit sourire Luna qui semblait s'amuser de mon incrédulité. J'étais revenue 5000 ans en arrière, évidemment qu'être surprise par quelque chose de moins choquant comme un simple pouvoir de ce genre pouvait sembler risible pour une personne habitant l'Égypte antique.


« Je vais te révéler des secrets sur Izrath. reprit Luna tandis que le cheval continuait toujours sa course vers le palais. Maudire Toratura n'est pas une solution. Elle est venue pour un but précis, et tu ne connais pas ce but. N'est-ce pas toi qui juges l'Izrathienne sans même tenter de la comprendre ? Elle possède des sentiments aussi, en plus d'un passé particulièrement difficile.


— Elle répand le chaos chaque fois qu'elle se manifeste… murmurai-je. Si elle se manifestait sans faire du mal, évidemment que je pourrais la comprendre…


— Je sens une pointe de frustration venant de Toratura. rit Luna. Je vais vous aider toutes les deux. »


Le cheval s'arrêta. Luna m'invita à la suivre et ensemble nous marchâmes un moment dans le désert. Je demandai à la jeune femme si nous ne pourrions pas aller plus vite avec sa monture, mais elle m'assura que c'était une mauvaise idée de l'utiliser ici. Nous reprîmes la route, marchant quelques dizaines de minutes dans ce désert vraiment peu accueillant, hostile. J'avais peur…J'ignorais ce qui nous arriverait ici et surtout comment nous pourrions regagner notre chez nous… Je m'inquiétais à propos de mon Rei aussi… Je ne savais pas dans quel état il allait revenir avec moi… Cela me frustrait. Cependant, Luna qui marchait à mes côtés gardait son sourire, et cela me faisait du bien…


« Nous sommes arrivées, Erika. C'est ici que nous poursuivons notre route.


— Mais nous sommes en plein milieu du désert. m'exclamai-je, abasourdie.


— Je n'arrive pas à croire que tu sois arrivée ici en étant si étroite d'esprit. soupira Luna en posant sa main sur son visage. Regarde donc. »


La brune déploya les mains, afin de générer une puissance magique prodigieuse que je n'avais jamais vue auparavant. Elle la projeta à un emplacement précis du désert qui révéla une espèce de trappe menant vers le sol. Je fus surprise. Luna se moqua.


« Cette trappe nous mènera au Palais, nous y arriverons plus vite qu'à cheval. Suis-moi.


— D'accord… murmurai-je, hésitante. »


Je suivis la jeune femme qui passa par la trappe dissimulée. Nous descendîmes toutes les deux par une échelle dans ce qui semblait être une caverne souterraine. Tout y était vraiment sombre. Pas la moindre source de lumière ne pénétrait l'endroit qui rendait assez sinistre. Il faisait plus froid dans cette caverne qu'à la surface. Pour moi qui n'étais que peu couverte, c'était dur à appréhender. Luna descendit la première, puis je m'exécutai. Elle alluma des bougies qui étaient dispersées contre les murs de l'espace rocheux, me laissant distinguer davantage le paysage.


C'était une plate-forme s'étendant assez loin et donnant sur une porte. C'était large et plus coloré qu'il n'y paraissait avant que la jeune femme n'éclaire la salle. Je me sentais un peu plus rassurée, d'autant plus que la chaleur des flammes des bougies se répandait peu à peu, me laissant ressentir leur effet au bout de quelques minutes. Luna revint vers moi, reprenant la parole avec plus de sérieux qu'auparavant.


« Erika, entama-t-elle, nous allons nous affronter ici, toi et moi.


— Tu es sérieuse ? bégayai-je, abasourdie. Mais, tu n'as même pas de contact avec Izrath… Je ne veux pas risquer de te blesser !


— Crois-tu vraiment que je suis dans l'armée de Solaris simplement pour ma filiation avec Helios ? railla la blonde, agacée. Mets-toi en garde que je corrige cette fausse affirmation !


— Non ! Je refuse ! Je ne veux blesser personne d'autre ! Si tu m'affrontes… Toratura se fichera des conséquences !!!


— Bien. reprit solennellement la femme, l'œil luisant d'un éclat multicolore. Eh bien si tu ne veux pas m'affronter, soit. Je t'éliminerai sans que tu n'opposes la moindre résistance !!! »


Luna brilla d'un éclat intense qui me fit plisser les yeux. En moins d'une seconde elle augmenta fortement la pression atmosphérique autour de nous, rendant ma respiration plutôt difficile. Je restai sur mes gardes, évaluant d'un œil inexpérimenté le pouvoir de la femme. Elle ne pouvait de toute façon rien faire sans sortir l'esprit d'Izrath pour combattre à ses côtés. Je n'avais donc pas à m'en occuper tant que je n'en avais aucun signe.


Mais à ma grande surprise, la prêtresse de Solaris posa une main au sol et déclencha un mécanisme singulier. Une fois enclenché, des tas de piliers luminescents sortirent du sol si rapidement que je peinais à les esquiver. Elle souleva des pierres qui formèrent en quelques secondes deux colosses titanesques qui s'élevèrent en moins de temps qu'il ne me fallut pour le réaliser. J'étais stupéfaite. Comment Luna pouvait-elle utiliser toute cette puissance sans l'intervention d'un esprit d'Izrath !?


« Tu me sous-estimes, Erika. s'amusa la brune entourée par ses colosses. Il existe plusieurs types de pouvoirs conférés par la dimension d'Izrath. Les personnes comme toi ou ton amie sont appelées « Summoners ». Ils ont le pouvoir d'appeler des Izrathiens pour combattre. Moi, je suis de la classe des « Casters ». Je peux utiliser la magie d'Izrath à des fins personnelles. Nous avons recensé d'autres classes, mais ce n'est pas ton problème pour l'instant. »


La prêtresse de Solaris déploya sa main vers moi, donnant l'ordre à ses deux géants de pierre de m'attaquer à l'unisson. Les colosses tentèrent d'abattre leurs puissantes mains de granit sur moi, tandis que je refusais toujours de riposter de peur de blesser cette personne.


Lorsque l'attaque finit par me toucher, je crus que j'allais en mourir instantanément. Le choc de l'offensive me propulsa contre les parois de l'espace dans lequel nous nous trouvions, me laissant lâcher un hurlement de douleur proportionnel à ce que je ressentais. Jamais je n'avais eu aussi mal que par cet assaut, mais ce n'était rien face à combien mon Rei et Hakaze avaient à souffrir. Mon combat intérieur était bien plus douloureux que ces attaques.


Je me relevai péniblement. Je devais avoir le bras droit cassé, car je ne le sentais plus du tout.


Je lançai un regard déterminé à Luna dont le visage était marqué par la surprise. Elle pensait sûrement que j'allais me défendre, mais cela ne s'était pas passé de la sorte. Essoufflée par le choc, je repris mon discours face à Luna, alors que je m'étonnais moi-même d'être encore debout après un tel assaut.


« Je refuse de prendre le risque de te blesser, Luna !! Lance une autre attaque si tu le veux, mais je resterai fidèle à mes convictions ! Je me suis promise de ne plus détruire les rêves de personne, même si je dois en mourir, et je ne trahirai pas cette promesse !


— Si je peux me permettre demoiselle, déclara une voix grave dans l'ombre, ma sœur est bien plus tendre avec toi qu'elle ne l'est avec moi. Ce n'est pas avec ce que tu as en toi que tu risquerais de la blesser. Elle voudrait te tuer, tu serais morte avant même de l'avoir réalisé !


— Hélios ! s'insurgea la blonde face à la venue de l'homme. Je te signale que notre royaume est en guerre, et tout ce que tu trouves à faire c'est t'incruster dans notre combat !


— Mais ! geint la voix dans l'ombre. Il n'y a rien de fun à combattre des zombies lobotomisés au désespoir ! Je préfère vous regarder vous affronter c'est plus drôle !


— Je n'en peux plus de traîner ce boulet. soupira Luna avant de se tourner de nouveau vers moi. Bien. Si tu refuses de te défendre, je te forcerai à le faire !


— C'est ça ma sœur ! l'encouragea l'individu. Mets-lui une raclée digne d'Héliopolis ! »


Luna envoya un de ses colosses s'occuper de moi tandis qu'elle dirigea l'autre contre son frère. J'entendis un cri sourd provenant de l'homme tandis que le monstre de la brune se dirigeait droit vers moi. Je fermai les yeux. Je savais que j'allais encaisser un impact qui allait signer mon acte final, mais je refusais de prendre ce risque, malgré les recommandations d'Hélios. C'était une fin misérable, certes, mais une fin que je méritais. J'avais semé le chaos par le biais de Toratura, blessé autrui, manqué de tuer ceux que j'aime. Je ne pouvais pas m'empêcher de penser qu'un jour j'allais devenir une meurtrière malgré moi, et je refusais cela.


Tandis que je sentais la paume du colosse s'approcher de moi. Je ne pus que m'excuser à mon Rei et Hakaze de l'intérieur, avant d'encaisser l'attaque dévastatrice de la prêtresse.


Cependant, du choc je n'entendis que le bruit de pierres brisées se disperser sur le sol. J'étais résignée, mais j'étais la seule à l'être. Lorsque je rouvris les yeux, je fus dévastée. Cette chose infâme m'avait protégée de l'attaque. Toratura était apparue contre mon gré, s'interposant entre moi et Luna qui afficha un sourire non dissimulé devant ce rebondissement. Je lançai un regard méprisant à mon fardeau qui se tenait devant moi, affichant toute la tristesse du monde dans son expression, sans même me renvoyer l'attention.


Pour toute réponse à ma tristesse, elle aggrava mon cas, se jetant sur l'autre colosse de pierres de mon adversaire qui la repoussa avec facilité. Nous prîmes tous les deux des dégâts, comme les règles d'Izrath le voulaient. Mais cela n'avait pas l'air de déranger le reptile qui se lança de nouveau à l'assaut de Luna et sa chose qui était plus agile qu'elle n'en avait l'air. Je compris alors que Toratura n'avait aucune chance. Contrairement à cette fois où la princesse n'affrontait que des humains, il fallait une totale coordination entre l'Izrathien et son maître pour pouvoir se battre. C'était pour cela que Hakaze et Zéphyra étaient fortes. Le colosse enchaîna avec une autre attaque puissante que la reine des serpents put contenir, non pas sans se faire propulser à quelques mètres.


Le reptile se recula rapidement, se sentant acculée par Luna qui afficha un sourire franc face à sa position. La jeune femme aux cheveux blonds reprit de plus belle et ordonna à son colosse, ainsi qu'à un dragon de pierre généré spécialement pour l'occasion, de se ruer sur mon monstre. Les deux créatures s'exécutèrent en un instant, pris d'une vitesse fulgurante, si bien qu'en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, Toratura fut propulsée contre le mur. Nous ressentîmes elle et moi les dégâts causés par l'attaque…pour finir toutes les deux inconscientes.


Lorsque je repris connaissance, j'inspectai les lieux qui semblaient avoir changé. J'étais dans un environnement sombre. Je ne distinguais aucune forme, aucune présence… Les ténèbres. J'étais dans les ténèbres les plus profondes. Étais-je… morte ? J'en avais l'impression… Dans cet endroit tout fait d'ombre et de froid, je me sentais seule et incomprise…


Je me relevai, décidant d'inspecter l'endroit. Comme une aveugle l'aurait fait, je marchai les mains devant moi, essayant de discerner l'endroit où j'avais atterri. Je cherchai une dizaine de minutes dans l'ombre abondante avant de retrouver dans cet espace confiné et sinistre celle qui était responsable de tout ce chaos. Elle était allongée sur ce qui semblait être le sol, inerte. Je me ruai sur elle, réalisant que la voir dans cet état me faisait mal au cœur. M'agenouillant auprès d'elle, je portai sa tête, qui avait plus ou moins la même forme que celle d'une humaine, afin de la poser sur mes genoux. La voyant reprendre connaissance, je pris la parole à son intention, ne pouvant empêcher ces quelques larmes de couler le long de mon visage avant d'atterrir sur le sien.


« Toratura… entamai-je, attristée. Pourquoi as-tu besoin de te mettre dans cet état… ?


— Nous n'en serions pas là si tu me laissais prendre les rennes de temps en temps… grogna le reptile.


— Je ne peux pas ! rétorquai-je avec violence. Tu blesserais mes amis, tu causerais le chaos… Si seulement tu m'écoutais alors je pourrais te faire confiance !!! Mais tu es trop cruelle pour ça !


— Ce n'est pas moi qui suis cruelle, Erika. reprit la princesse. C'est notre monde qui l'est. Tu n'as pas idée du nombre de personnes qui pourraient en vouloir à ta vie. Ta simple existence doit être protégée de tellement de maux… Marie Kurenai m'a invoquée pour que je te protège en cette raison. Alors dès que je sens que tu as mal, que quelqu'un te fait de la peine, j'interviens pour te préserver.


— C'est ma tante qui… bégayai-je.


— Oui. me coupa le reptile. J'ai pour mission de ne pas te laisser expérimenter les émotions négatives, et encore moins le danger. Mais je n'arrive pas à sécher les larmes que tu verses par ma faute, malheureusement. Erika. Tu as redonné un sens à mon existence vaine, moi qui avais toujours vécu de ténèbres et de violence. Personne au monde ne t'aime plus que moi. Même cet homme duquel tu es éprise n'est rien en comparaison. Si je dois tuer ou être tuée pour que tu puisses sourire, alors j'y consens.


— Toratura… Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé… ?


— Je ne pouvais pas. lâcha-t-elle. Tu m'as toujours enfermée dans ta frustration. Tu m'as associée à tes peurs, tes pleurs, ta rancœur, ce qui implique que lorsque j'apparais, tu ne peux rien ressentir d'autre que ces émotions. »


Je repris connaissance, derrière Toratura. Oui, j'étais une ingrate. J'avais toujours dépendu de Toratura, de mon Rei, et de Hakaze, mais je n'avais jamais été capable de leur exprimer ma gratitude, ou même de simplement les comprendre. J'étais le problème. Je repoussais tout ce qui faisait du mal à mon petit monde au lieu d'essayer de vivre avec, comme une égoïste, une capricieuse. Mais Toratura était comme tous les êtres humains. Elle possédait des sentiments que je blessais chaque jour en la repoussant sans même essayer de la comprendre, telle la misérable femme que j'incarnais.


Un frisson me parcourut le corps. Si j'avais été au bout de mon objectif, en récoltant le kvantiki, aurais-je été jusqu'à séparer Toratura par la force, voir la tuer de mes mains juste pour préserver mon petit monde ? Cette simple pensée suffisait à soulever en moi une rage folle qui semblait alimenter la puissance de mon reptile.


« Es-tu enfin décidée à te battre ? se moqua Luna en voyant mon changement. Ne pense pas avoir la moindre chance face à moi !


— Tu rêves ! repris-je déterminée. Toratura, combattons ensemble !


— Entendu. acquiesça l'Izrathienne. »


Et cette fois, Toratura se jeta sur les deux colosses d'une vitesse phénoménale. Je m'aperçus au fur et à mesure de la course du reptile, que je luisais de nouveau, tout comme lorsqu'elle se manifestait contre mon gré. Mes cheveux virèrent de nouveau au blanc, me laissant prendre l'apparence que j'avais lorsque l'Izrathienne était sortie. Mais j'avais les esprits clairs cette fois. J'étais capable de me coordonner avec Toratura, si bien que je ressentais une forte puissance en moi.


« Fusion parfaite !!! hurlai-je tandis que les mots me vinrent tout seul.


— Comment !!!? hurla Luna abasourdie. Mais il n'y a que Hélios qui en est capable !!! »


Moi et mon amie fûmes toutes deux colorées des mêmes nuances tandis que nos corps semblaient comme fusionner l'un avec l'autre. Je perdis connaissance l'espace d'une seconde, me réveillant métamorphosée. Nos corps avaient fusionné. Nous étions deux consciences dans mon corps revêtant une armure faite des écailles de Toratura. C'était donc ça, la fusion parfaite. Pouvoir maîtriser toute la puissance d'un monstre avec nos capacités intellectuelles humaines… Un pouvoir qui faisait dépasser toutes les limites des deux civilisations…


Mais je ne tins que quelques secondes. Le sort se brisa et nous tombâmes toutes les deux raides au sol. Luna restait muette devant ce que je venais de faire. Je ne compris pas pourquoi, étant donné que j'avais lamentablement échoué à exécuter l'attaque. La blonde accourut vers moi et me soigna par son pouvoir, me laissant reprendre toute l'énergie perdue en raison de ce combat.


« Merci de m'aider Luna. lui lançai-je en haletant. Je t'avoue que la chute a été douloureuse.


— Laisse-moi faire. reprit la prêtresse. Je suis habituée à ce genre de blessures. Hélios est bien plus amoché que toi lorsque l'on s'entraîne ensemble.


— Ce n'est pas vrai ça… reprit une voix provenant d'un tas de pierre duquel s'échappait un doigt levé pour montrer la contradiction. »


Je souris. Leur famille était décidément bien étrange à ces deux-là. Ils semblaient venir d'un autre monde, le frère et la sœur. Cela me faisait sourire… Jusqu'à ce que Luna reprenne la parole.


« D'ailleurs Erika, je suis navrée de te le dire, mais il y a de fortes chances que tu sois la descendance de cet abruti qui me sert de frère.


— Comment !!? m'étranglai-je en regardant ce qu'il restait de l'homme. Mais, pourquoi ?


— La fusion parfaite est exclusive à Hélios. reprit Luna. Il n'y a que lui qui maîtrise ce pouvoir, on peut donc en déduire que tu dois être liée à nous, les Kurenai.


— Mon nom est effectivement Kurenai… soupirai-je. Mais ne peut-on pas juste laisser planer le doute en disant que je pourrais être de ta lignée ? Cela m'enlèverait un poids sur la conscience…


— J'ai entendu ! railla le tas de briques. Ce n'est pas sympa du tout !!!


— Nous dirons ça… soupira Luna. Bien. Hélios, rends-toi utile et amène Erika au palais. Je vais aller rechercher son amie. »


Le tas de briques se mit à se mouvoir et me fit signe de le suivre. Dépitée, je m'exécutai et je le suivis dans le souterrain qui allait me mener jusque le palais du pharaon Solaris, là où j'allais sûrement rencontrer mon Rei, afin de l'arrêter avant qu'il ne suive le même chemin que moi.


Car cette fois, j'étais capable de le stopper. J'étais suffisamment forte pour pouvoir changer le cours des choses et répandre l'espoir moi aussi.





Spoiler :


Le frère de Luna était donc devenu mon guide improvisé vers les quartiers de Solaris, actuel pharaon d'Égypte. L'homme, qui était toujours sous ce tas de cailloux projeté par sa sœur, ne sembla même pas daigner s'en défaire. Au contraire, il les emportait avec lui en les maintenant de par une énergie translucide dont je ne pouvais pas déceler l'origine. Je voulus lui demander pourquoi, mais je sentais que c'était peine perdue. Malheureusement, il le dit avant moi.


« Tu dois te demander pourquoi je ne me révèle pas jeune fille ? entama l'homme, assuré. Eh bien figure-toi qu'il est judicieux pour moi de ne pas révéler mon visage à un éventuel ennemi. Qui sait ce que pourrait faire l'armée de cette vilaine Yiskha si elle venait à découvrir le physique du seigneur soleil d'Héliopolis ! Alors j'attends le moment stratégique dans l'ombre, et je frapperai une fois, et ils se souviendront du nom d'Hélios !


— Vous êtes certain de savoir par où nous devons passer pour aller au palais j'espère ? demandai-je au tas de pierre, inquiète. Je dois absolument rejoindre mon ami pour l'arrêter !


— Ne t'en fais pas ma chère amie. m'assura le « seigneur ». Moi, Hélios, soleil d'Héliopolis, je m'assurerai que ton objectif soit réalisé, et que l'on terrasse ces envahisseurs ! »


Je n'étais pas du tout rassurée à l'écoute de cette nouvelle. Mais je n'avais pas le choix. Il fallait que je progresse et il était mon seul guide dans ces galeries souterraines. Mais Toratura n'était pas du même avis que moi. La princesse des reptiles sortit soudainement du médaillon que je gardais, et elle percuta l'homme sans que je ne puisse la stopper. Hélios, de dos, ne put voir l'attaque et se la prit de plein fouet, laissant ce tas de briques voler en même temps que lui.


Lorsque je pus le considérer, je fus surprise par un sentiment de stupéfaction. Non pas à cause de l'armure semblant très lourde qu'il revêtait, ni par ses bijoux couleur or, mais par son visage. Le blond de ses cheveux, la forme de ses yeux dorés qui pétillaient comme ceux d'un enfant… Et ces lèvres… Pas de doute. Hélios ressemblait, de manière assez vague, à mon propre père.


Cela suscita en moi une vague d'émotions, car il me rappelait à la fois le souvenir de mon père, et me confirmait que je devais bien être issue de sa lignée. Comment était-ce possible qu'un ancêtre de milliers d'années auparavant puisse partager une ressemblance physique avec mon propre paternel alors qu'il y avait un mélange de sang à chaque génération ? Je ne comprenais pas vraiment. Peut-être une certaine caractéristique de cet ADN singulier ressortait en chacun des héritiers de la descendance d'Héliopolis ? Il allait falloir que je creuse ça à mon retour du passé.


L'homme reprit la route. Je le suivis. Il me racontait des tas de choses tandis que nous avancions dans les galeries sombres et étroites, souvent peu éclairées, qui se trouvaient sous le royaume d'Égypte lui-même. Le seigneur me contait toutes ses prouesses lors de ses années de service au Pharaon Solaris qui semblait le considérer comme l'une de ses principales forces dans la cour. Il était intarissable lorsqu'il commençait. Chaque fois que le blond finissait une phrase, il en enchaînait une autre, encore plus enjoué par l'aventure qu'il mentionnait. Il se retournait de temps à autre pour vérifier si je n'avais pas décroché, et reprenait de plus belle quand il constatait que j'étais encore en vie et réceptive.


« Tu en auras des histoires à raconter à tes enfants ! rit l'homme qui me servait de guide. Toutes les prouesses de leur ancêtre, le grand Hélios, seigneur d'Héliopolis — dont je suis certain que le nom est un hommage à mon courage entre parenthèses. Ils seront émerveillés, n'est-ce pas ?


— C'est cela… soupirai-je, impatiente de sortir de ce tête-à-tête. Je leur raconterai tout ce que vous me dites… »


Nous continuâmes à marcher lui et moi. Je dus supporter des tas d'histoires de chevaliers et de dangers pour le royaume égyptien, et toutes se soldaient par une victoire héroïque d'Hélios. Soit il était en effet un grand guerrier, soit un sacré fabulateur, et je penchais plutôt pour la seconde option lorsque je le regardais. Mais je lui laissais le bénéfice du doute.


Au bout de quelques minutes qui me parurent interminables, nous aperçûmes finalement une lueur au fond du chemin. Soulagée, et à moitié folle, je poussai le seigneur d'Héliopolis afin de pouvoir enfin sortir de cette prison de la folie et de l'idiotie abrutissante. Le second de Solaris lâcha un cri de surprise tandis qu'il fut projeté contre le sol, me permettant de grimper l'échelle qui allait me mener hors de cet affreux endroit, loin de cet homme.


Cependant, alors que je pensais enfin être tranquille, lorsque je remontai les marches, je le revis. Il était arrivé devant moi et se tenait droit, l'air satisfait. Devant ma mine incrédule, il lâcha un rire franc et respirant l'innocence, tandis que j'étais dépitée.


« Eh bien il fallait me le dire si tu étais claustrophobe ! rit-il. Je serais resté plus proche de toi pour t'aider !


— Je suis désolée… feins-je en essayant de garder mon calme. Mais tout va bien maintenant, je suis sortie.


— Pas tout à fait ! rétorqua le blond, l'œil brillant. Le palais du Pharaon est immense, et il te faudra un guide ! Et devine quoi ? je suis disponible ! »


Je poussai un long soupir de désespoir, avant de suivre Hélios. Au fond de moi, j'eus la pensée que Hakaze avait peut-être de la chance d'être seule au beau milieu du désert finalement. Mais je devais supporter. Ainsi, alors que nous parcourions les longs couloirs faits d'or et de pierres précieuses, je tentai de lancer un sujet de conversation qui allait m'être un peu plus utile que du folklore de bouffon de la cour.


« Dites, Hélios. entamai-je.


— Hélios. Me coupa-t-il en se retenant de rire dans un bruit étrange.


— Sérieusement ! lâchai-je en gonflant les joues, frustrée. Dites-moi plutôt ce qu'est exactement le conflit dans lequel vous êtes impliqués ! Nous n'avons aucune information et nous sommes au beau milieu de deux camps !


— Ah… reprit le blond plus calmement, en continuant sa marche. C'est bien simple à vrai dire. Du jour au lendemain, quelqu'un est venu dans les territoires de l'Est, comme du beau milieu de l'océan, et il a conquis ces terres.


— Territoires de l'Est… ? m'interrogeai-je. L'Australie ?


— L'Austra quoi !? percuta l'homme. Cette terre se nomme Australie ? Très bien. Je disais donc, il est arrivé depuis…l'Australie… et il a conquis le territoire par le biais d'un sort étrange. Une fois qu'il arrive, tout le monde devient littéralement fou ! Il contrôle leurs esprits et leurs sentiments, et il peut soulever une armée d'hommes en un rien de temps ! Et comme si cela ne suffisait pas, il décuple leurs aptitudes et leur confère des pouvoirs ténébreux ! Il a déclenché des tas de guerres et a pris tant de contrées… Il ne reste plus que notre royaume, et celui de Toppolinus de Rome. Nous sommes tous deux en guerre contre cet infâme scélérat. »


Cela ne présageait rien de bon. Si ce qu'Hélios m'avait dit était vrai et qu'il ne se trompait pas, alors cela voulait dire que nous étions à une période très délicate de l'histoire. Je devais me montrer discrète, très discrète même. Attirer l'attention sur ma personne à ce niveau était la dernière chose à faire.


Alors que nous marchions encore, j'aperçus une armure romaine dans le couloir. C'était sûrement un trophée, ou un échange puisque le soleil d'Héliopolis ne m'avait pas mentionné un quelconque conflit entre les deux partis. Cette chose semblait pouvoir couvrir intégralement le corps de son porteur, tout en étant plutôt légère. C'était ma chance pour être discrète. Ainsi, alors que le souverain était encore devant moi, je me glissai rapidement dans l'armure de fer.


Je suivis ensuite de nouveau le blond, qui, lorsqu'il se retourna vers moi, ne notifia même pas que je portais une armure. Mais c'était plus difficile que prévu de me mouvoir dans cette boite de conserve. Chacun de mes pas était lourd, et accompagné d'un bruit de ferraille grinçante, comme si j'étais une vieille machine qui avait besoin d'être huilée.


« Nous sommes arrivés ! s'exclama Hélios alors que je peinais à garder le pas. Regarde Erika ! Toute cette immensité baignée de lumière est notre royaume. »


Je m'approchai au balcon du palais et je pus apercevoir un spectacle fantastique. L'Égypte, ses habitations d'époque, ses décors antiques, ses pyramides, son sphinx, son Nil, le tout baigné dans la lumière du soleil. L'aurore qui éclairait l'immensité colorait le pays d'un éclat scintillant qui faisait luire le fleuve et rendait le ciel aussi nitescent qu'une étoile. C'était magnifique. Difficile d'imaginer qu'un tel environnement était le décor d'un conflit comme me l'avaient raconté Hélios et Luna. Tout était si paisible vu de là où j'étais… Enfin, presque. J'entendais des bruits d'affrontements au loin. Des cris d'hommes défendant leurs foyers contre l'envahisseur. Des gémissements de souffrance… Ce pays était en guerre. Peu importe combien il était beau, il souffrait actuellement.


« J'aimerais tellement tous les sauver… soupira Hélios, empli de tristesse. Nous avons abrité le plus d'enfants possible dans le royaume, mais nous ne pouvons pas batailler sur tous les fronts…


— Qu'est-ce qui vous empêche de descendre et vous battre vous aussi, Hélios ? lui demandai-je, curieuse.


— Ce n'est pas stratégique. répondit-il en se mordant la lèvre. Quand on gère un pays, on doit penser à épargner le plus d'innocents que possible. Et ce n'est pas en se lançant dans une bataille sentimentale que je réussirai à faire tenir ce royaume.


— Eh bien moi j'irai. repris-je déterminée. Merci de m'avoir amenée ici, Hélios, mais nos routes se séparent. »


Je jetai mon armure. Finalement, j'allais devoir bouger suffisamment rapidement pour agir, peu importe si l'on devait m'identifier. Désormais plus légère, je mis un pied sur le balcon, et avant même que Hélios ne puisse répondre quoi que ce soit, je sautai du second étage, mobilisant les pouvoirs de Toratura pour atterrir au sol sans me casser quelque chose. Hélios tenta de me stopper, en vain. Je m'engouffrai dans les rues égyptiennes, espérant pouvoir sauver des âmes, et retrouver les deux personnes auxquelles j'étais liée dans cette époque comme dans le futur.


Lorsque l'on se trouvait sur place, on pouvait se faire une meilleure idée de ce qu'était devenue l'Égypte. En effet, d'un point de vue normal, on constatait des maisons détruites, des décombres, de la poussière, des restes de batailles, matériels comme humains… Tout était décidément très sombre malgré toute la lumière inondant les alentours.


J'arrivai à un carrefour. Je pris la direction gauche, par pure intuition, m'attendant à rencontrer un conflit que j'allais pouvoir résoudre. Je ne fus donc pas choquée lorsque je trouvai un homme, égyptien typique, se dresser contre deux individus respirant les ténèbres. Derrière lui se trouvaient trois gamins, apeurés par ce qui se trouvait devant eux. C'était l'occasion de mettre à profit notre lien, à Toratura et moi, afin de sauver plutôt que de détruire.


Ainsi, je réussis à activer mon médaillon, laissant apparaître à mes côtés la princesse des reptiles qui se dressa fièrement, comme une personnalité royale. Sans un mot, nous nous jetâmes toutes les deux sur les hommes ténébreux, repoussant le père de famille qui put s'enfuir avec ses enfants.


Les hommes esquivèrent notre attaque, et changèrent de cible. Ils projetèrent une puissance mauve étrange et abstraite semblant faite de matière magique. Toratura contint les attaques qu'elle désintégra rien qu'en les écrasant dans la paume de ses mains. J'étais stupéfaite. Quel était ce pouvoir et comment mon amie avait-elle réussi à la désintégrer si facilement ? Pour toute réponse, elle se jeta sur les deux antagonistes qu'elle réussit à détruire d'un seul coup de queue de serpent. Son membre qui semblait être une tête lui-même déchira les corps des individus qui n'exprimèrent même pas leur douleur avant de mourir.


« Tu es impressionnante… murmurai-je, ébahie. Vraiment, je suis subjuguée par ta puissance.


— C'est parce que tu ne m'opposes plus Erika. répondit Toratura. Un summoner doit être en accord avec l'Izrathien pour que ce dernier soit à pleine puissance. Maintenant que tu m'as acceptée, nous serons bien plus puissantes ensemble. D'ailleurs, je tiens à souligner ta misérable performance lors de la fusion parfaite.


— Merci… soupirai-je, gênée. Et cette énergie, la connais-tu ?


— Non. Pour être honnête, c'est la première fois que je rencontre ce genre de puissance. Cependant, pour l'avoir saisie, cela ressemble à du kvantiki mélangé à une substance ténébreuse. Je pense que celui qui dirige l'armée doit les manipuler avec cette puissance.


— Devrions-nous trouver cet homme ?


— Non. m'assura le reptile. N'oublie pas que nous sommes dans le passé. Si nous agissons sur l'histoire, qui sait ce qui pourrait en découler, surtout lors d'un évènement d'une telle ampleur. »


L'Izrathienne disparut, puis je continuai mon chemin. Effectivement, la vue était bien différente d'en bas par rapport à en haut. Les environs étaient vides de vies. Tout semblait avoir été avalé par un cataclysme. Comme lors d'une catastrophe naturelle emportant tout sur son passage. C'était dérangeant. Il semblait y avoir plus de vie dans le désert que dans la ville. Cela me rappelait quelques livres que j'avais lus concernant un conflit similaire… Et cela ne me disait rien de bon.


Une étrange sensation m'interpela. Je sentais quelque chose, quelqu'un. Hakaze, c'était Hakaze. Elle était proche. Alors je suivis mon instinct ou du moins, cette intuition qui me disait que mon amie était proche. Je courus dans ces espèces de rues qui n'avaient ni nom, ni chiffre, terrassant sur mon passage toutes les forces ennemies happées par les ténèbres. Lorsque j'eus retrouvé celle pour laquelle je m'inquiétais jusqu'alors, j'eus une drôle de surprise. Elle m'agrippa et me tira vers une bâtisse derrière laquelle nous nous cachâmes, observant la situation dans la rue adjacente.


« Regarde ça Erika. me dit Hakaze sans même m'expliquer pourquoi et comment elle était arrivée ici. Ne te fais pas remarquer.


— Que se passe-t-il ? chuchotai-je. Comment es-tu arrivée ici ? Où se trouve Luna ?


— Cela n'a pas d'importance. reprit la brune. Regarde plutôt. »


Je portai mon regard sur la scène se déroulant à quelques mètres de nous. Mon Rei était présent, aussi ténébreux qu'il l'était lorsqu'il nous avait faussé compagnie. En face de lui se trouvait une présence féminine. Une femme assez grande aux longs cheveux blonds et aux yeux verts très expressifs, habillée d'une longe tunique sombre qui la couvrait de la tête aux pieds. Une aura ténébreuse se dégageait de cette personne qui dévisageait mon ami d'une expression mêlant mépris, haine, et excitation. Elle prit la parole avec arrogance.


« Tiens tiens. ironisa-t-elle. Si l'on m'avait dit que j'allais trouver ce genre de péquenots sur mon chemin, je ne l'aurais pas cru. Dis-moi ma couille, si t'as cru que t'allais pouvoir m'arrêter, c'est que tu m'as mal regardée t'as vu.


— Je n'avais plus souvenir que ton attaque sur le royaume d'Égypte était si pathétique, Yiskha. Reprit mon Rei qui semblait connaître la femme. Est-ce une guerre, ou une promenade de santé ? Tes sbires sont d'un niveau décevant tu sais.


— On se connaît ? railla la femme en tirant la langue et en faisant un doigt d'honneur. Je suis venue exécuter mon boulot ici, donc tu vas me faire le plaisir de te bouger si tu ne veux pas rentrer en sarcophage, vu ?


— Je n'ai aucune crainte face à une femme qui ne sait même pas quelle route elle emprunte. sourit mon ami. Je vais accomplir mon œuvre en te terrassant ici, Yiskha. »


Les deux individus semblant prêts à se battre, se dévisageaient mutuellement dans une ambiance électrique. Hakaze, qui considérait la situation avec du recul, réfléchissait à ce déroulement des choses. Elle me fit part de ses réflexions.


« C'est étrange… entama-t-elle. Reisuke ici présent est pour ainsi dire, du côté obscur des capacités d'Izrath. Zéphyra est formelle. Et il combat une personne dont la puissance est de la même nature que la sienne. Ces deux-là ont des pouvoirs similaires, et il se dresse contre elle. Mais pourquoi ?


— Je ne sais pas… soupirai-je. Peut-être que mon Rei veut sauver le royaume d'Égypte et qu'il reste du bon en lui au fond !


— J'en doute… reprit mon amie, perplexe. Je pense que le problème vient de cette Yiskha. Erika, joignons nous à la bataille, et aidons cette femme à vaincre Reisuke.


— Comment !? m'étranglai-je. Tu veux que l'on aide cette femme à détruire l'Égypte !?


— As-tu eu vent d'une femme sortie de nulle part ayant détruit l'Égypte par le passé Erika ? Non. L'histoire est déjà écrite, Luna et les autres en viendront à bout. Nous, nous devons leur laisser l'occasion. Si Reisuke veut détruire cette Yiskha, c'est qu'il y a une bonne raison, nous ne pouvons prendre ce risque ! »


Elle ne me laissa même pas le temps de répondre qu'elle se lança dans la bataille entre mon Rei et son adversaire qui avait déjà commencé sans elle. Sans la moindre incantation, sans le moindre appel, elle fit apparaître Zéphyra l'Izrathienne qui vint attaquer mon ami le brun. Il n'eut aucune difficulté à éviter l'assaut de la femme, ni celui de Yiskha. Cela ne lui tira aucune réaction si ce n'était un sourire, tandis que son adversaire ne calculait même pas la venue de Hakaze.


« Tiens donc. ricana-t-il. Je ne pensais pas que tu aurais choisi ce camp, Hakaze. Tu joues chez les méchants maintenant ?


— Épargne-moi ces salades, Reisuke. Je ne sais pas ce que tu manigances, mais tu sens le coup fourré à des kilomètres.


— Voyons… reprit l'homme, ironique. Je ne suis qu'un pauvre jeune amoureux inoffensif en quête d'un remède pour guérir la malédiction de l'être aimé… Je n'ai rien de perfide en tête tu me connais. »


Hakaze n'eut pas le temps de relever qu'une puissance mauve de la même nature que celle détruite par Toratura vint s'abattre sur mon ami, qui, de justesse, sauta gracieusement pour l'éviter, avant de s'en saisir d'une main. Lorsqu'il entra en contact avec elle, il l'aspira tout simplement en son être avant de la renvoyer sur Yiskha, qui, semblant agile et vivace, l'esquiva à son tour. Il ne fallut qu'une seconde pour que les trois combattants ne se ruent les uns sur les autres dans une mêlée fracassante qui souleva un souffle sec et agressif provenant de l'air du désert. Yiskha venait de remarquer que Hakaze lui prêtait main forte. Elle profita de l'aubaine pour attaquer mon Rei qui, mobilisant son attention pour parer la fulgurante offensive de la femme, ne remarqua même pas que la brune tentait de l'attaquer à revers, accompagnée de Zéphyra.


Mais la brune et son amie furent stoppées net. L'abominable monstre de mon Rei était revenu, bloquant de ses six têtes l'attaque se voulant inopinée par Hakaze et sa partenaire. La fille de Soichiro grogna face à son échec, tandis que Yiskha, elle, avait déjà enchaîné pour une autre attaque. Mais désormais, toutes deux allaient devoir se battre non pas contre mon ami le brun, mais contre son abominable reptile couleur ébène et ses six têtes plus affreuses les unes que les autres : Draekort.


Il se dressa fièrement derrière son maître, laissant ses six consciences exprimer leur envie d'en découdre.


« J'ai hâte de voir quelle tronche tu vas tirer quand je t'aurai liquidé !! s'exclama Yiskha, enragée. J'en appelle aux neuf piliers du désespoir ! Le cercle de Lithemba !! »


J'eus un sursaut de surprise tandis que du sol sortirent 9 colonnes gigantesques couleur ébène, semblant contenir en elles une force phénoménale. Les piliers de granit luisirent d'une puissance violette apparemment électrique à en juger par la façon dont elle se comportait. L'énergie passait dans tous les points du cercle tour à tour, devenant de plus en plus impressionnante au fil de sa traversée. Mon Rei, ne se préoccupant pas de cette contrariété, se lança à l'assaut de la blonde qui mobilisait des forces pour charger son sort. Il fut cependant stoppé par Hakaze et Zéphyra qui, d'une attaque combinée, projetèrent une intense lumière blanche sur mon ami. Il envoya Draekort pour les intercepter et réussit, mais alors qu'il allait poser sa main sur Yiskha, il trouva un autre obstacle : moi.


Je m'étais interposée entre lui et la femme, matérialisant Toratura qui avait bloqué son offensive. Mon ami n'eut pas le temps de réagir que la puissante attaque des colonnes du désespoir était chargée, laissant un torrent électrique fracassant s'abattre sur lui. Lorsque le déluge prit fin, nous pûmes voir qu'il était vaincu. Je me ruai sur mon ami gisant au sol. Il respirait encore. J'avais pris un gros risque en laissant une telle décharge le toucher, mais j'avais misé sur la vitalité de mon ami après cette soudaine force surgie de nulle part pour encaisser, et j'avais bien fait, car il était vivant.


« Pourquoi m'avoir porté assistance ? cracha Yiskha qui était déjà prête à nous sauter dessus. Vous ne savez pas pourquoi je suis ici où ça se passe comment ?


— Tu n'as pas à savoir nos motivations. enchérit Hakaze, hostile. Nous ne faisons que notre boulot, comme tu fais le tien, Yiskha.


— En attendant, pour rentrer dans le présent ça va être compliqué… soupirai-je. Nous n'avons plus rien à faire ici puisqu'on a mon Rei, mais nous sommes coincés…


— Vous en avez une bonne avec vos histoires de futur ! râla la blonde. Entre vous qui dites venir du futur et le Pharaon qui veut se tailler pour aller dans le futur, on n'en finira jamais avec vous sérieusement !


— Le Pharaon veut quoi !? s'écria Hakaze, stupéfaite. Erika, il faut que l'on trouve Solaris. »


Hakaze confia Reisuke à Zéphyra qui le transporta à nos côtés, puis nous plantâmes sur place Yiskha et son combat contre l'Égypte avant de nous rendre directement au palais, là où était censé se trouver le Pharaon Solaris, et peut-être avec lui le moyen de regagner notre époque…





Spoiler :


Nous nous hâtâmes vers le palais de Solaris, Hakaze et moi. Si ce qu'avait dit Yiskha était vrai, alors le Pharaon avait pour projet de s'enfuir…vers le futur. Vers l'avenir ? Était-ce vraiment pensée courante que de voyager dans le temps en Égypte ancienne ? Entre Luna qui n'avait aucune difficulté à comprendre que moi et Hakaze venions d'une autre époque, et Solaris qui voulait s'enfuir dans le temps… Je me demandais quelles étaient les véritables croyances des Égyptiens en termes de surnaturel et de fantastique.


Mais alors que nous courions à perdre haleine, je réfléchissais à la situation. Pouvait-on vraiment faire confiance à une femme qui voulait détruire l'Égypte et peut-être le monde par la même occasion ?


Je m'arrêtai. Hakaze se tourna vers moi, frustrée.


« Erika ! lâcha-t-elle, fâchée. Ce n'est pas le moment de se reposer ! Solaris pourrait être la seule personne capable de nous aider à partir dans le futur !


— C'est étrange… murmurai-je. Hakaze, tu ne trouves pas ça bizarre que cette femme nous ait donné une telle information ? Je veux dire, elle est ici pour conquérir l'Égypte non ? Alors qu'est-ce qui peut nous dire qu'elle ne ment pas ?


— Elle est trop spontanée. m'assura mon amie la brune. Prends la situation de son point de vue. Elle entend des rumeurs disant que Solaris a prévu de s'enfuir dans le temps, et nous, on parle du futur. Pour une personne de cette époque, cela serait choquant d'être entouré de voyageurs temporels, et cela expliquerait cette réaction qui l'a trahie.


— Je suppose que tu as raison… soupirai-je, à moitié convaincue. Bien, reprenons la route. »


Nous reprîmes notre course. Au bout de quelques minutes qui me parurent une éternité, nous arrivâmes, Hakaze et moi, au palais de Solaris. Nous y entrâmes sans aucun contretemps, grâce à la magie de Zéphyra qui avait eu raison de la barrière séparant la bâtisse des rues égyptiennes. Quelque chose avait changé dans les lieux. Des corps jonchaient le sol, et à les regarder, il s'agissait d'ennemis du royaume. Il y avait eu intrusion ici, et ils avaient perdu. Était-ce en rapport avec la prétendue déserte de l'actuel Pharaon ? Nous n'avions pas le temps d'y réfléchir. Nous progressâmes en vitesse, en restant vigilantes face aux éventuelles attaques furtives pouvant frapper de n'importe où, tandis que j'essayais de me repérer dans les lieux immenses.


« Il faut que nous trouvions les quartiers de Solaris ! déclara Hakaze armée d'un air de battante. S'il part avant que l'on n'arrive, nous serons coincées ici !


— Il faut aller en salle du trône ! répondis-je. S'il a prévu de s'évader, le plus logique est de pouvoir le faire à n'importe quel moment, donc dans l'espace où il passe le plus clair de son temps !


— Bien pensé ! approuva la brune. Bravo Erika, nous y allons. »


Nous pénétrâmes la salle du trône quelques minutes plus tard. Comme les autres murs de cette villa somptueuse, ceux de la pièce principale étaient particulièrement bien entretenus et luxueux. Des longs rideaux vert foncé, semblables à de l'émeraude en tissu, pendaient entre les colonnes d'or, formant ainsi un espace clos plutôt difficile à visualiser d'emblée. Pourtant, Hakaze, déterminée à retrouver Solaris, était soudain devenue bien plus clairvoyante que d'habitude. Elle se rua vers la chaise royale elle-même qu'elle déplaça rapidement d'une force surhumaine. Elle souleva ensuite le tapis sur lequel elle se trouvait et comme nous nous y attendions, il y avait une trappe. Il fallait se rendre à l'évidence : le palais royal de ce royaume était non seulement vaste en surface, mais il s'y cachait aussi un réseau souterrain immense.


Sans nous poser la moindre question, nous nous engouffrâmes dans la trappe. Zéphyra utilisa son pouvoir pour garder le corps inerte de Reisuke avec elle afin qu'il puisse passer, et nous fûmes dans un nouveau souterrain similaire à celui dans lequel j'étais avec Hélios avant tous ces évènements.


Les torches étaient allumées, ce qui nous laissa constater des traces de pas au sol. Pas de doute, quelqu'un venait d'emprunter ce passage, et nous allions le suivre. Ainsi, nous courûmes dans le long couloir, sans prêter attention à ce qui allait se trouver au bout, et encore moins à ce qui pouvait éventuellement nous poursuivre de derrière. Une fois arrivées au fond, nous revîmes la lumière du jour.


Hakaze monta la première à l'échelle qui allait nous y mener. Je la suivis. Lorsque je vis la surface, je fus stupéfaite.


Lorsque nous émergeâmes de ce tunnel sombre, je dus plisser les yeux tellement la lumière était forte. Elle ne pouvait pas venir du soleil, non. Elle provenait de cet endroit pour le moins bien étrange.


C'était… un sanctuaire ? Je ne pouvais répondre dans l'immédiat tant j'étais abasourdie par ce spectacle étrange. Tout avait changé autour de nous. L'Égypte avait laissé place à une immense plaine verdoyante, dont les brins d'herbe et les fleurs multicolores flottaient au gré d'une brise rafraîchissante à l'odeur de plantes et de printemps. L'endroit était délicat, presque poétique, bien loin du désert ensanglanté par la guerre que l'on venait de quitter.


Tout autour de nous, des pétales de fleurs de cerisiers virevoltaient dans un rythme frénétique et régulier, comme des danseurs de ballets interprétant la chorégraphie associée à un nocturne de Chopin, dont l'air paisible et délicat pouvait facilement être associé à cette scène éblouissante. Ces fragments de corolle aux reflets roses s'échouaient ensuite dans un lac d'eau cristalline se déversant directement sur une montagne par le biais d'une majestueuse cascade à l'eau pure.


« Qu'est-ce que… bégayai-je, complètement fracassée par cet endroit invraisemblable. Hakaze… As-tu la moindre idée d'où nous avons échoué… ?


— Aucune… murmura la brune dont le regard se perdait dans l'étendue rafraîchissante et légère. Je n'ai aucune réponse rationnelle à ce que l'on vient de faire… »


Mais alors que nous nous posions moult questions, nous remarquâmes un bâtiment quelques centaines de mètres plus loin. Nous nous y rendîmes afin de relever des informations sur cet étrange monde, encore à moitié sonnées par notre découverte.


Cet édifice était un simple petit pavillon blanc, assorti à ce qui faisait office de jardin géant. Cette bâtisse, dont l'architecture était de style grecque, paraissait avoir été détruite puis reconstruite, car l'emplacement sur lequel les fondations avaient été posées semblait avoir déjà été travaillé pour quelque chose de plus imposant que ce que nous découvrions, Hakaze et moi.


Nous nous approchâmes de l'intérieur avec prudence, en restant sur nos gardes, et petit-à-petit, quatre silhouettes se dessinaient sous nos yeux : celle de deux adultes, un homme et une femme, ainsi que leurs enfants, un garçon et une fille. Une famille de blonds au teint mat, semblant soutenue par le père auquel était accrochée sa progéniture et son épouse. Tous restaient droits, immobiles, tandis que l'anxiété était inscrite sur leurs visages. C'était un contraste considérable lorsque l'on prenait en compte cette atmosphère si paisible et délicate. C'en était presque suspect. Alors je m'approchai d'eux qui étaient habillés en simples tuniques. Ils me notifièrent et me considérèrent avec surprise.


« Co… comment… !!? s'exclama l'homme aux yeux brillant d'un éclat doré. Qui êtes-vous ? Et que faites-vous ici !?


— Solaris, n'est-ce pas ? reprit sérieusement Hakaze avant même que je ne puisse en placer une. Je peux vous retourner la question. Que faites-vous ici, et quel est cet endroit exactement !? »


Un voile d'ombre se posa sur le regard de celui qui était vraisemblablement Solaris, le Pharaon. Ce dernier se mordit la lèvre et se tut quelques secondes, avant de reprendre, déstabilisé.


« Si vous avez réussi à venir ici… murmura-t-il. C'est que vous avez un lien avec cette ligne temporelle, n'est-ce pas ? Normalement, personne ne peut me suivre ici.


— Cela ne répond toujours pas à ma question. rétorqua Hakaze, déterminée. En effet, nous ne venons pas de cette époque. Nous avons traversé le temps pour retourner dans le passé. Cependant, dans le passé d'où nous venons, un artefact nous a transportés ici par accident. Nous souhaitons retourner d'où nous venons, et des rumeurs circulent à votre sujet.


— Des rumeurs ? s'étonna le blond à la barbe. De quel genre ?


— Ne jouez pas au plus malin avec moi… soupira la brune qui perdait patience. Les rangs de Yiskha semblent être au courant de votre projet de voyage temporel. Je ne compte pas m'interposer, je laisse l'histoire suivre son cours. Cependant, en échange de mon inaction, je vous sommerai d'utiliser votre méthode pour nous renvoyer à notre époque également.


— Je vois… reprit l'homme avec tristesse. Je suppose qu'à vos yeux, je dois paraître extrêmement lâche pour abandonner mon royaume au beau milieu d'une guerre. Mais croyez-moi, je n'ai pas le choix. Je n'étendrai pas mes raisons, mais je suis brisé par cet acte. Très bien. Je vais utiliser ces lieux pour vous également. Cependant, vous n'êtes pas autorisées à voir ce qui se trouve en ces murs. Tout comme ma femme et mes enfants, je vais vous bander les yeux afin de ne pas trahir mon engagement personnel avec le propriétaire de cet endroit. Ceci est ma seule condition.


— Entendu. répondit fermement Hakaze, tandis que moi je doutais vraiment de ce qu'aurait pu nous faire l'homme. Nous serons yeux bandés pour notre voyage. Tâchez simplement d'envoyer aussi ce garçon avec nous. »


L'homme, qui avait déjà préparé des bandeaux pour ses enfants et sa femme, en fit apparaître deux autres en utilisant un pouvoir qui m'était inconnu. Il nous les tendit, en nous précisant qu'il était inutile de bander les yeux de mon Rei, qui, encore inconscient et porté par Zéphyra, n'était pas près de transgresser la moindre règle. Ainsi j'attachai le tissu autour de mes yeux, en m'assurant que je ne voyais plus rien. Hakaze sembla faire de même. La voix de Solaris était désormais mon seul repère. Chaque fois qu'il s'exprimait, j'avais l'impression que la portée de ses mots était plus grande, comme si être privée de la vue décuplait instinctivement mon audition.


« Bien. entama-t-il. Ma chérie, Théa, Drago, je vais tout d'abord envoyer ces jeunes femmes à leur époque. Ensuite nous partirons à notre tour.


— Oui papa. déclara la voix fluette et assurée d'une petite fille ayant totale confiance en son père.


— Jeunes femmes, je vais placer vos mains l'une dans l'autre, en étant certain d'y ajouter celle de ce jeune homme. C'est important pour que vous atterrissiez tous au même endroit, à la même époque. Pensez à l'époque d'où vous venez, et l'endroit où vous devez échouer. Pensez-y en y mettant le plus de force que possible. Une fois visualisé, dites-le-moi. »


Solaris plaça l'une de mes mains dans celle de Hakaze, l'autre dans celle de mon Rei. J'entendis Toratura me confirmer de l'intérieur, de manière passive, que le Pharaon ne me mentait pas, ce qui me rassura. Hakaze devait certainement avoir le même genre d'informations par Zéphyra, ce qui la poussait à faire confiance au blond à la barbe. Ainsi je plaçai ma vie non pas en lui, mais en mon amie Toratura qui était sur le qui-vive.


Je visualisai l'époque de laquelle nous venions, là où se trouvait le père de Hakaze, mais mon amie la brune me coupa net.


« Au cas où tu voudrais rentrer directement dans notre époque, me coupa-t-elle dans mes pensées. Nous ne pouvons pas immédiatement le faire.


— Pourquoi ? m'étonnai-je, alors que mon objectif personnel était rempli. Quelque chose gêne ?


— Nous ne savons pas dans quel état Reisuke va se réveiller, Erika. Imagine un peu s'il se met à faire comme toi, nous reviendrons encore dans le passé ? Nous avons pu le faire avec toi, car tu coopérais, mais avec Reisuke cela risque d'être différent. Et puis s'il revient à lui normalement, eh bien nous profiterons pour faire nos adieux à Indy avant de repartir.


— Tu as raison…j'imagine. murmurai-je dubitative. Bien, retournons chez Indy.


— Je peux lancer le processus ? nous interrompit la voix grave et douce de l'homme.


— Oui. approuva Hakaze. »


Ainsi, j'entendis l'homme déclencher un mécanisme étrange, avant de me faire tout simplement aspirer par quelque chose que je ne pouvais même pas voir. Mais lorsque nous fûmes dans la brèche temporelle nous aspirant dans le temps, nos bandeaux se détachèrent sous la pression électromagnétique, nous laissant constater un environnement similaire au portail de notre premier voyage dans le temps. Les lumières étaient les mêmes, aussi aveuglantes, aussi scintillantes, si bien que je dus fermer les yeux par réflexe. Je me sentais une nouvelle fois comme avalée par l'époque dans laquelle je me dirigeais… et je perdis connaissance.


Lorsque je me réveillai, je fus aveuglée par le soleil. Je me levai rapidement afin de constater les lieux, et surprise, nous étions arrivées à bon port. Nous étions juste devant la maison d'Indy, et au complet, avec Hakaze et mon Rei. Ce dernier était toujours inconscient, au grand dam de la brune qui semblait vouloir être fixée sur son état psychologique.


Nous retournâmes chez Indy, exténuées par tout ce que l'on venait de traverser. Nous sonnâmes à la porte et attendîmes quelques secondes après l'Indienne. Lorsqu'elle ouvrit, elle poussa un cri de stupeur et les larmes lui montèrent aux yeux. Elle hurla avec maladresse qu'on lui avait fait une peur immense, ce qui me laissa deviner que nous nous étions absentées quelques-temps pour elle. La jeune fille notifia immédiatement « son héros du futur » qui pour le coup était méconnaissable en raison de ses longs cheveux couleurs ébène et son air naturellement agressif qu'il affichait même en étant inconscient. Elle eut un temps d'arrêt de quelques secondes, avant de réagir et porter mon Rei dans sa chambre, sur son propre lit.


Elle se mit en tête de lui préparer une serviette d'eau chaude afin de l'aider dans sa convalescence, tandis que je profitai de l'occasion pour prendre une douche et enlever tout ce sable dans mes pores, suivie de près par Hakaze qui en fit de même. Une fois qu'Indy eut fini son œuvre, et que de notre côté, nous fûmes rafraîchies, nous nous réunîmes toutes les trois à table en vue d'une réunion stratégique.


« Donc si je comprends bien, entama Indy, attentive, vous vous êtes perdues en Égypte. Vous avez affronté un homme semblant contrôlé par une force obscure, il a pris le dessus sur vous, et dans un ultime effort, mon héros du futur a changé d'apparence, de caractère, et a invoqué un monstre puissant et respirant les ténèbres, c'est ça ?


— C'est ça… approuvai-je à moitié abattue par le fait d'être responsable de la situation.


— Mais c'est…c'est tellement classe !!! s'extasia l'Indienne. J'aurais tant aimé voir mon Reisuke franchir les limites et devenir si fort, si charismatique et si ténébreux… Rien qu'à y penser cela me rend folle…


— Ça n'a rien de classe !!! rétorqua Hakaze en furie. Je te signale Indy, que si nous n'avions pas été là pour arrêter Reisuke, il aurait déréglé le cours de l'histoire en intervenant dans le conflit égyptien !


— Il essayait d'arrêter celle qui voulait détruire l'Égypte aussi… soupirai-je, toujours dubitative à propos de notre intervention.


— Donc mon héros du futur reste un homme œuvrant pour la paix à chaque époque !! s'émerveilla de nouveau la groupie de mon Rei. Et vous l'avez entravé dans sa tâche !!


— Serait-ce possible d'avoir un semblant de logique dans notre discussion ou bien suis-je le seul cerveau sachant réfléchir de manière rationnelle sans prendre en compte ses émotions primitives !!? cracha Hakaze prête à nous sauter dessus. »


Nous nous arrêtâmes quelques secondes, Indy et moi. Pour la première fois nous eûmes un regard complice de moquerie envers mon amie la brune qui semblait exaspérée par notre attitude. Je compris alors que nous avions beaucoup de points communs, et que nous pouvions faire clan commun face à la barbante fille de scientifique.


« Bien. reprit Hakaze qui nous fusillait du regard, nous faisant comprendre de ne pas l'ouvrir. Nous ne savons pas l'état dans lequel se trouve Reisuke actuellement. Lorsqu'il reprendra connaissance, il pourrait être comme il l'était dans le passé. Et je rappelle son objectif qui n'a absolument rien de cool ou de mignon : il veut répandre le chaos dans le monde. Il l'a dit lui-même au cas où certaines groupies voudraient me contredire.


— Je voudrais d'ailleurs ajouter quelque cho –


— Silence Erika, me coupa la brune avec mépris, ou j'ordonne à Zéphyra de te faire taire. Nous ne savons pas quand Reisuke reviendra à lui, mais nous aurons sûrement besoin de la même énergie qu'il nous fallait pour Toratura. Reisuke a un monstre en lui, un Izrathien dont je ne connais pas les propriétés ni les circonstances. Zéphyra partira se renseigner, tandis que Toratura restera avec nous en cas de problème quelconque. Nous chercherons ici la source de kvantiki en attendant que cela bouge. Une remarque intelligente à faire ? Si vous ouvrez la bouche, cela a intérêt à être constructif. »


Aucune de nous n'osa élever la voix. Indy se leva, prétextant s'absenter pour aller vérifier l'état de mon Rei alors que c'était évident qu'elle voulait juste échapper à Hakaze. Je grognai, elle m'avait devancée avant que je ne prétexte la même chose pour m'éclipser. Je dus rester à table avec la brune, glaciale, qui ne m'autorisait même pas la parole, et cela me mettait très mal à l'aise.


Mais alors que je tentais de trouver un sujet de conversation, nous entendîmes le cri de stupeur d'Indy provenant de sa chambre. Saisissant l'occasion en or de m'extirper du piège de Hakaze, je me ruai sur les lieux en criant un « que se passe-t-il !? » qui trahissait sûrement mon hypocrisie, mais lorsque j'arrivai dans l'espace de l'Indienne, je fus réellement surprise par ce que je trouvai.


Elle était agenouillée sur le sol. La serviette chaude qu'elle tenait dans ses mains dégoulinait sur ses jambes dénudées, tandis qu'elle fixait d'un regard vide l'évidence qui nous faisait face. Mon Rei avait disparu, le lit était vide. Il s'était volatilisé, comme évaporé.


Indy se retourna vers nous, tremblante. Elle reprit la parole, encore sous le choc.


« Mon héros est parti… et il a emporté ma pierre avec lui… »


Je m'accroupis afin de consoler la jeune fille au bord des larmes, redoutant au plus profond de moi la suite de notre aventure. Je sentais au fond de moi que mes ennuis avec Toratura allaient être comparables à une vaste blague à côté de ce que nous réservait mon Rei. Et ce que je n'imaginais pas, c'était que ce conflit allait s'étendre bien au-delà de notre petit cercle d'initiés temporels, à Moi, Hakaze, mon ami, et Indy. Le futur et le passé allaient être marqués du désespoir le plus sombre, celui dont on ne revient jamais vraiment entier…





Spoiler :


À peine rentrées de notre épopée en Égypte antique, un autre problème s'imposa à nous. Lorsque Indy, la groupie de mon Rei, fut allée le voir pour s'assurer de son état, elle trouva un lit vide face à elle. Il avait disparu, il s'était volatilisé. Je fus toute aussi choquée que la jeune fille qui, face à l'absence de « son héros du futur », ainsi que d'une pierre dont j'ignorais les propriétés, retenait ses larmes de tristesse. Je me demandais ce que cela signifiait. Après tout, mon Rei et son monstre avaient été vaincus dans le passé, et d'une manière plutôt brutale par-dessus le marché. Alors je ne considérais pas le fait que mon ami puisse être le responsable de sa disparition. Quelqu'un devait l'avoir enlevé, ou quelque chose du genre.


Je m'arrêtai quelques secondes afin de réfléchir. Nous n'avions qu'une marge de manœuvre très étroite face à cette situation soudaine. Nous ne savions ni la position, ni la condition de mon ami d'enfance. Et par-dessus le marché, nous n'avions aucune connaissance concernant ses intentions, et c'était là le problème majeur.


Mais Hakaze, qui ne s'était pas laissée gagner par les émotions, intervint, prouvant une fois de plus qu'elle était la plus réactive de nous toutes.


« Nous sommes revenues il y a peu, et nous avons déposé Reisuke ici il y a moins d'une heure. entama-t-elle, solennelle. Il n'a pas pu aller bien loin en si peu de temps. Séparons-nous, et partons à sa recherche. Une fois que nous l'aurons retrouvé, nous aviserons selon ses intentions et sa condition.


— Le problème, enchaînai-je, dubitative, c'est que nous n'avons pas le moindre indice sur sa position. Nous ne serons jamais assez de trois pour ratisser toute la ville, grande comme elle est ! »


Je n'eus pas le temps d'ajouter un autre argument qu'une énorme secousse vint interrompre notre conversation sérieuse. Je m'accrochai à l'objet le plus solide qui était proche de moi afin d'encaisser le choc. Par chance, elle ne fit pas s'effondrer sur nous la bâtisse d'Indy, mais elle me laissa un présage horrible. Un sentiment qui me prit aux tripes pour ne pas me quitter. Une intuition surgit en moi de nulle part. Mon Rei était derrière ces tremblements. Je sentais qu'il avait fait quelque chose d'affreux, et poussée par cette émotion, je laissai de côté les consignes de sécurité lors de secousses et je sortis de la maison de l'Indienne, accompagnée par Hakaze.


Ce que nous vîmes alors nous ébahit toutes les deux. Hakaze poussa un cri de surprise devant le spectacle qui s'offrait à nous. À quelques dizaines de minutes en voiture, sur la côte se trouvant non loin de chez Indy, se trouvait une grande tour noire s'élevant sur plusieurs mètres, atteignant presque les cieux. Cette chose était semblable à un bâtiment antique et mystique que l'on aurait laissé en sommeil pendant des millénaires avant de le faire resurgir des profondeurs des océans comme un kraken. Le grand édifice obscur, comparable à une prison, semblait à la limite de l'insalubrité tant ses parois étaient usées, sûrement par les eaux salées de la mer qui avait attaqué la couleur ébène. L'édifice cylindrique bloquait toutes les sorties maritimes de la ville, empêchant ainsi les bateaux touristiques et commerciaux d'entrer et de sortir de l'espace. C'était une calamité. Une catastrophe dont je connaissais la provenance, et dont je pouvais deviner l'ampleur…


Hakaze fut comme bloquée pendant quelques secondes. Elle scrutait de son regard consterné cette chose ayant surgi de nulle part, avant de reprendre, elle aussi à bout d'arguments…


« Reisuke… murmura-t-elle, interdite. Nous l'avons sous-estimé… Il a obtenu une nouvelle puissance… Une force incommensurable capable de chambouler beaucoup de choses… Comment a-t-il installé cette chose ici, et surtout, à quoi sert-elle… ?


— Hakaze… Je ne sais pas non plus comment il en est arrivé là, mais nous allons le découvrir !


— Bien. reprit Hakaze, affichant un faux air de soulagement. Au vu de ton assurance, je suppose que tu as un plan pour obtenir nos réponses tant attendues.


— Eh bien à vrai dire… hésitai-je. Je pense que le mieux c'est de nous introduire directement dans cette tour et aviser selon ce que l'on trouvera. »


Indy, qui était toujours chez elle, vint nous rejoindre lorsqu'elle s'aperçut que nous n'étions pas revenues. En découvrant cette chose qui gâchait la vue sur la côte, ses yeux s'écarquillèrent.


« Qu'est-ce que c'est que cette chose…? bégaya l'Indienne. Cela semble tout droit sorti d'une civilisation ancienne genre l'Atlantide…


— L'architecture n'est pas la même. reprit Hakaze qui semblait connaître énormément de choses sur le sujet. À en juger par ce que je vois, je dirais que c'est un style datant de quelques millénaires, mais pas de l'Égypte ou de la Grèce. Je pense plus à un type d'architecture propre aux peuples aborigènes. C'est irrégulier, disproportionné, et fait uniquement de granit. Avant que les Anglais ne laissent leur empreinte dans la culture australienne, leurs constructions étaient très rudimentaires. Je peux donc déduire que cette construction est antérieure à l'architecture géorgienne.


— Je pense que mon Rei s'approprie le pouvoir de quelqu'un d'autre ou quelque chose d'autre. repris-je. C'est techniquement impossible qu'il puisse générer un tel engin sans aide extérieure !!


— Je le pense aussi, Erika. approuva mon amie. Il n'y a, à ma connaissance, aucun Izrathien capable de faire une telle chose. »


Je réfléchis. D'après ce que l'on savait, mon Rei avait obtenu un pouvoir très puissant en un court laps de temps. Ce n'était pas le sien puisqu'aucun summoner d'Izrath semblait capable de créer une telle chose, d'après Hakaze. Alors il devait avoir développé ses facultés entre le moment où Draekort s'était réveillé, et notre nouvelle rencontre face à Yiskha. D'une personne tierce. Il n'y avait pas d'autre solution pour expliquer ce revirement si soudain et si brutal.


Je serrai les poings. Il était fini le temps où j'étais faible et hésitante. Il me fallait des réponses, et j'allais les obtenir moi-même. Ainsi j'entamai une course vers l'endroit d'où provenait la tour : la côte. Suivie par Hakaze qui entraîna Indy avec elle, je dévalai les rues de la ville en direction de cette source de puissance semblant sans limites. Je cherchais dans ma quête l'endroit et le moment le plus propice pour appeler Toratura afin qu'elle me transporte directement sur les lieux, puisque l'édifice semblait inatteignable à pied. Je fus cependant stoppée net quelques minutes après m'être lancée, par quelqu'un qui m'attendait à un carrefour, prêt à m'entraver dans ma progression.


Je reconnus cette personne au premier coup d'œil, et pour cause, il venait à peine de nous quitter. Son regard mauvais souligné par ses longs cheveux de couleur ébène flottant au vent ne me trompait pas. Habillé d'une parure noire aux reflets dorés, il regardait le fruit sa création avec satisfaction. Lorsqu'il me notifia, son air satisfait vira instantanément à l'ironie alors qu'il se préparait déjà à me provoquer.


« Alors Erika, railla mon Rei, on s'est prise d'affection pour l'architecture ? Je te pensais bien plus étroite d'esprit que ça, tu me surprends ma chère.


— Ne fais pas l'idiot avec moi. rétorquai-je, froide. Dis-moi plutôt comment tu as obtenu toute cette puissance dans le passé, et surtout, qu'est-ce que c'est que cette horreur ?


— Rien de spécial. répondit l'intéressé en haussant les épaules. J'apporte du patrimoine architectural à cette triste ville destinée à être rasée par le Purple Requiem. Ça fera des vestiges qui y auront survécu de quoi te plains-tu.


— Arrête ça Reisuke. lâcha Hakaze qui venait d'arriver aux côtés d'Indy. Cette chose est une construction aborigène, autrement dit, qui vient du territoire d'Australie. Les Égyptiens étaient en guerre avec les Australiens lors de notre voyage temporel. Je suis prête à parier que tu as rencontré un des hommes de Yiskha qui t'a donné cette puissance.


— Oh, vraiment ? s'amusa mon ancien ami en affichant un sourire mesquin. Décidément tu es encore plus bête que je ne le pensais, Hakaze. La question n'est pas de savoir d'où je tiens ce pouvoir, mais ce que je vais en faire…


— Voilà des mots bien grands pour un homme incapable de soulever une simple épée pour combattre Medrawt. ricana Hakaze en réponse à la provocation du jeune homme. Penses-tu vraiment que tu impressionneras qui que ce soit en jouant à ce jeu ? Personne ne te prend pour une menace.


— Ton opinion m'est égale. soupira mon Rei sans même se laisser atteindre. Je n'ai que faire de l'opinion d'une femme ne faisant même pas partie de mes plans. J'ai désormais tout ce qu'il me faut. Le passé, le présent, et notre avenir. Je vais réécrire cet univers et sa ligne temporelle, et cela sera alors le retour du plus pur des désespoirs !! Et cette tour est la clé. L'ultime édifice qui desservira la paix et l'harmonie.


— Est-ce la vérité… ? s'avança timidement Indy, interpelée par les aveux de notre ami. Dis, mon héros du futur… Quel est ce demain dont tu rêves ? »


L'expression de mon Rei s'obscurcit face à l'intervention d'Indy. Dans ses yeux, je distinguai désormais des regrets, des remords. Le jeune homme se mordit la lèvre en détournant le regard. L'Indienne avait-elle vraiment réussi à provoquer une réaction humaine de la part de mon ancien ami ? C'était tout bonnement inconcevable, je n'osais pas y croire. Je sentais un coup fourré, ou bien je ne voulais pas y croire car c'était elle qui était à l'origine de ce changement brutal…


« J'ai essayé de préserver un futur dans lequel tu étais heureuse, Indy. entama-t-il d'une hypocrisie flagrante. Cependant, je n'ai trouvé aucune solution pour t'empêcher de semer le chaos tout en te laissant en vie… Alors j'ai pris ta place. J'endosserai le rôle du méchant si cela me permet de te garder sauve tout en préservant ce monde.


— Reisuke… murmura l'intéressée, à moitié sonnée par ce que venait de lui dire l'imposteur.


— Oh pitié, soupira Hakaze, dépitée. Ne me dis pas que tu vas croire à ce qu'il dit ? Indy je t'en conjure, de grâce, utilise ton cerveau cinq minutes. »


L'Indienne y croyait, c'était écrit sur son visage. Elle portait une confiance aveugle en celui qu'elle avait désigné comme son héros du futur, et elle était persuadée qu'il avait fait ça par amour pour elle. C'était évident. Aussi, lorsqu'elle reprit la parole, je ne fus qu'à moitié surprise par sa décision. Elle avait emprunté le chemin le plus évident.


« Je prendrai la responsabilité pour ta débâcle, Reisuke. reprit l'Indienne, sérieuse. Je suis touchée par ton acte d'amour, mais je ne peux te laisser sacrifier ta propre existence pour prolonger la mienne. Alors je te suivrai, et je t'empêcherai de devenir ce que je suis devenue.


— Je n'avais pas signé pour ça… murmura Hakaze qui préféra ne pas regarder la scène tant elle était dépitée. Si j'avais su je serais restée à la maison.


— Tu ne peux pas comprendre de toute façon. rétorqua Indy à l'attention de mon amie la brune. Je suis redevable à Reisuke pour ce qu'il a fait, et pour ça je le ramènerai !


— Tu ne vois pas qu'il te vend un gros mensonge depuis le début !? hurla mon amie dont la patience arrivait à son terme. Il a marché dans ton jeu stupide d'amour intemporel simplement pour nous donner une piaule ! Il ne te connaissait pas avant d'arriver ici et n'en a rien à cirer de ton existence ! Tu es juste obsédée par ta romance de science-fiction et tu l'arranges à ta sauce !! Regarde la vérité en face, Indy ! La seule débile qui compte aux yeux de Reisuke est blonde et se tient à côté de toi !!


— Eh, protestai-je sans vraiment oser m'imposer, c'est gratuit ça… »


Indy s'arrêta quelques secondes, les larmes aux yeux. Elle contenait une forte émotion qui lui était montée depuis les tréfonds de son âme elle-même, cela se voyait à son visage à l'expression déformée par un malaise prenant. Elle baissa la tête, se mordit la lèvre, comme pour réfréner quelque chose de bien plus fort que tout ce que j'avais vu provenant d'elle jusqu'alors. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut à l'intention de Reisuke.


« Même si tout était faux, lâcha-t-elle d'une voix tremblante, j'ai envie de croire en toi, Reisuke. Ne me fais pas regretter ce choix pour le restant de mes jours, je t'en conjure. »


Il se contenta de lui sourire. Sa manipulation, aussi fragile et bancale était-elle, avait marché. Hakaze, stupéfaite, ne vit pas arriver la suite. J'eus à peine une seconde pour la projeter contre le sol tandis qu'Indy avait lancé une attaque ne semblant pas très puissante, mais suffisamment rapide et furtive pour prendre mon amie par surprise. Je me dressai entre les brunes, dévisageant l'Indienne qui venait de par son geste de trahison, former deux camps distincts.


« Je me suis gardée de vous le dire. entama l'Indienne. Mais outre mon engagement passé à mon compagnon Izrathien, je suis également liée à titre personnel à cet endroit. Ainsi, je suis moi aussi une combattante d'Izrath, de la classe des Casters.


— Caster ou non, repris-je, déterminée, je ne permettrai aucun obstacle entre moi et mon objectif, à savoir la destruction des ambitions de mon Rei. Si tu tiens à te mettre entre nous, sois prête à en subir les conséquences.


— Très bien. murmura Indy, avant de reprendre avec force. Voyons laquelle de nous deux est une femme digne de mon héros du futur. Armoirie niveau 3 : Ishitunzi ! »


Une sorte de blason translucide fait d'énergie apparut entre moi et l'Indienne. Elle le perça de sa main droite, et à l'instant précis où elle s'exécuta, son bras lui-même devint une lame transparente de couleur bleu ciel qu'elle pouvait manier avec précision. Elle venait de métamorphoser son membre en une arme blanche couverte de Kvantiki qui recouvrait presque toute la forme de son objet, tout en affluant continuellement autour d'elle.


Je fus stupéfaite. Indy était vraiment un Caster d'Izrath, exactement comme Luna. Elle devait forcément être moins puissante, mais cela me choquait malgré tout.


Je n'eus cependant pas le temps de réfléchir. Armée de sa lame, Indy se lança à l'assaut d'une vitesse fulgurante. Par réflexe, je mis mes bras devant mon visage, consciente que je n'étais pas assez rapide pour l'éviter, mais à ma grande surprise, Hakaze avait déjà dévié le coup de l'Indienne par le biais d'un sceptre matérialisé de nulle part dont elle se servait en guise d'arme blanche. S'ensuivit une bataille faite de coups tranchants entre mon amie et la groupie de Reisuke qui, il fallait l'avouer, semblait avoir manié les armes depuis bien plus de temps qu'il n'y paraissait.


Tentant de maîtriser la jeune fille et de la vaincre, Hakaze s'adressa à moi :


« Je peux aisément m'occuper de cette jeune fille Erika. Charge-toi de Reisuke. »


Hakaze se rua sur Indy, bloquant une nouvelle attaque de par son sceptre. Dans un élan de courage ou d'inconscience, elle profita du contrecoup pour saisir à mains nues la main changée en lame de l'Indienne, avant de soulever cette dernière de la même facilité qu'elle avait déterré l'épée du sol, pour finalement l'envoyer valser à quelques mètres plus loin, sous le regard intéressé de mon Rei. Indy se rattrapa assez facilement et revint à la charge, et Hakaze allait se préparer à contre-attaquer, mais la saisie de la lame lui avait légèrement ouvert la paume de la main droite, la faisant perdre un peu de poigne en même temps que quelques gouttes de sang. Mais la fille de Soichiro ne se défila pas et se rua de nouveau sur son adversaire, déterminée.


De mon côté, je faisais face au jeune homme qui était satisfait de voir la scène. Lorsqu'il me vit s'avancer vers lui pour en découdre, il fut fortement excité par le combat qui approchait entre lui et moi. Il rayonna d'une lumière noire qui entourait désormais son aura. J'appelai Toratura en mon for intérieur afin qu'elle me procure la puissance nécessaire pour combattre cet individu que je ne reconnaissais plus, ce qu'elle fit immédiatement. Mes émotions se manifestèrent davantage. Le rouge de la colère donnait la force et la rage à mes poings qui se ruèrent spontanément sur mon adversaire, sans même que je ne leur ordonne quoi que ce soit. Mais à ma grande surprise, au lieu de prendre mon attaque de plein fouet, il disparut, puis réapparut derrière Hakaze et lui donna un coup de pied en plein dans la figure. Il propulsa la brune avant de lancer Indy poursuivre la torpille aérienne en quête d'un coup furtif, mais lorsqu'elle fut à deux doigts de réussir à exécuter sa mission, je la stoppai par le pouvoir de mon reptile. Nous déviâmes l'Indienne et moi, manquant de nous faire propulser dans l'eau de la mer. Je mis toute ma force pour freiner notre dérapage à moi et mon amie, ce qui nous permit de rester les pieds sur terre.


Indy revint à la charge. Elle continua à attaquer sans articuler un mot de plus. Je pris le challenge et rétorquai en utilisant mes poings chargés de l'énergie de Toratura. Indy, qui semblait frêle au premier abord, était bien plus coriace lorsqu'elle utilisait les pouvoirs de Caster. Elle combattait d'une manière presque machinale sans émettre le moindre signe de fatigue. Elle ne se retenait pas. Je grimaçais à chaque attaque qu'elle me portait tandis que je tentais de la contenir, mais je n'étais pas suffisamment rapide et puissante pour pouvoir rivaliser sur le long terme. Elle avait trop d'expérience. Il fallait que l'on touche mon Rei lui-même pour gérer l'Indienne dans la foulée.


Tandis que j'étais occupée avec la jeune fille, Hakaze me dépassa, allant elle-même faire tâter de son poing à l'individu dont il était question. Lorsqu'elle l'atteignit, il disparut encore dans le paysage pour resurgir derrière moi, mais une offensive de ce genre n'allait pas marcher deux fois de suite. Je le vis arriver, ce qui me permit d'esquiver le coup de pied fulgurant m'étant destiné, le laissant s'écraser contre l'Indienne qui fut propulsée à son tour, bien plus loin que moi lorsque je dus encaisser son attaque.


Nous profitâmes de la confusion générée par cette stratégie pour nous ruer moi et Hakaze sur le jeune homme qui semblait agacé par la tournure des choses. Nous joignîmes nos forces par le biais d'un coup de poing en double que nous assénâmes à notre ennemi du jour, le projetant en direction de sa tour. Moi et mon amie la brune nous regardâmes, complices et satisfaites. Mais en retournant notre regard sur mon Rei, nous vîmes quelque chose qui retint notre attention. L'homme semblait comme flotter dans les airs. Il était adossé à une sorte de paroi invisible entourant les murs de sa création. Je compris désormais d'où venait cette soudaine assurance et cette arrogance nous défiant en permanence.


D'un bond gracieux, il revint vers nous. Mais alors que nous nous apprêtions à continuer le combat, l'homme reprit la parole d'un air amusé.


« Je suis ravi de savoir que vous êtes toujours aussi coriaces malgré le voyage temporel. sourit le jeune homme, satisfait. J'ai besoin de vous pour mes plans. Je prendrai donc le soin de conserver votre combativité et votre puissance.


— Et si nous refusons de prendre part à tes plans, que feras-tu ? grognai-je.


— Ai-je précisé dans mes dires que je vous laissais le choix ? reprit-il, moqueur. Si vous ne vous dressez pas sur ma route, qui le fera ? Qui m'empêchera de supprimer ce qui me dérange ?


— Et comment vas-tu procéder alors ? rétorqua Hakaze. A part aboyer et construire une tour, tu n'as rien fait de sensationnel Reisuke.


— T'es-tu posée la question de savoir quelle était la nature de cette tour ? Je suppose que non. Autrement, tu n'aurais pas émis une réflexion si idiote. Je te pensais plus intelligente, Hakaze. »


Nous nous arrêtâmes quelques secondes, réfléchissant à ce qu'il se passait. Indy resurgit, mais au lieu de nous attaquer, elle vint se ranger aux côtés de mon Rei qui n'agissait pas en l'instant. Quelque chose nous surprit : un bruit sourd, suivi de tas de cris. Des hurlements venant de partout et nulle part à la fois. Des exclamations de souffrance, de désespoir, d'effroi… Que se passait-il ? Je ne pouvais y répondre.


Je dévisageai l'homme aux longs cheveux. C'était forcément lui. Et il ne se fit même pas attendre pour expliquer de quel coup fourré il était le responsable.


« Notre partie a déjà commencé, Erika, Hakaze. Voyez-vous, cette magnifique tour se trouvant derrière moi possède un pouvoir très particulier. Elle décuple la puissance spirituelle des Izrathiens : le kvantiki, dans les alentours. Mais en échange, elle consume l'énergie vitale des personnes habitant cette ville, dans un périmètre de deux kilomètres. Et si par malheur, un individu venait à être à court d'énergie… Il serait absorbé entièrement dans cette tour afin de l'emprisonner pour l'éternité… Ne trouvez-vous pas cela tragique ?


— Pourquoi ces agissements ? repris-je dubitative. Pourquoi impliquer des personnes n'ayant rien à voir avec Izrath ni notre périple dans un conflit personnel ?


— Tout simplement car je veux être certain que vous jouerez mon jeu. rétorqua-t-il, défiant. C'est moi qui fixe les règles, et j'ai besoin de vous pour entreprendre la suite des évènements. Nous allons donc nous affronter dans des règles définies.


— Tu es complètement fou… murmura Hakaze.


— Peut-être bien. rit mon Rei. Les règles du jeu sont simples. À partir de maintenant vous avez vingt-quatre heures pour trouver le moyen de pénétrer cette tour et venir m'y affronter. Si vous y parvenez avant la limite, vous sauverez cette ville, voir le monde, d'une catastrophe.


— Une catastrophe… ? repris-je, dubitative. Si nous n'utilisons pas le kvantiki il n'y a aucune raison de provoquer une catastrophe.


— Il n'y a pas que les combats qui font se drainer l'énergie vitale d'un individu lambda. répondit le jeune homme en affichant un faux air pédagogue. Les loisirs, le travail, toutes ces choses de la vie quotidienne sont des facteurs qui épuisent tout le monde. Et dans le jeu que je vous propose, il est interdit de dormir. En effet, si vous êtes inconscients à quelque moment que ce soit, ma tour utilisera son pouvoir pour vous enfermer à l'intérieur étant donné que votre esprit ne combattra plus son emprise. »


Sans dire un mot de plus, Hakaze se rua sur mon ancien camarade qui esquiva de justesse l'assaut qu'elle lança. Mon Rei fit un bond en arrière assez élancé qui le fit atterrir pile poil sur un rebord de fenêtre de sa tour. Nous lançant un dernier regard provocateur, il s'exila dans sa bâtisse, nous laissant dans l'incompréhension face à son jeu sordide. Quant à Indy, il l'avait emportée avec lui, sans que je ne puisse connaître ses véritables ambitions concernant l'Indienne. Hakaze s'arrêta quelques secondes, ruminant l'amertume que notre ancien ami désormais pris par les ombres lui avait laissé dans la gorge. Lorsqu'elle reprit la parole, elle le fit d'un ton trahissant son inquiétude.


« Erika, nous n'avons pas beaucoup de temps. Nous devons retrouver Reisuke et arrêter ce jeu sordide qu'il impose à tout le monde, autrement…L'histoire pourrait être modifiée à une échelle irréversible…


— Je le sais. repris-je, sérieuse. Mais dans un premier temps nous devrions tenter de détruire cette barrière invisible qui semble nous bloquer l'accès. Et pour ça il n'y a qu'une solution : fonçons dans le tas !


— Je te signale, Erika, qu'en utilisant des pouvoirs d'Izrath, cela drainera de l'énergie aux personnes autour de nous. On ne peut pas prendre ce risque.


— Hakaze… rétorquai-je, déterminée. Qu'arrivera-t-il si ce soir nous n'avons pas réussi ? Tout le monde ira dormir, et là tu pourras dire que c'est la catastrophe. Prenons le risque, nous réussirons à les sauver. Je ne crois pas mon Rei lorsqu'il parle d'éternité, ça serait trop facile pour lui.


— Très bien… soupira mon amie la brune. Prenons ce risque ensemble. Zéphyra ! Viens à moi ! »


En moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, Zéphyra sortit de nulle part, prête à en découdre. Alors qu'elle se mettait position de bataille, je pris la parole à son attention.


« Merci d'être venue alors que nous avons requis ton aide il y a quelques heures à peine sans te laisser te reposer, Zéphyra…


— Le temps sur Izrath s'écoule moins vite que dans votre monde, m'assura Zéphyra. Ainsi j'ai plus de temps entre chaque appel pour me reposer de mon œuvre…


— Je vois… soupirai-je. C'est simplement que contrairement à Toratura, tu as l'air si humaine sous ton armure… Je ne peux m'empêcher de penser que ton cycle de sommeil est comme le nôtre…


— L'heure n'est pas à digresser Erika ! me recadra Hakaze. Zéphyra, examine cette barrière et fais-moi un compte rendu de ses propriétés. »


Zéphyra s'exécuta. Elle s'entoura d'une bulle de lumière qui lui permettait de flotter dans les airs ou sur l'eau avant de se propulser rapidement jusqu'à heurter la barrière qui protégeait le bâtiment émergeant des océans. Elle scruta la protection dans tous les aspects qu'elle pouvait inspecter. Elle la toucha, elle la heurta, tenta d'y planter son sceptre, sans succès. Elle se retourna alors vers nous avant de nous rejoindre complètement. Lorsqu'elle se posa devant nous, elle fit disparaître cette bulle afin de nous parler de vive voix.


« La barrière est une fine couche transparente faite de kvantiki matérialisé par un Crafter.


— Un Crafter !? m'exclamai-je, interdite. Qu'est-ce que c'est ?


— Un Crafter est une autre caste d'utilisateurs de pouvoirs d'Izrath. répondit Hakaze. Ils utilisent la matière abstraite qu'est le kvantiki et le manient pour former des objets, des armes, et parfois même des êtres vivants pouvant se mouvoir mais ne possédant pas d'esprit. Mais ce qui me préoccupe, c'est qu'en principe, Reisuke semble être un Summoner…


— Et comment détruire cette chose ? Tu connais un moyen, Zéphyra ?


— Malheureusement mes pouvoirs sont d'un élément spécial. Pour briser une barrière de kvantiki, il faudrait une puissance physique assez forte pour pouvoir la fissurer, mais je combats grâce à des sortilèges d'attributs magiques et immatériels.


— En clair, reprit Hakaze, il nous faudrait un Izrathien possédant une force physique plus importante, à l'instar d'un chevalier par exemple ?


— En effet. se contenta d'approuver la femme en armure. »


Alors que je ne comprenais pas vraiment toutes les ficelles d'Izrath et ses pouvoirs, je pus malgré tout réaliser la situation dans laquelle nous nous trouvions. Nous n'avions plus que très peu de temps pour ratisser la ville, et y trouver un humain lié à un Izrathien de caste physique et aux attaques assez puissantes pour nous frayer un chemin vers cette tour.


Plus je réfléchissais à comment m'y prendre, plus je désespérais. Mais je n'allais pas m'avouer vaincue. Il était de notre devoir de préserver le temps, et nous allions le faire !





Spoiler :


Trouver un Izrathien possédant une force physique ? Était-ce vraiment possible, d'en trouver un dans une ville vraisemblablement sans réelles connexions avec le monde d'Izrath ? Je ne savais pas comment procéder. Yokohama était immense, et nous étions sur la côte, alors regagner le centre-ville allait être difficile. Le défi de mon Rei n'avait pas vraiment de sens finalement. Courir après une chimère pendant vingt-quatre heures au risque de voir l'entièreté des alentours disparaître dans sa prison ? Son objectif restait une énigme en elle-même. Que gagnait-il à nous forcer à jouer à son jeu ?


Ce combat semblait perdu d'avance, mais il était hors de question que je ne me laisse vaincre. Des tas d'espoirs étaient placés sur mes épaules. En aucun cas il ne m'était autorisé de les jeter. Certes, tout cela était aussi éphémère que le temps avec mon Rei, mais ce n'était pas une raison pour capituler.


Gardant à l'esprit cette réalisation, je repris la parole, enjouée.


« Bien ! Il faut simplement que nous trouvions un combattant à l'épée venant d'Izrath ! Ce ne doit pas être difficile à trouver si même Indy possède un engagement.


— Cela sera difficile. reprit Hakaze. Nous n'avons que très peu de temps et nous ne pouvons même pas nous séparer. Qui sait les pièges que Reisuke a pu préparer pour nous faire tomber.


— Alors comment fait-on !? rétorquai-je. Hakaze, il faut prendre des risques pour sauver les habitants de cette ville. Si tu recules toujours en pensant au rationnel, nous n'avancerons jamais !


— Et c'est quoi ton plan à part foncer dans le tas Erika !? Chaque erreur que nous faisons ici peut avoir des répercussions désastreuses sur la ligne temporelle ! Imagine un peu si on modifie l'histoire !


— Ah oui !? criai-je. Tu crois vraiment qu'un chevalier d'Izrath va venir nous voir, là maintenant, comme tombé du ciel !?


— Eh bien, oui il y en a un ! rétorqua une voix masculine assez grave provenant de derrière nous. Il y en a même deux ! »


Nous nous retournâmes pour considérer l'inconnu dont la voix me semblait étrangement familière. Lorsque je le vis, je compris alors que je connaissais très bien cette personne.


Il était un jeune homme qui était de quelques années plus vieux que moi. Je le reconnus immédiatement au look singulier qu'il arborait. Il était toujours habillé d'une veste noire couvrant une partie de son buste fort. Cette veste restait ouverte sur son torse nu sur lequel était toujours posé un pendentif doré qui représentait un soleil étrange. Cette dégaine inimitable était complétée par son visage affichant des traits durs et forts expressifs.


Ses yeux, bleus comme l'océan, étaient assez singuliers. Ils étaient soulignés par des traits épais qui lui donnaient toujours un visage assez strict même quand il affichait une expression neutre. Et ses cheveux noirs ébènes n'arrangeaient rien… Il ne les arrangeait d'ailleurs pas du tout. La touffe qu'il possédait était coiffée en bataille et partait dans tous les sens sans qu'il ne puisse y remédier.


Je devins blême. Comment était-il arrivé ici ? Comment nous avait-il suivi dans le passé ?


« Hiroki… bégayai-je. Mais que fais-tu ici… ?


— J'hallucine. soupira le jeune homme. Qu'est-ce que je fais ici ? Non mais je rêve ! Je t'ai suivie pour t'aider je te signale ! Je traverse le temps, je m'éclate la gueule dans l'eau alors que pour rappel, je ne sais pas nager, et elle me sort « Que fais-tu ici ? » Non mais sérieux je repars, moi !


— Désolée… murmurai-je. C'est juste que je suis surprise… Je ne m'attendais pas à te voir ici alors que tu es de notre époque. Et puis en plus tu n'es pas venu au concert…


— Ne t'en fais pas. reprit le grand gaillard avec un sourire. Je ne suis pas rancunier. Et puis j'étais au concert, j'ai vu Toratura faire des siennes. La vache elle est violente !


— Très violente… soupirai-je. Beaucoup de choses se sont passées. Mais, je ne vous ai même pas présentés ! Quelle idiote je fais ! »


Je me retournai vers Hakaze qui me regardait d'un air dubitatif face à l'arrivée du jeune homme. Je tirai le bras de mon amie qui semblait réticente à l'idée de se présenter à mon camarade, mais je lui assurai qu'il était gentil. M'écoutant finalement, elle me lâcha le bras, s'avança vers Hiroki auquel elle se présenta. Je la coupai cependant, voulant faire les choses moi-même. Après tout, je n'avais aucune idée de comment elle allait attaquer. Hakaze n'était pas la plus douée dans les relations humaines.


« Hakaze, entamai-je, voici Hiroki. C'est un grand nounours qui a l'air méchant mais qui est gentil comme tout. Il est quelqu'un sur qui je peux toujours compter lors des moments difficiles, et il est très cher à mes yeux. Hiroki, voici Hakaze. C'est une amie à moi qui a accepté de me guider au travers le temps pour résoudre le problème de Toratura. Si je suis encore en vie, c'est bien grâce à elle. »


Les deux personnes que j'eus présenté l'une à l'autre émirent comme une réserve en se regardant. Je pouvais distinguer un malaise assez profond tandis qu'ils s'évitèrent du regard. Hakaze affichait un air arrogant tandis que le grand gaillard, lui, restait totalement rigide. Le courant semblait être mal passé entre mes amis. Diplomate, et un peu responsable de leur rencontre, j'essayai de les faire au moins se serrer la main, mais avant que je ne le puisse, Hiroki reprit la parole, affichant une arrogance non dissimulée envers mon amie.


« Les présentations c'est bon pour les faibles. ricana-t-il. Je n'ai pas envie de connaître des détails sur une personne qui ne m'importe pas.


— Eh !! protestai-je. Évite de prendre Hakaze de haut !! Déjà elle a ton âge et en plus, c'est mon amie tout comme toi !


— Ne t'en fais pas. me coupa Hakaze, souriante. Un seul regard sur ce demeuré suffit à me faire comprendre qu'il n'est qu'un paumé en crise d'adolescence et en manque de reconnaissance. Ignorons ce type veux-tu ?


— Pas la peine d'en rajouter une couche… soupirai-je dépitée.


— Oh, c'est que madame a de la gueule. reprit Hiroki avec entrain. Tu veux que je te montre un peu ce que c'est que me manquer de respect ?


— Oh mais montre-moi donc que je t'écrase. rétorqua la brune avec énergie. Je suis curieuse de voir qui sera à terre le premier !


— Vous n'allez quand même pas vous battre dans un moment si critique !? les interrompis-je, exaspérée. Hiroki, Hakaze, vous ne semblez pas vous aimer, mais faites au moins la part des choses. Nous avons une urgence, et cette urgence est cette tour.


— Ok. grogna Hiroki, dont l'humeur était devenue massacrante. Mais elle n'a pas intérêt à — »


Il fut interrompu par un couinement venant de derrière. Lorsqu'il se retourna, il vit à ses pieds quelque chose de vraiment surprenant. C'était un petit dragon blanc qui se tenait à peine sur ses deux jambes. Il couinait d'une petite voix assez aiguë en mordillant la jambe du jeune homme avec acharnement. Le petit monstre aux yeux bleus était mignon, mais c'était sûrement un piège de mon Rei, donc je voulus le prendre. Cependant, contre toute attente, Hiroki se baissa. Son visage dur s'adoucit rapidement et il reprit la parole d'une voix chaleureuse et un peu moins grave.


« Mais si ce n'est pas mon petit Diamond !!! lâcha-t-il en donnant son doigt à mâchouiller au dragon, se préparant à le sermonner de l'autre main. Qu'est-ce qu'on avait dit avant que je ne parte ? Quand grand frère part en mission, Diamond ne le suit pas. Tu n'es pas encore assez robuste pour ce genre de choses, s'il t'arrive quelque chose, je suis le responsable, tu comprends ? »


Le dragon couina en guise de réponse, apparemment honteux de son acte. Hiroki reprit, encore plus doux qu'avant de sermonner cette créature.


« Bon eh bien nous n'avons plus le choix. soupira-t-il avant de sourire. Allez viens sur grand frère tu seras plus confortable. Mais tu as intérêt à faire attention à toi ! »


Il prit le dragon qui tenait dans la paume de sa main, et le posa sur sa touffe de cheveux. La créature blanche, qui semblait habituée à un tel traitement, se mit à mâchouiller la chevelure de mon ami qui n'y prêtait pas attention, me laissant alors comprendre le pourquoi sa coiffure était toujours en désordre.


« Désolé ! reprit le grand gaillard à notre attention avec maladresse. Je ne pensais pas qu'il allait me suivre dans mon voyage. Il ne gênera pas nos plans.


— Ce dragon…est ton animal de compagnie ? hésitai-je de peur de commettre une maladresse.


— C'est un Breeder. reprit Hakaze sans lui laisser le temps de répondre. Les Breeders sont une autre classe de combattants chez Izrath. Ils s'occupent d'élever les créatures n'ayant pas de foyer ou dont les ascendants sont morts. Ils les élèvent et passent des contrats avec eux en échange.


— Ça existe vraiment… ? repris-je, lançant un regard à Hiroki qui s'amusait à chatouiller son petit monstre. Et tu peux te battre avec des tas de monstres que tu as élevé ?


— Ah non ! s'offusqua le brun qui était soudain redevenu plus rigide. Les créatures que j'élève ne sont pas des instruments de bataille ! Elles ont des sentiments, des destins uniques, et chacune leur histoire emplie de souffrance. Je refuse de les envoyer sur le front. Je suis leur grand frère, c'est moi qui les protège.


— C'est admirable Hiroki. lui souris-je. Mais penses-tu pouvoir passer la barrière de mon Rei ?


— Moi, non. avoua le jeune homme. Mais « lui », si !


— « Lui ? » répétai-je dubitative. »


Alors que je me demandai de qui voulait parler Hiroki, il se retourna pour siffler comme s'il appelait un animal. Alors que je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça, j'eus un profond sentiment de malaise. J'entendis un rire résonner dans l'atmosphère. Il était porté par une voix grave et élégante qui m'était familière. Lorsque je regardai attentivement au loin, je pus distinguer une silhouette assez imposante, à une centaine de mètres de moi, qui portait apparemment une cape flottant au gré du vent. Lorsque l'homme qui était adossé contre une bâtisse se dirigea vers nous, je distinguai un visage familier. Ce fut lorsque mon amie Hakaze esquissa un « Oh non pitié » d'un ton dépité que je compris alors qui était en train de nous faire face.


« Damoiselles, entama le blond en armure, élues de ce petit cœur de moi, je vous salue. Oh Hakaze ma jouvencelle, votre changement de tenue éveille mes instincts de jouvenceau et me tente, et je n'en peux ni ho ni jo !


— Peux-tu m'expliquer ce que tu fais ici sombre abruti !? rétorqua Hakaze, apparemment frustrée par sa présence.


— C'est une longue histoire, ma dame du lac. figurez-vous ma damoiselle, que j'étais en train de fatrouiller avec ce fillot dont la jactance était abondante. J'ai bien voulu le –


— J'en ai assez entendu. le coupa Hakaze glaciale. Merci.


— Mais… geint Medrawt. Écoutez votre humble serviteur, ô ma chère et tendre pucelle bien-aimée !!


— Pu… Pucelle ? bégayai-je, gênée. Hakaze est-ce que tu — »


Je n'eus pas le temps de finir que mon amie la brune avait déjà propulsé son poing droit sur le blond en armure qui perdit connaissance sur le coup. Elle se retourna sauvagement vers moi, m'assassinant de son regard.


« Pour ta gouverne, lâcha-t-elle furieuse et embarrassée, le mot « pucelle » au Moyen Âge signifiait jeune fille non mariée. Compris ?


— Au vu de la réaction, enchaîna Hiroki, sarcastique, je pense que les deux sens te correspondent. »


Et elle propulsa son poing droit contre le grand gaillard qui ne le vit pas arriver et se le prit en pleine face. Sa tête bascula vers l'arrière, projetant dans les airs le bébé dragon encore choqué par l'assaut. Lorsqu'il retomba, Hakaze le rattrapa gracieusement avant de le remettre sur son maître, alors sonné par le coup.


Je tentai de réanimer Medrawt qui était pour le coup indispensable à notre progression. Hakaze croisa les bras, encore frustrée par les mots du blond qui l'avait insultée, tandis que Hiroki, lui, gisait toujours inconscient sur le sol, suivi par son dragon.


Le blond reprit connaissance. Il ramena Hiroki à la vie d'un « mortecouille ! » et tous deux reprirent la parole plus sérieusement, mon ami le brun le premier.


« Donc vous avez besoin d'un chevalier pour passer. entama Hiroki, ayant repris sa voix grave. Medrawt est un Izrathien capable de briser la barrière, j'en suis certain.


— Formidable. railla Hakaze. On va pouvoir envoyer cet abruti droit contre ce champ de force, en espérant qu'il s'y écrase.


— Mais comment allons-nous atteindre la tour avec cette distance qui la sépare d'ici ? repris-je, dubitative. L'eau a l'air profonde, et vu l'armure de Medrawt je doute qu'il puisse nager…


— J'ai la réponse à tout ! reprit Hiroki, l'œil brillant. Diamond ! Montre à grand frère ce que tu sais faire ! »


Le petit dragon poussa un rugissement aigu déterminé avant de luire d'une lueur blanche. En l'espace de quelques secondes il grossit et se métamorphosa en une créature plus grande, d'à peu près la largeur d'une voiture quatre places, sous le regard attendri et fier de Hiroki qui dut s'essuyer une larme à l'œil.


« Je suis si fier de toi mon petit Diamond… murmura Hiroki avant de reprendre, énergique. Bien ! Diamond et Medrawt vont faire équipe pour terrasser la barrière. Medrawt, tu as cinq minutes. Mon ami ne tiendra pas plus longtemps. Allez ! Joignez vos énergies pour n'en faire qu'une !


— Oh pitié… soupira Hakaze. »


Alors que je me demandais vraiment pourquoi Hiroki voulait fusionner ces deux créatures, je vis le dragon et le chevalier luire et disparaître dans une lueur éclatante. Lorsque la lumière se dissipa, Medrawt était habillé d'une armure de la même couleur que Diamond, avec la même couleur d'yeux. Il chevaucha sa nouvelle monture singulière tandis que du duo se dégageait une puissance que je n'avais jamais ressentie venant d'eux. Ils poussèrent ensemble un rugissement de détermination face à leur objectif.


« Voici ! s'exclama Hiroki, satisfait. Le chevalier noble a transcendé les barrières physiques et il est devenu Medrawt, le Maître Draco-Noble !!!


— Oh oui !!! reprit le blond en armure avec entrain. Je terrasserai les viles couardises de ce gueux de Reisuke et nous ferons régner la justice de la table ronde !!!


— Intéressant. reprit Hakaze. J'imagine que nous pouvons toujours essayer.


— Haha ! reprit le chevalier noble. Allons libérer la damoiselle de cette grande tour !! Pour Raiponce, Frénégonde, Sidonie, Marjolaine et Thérèse, que la force de mon épée fasse frémir vos âmes ! Je m'élance vers l'inconnue avec bravoure et toute la puissance de ce petit cœur de moi !!!! Gyaaaah !!! »


Medrawt s'élança sur le dragon Diamond à l'assaut de la barrière formée par la puissance de mon Rei. Il dégaina son épée en direction du champ de force invisible qui nous maintenait à l'écart. Il poussa un hurlement assez viril mais restant élégant. Je discernai davantage le caractère du chevalier noble. Il voulait garder l'élégance et la classe liée à son titre en toutes circonstances. Il n'était pas une de ces brutes à l'épée qui étaient toute la journée en quête d'affrontement. Il était un guerrier valeureux utilisant ses talents avec parcimonie.


Lorsque l'épée du chevalier blond percuta la barrière avec toute la puissance de sa monture associée à elle. Medrawt fut repoussé par le choc de l'attaque qui le propulsa quelques mètres plus loin. Il manqua de peu de tomber du dragon qui réussit tant bien que mal à le rattraper, non pas sans perdre son équilibre. Lorsqu'il reprit le contrôle de la situation, il regarda le résultat de son œuvre avec enthousiasme. Et alors que je pensais que rien n'allait se passer, je vis apparaître une fissure dans la solide vitre transparente. J'émis un petit gémissement de surprise que Hakaze produit également. Nous étions fascinées par le fait que cet idiot ait réussi à briser cette protection. Hiroki afficha un sourire prononcé face à ce succès. Il rappela son allié du jour qui revint à dos de dragon nous voir, affichant l'allure d'un héros.


« Tu as fait du bon travail Medrawt, dit Hiroki, satisfait. Toi aussi Diamond. Mais nous allons devoir retenter un autre assaut, cette fois en modifiant les propriétés de l'attaque. »


Il sortit de sa poche une pierre étrange de couleur bleue que je ne pouvais identifier. La petite roche aux propriétés inconnues luisit et engloba Medrawt ainsi que le compagnon de Hiroki, les faisant disparaître. Lorsque le dragon réapparut, il était beaucoup plus féroce. Le chevalier rayonna pendant quelques secondes. Lorsque la lumière se dissipa, j'eus l'occasion de voir l'homme preux habillé d'une nouvelle armure qui semblait beaucoup plus lourde que la précédente. Pourtant, lorsqu'il se lança à l'assaut de la barrière, je ne le vis même pas partir. Il était d'une rapidité comme jamais je n'en avais vu alors. Il planta une fois de plus son épée dans la barrière et la brisa d'un seul coup. Je fus stupéfaite par les dégâts causés par Medrawt. Le duo qu'il faisait avec Hiroki m'épatait. Je souris face à leur performance tandis que le chevalier revint une fois de plus se tapant le torse en guise de preuve de fierté.


« Je vous ai ouvert la voie, mesdamoiselles. déclara fièrement Medrawt.


— C'est vraiment le top d'avoir un chevalier aussi brave et preux que Medrawt à nos côtés. souris-je en congratulant le blond.


— Arrête de lui lancer des fleurs Erika, il va y prendre goût. railla Hakaze.


— Sans Medrawt, renchérit Hiroki, nous n'aurions rien pu accomplir. Et sans Diamond non plus, n'est-ce pas mon bébé d'amour ?


— Graouh ! approuva le petit dragon ayant repris sa position sur la tête du brun. »


Hakaze s'arrêta net, s'offusquant devant la révélation de mon ami sur Medrawt. Elle détourna le regard, comme ne voulant absolument pas donner une once de crédit au jeune blond en armure qui attendait se récompense tel un chien modèle attendrait son sucre. Devant la demande de l'homme, elle fit néanmoins un effort. Elle lança un regard au chevalier modèle qui se redressa fièrement en croisant les yeux de sa belle. Son attitude lui tira même un sourire, bien qu'elle semblât ne pas apprécier Medrawt. Elle reprit la parole, avec empathie cette fois, face au héros du jour.


« Merci beaucoup, Medrawt. sourit-elle. Tu nous as sauvé la mise, enfin… Ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas… ? Tu as toujours été là pour nous aider, mon père et moi.


— Que trépasse si je faiblis, damoiselle Hakaze. J'ai fait serment de vous servir et je ne m'enfoncerai jamais dans la couardise en ignorant ma promesse.


— Je suis ravie de t'avoir à mes côtés, aussi idiot sois-tu, mon preux chevalier.


— Bon ça va hein ! les coupa Hiroki, énervé. Prenez une chambre ça ira plus vite ! On a d'autres priorités je vous signale !!


— Hiroki… murmurai-je. Pourquoi te mets-tu dans cet état ? »


Le grand gaillard marqua un court temps d'arrêt. Il détourna son regard, comme ne voulant pas me répondre. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait masquer dans son comportement, mais il me cachait vraiment quelque chose de très louche. Je devais en savoir davantage. Je repris la parole, taquine, espiègle.


« Je crois que tu me caches quelque chose mon Hiroki ! lâchai-je prise d'un soupçon de malice.


— Euh… hésita mon interlocuteur. Pas du tout voyons qu'est-ce que tu t'imagines ?


— On ne me la fait pas à moi ! souris-je. Tu viens du futur avec Medrawt, et non tout seul ! Tu voulais un Izrathien pour te protéger des dangers du passé avoue !


— Eh bien… Oui tu as raison. murmura Hiroki, semblant à moitié convaincu par ce qu'il disait. Medrawt est venu pour me protéger. Mais quand je vois l'affection qu'il vous porte, je me sens obligé de le laisser avec vous.


— Tu peux le garder. railla Hakaze.


— En attendant, allons pénétrer cette tour ! »


Toratura et Zéphyra sortirent toutes les deux suite à l'annonce de notre objectif. La princesse des reptiles me porta, m'assurant qu'elle pouvait traverser l'étendue d'eau. Zéphyra quant à elle pouvait flotter grâce à la pression de son pouvoir sur l'air. Hiroki allait être porté par Medrawt et Diamond pour passer au-dessus de la mer. Nous nous lançâmes tous les trois dans cette traversée, bien décidés à pénétrer la tour et vaincre mon Rei une bonne fois pour toutes. Nous arrivâmes rapidement jusqu'à destination. Je passai la première, suivie par Hakaze. Cependant alors que Hiroki et Medrawt allaient pénétrer le périmètre, la barrière se referma sec. À ma grande surprise, seul le chevalier blond passa au travers. Son acolyte, ainsi que Diamond, s'écrasèrent littéralement sur la couche invisible qui s'était reformée en une fraction de seconde. Le corps endolori de Hiroki glissa doucement le long de la paroi jusqu'à tomber à l'eau.


Je voulus me précipiter à son secours, mais Hakaze me retint.


« Laisse-moi aller aider Hiroki ! m'exclamai-je, frustrée. Et s'il a des ennuis !?


— Nous n'avons plus le temps. enchérit Hakaze, froide. Reisuke est devant nous. Nous avons plus important à faire. Erika, tu m'as dit de foncer non ? Alors fonce.


— Tu as raison. abdiquai-je. Allons combattre mon Rei ! »


Ainsi, je laissai derrière moi mon ami le grand gaillard en espérant qu'il s'en sorte, afin de régler le problème que posait mon Rei en priorité. Je me promis à ce moment que si Hiroki ne s'en sortait pas, alors j'allais tenter mon possible pour revenir en arrière et le sauver. Mais si ce sacrifice était effectué, ce n'était pas pour que je perde. Le sort de la ville, et peut-être plus, ne dépendait que de moi.


Ce fut sur cette pensée que moi, Hakaze, et Medrawt, nous pénétrâmes la tour de Reisuke.





Spoiler :


Trouver un Izrathien possédant une force physique ? Était-ce vraiment possible, d'en trouver un dans une ville vraisemblablement sans réelles connexions avec le monde d'Izrath ? Je ne savais pas comment procéder. Yokohama était immense, et nous étions sur la côte, alors regagner le centre-ville allait être difficile. Le défi de mon Rei n'avait pas vraiment de sens finalement. Courir après une chimère pendant vingt-quatre heures au risque de voir l'entièreté des alentours disparaître dans sa prison ? Son objectif restait une énigme en elle-même. Que gagnait-il à nous forcer à jouer à son jeu ?


Ce combat semblait perdu d'avance, mais il était hors de question que je ne me laisse vaincre. Des tas d'espoirs étaient placés sur mes épaules. En aucun cas il ne m'était autorisé de les jeter. Certes, tout cela était aussi éphémère que le temps avec mon Rei, mais ce n'était pas une raison pour capituler.


Gardant à l'esprit cette réalisation, je repris la parole, enjouée.


« Bien ! Il faut simplement que nous trouvions un combattant à l'épée venant d'Izrath ! Ce ne doit pas être difficile à trouver si même Indy possède un engagement.


— Cela sera difficile. reprit Hakaze. Nous n'avons que très peu de temps et nous ne pouvons même pas nous séparer. Qui sait les pièges que Reisuke a pu préparer pour nous faire tomber.


— Alors comment fait-on !? rétorquai-je. Hakaze, il faut prendre des risques pour sauver les habitants de cette ville. Si tu recules toujours en pensant au rationnel, nous n'avancerons jamais !


— Et c'est quoi ton plan à part foncer dans le tas Erika !? Chaque erreur que nous faisons ici peut avoir des répercussions désastreuses sur la ligne temporelle ! Imagine un peu si on modifie l'histoire !


— Ah oui !? criai-je. Tu crois vraiment qu'un chevalier d'Izrath va venir nous voir, là maintenant, comme tombé du ciel !?


— Eh bien, oui il y en a un ! rétorqua une voix masculine assez grave provenant de derrière nous. Il y en a même deux ! »


Nous nous retournâmes pour considérer l'inconnu dont la voix me semblait étrangement familière. Lorsque je le vis, je compris alors que je connaissais très bien cette personne.


Il était un jeune homme qui était de quelques années plus vieux que moi. Je le reconnus immédiatement au look singulier qu'il arborait. Il était toujours habillé d'une veste noire couvrant une partie de son buste fort. Cette veste restait ouverte sur son torse nu sur lequel était toujours posé un pendentif doré qui représentait un soleil étrange. Cette dégaine inimitable était complétée par son visage affichant des traits durs et forts expressifs.


Ses yeux, bleus comme l'océan, étaient assez singuliers. Ils étaient soulignés par des traits épais qui lui donnaient toujours un visage assez strict même quand il affichait une expression neutre. Et ses cheveux noirs ébènes n'arrangeaient rien… Il ne les arrangeait d'ailleurs pas du tout. La touffe qu'il possédait était coiffée en bataille et partait dans tous les sens sans qu'il ne puisse y remédier.


Je devins blême. Comment était-il arrivé ici ? Comment nous avait-il suivi dans le passé ?


« Hiroki… bégayai-je. Mais que fais-tu ici… ?


— J'hallucine. soupira le jeune homme. Qu'est-ce que je fais ici ? Non mais je rêve ! Je t'ai suivie pour t'aider je te signale ! Je traverse le temps, je m'éclate la gueule dans l'eau alors que pour rappel, je ne sais pas nager, et elle me sort « Que fais-tu ici ? » Non mais sérieux je repars, moi !


— Désolée… murmurai-je. C'est juste que je suis surprise… Je ne m'attendais pas à te voir ici alors que tu es de notre époque. Et puis en plus tu n'es pas venu au concert…


— Ne t'en fais pas. reprit le grand gaillard avec un sourire. Je ne suis pas rancunier. Et puis j'étais au concert, j'ai vu Toratura faire des siennes. La vache elle est violente !


— Très violente… soupirai-je. Beaucoup de choses se sont passées. Mais, je ne vous ai même pas présentés ! Quelle idiote je fais ! »


Je me retournai vers Hakaze qui me regardait d'un air dubitatif face à l'arrivée du jeune homme. Je tirai le bras de mon amie qui semblait réticente à l'idée de se présenter à mon camarade, mais je lui assurai qu'il était gentil. M'écoutant finalement, elle me lâcha le bras, s'avança vers Hiroki auquel elle se présenta. Je la coupai cependant, voulant faire les choses moi-même. Après tout, je n'avais aucune idée de comment elle allait attaquer. Hakaze n'était pas la plus douée dans les relations humaines.


« Hakaze, entamai-je, voici Hiroki. C'est un grand nounours qui a l'air méchant mais qui est gentil comme tout. Il est quelqu'un sur qui je peux toujours compter lors des moments difficiles, et il est très cher à mes yeux. Hiroki, voici Hakaze. C'est une amie à moi qui a accepté de me guider au travers le temps pour résoudre le problème de Toratura. Si je suis encore en vie, c'est bien grâce à elle. »


Les deux personnes que j'eus présenté l'une à l'autre émirent comme une réserve en se regardant. Je pouvais distinguer un malaise assez profond tandis qu'ils s'évitèrent du regard. Hakaze affichait un air arrogant tandis que le grand gaillard, lui, restait totalement rigide. Le courant semblait être mal passé entre mes amis. Diplomate, et un peu responsable de leur rencontre, j'essayai de les faire au moins se serrer la main, mais avant que je ne le puisse, Hiroki reprit la parole, affichant une arrogance non dissimulée envers mon amie.


« Les présentations c'est bon pour les faibles. ricana-t-il. Je n'ai pas envie de connaître des détails sur une personne qui ne m'importe pas.


— Eh !! protestai-je. Évite de prendre Hakaze de haut !! Déjà elle a ton âge et en plus, c'est mon amie tout comme toi !


— Ne t'en fais pas. me coupa Hakaze, souriante. Un seul regard sur ce demeuré suffit à me faire comprendre qu'il n'est qu'un paumé en crise d'adolescence et en manque de reconnaissance. Ignorons ce type veux-tu ?


— Pas la peine d'en rajouter une couche… soupirai-je dépitée.


— Oh, c'est que madame a de la gueule. reprit Hiroki avec entrain. Tu veux que je te montre un peu ce que c'est que me manquer de respect ?


— Oh mais montre-moi donc que je t'écrase. rétorqua la brune avec énergie. Je suis curieuse de voir qui sera à terre le premier !


— Vous n'allez quand même pas vous battre dans un moment si critique !? les interrompis-je, exaspérée. Hiroki, Hakaze, vous ne semblez pas vous aimer, mais faites au moins la part des choses. Nous avons une urgence, et cette urgence est cette tour.


— Ok. grogna Hiroki, dont l'humeur était devenue massacrante. Mais elle n'a pas intérêt à — »


Il fut interrompu par un couinement venant de derrière. Lorsqu'il se retourna, il vit à ses pieds quelque chose de vraiment surprenant. C'était un petit dragon blanc qui se tenait à peine sur ses deux jambes. Il couinait d'une petite voix assez aiguë en mordillant la jambe du jeune homme avec acharnement. Le petit monstre aux yeux bleus était mignon, mais c'était sûrement un piège de mon Rei, donc je voulus le prendre. Cependant, contre toute attente, Hiroki se baissa. Son visage dur s'adoucit rapidement et il reprit la parole d'une voix chaleureuse et un peu moins grave.


« Mais si ce n'est pas mon petit Diamond !!! lâcha-t-il en donnant son doigt à mâchouiller au dragon, se préparant à le sermonner de l'autre main. Qu'est-ce qu'on avait dit avant que je ne parte ? Quand grand frère part en mission, Diamond ne le suit pas. Tu n'es pas encore assez robuste pour ce genre de choses, s'il t'arrive quelque chose, je suis le responsable, tu comprends ? »


Le dragon couina en guise de réponse, apparemment honteux de son acte. Hiroki reprit, encore plus doux qu'avant de sermonner cette créature.


« Bon eh bien nous n'avons plus le choix. soupira-t-il avant de sourire. Allez viens sur grand frère tu seras plus confortable. Mais tu as intérêt à faire attention à toi ! »


Il prit le dragon qui tenait dans la paume de sa main, et le posa sur sa touffe de cheveux. La créature blanche, qui semblait habituée à un tel traitement, se mit à mâchouiller la chevelure de mon ami qui n'y prêtait pas attention, me laissant alors comprendre le pourquoi sa coiffure était toujours en désordre.


« Désolé ! reprit le grand gaillard à notre attention avec maladresse. Je ne pensais pas qu'il allait me suivre dans mon voyage. Il ne gênera pas nos plans.


— Ce dragon…est ton animal de compagnie ? hésitai-je de peur de commettre une maladresse.


— C'est un Breeder. reprit Hakaze sans lui laisser le temps de répondre. Les Breeders sont une autre classe de combattants chez Izrath. Ils s'occupent d'élever les créatures n'ayant pas de foyer ou dont les ascendants sont morts. Ils les élèvent et passent des contrats avec eux en échange.


— Ça existe vraiment… ? repris-je, lançant un regard à Hiroki qui s'amusait à chatouiller son petit monstre. Et tu peux te battre avec des tas de monstres que tu as élevé ?


— Ah non ! s'offusqua le brun qui était soudain redevenu plus rigide. Les créatures que j'élève ne sont pas des instruments de bataille ! Elles ont des sentiments, des destins uniques, et chacune leur histoire emplie de souffrance. Je refuse de les envoyer sur le front. Je suis leur grand frère, c'est moi qui les protège.


— C'est admirable Hiroki. lui souris-je. Mais penses-tu pouvoir passer la barrière de mon Rei ?


— Moi, non. avoua le jeune homme. Mais « lui », si !


— « Lui ? » répétai-je dubitative. »


Alors que je me demandai de qui voulait parler Hiroki, il se retourna pour siffler comme s'il appelait un animal. Alors que je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça, j'eus un profond sentiment de malaise. J'entendis un rire résonner dans l'atmosphère. Il était porté par une voix grave et élégante qui m'était familière. Lorsque je regardai attentivement au loin, je pus distinguer une silhouette assez imposante, à une centaine de mètres de moi, qui portait apparemment une cape flottant au gré du vent. Lorsque l'homme qui était adossé contre une bâtisse se dirigea vers nous, je distinguai un visage familier. Ce fut lorsque mon amie Hakaze esquissa un « Oh non pitié » d'un ton dépité que je compris alors qui était en train de nous faire face.


« Damoiselles, entama le blond en armure, élues de ce petit cœur de moi, je vous salue. Oh Hakaze ma jouvencelle, votre changement de tenue éveille mes instincts de jouvenceau et me tente, et je n'en peux ni ho ni jo !


— Peux-tu m'expliquer ce que tu fais ici sombre abruti !? rétorqua Hakaze, apparemment frustrée par sa présence.


— C'est une longue histoire, ma dame du lac. figurez-vous ma damoiselle, que j'étais en train de fatrouiller avec ce fillot dont la jactance était abondante. J'ai bien voulu le –


— J'en ai assez entendu. le coupa Hakaze glaciale. Merci.


— Mais… geint Medrawt. Écoutez votre humble serviteur, ô ma chère et tendre pucelle bien-aimée !!


— Pu… Pucelle ? bégayai-je, gênée. Hakaze est-ce que tu — »


Je n'eus pas le temps de finir que mon amie la brune avait déjà propulsé son poing droit sur le blond en armure qui perdit connaissance sur le coup. Elle se retourna sauvagement vers moi, m'assassinant de son regard.


« Pour ta gouverne, lâcha-t-elle furieuse et embarrassée, le mot « pucelle » au Moyen Âge signifiait jeune fille non mariée. Compris ?


— Au vu de la réaction, enchaîna Hiroki, sarcastique, je pense que les deux sens te correspondent. »


Et elle propulsa son poing droit contre le grand gaillard qui ne le vit pas arriver et se le prit en pleine face. Sa tête bascula vers l'arrière, projetant dans les airs le bébé dragon encore choqué par l'assaut. Lorsqu'il retomba, Hakaze le rattrapa gracieusement avant de le remettre sur son maître, alors sonné par le coup.


Je tentai de réanimer Medrawt qui était pour le coup indispensable à notre progression. Hakaze croisa les bras, encore frustrée par les mots du blond qui l'avait insultée, tandis que Hiroki, lui, gisait toujours inconscient sur le sol, suivi par son dragon.


Le blond reprit connaissance. Il ramena Hiroki à la vie d'un « mortecouille ! » et tous deux reprirent la parole plus sérieusement, mon ami le brun le premier.


« Donc vous avez besoin d'un chevalier pour passer. entama Hiroki, ayant repris sa voix grave. Medrawt est un Izrathien capable de briser la barrière, j'en suis certain.


— Formidable. railla Hakaze. On va pouvoir envoyer cet abruti droit contre ce champ de force, en espérant qu'il s'y écrase.


— Mais comment allons-nous atteindre la tour avec cette distance qui la sépare d'ici ? repris-je, dubitative. L'eau a l'air profonde, et vu l'armure de Medrawt je doute qu'il puisse nager…


— J'ai la réponse à tout ! reprit Hiroki, l'œil brillant. Diamond ! Montre à grand frère ce que tu sais faire ! »


Le petit dragon poussa un rugissement aigu déterminé avant de luire d'une lueur blanche. En l'espace de quelques secondes il grossit et se métamorphosa en une créature plus grande, d'à peu près la largeur d'une voiture quatre places, sous le regard attendri et fier de Hiroki qui dut s'essuyer une larme à l'œil.


« Je suis si fier de toi mon petit Diamond… murmura Hiroki avant de reprendre, énergique. Bien ! Diamond et Medrawt vont faire équipe pour terrasser la barrière. Medrawt, tu as cinq minutes. Mon ami ne tiendra pas plus longtemps. Allez ! Joignez vos énergies pour n'en faire qu'une !


— Oh pitié… soupira Hakaze. »


Alors que je me demandais vraiment pourquoi Hiroki voulait fusionner ces deux créatures, je vis le dragon et le chevalier luire et disparaître dans une lueur éclatante. Lorsque la lumière se dissipa, Medrawt était habillé d'une armure de la même couleur que Diamond, avec la même couleur d'yeux. Il chevaucha sa nouvelle monture singulière tandis que du duo se dégageait une puissance que je n'avais jamais ressentie venant d'eux. Ils poussèrent ensemble un rugissement de détermination face à leur objectif.


« Voici ! s'exclama Hiroki, satisfait. Le chevalier noble a transcendé les barrières physiques et il est devenu Medrawt, le Maître Draco-Noble !!!


— Oh oui !!! reprit le blond en armure avec entrain. Je terrasserai les viles couardises de ce gueux de Reisuke et nous ferons régner la justice de la table ronde !!!


— Intéressant. reprit Hakaze. J'imagine que nous pouvons toujours essayer.


— Haha ! reprit le chevalier noble. Allons libérer la damoiselle de cette grande tour !! Pour Raiponce, Frénégonde, Sidonie, Marjolaine et Thérèse, que la force de mon épée fasse frémir vos âmes ! Je m'élance vers l'inconnue avec bravoure et toute la puissance de ce petit cœur de moi !!!! Gyaaaah !!! »


Medrawt s'élança sur le dragon Diamond à l'assaut de la barrière formée par la puissance de mon Rei. Il dégaina son épée en direction du champ de force invisible qui nous maintenait à l'écart. Il poussa un hurlement assez viril mais restant élégant. Je discernai davantage le caractère du chevalier noble. Il voulait garder l'élégance et la classe liée à son titre en toutes circonstances. Il n'était pas une de ces brutes à l'épée qui étaient toute la journée en quête d'affrontement. Il était un guerrier valeureux utilisant ses talents avec parcimonie.


Lorsque l'épée du chevalier blond percuta la barrière avec toute la puissance de sa monture associée à elle. Medrawt fut repoussé par le choc de l'attaque qui le propulsa quelques mètres plus loin. Il manqua de peu de tomber du dragon qui réussit tant bien que mal à le rattraper, non pas sans perdre son équilibre. Lorsqu'il reprit le contrôle de la situation, il regarda le résultat de son œuvre avec enthousiasme. Et alors que je pensais que rien n'allait se passer, je vis apparaître une fissure dans la solide vitre transparente. J'émis un petit gémissement de surprise que Hakaze produit également. Nous étions fascinées par le fait que cet idiot ait réussi à briser cette protection. Hiroki afficha un sourire prononcé face à ce succès. Il rappela son allié du jour qui revint à dos de dragon nous voir, affichant l'allure d'un héros.


« Tu as fait du bon travail Medrawt, dit Hiroki, satisfait. Toi aussi Diamond. Mais nous allons devoir retenter un autre assaut, cette fois en modifiant les propriétés de l'attaque. »


Il sortit de sa poche une pierre étrange de couleur bleue que je ne pouvais identifier. La petite roche aux propriétés inconnues luisit et engloba Medrawt ainsi que le compagnon de Hiroki, les faisant disparaître. Lorsque le dragon réapparut, il était beaucoup plus féroce. Le chevalier rayonna pendant quelques secondes. Lorsque la lumière se dissipa, j'eus l'occasion de voir l'homme preux habillé d'une nouvelle armure qui semblait beaucoup plus lourde que la précédente. Pourtant, lorsqu'il se lança à l'assaut de la barrière, je ne le vis même pas partir. Il était d'une rapidité comme jamais je n'en avais vu alors. Il planta une fois de plus son épée dans la barrière et la brisa d'un seul coup. Je fus stupéfaite par les dégâts causés par Medrawt. Le duo qu'il faisait avec Hiroki m'épatait. Je souris face à leur performance tandis que le chevalier revint une fois de plus se tapant le torse en guise de preuve de fierté.


« Je vous ai ouvert la voie, mesdamoiselles. déclara fièrement Medrawt.


— C'est vraiment le top d'avoir un chevalier aussi brave et preux que Medrawt à nos côtés. souris-je en congratulant le blond.


— Arrête de lui lancer des fleurs Erika, il va y prendre goût. railla Hakaze.


— Sans Medrawt, renchérit Hiroki, nous n'aurions rien pu accomplir. Et sans Diamond non plus, n'est-ce pas mon bébé d'amour ?


— Graouh ! approuva le petit dragon ayant repris sa position sur la tête du brun. »


Hakaze s'arrêta net, s'offusquant devant la révélation de mon ami sur Medrawt. Elle détourna le regard, comme ne voulant absolument pas donner une once de crédit au jeune blond en armure qui attendait se récompense tel un chien modèle attendrait son sucre. Devant la demande de l'homme, elle fit néanmoins un effort. Elle lança un regard au chevalier modèle qui se redressa fièrement en croisant les yeux de sa belle. Son attitude lui tira même un sourire, bien qu'elle semblât ne pas apprécier Medrawt. Elle reprit la parole, avec empathie cette fois, face au héros du jour.


« Merci beaucoup, Medrawt. sourit-elle. Tu nous as sauvé la mise, enfin… Ce n'est pas la première fois, n'est-ce pas… ? Tu as toujours été là pour nous aider, mon père et moi.


— Que trépasse si je faiblis, damoiselle Hakaze. J'ai fait serment de vous servir et je ne m'enfoncerai jamais dans la couardise en ignorant ma promesse.


— Je suis ravie de t'avoir à mes côtés, aussi idiot sois-tu, mon preux chevalier.


— Bon ça va hein ! les coupa Hiroki, énervé. Prenez une chambre ça ira plus vite ! On a d'autres priorités je vous signale !!


— Hiroki… murmurai-je. Pourquoi te mets-tu dans cet état ? »


Le grand gaillard marqua un court temps d'arrêt. Il détourna son regard, comme ne voulant pas me répondre. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait masquer dans son comportement, mais il me cachait vraiment quelque chose de très louche. Je devais en savoir davantage. Je repris la parole, taquine, espiègle.


« Je crois que tu me caches quelque chose mon Hiroki ! lâchai-je prise d'un soupçon de malice.


— Euh… hésita mon interlocuteur. Pas du tout voyons qu'est-ce que tu t'imagines ?


— On ne me la fait pas à moi ! souris-je. Tu viens du futur avec Medrawt, et non tout seul ! Tu voulais un Izrathien pour te protéger des dangers du passé avoue !


— Eh bien… Oui tu as raison. murmura Hiroki, semblant à moitié convaincu par ce qu'il disait. Medrawt est venu pour me protéger. Mais quand je vois l'affection qu'il vous porte, je me sens obligé de le laisser avec vous.


— Tu peux le garder. railla Hakaze.


— En attendant, allons pénétrer cette tour ! »


Toratura et Zéphyra sortirent toutes les deux suite à l'annonce de notre objectif. La princesse des reptiles me porta, m'assurant qu'elle pouvait traverser l'étendue d'eau. Zéphyra quant à elle pouvait flotter grâce à la pression de son pouvoir sur l'air. Hiroki allait être porté par Medrawt et Diamond pour passer au-dessus de la mer. Nous nous lançâmes tous les trois dans cette traversée, bien décidés à pénétrer la tour et vaincre mon Rei une bonne fois pour toutes. Nous arrivâmes rapidement jusqu'à destination. Je passai la première, suivie par Hakaze. Cependant alors que Hiroki et Medrawt allaient pénétrer le périmètre, la barrière se referma sec. À ma grande surprise, seul le chevalier blond passa au travers. Son acolyte, ainsi que Diamond, s'écrasèrent littéralement sur la couche invisible qui s'était reformée en une fraction de seconde. Le corps endolori de Hiroki glissa doucement le long de la paroi jusqu'à tomber à l'eau.


Je voulus me précipiter à son secours, mais Hakaze me retint.


« Laisse-moi aller aider Hiroki ! m'exclamai-je, frustrée. Et s'il a des ennuis !?


— Nous n'avons plus le temps. enchérit Hakaze, froide. Reisuke est devant nous. Nous avons plus important à faire. Erika, tu m'as dit de foncer non ? Alors fonce.


— Tu as raison. abdiquai-je. Allons combattre mon Rei ! »


Ainsi, je laissai derrière moi mon ami le grand gaillard en espérant qu'il s'en sorte, afin de régler le problème que posait mon Rei en priorité. Je me promis à ce moment que si Hiroki ne s'en sortait pas, alors j'allais tenter mon possible pour revenir en arrière et le sauver. Mais si ce sacrifice était effectué, ce n'était pas pour que je perde. Le sort de la ville, et peut-être plus, ne dépendait que de moi.


Ce fut sur cette pensée que moi, Hakaze, et Medrawt, nous pénétrâmes la tour de Reisuke.





Spoiler :


Hiroki nous avait ouvert la voie, avec l'aide de Medrawt et de Diamond. Il était désormais hors de la tour, incapable d'y pénétrer. Je ne devais pas me préoccuper de son sort. Il fallait que j'intervienne dans les plans de mon Rei, alors je me ressaisis. Je sentis mon cœur commencer à battre la chamade. J'avais l'impression que j'allais subir tous les malheurs du monde en entrant dans le tas de granit qui s'élevait majestueusement vers les cieux.


J'hésitais à entrer, prise d'un léger frisson. Mais Hiroki me revint en mémoire, et il n'était pas le seul. Hakaze, Zéphyra, et mon Rei comptaient sur moi. Il fallait que je me dépasse pour garder notre détermination solide et être digne de porter ma responsabilité personnelle. Alors j'entrai. J'entrai dans cette tour sinistre, en laissant de côté mes doutes et mes craintes.


Lorsque nous entrâmes dans l'édifice, je fus prise d'un sentiment me mettant mal à l'aise. L'ambiance était effrayante, terrifiante, paralysante. Nous entendions des cris d'effroi et de souffrance résonnant au sein du bâtiment, venant de partout, comme si l'on maltraitait encore et encore des hommes et femmes. Les environs étaient sombres, très sombres. Il n'y avait en guise de lumière que quelques torches accrochées autour de la paroi murale en spirale. Des escaliers montaient également de la même façon, reliant chaque étage qui était composé d'une plate-forme sinistre portant quelques box qui semblaient être des cellules.


« Quel endroit sordide… murmura Hakaze, abasourdie par ce sinistre spectacle. Reisuke a perdu la raison…


— C'est en effet affreux… répondis-je, toute aussi horrifiée. Il faut absolument que nous arrêtons ça. »


Sans renchérir, Hakaze s'avança dans la prison. Nous la suivîmes, Medrawt et moi, dans ce qui était désormais le lieu de tous les dangers. Nous montâmes un étage ensemble, nous laissant constater que c'était bien ce que l'on avait deviné à première vue. Des cellules étaient disposées sur la plate-forme sur laquelle nous nous trouvions. Dans ces geôles individuelles se trouvaient des personnes dont nous ignorions l'identité.


Ils n'étaient pas torturés, ils n'étaient pas mutilés, mais ils ne cessaient de crier leur effroi, leur désespoir.


Medrawt s'avança vers une de ces sinistres cages. Il examina le détenu pendant deux ou trois minutes, avant de revenir vers nous, préoccupé.


« Ces damoiselles et damoiseaux ne semblent être capables de nous voir ni nous odir. nous assura-t-il, formel. Cela rappelle à cet esprit de moi une bien triste histoire dans laquelle j'eus frôlé le trépas moult fois. J'eus ouï dire par mon fillot Drystan que ces lieux n'étaient en aucun cas une illusion. Ils sont bien réels.


— Ils sont prisonniers par l'esprit alors ? demanda Hakaze, dubitative.


— Je pense aussi. repris-je, sérieuse. Les barreaux sont pour nous empêcher d'intervenir. En vérité ils ont tous quelque chose qui les perturbe dans leur esprit même. »


Je soupirai. Cette chose était abominable. L'état psychologique de mon Rei devait être assez perturbé pour qu'il puisse prendre plaisir à créer une telle immondice. Je ne voulais pas croire au fond de moi que mon ami était capable de commettre ces atrocités. L'homme que je connaissais était une personne dévouée, sincère, spontanée et prévenante, pas un amas de ténèbres desquelles on ne pouvait voir que de la violence et du cynisme.


L'heure n'était pourtant pas aux interrogations. Alors je m'avançai en tête du groupe, entraînant avec moi Hakaze et le chevalier blond aux dialogues du millénaire dernier. Nous avançâmes au milieu de l'allée de cellules, supportant difficilement les hurlements d'effroi des captifs qui nous martelaient les esprits comme des coups de massue. Nous devions mettre de côté notre émotionnel pour ne pas, nous non plus, finir martyres sur l'autel de la puissance de mon Rei.


Nous franchîmes les escaliers, et donc une étape qui allait nous mener au plus haut de cette tour, là où se trouvait mon ami. Je n'avais qu'une seule intention : réparer les erreurs de la jeune fille égoïste et rendre à celui qui avait risqué sa vie pour prolonger la mienne.


Mais lorsque nous arrivâmes au premier étage, quelqu'un nous y attendait. Sans surprise d'ailleurs, puisque je m'attendais à ce qu'elle se dresse contre nous. Habillée de sa robe fuchsia lui soulignant à la fois son teint mat, mais aussi et surtout ses courbes féminines jusqu'à s'entrouvrir sur ses jambes dénudées, la jeune fille était droite, rigide, prête à l'affrontement. Elle nous dévisageait par ailleurs de ses grands yeux marron qui semblaient contenir en eux toute la frustration du monde alors qu'il y a quelques heures à peine, nous étions des alliées.


« Indy… murmurai-je. Doutes-tu encore du camp que tu choisis en regardant ce qu'il se passe autour de toi ? Je t'en supplie pour l'amour du ciel, reprends tes esprits et dis-moi objectivement qui est l'ennemi aujourd'hui !!


— Je suis désolée… répondit-elle d'une voix presque éteinte. J'ai fait mon choix. Je te l'ai dit, même si tout est faux, j'ai envie de me raccrocher à Reisuke et lui faire confiance.


— Mon Rei n'était pas faux avec toi. Il est d'une gentillesse admirable, mais celui que tu protèges lui fait du mal également. Crois-tu vraiment que l'homme pour qui tu as eu le coup de foudre remettrait en cause le sort du monde en sacrifiant des innocents ?


— Si tu savais Erika… soupira l'Indienne. Il y a longtemps que je n'ai pas réussi à déceler le bien ou le mal chez un individu. Si je dois sombrer avec lui pour avoir fait une erreur, je suis prête à accepter. Cependant, je sais qu'au fond, rien n'est encore perdu. »


L'Indienne se mit en garde, actionnant ses pouvoirs. Je me préparai à faire de même, sachant que le dialogue n'allait pas suffire à pénétrer les barrières et les rêves de mon interlocutrice. Cependant, avant que je ne puisse m'avancer, Medrawt se plaça devant moi, et reprit la parole, l'air concerné.


« Je ne pensais point pouvoir faire le rapprochement, damoiselle, mais je sais qui vous êtes et ce que vous cachez sous ce petit cœur de vous.


— Que veux-tu dire Medrawt ? le questionna Hakaze.


— Tous les Izrathiens connaissent la légende de la damoiselle aux larmes écarlates. L'histoire d'une des plus grandes collaboratrices de notre décennie. Les longs cheveux bruns, les yeux marron, et surtout, ce pouvoir. Celui qu'elle a récupéré de « lui ». »


L'Indienne ne répondit pas. Elle se contenta déployer son bras pour y faire apparaître en quelques secondes une épée assez impressionnante. Elle n'était pas imposante, mais plutôt très fine et extrêmement tranchante. La jeune fille nous dévisageait tandis que sa longue chevelure brune et sa robe flottaient au gré d'une étrange pression atmosphérique, sûrement générée par l'intense énergie magique qui émanait d'elle.


Quant au chevalier, il se mit en garde. Il sortit une épée aussi colossale que celle utilisée par Hakaze avant notre voyage, me laissant constater qu'il possédait suffisamment de force dans les membres pour la manier, mais aussi et surtout la porter sur son dos en permanence.


Il se rua sur elle à une vitesse folle. Elle esquiva avec toute la grâce du monde, laissant presque derrière elle un fragment de la beauté elle-même. Il grimaça. Elle resta de marbre. Puis elle enchaîna d'une attaque furtive et rapide, armée de son épée, que le blond contra avec aisance. Les regards des deux individus se croisèrent l'espace d'une seconde, avant de s'éloigner lorsqu'ils prirent du recul.


D'un geste de la main, l'Indienne attacha sa longue chevelure en une queue de cheval maintenue par de la puissance magique. Medrawt, lui, se défit de son armure en guise de réponse. Puis ils se jetèrent de nouveau l'un sur l'autre.


« Partez devant, damoiselles !!! nous ordonna le chevalier. Vous devez arrêter les viles couardises de ce gueux de Reisuke ! Chaque seconde passée à encourager ce petit cœur de moi de vos regards rapproche cette ville du chaos irréversible ! »


Medrawt avait raison. Nous devions continuer et le laisser affronter Indy en mettant tous nos espoirs en sa victoire. Ainsi, j'entraînai Hakaze pour nous diriger vers les escaliers qui allaient nous mener à l'étage supérieur. Cependant, contre toute attente, l'Indienne qui affrontait déjà mon ami le chevalier put s'interposer entre nous et notre objectif. Elle projeta une puissance magique que Hakaze me fit éviter de justesse en me poussant au sol, alors que Medrawt la combattait encore.


Je tentai de l'attaquer à mon tour, mais j'avais pris trop de temps à me relever. Elle m'avait déjà projeté une traînée furtive qui se ruait à une vitesse folle sur moi. Mais à ma grande surprise, je réussis à la dévier d'un revers de la main, sans incantation aucune, ni activation particulière de pouvoirs.


Notre adversaire fut surprise, ce qui laissa une ouverture à Medrawt qui la désarma. Il tenta aussitôt de l'attaquer par un coup de poing semblant suffisamment puissant pour l'assommer d'une seule attaque, mais elle réussit à passer outre. Elle venait de disparaître sous nos yeux, purement et simplement, avant de revenir sur l'espace de bataille.


« Medrawt !! hurlai-je, ayant notifié la jeune femme. Derrière toi !! »


Il n'eut pas le temps de se retourner qu'elle avait déjà projeté un éclat magique suffisamment puissant pour projeter le preux chevalier droit sur les barreaux d'une cellule, le laissant cracher un filet de sang lorsqu'il heurta le fer. L'homme se leva difficilement après une telle attaque. Il se cramponna à son épée qu'il avait plantée dans le sol, dévisageant la femme au teint mat et aux yeux marron. Il grimaçait.


« Pour une donzelle, tu sais bastailler. admit le chevalier noble. Mais le trépas est loin de moi. Je pourfendrai ta félonie par la force de mon épée !


— Je ne commets point la félonie. reprit Indy, sérieuse. J'irai à la mortaille pour respecter mon allégeance au jouvenceau que vous voulez pourfendre.


— Comment oses-tu souiller notre noble langue par des intentions si crapuleuses… grogna Medrawt. Je te pèlerai le jonc comme au bailli du Limousin !


— En plus tu comprends ce qu'il dit ? bégaya Hakaze, livide.


— Je suis simplement férue d'un film dans lequel ils emploient sa langue. reprit l'Indienne. »


Medrawt ne se laissa pas convaincre par cette argumentation. Il abattit son épée sur Indy qui eut tout juste assez de temps pour dresser une barrière entre la lame et son visage. Le blond s'écrasa sur la protection invoquée par la jeune femme qui tentait tant bien que mal de résister à son attaque. Il profita d'avoir capté l'attention de son adversaire pour lui donner un coup de pied qui lui fit perdre l'équilibre. L'écran réflecteur disparut l'espace de quelques secondes qui suffirent au chevalier pour donner un coup fulgurant qui la projeta contre l'une des parois de la tour.


Elle se rattrapa en utilisant ses deux mains pour appui, affichant une grâce ensorcelante. Elle revint à une vitesse folle vers le chevalier qui ne put réagir à temps. Elle venait de disparaître de nouveau pour réapparaître vers lui, enroulant ses jambes autour de sa tête afin de l'immobiliser. Resserrant l'emprise sur Medrawt, Indy chargeait une puissance phénoménale avec pour seul dessein de l'éliminer une fois pour toutes.


Mais le blond réussit à s'en défaire. D'une main il attrapa le bras gauche de l'Indienne avant de l'envoyer valser de nouveau avec force. Indy atterrit sur ses deux jambes, menaçant du regard le téméraire.


« Partez. réitéra Medrawt. Je vous couvrirai. Je vous en fais le serment. »


Nous partîmes donc à la demande du blond en armure, et malgré les tentatives d'Indy pour nous en empêcher, nous y parvînmes cette fois. Ainsi nous prîmes les escaliers qui allaient nous mener à l'étage supérieur, non pas sans appréhension concernant l'issue du match contre l'Indienne. Nous franchîmes une étape supplémentaire pour arriver au deuxième étage. Je repensai à Medrawt. Nous l'avions laissé gérer et nous étions parties en avant, cela me faisait un pincement au cœur. C'était contraire à ma politique d'action que de laisser quelqu'un prendre les risques à ma place, et je l'avais transgressée une fois de plus. Mais au fond, cela me faisait plaisir d'avoir un allié comme Medrawt capable de croire en moi et se dresser à mes côtés. Cela me faisait me rappeler de tas de choses et d'évènements passés.


Nous montâmes de nouveau, et ce fut ainsi que nous fûmes arrivés au troisième étage de la grande tour. Sur notre route se trouva cette fois quelque chose de bien plus difficile à encaisser. Alors que je regardais les visages de ces personnes emprisonnées dans les cellules de cette prison, un visage familier retint mon attention. Je m'arrêtai net.


« Hélios… murmurai-je. Que faites-vous ici… ?


— Il ne t'entend pas. reprit Hakaze, impassible. N'oublie pas ce qu'a dit Medrawt : il est prisonnier de ses propres tourments personnels. Va savoir comment il a atterri ici cependant.


— Nous devons le sauver. répondis-je. Ce pauvre Hélios a dû rester prisonnier de cette chose si longtemps… Je le délivrerai. »


Laissant mon allié du passé derrière moi, je grimpai les escaliers qui allaient me mener à un autre étage de la tour. L'ambiance était de plus en plus pesante au fur et à mesure que je grimpais les marches. Je ne savais toujours pas de quelle nature était réellement ce qui semblait être une prison géante. Et encore moins comment Hélios était arrivé ici. Cela confirmait néanmoins un de mes doutes : mon Rei avait obtenu la puissance de créer cette chose lors de notre voyage en Égypte, et d'une personne tierce par-dessus le marché. Je supposai donc qu'il avait déjà enclenché, d'une manière ou d'une autre, ce jeu sordide dans le passé. Il avait déjà emprisonné des gens ici, dans cet endroit dénué d'espoir et où les seules émotions capables d'être ressenties par un individu n'étaient que la peur et le désespoir.


C'était vraiment cruel de sa part d'infliger ça à des innocents. À ce moment-là, j'eus un instant de compassion envers toutes les personnes ayant subi les conséquences de cet affrontement macabre. Je pensais uniquement à délivrer tout le monde, peu importe ce qu'il allait en coûter.


Je montai les marches, encore et encore, jusqu'à perdre haleine. Ce fut au bout d'une vingtaine de minutes supplémentaire que je trouvai enfin mon objectif alors que j'arrivai au dernier étage de la grande tour.


Je fus aussi surprise que ne l'était Hakaze, tandis que mon Rei, qui nous faisait face, respirait les ténèbres. Il était assis sur un trône de fer noir aux dessins de dragons obscurs. Croisant ses jambes, il s'était accoudé sur son siège, me regardant en silence d'un air hautain soutenu par une position provocatrice et inspirant la puissance.


« Indy a encore beaucoup de progrès à faire pour monter dans mon estime. railla l'homme aux longs cheveux noirs. Ravi de vous voir ici devant moi. Vous n'avez pas été si longues. »


Son rictus se prononça un peu plus. Ses cheveux avaient encore gagné en longueur, et son regard était devenu encore plus agressif qu'il ne l'était… Il ne semblait même pas dans un état de finalité. Ses ténèbres ne faisaient que croître au fur et à mesure que le temps ne passait.


« Nous avons joué ton jeu Reisuke. reprit Hakaze. Relâche ces gens maintenant.


— Pas tout de suite voyons. rétorqua-t-il, amusé. Je n'en ai pas encore fini avec ces personnes. Vous êtes venues jusqu'à moi, Erika, Hakaze. Je vais donc mettre à exécution mon plan et vous vaincre ici même afin de collecter ce dont j'ai besoin.


— Ce dont tu as besoin… murmurai-je… Le kvantiki ?


— Pas mal pour une imbécile. me félicita mon Rei avec ironie. Le Kvantiki est généré par l'affrontement d'Izrathiens de niveau suffisamment puissant dans un environnement lié à Izrath. Grâce à vous j'aurai toute la puissance nécessaire pour accomplir mon œuvre une fois que je vous aurai vaincues !


— Tu as déjà perdu par le passé. cracha Hakaze. Je recommencerai. »


Il marqua une courte pause, avant de reprendre.


« C'est fini pour vous, Yiskha n'est plus là. grogna-t-il en réfrénant une pulsion de violence. Je vais rayer vos noms de l'histoire, une bonne fois pour toutes. »


Et notre second affrontement, avec bien plus d'enjeux cette fois, débuta alors que j'étais encore incertaine sur la direction que nous avions prise…





Spoiler :


Nous y étions enfin. Face à mon Rei et ses idées délirantes qu'il avait obtenues en Égypte, dans ce décor sinistre qu'il avait créé de ses mains pour nous y recevoir. Les cris de désespoir et de souffrance des détenus raisonnaient dans le bâtiment, ne laissant paraître qu'une atmosphère dérangeante maculée de ténèbres. Le jeune homme face à nous semblait apprécier cette ambiance de fond, ce qui était encore plus sordide en soi.


Mon Rei ne se fit pas attendre. Il se propulsa droit sur nous d'une vitesse folle et portant en lui la sauvagerie d'un animal. Dans le creux de sa main droite fut générée une sphère d'énergie de couleur mauve qu'il tenta de fracasser contre nous. Fort heureusement, mon amie Hakaze avait déjà fait appel à Zéphyra, son Izrathienne, afin de déjouer son attaque qui finit par creuser une crevasse dans le mur sur lequel elle s'échoua. J'appelai Toratura à mes côtés également afin de me préparer à l'assaut, mais je n'eus pas le temps d'anticiper quoi que ce soit. Mon ancien ami s'était abattu sur mon reptile à une vitesse folle, comme un météore se serait écrasé sur la terre. Il la força ainsi à puiser dans ses réserves pour contenir l'attaque fulgurante avant de s'extirper de la puissance du jeune homme.


« C'est donc ça le niveau des femmes se dressant sur ma route ? ricana-t-il. Pathétique. Si encore on m'avait apporté des personnes capables de me résister… Cette puissance ne sera jamais assez. Vous êtes pitoyables.


— Garde tes insultes à deux sous pour toi ! s'exclama Hakaze qui venait de relâcher une puissance étincelante prodigieuse. Essaie d'arrêter ça !


— Tellement facile. sourit l'intéressé. »


Il ne tenta même pas d'esquiver. Il se contenta de se saisir de la force pourtant prodigieuse projetée par Hakaze pour la désintégrer d'une seule main. L'attaque disparut en des fines particules de lumière, comme si elle n'était qu'un peu de poussière balayée d'un revers de la main. Mes yeux s'écarquillèrent. Ce n'était plus la même personne en face de nous, c'était impossible. Comment était-il devenu si puissant en si peu de temps ?


Je n'eus pas le temps de répondre que j'étais déjà écrasée contre le sol, mordant la poussière. Et je n'étais pas la seule. Hakaze était dans la même position que moi tandis que Toratura et Zéphyra tentaient tant bien que mal de rivaliser avec mon Rei. Je grimaçai. Il fallait voir la réalité en face : nous n'étions que de piètres summoners. Ou bien c'était lui qui était trop puissant. Dans tous les cas, nous n'avions pas l'ombre d'une chance, dans notre état actuel.


Pourtant, je réalisai vite une chose capitale : j'étais la seule résignée, car Hakaze se releva. Déterminée, elle sortit de sa poche un objet dont j'ignorais les propriétés. C'était une petite pierre noire comme l'ébène qui semblait dégager un pouvoir particulier. Sa forme circulaire déformée ne me choquait pas, mais elle semblait dégager une sensation de mysticisme. Qu'était-ce ? Je n'en avais aucune idée.


Elle claqua le caillou au sol, juste à ses pieds, sans dire un mot, et à peine l'eut-elle fait qu'elle sembla s'embraser, non par du feu, mais pas un éclat verdâtre qui l'engloba totalement pendant quelques secondes. Une fois dissipé, je pus considérer mon amie, qui n'avait pas vraiment changé physiquement. Mais alors que je me posais toujours des questions, je la vis en action.


Elle partit comme l'éclair pour s'écraser droit sur mon Rei qui évita de justesse l'impact en passant furtivement en dessous de ma camarade tel un serpent s'enroulant autour d'une proie. Il réapparut derrière elle comme une ombre afin de lui asséner un coup puissant, mais elle réussit à se retourner et à parer l'attaque avant qu'il ne l'atteigne.


Il grimaça. Elle sourit. Il se retourna, et derrière lui se trouvaient les deux Izrathiennes qui lui assénèrent une puissante attaque composée de lumière de poison unifiés qui s'écrasa sur mon précieux ami.


Il fut projeté contre les parois de sa prison de granit, mais il réussit à se rattraper en plantant une énergie immatérielle en forme de lance dans le sol, ce qui lui permit de se relancer à l'attaque de Zéphyra et Toratura.


« Despair ! cria-t-il, me laissant deviner une incantation imminente. Amandla Apheleleyo !!! »


L'instant fut comme figé dans le temps. Tout cessa de se mouvoir autour de nous. Hakaze, Toratura, Zéphyra, et moi, nous étions toutes à l'arrêt. Mon Rei quant à lui… était devenu soudain bien plus sombre. Recouvert d'obscurité. Il s'avançait tranquillement vers nous et nous ne pouvions pas bouger. Le bruit de ses pas résonnait dans l'espace devenu bien plus terne qu'avant ce sort, ne laissant que ses yeux emplis de haine briller au travers.


Il s'avança vers moi, sous mon regard impuissant et apeuré, puis il déploya son bras horizontalement afin de me faire une énorme entaille dans le corps. Du sang coula de la blessure en quelques secondes, tandis que je sentais mes forces me quitter, avant de sombrer dans l'inconscience.


Tout autour de moi était devenu noir… et je me sentais pour le moins froide, glaciale. Je ressentais encore ma pulsation, mais mon rythme cardiaque devenait de plus en plus lent. Étais-je vraiment sur le point de mourir de la sorte ? Avoir fait tout ce chemin juste pour mourir sans avoir apporté quoi que ce soit à qui que ce soit ? Je trouvais ça vraiment triste. Je n'avais pas envie de disparaître en laissant derrière moi Hakaze, mon Rei, ainsi que tous ceux qui se battaient actuellement alors que j'étais le point de départ de cet affrontement. J'avais lu quelque part que les séparations étaient difficiles, mais que les adieux devaient attendre, et je croyais en cette philosophie, alors il fallait que je trouve une solution pour vivre, et repousser les au revoir, au moins pour quelque temps…


« Erika… Erika !!! me secoua une voix familière dans l'espace obscur. Reprends-toi, Erika !!!


— Je ne peux plus me mouvoir… me murmurai-je sans demander son identité à la voix.


— As-tu vraiment fait la paix avec Toratura pour trahir son vœu le plus cher, celui de te protéger ? me répondit-elle. As-tu appris quoi que ce soit de ton voyage en Égypte ?


— Lu… Luna… ? bégayai-je faible. Comment es-tu dans mon esprit… ? »


Je revins à moi dans l'espace de bataille. Comment avais-je repris connaissance ? Je n'en savais rien. Mais la situation était critique. Si critique que je ne pris même pas le temps de m'examiner. Hakaze gisait au sol, inconsciente, aux côtés de Zéphyra et Toratura. Mon Rei était debout devant elles, sans la moindre égratignure. C'était catastrophique.


Je ne me ruai pas sur Hakaze. À quoi bon le faire ? Il fallait que j'arrête d'être émotive. Si je me ruais sur mes amies pour constater leur état, j'allais être une cible facile et si je me faisais vaincre, plus personne n'allait empêcher mon Rei d'accomplir son œuvre. J'aurais pu l'attaquer par surprise, mais sans Toratura, et au vu de sa puissance, je n'avais pas la moindre chance de le mettre hors d'état de nuire. Cependant, je savais qu'au fond, il y avait une lueur d'espoir. Quelque chose de suffisamment puissant pour parvenir à mon objectif.


Alors qu'il allait s'assurer que mes amies étaient bien vaincues, il me notifia. Je me mis alors à courir dans la prison, m'engageant dans les couloirs formés par l'alignement des cellules, poursuivie par l'ombre immatérielle en laquelle s'était métamorphosé mon Rei. Il tenta de m'attaquer plusieurs fois en me fonçant dessus, mais je réussis à esquiver tant bien que mal, le laissant passer au travers de ses propres structures à chaque coup raté.


L'ombre finit par arriver à mes côtés, filant à la même vitesse que moi. Toujours en course, le visage de mon ami se forma de nouveau pour sortir de l'ombre, tandis que le reste de son corps était toujours immatériel. La tête de mon Rei me dévisagea avec arrogance.


« Tu ne m'échapperas pas, Erika Kurenai. lâcha-t-il d'une voix grave et méprisante. Où que tu t'enfuies, tu ne m'échapperas jamais. »


Par réflexe, par instinct, j'avais rassemblé toutes mes compétences physiques pour bondir alors qu'il avait tenté de s'écraser contre moi. Je réussis à courir jusque la cellule qui m'intéressait, là où se trouvait la seule personne dans ce monde qui était capable de me prêter assistance. Je fouillai dans ma poche, en sortis une pierre du même type que celle brisée par Hakaze, et la claquai au sol.


Je fus d'un coup bien plus puissante. Si forte que je pus briser les barreaux de la cage emprisonnant Luna. Je voulus la libérer de l'emprise de son âme, mais à ma grande surprise, Luna était totalement lucide. Elle était tout simplement emprisonnée physiquement, mais désormais, elle était physiquement présente.


Lorsque mon Rei me rattrapa, je pensais que j'allais y passer. La masse sombre tenta de s'écraser sur moi, mais elle fut retenue juste avant de me frapper par une barrière dorée intense qui bloqua toute la puissance de mon ami avant qu'il ne s'abatte sur moi. Luna avait déployé cette force. Elle fixa le tas d'ombre, déterminée à la vaincre, tandis qu'au fond de moi j'étais un peu plus sereine.


« Erika. entama la sœur du soleil d'Héliopolis en ignorant totalement mon Rei qui l'avait attaquée. Tu vas aller t'occuper de tes amies. Prends cette fiole et ne dépose qu'une goutte sur chacune d'elles.


— Comme si j'allais te laisser faire, Luna d'Héliopolis. grogna mon ami qui faisait tout pour passer le champ de force impénétrable. Je ne perdrai pas une seconde fois contre toi.


— Je me souviens pourtant de ta déculottée comme si c'était hier. s'amusa la blonde, l'air mesquin. Je vais te rafraîchir la mémoire. »


Elle déploya son bras droit, laissant sortir du sol des tas de colonnes irrégulières qui manquèrent à chaque fois de transpercer l'ombre de notre adversaire. Je laissai Luna à son combat pour me ruer sur Hakaze et mes deux amies. Utilisant la potion donnée par la blonde, je respectai les instructions en ne versant qu'une goutte sur chacune d'elles, et comme je l'attendais, elles reprirent toutes les trois leurs esprits.


Mes amies restaient cependant très faibles, peinant à se redresser. Hakaze me lança un regard dubitatif.


« Où est Reisuke… gémit-elle, faible. Tu l'as vaincu, Erika ?


— Luna s'en charge ne t'en fais pas… lui répondis-je pour la rassurer.


— Quoi !!? bondit-elle en retrouvant toutes ses forces. Luna !? Erika… Ne me dis pas que tu as encore créé un autre paradoxe !! Comment je vais expliquer ça à mon père… Je n'ose même pas imaginer dans quel présent il vit…


— Peu importe le futur. reprit la voix de l'Indienne nous surprenant. »


Nous nous retournâmes vers elle, et en effet, elle nous avait rejoints. Indy, la jeune indienne, nous faisait de nouveau face. Je m'arrêtai quelques secondes, interpelée par ce dénouement, et pour toute réponse, la jeune femme en robe fuchsia jeta au sol la lourde épée appartenant à Medrawt, comme un trophée pour nous montrer l'issue du match. Indy avait vaincu notre camarade. Hakaze grogna de frustration. Elle avait beau dire n'importe quoi, elle tenait au blond. Cela se voyait rien qu'à sa réaction faite de rage vis-à-vis de l'Indienne.


« C'est quoi ton putain de problème !? hurla-t-elle en furie. Tu sais très bien que Reisuke ne cherche qu'à tout détruire et toi en parfaite imbécile tu lui apportes ton concours !? Non mais va te faire soigner tu es totalement folle !


— La folie n'est qu'un mot vain pour qualifier des idées marginales dont la masse réfute catégoriquement les fondements. reprit la jeune femme impassible. Elle est un adjectif visant à donner bonne conscience à la société bien pensante, bien trop fragile pour explorer d'autres horizons que ceux dans lesquels elle aime se complaire.


— Peu importe les normes ! hurlai-je. On ne parle pas de statistiques, mais de vies humaines ! Imagine les conséquences si mon Rei venait à parvenir à ses fins !


— Je n'ai pas de salive à gâcher pour des futures défuntes. répondit Indy en haussant les épaules. Si vous ne me barrez pas la route, je m'en vais soutenir mon héros du futur. »


Elle passa devant moi, et je ne pouvais rien faire. Je n'avais que très peu de pouvoirs sans Toratura opérationnelle. Hakaze et Zéphyra étaient hors course également, incapables de se battre. Il ne me restait que la puissance des pierres que j'avais volées à Hakaze, mais si elle avait supprimé Medrawt, cela allait être difficile pour moi de rivaliser…


Je me relevai. Les conséquences pouvaient être ignorées : Il fallait que je batte Indy. Je claquai une pierre avant de me ruer sur la jeune femme. Cette dernière, s'attendant à ce que je me lance dans la bataille, me repoussa d'un revers de la main chargé d'énergie magique dont je ne connaissais pas les propriétés. Je n'avais pas les capacités d'analyse de Hakaze. Je ne savais même pas à quoi je faisais face.


Elle fit de nouveau apparaître son épée en une seconde et tenta de me frapper avec, mais grâce au pouvoir octroyé par la roche, je pus l'esquiver. Je tentai de contre-attaquer, mais elle évita à son tour. S'ensuivit une bataille dans laquelle nous attaquions et parions les coups de l'autre, sans jamais parvenir à nous toucher directement. Je fus moi-même surprise par mes réflexes qui se révélèrent bien plus développés que ce que je pensais jusqu'alors.


Quelque chose me revint en mémoire, comme surgissant de mes entrailles. Une image dans laquelle je me trouvais au beau milieu d'une forêt tropicale, armée d'un simple bâton, tandis que quelques bêtes grognaient autour de moi. J'entendis une voix disant « Tu es trop fragile Erika. Cette épreuve va t'endurcir et te faire devenir plus apte. », mais je fus interrompue par un coup d'Indy que je bloquai de justesse, la laissant me couper une mèche de cheveux au passage.


Je rendis le coup qu'elle para de justesse, grimaçant à mon égard. Je continuai mon offensive, bien déterminée à en finir une bonne fois pour toutes avec l'Indienne, sous les regards concernés de mes amies.


Pour une fois je ne menais pas un combat égoïste comme avec Toratura, mais je me battais pour les gens que j'aimais, pour ceux qui comptaient, et pour l'humanité elle-même. Je n'étais plus l'ingrate. Je défendais des valeurs, des vies, et je n'avais pas le droit à l'erreur.


Et finalement… Je réussis à trancher Indy, en plein dans la poitrine. De ma main chargée d'énergie, aussi tranchante qu'une épée, je venais de commettre la pire des fautes en tant qu'humaine : un meurtre.


Mon cœur rata un battement alors que l'Indienne s'écroula au sol. Mais lorsque je voulus la rattraper dans sa chute pour lui prodiguer les premiers soins, elle passa au travers mes mains, avant de disparaître dans une lumière noire qui s'estompa dans le décor.


Je lâchai un cri de stupeur. Je savais exactement ce qu'il en était, et lorsque je jetai un œil vers Luna, je fis face à la triste réalité. La sœur de Hélios…avait été vaincue. Indy aussi d'ailleurs. Elle avait sûrement servi de diversion à mon Rei pendant qu'il attaquait la princesse d'Héliopolis.


Je me ruai sur Luna pour constater son état, sous l'œil moqueur de mon ami qui exultait face à sa victoire. Il ne me restait plus rien à espérer. J'étais toute seule, et je n'avais plus aucune carte à jouer pour rivaliser avec une telle puissance.


Je me relevai et je fis face à lui malgré ma faiblesse. J'allais l'affronter même si je n'avais aucune chance de vaincre. Il m'aurait été impossible de me regarder dans un miroir si je fuyais aujourd'hui. Ainsi, déterminée, je me lançai de nouveau dans la bataille, mettant mes ultimes espoirs dans le dénouement de cette dernière joute.





Spoiler :


Face à mon Rei, j'avais pris la résolution de ne pas me laisser faire et de combattre afin de porter les espoirs de tout le monde. Ainsi, je me mis en garde, déterminée à ne pas fléchir face à l'ennemi, même s'il était mon ancien camarade. Le garçon me lança un regard moqueur et esquissa un sourire de défi face à mon attitude. J'étais mal à l'aise en connaissant son potentiel, mais je ne voulais pas qu'il prenne le dessus psychologiquement.


« Tu es la dernière debout Erika. lâcha-t-il avec une pointe d'ironie dans la voix. C'est triste en sachant que la seule personne qu'il reste à l'espoir est la plus inutile du groupe.


— Tu peux me rabaisser si tu veux, Reisuke, mais je m'interposerai toujours entre toi et tes desseins. Même en rampant, je me dresserai contre toi !!!


— Où sont passés tes « mon Rei » qui montrent au premier coup d'œil que tu es une tarte ? railla le jeune homme. Je pensais vraiment que tu serais une menace à mon projet, car j'avais beaucoup d'attentes à ton égard, mais finalement, je m'en suis fait pour rien.


— Tu n'es pas mon Rei. grognai-je. Tu n'as pas le droit de te faire appeler par ce nom. Qui es-tu ? »


L'individu s'arrêta quelques secondes en perdant ses yeux dans les miens. Je n'y décelais rien d'autre que de la méchanceté. L'étincelle qui animait le regard de mon Rei n'existait plus. Le jeune homme dont j'étais amoureuse avait disparu au profit de cette chose inhumaine et hautaine. Et ça, c'était impardonnable. Je ne pouvais pas passer outre le fait que cette personne utilisait ce corps pour faire du mal. Cette enveloppe charnelle appartenait à celui que j'aimais, et m'appartenait par extension. Il était hors de question que ce visage répande le mal encore plus.


« Qui suis-je ? reprit l'être avec arrogance. Je suis le prochain souverain de ce monde. J'ai grandi en celui que tu aimes, et maintenant je peux m'affranchir de toutes les limites grâce à toi.


— Grâce à moi… ? l'interrogeai-je. Pourquoi dis-tu ça !?


— Je n'aurais jamais pu sortir sans le consentement de Reisuke. m'avoua l'être. Et la seule chose pour laquelle il aurait donné son accord, dis-moi ce que c'est ?


— Si ma vie était en danger… répondis-je honteuse.


— Exact. ricana Reisuke. À défaut d'être intelligente, tu es honnête. Et grâce à toi je me trouve dans ces lieux, puissant, inarrêtable ! Toutes tes amies sont incapables de se battre, Erika ! Tu es toute seule ! Regarde la réalité en face, personne ne viendra te sauver.


— Tu parles un peu trop vite, Reisuke ! nous surprit une voix grave familière et salvatrice. »


Reisuke se retourna en grimaçant, en synchronisation avec moi. Nous regardâmes tous les deux l'entrée de cet étage. Il était certes trempé, ses habits dégoulinants, la respiration encore lourde, mais il était là, et c'était tout ce qui comptait. Le petit dragon l'accompagnant toujours était fixé sur sa tête, mâchouillant cette fois une algue à moitié desséchée.


« Rien de tel qu'une bonne douche pour se mettre les idées au clair. ricana Hiroki. Eh bien Erika, je ne peux pas vous laisser cinq minutes que vous avez besoin d'un vrai homme pour vous épauler !


— Quitte à attendre un vrai homme, reprit Hakaze suffisamment en forme pour le sarcasme, j'aurais préféré Medrawt. »


Lorsque mon amie mentionna le nom de Medrawt, l'expression de Hiroki s'obscurcit. Le grand gaillard serra les poings et détourna le regard, sans que je ne sache vraiment ce qui animait un tel changement de comportement. Il posa ensuite ses yeux respirant la haine sur l'usurpateur, avant de le désigner du doigt.


« Je ne te pardonnerai jamais ça. lâcha-t-il comme s'il déclarait une guerre. Tu me le paieras très cher.


— Oh ? s'étonna Reisuke en lâchant un sourire. Je suis curieux de savoir ce que je vais payer, et comment je pourrai te rendre la monnaie de ta pièce.


— Mon mentor avait un mot d'ordre. reprit Hiroki. Pardonne à ceux qui te font du mal, mais jamais à quiconque lève la main sur une personne que tu aimes. Pas de chance, Reisuke, car tu as commis une faute impardonnable. »


Il s'avança devant Reisuke qui le regardait l'air moqueur. Diamond, lui, était tout aussi énervé que son maître. Il dévorait les cheveux de ce dernier avec beaucoup plus de hargne en grognant frénétiquement.


Cependant, avant de faire face à Reisuke, le grand gaillard attrapa le dragon par le col, et le suspendit jusqu'à me le donner. Me lançant à son tour un regard glacial, il reprit la parole d'un ton froid et menaçant.


« Je te le confie pendant que je règle cette histoire. Je te fais confiance. S'il arrive quelque chose à mon Diamond, tu le regretteras. »


Il se tourna vers notre ennemi commun, tandis que la créature qui l'accompagnait s'agitait vers lui, voulant sûrement lui prêter main forte. Je tentai de calmer le dragon, en vain. Ils avaient l'air vraiment proches pour autant penser l'un à l'autre. Ils devaient beaucoup s'aimer pour partager un lien si étroit.


Hiroki faisait face à Reisuke, dans ce décor sinistre que ce dernier avait créé de ses mains. Les cris de désespoir et de souffrance des détenus raisonnaient dans le bâtiment, ne laissant paraître qu'une sinistre ambiance maculée de ténèbres. C'était au goût de Reisuke. Ce dernier, en parfait sadique, se léchait les babines lorsque les cris décuplaient.


Hiroki me demanda de reculer et de rester aux côtés de Hakaze. Je m'exécutai. Puis il reprit la parole.


« Escouade colibris ! cria-t-il au ciel. Unité de soins A, B, C, besoin de vous ! »


Des tas de colibris de différents coloris apparurent d'une brèche activée par Hiroki qui les regardait avec le sourire. Ils portaient chacun une trousse de secours par leur bec, jusqu'à venir voir les blessées. Hakaze, Toratura, Zéphyra, Indy, Luna et moi fûmes chacune prise en charge par deux oiseaux qui mettaient du cœur à l'ouvrage.


« J'ai couvé les œufs d'une maman oiseau du soleil cramoisi. avança-t-il, fier. Depuis, ils m'aident en étant ma brigade de soins personnelle.


— Tu as vraiment couvé les œufs ? reprit Hakaze en affichant un air dubitatif. C'est franchement bizarre.


— L'amour est le seul ingrédient miracle pour élever des enfants. répondit-il. Et un enfant cela vit dès la conception, qu'il soit issu d'un vivipare ou d'un ovipare.


— Que c'est mignon. railla Reisuke. Un breeder au grand cœur, que c'est drôle. Tu as le type de pouvoir le plus puissant d'Izrath, et tu n'es finalement qu'un guignol.


— Cela ne concerne pas la puissance ,Reisuke. lâcha Hiroki, soudain plus froid. Je suis un breeder. Je suis capable de me lier avec des Izrathiens sans contrat, et donc en pouvant appeler des tas de créatures. Mais avant d'être un breeder, je suis leur père. Chacun d'eux a grandi sans famille, en n'ayant que moi pour les protéger. Je refuse d'envoyer un seul de mes enfants sur le front de la mort. »


Hiroki se mit en garde en dévisageant Reisuke, tandis que son équipe de soins faisait des merveilles en soignant toutes nos blessures. Indy avait repris connaissance, Luna aussi, toutes deux soignées par les agents aux couleurs d'un soleil cramoisi. Les deux hommes se fixèrent du regard, tandis que la pression était palpable. Avec une telle assurance, Hiroki avait forcément un pouvoir en réserve. Quelque chose de suffisamment imposant pour prétendre pouvoir rivaliser avec quelqu'un d'aussi puissant que l'usurpateur. J'avoue que j'étais curieuse de savoir ce dont Hiroki était capable.


« Je t'avoue que j'ai envie de régler ça rapidement. soupira Reisuke. Je vais donc me permettre d'employer la manière forte. Essaie de ne pas trop m'en vouloir quand tu seras de l'autre côté veux-tu. »


Le sol trembla, exactement comme en Égypte. Le monstre aux six consciences reptiliennes se dressa de nouveau derrière Reisuke qui affichait un malin plaisir en constatant sa créature. L'affreux reptile marron dont les têtes possédaient chacun leur volonté brisa le sol en poussant un cri strident et féroce. Ses paires d'yeux colorées de rouge luisirent d'un éclat malveillant tandis qu'il fixait Hiroki d'un air maléfique. Son corps quant à lui semblait imbibé de la même puissance que celle contrôlée par son maître. Il me glaçait le sang.


« Hiroki ! criai-je. Fais attention à cette chose ! Ses têtes ont chacune leur propre volonté et elle est capable de rivaliser avec des créatures puissantes !!!


— Ne t'en fais pas. sourit le grand gaillard. J'ai justement la créature parfaite pour l'exterminer ! »


Il se mit en position pour invoquer un Izrathien, nous laissant tous choqués par une telle action. Hakaze et moi partageâmes un regard empli de questions face à ce revirement de situation, mais nous faisions confiance à Hiroki qui semblait savoir ce qu'il faisait.


Une lueur émana de la poitrine du grand gaillard autour duquel la pression atmosphérique devint immense. Il poussa un hurlement de rage et de détermination qui me glaça le sang.


« Tremble devant la puissance d'Izrath Reisuke !!! hurla-t-il, déterminé. Roi des rois ! Empereur de la glace ! Que ton nom résonne dans le cœur de nos ennemis et que tous trépassent ! Je fais appel à toi dragon cryogénisé, Trisholia !! »


Nous restâmes tous en haleine face à l'incantation de Hiroki, mais alors que même Reisuke attendait, curieux, le maître de Diamond en profita pour se ruer sur lui à la vitesse de l'éclair et lui asséner un coup de poing fulgurant qui le fit tomber à la renverse. Le jeune homme, distrait, ne put éviter l'attaque et se la mangea en pleine face, devant mon regard consterné. Reisuke venait de se faire avoir par une vieille ruse de la part de mon ami le grand gaillard, et le pire, c'est que nous avions tous marché avec lui.


« Mais quel abruti sérieusement… soupira Hakaze qui regagnait peu à peu son capital sarcasme. Franchement Hiroki, au lieu de jouer le mariole, tu peux invoquer un vrai Izrathien pour te défendre, genre je sais pas moi, Diamond ?


— Je suis un éleveur, je ne forme pas des combattants ! cracha l'intéressé. Et je n'ai pas d'Izrathien lié à moi. Par contre, j'ai ceci ! »


Tandis que Reisuke se releva, Hiroki enleva sa veste et son tee-shirt, révélant en plus de sa nudité quelque chose qu'il cachait derrière lui depuis le début. Une épée, et pas n'importe laquelle. L'épée de Medrawt qu'il avait emportée avec lui. Reisuke ne la vit pas tout de suite puisqu'elle était accrochée par des liens magiques dans le dos de mon ami, mais lorsque Hiroki la brandit face à l'imposteur, ce dernier tiqua, comme si quelque chose n'allait pas dans le sens qu'il voulait. Satisfait, mon ami reprit la parole, tandis que moi j'avais un œil sur son visage, l'autre sur sa belle musculature.


« Si Medrawt n'avait pas été là, je n'aurais pas eu cette arme avec moi. lança-t-il, déterminé. Mon mentor m'a dit que le plus fort devait supporter sur ses épaules les espoirs des plus faibles. Par cette épée, moi et Medrawt combattons ensemble pour porter les espoirs de tout le monde.


— Merveilleux discours mielleux. applaudit Reisuke avec sarcasme. Dommage qu'Erika ait préféré tes attributs masculins à ta capacité d'orateur, tu as sorti ton monologue dans le vide. Allez finissons-en. Draekort ! »


Le reptile ne se laissa pas désirer et obéit immédiatement aux ordres de son propriétaire. Il se rua sur Hiroki de par l'une de ses têtes, tentant de dévorer mon ami en un seul instant. Cependant, mon ami fut très réactif et réussit à la repousser de son épée fine mais assez solide pour lui permettre de reculer et gagner du terrain. D'un autre côté, ma surprise fut grande lorsque je vis une des têtes du serpent attaquer Hiroki de par le côté gauche. Il réussit de justesse à éviter ses crocs en se reculant d'un saut in extremis, mais ce n'était pas suffisant, il fallait qu'il soit encore plus prudent qu'à l'accoutumée.


Lorsqu'il fut assez en retrait afin de ne pas se faire prendre par surprise par la créature, il retourna à l'assaut, visant à lui couper sa tête toute à gauche. Reisuke semblait prédire ses actions qui étaient trop lentes, puisque lorsque Hiroki fut proche de trancher le reptile, il disparut dans les ombres, le laissant écraser son épée contre les parois de la tour.


Essayant de décrocher son épée incrustée dans le mur, il était sans défense. Le reptile réapparut derrière lui, mais alors qu'il allait le dévorer vif, il fut repoussé par quelque chose qui se fut jeté sur lui, l'écrasant contre une colossale relique ornant le bâtiment cruel. Un nuage de poussière apparut suite à cette attaque, ne me laissant pas distinguer ce qui en était l'origine. Hiroki profita du temps d'attente pour dégager son arme et se ruer directement sur le contrôleur du monstre, Reisuke.


Lorsqu'il fut proche de lui, il tenta de lui asséner une lacération de l'arme laissée par le blond en armure, mais Reisuke arrêta son attaque d'une seule main. Hiroki fut surpris par tant de force chez Reisuke. Ce dernier le fixa d'un air malsain et satisfait, profitant de l'occasion pour lui donner un coup de pied dans le ventre qui le propulsa bien plus loin, lui, ainsi que son épée qui elle fut carrément éjectée de l'espace de combat en passant par une des fenêtres de la tour. Hiroki ne se laissa cependant pas démoraliser par ce qu'il venait de lui arriver. Il se mit tout simplement en garde comme un combattant de rue rigide et implacable, avant de se relancer à l'assaut de Reisuke qui évita les quelques coups tout en assénant d'autres.


Reisuke était bien plus rapide que Hiroki. Ce dernier suait, trimait, échouait, tandis que l'ennemi n'éprouvait aucune difficulté à le contrôler et causer des dégâts. Il jouait avec son adversaire. cela se voyait comme le nez au milieu du visage. Il faisait encaisser des coups au grand gaillard qui peina bientôt rien que pour se tenir sur ses jambes. Reisuke semblait de plus en plus puissant au fur et à mesure que le temps passait. Mais Hiroki avait plus d'un tour dans son sac. Pour gagner du temps, il entama la conversation sur des sujets qui n'aboutiraient pas.


« Reisuke ! cria-t-il. Pourquoi t'être laissé emporté par cette puissance !? Ne t'étais-tu pas juré de protéger Erika envers et contre tout !? Est-ce là ce que tu fais !?


— C'est inutile d'essayer de m'atteindre, breeder de seconde zone. Le pouvoir est la seule chose capable de te sauver lorsque tu en as besoin. Si tu es faible, tu es condamné à voir tous ceux à qui tu tiens mourir, avant d'être le prochain sur la liste.


— Tu as tort, Reisuke ! Le pouvoir n'est pas le but final de la vie ! Si tu ne lui donnes pas un motif valable, une finalité, alors tu seras condamné à errer dans un monde de solitude et dans lequel toi aussi tu seras condamné à souffrir !


— Faux !? grogna l'individu en Reisuke. Qui es-tu pour juger mes choix !? Qui es-tu pour me parler de la sorte !? Quels comptes ai-je à te rendre à toi à qui la vie a toujours tout donné !? Sais-tu seulement ce que c'est que d'être perpétuellement confronté à un mur infranchissable !? Laisse-moi rire, breeder de second rang ! »


Hiroki sembla exaspéré par les mots que venait de dire Reisuke. Apparemment, il avait très mal pris quelque chose provenant de son adversaire. Il s'énervait de plus en plus en serrant les poings. J'avais le sentiment que le grand gaillard essayait de réfréner une émotion intense, mais qu'il n'y parvenait pas. Et Diamond, qui gémit faiblement, comme s'il compatissait, ne faisait que confirmer mes doutes. Ainsi, ce fut les larmes aux yeux que mon camarade au teint mat reprit le combat dans cette tour odieuse et dégoûtante.


Il visa les jambes de son ennemi qui le vit arriver bien avant qu'il ne se lance. Reisuke sourit, l'air satisfait. Il envoya Draekort s'occuper de son adversaire, mais à sa grande surprise, ainsi qu'à la mienne, son monstre fut stoppé dans son élan par une attaque lumineuse. Zéphyra était debout, et semblait pouvoir capable de mettre un peu de force pour se battre. Hakaze de son côté, affichait un semblant de vitalité, alors qu'elle aussi semblait exaspérée par ce que venait de dire Reisuke. Les deux partenaires gardaient péniblement l'équilibre en dévisageant le jeune homme.


Cela permit à Hiroki de se jeter sur son adversaire qui, surpris, eut à peine le temps d'esquiver l'attaque. Mais le grand gaillard avait déjà anticipé ce geste, puisqu'il se reprit suffisamment rapidement pour fracasser sa lame sur l'usurpateur qui dut bloquer l'attaque en la contenant dans ses mains.


Reisuke était devenu un poil plus faible. Je ne compris pas ce qu'il en était, mais une chose était certaine : attaquer Draekort jouait sur lui. Alors je me relevai à mon tour, repoussant les limites de Toratura afin de me jeter avec elle contre la créature à six têtes.


« Erika ! me lança Hakaze. Lorsqu'un Izrathien est appelé, il dépend de la puissance spirituelle du summoner. Autrement dit, Reisuke doit mobiliser une partie de son énergie pour appeler Draekort. Son monstre a beau être une créature puissante, Reisuke est plus fragile lorsqu'il est là ! »


Je ne lui répondis même pas. Hakaze avait confirmé mes doutes. Je me lançai donc avec Toratura dans la course contre l'abominable aux six têtes afin de le neutraliser, tandis que mon camarade, qui avait profité de cette fraction de seconde de faiblesse chez Reisuke, continuait à s'acharner sur lui avec son épée. Il avait fait verser quelques gouttes de sang coulant de la paume de mon ancien ami, et apparaître une expression de fureur désormais inscrite sur son visage. Boosté par sa frustration, il envoya valser Hiroki d'un geste sec de la main droite, sans prendre en compte l'agilité du jeune homme. Ce dernier se rattrapa en plantant son épée dans le sol, gravitant autour de celle-ci afin de revenir en force pour frapper son adversaire.


Mais alors que je me demandais comment Hiroki, qui n'utilisait aucune source de pouvoir, pouvait tenir tête à un individu face auquel même Luna s'était faite vaincre, Reisuke afficha un sourire qui me glaça le sang.


Draekort se mit à luire d'une couleur étrange, avant de tout simplement disparaître des mains de Toratura qui s'était emparée d'une de ses têtes. Le monstre disparut dans de fines particules mauves qui se mirent à graviter autour de Reisuke. Ce dernier absorba les fragments nitescents afin de récupérer son pouvoir initial. Non, pire encore, il s'était décuplé.


Nous regardant de haut, il était bien plus effrayant que son reptile lui-même. Toujours dirigé sur lui, Hiroki ne faiblissait pas. Il poussa un hurlement de détermination qui me rappela à quel point j'étais sotte. Moi, j'avais Toratura pour m'aider et me couvrir. Je possédais quelques maigres pouvoirs pour me défendre, et j'étais celle qui avait peur de Reisuke et sa puissance, alors que ce jeune homme, sans la moindre faculté, ne pouvant compter que sur les capacités physiques d'un humain, se lançait dans une bataille en mettant sa vie en jeu à chaque seconde. Étais-je une lâche, était-il brave, ou simplement complètement fou ?


Hiroki se battait comme si sa vie en dépendait, alors qu'au fond, il était étranger à notre conflit. Pourtant, je lisais dans ses yeux, tandis qu'il allait s'écraser sur un Reisuke qui n'avait jamais été aussi puissant qu'aujourd'hui, qu'il désirait absolument vaincre cet imposteur. L'épée de Medrawt s'anima en même temps que son regard luisit d'un éclat étrange. La forme de ses iris changea jusqu'à afficher un changement assez frappant. Elle était devenue similaire à celle des Izrathiens. Animé par cette lueur surnaturelle, il déclencha quelque chose d'assez singulier. Des flammes de couleur bleue nuit se répandirent sur son épée qu'il traînait dans sa course, et lorsqu'il arriva à Reisuke, il dévoila cette puissance.


Il lui donna un coup provenant d'en dessous qui propulsa Reisuke dans les airs, avant de faire une série de pirouettes enflammées, tout en projetant son adversaire avec lui au sol. Tandis que Hiroki atterrit sur ses deux jambes, l'usurpateur fut littéralement écrasé par le poids de l'épée droit contre la paroi inférieure de sa propre prison.


Reisuke se releva et utilisa son pouvoir afin de repousser violemment son adversaire qui n'avait que trop résisté à son goût. Il se mit en position pour déclencher une incantation, la même que celle qui avait stoppé le temps. Mais avant qu'il ne puisse prononcer les mots fatidiques, j'intervins. Je projetai la dernière once d'énergie magique qu'il restait en moi, ce qui l'interrompit suffisamment longtemps pour que Hiroki revienne à la charge, bondissant de nulle part en brandissant l'épée laissée par le chevalier blond semblant contenir bien plus que de la simple puissance brute.


Son adversaire se prépara tardivement à rétorquer, mais cette fois, je n'allais pas laisser mon ami seul. Alors je rappelai Toratura et transférai à mon camarade toute mon énergie magique restante. Hakaze, réactive, fit de même, et contre toute attente, Luna se joint à elle. Tous nos pouvoirs, tous nos espoirs, rejoignaient progressivement la détermination sans faille de mon ami le grand gaillard pour faire scintiller son épée d'un éclat doré qui illuminait les murs de la prison du désespoir.


Il devint si rapide que même moi je ne le réalisai pas de suite. Il me fallut quelques secondes pour réaliser que Hiroki venait de lancer une attaque dévastatrice qui avait déclenché avec elle un ouragan étincelant s'étant abattu sur Reisuke. Ce dernier fut projeté si violemment au sol qu'il y laissa sa marque incrustée dans le granit.


Le grand gaillard lança un regard à son poing tremblant, semblant lui-même choqué par la puissance qu'il venait d'afficher. Il se retourna vers nous, l'air abasourdi, avant de comprendre que son accomplissement était le résultat de l'union de tous nos pouvoirs. Il marqua un moment de surprise, avant de nous sourire avec fierté et émotion.


« Je ne t'arriverai jamais à la cheville, Reisuke. lâcha-t-il. Mais Hakaze, Erika, Luna et moi, tous ensemble, nous sommes bien plus forts que n'importe quelle source de puissance que tu pourras nous balancer !!


— Graouh ! l'interrompit Diamond qui semblait vexé envers son propriétaire.


— Mais bien sûr que toi aussi tu m'aides mon petit Diamond ! lui répondit Hiroki d'une voix attendrie. »


Reisuke se releva, agacé par les paroles de Hiroki. Il peinait à garder son équilibre, mais semblait encore en état de se battre. Il dévisagea mon camarade, apparemment bien plus touché par l'affront qu'il venait subir que je ne le pensais. Sur son visage n'existait plus l'arrogance ni le mépris. Seulement l'expression d'une profonde frustration témoin d'un orgueil bafoué par cette offense.


Lorsqu'il reprit la parole, il était tellement enragé qu'il était impossible de distinguer le sens de ses propos, noyés dans un hurlement de rage. Il s'approcha rapidement de Hiroki, disparaissant dans les ombres pour attaquer de derrière comme il l'avait fait avec moi, mais c'était inutile. Mon camarade l'arrêta net d'une main, avant de le lancer avec force contre la paroi, tout comme il l'avait fait au début du match.


Le match était terminé. Reisuke faisait face à un mur bien trop puissant en la présence de Hiroki boosté par nos pouvoirs. Il était écrit dans ses yeux qu'il avait compris sa défaite. Il reprit la parole d'une voix saccadée à bout de souffle, comme s'il avait usé toute son énergie, mais il ne s'avouait pas encore vaincu.


« Je suppose que vous avez gagné la bataille… grogna-t-il. Ces pouvoirs ne sont pas encore arrivés à maturité… Cette tour n'est pas suffisante… Mais une fois de plus, vous avez eu une aide considérable en la présence de Luna. Sans elle, jamais vous n'auriez pu lever le petit doigt contre moi. La prochaine fois, je vous tuerai tous… Ou plutôt je vous neutraliserai, et vous verrez de vos yeux impuissants ce monde se faire détruire !!


— Il n'y aura pas de prochaine fois. reprit Hiroki dont la couleur dorée s'était estompée. Ton chemin s'arrête ici, Reisuke.


— C'est ce que tu crois ! hurla l'usurpateur. Ce combat ne fait que commencer, sale vermine ! Draekort ! Il est temps ! Despair : Ikorri Yexesha !! »


Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, le serpent surgit de nouveau de Reisuke. Mais contre toutes mes attentes, au lieu de nous attaquer, il fit le tour de la salle en nous entourant tous, avant de s'écraser lui-même sur le mur au fond de l'étage final, derrière son propriétaire. Lorsqu'il disparut dans la paroi, celle-ci fut empreinte d'une teinte mauve qui la fit instantanément fondre, nous laissant voir quelque chose derrière elle.


C'était une espèce de tourbillon des ténèbres. Un flux de lumière noire et mauve qui tourbillonnait continuellement. Dubitative, je le considérai avec prudence.


« Qu'est-ce que c'est que cette chose… ? questionna Hakaze. D'où tu sors ça Reisuke… ?


— Ceci est un couloir temporel. reprit Reisuke. Cette prison est empreinte d'une énergie si puissante qu'elle permet de traverser le temps. Après tout, vous saurez que la construction même de cet endroit a été entreprise pour sceller une personne bien spécifique dans une brèche temporelle. Je comptais m'approprier sa puissance, mais quelque chose de bien plus juteux m'attend dans le futur.


— Dans le futur… murmurai-je… Non !!! Ne me dis pas que… !!


— Oh que si ! ricana l'homme. Je m'en vais là où tout a basculé, lors de la catastrophe de Kvantiki qui a séparé Yokohama Est et Ouest !!! Le Purple Requiem ! La source de pouvoir intarissable !


— Je ne te laisserai pas partir, reisuke !! Hurla Hiroki qui s'était déjà lancé à sa poursuite.


— Comme si je te laissais le choix misérable !!! »


J'entendis un bruit sourd résonner au loin. Reisuke, quant à lui, se mit à rire frénétiquement en nous laissant percevoir toute l'étendue de sa démence. Quelque chose arriva à une vitesse folle vers nous, nous faisant tous nous lever d'un seul coup comme si la fatigue n'avait jamais existé. Une chaîne noire ébène semblant assez solide, se terminant sur une espèce d'accroche assez large, sortit de l'une des cellules de la prison, se dirigeant vers moi à une vitesse fulgurante.


Je n'eus pas le temps de réagir, mais fort heureusement, je fus plaquée au sol par Hiroki in extremis pour éviter cette chose. Cependant, alors que je pensais l'assaut évité, le tas de ferraille revint vers nous, déterminer à saisir une cible.


Au lieu de s'enfuir, Reisuke nous observa lutter avec la chaîne qui semblait à tête chercheuse, reculant petit à petit dans le vortex temporel issu de sa création. Il jubilait face à notre impuissance dans cette situation. Car malgré nos attaques, nous n'arrivions pas à nous en défaire.


« Il faut suivre Reisuke avant qu'il ne s'engouffre dans le portail ! criai-je en esquivant. Si nous le perdons tout est fichu !


— Essaie déjà d'arrêter cette foutue chaîne ! renchérit Hakaze. C'est impossible de se lancer à sa poursuite dans ces conditions !!!


— Calmez-vous ! répondit Hiroki. Réfléchissez à une solution au lieu de paniquer ! »


La chaîne était de plus en plus rapide, se ruant sur chacun de nous tour à tour, avant de changer de cible chaque fois que nous la repoussions. Seule Indy était épargnée par cette chose en fer qui poursuivait tout le monde. Je l'esquivai, puis ce fut au tour de Luna qui la repoussa, puis Hakaze. Enfin, elle se dirigea droit sur Hiroki, tandis que je réfléchissais à une solution avant d'être la suivante sur la liste.


Cependant, quelque chose m'interpela. Hiroki nous fixait, déterminé. Il avait cessé de se mouvoir. Je n'en revins pas. Il n'avait quand même pas osé penser à ça ?


Eh bien si. Je tentai d'arrêter cette décision en courant, puis en me jetant au sol pour la dévier, mais il était trop tard. Cet insensé avait brandi son poignet vers la chaîne qui resserra son fer d'emprisonnement autour pile une seconde avant que je ne l'en empêche. Je remarquai en m'écroulant au sol que même Hakaze, qui voulut stopper cette chose, en était au même stade que moi.


Reisuke fut surpris par ce déroulement. Au lieu de s'enfoncer complètement dans le passage, il resta quelques secondes de plus, curieux de savoir ce qu'il allait se passer pour Hiroki. Ce dernier se contenta de le regarder sèchement, ne voulant certainement pas jouer dans son jeu. Mais Hakaze, Luna, et moi, étions beaucoup moins confiantes. Nous tentions en vain de briser les chaînes.


« Mais quel abruti ! hurla Hakaze, furieuse. Pourquoi avoir fait ça Hiroki !?


— Je n'arrive pas à briser ce truc !!! m'exclamai-je, désespérée. C'est solide !!! »


Hiroki défit son bras de la pression des nôtres. Nous relevâmes la tête en synchro, Hakaze et moi, tandis que Luna, elle, veillait toujours à ce que le vortex ne se dissipe pas avec Reisuke à l'intérieur.


« Les filles. dit-il sérieusement. Continuez sans moi. La seule solution pour que l'on progresse, c'était que l'un de nous se sacrifie. Ne vous en faites pas pour moi et poursuivez Reisuke. »


Les chaînes s'actionnèrent toutes seules, tentant de tirer Hiroki d'un coup sec par l'arrière. Mais elles furent retenues par mon poids tandis que je m'étais jetée au sol en me cramponnant à lui. Hakaze se joignit à moi, restant choquée par l'acte de mon ami. Elle tenait désormais la chaîne avec moi, encore abasourdie par la situation. Diamond, l'expression décomposée, était même descendu de mes épaules pour agripper les liens avec sa gueule.


« Je ne te laisserai pas partir ! hurlai-je, déterminée. Nous allons te retenir !!


— Lâche-moi Erika. m'ordonna Hiroki. Si tu veux arrêter Reisuke tu n'as plus le temps. J'ai scellé mon sort, laisse-moi, autrement tu seras entraîné avec moi dans les abîmes. Prends juste soin de Diamond pour moi s'il te plaît. Il est comme mon fils.


— Je refuse de te lâcher ! rétorquai-je avec l'approbation de Diamond. Tu es un ami précieux, et je me suis promise que plus personne ne souffrira par ma faute !!!


— Hakaze… murmura-t-il en m'ignorant. Parfois, certaines choses doivent être faites, et pour ce faire, des sacrifices sont requis. Quand on tient à quelque chose ou à quelqu'un, on est prêt à tout pour arriver à nos fins et à rendre le monde meilleur. Hakaze… Si tu comprends ce que je veux dire, lâche cette chaîne. »


Hakaze s'arrêta quelques secondes, cherchant la bonne réponse à cette cruelle équation. Elle le fixa du regard. Il lui renvoya une expression semblant sereine, même si je savais pertinemment qu'il était tout aussi effrayé que nous face à ce triste sort. Quelques secondes passèrent, mais Hakaze reprit finalement ses esprits. Elle semblait avoir compris la demande de Hiroki, si bien que contre toute attente, elle lâcha la pression.


Elle me fit lâcher également. Je poussai un hurlement de désarroi qui résonna dans l'espace alentour, tandis qu'elle resta figée par sa décision.


« Les adieux sont toujours difficiles, reprit Hiroki, mais les larmes devront attendre. Foncez les filles, pour le futur. »


Puis la pression des chaînes le fit tomber en arrière, le traînant au sol à une vitesse folle jusqu'à ce qu'il disparaisse de nos regards. Ce fut à mon tour de rester figée face à ce dénouement, les yeux ronds, tandis que Hakaze qui avait soudainement repris ses esprits me traîna avec force jusqu'à la brèche temporelle dans laquelle nous disparûmes toutes les deux, en laissant Hiroki à son triste sort.





Spoiler :



Nous n'eûmes pas le temps de répondre que Violet se tourna pour se rendre au fond de la salle, là où se trouvaient deux derniers scientifiques en train de réaliser une expérience. Elle les invita à enlever leur combinaison totale, et ils s'exécutèrent, sous les yeux horrifiés de Hakaze qui pointait leur absence totale de précautions. La première, qui semblait partager le prénom de mon amie, était une femme semblant un peu plus âgée que les étudiants. Une belle rouquine aux cheveux de feu et aux taches de rousseur dont les yeux bleus ressortaient comme deux saphirs au beau milieu d'une mer noire. La sulfureuse femme nous salua avec élégance et distinction tandis que l'autre personne enleva sa combinaison à son tour.


C'était un jeune homme très différent du reste du groupe. Il avait des cheveux très courts de couleur noire n'obstruant pas ses grands yeux expressifs de teinte émeraude. Son regard était assez déroutant. Un certain charisme se dégageait de son expression aussi fermée que l'entrée d'un centre commercial un jour de congés. L'individu semblait insubmersible, impénétrable, tandis qu'il nous dévisageait avec méfiance. Mais je n'y prêtai pas attention. Je connaissais un homme bien plus impressionnant que ça, en la personne de Soichiro Namatame, et il ne m'intriguait pas, alors je n'allais pas me laisser intimider par un étudiant qui passait par là.


« Salut !! m'exclamai-je joyeusement. Pour être honnête, je ne sais pas ce que l'on fait ici, mais on est ici ! Je m'appelle Erika Kurenai et voici mon amie ! »


Je me retournai afin de présenter Hakaze, mais cette dernière était déjà en train de critiquer une expérience menée sur l'uranium en mettant le doigt sur les consignes de sécurité bafouées par Akame et Laure. Je dus aller la rechercher et la traîner contre son gré jusque le garçon. Vaincue, elle se présenta sans même regarder la personne en face, zieutant toujours le groupe de kamikazes.


« Je m'appelle Hakaze. lâcha-t-elle en fixant Akame et son uranium. Hakaze Namatame.


— Eh bien. soupira la voix grave du jeune homme au visage impénétrable. Je ne sais pas où tu as été élevée, mais chez moi on regarde les personnes à qui l'on parle, gamine.


— Je te demande pardon !! hurla Hakaze qui se retourna vers le garçon. Personne ne peut m'appeler ga – ! »


Lorsqu'elle vit son visage, son expression se figea, la laissant ajouter le « mine » d'un ton vide et presque robotique. Elle resta bouche bée pendant quelques secondes devant le jeune homme ténébreux à la carrure athlétique pour un scientifique. Je ne compris pas exactement la réaction de mon amie. Je tentai en vain de la secouer. Elle scrutait la personne en face en ne sachant plus quoi dire. Était-ce le coup de foudre ? Je n'en avais jamais vu auparavant. Dans tous les cas, si Hakaze avait trouvé un garçon à aimer, je devais la soutenir du mieux que je peux, en tant qu'amie !


« Enchanté. reprit-il d'une voix profonde qui me fit frissonner. Je me nomme Soichiro Namatame, et je suis membre de la fédération ETHER. En fait, ici c'est la chambre de Akame aménagée en laboratoire. Cependant je vous préviens, si vous voulez vous joindre à nous, vous avez intérêt à peser dans le monde de la science. »


Je me figeai de la même manière que Hakaze en entendant ce garçon. Soichiro… Namatame ? Mais quelle abrutie je faisais. J'étais sur le point de vouloir mettre en couple mon amie et son père. Heureusement que je ne lui avais pas encore dit.


Je perdis tous mes moyens, réalisant finalement à quel point un voyage temporel pouvait être riche en surprises. Mais je n'étais pas la plus troublée ici. Mon amie Hakaze était encore figée devant l'image de son père, qui était encore plus jeune en l'état que sa fille. Elle restait bouche bée face à cette révélation, tandis que je me demandais ce que le futur, enfin le passé, ou du moins, ce que l'instant allait nous réserver.


Mais je ne pouvais m'empêcher de réfréner un sourire, en pensant à la suite.





Spoiler :


Lorsque Soichiro dévoila son identité, j'eus un pincement au cœur. Je m'arrêtai net, voyant le jeune homme nous fixer. Hakaze était la plus perturbée de nous deux, évidemment qu'elle l'était. Après tout, elle était la principale concernée. Je la sentis perdre peu à peu les forces qu'elle possédait à l'intérieur. Mon amie la brune n'était plus la femme forte que je connaissais. Elle était redevenue une petite fille fragile et innocente retrouvant son père.


La femme pourtant si forte baissa la tête afin de ne pas affronter l'expression neutre de Soichiro. J'avoue qu'à ce moment, je ne compris pas pourquoi tant d'émotions venaient submerger Hakaze. Ce n'était pas comme s'il était arrivé malheur à son père dans le futur après tout, étant donné que c'était lui qui nous avait envoyé ici…


Cependant, mon amie semblait avoir ses propres tourments. Elle ne pouvait pas supporter la pression. Elle se retourna sous les regards surpris de tout le monde, puis prit la porte de sortie en courant. Je mis quelques secondes à réagir, mais je finis par la suivre, m'excusant aux autres au préalable. Je ne voulais vraiment pas laisser Hakaze dans un tel état, surtout sans savoir quel était le fond de sa pensée. Je devais être capable de l'aider si quelque chose la préoccupait.


Je sortis du bâtiment d'expériences afin de poursuivre ma course. Je retrouvai mon amie à quelques dizaines de mètres de où nous étions. Elle était devant une étendue d'eau, un lac illuminé par les lumières du dortoir d'où l'on provenait. Dans cette soirée d'été qui était agréable, je vis Hakaze perdre son regard dans la lumière des étoiles. Je m'assis à côté d'elle, ne sachant quoi lui dire pour lui remonter le moral. Je me contentais donc d'attendre auprès de mon amie la brune, guettant son regard afin de lui sourire. Elle n'était pas seule. Je n'étais peut-être pas la meilleure personne pour l'aider dans ces moments-là, mais moi aussi je pouvais la comprendre. J'avais quitté mes parents il y avait des années, et je m'étais toujours considérée comme orpheline, élevée par ma tante. Contrairement à elle, je n'avais jamais apprécié ceux qui m'avaient donné la vie, mais c'était tout aussi déroutant, de grandir sans parents.


Nous restâmes, Hakaze et moi, une demi-heure devant cette étendue d'eau. Et ce fut une fois ce délai passé qu'elle prit enfin la parole, brisant toutes les barrières entre nous.


« Erika… dit-elle, hésitante. La personne qui était présente là-bas… Ce jeune homme, Soichiro Namatame, tu as compris qu'il était mon père, n'est-ce pas ?


— Oui… murmurai-je. Je sais que c'est lui… Vous avez les mêmes yeux, et le même panache dans le regard.


— Cela simplifie les choses. répondit-elle. Honnêtement j'ai vraiment pensé que tu allais dire qu'on allait bien ensemble et qu'on ferait un beau couple. Je suis soulagée de constater que tu n'es pas idiote à ce point. »


Je ris jaune en essayant de ne pas dévoiler mes pensées à Hakaze qui aurait certainement pensé que rien de bon ne pouvait venir de moi. Je la laissai ensuite reprendre, elle qui semblait parler à cœur ouvert.


« Je suis désolée pour avoir été excessive, cela ne me ressemble pas. C'est simplement que voir mon père tant d'années en arrière, cela m'a rappelé des tas de choses. Tu ne peux pas savoir comme j'ai attendu ce moment, je ne voulais pas croire que j'y étais enfin arrivée.


— Comment ça, attendu ce moment ? Tu voulais rencontrer ton père dans le passé ? »


Hakaze s'arrêta pendant quelques secondes. Elle laissa planer un silence qui me parut une éternité. Elle cherchait ses mots, cela se voyait… Elle pouvait bien dire les termes de son choix, après tout, les mots n'étaient rien, seuls les sentiments comptaient à mes yeux. Et je sentais vraiment que ceux qu'allaient exprimer mon amie à ce moment-là étaient authentiques. Lorsqu'elle reprit la parole, elle le fit avec gêne, marquant une pointe de regret dans sa voix faible.


« Erika. reprit-elle sérieusement. Je n'ai pas été totalement sincère avec toi. Si je t'ai suivie dans le passé, c'est bien sûr pour t'aider, mais c'est aussi un prétexte pour accomplir un objectif personnel. Et si mon objectif venait à se réaliser, je ne peux pas garantir l'intégrité de notre présent actuel, dans notre époque.


— Comment ça… ? questionnai-je, dubitative. Je ne comprends pas.


— Cela concerne mon père, Erika. répondit la brune. Dans sa jeunesse, il s'est passé quelque chose de très grave. Il a subi un très lourd accident qui a provoqué un changement brutal dans son organisme. À notre époque, Papa n'a que 50 ans. Malheureusement, son état physique et spirituel reflètent l'apparence d'un vieil homme en ayant 70, car toutes ses cellules ont vieilli prématurément.


— C'est vrai… réalisai-je. Si Soichiro a 17 ans ici, il devrait avoir la cinquantaine à notre époque.


— Erika…s'attrista Hakaze en se mordant la lèvre. Si je n'empêche pas cet accident, Papa mourra.


— Je te demande pardon !? m'exclamai-je, les yeux ronds.


— Tu as bien entendu. Papa va bientôt mourir. Il est actuellement dans l'état d'un vieil homme approchant la mort. Je ne lui donne qu'une ou deux années supplémentaires avant de rendre son dernier souffle. Il peut paraître très rude et endurant, mais jamais il ne montrera un signe de faiblesse, surtout pas devant moi. »


Je m'arrêtai quelques secondes, peinée par l'histoire que me racontait Hakaze. Je voulus la rassurer, lui donner espoir, mais tout ce que je pouvais faire, c'était avancer quelques mots naïfs.


« Pourquoi n'arrêterions-nous pas cet accident ensemble ?


— Je suis prise par un dilemme, Erika. Sans cet accident, mon père n'aurait jamais connu ma mère. Et donc, il ne m'aurait jamais donné naissance. Ce qui veut dire que si j'empêche Soichiro de subir cette épreuve dans sa vie, j'entraverai ma propre naissance. En d'autres termes, le voyage temporel lui-même n'aura jamais eu lieu, et la personne que tu es actuellement n'aura jamais existé.


— Et toi… Tu mourrais ?


— Je ne mourrais pas. reprit Hakaze, un sourire de tristesse aux lèvres. Je n'existerais tout simplement pas sur Terre. Ce n'est pas un mal en soi, après tout, avant de naître, nous n'existons pas ici.


— Hakaze… murmurai-je. Comment peux-tu envisager des scénarios si horribles à propos de ta propre existence ? Comment peux-tu dévaloriser ta vie de la sorte. Un monde dans lequel Soichiro n'a pas sa fille n'aurait pas de sens pour lui, tu le sais n'est-ce pas ?


— Tu ne peux ressentir le manque de quelque chose qui n'a jamais existé, j'y ai pensé. Il rencontrera une autre femme, il aura un autre enfant. Il ne soupçonnera même pas que j'ai vécu un jour, et là d'où je serai, je serai heureuse de le voir épanoui et en bonne santé. »


Je ne savais plus quoi répondre à la jeune femme. J'étais subjuguée par le dilemme auquel elle faisait face. Choisir entre sa vie, et celle de son père. C'était cruel, comme choix. Les deux options finiraient par la pousser au désespoir.


Hakaze était vraiment la plus forte d'entre nous. Elle portait le fardeau le plus lourd, et le gardait pour elle. Elle refusait de s'en plaindre, de demander de l'aide, bien trop fière pour bafouer l'éducation de guerrière qu'elle avait reçu de Soichiro Namatame. Cependant, quelque chose ne coïncidait pas. Pointant l'incohérence, je voulus obtenir des explications.


« Si tu ne valorises pas ta propre vie, pourquoi exprimer ces tourments maintenant que tu peux enfin accomplir ta mission ?


— Toi, Reisuke, et Hiroki. Vous avez tant mis votre énergie dans ce combat pour te ramener à la lumière. Si j'annule ce voyage, tu redeviendras la personne prisonnière de ces tourments. Qui suis-je pour prétendre détruire vos efforts ? Qui suis-je pour anéantir tous vos espoirs, tous vos sacrifices, et faire comme si de rien n'était ? Je ne peux tout simplement pas. Mais de l'autre côté, voir mon père jeune et laisser au futur le soin de détruire sa vie… Cela me brise le cœur. Erika, je ne peux pas me résoudre à effacer ton existence, ni à laisser tomber mon père. Quelle est la solution, le chemin dans lequel personne ne doit souffrir !? »


Face aux supplications de Hakaze, je me recroquevillai sur moi-même. J'étais incapable de comprendre de manière exacte ce qu'elle ressentait, et je ne pouvais pas non plus prétendre à résoudre ses problèmes… Mais je pouvais au moins donner le meilleur de moi-même pour aider ma camarade.


Alors je me relevai, m'étirant devant une Hakaze qui me fixait, incrédule. Je séchai mes yeux humidifiés par quelques larmes bien trop honteuses pour se laisser couler sur mon visage, avant de reprendre la parole avec le sourire.


« Pourquoi voir l'issue en blanche ou noire, Hakaze ? Tu n'as pas besoin de choisir. Tu peux créer ta propre nuance de couleur dans laquelle existeraient exactement tous les détails de ton idéal. Un monde sans toi n'aurait pas plus de sens pour moi qu'un univers sans mon Rei ou Hiroki. Mon amie je t'en supplie, laisse-moi t'aider comme tu m'as aidée depuis tout ce temps, et ensemble nous trouverons une solution qui sauvera ton père, tout en préservant ta vie ! Fais-moi confiance, Hakaze ! »


Je tendis la main à mon amie la brune en lui souriant. Elle resta dubitative face à ma proposition, mais j'étais convaincue que j'empruntais la bonne voie. Je voulais vraiment donner de ma personne pour lui rendre le sourire, et contre toute attente, cela suffit pour lui remonter le moral. Elle prit ma main, laissant sa tristesse disparaître au profit de sa détermination habituelle, illuminée par l'amour envers son père. J'étais contente de la voir reprendre du poil de la bête, plutôt que de se morfondre.


« Merci pour tout, Erika. me sourit-elle. J'ai le sentiment qu'avec toi je pourrai trouver une solution pour sauver mon père, sans vous causer du tort. J'ai un drôle de sentiment te concernant. Tu es une abrutie totale, mais je sens que tu as un talent particulier. Comme si tu pouvais m'influencer sans que je ne m'en rende compte. Dans tous les cas, merci d'être à mes côtés, mon amie. »


Je souris à la jeune fille. J'avais l'impression que nous avions passé un cap dans notre amitié, elle et moi. Nous étions prêtes à lutter main dans la main en nous aidant réciproquement, et c'était quelque chose de vraiment rassurant. Nous regardâmes une nouvelle fois cette étendue d'eau paisible. Non pas pour nous plaindre, mais pour ressentir tout l'espoir ayant gagné nos cœurs. Mais ce moment de silence fut interrompu par la venue d'une troisième personne. Cette personne, c'était justement le principal intéressé, Soichiro Namatame. Il vint se dresser avec nous devant le petit lac, affichant un air bien plus accessible et plutôt sympathique. Il resta à nos côtés, prenant la parole d'un ton chaleureux et attentionné, comme un grand frère l'aurait fait.


« Vous m'avez fait peur à vous enfuir comme ça. sourit Soichiro. Je suis moche à ce point c'est ça ?


— Pas du tout ! répondis-je spontanément. Je te trouve même plutôt beau garçon ! »


Ma réponse lâcha un malaise sans que je ne sache pourquoi. Alors je décidai de me faire discrète cette fois, tandis que Hakaze fixait le lac, rouge de honte.


« C'est gentil, mais je n'aime pas vraiment mon physique. reprit le jeune homme d'une voix grave, mais douce. Mais l'apparence ne compte pas. J'aime regarder au-delà des apparences, pour cerner les autres, et je pense avoir deviné beaucoup de choses sur vous, en particulier sur toi, Hakaze.


— Moi ? s'étonna la jeune fille. Comment ça ? Qu'as-tu compris ?


— Il y a quelqu'un pour qui tu te fais du souci n'est-ce pas ? Je l'ai deviné rien qu'en lisant tes yeux. Laure m'a dit que vous aviez traversé le temps pour arriver ici. Je ne sais pas si vous venez du passé, ou du futur, mais je suppose que vous venez empêcher quelque chose de se produire. Auquel cas, garde ceci à l'esprit, Hakaze : la fatalité n'est pas toujours une chose mauvaise. Parfois, des tas de belles choses découlent d'un évènement tragique. Il suffit d'avoir l'esprit assez ouvert pour savoir quelle est la bonne décision à entreprendre.


— Soichiro…


— Inutile de t'imposer la réussite. Si jamais tu échoues, quelle importance ? C'est aussi en échouant que l'on devient un adulte. Peu importe les conséquences. L'amour n'a besoin d'aucune preuve, d'aucune justification. Il doit être inconditionnel, et non une récompense en effort d'un service rendu, ou d'un acte profitable.


— Je vois… sourit Hakaze qui n'osait même pas regarder son père. Ces mots me rappellent ceux de mon paternel. Merci, Soichiro.


— Le plaisir est pour moi, Hakaze. Allez, retournons dans la chambre. Vous avez débarqué ici sans prévenir, la fédération ETHER veut vous connaître maintenant !


— Graouh ! Approuva Diamond, qui jusque-là compatissait avec Hakaze. »


La brune acquiesça. Il n'y avait pas mieux placé que son propre père pour la remettre sur pied après-tout. Je sentais cependant que son espoir n'était pas totalement revenu. Il restait des doutes dans l'esprit de ma partenaire. Je me devais de les éclaircir. Mais en attendant, nous devions quitter cette époque le plus vite possible. Reisuke nous attendait dans le futur, et nous étions les seules à pouvoir le vaincre définitivement.


Nous retournâmes avec Hakaze et Soichiro dans la chambre d'Akame et des autres. Ils étaient contents de voir le jeune homme rentrer en notre compagnie. Nous passâmes la soirée avec les membres de la fédération ETHER. Je leur demandai pourquoi le nom « Ether », et Violet, qui semblait être la plus sensée du groupe, me répondit que c'était un acronyme signifiant « Équipe Technologique et Historique de l'École Rikoukei ». Elle m'assura qu'elle voulait quitter cette « équipe de bras cassés ne sachant pas travailler sans mettre la planète en danger », mais que chaque fois, elle manquait l'occasion de le faire.


La soirée était légère et bon enfant. J'eus l'occasion de connaître Akame, qui était un apprenti scientifique voulant renverser les standards du politiquement correct à sa manière, Laure qui elle, était beaucoup plus rationnelle et rêvait de travailler dans la médecine légale, mais aussi Masamune qui se voyait déjà le meilleur policier du pays. Hakaze, celle de la fédération ETHER, était la fiancée d'un des professeurs de l'académie. Elle redoublait sa dernière année en boucle pour rester sous la tutelle de son futur mari, et ne s'en cachait pas. Elle aidait à ses heures perdues les expériences de l'organisation.


Tout le monde était joyeux et riait de tout. Soichiro et Violet restaient un peu en retrait, échangeant à propos d'expériences de tests qu'ils devaient entreprendre. Ils étaient tous les deux mordus de leur domaine, et semblaient vraiment bien s'entendre. Soichiro était d'ailleurs l'égal de la blonde, puisque lui aussi s'était illustré par trois récompenses, tout en étant le meilleur élève des garçons.


Je voulais que demain n'arrive jamais. Profiter de l'ambiance décontractée qui changeait drastiquement de tout ce que j'avais vécu ces derniers jours. Mais j'avais encore des choses à faire avant de pouvoir assumer une sérénité quelconque.


Alors que Masamune m'enseignait comment faire son thé spécial et imbattable, Soichiro vint me parler.


« Alors vous venez donc d'une autre époque… me dit-il. Vous venez du passé, ou du futur ?


— Nous venons du futur. répondis-je en gardant un œil sur le thé de Masamune. Un ami à nous nous a envoyées ici pour régler un problème auquel je devais faire face, mais… On s'est perdues en route. Nous devons avancer des années dans votre futur, autrement, quelque chose de terrible se passera…


— C'est forcément un coup du CERN. s'avança Akame, sérieux. Ils sont toujours derrière les évènements louches comme le tien.


— Et avec tout ça, soupirai-je, un de nos alliés est prisonnier d'une tour dans le passé, et je n'ai aucune idée de comment l'en délivrer.


— Et si nous utilisions notre dernier gadget ? se proposa Soichiro. C'est encore en phase expérimentale, mais pourquoi ne pas tenter ?


— Es-tu complètement fou !? hurla violet qui recracha son jus d'orange sur Masamune. Si c'est comme ça, je quitte cette équipe ! Je ne porterai jamais la responsabilité de tes échecs Soichiro !


— Encore ? geint Masamune. C'est la huitième fois que tu la quittes ce mois-ci… »


Soichiro alla directement voir Violet qui semblait opposée à l'utilisation de cette invention. Il la regarda droit dans les yeux, l'air déterminé, avant de lui faire une proposition d'une voix profonde et douce.


« Ces filles ont absolument besoin de repartir vite, Violet. Nous scientifiques, nous œuvrons pour le bonheur d'autrui, et nous voulons donc préserver ce monde. Fais-moi confiance. Si je prends ce risque, c'est que j'ai foi en notre travail, à toi et moi.


— Arrête de me regarder avec ces yeux-là… reprit Violet, gênée par l'insistance du jeune homme. Je ne peux rien refuser quand tu me fixes de la sorte…


— Et puis nous avons déjà envoyé des messages textuels dans le passé. enchérit Laure en haussant les épaules. On devrait pouvoir faire voyager ces filles dans le futur, non ?


— Envoyer un message et une personne sont deux choses différentes ! soupira Violet, exaspérée. »


Alors que Laure et Violet partirent dans un débat sur le transport de la matière en utilisant l'énergie quantique, je cherchais une solution. Hakaze, mon amie, disait pouvoir construire une machine dans le temps. Elle devait être capable de nous faire revenir dans la bonne époque si ce qu'elle disait était vrai.


Tandis que Soichiro réfléchissait de son côté, tout le monde se concentra pour trouver une piste, et ce fut mon amie la brune qui s'avança finalement.


« Je sais construire une machine à voyager dans le temps. annonça-t-elle enfin. Il me faut simplement l'énergie nécessaire et quelques bricoles.


— Sérieusement !? s'étrangla Soichiro, accompagné des regards abasourdis des membres d'ETHER. Tu veux me dire que tu as découvert comment faire !?


— En effet. reprit Hakaze. J'ai simplement besoin d'une source de kvantiki suffisante. Je suis accompagnée d'une Izrathienne, Zéphyra, qui est capable de générer une énergie puissante. Elle crée de l'énergie que je peux utiliser de différentes manières, par exemple soigner, invoquer des éclats de lumière…C'est vraiment lié à l'imagination. Je peux modeler à ma guise ce que je crée avec elle.


— C'est assez sympathique dit comme ça. reprit Akame. Il faudrait que nous nous y mettions tous pour générer l'énergie requise. »


Des groupes de discussions se formèrent et rapidement nous ne nous entendîmes plus. Soichiro s'imposa en leader de l'équipe, donnant des directives précises pour le lendemain matin.


« Bien. Dans ce cas, formons des équipes. Akame, et Masamune, je compte sur vous pour aller à la bibliothèque. Vous devrez vous renseigner sur la tour dont laquelle ce jeune homme est prisonnier. Erika va vous renseigner sur le type de bâtiment et l'époque avant votre départ. Vous m'épluchez le moindre bouquin et vous me ramènerez toutes les informations possibles.


— Bien reçu ! reprit Akame. Je veillerai à notre discrétion vis-à-vis du CERN et ses alliés !


— Laure et Hakaze, la nôtre, vous irez me chercher tout le matériel requis pour que l'autre Hakaze puisse construire sa machine temporelle.


— Cela devrait être simple. reprit Laure. Sauf si le duo d'imbéciles se met encore en travers de notre route.


— Eh ! protesta le futur policier. Ne sois pas si froide ! En plus, tu peux compter sur moi en toutes circonstances. Le jour où cela deviendra dangereux pour toi j'assurerai tes arrières.


— Je serais plus en sécurité en m'exposant à de l'acide sulfurique plutôt qu'en me reposant sur tes talents de garde du corps. »


Regardant les querelles et les engueulades entre tout le monde, je me surpris à regretter mon époque. Tout ce que j'avais vécu là-bas ne reviendrait jamais. Le temps était compté pour tout le monde, et pour moi aussi. J'allais être diplômée, passer à autre chose, et… Non. Il ne fallait pas que je pense à tout cela… Après tout, je n'avais même pas terminé ce que j'avais commencé dans le passé… Penser à mon propre futur était quelque chose de tellement égoïste.


Je lançai un regard à Hakaze. Elle semblait heureuse d'avoir l'occasion de voir son père dans ses jeunes années. Elle se moquait de lui souvent, l'appelant par le même nom qu'il prenait quand il s'adressait à elle dans le futur. Elle restait souvent à l'écouter parler, comme si elle apprenait des tas de choses de lui alors qu'il était plus jeune qu'elle. Parfois, j'avais l'impression de voir Zéphyra à côté de Hakaze. Je la voyais fixer le père de mon amie avec mélancolie et compassion, comme si elle ressentait de l'affection profonde pour lui, voir de l'amour. Je ne comprenais pas vraiment, mais c'était touchant. Au fond, les Izrathiens fonctionnaient avec le même système sentimental que nous. Toratura avec sa haine, Zéphyra avec son amour.


Nous terminâmes la soirée comme nous l'avions commencée. Chacun regagna ses quartiers, à l'exception d'Akame qui était déjà dans sa chambre. Ce fut Laure qui nous proposa de passer la nuit chez elle. Avec gêne, moi et Hakaze acceptâmes. D'après mon amie, j'avais beaucoup de points en commun avec Laure. Mais personnellement je ne voyais pas lesquels.


La future employée de la médecine légale avait deux lits. Un lit d'une personne, et un autre de deux personnes. Je me demandais pourquoi elle avait deux couches, mais elle me répondit que l'une était pour elle, l'autre pour son frère Akame qui squattait sa chambre lorsqu'il était en déprime. Je déglutis : ces deux-là se ressemblaient effectivement physiquement, mais ils étaient diamétralement opposés en termes de personnalité. Je m'avançai dans les quartiers de Laure. En regardant son armoire je pus me rendre compte qu'en fait, il était plein à craquer de peluches qui n'attendaient qu'un mouvement de la porte pour s'écraser au sol tant le meuble en était plein. Cela me fit sourire.


Ce fut à minuit que j'allai me coucher, dormant ce soir dans le même lit que mon amie Hakaze. Cependant, la nuit que je pensais passer à dormir comme un loir allait être la plus mouvementée depuis le début de mon périple…


Lorsque je fermai les yeux pour dormir, je les rouvris immédiatement. Je fus confrontée à un sombre espace dont je ne pouvais même pas distinguer les formes. Apparemment j'étais endormie. C'était assez ironique en soi, de savoir que l'on était dans un état de rêve, mais ne pas pouvoir se réveiller. Trouvant cette pensée amusante, je m'avançai dans les ténèbres de mes songes tout en gardant ma lumière intérieure. Cependant, alors que je pensais que tout allait être composé de calme et de silence, une lumière perça le rideau des ombres, un peu comme l'avait fait Luna la dernière fois.


Détournant le regard face à cette lumière éclatante, je ne pus la regarder que quelques secondes plus tard, discernant avec surprise l'origine de cette situation.


En effet, je n'étais pas ici par hasard, et je compris pourquoi en voyant une jeune demoiselle postée devant moi. La beauté aux cheveux blancs et au regard mature de couleur bleue était habillée d'un ensemble de style gréco-romain. Elle gardait une lance dans ses mains, un bouclier dans l'autre. Je devinai qu'elle était l'Izrathienne, Zéphyra. Cependant, elle fit quelque chose dont je ne pouvais deviner le sens, elle jeta sa lance, son bouclier et enleva son casque, me laissant discerner la femme qui se cachait sous l'armure.


Elle semblait une femme tout à fait banale sans ce qui la caractérisait en tant que Zéphyra, l'Izrathienne liée à Hakaze. Elle partageait d'ailleurs une certaine ressemblance avec cette dernière, notamment au niveau de la bouche. Cela me fit rire intérieurement de penser que Hakaze ressemblait à une Izrathienne, mais l'ambiance n'avait pas l'air d'être à la rigolade. Zéphyra s'avança vers moi d'une démarche solennelle, laissant son expression neutre insensible à mes émotions. Lorsqu'elle fut face à moi, elle prit la parole de sa voix féminine mais assez grave, comme si j'allais prêter serment devant elle.


« Merci d'être venue, Erika. me dit-elle, reconnaissante.


— Tu ne m'as rien demandé Zéphyra… répondis-je dubitative. Je me suis retrouvée ici par hasard… Non ?,


— Pas tout à fait. La jeune maîtresse a émis ce souhait, consciemment ou non. Tu sais, Erika, je suis chargée de veiller sur elle. Je peux la tenir éloignée de toutes les menaces physiques, grâce à mon pouvoir.


— Un peu comme Toratura et moi ?


— C'est exact. approuva la femme. Cependant, mon champ d'action est limité. Si je m'entraîne tous les jours afin de pouvoir servir la cause de ma jeune maîtresse, je ne peux guérir ses blessures du cœur, les plus douloureuses.


— Tu veux parler de l'histoire de Soichiro n'est-ce pas ?


— En effet. Je suis persuadée qu'il existe une solution pour résoudre le problème du jeune maître sans pour autant sacrifier sa fille. Mais je ne peux chercher par moi-même, étant donné que mon champ d'action dans votre monde se limite aux actions de ma jeune maîtresse.


— Je vois, donc tu aimerais que — Eh, attends une minute. Tu as bien dit « Jeune maître » en parlant de Soichiro ?


— Oui. Avant de servir Hakaze, j'étais l'Izrathienne liée à son père, Soichiro.


— Et donc à cette époque…


— Je suis présente en deux exemplaires. Soichiro, membre d'ETHER, cohabite avec la Zéphyra du passé. Ce fut la preuve formelle pour moi, et donc pour ma jeune maîtresse. Erika, je n'ai pas beaucoup de temps car chaque seconde passée loin d'elle est une faute, mais je vais te faire une requête égoïste : sois celle qui sauvera Soichiro Namatame.


— Je voudrais bien… soupirai-je. Mais je ne sais même pas comment m'y prendre.


— Je t'aiderai. Je vais profiter de cette nuit pour te faire vivre des choses que tu n'aurais jamais pu savoir sans mon intervention, et je compte sur toi pour faire le reste. »


Sans savoir jusqu'où Zéphyra voulait en venir, j'acquiesçai, faisant confiance aux intentions de la femme. Elle s'avança vers moi, posant son index sur mon front. Lorsqu'elle le fit, elle devint encore plus solennelle, prononçant ces derniers mots à mon égard.


« Vis ceci comme je l'ai vécu, voici la vie de Soichiro Namatame… »


Sur ces paroles, ma vision devint blanche. Intriguée, j'allais apparemment enfin pouvoir connaître l'histoire de Soichiro, et donc le fardeau porté par sa fille… Je m'évanouis, quittant la vie d'Erika Kurenai, à la poursuite de la chimère hantant Hakaze, afin de la délivrer elle aussi une bonne fois pour toutes.





Spoiler :


On dit que notre vie est quelque chose de déjà tracé. Les rencontres que l'on fait, les expériences, les épreuves, tout ce que l'on vit au quotidien, que ce soit en bien ou en mal, ferait partie d'une destinée tracée par une force supérieure que l'on appelle communément Dieu. Certains hommes croient et ont cru en cette vision des choses, d'autres n'y croyaient pas.


Moi, Namatame Soichiro, je croyais en tout cela. L'existence du divin et la destinée qu'il connaît bien avant nous, les choix qui s'offraient à nous dont on avait pris la décision à l'avance, tout cela était quelque chose qui me parlait, qui était plausible à mes yeux. J'étais quelqu'un qui essayait donc d'analyser chaque épreuve de sa vie, pour en tirer le meilleur à chaque fois, spirituellement parlant.


Ce qui m'arrivait ne me choquait donc pas, puisque j'avais confiance en le lendemain. Je savais que les épreuves auxquelles j'allais faire face étaient nécessaires, que je n'en ressortirais que meilleur et plus ouvert sur ce monde qu'était le nôtre… Et que finalement, je remercierais le ciel pour m'avoir permis de vivre cela. Mais alors que je me préparais à tout, j'étais à mille lieues d'imaginer ce que le tout-puissant allait me réserver cette nuit-là. J'étais très loin de penser que cette épreuve renverserait ma vie comme jamais auparavant.


Ce fut l'année de mes vingt-six ans que tout bascula d'un seul coup. Je n'étais encore qu'un gringalet quand j'y repense. Je sortais à peine de mon cursus universitaire. Après avoir fait mes cinq ans à la prestigieuse académie Rikoukei, pour apprendre tout ce qu'il fallait savoir sur le kvantiki et l'énergie provenant d'Izrath, j'étais entré dans une université affiliée portant sur l'apprentissage en sciences, plus particulièrement sur l'exploitation des énergies renouvelables. Mes camarades du laboratoire ne m'avaient pas suivi, excepté Violet. La plupart avaient pris d'autres cursus plus ou moins mêlés à la science et aux découvertes d'Izrath, et n'osaient pas me suivre dans un chemin aussi ambitieux que celui que j'avais emprunté. Alors si l'on exceptait Violet, je n'avais eu pour seule compagnie que Zéphyra et Azéthys, mes deux amies de toujours.


Gravissant les échelons un à un, grâce au soutien moral de mes deux amies, j'étais devenu un des acteurs de l'évolution de Yokohama, et même de Tokyo. Nous avions trouvé un moyen d'utiliser Izrath lui-même comme une source d'énergie pouvant développer les technologies existantes et permettre de faire tourner la ville : le kvantiki. Cette source n'était pas une ressource de la terre, elle n'était pas une énergie que l'on irait lâchement puiser je ne sais où au prix de vies humaines, elle était une énergie découlant d'une activité naturelle d'une dimension parallèle. Elle nous permettait de conjuguer efficacité et propreté. Une énergie qui se voulait illimitée et n'étant pas bâtie sur la souffrance des autres. Et à moindre coût, puisque les foyers n'auraient même plus à payer un centime pour l'électricité et le gaz, étant donné que tout tournerait au kvantiki, l'énergie inépuisable et produite en grande quantité.


Je faisais partie de la cellule de réalisation numéro cinq. Nous étions chargés de nous occuper de la zone Nord-Ouest de la ville. Cette équipe était dirigée par un scientifique que j'appréciais beaucoup pour sa capacité à prendre des décisions justes et ne mettant pas la vie d'autrui en péril, le docteur Ryoko. Il était de quelques années plus vieux que moi, et avait été mon professeur depuis Rikoukei. Nous avions gardé contact après que je fus diplômé, jusqu'à ce qu'il m'embauche, moi, ainsi que Violet Leblanc, une de mes camarades les plus proches – et surtout, mon actuelle fiancée – , à ce poste de la plus haute importance.


J'aimais beaucoup la dégaine qu'avait le professeur Ryoko. Cet air strict et peu rassurant qu'il dégageait de par son regard perçant de couleur bleu royal, mais aussi par ses cheveux noirs lui tombant sur l'œil droit. Il ne partait jamais en effusion de joie ou de colère. Il gardait toujours son calme, et j'aimais beaucoup ça. Il était quelqu'un de très rationnel qui privilégiait le bien commun avant toute chose, en faisant toujours preuve d'altruisme.


Le docteur, Violet, et moi, formions un trio hors pair depuis pas mal d'années. Ayant travaillé tous les trois sur pas mal de projets, dont la modification génétique d'une pierre thérapeutique afin de la transformer en un générateur de kvantiki de poche, nous nous étions rapprochés en conséquence, et nous étions très organisés et complémentaires lorsqu'il s'agissait de science. De professeur, Ryoko était devenu un simple ami. De camarade de classe, Violet était devenue la femme pour laquelle je m'étais promis de rendre ce monde meilleur. Au fond, nous étions tous les trois sur la même longueur d'ondes. Lorsque nous étions dans notre laboratoire, nous ne nous parlions que très peu, pour n'échanger que les informations nécessaires, et nous réussissions toujours à parvenir à nos fins. Ensemble nous allions construire un avenir meilleur pour tout le monde. Un univers ne mettant aucune vie en danger, ne répandant pas l'inégalité entre les peuples.


Notre équipe était de plus en plus prospère. Nous avions terminé tous les travaux sur notre zone, nous occupant ainsi d'aider dans leur tâche les autres hommes de science engagés dans les quatre coins de ce vaste territoire qu'était Tokyo. Nous étions devenus imposants dans la profession en quelque temps, grâce aux capacités d'analyse du docteur Ryoko combinées au génie de Violet, ainsi qu'à mes propres talents de réflexion. Nous passâmes du temps à construire quelques réacteurs kvantiki miniatures que nous avions dissimulés sous terre. Tout était stable et fonctionnel, et en moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, Tokyo prit un essor considérable. Active sur tous les plans, notamment sur le commerce, elle était devenue la ville à suivre pour les autres à l'échelle nationale, voir même mondiale. Nous avions vraiment mis la main sur un système qui pourrait rendre le monde plus juste à tous les niveaux.


Ce fut quelques mois plus tard que notre dur labeur porta finalement ses fruits sur le long terme. Le docteur Ryoko était devenu le scientifique le plus influent de la ville, tandis que Violet, en tant que femme, fut rapidement reconnue comme étant une experte en beaucoup de domaines. Pour ma part, je n'étais pas vraiment connu. J'étais bien plus discret et indécis dans mes décisions. Je restais dans l'ombre des deux grandes icônes de la science moderne, et cela me convenait parfaitement. Le docteur Ryoko se contentait de toujours me sélectionner lorsque nous faisions équipe, et j'en étais ravi.


Nous fûmes engagés pour un projet de bien plus grande envergure, dans le quartier sud de la ville. Nous devions construire un réacteur kvantiki assez colossal capable de relier tous les autres entre eux pour permettre d'éviter les surcharges, les pannes, et désagréments divers. C'était le point crucial de l'opération que le professeur avait appelé « Projet Hakaze ». Le projet portait le nom de sa propre femme qui l'avait poussé à se démener jour après jour et avait tiré le meilleur de ce que pouvait produire le scientifique.


Cependant, alors que tout semblait être au point, une contradiction vint mettre une pointe de noir sur la toile parfaite de notre projet. Ce jour-là, nous sortions à peine de l'hiver. J'étais arrivé un peu plus tôt que le professeur Ryoko au travail, comme à mon habitude. Mais tandis que je pensais voir le leader de l'équipe arriver avec détermination et force comme il le faisait d'habitude, je vis un homme marqué par la frustration apparaître devant mes yeux. Violet, qui arriva juste après lui, me lança un regard dubitatif. Elle et moi ne savions pas ce qu'il se passait.


« Docteur. entamai-je. Vous avez l'air concerné à propos de quelque chose. Tout va bien ?


— Problèmes hiérarchiques. reprit Ryoko, énervé. Cela m'agace vraiment. Depuis quand ne puis-je pas choisir les scientifiques avec lesquels je souhaite faire équipe ? Ils ne comprennent pas que sur un projet si crucial, j'ai besoin de personnes de confiance !?


— Ils vous ont empêché de composer votre équipe ? enchérit Violet, inquiète. L'un de nous serait mis sur la paille ?


— J'ai pu choisir mon équipe. Mais ils ont ajouté des membres en plus. Deux personnes que je ne connais absolument pas, autant en termes de compétence, que lorsqu'il faut étudier leur philosophie. Ils vont arriver dans la journée. Leurs noms… Ricky Sawyer, et son frère Romain Sawyer.


— En effet. repris-je. J'imagine que cela sera épineux pour la suite. Nous ne savons pas le mode de fonctionnement de ces hommes, ni leur code de morale.


— Je compte garder ces individus à l'œil. nous mit en garde Violet. Je serai sans pitié au moindre écart provenant de l'un de ces hommes. Ils ne détruiront pas notre idéal.


— Je compte sur vous pour les surveiller discrètement. nous somma Ryoko, inquiet. En attendant, continuons notre travail. »


J'étais assez perplexe sur le tournant que prenait le projet Hakaze. Je ne pensais pas que c'était anodin de changer les habitudes prises par le professeur, tout en sachant que laisser la liberté au scientifique de renom avait toujours porté ses fruits. Toutes nos interventions avaient été couronnées de succès jusqu'alors, et d'un seul coup tout changeait. Cela me laissait une désagréable impression dans le cœur, comme si l'on voulait que notre but ultime, celui d'établir une égalité financière dans le monde entier, échoue.


Je devais me faire des idées. Après tout, si l'on échouait, cela signifiait que beaucoup de monde dans la ville allait sûrement périr et que la capitale elle-même viendrait à couler. Les dirigeants actuels ne prendraient pas le risque de causer tant de dégâts, je m'inquiétais pour rien.


Ricky et Romain Sawyer, les deux frères, se joignirent à nous dans la journée même. Nous dûmes reprendre depuis le début pour expliquer le projet, ce que nous avions accompli pendant tout ce temps, et bien plus encore. Tous les détails devaient être connus des deux hommes, nous faisant perdre un temps considérable dans notre avancée. Le docteur Ryoko prenait le temps pour bien expliquer les choses, mais moi qui le connaissais, je pouvais sentir sa réticence. Et je pouvais également la comprendre. Après tout, Romain et Ricky ne m'inspiraient pas confiance. Le premier semblait inoffensif à première vue. Il était encore jeune, un peu plus que moi. Mais le second me paraissait bien plus orgueilleux, à la limite du narcissisme. Il aimait contredire simplement pour exprimer une contradiction et imposait facilement son opinion si le docteur ne lui tenait pas tête. Pour ma part, j'essayais de marquer le plus possible mon opinion et soutenir mon ami, avec l'appui de Violet qui était toujours présente, mais c'était difficile de maintenir la pression face à l'adversité. L'équipe qui était soudée avant l'arrivée des deux hommes commença à battre de l'aile, pour finalement devenir un vrai champ de bataille. Nos collaborateurs nous quittèrent un par un, ne laissant que Romain, Ricky, le docteur Ryoko, Violet, et moi sur le projet Hakaze.


Le projet capital me prenait énormément de temps. Lorsque moi et Violet rentrions le soir dans notre appartement provisoire, à deux rues du laboratoire souterrain, nous ne prenions qu'un repas rapide et nous allions nous coucher. Notre profession nous amenait à vivre à des horaires décalés, et le fait d'être nomades nous empêchait de construire quelque chose de concret. Nous devions changer de logement chaque fois que nous changions de secteur de travail, pour nous rapprocher du laboratoire et rester disponibles en permanence, ce qui naturellement, nous empêchait d'envisager une famille dans l'immédiat. La fatigue nous avait d'ailleurs privé depuis quelque temps de notre relation de couple, et il y avait bien longtemps que nous n'avions pas fait l'amour elle et moi. Nous mettions le progrès commun au-dessus de notre relation personnelle. C'était notre manière de nous aimer à nous, les deux esprits brillants de Rikoukei.


Mais même si notre relation était difficile, j'avais confiance en celui qui avait écrit le livre de ma vie pour qu'elle se finisse bien, et que Violet comme moi nous en tirerions le meilleur.


Et puis, j'étais heureux, car en plus de ma fiancée, j'étais entouré de deux merveilleuses femmes qui représentaient à mes yeux les meilleures amies que je n'ai jamais eues.


Zéphyra et Azéthys étaient deux créatures vivant dans un monde parallèle au nôtre, Izrath. D'après les études officielles, ce monde s'était construit il y avait maintenant des siècles voir des millénaires, et elles y avaient grandi. Depuis notre rencontre, à mon plus jeune âge, elles n'avaient jamais cessé de m'épauler dans toutes mes épreuves, me permettant de passer des caps difficiles de ma vie, comme la mort de ma mère deux ans auparavant. Zéphyra et Azéthys étaient toute la compagnie dont j'avais besoin. Elles étaient très proches, très complémentaires. Azéthys était assez timide, prude. Elle était gênée par beaucoup de choses et aimait tout ce qui était agréable à regarder. Cependant, une fois qu'elle était en confiance, elle devenait blagueuse, drôle, et même un petit peu espiègle… Quant à Zéphyra, elle était plus forte psychologiquement parlant. Elle savait s'imposer et argumenter lorsqu'il le fallait. Elle était toujours là pour donner des conseils et exprimer sa vision sur chaque situation. Son avis était très important pour moi. Elle semblait avoir énormément de vécu alors que selon elle, nous avions le même âge. Avoir deux amies si radicalement opposées était amusant. Les soirées avec elles étaient toujours enfantines et rafraîchissantes. Je me sentais pleinement vivre lorsque j'étais avec Zéphyra et Azéthys. Violet connaissait d'ailleurs les deux Izrathiennes et elle entretenait de très bons rapports avec elles. Nous passions souvent des moments à quatre, nous rappelant ensemble les instants inoubliables de la fédération ETHER.


Passer des soirées en compagnie de mes amies à m'amuser ou à jouer aux cartes me permettait de repartir le lendemain au travail avec plus d'entrain que la veille. J'avais eu pas mal d'amis pendant mon cycle étudiant, mais je ne me ressourçais jamais autant que lorsque j'étais avec Violet, Zéphyra ou Azéthys. Quelque chose me fascinait d'ailleurs chez les Izrathiennes. Malgré le fait qu'elles étaient deux esprits venant d'une autre dimension, elles me paraissaient vraiment humaines. Leurs émotions étaient les mêmes que les miennes. Leurs corps étaient les mêmes que ceux des femmes de notre monde, à l'instar de ma fiancée… Cela me faisait rire, j'avais l'impression d'avoir connu deux potes à l'école et de les avoir fréquentées jusqu'à maintenant.


Porté par cette routine, je laissai passer les jours, pris par ce projet qui occupait le plus clair de mon temps. Nous avancions de manière plus fluide qu'à nos débuts, mais nous gardions toujours un œil sur Romain et Ricky. Après tout, le générateur principal que nous étions en train de construire n'était pas du tout stable. Son comportement variait bien trop selon la quantité d'énergie qu'il laissait entrer et sortir. Au niveau où nous en étions, trop de puissance kvantiki absorbée d'un coup pouvait provoquer jusqu'à la destruction des alentours. Non alléchés par l'idée de finir morts ou avec des tas de cadavres sur la conscience, nous devions donc trouver une solution pour stabiliser le générateur et ainsi pouvoir en terminer la construction.


Plus le temps passait, moins nous arrivions au succès. Nos collaborateurs les plus utiles et brillants avaient déserté, nous étions donc complètement en forces réduites pour ce projet. Le générateur devenait de plus en plus puissant, mais de moins en moins stable. C'était embêtant dans le sens où notre travail était de privilégier la sécurité avant l'avarice. Nous devions préserver les vies humaines avant tout, même si cela signifiait avoir un système moins optimal. C'était l'éthique de vie du professeur Ryoko et la nôtre. Ce jour-là, l'annonce de l'homme ne me surprit donc pas. J'attendais qu'il prononce ces mots, surveillant encore Ricky et Romain qui attendaient également.


« Bien. Messieurs, ainsi que vous Violet, cela fait maintenant plusieurs semaines que nous sommes sur le projet Hakaze. Et pour être honnête, les résultats sont catastrophiques. Comme vous pouvez le voir ici, la température du réacteur a tendance à beaucoup trop augmenter lorsque celui-ci reçoit une quantité trop importante de kvantiki en peu de temps. Il atteint actuellement 1000 degrés Celsius. D'après mes calculs, s'il dépasse les 1500, cela causera une catastrophe incommensurable. Je déclare donc aujourd'hui que le projet Hakaze prend fin. Nous ne pouvons pas risquer des vies humaines sur un coup de poker. »


Alors que j'allais approuver le professeur, Ricky Sawyer contesta la décision. L'homme imposant à la chevelure rouge prit la parole, d'un ton menaçant et sans appel. Violet quant à elle, semblait prête à lui sauter dessus tant son attitude l'agaçait.


« Vous rendez-vous compte de vos paroles, Docteur ? Êtes vous un scientifique ? Je n'en ai pas l'impression. Renoncer à un projet pour un risque minime est vraiment indigne de vous, Docteur Ryoko. Si vous avez confiance en vos capacités, poursuivez ce projet. À moins que vous ne vous débiniez ?


— Je suis désolé monsieur Sawyer, mais je n'ai aucune intention de continuer ce travail en mettant des vies humaines en péril simplement pour mon orgueil personnel. Je paraîtrai devant nos supérieurs comme celui ayant pris la décision d'arrêter ce projet et vos carrières ne seront pas remises en cause.


— Tss. Laisser passer une si belle opportunité de prospérité. Et dire que sans quelqu'un comme vous, la ville pourrait devenir la capit –


— Le docteur Ryoko prend la décision la plus sûre. le coupa sèchement Violet. Nous ne sommes ni des apprentis sorciers, ni des Dieux touts puissants. Nous sommes des humains voulant améliorer l'espace de vie de nos semblables, et certainement pas les responsables d'une future Apocalypse.


— Je pense que tu devrais rester à ta place, femme. renchérit Romain, le plus jeune. Ce projet est une affaire d'hommes. Tu n'es qu'une première de la classe qui s'est retrouvée ici par pur hasard, dont le talent ne sera jamais reconnu. Retourne à tes expériences géologiques.


— Le palmarès de Violet en l'état est plus long et impressionnant que ne le sera jamais ta carrière. repris-je, frustré par l'attitude de l'homme. D'autant plus que sans elle, cela ferait déjà longtemps que vous seriez au chômage. Doit-on reprendre l'historique de l'évolution du projet avant et après votre arrivée pour montrer qui sont les points noirs de l'équipe ? Ou bien doit-on demander à tous nos collègues nous ayant quitté suite à votre arrivée ?


— Enfoiré… grogna le frère le plus jeune. Tu l'emporteras pas au paradis celle-là.


— Professeur Ryoko. enchaînai-je. Vous pourrez indiquer à vos supérieurs que vous avez mon consentement pour l'arrêt de ce projet. Peu importe les répercussions sur ma carrière. Si j'ai décidé d'exercer ce métier, c'est pour le bien des autres, j'assume donc totalement cette décision que vous avez prise et je vous supporte à 100 %.


— Bien évidemment, vous avez également mon soutien. approuva Violet sans se soucier de Romain une seule seconde. »


Alors que Ricky semblait frustré par ce que je venais de dire, le professeur quant à lui marqua un instant de surprise. Ses traits stricts s'adoucirent l'espace de quelques secondes, pour ensuite reprendre leur dureté habituelle. Il esquissa un léger sourire, apparemment satisfait par le fait d'avoir trouvé un soutien, aussi faible était-il. Il reprit la parole avec sérénité, devant Ricky qui était en train de rager, et son frère qui restait silencieux, l'air neutre.


« Merci pour votre soutien, docteur Namatame, ainsi que pour le vôtre, Docteur Leblanc. J'irai donc faire mon rapport dans la journée et nous mettrons un terme à ce projet. Ceci signera donc la fin de notre équipe temporaire, vous souhaitant le meilleur pour vos futurs travaux. Gardez toujours la sagesse pour guide dans vos décisions. »


Le professeur se retourna et sortit du laboratoire souterrain dans lequel nous nous étions logés. J'étais satisfait par la tournure de ces évènements, mais cela ne semblait guère plaire à Ricky Sawyer. Ce dernier serrait les poings, se mordait la lèvre… Il était au bord de l'éclatement. Il n'y avait pourtant plus rien à faire pour lui. Ryoko était le supérieur, il avait décidé de clore l'opération, tout était terminé.


Mais alors que je pensais cette histoire close, quelque chose d'inattendu changea les choses. Ce rebondissement me fit remettre en cause toute notion de logique provenant de notre hiérarchie.


Ce fut le lendemain que j'appris cette terrible nouvelle. Le professeur Ryoko avait demandé l'arrêt du projet, mais il s'était pris un sec refus de la part de nos supérieurs. Le projet devait continuer à n'importe quel prix, et s'il ne le faisait pas, quelqu'un d'autre le ferait. Le docteur Ryoko avait donc été contraint d'accepter le maintien de l'expérience Hakaze afin d'éviter que toute cette puissance ne tombe entre des mains moins sages telles que celles de Ricky Sawyer.


Cependant, alors que je pensais que ce combat contre la hiérarchie était terminé, je compris quelques jours plus tard encore que le docteur Ryoko n'allait pas s'avouer vaincu si facilement. Comme chaque matin, j'étais présent avant lui. Comme chaque matin, il vint me dire bonjour… Cependant, il avait pris une décision, cette fois. Je le voyais dans son regard déterminé et oppressé. Lorsqu'il prit la parole, il le fit en chuchotant, comme sachant que j'étais son seul allié dans toute cette folie hiérarchique.


« Soichiro. entama-t-il. J'ai essayé de dialoguer avec nos supérieurs hiérarchiques à propos de la fin du projet Hakaze. Cependant, aucun d'eux ne veut l'arrêter. Les frères Sawyer sont contre également.


— Votre réputation vous précède. répondis-je. Vous devriez pouvoir utiliser ce poids pour faire pencher la balance, non ?


— C'est ce que j'ai tenté de faire. Mais il y a eu un problème. J'ai appris que ce n'était pas notre gouvernement qui finançait nos recherches de développement sur le kvantiki, mais un partenaire commercial. En échange nous devrons partager notre technologie une fois acquise.


— Je vois. Je comprends pourquoi cette affaire vous échappe des mains depuis le début, et pourquoi ils ne veulent pas arrêter le projet. Avez-vous une idée de comment faire pour y mettre fin ?


— Je compte faire quelque chose de très grave pour empêcher le réacteur de surchauffer et entraîner avec lui la chute de la ville. J'aurai besoin de ton aide, Soichiro, mais à la seule condition qu'il ne faut absolument pas en parler à Violet. Nous ne la mettrons pas en danger, d'accord ?


— Je vous écoute. »


Le professeur Ryoko m'expliqua le plan qu'il avait en tête afin d'éviter la catastrophe. Le générateur principal étant le noyau de kvantiki, il était connecté aux autres par des câbles souterrains passant sous notre base et rejoignant une autre salle annexe à la nôtre. Le docteur Ryoko allait donc investir cette salle clandestinement et couper tous les câbles reliant le réacteur principal et le dispositif de transfert de l'énergie menant à chaque générateur. Cela aurait pour conséquence d'interrompre le trafic et ainsi éviter la surchauffe. Le scientifique avait besoin de moi pour créer une diversion occupant les frères Sawyer. Je devais utiliser n'importe quel moyen pour lui faire gagner une demi-heure, voir une heure avec un peu de luxe.


Cela effacerait trois mois de dur labeur, cela serait impossible à reproduire, mais c'était la solution pour préserver la sécurité au détriment de la soif de connaissances. En acceptant ce projet, je savais très bien ce qui m'attendait finalement : ma carrière était terminée, et les débouchées professionnelles pour le futur étaient également condamnées. Cependant, j'avais fait ce choix pour préserver ce qui me tenait à cœur, je n'avais donc aucune crainte sur l'avenir. Après tout, mon lendemain était déjà tracé. Ce choix, je l'avais fait avant même d'avoir vu la lumière du jour pour la première fois.


Nous mîmes notre plan en place. Ma diversion était classique, faire dérailler une expérience mineure afin de mobiliser Ricky et Romain, pour qu'ils soient occupés à la stabiliser avec moi, tandis que de son côté, le docteur pourrait couper le générateur depuis l'ombre. C'était une directive simple mais efficace à mes yeux.


Lorsque je fus donc seul avec Ricky et son frère, le docteur Ryoko put enfin procéder à son affaire. De mon côté, je tenais en suspens les deux scientifiques, clamant que je n'arrivais pas à faire fonctionner le panel de commandes électroniques que nous avions à notre disposition. Sachant que nous ne pouvions pas travailler convenablement sans ce panel, il était impossible d'ignorer ce problème. Nous ne fûmes donc pas trop de trois pour réparer ce souci étant majeur pour notre progression. Nous mîmes en tout deux heures à tout réparer. Satisfait par ma belle diversion, je jetai un œil au générateur. Cependant, contre toute attente, la température qui aurait dû baisser n'avait fait qu'augmenter, comme elle le faisait depuis le début. Le docteur Ryoko semblait avoir échoué dans sa quête. Je ne le revis même pas de la journée à vrai dire. Je ne savais pas où cela avait foiré, mais tout ce qui comptait était le fait que notre opération s'était soldée par un échec.


La situation du réacteur se dégradait de jours en jours. Je sentais que tout cela allait nous mener au chaos si rien n'était fait pour l'en empêcher. Était-ce mon rôle de faire quelque chose ? Je n'en savais rien. Après tout, le docteur n'avait apparemment pas réussi à tout stopper. Je ne l'avais même pas revu depuis ce temps. Je craignais qu'il ne lui était arrivé quelque chose, mais comme pour défaire mes doutes, je le vis paraître de nouveau en moi le lendemain, la mine brisée. Il ne vint pas seul ce matin-là. Notre supérieur l'accompagnait également. Ce vieil homme strict était le responsable de la ville et du projet Hakaze. C'était lui qui faisait pression à cause des partenaires commerciaux. Il était venu nous voir en personne pour faire éclater au grand jour la tentative du docteur qui s'était fait prendre en raison de caméras cachées dont même nous ne savions rien à propos.


Je compris à ce moment que nous étions piégés par ce système. Et j'eus très rapidement la confirmation lorsque le supérieur annonça la sanction prise à l'égard du professeur Ryoko. Son équipe n'était plus la sienne. Le docteur était déchu du projet Hakaze qui serait donc dès à présent à la charge de Ricky Sawyer. Mon ami fut renvoyé, ne laissant plus que moi, et Violet qui venait d'arriver en prenant le discours de cours.


Un échange rapide avec Ryoko nous mena à la conclusion qu'il fallait que Violet et moi restions au maximum pour maintenir le projet dans la zone de sécurité, et éviter d'ensevelir la ville. Ainsi, nous restâmes, ma fiancée et moi, sous la coupe des frères Sawyer.


Car nous n'avions plus aucun pouvoir, plus aucune légitimité, et plus aucun champ d'action étant donné que la sécurité était renforcée. Nous étions littéralement muselés. Tout ce que nous pouvions faire à ce niveau, c'était de contrôler au maximum la température du réacteur et voir l'étau se resserrer de plus en plus sur nos consciences. Nous ne pouvions qu'espérer que tout se passe bien. Je l'avoue qu'à ce moment, j'ai commencé à douter du lendemain.


L'inévitable se rapprochait de plus en plus et il atteignit le point de non-retour. Malgré tous nos efforts, l'attitude de Ricky et son frère allaient jusqu'aux limites à ne pas franchir. L'homme qui avait désormais le pouvoir était plus agressif et avide de succès que jamais il ne l'avait été. Il repoussait toutes les limites du générateur jusqu'à déclencher quelque chose que nous ne pûmes arrêter. Malgré tous nos efforts.


Le générateur principal s'emballa et atteignit les 1450 degrés. Un sifflement perçant se fit entendre. Ce bruit ressemblait à celui d'une cocotte minute, mais en beaucoup plus puissant et écrasant. Il nous donnait mal à la tête et écrasait notre audition, mais malgré tout, nous essayâmes moi et Violet de stabiliser la puissance afin d'éviter le pire. Mais alors que j'étais occupé à vouloir refroidir la puissance, je sentis quelque chose de derrière moi.


J'eus à peine le temps de me retourner que je vis ma partenaire Zéphyra se ruer sur moi. Elle m'attrapa furtivement avant de me saisir fermement et m'emporter au loin. Je ne compris pas immédiatement ce qu'elle venait de faire, mais j'eus ma réponse bien vite. Lorsque nous atterrîmes moi et mon amie dans ce qui semblait être un champ. Seuls dans cette nuit pluvieuse, nous étions désormais loin de mon laboratoire. Cherchant le lieu des yeux, je vis d'assez près ce qu'il se passait actuellement. Une grande colonne d'énergie violette émanait de notre centre de recherches, écrasant toute la ville au passage. Elle créa un large trait d'énergie qui balaya toute habitation, toute vie se trouvant sur son passage, allant même jusqu'à creuser la terre et scinder progressivement la ville en deux. C'était…C'était une catastrophe… La catastrophe que nous avions tant redouté… Celle contre laquelle nous avions tenté de nous battre…C'était la fin de tous nos espoirs…


« Jeune maître… entama Zéphyra, soulagée. Vous n'avez rien, je suis si heureuse.


— Zéphyra… murmurai-je. Où est Violet ? »


Pour toute réponse, la blonde apparut derrière moi, aux côtés d'Azéthys qui l'avait sauvée. Elle fut toute aussi stupéfaite que je ne l'étais lorsqu'elle constata les dégâts. Restant figée devant l'immense colonne qui emportait des tas de vies avec elle, elle bégaya quelques mots noyés dans les larmes lui coulant sur les joues.


« Non… Je ne voulais pas ça… Je…voulais simplement stopper… Cette chose…


— Ce n'est pas de ta faute Violet. dit Zéphyra, solennelle. Tes actions n'ont pas influencé l'explosion. C'est un facteur extérieur qui est à l'origine de cette surchauffe.


— Tes actions ? repris-je en braquant mon regard sur Violet. Qu'as-tu fait pour être dans cet état ?


— J'ai…J'ai augmenté la chaleur du réacteur au plus haut possible en espérant qu'il lâche avant d'atteindre la température fatidique indiquée par Ryoko… avoua Violet, honteuse. Je voulais simplement sauver cette ville… Je t'en supplie Soichiro, crois-moi !!


— Tu peux y croire, Shiro. enchérit Azéthys. Violet a tenté d'agir en contenant le générateur, mais Ricky Sawyer en a profité et a tout saboté pour mettre en pièces tous ses efforts. Le vrai responsable est Ricky Sawyer, et l'explosion est préméditée depuis un long moment. »


Violet s'écroula dans mes bras en hurlant sa peine et laissant ses larmes couler. Je l'étreignis de toutes mes forces, comme pour essayer de la rassurer, mais je savais au fond que c'était vain. Nous avions tout perdu, à commencer par notre idéal, mais aussi tout le pourquoi nous avions lutté ces dernières années.


J'étais complètement désemparé face à cette catastrophe. Nous l'avions vue venir, mais nous n'avions pas pu l'empêcher… Était-ce vraiment comme ça que tout devait se passer ? Était-ce vraiment une étape de ma vie à laquelle je devais faire face… ? Je n'étais plus sûr de rien…J'expérimentais pour la première fois de ma vie quelque chose à laquelle je n'avais jamais fait face : le doute. Je doutais de mes actes passés, de mes compétences, de l'implication dans ce projet… Toutes ces choses tiraillaient mon âme même qui semblait souffrir de l'intérieur. Mais je n'eus pas le temps de me poser davantage de questions. Zéphyra ma partenaire se rua vers moi pour me secouer. Lorsque je repris pleinement conscience, je m'aperçus qu'en cette nuit sombre et pluvieuse, une menace bien plus importante se préparait.


En effet, un homme apparut de nulle part dans un torrent de ténèbres. Il était d'un teint mat, ce qui m'empêchait de bien discerner son visage étant donné qu'il n'y avait que très peu de source de lumière. Il possédait des cheveux noirs qui se dressaient en nombre sur son crâne. Habillé d'une tenue ornée de lignes rouges, la couleur de ses yeux, l'homme semblait satisfait par tout ce chaos. Il regarda son œuvre, exprimant un franc rictus face à toute cette folie. Alors que je l'observais, il se retourna vers moi, laissant sa cape faire le même mouvement que lui. Lorsqu'il me notifia, il fut alors surpris par ma présence mais regagna vite son air désinvolte et empli de noirceur. Je me ressaisis, prenant la parole d'un ton sec face à la personne qui me paraissait être l'instigateur de ce carnage.


« Vous ! C'est vous qui avez fait ça !!?


— Jeune maître…m'interpela Zéphyra. Cet homme, c'est Ricky Sawyer. »


Je restai figé. Il était vraiment là, devant moi, ayant survécu. Il était vraiment en train de me dévisager avec mépris et satisfaction alors que le professeur Ryoko avait tout fait pour éviter cette folie. Cet homme, Ricky Sawyer, avait causé ce désastre.


« Je ne m'attendais pas à ce que tu survives, Soichiro Namatame, et encore moins toi, Violet Leblanc. Si cela peut vous rassurer, le professeur Ryoko se porte bien. Il est justement en train de pleurer sa femme que je viens de massacrer dans cette catastrophe. »


— Pourquoi avez-vous fait ça Sawyer !!!? Pourquoi avez-vous sacrifié tout le monde !!?


— N'est-ce pas évident ? rétorqua l'homme, métamorphosé. Le kvantiki est une puissance formidable, bien trop incroyable pour laisser des citoyens s'en servir comme simple source d'électricité ou de gaz. Vous avez peut-être l'idéal d'un monde équitable, mais je ne le partage pas, désolé.


— Vous avez fait tout ça pour le pouvoir… ? bégaya Violet, meurtrie.


— Oui. J'ai saboté moi-même l'expérience du début jusqu'à la fin. C'était amusant de détruire votre projet Hakaze pourtant sans faille depuis son commencement. Croyez-moi, ce fut la chose la plus gratifiante que j'ai faite depuis mon premier cours de chimie haha ! »


Je serrai les poings face à l'homme dont la cruauté ne connaissait aucune mesure. Ma partenaire Zéphyra, qui était à côté de moi, était toute aussi outrée par les propos que tenait l'homme. Nous prîmes notre décision à ce moment elle et moi. Nous allions lui faire payer le mal qu'il avait causé.


Je lâchai un « Crève, Sawyer !!!! » qui retentit dans la soirée ténébreuse et humide. Zéphyra se rua sur l'homme afin de l'attaquer, mais alors qu'elle se préparait à lui porter un coup qui allait être assez difficile à encaisser, ma partenaire fut stoppée par une force invisible nous empêchant de toucher l'homme lugubre et malsain. Ce dernier commença à rire face à nous. Il était apparemment satisfait par le fait que nous ayons essayé en vain. Il reprit la parole d'un ton sadique et excité.


« Haha… Je vois… Je suppose que je n'avais pas prévu que tu sois quelqu'un d'anormal, Soichiro Namatame. Cependant, tu as perdu d'avance cette bataille ! Il est temps pour moi de finir mon travail ! Goûte à la toute puissance que je viens d'obtenir ! Incarnation suprême de Lithemba : Araenae !! »


Zéphyra fut soudainement en alerte. La jeune femme revenue à mes côtés sentait un danger imminent arriver vers nous… Et je le sentais aussi. Mon cœur palpitait. J'avais des suées, tandis que la terre sous nos pieds tremblait comme jamais avant. Nous fûmes entourés par des espèces de flammes violettes qui définirent un périmètre duquel je ne pouvais sortir. Ces flammes d'énergie mauve ne brûlaient pas la végétation de cet espace de verdure, elles semblaient simplement servir de barrière d'énergie nous empêchant de nous échapper. Par chance, Violet était à l'extérieur. Je me mordis la lèvre, avant d'ordonner à Azéthys de la mettre à l'abri, ce qu'elle fit immédiatement, n'écoutant pas les protestations de ma fiancée.


Cherchant la vraie menace, je vis alors le sol s'ouvrir derrière Ricky. Une araignée immense de couleur noire se dressa derrière lui. Elle brillait d'une lueur rougeâtre qui s'incrusta également en elle par le biais de rayures brillant dans la nuit épaisse et sombre. Sans savoir jusqu'où s'étendait la puissance de l'insecte géant, je me préparais à faire face à l'homme, avec le consentement total de Zéphyra.


La bataille ne faisait que commencer…





Spoiler :


Je repensai à ce moment à toutes les difficultés que nous avions rencontrées durant les semaines précédentes. Toute cette accumulation de stress et de tension qui avait pesé sur mon cœur, celui de Violet, et du professeur… Tout ça pour voir aujourd'hui ce spectacle infâme en face de moi. La ville, ravagée par un seul et unique homme. Je ne pouvais pas tolérer qu'il ait détruit tout le pourquoi nous nous étions battus simplement pour du pouvoir. Je ne pouvais pas admettre qu'il avait sacrifié des vies pour ce résultat chaotique. Je ne pouvais pas me résoudre à ne rien faire.


Le cœur de ma partenaire Zéphyra se joignit au mien. Le dégoût que l'on ressentit ensemble ne forma plus qu'un sentiment de frustration palpable. Nous étions prêts à nous battre moi et elle.


Donnant le coup de départ, je me mis en route. Alors que Ricky pensait que j'allais attaquer moi-même, ce fut ma partenaire Zéphyra qui se lança dans la bataille. Elle se projeta sur le monstre fait de ténèbres, attendant mes instructions.


« Zéphyra, si on prend en compte la taille de l'araignée, j'estimerais qu'il est un monstre de catégorie 4, utilise le pouvoir de ton sceptre à 90 degrés ouest, tu auras exactement 5 secondes pour profiter du contrecoup.


— Bien, jeune maître. répondit solennellement ma partenaire. »


Zéphyra exécuta mon plan. Lorsque nous étions ensemble face à ce genre d'ennemis, j'étais la personne chargée d'analyser toutes les caractéristiques de notre adversaire afin de pouvoir dire exactement ce qu'il fallait faire à ma partenaire. Elle suivait mes conseils et pouvait ainsi attaquer et défendre de manière fluide et efficace. En suivant mes dires, elle put se ruer sur le monstre et lui asséner la puissance de son attaque constituée de flux lumineux éclatant. Tandis que l'insecte géant tenta de se débarrasser de la pression de l'offensive, elle continua à flotter, gravitant autour du monstre et lui assénant un coup supplémentaire. Ricky fut agacé par la tournure des choses. Il grimaça en insultant ma camarade. De mon côté, j'observais les moindres faits et gestes de la chose, analysant le moindre de ses mouvements.


Ce fut grâce à cette concentration sans faille que lorsque le monstre se déplaça vers ma partenaire, je pus lui indiquer l'instant précis auquel elle devait se reculer pour éviter des dégâts éventuels. Nous formions une bonne équipe elle et moi. Malgré le fait que je ne possédais aucun pouvoir, j'avais réussi à tirer le meilleur de celui de Zéphyra. Les combats de ce genre, en particulier ceux impliquant des Izrathiens, étaient bien plus techniques qu'il n'y paraissait. C'était d'abord et avant tout un accord entre les cœurs. Ce que Ricky n'avait pas.


Et cela se ressentit assez vite. Après tout, Zéphyra prit rapidement le dessus sur la créature de l'homme. Mais alors que je pensais avoir tout calculé pour tenir tête, voir détruire l'instigateur de toute cette folie, celui-ci fit un mouvement qui me surprit au plus haut point.


Alors que Zéphyra se rua, sceptre à la main, sur l'araignée de l'homme, cette dernière disparut dans une onde ténébreuse, se fondant dans la masse de ténèbres de ce soir-là. Je vis simplement un petit objet flotter à la place de l'araignée. Une sorte de talisman respirant les ténèbres. Il semblait pouvoir se mouvoir de lui-même puisque lorsque l'araignée évita l'attaque grâce à lui, elle put rapidement se déplacer pour réapparaître derrière Zéphyra et lui asséner un coup violent au niveau de sa poitrine, déchirant une partie de l'armure qu'elle portait au passage.


Je ressentis également les dégâts liés à cette bataille au plus profond de moi. Je sentis une douleur assez intense me traversant la poitrine, comme si j'étais la personne ayant encaissé le coup. Cela me fit fléchir, mais ce n'était pas suffisant pour me faire taire. Et Zéphyra non plus. Elle avait soif de justice, comme si un combat personnel se jouait pour elle aussi.


Lorsqu'elle se releva, elle repartit à l'assaut, encore plus déterminée qu'elle ne l'était déjà. Elle poussa un hurlement de guerrière que je rejoignis sans m'en rendre compte. Je la voyais se battre, les larmes aux yeux, contre l'araignée géante de Ricky. Tout comme moi. Nous étions tous les deux dans le même état psychologique. Nous étions les mêmes finalement, Zéphyra et moi. Nous étions deux de ces gens qui combattaient avec le cœur.


Et ce fut pour cette raison que de rester spectateur ne me suffit plus. Sans m'en rendre compte, je me rendis moi-même dans la bataille, affrontant à mon tour l'homme à mains nues. Tandis que mon monstre combattait le sien, je rassemblai mon courage, ma haine et ma tristesse pour affronter son propriétaire. Il n'avait aucun mal à repousser mes attaques, encore et encore, mais je revenais plus fort, toujours plus hargneux, toujours plus en rage.


Il me repoussa une fois, puis, deux, puis dix, souvent d'une seule main, souvent d'un seul doigt, mais je ne renonçais pas. Je n'étais qu'un simple mortel, sans pouvoir, mais j'avais la volonté de faire de ce monde un endroit meilleur. Et ce fut à la treizième tentative que mon poing toucha enfin le visage de l'homme au teint mat, le propulsant quelques dizaines de centimètres plus loin tellement j'y avais mis de la force. Sans me laisser troubler par mon exploit, je continuai à asséner des coups à mon adversaire qui ne pouvait riposter grâce à ma partenaire qui se chargeait de l'affaiblir de son côté. Plus je le frappais, plus mes sentiments devenaient forts. Ce n'étaient pas ces quelques gouttes de sang perlant sur mon front qui allaient m'arrêter, au contraire, elles forgeaient ma détermination.


Cependant, bien que les sentiments m'avaient offert de la force, la réalité de mon corps me rattrapa vite. Ricky, qui n'avait pas encaissé autant de dégâts que je l'aurais voulu, ouvrit la paume de sa main, laissant se former une source d'énergie mauve qu'il propulsa en plein sur mon visage. Ne pouvant éviter le coup à une si faible distance, je fus éjecté bien plus loin par l'attaque de l'homme des ténèbres. J'entendis Zéphyra crier un « Jeune maître !!! » qui résonna dans l'espace, tandis qu'elle continuait tant bien que mal à gérer la créature dont elle n'arrivait pas à se défaire.


Surpris par la puissance du coup, je restai un moment à m'élever dans les airs sans pouvoir reprendre mon équilibre. Je pensais à l'atterrissage qui allait être difficile à gérer pour m'en sortir indemne, mais la pression était trop forte, je n'arrivais pas à me ressaisir. Cependant, alors que je venais de mettre mes mains sur ma tête, voulant empêcher la collision de mon système vital, une lumière éclatante apparut de nulle part. Elle était aussi furtive qu'un éclair, venant rapidement et s'en allant.


Cette lumière apparut pour disparaître une fraction de secondes plus tard. Mais alors que je pensais avoir rêvé ou halluciné, je fus attrapé au vol par quelqu'un que je ne distinguai pas à première vue…


Lorsqu'elle me posa au sol, et prit position devant moi avec grâce et élégance. Elle afficha un sourire réconfortant. C'était elle, mon amie de toujours. Azéthys, la femme aux longs cheveux blancs et aux yeux bleus comme des saphirs. Azéthys, mon amie qui illuminait mon quotidien par sa seule présence. Azéthys, qui faisait partie des personnes comptant le plus pour moi, mais aussi pour Zéphyra. Lorsqu'elle prit la parole à mon intention, j'en oubliai presque l'urgence de la situation tant j'étais comme happé par ce qu'elle dégageait. Elle était comme une de ces muses qui vous inspiraient, c'était le pouvoir d'Azéthys. De sa voix aiguë douce et chaleureuse, sortirent des mots sonnant comme une symphonie dans mes oreilles.


« Jeune maître, je suis heureuse d'être revenue à temps. Votre fiancée est en sécurité. Permettez-moi de rejoindre ce combat avec vous. Je me chargerai de vous protéger, Namatame Soichiro.


— Vous ne comprendrez donc jamais… soupirai-je. Nous sommes amis. Inutile de me donner un titre quelconque. Azéthys, merci pour m'avoir sauvé. Nous allons gagner cette bataille pour l'espoir. »


Mon amie acquiesça, semblant réconfortée par ces quelques mots que je lui avais dit. Elle se retourna, laissant son expression paisible disparaître afin de laisser place à une guerrière intrépide, une alliée aussi brave que l'était Zéphyra. La jeune femme se lança dans la bataille aux côtés de ma courageuse Izrathienne, combattant toutes deux côte à côte tandis que je retournais de mon côté me battre avec l'homme. Mais alors que nous pensions que le nombre allait nous donner un avantage certain, nos espoirs furent détruits en deux temps trois mouvements. En effet, alors qu'Azéthys et Zéphyra réussirent à vaincre l'araignée qui s'écroula dans un torrent d'ombre, Ricky n'esquissait même pas une grimace de mécontentement. Je compris alors ce qu'il en était lorsque son visage afficha un sourire prononcé respirant les ténèbres.


Nous entendîmes un grognement résonnant dans tout l'espace de combat. Inquiètes, mes deux amies revinrent auprès de moi, nous préparant ainsi à affronter la situation. Cependant, avant que nous pussions réagir, une longue patte noire d'araignée sortit, puis deux, puis trois pour enfin laisser apparaître un monstre imposant devant nos yeux. Il était trois, non quatre fois plus grand que celui que l'on venait de vaincre. Le monstre semblait dégoulinant de boue, comme s'il provenait des entrailles même de la terre. Tout ce que l'on pouvait distinguer de la forme du colosse était deux grands yeux rouges perçants qui ne nous semblaient pas du tout rassurant.


Azéthys, la plus jeune des deux esprits, fut la plus téméraire. Elle ne se laissa pas intimider par la carcasse de la bête en face. Elle s'élança dans la bataille, ne se laissant pas stopper par mes cris de désapprobation. Le colosse souleva l'une de ses pattes nauséabondes pour projeter une attaque d'une puissance colossale. Une vague de ce qui semblait être du venin mélangé à l'ombre elle-même se dirigea sur Azéthys. Mon amie réussit à éviter l'attaque, mais se fit prendre par surprise par un nouvel ennemi derrière elle. C'était l'esprit de l'autre araignée qui était réapparu, il planta ses dents sur elle, marquant sur sa peau deux entailles avant de la jeter sèchement dans notre direction.


Je lançai un cri de surprise et de désespoir face à la situation. Tentant de rattraper ma partenaire au vol.


« Azéthys !!


— Impossible !! hurla Zéphyra, abasourdie. »


Je courus vers mon amie qui était projetée à toute vitesse. Sentant les larmes me monter aux yeux, je rassemblai toutes mes forces pour finalement bondir à mon tour en tentant de rattraper celle qui était venue pour nous aider. Je réussis à rattraper son corps, m'écrasant moi-même contre le sol quelques mètres plus loin. Je me relevai néanmoins tout de suite afin de vérifier l'état de ma partenaire. Je la posai sur le dos, vérifiant quelles étaient ses blessures. Elle avait deux entailles profondes inscrites au niveau des hanches. Ces entailles marquées de rouge étaient profondes et causaient un saignement abondant…


Ce n'était pas possible… Ce n'était pas possible… Non… Tout cela devait être un cauchemar… Je ne pouvais pas y croire… Regardant désespérément ma partenaire, je n'arrivais pas à réaliser l'ampleur de la situation. Zéphyra vint vers moi pour se placer devant nous, histoire de ne pas prendre une attaque pendant ce temps… Tandis que de son côté… Azéthys reprit connaissance. Lorsqu'elle ouvrit ses yeux bleus, elle laissa échapper des larmes. Son visage était crispé, déformé par la douleur de l'attaque qu'elle subissait… Cependant… Rassemblant ses forces, elle put me sourire, avant de reprendre la parole, d'une voix faible et hésitante.


« Jeune maître… bégaya la guerrière. Je suis désolée d'avoir été si faible… Je ne mérite pas d'être votre servante. Laissez-moi ici. Fuyez, et retournez auprès de votre fiancée.


— Tu me demandes l'impossible, Azéthys ! Je ne peux pas partir d'ici et te laisser. J'aime énormément Violet, mais je tiens à toi autant qu'à elle !


— De toute façon il est trop tard. reprit la jeune femme. Shiro. Mon cher et tendre Shiro. Je t'ai toujours aimé du plus profond de mon cœur, en tant que maître, mais aussi en tant qu'homme. »


Ce furent les derniers mots de mon amie avant de perdre connaissance. Je reposai sa tête contre terre, sur cette pelouse amochée par le combat, avant de me relever. Me retournant, je vis la triste vérité de ce soir. Zéphyra continuait à combattre la créature en face, tout en ne pouvant s'empêcher de verser toutes les larmes de son corps…A quel point…A quel point avais-je été égoïste… ? Pourquoi avoir entraîné mes amies dans ce combat… ?


Elles ne pouvaient pas finir de la sorte. Elles possédaient des rêves, des espoirs, des projets. Elles n'allaient pas périr à cause de mes erreurs !


Comme pour refuser cette évidence, je m'avançai vers le combat de Zéphyra qui peinait à maintenir l'endurance face à l'araignée en face de nous. Cette créature dégoulinante semblant repartie d'où elle venait, l'araignée rouge luisante était sur le point de finir mon amie. Cela se voyait. Alors que ma camarade était à terre, l'ennemie se rua sur elle, sûrement pour la mordre comme elle l'avait fait avec Azéthys.


Cependant, je ne pouvais me résoudre à perdre une autre de mes camarades. Dans un élan de courage, de folie, ou d'amour, je me ruai sur ma camarade pour la percuter, prenant in extremis sa place. Je pris donc l'attaque infligée par l'araignée, sentant la pression de ses crocs pénétrer mon abdomen. Je lâchai un cri de douleur qui résonna dans le décor sinistre de ce combat. Il n'était cependant rien comparé à la douleur que j'avais subie cinq minutes auparavant.


Tandis que l'araignée relâcha la pression de ses crocs, je m'écroulai à mon tour sur le sol devant les yeux écarquillés de Zéphyra. Elle fut choquée par ce que je venais de faire. Elle aussi lâcha un cri de rage au ciel. Je compris alors à quel point nos liens étaient précieux… Nous ne pouvions pas vivre les uns sans les autres, Azéthys, Zéphyra et moi. Ce fut la plus belle découverte de mon existence…


Alors que j'étais au sol, pas si loin d'Azéthys, Zéphyra se rua sur moi. Elle vint poser sa tête au-dessus de la mienne, ignorant l'ennemi qui avait stoppé son monstre. La partie était gagnée pour lui, il prenait donc le temps de regarder le spectacle de nos cœurs brisés. Zéphyra pleurait, encore et encore, tandis que j'essayais de rester conscient. Je ne voulais pas lui faire subir la même chose que je venais de vivre avec Azéthys. Je n'avais pas le droit… Mais il y avait plus urgent… Malgré les dires de Zéphyra, il y avait plus urgent…


« Jeune maître ! hurla Zéphyra. Qu'avez-vous fait !!?


— Zéphyra… répondis-je, essoufflé. Emmène Azéthys avec toi… De l'autre côté… Chez vous.


— Et vous laisser ici !? Avez-vous perdu l'esprit !? Pourquoi m'avoir sauvée, jeune maître !!? Pourquoi vouloir me condamner à vivre dans un monde sans toi, Soichiro !!?


— Parce que sans vous, la vie n'a aucun sens. Aucune saveur. Je vous aime. Emmène Azéthys, retrouve Violet, et partez loin d'ici. Mettez-vous à l'abri, et recommencez ailleurs. »


Je me relevai tant bien que mal, malgré mon corps saignant abondamment. Ignorant Zéphyra qui tenta de me stopper, je me mis devant elle, face à l'ennemi, déployant les bras. Je rassemblai une dernière fois mes forces pour parler à Ricky qui semblait apprécier le spectacle s'offrant à lui, toujours aux côtés de son monstre colossal.


« Ricky ! Si tu te débarrasses de moi… Ces filles n'auront plus aucune alternative pour venir ici ! Je suis ton seul ennemi ! Tue… Tue-moi ! Mais… Épargne-les !


— Jeune maître !!! hurla Zéphyra, au bout du rouleau. Je vous en supplie… Arrêtez ça !!!


— Zéphyra, par pitié… Ramène Azéthys et soigne-la…C'est…C'est un ordre… ! Tu dois m'obéir… Tu dois m'obéir… Tu es l'Izrathienne qui m'est liée !… Tu dois m'obéir en tant que telle ! Je suis ton maître et tu es ma servante, alors tu vas m'obéir ! »


Les larmes me montèrent de nouveau aux yeux. Je voulais qu'Azéthys soit sauvée, que Zéphyra ne risque plus rien, et que Violet puisse recommencer une vie ailleurs… Peu importe si je devais le payer de ma propre existence…


Je retins au maximum mes larmes tandis que j'étais de dos à mon amie. Je l'entendis sangloter, ne sachant pas quelle décision était la bonne… Elle se leva, se dirigeant vers Azéthys. Lorsqu'elle eut son corps entre ses mains, elle reprit la parole, essayant de masquer sa peine par de la dureté.


« Je reviendrai, jeune maître ! Soyez-en certain !!! »


Puis elle disparut comme elle était venue en emportant la plus jeune dans son monde. Lorsque leur départ fut confirmé… Je m'écroulai au sol, ne tenant plus sous le poids de mes blessures. Je regardai d'en bas Ricky Sawyer. Ce dernier rappela son monstre, ne jugeant sûrement pas nécessaire le fait de finir le travail en tuant quelqu'un qui était déjà mort. Personne n'allait m'aider ici, il le savait tout comme moi. Me laisser au sol était donc le moyen idéal de me faire souffrir jusqu'à l'issue qui allait être inévitable, ma mort. Il me tourna le dos, disparaissant dans la nuit. La dernière chose que je vis fus son ombre disparaître au loin, dans ce tableau macabre qu'était la catastrophe de ce soir. Je ne pouvais plus en voir davantage… Lorsque je fermai les yeux…J'étais conscient qu'ils ne s'ouvriraient plus jamais…


À ma grande surprise, je repris connaissance. J'étais allongé dans un lit dont les draps étaient blancs. Je me sentais très faible, aussi faible que je ne l'étais lorsque j'avais défendu Zéphyra plus tôt. J'étais incapable de bouger, ne laissant que mon regard discerner où j'étais. J'étais dans l'appartement secondaire que je louais comme pied à terre avec ma paie de scientifique. C'était dans ce deux pièces que je vivais avec Violet lorsque nous n'étions pas en mission. Il n'y avait plus grand-chose au sein de ces murs colorés de bleu, si ce n'étaient que quelques affaires personnelles que je n'avais pas amené sur mon lieu de travail. Je ne savais pas comment j'avais atterri ici… Tout cela n'était-il qu'un rêve ?


Comme pour avoir confirmation, je bougeai légèrement mon bras droit afin de passer ma main au niveau de mon abdomen. Je compris alors ce qu'il en était lorsque je sentis un épais bandage entourant toute ma taille et remontant jusqu'à mon thorax. Toute cette bataille avait bien été réelle.


Ma première pensée fut alors pour mes amies, Azéthys et Zéphyra. Qu'étaient-elles devenues après la bataille… Azéthys était-elle en vie… ? J'appelai Zéphyra pour le savoir. Je l'appelai encore et encore, attendant le moindre signe de sa part, mais elle ne me répondit pas. J'étais inquiet à propos de ce silence. Zéphyra m'en voulait-elle pour ce qui était arrivé ? Était-elle occupée à soigner Azéthys… ? Était-elle en train de…


Non. Je ne devais pas penser au pire. Je ne pouvais même pas bouger pour tenter quelque chose. La meilleure chose à faire pour le moment était de dormir. Mais alors que je voulus me reposer, je fus interrompu par une voix féminine provenant de la cuisine.


« Soichiro !! hurla Violet en se ruant sur mon lit de convalescence, en se retenant de pleurer. Grâce à Dieu, tu es vivant ! Je te pensais perdu à jamais. Je me croyais désormais seule et… »


Pour la rassurer, je passai ma main dans ses cheveux, cherchant au fond de son regard une raison à laquelle me raccrocher après un évènement si tragique. Cette nuit sombre m'avait ramené à l'essentiel : j'avais sous mes yeux un trésor inestimable qui valait bien plus que n'importe quelle découverte scientifique. Alors je bravai les interdits, ignorai mes blessures, ma douleur, afin de déposer sur les lèvres de ma fiancée un baiser passionné que je ne lui avais pas offert depuis le début du projet Hakaze.


Je me retirai lentement, mais sans que je ne m'en rende compte, le regard voilé par son émotion et ses cheveux désordonnés, Violet se saisit de mon visage pour m'embrasser langoureusement, avant de m'étreindre avec ardeur. Ses mains se baladèrent sur mon torse, évitant soigneusement les bandages soignant mes blessures, tandis qu'elle monta sur ma couche de convalescence.


« Violet… lâchai-je, faible. Je ne peux pas trop bouger dans ma condition…


— Ne t'en fais pas, Soichiro. me chuchota la femme d'une voix douce et sensuelle. Je vais prendre soin de toi, mon amour… »


Je me laissai emporter, laissant aux ténèbres les émotions faites de ténèbres. Nous nous étreignîmes comme deux amoureux, comme deux amants, comme deux fiancés. Nous redécouvrîmes chacun l'intimité de l'autre, comme nous ne l'avions pas fait depuis quelque temps. Comme pour oublier tout ce que nous avions vécu, nous réécrivions notre histoire, notre amour, en nous offrant entièrement l'un à l'autre.


« Dis, Soichiro… entama Violet qui, reposée sur moi, me caressait la poitrine du bout des doigts. Penses-tu encore que l'on puisse sauver le monde ? Je veux dire, là, maintenant, as-tu confiance en toi, en tant que scientifique ?


— Je n'ai plus aucune confiance en moi… lui avouai-je. Mais en toi, j'en aurai toujours, jusqu'à mon dernier souffle. Je sais que tu es capable de rebondir après la catastrophe. Tu en as les capacités, madame la meilleure élève de Rikoukei.


— Tu parles comme si j'étais meilleure que toi alors que tu me talonnais à chaque examen. rit ma fiancée. Tu te sous-estimes, Soichiro.


— Il n'empêche que tu as toujours été meilleure, c'est un fait. Et je suis un homme factuel. »


Violet m'étreignit une nouvelle fois, et nous nous endormîmes ensemble, en oubliant tout ce qu'il s'était passé. Tandis que je sentais ma conscience me quitter, je gardai une pensée qui m'empêchait d'apprécier pleinement l'instant : le sort de Zéphyra et d'Azéthys, dont je ne connaissais pas la situation.





Spoiler :


Je passai quelques heures de plus à reprendre des forces. Lorsque j'ouvris de nouveau les yeux, je sentais que ce qui m'avait alors paru une seconde avait duré quelques heures. Je le sentais en moi. J'étais désormais capable de bouger, d'articuler tous mes membres pour me tenir assis, et même me lever sans douleur. Violet n'était plus à mes côtés, étant sûrement partie chercher des vivres ou constater les dégâts de la ville, alors je devais aussi me renseigner à mon tour.


Le premier réflexe que j'eus alors fut de tirer les rideaux qui étaient à un mètre ou deux de mon lit afin de voir l'extérieur. La lumière du soleil m'aveugla, me prenant par surprise, mais je m'en remis vite.


C'était donc ça, le soleil. La vie continuait toujours, malgré la catastrophe à laquelle j'avais assisté. Cela eut l'effet de me réchauffer un peu le cœur. Ricky n'avait pas été plus loin qu'il ne l'avait été cette nuit-là, même s'il était toujours en liberté. J'avais le sentiment que nos chemins se croiseraient de nouveau un jour.


Émergeant de ma pensée, je repensai alors à l'urgence. Si la ville avait encaissé tous les dégâts possibles, il n'en était pas encore fini de Zéphyra et de Azéthys. Me rasseyant sur mon lit, j'appelai de l'intérieur Zéphyra, ma partenaire, de tout mon cœur, et cette fois, elle m'apparut. Elle se posta devant moi, juste à côté de mon chevet. Son teint lumineux et ses cheveux blancs étaient soulignés par la lumière du soleil. Le sourire qu'elle afficha en me voyant était aussi pur que celui d'Azéthys. Lorsqu'elle prit la parole, ce fut toujours de sa voix forte, mais emplie de soulagement cette fois.


« Jeune maître… Vous êtes en vie… Je… Je suis heureuse.


— Zéphyra…C'est toi qui m'as transporté ici, n'est-ce pas ?


— En effet, je vous ai promis que j'allais revenir. Je vous ai transporté ici et je vous ai appliqué les premiers soins. Grâce à mon pouvoir, j'ai pu vous soigner sans avoir eu recours à un médecin, moi qui ne peux communiquer avec ce monde.


— Je te serai éternellement reconnaissant, Zéphyra. repris-je, chaleureusement. Je te dois tout.


— Ceci devrait être ma réplique. Je n'oublierai jamais ce sacrifice, je resterai toujours à vos côtés, jeune maître.


— J'espère bien que tu resteras pour toujours avec moi… Si quelque chose devait t'arriver, jamais je ne pourrais oublier ça et vivre avec… Zéphyra… Je n'osais pas te le demander, mais il faut que je sache… Comment va Azéthys ? »


Le regard de la femme aux cheveux blancs comme neige se voila, tandis qu'elle se mordit la lèvre. Elle reprit avec tristesse, d'une expression altérée par le doute.


« Azéthys… Elle est actuellement en soins au sanctuaire céleste, à Izrath. Une équipe de médecins s'occupe d'elle, mais elle est toujours inconsciente. Elle n'est pour le moment pas en danger de mort, mais nous ne savons pas comment cela va tourner. Je reste à ses côtés le plus possible afin de l'accompagner.


— J…J'aimerais la voir… bégayai-je. Je voudrais m'assurer qu'elle va bien.


— Je vous emmènerai la voir lorsque vous pourrez, faites-moi confiance. En attendant, vous devez absolument consulter un médecin. Bien que j'aie pu éviter le pire en vous prodiguant les premiers soins, le venin de l'araignée vous a peut être causé des dégâts.


— Je m'assurerai de ça. Retourne auprès d'Azéthys, j'aimerais que tu restes à son chevet. Tu es la seule Izrathienne sur qui je peux compter pour m'assurer de sa sécurité.


— Je pense aussi que c'est la meilleure chose à faire. Je vous reviendrai vite, jeune maître. »


Zéphyra disparut de ma vision. Je me levais de mon lit afin de me préparer à me rendre chez le médecin du coin. Je mis du café à chauffer et allumai la télévision afin de constater les dégâts causés par cette catastrophe. Lorsque l'écran s'illumina devant mes yeux, je vis alors la terrible nouvelle. La ville avait vraiment été coupée en deux. Elle avait été découpée au creux même de la terre par la terrible explosion déclenchée par Sawyer. Je zappai les chaînes, tout le monde ne parlait que de ça. Il y avait déjà une conférence de presse dans laquelle un certain « Toshiro Kashiwagi » avançait le fait que le kvantiki était une source de catastrophe et qu'il fallait retourner à nos énergies primaires, gaz et électricité. Deux camps étaient en train de se créer : ceux qui pensaient que l'énergie quantique était une chose néfaste pour notre monde, et ceux qui pensaient qu'abandonner les recherches suite à la catastrophe serait comme bafouer la mémoire des victimes. Je m'arrêtai enfin sur le journal télévisé, écoutant les détails de cette sombre affaire.


« La catastrophe de la centrale de kvantiki de la nuit dernière a été dévastatrice. Tokyo et Yokohama ont finalement été séparés en deux par un immense tremblement de terre ayant déchaîné les océans. Une énorme vague s'est introduite dans l'épicentre ayant ouvert un cratère dans le sol, et l'a rempli afin de créer ce que l'on pourrait sans aucune exagération appeler « Le fossé aquatique de notre ville ». »


Je soupirai. Le monde entier avait les yeux braqués sur la catastrophe d'hier soir. Des tas de philosophes spéculaient sur le devenir de notre civilisation, ainsi que sur l'impact que cet incident allait avoir sur le progrès humain. Mais alors que j'essayais de rationaliser tout ça, la présentatrice me laissa livide.


« Passons maintenant à la conférence de presse tant attendue d'un des membres de l'équipe en charge du projet : monsieur Romain Sawyer. Ce dernier, premier rescapé retrouvé près de la centrale, va expliquer en détails, au monde entier, et en direct, les véritables cause de l'incident.


— Je vous remercie beaucoup. s'inclina l'homme que je redoutais alors qu'il s'installait sur l'estrade. Mes chers amis, prendre la parole en de telles circonstances m'émeut très fortement. Je ne chercherai pas à nous défendre. Nous avons échoué. Par notre faute, dans notre soif d'un monde meilleur, des tas d'hommes, de femmes, et d'enfants ont perdu la vie. Je pense notamment à la fiancée de mon très cher ami et collègue, le professeur Ryoko, ainsi qu'à ma propre mère, à qui je souhaite la paix dans l'autre monde. »


Je serrai les dents et les poings devant tant d'hypocrisie de la part de l'homme qui, derrière son frère, était le responsable de la catastrophe.


« Étant pour le moment le seul homme sorti indemne de cette tragédie… Je me dois de vous révéler ce qu'il s'est vraiment passé. La vérité pure et dure, sans le moindre mensonge. Vous, ainsi que toutes les victimes de cet évènement tragique… Vous méritez de savoir.



Je ne suis pas quelqu'un qui pratique la calomnie, surtout lorsque l'on parle d'une personne qui n'est pas physiquement présente, et qui est peut-être décédée à l'heure actuelle. Cependant, il faut mettre le doigt sur toutes les négligences lors de ces expériences pour le profit du plus grand nombre.


Notre équipe était divisée en deux camps : ceux qui voulaient protéger les citoyens en évitant tous les risques, et ceux qui étaient prêts à risquer la vie des hommes au nom du progrès. Nous avons entamé un bras de fer solide entre les scientifiques s'étant dispersés dans leur orgueil plutôt que dans leur projet initial. Finalement, malgré toutes nos précautions, à moi et mon frère qui n'est peut-être plus de ce monde… Nous avons échoué.


L'équipe des progressistes avait tout le soutien nécessaire, et une ancienneté suffisante pour pouvoir bafouer le serment que nous avons signé lorsque nous avons rejoint ce projet. Ils étaient prêts à tout pour signer de leur nom le brevet de l'invention, et nous avions finalement réussi à les ralentir dans leur course… Mais un des leurs prit les devants. »


Je réfrénai un goût de régurgitation provenant de mon estomac tandis que l'hypocrite déballait son texte semblant si finement préparé.


« Violet Leblanc. lâcha solennellement l'homme, me faisant rater un battement de cœur. Cette femme, pourtant si dévouée dans sa tâche, cet esprit brillant…a déjoué les règles de sécurité dans le dos du superviseur de l'équipe, mon frère, afin d'essayer de mener à bien son expérience en ignorant toutes les précautions que nous devions suivre. Cette femme pourtant si acharnée et méritante, s'est laissée emporter par l'orgueil et a entraîné dans sa chute toutes les victimes de cette nuit assassine… »


J'éclatai dans une rage folle, me laissant tomber sur les genoux. Je regardais, avec toute la haine du monde dans le cœur, les huées de la foule qui n'hésitait pas à insulter Violet, tandis que Romain Sawyer, lui disait de se calmer et de ne pas dire du mal de cette scientifique. Bien sûr, il prononçait ces paroles pour accentuer la haine sur ma fiancée, et cela avait son effet car toutes les personnes rassemblées en ces lieux s'agitèrent dans une cohue générale et non dissimulée.


Il fallait que je la retrouve. Elle était sortie, sûrement non loin, ignorant totalement ce qui se disait sur elle à ce moment précis. Si quelqu'un reconnaissait celle qui avait fait la une de tous les magazines en étant dévoilée comme l'espoir de la nouvelle génération de scientifiques, qui pouvait savoir ce qu'elle allait subir.


Je poursuivis le chemin que l'on m'avait tracé, dévalant les rues dévastées par le chaos qui régnait en Tokyo désormais coupé en deux. Finalement, au bout d'une vingtaine de minutes, je retrouvai Violet. Quelqu'un avait déjà donné l'alerte concernant sa présence, et la conférence de presse avait déclenché l'effet d'une bombe. Elle était déjà entourée de journalistes, ainsi que de la foule qui pleurait, hurlait, tentait de cracher sur son visage. Elle était recroquevillée, acculée, renfermée, tentant tant bien que mal de résister à cette cohue générale qui la visait comme étant la première cible.


« Poussez-vous ! hurlai-je. Je suis Namatame Soichiro, membre de l'équipe ayant déclenché la catastrophe d'hier soir ! Je répondrai à toutes vos questions !


— Soichiro… lâcha ma fiancée, interdite. Sais-tu au moins ce qu'il se passe ici !!?


— Chut. lui murmurai-je. Quoiqu'il arrive, il faut que tu acceptes tout ce que je vais dire, d'accord ? »


Elle acquiesça. Alors je me positionnai entre elle et les journalistes. La cohue cessa son activité pendant quelques minutes, comme en attente de ma version des faits. Je pris une grande inspiration. Mes jambes tremblaient, tandis que je ressentais les battements de cœur de Violet dont la poitrine était collée à ma colonne vertébrale.


« Les informations qu'a donné Romain Sawyer sont erronées. déclarai-je devant les journalistes. Violet Leblanc n'a jamais été la personne qui a déclenché cette catastrophe.


— Vous contestez les informations de monsieur Sawyer !? rétorqua l'un des journalistes. Quelles preuves avez-vous pour le contredire ?


— Une preuve ? repris-je. Vérifiez les registres. Cet homme n'était pas affecté à l'opération dans la nuit d'hier. Moi, j'y étais. Et je peux donc être formel sur le nom du responsable. »


Je lançai un regard furtif à Violet, qui était encore sous le choc face aux évènements auxquels elle faisait face. Je pris une grande inspiration. Afin de la protéger, j'étais prêt à tout, y compris à assumer ce que j'allais dire.


« Je suis la personne responsable de ce qu'il s'est passé hier soir. J'ai fait une erreur de calcul fatale qui a entraîné la surchauffe du flux de kvantiki et du réacteur. Madame Leblanc ici présente a tenté de rattraper mes dégâts, mais il était déjà trop tard. Je répondrai de mes actes devant n'importe quelle cour de justice, étant donné que vous qui avez perdu des proches, les avez perdus par ma faute. »


Il y eut un silence prenant dans l'assistance. Romain Sawyer avait désormais son coupable désigné. Il m'était impossible de dire la vérité sur cette histoire. Qui m'aurait cru à part Violet ? Alors étaler une vérité qui allait dans le sens de celle qu'attendait l'homme, c'était mettre plus de chances de mon côté pour laver le nom de Violet Leblanc.


Nous rentrâmes au terme de longues péripéties médiatiques. Violet était encore sous le choc de mes déclarations. Elle prit la décision de s'isoler afin de faire le point sur la situation que nous vivions elle et moi.


Je ne pouvais pas lui en vouloir. Je lui avais fait quelque chose qu'elle n'aurait jamais accepté volontairement, mais c'était pour le mieux.


Essayant de me changer les idées, j'allai prendre une douche froide. En retirant mes pansements, je vis que mes entailles profondes n'étaient plus que deux cicatrices doublées d'un hématome. Je ne saignais plus. Zéphyra avait décidément bien pris soin de moi, malgré le fait qu'elle était concernée par l'état de santé d'Azéthys. Comme pour laver mon esprit de tout ce qu'il s'était passé, je déclenchai le robinet d'eau glacée, laissant perler ce flux sur mon visage et ma courte chevelure. Au fur et à mesure que chaque goutte glissait le long de mon corps, je sentais la pression de mon cœur diminuer… Cela me faisait un bien fou.


J'y restai une vingtaine de minutes. Lorsque je sortis enfin de la cabine de douche, j'étais quelque peu ressourcé. Violet était partie, me laissant un mot disant qu'elle reviendrait du soir. Je m'habillai différemment, une simple chemise noire entrouverte au niveau du bassin et un jean de même couleur. Je n'étais plus un scientifique. Ma blouse avait été défigurée par les différentes attaques que je m'étais prises, et mon existence même dans le milieu n'était plus qu'une chimère. J'allais donc devoir vivre du quotidien, sans remettre en doute le lendemain.


Lorsque je sortis de chez nous, ce fut pour aller chez le médecin. Il y avait un toubib sympathique dans ce quartier que je consultais régulièrement. Il était un homme qui avait la trentaine, cinq ou six ans plus âgé que moi. Déjà bien avancé dans le chemin de la vie, ses yeux vert foncé portaient quelques rides qui marquaient un vécu assez difficile. Il gardait ses cheveux courts en toute circonstance, estimant que regarder une personne droit dans les yeux sans être gêné par une mèche ou une frange était la base de la communication. Il était devenu mon médecin traitant et mon ami. Je pouvais lui parler de beaucoup de choses, il me répondait toujours sincèrement, quitte à ne pas faire dans la dentelle.


Lorsque j'entrai dans son cabinet, je vis qu'il n'y avait personne, comme d'habitude. Peu de personnes fréquentaient ce médecin, car il avait l'habitude d'afficher une franchise prononcée doublée d'un profond manque de tact. Il estimait que connaître exactement la source des problèmes était la première étape de la guérison d'un patient, mais beaucoup de monde n'aimait pas cette réalité, donc ils s'abstenaient. Pourtant, la rumeur disait que le docteur avait déjà été contre la législation pour sauver la vie d'une patiente. On disait qu'il avait accouché clandestinement la femme par césarienne sans avoir un quelconque brevet juste pour préserver sa vie et celle de l'enfant. C'était un homme formidable si on prenait le temps de le connaître. Il arriva quelques minutes plus tard dans la salle d'attente.


« Ah, Soichiro tu es là. Entre donc mon ami. »


J'entrai dans la salle de soins du médecin. Tout était vraiment banal à l'intérieur. C'était un espace de consultation classique. Il m'invita à m'asseoir et fit de même, il joignit ensuite ses mains qu'il posa sur son bureau, me questionnant avec entrain.


« Voici donc le fameux responsable de la catastrophe nucléaire qui a rasé la moitié de la ville haha ! Je soigne des célébrités dis donc ! Je vois que tu es venu en jean et chemise. Tu as une pathologie neurologique, je demande un internement !


— Je suis venu pour une simple auscultation à vrai dire… soupirai-je en souriant. Je voudrais vérifier que tout est opérationnel chez moi après ces choses d'hier.


— Je vais tout scanner de mon œil de lynx sur le champ ! répondit-il joyeux. Excepté ta tuyauterie, je laisse le soin à madame de vérifier par elle-même haha !


— C'est déjà vérifié. le taquinai-je d'un faux air machiste. C'est la première chose que j'ai testé crois-tu.


— Et sinon, lâcha-t-il naturellement, c'est vraiment toi qui as merdé à la centrale ou tu as couvert ce Sawyer pour protéger Violet ?


— Tu connais déjà la réponse. soupirai-je. Tu es un homme de sciences. Tu sais qu'un tel scandale l'aurait mise sur la paille dans la profession.


— Et malgré tout, tu l'as couverte. Eh bien, quel homme. Rappelle-moi d'accoupler mes enfants aux tiens quand tu auras mis une brioche au four ! »


Je souris en lâchant que jamais je ne donnerai le moindre de mes enfants à l'un des siens de mon vivant. Il sortit son matériel, me rétorqua qu'il sentait que nos familles s'uniraient un jour, ce que je réfutai. Penser à ça me fit me détendre tandis que je me faisais examiner par l'homme de soins. Il prit ma tension, écouta battre mon cœur, regarda l'état de mes yeux et de mes oreilles. Cependant, lorsque il me demanda d'enlever ma chemise, les marques du combat d'hier le firent tilter. Il reprit la parole d'un air plus sombre, allumant une cigarette à l'intérieur de son propre cabinet.


« Ton accrochage d'hier, tu m'expliques ce que c'est ?


— C'est très difficile à expliquer, Shinichi.


— Tu sais que je suis toujours le seul qui croit à toutes tes histoires plus folles les unes que les autres. Raconte à tonton Yamada.


— Tu n'en loupes pas une. souris-je. Enfin. Hier j'étais en train de travailler à la centrale, pour tenter de stabiliser le dernier réacteur, c'est celui qui est devenu hors de contrôle et a explosé. Par… Par chance je pus en sortir indemne, mais un des autres scientifiques en ressortit vivant également. Il a saboté l'expérience pour gagner une puissance phénoménale et a essayé de me tuer par la morsure d'une espèce d'araignée qu'il a réveillé. Je m'en suis tiré avec cette blessure seulement, mais j'aimerais savoir s'il y aura des répercussions sur ma santé et mon métabolisme, mais aussi et surtout si je peux contaminer Violet d'une quelconque manière.


— Je vois. réfléchit le docteur en se frottant la barbe. À première vue, tous tes signes vitaux ont l'air opérationnels. En toute logique tu ne devrais pas être contagieux. Je vais cependant te prescrire une prise de sang, je compte sur toi pour t'y rendre afin de voir si l'araignée a causé des dégâts. En attendant, n'essaie pas de coucher avec qui que ce soit ! Imagine, si tu viens à tisser une toile d'araignée dans l'engouement ! Cela serait affreux !


— J'aurais pu me passer de ce genre de conseil je pense. m'empourprai-je. Mais je te remercie pour ton aide, mon ami.


— C'est mon travail espèce d'idiot. Enfin… Maintenant, que vas-tu faire, Soichiro. Tu as des projets ?


— À vrai dire je n'en sais rien. repris-je, évasif. Mon laboratoire a été détruit. J'ai pris les conséquences des actes de Sawyer, et au vu de la catastrophe je ne pourrai plus exercer. Une de mes amies est encore entre la vie et la mort…C'est calamiteux. Par chance, j'ai quelques loyers d'avance, donc je vais pouvoir me retourner, et puis j'ai quelques économies. J'ai pu empiler les salaires. Vu les horaires que je faisais, je n'avais plus le temps de dépenser haha !


— Fais gaffe, ça part vite le fric, surtout quand tu as une femme. soupira l'homme, dépité. Tu ne peux pas savoir combien me coûtent Mélissa et Laïla. Si tu veux faire des économies, évite les demoiselles crois-moi.


— J'y penserai. souris-je. Bien, je vais te laisser. Combien je te dois ?


— Rien du tout. Je prends les consultations gratuitement en raison de la catastrophe. Je n'aime pas établir un business sur ce genre de tragédies. Mais finalement, même gratuit, personne ne vient. Enfin. On ira boire un coup quand tu seras d'attaque !


— Tu dis ça alors que tu sais qu'aucun de nous deux ne touche à l'alcool.


— Je connais un très bon cidre ! Un alcool de dur ! rétorqua fièrement mon ami. Et on en parle de cette soirée où tu as fini ivre en buvant du jus de raisin ?


— Il avait fermenté toute la soirée… grognai-je honteux. Ce n'est pas cool. Si c'est comme ça je me casse. »


Je fis un signe de tête à mon ami qui était désormais à son bureau, les pieds sur la table, en train de fumer une cigarette. Il me le rendit de sa main tandis que je sortis de son cabinet. Je devais donc faire une prise de sang pour connaître les dégâts de l'araignée. Pour être honnête, cela ne me touchait pas du tout. Je n'étais pas préoccupé par mon propre sort. Azéthys me préoccupait bien plus. Je voulais avant tout savoir ce qu'il était advenu d'elle pour la voir enfin rétablie au plus vite. Je voulais la rappeler à mes côtés, rire de nouveau avec elle et Zéphyra, partager des choses avec elles…au moins les revoir.


Je n'appelai pas Zéphyra pour le reste de la journée, pensant que la déranger en ces temps difficiles n'était pas la meilleure option à suivre. J'allai donc faire quelques courses pour remplir le réfrigérateur pour cuisiner du soir. Un repas sophistiqué pour Violet, quelques légumes, quelques canettes de soda, et j'étais prêt pour la soirée.


Et la nuit arriva vite. Après tout, j'avais repris connaissance à midi, ce qui avait déjà réduit ma journée de moitié. Lorsque je rentrai chez moi, je m'assis dans mon lit, sortant une canette du sac que je ramenais pour regarder les informations. Je voulais savoir exactement ce qui était dit dans les médias, jusqu'à quel point les citoyens étaient désinformés. Tout le monde paraissait et exprimait des discours de soutiens aux familles des victimes, même notre supérieur qui était la même personne nous ayant poussé jusqu'au bout de cette opération suicidaire.


Mais alors que je regardais la télévision. Sans que je ne l'appelle, Zéphyra vint me voir. Elle semblait vraiment triste. Elle affichait un sourire forcé pour masquer les larmes qu'elle ne voulait pas laisser couler. Je sentais vraiment que quelque chose de lourd pesait sur son cœur, et cela m'inquiéta. Sans lui laisse le temps de prendre la parole, j'entamai le dialogue avec insistance.


« Zéphyra… Comment va Azéthys… ? »


Pour seule réponse, la femme détourna les yeux. Je réalisai alors ce que ma partenaire voulait dire : il était arrivé malheur à Azéthys. Cherchant de quelle nature était ce malheur, redoutant le pire, je repris la parole, voulant faire parler Zéphyra pour qu'elle calme ma douleur.


« Zéphyra ! Comment va Azéthys !?


— Elle… Elle est encore vivante… Mais n'en a plus pour très longtemps… Jeune maître, Azéthys va mourir.


— Mourir… !? Zéphyra, c'est impossible !


— Son état ne s'améliore pas… Séradiel vient toutes les six heures pour l'ausculter et me donner son diagnostic… Elle va revenir d'ici vingt minutes mais… Je ne veux pas écouter la vérité… Je ne peux pas m'y résoudre… Azéthys va mourir…


— Je refuse, emmène-moi la voir ! Zéphyra, c'est un ordre ! »


Devant ma préoccupation, Zéphyra me dit de fermer les yeux afin de m'emmener droit dans Izrath. Je fis ce qu'elle me dit, la sentant me transporter ailleurs. Cela ne me faisait pas mal, mais je me sentais comme me faire aspirer par la destination de notre voyage.


Lorsque je rouvris les yeux, j'étais dans une salle de consultation exactement comme celle de Shinichi Yamada, à l'exception près que les patients étaient transportés par une équipe de petits elfes flottants qui s'y mettaient à plusieurs pour déplacer un brancard. Sur le lit qui était au milieu de l'espace, je vis Azéthys, inconsciente. Elle était allongée, simplement vêtue d'une toge, le visage crispé par la douleur. Je m'avançai vers elle, soulagé de pouvoir enfin la voir, même si elle n'était pas rétablie. Je passai ma main sur son front qui était brûlant, comprenant alors que l'urgence nous faisait face.


Je restai quelques dizaines de minutes au chevet d'Azéthys, lui disant en boucle combien j'étais désolé et combien je voulais qu'elle revienne à mes côtés. Zéphyra restait à côté de moi, voulant me soutenir dans cette épreuve, mais elle ne trouva pas les mots pour le faire. Elle partageait ma peine après tout. J'aurais même dit qu'elle souffrait encore plus que moi, alors que j'étais déjà déchiré de l'intérieur.


Une porte s'ouvrit. Une femme rousse à lunettes entra. Elle était munie d'un stylo et d'un large bloc-note qu'elle collait contre ses hanches couvertes par une tenue d'infirmière. C'était Séradiel, l'infirmière en chef du sanctuaire céleste. Elle s'avança vers nous et ausculta Azéthys une nouvelle fois. Elle lui fit les mêmes examens que j'avais subis quelques heures plus tôt. Regardant ses notes, elle revint vers nous avec un nouveau diagnostic.


« Bien. Je suppose que je peux parler devant cet homme, Zéphyra ?


— Bien sûr, il est un ami proche… Qu'en concluez-vous, Séradiel ?


— Son cas est très grave. Sur un humain, le venin de l'araignée n'aurait aucun effet néfaste, car le sang d'un homme purifie lui-même les bactéries à petite échelle pour en refaire du nouveau. Cependant, ici notre cas est différent. Azéthys a été infectée. Nous avons essayé de lui administrer des antidotes adaptés aux fées de son espèce, mais nous n'avons pas pu améliorer son état. Son organisme ignore littéralement tous les remèdes que nous lui donnons. À l'heure actuelle, il ne me reste que quelques heures pour tenter de sauver Azéthys. Le poison de l'araignée est en train de transformer son métabolisme, cela va entraîner sa mort.


— Ê…Êtes-vous sûre, Séradiel ?


— Je ne me suis jamais trompée dans mon verdict. rétorqua l'infirmière, compatissante. »


Je fus choqué par cette nouvelle. Était-ce vraiment la fin… ? Devions-nous regarder Azéthys mourir sans rien faire ? Je ne pouvais pas imaginer que ce soit le cas… Et si je n'avais pas encore rempli le rôle qui m'était attribué… ? Et si j'avais raté le coche de mon chemin tout tracé et qu'à cause de ça mon amie était en train de rendre son dernier souffle par ma faute… ? Et si… Et si j'étais responsable de sa mort… ?


Je ne pouvais même pas envisager le fait de continuer ma vie normalement si Azéthys n'était pas avec moi. Et je n'étais pas le seul à le penser. Je ressentais la frustration de Zéphyra qui était à côté de moi. Avec les derniers évènements, les cœurs de ma partenaire et moi battaient comme un seul, si bien qu'il ne fallut que quelques mots pour déclencher ce qui allait être un événement indélébile pour Izrath.


« Zéphyra, il ne nous reste plus qu'une solution. Si je fais ça, je peux compter sur toi ?


— Tant qu'Azéthys est sauve, je suis prête à tout, jeune maître.


— Je te promets que si on arrive à la sortir d'ici, nous ferons tout pour la sauver de l'autre côté. Je ne suis qu'un humain, mais je te donne ma parole d'homme, Azéthys en sortira vivante. Fais-moi confiance, Zéphyra.


— Je vous fais confiance… Jeune maître. Parce que… Je vous… Nous sommes amis, Soichiro Namatame. »


Nous échangeâmes moi et Zéphyra un regard complice. Je m'approchai d'Azéthys et la sortit de son lit sous l'œil interloqué de l'infirmière. Elle me cria dessus, me sommant de repositionner mon amie sur sa couche, mais avant qu'elle ne se rende compte de quoi que ce soit, Zéphyra utilisa son pouvoir pour projeter une source de lumière puissante qui plaqua la rousse à lunettes contre le mur, faisant tomber sa monture au passage. La femme étant assez faible, elle ne put opposer aucune résistance. Trop faible pour se relever, elle remit sa paire sur son nez, prenant la parole avec faiblesse.


« Que… Que faites-vous… ? bégaya-t-elle.


— Nous emportons Azéthys avec nous. repris-je déterminé. Je suis désolé pour les dégâts occasionnés, mais je sais pertinemment que vous ne m'auriez pas laissé partir avec elle autrement.


— Je comprends. sourit-elle d'un air triste. Les humains sont comme ça, irrationnels. Mais si je ne peux pas la sauver, vous ne pourrez pas…


— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir. Je tenterai tout jusqu'à la dernière seconde, parce que je ne peux pas faire autrement. Cette femme est précieuse pour moi, et elle l'est pour Zéphyra.


— Je vois… murmura Séradiel. Puisse votre espoir être récompensé… Je suis de tout cœur avec vous… »


M'excusant une dernière fois à la femme de soins, je sortis de l'hôpital d'Izrath avec Azéthys sur les épaules. Zéphyra m'accompagnait également. Notre plan : retourner dans le monde des hommes et utiliser toutes les ressources de la médecine humaine pour sauver notre amie. Ce fut avec les cœurs battants à l'unisson, sur la même note, que nous ressortîmes du sanctuaire céleste, déterminés à remplir notre rôle dans le livre de notre vie, à jouer notre partie de l'acte, pour que l'une des actrices ne se retire pas prématurément…





Spoiler :


Alors que je portais Azéthys, j'avais bien conscience qu'il ne nous restait plus beaucoup de temps avant que mon amie ne rende son dernier souffle. Aux côtés de Zéphyra, je courais, encore et encore, jusqu'à sortir du bâtiment dans lequel se trouvait mon amie avant notre escapade. Une fois que nous fûmes sortis, nous pûmes nous téléporter dans notre monde. Je ne compris pas pourquoi Zéphyra ne pouvait pas le faire dans la pièce où nous étions de base, mais elle me répéta simplement que c'était mieux ainsi. Sans prêter davantage attention à ce problème, je me laissai transporter.


Nous revînmes au point de départ. Nous étions chez moi, à la même heure à laquelle j'avais quitté mon logis pour aller aux côtés d'Azéthys. Ne sachant pas quoi prendre pour faire face à la situation, je sortis tout simplement sans même vérifier derrière si la porte était bien fermée. Je dévalai les rues, encore et encore, sous la pression de la présence de Zéphyra qui ne pouvait plus rien à partir de ce moment, étant donné qu'elle n'avait pas d'enveloppe charnelle. Cela soulevait d'ailleurs un autre mystère. Comment avait-elle fait pour me ramener dans mon lit alors que j'étais inconscient ? Me posant cette question à l'intérieur de moi-même, j'obtins une réponse quelques secondes plus tard. Elle avait pris possession de mon corps l'espace d'une heure ou deux.


Ce fut ainsi que je me retrouvai à dévaler les sombres rues de Yokohama, sous la pluie, avec ma partenaire sur mes épaules. Je n'avais plus grand-chose à perdre. Si j'échouais aujourd'hui, c'était la vie d'Azéthys, celle de Zéphyra, mais aussi la mienne que j'allais briser. Ce fut sur cette pensée que je sentis mon corps bouillir d'inquiétude, de colère, de rage…


Au bout de quelques dizaines de minutes de course, j'arrivai enfin à mon objectif. Le cabinet du docteur Yamada qui était fermé. Je savais qu'il allait être clos, mais également que le médecin habitait juste à côté de son lieu de travail. Portant mon amie, je me ruai donc au logement de l'homme, une petite baraque assez miteuse, avant de taper sur la porte de toutes mes forces.


Je frappai, encore et encore, sans obtenir la moindre réponse. Si le docteur était absent ou occupé, je n'aurais aucune alternative pour soigner mon amie. Je commençais à avoir peur. Paniquer devant la route que j'étais en train d'emprunter. Et si… Et si c'était écrit que Azéthys devait périr ce soir… ?


J'écarquillai les yeux en ressentant l'effroi apporté par cette pensée. Était-ce vraiment là la décision de Dieu… Qu'Azéthys meure… ? Qui étais-je pour prétendre pouvoir changer le livre de ma vie ou de celle d'Azéthys… ? Comment un simple mortel pouvait aller à l'encontre de sa destinée… ?


Je m'écroulai au sol, portant toujours ma partenaire. La chaleur de son corps ne pouvait réchauffer le sentiment glacial qui me traversait. Si Azéthys devait partir, cela allait être impossible que j'y survive. Elle était très précieuse. Bien trop même.


« Bonsoir ! entama une voix féminine sortie de nulle part. Inutile de taper comme un fou à la porte, nous étions occupés ! »


Je fus interrompu par cette voix féminine et chaleureuse, provenant sans doute d'une femme plus jeune qu'était le docteur. Je me relevai rapidement, retrouvant un semblant d'espoir dans mon objectif. Lorsque je la considérai, je constatai qu'elle était en effet plus jeune que moi. Elle était assortie à l'homme de soins, arborant un air peu farouche sur son visage souligné par deux yeux bleus assez expressifs, alors que sa longue chevelure était assez soignée. Lorsqu'elle posa son regard vers moi, elle comprit alors le caractère d'urgence de la situation. Elle entra chez elle, me criant de faire de même sans se préoccuper du fait que j'étais dégoulinant, avant d'interpeller son mari qui était dans la chambre conjugale.


Lorsqu'il descendit, il était en pyjama. Il fut surpris de me voir, mais encore plus de constater ce que je lui ramenais. Je pouvais le comprendre. Après tout, c'était difficile d'imaginer que j'allais lui apporter une jeune femme entre la vie et la mort, habillée en toge, et ça au beau milieu de la soirée. Il ne posa cependant aucune question et m'invita à le suivre dans son cabinet, sans même prendre le temps de s'habiller convenablement au préalable.


Nous sortîmes ensemble du domicile familial pour nous rendre dans le cabinet qui était à deux pas. Lorsque Shinichi pénétra son lieu de travail, il alluma rapidement toutes les lumières et m'invita à poser Azéthys sur la table de consultation. Je m'exécutai, déposant doucement mon amie pour éviter de l'amocher davantage. Lorsque ce fut fait, il put se pencher vers elle pour l'examiner, me posant des questions au même moment.


« Bien Soichiro. entama Shinichi, en se grattant la barbe. Explique-moi en détails TOUT ce que tu sais sur cette fille.


— Cette fille n'est pas une humaine. Elle est une fée provenant d'Izrath, la dimension du kavantiki. C'est elle qui m'a sauvé de la catastrophe en me transportant in extremis hors de la centrale kvantiki dans laquelle nous nous trouvions. Elle s'est battue contre le même monstre que moi, et a subi les mêmes dommages. Cependant, contrairement à moi, elle ne s'en remet pas. La médecine des fées n'a aucun résultat sur elle, comme si son métabolisme ne réagissait pas aux divers antidotes… Au contraire, son organisme ne fait que se détraquer au fil des jours.


— Et tu me ramènes un cas pareil. grogna le médecin, déconcerté. Par pitié Soichiro… Je suis généraliste…


— Tu m'as dit que tu croirais tout, Shinichi. Imagine-moi raconter ça à n'importe qui d'autre sans finir interné dans un hôpital psychiatrique avec la mort de cette femme sur la conscience ? Je t'en supplie à genoux, tente de faire quelque chose…


— Il y aurait bien une solution… bégaya mon ami en évitant mon regard. Mais… Non, je ne peux pas faire ça, je n'en suis pas capable.


— Mais si voyons ! rétorquai-je en retrouvant un peu d'espoir. Tu en es capable !! Tu es le seul qui peut changer le destin de cette femme.


— Écoute, j'ai beaucoup d'estime pour toi, mais tu m'en demandes trop. Je ne veux pas être responsable de la mort de cette personne. »


Je me prosternai devant l'homme, à genoux. Face contre le sol. À ce moment précis, la fierté m'importait peu. Rien n'avait d'importance, si ce n'était le sort de mon amie.


« Je t'en supplie. Violet est détruite par cette affaire, des tas de civils ont perdu la vie… Et si tu n'interviens pas, Azéthys est condamnée. Je sais que tu n'es pas qualifié et que tu peux échouer… Mais le Shinichi que je connais a accouché clandestinement une femme pour sauver son enfant. Même si tu échoues, tu n'auras pas de sang sur les mains, car sans une tentative, elle mourra. »


Le médecin me regarda d'un air désemparé. Il ne savait pas vraiment quel choix faire. Pourtant, chaque minute qu'il passait à prendre sa décision était capitale pour l'avenir d'Azéthys. Il tenta de fuir mon regard pour éviter la pression en provenant, mais il n'eut pas le courage de refuser une telle demande. Il soupira, souriant, avant de murmurer un « dans quels draps je suis en train de me foutre… », puis, sans aucun mot, il se retourna pour aller chercher du matériel dans son arrière salle. Lorsqu'il revint, il avait ramené des machines que je ne connaissais pas. Il reprit la parole, cette fois en affichant un sérieux inébranlable. Il était redevenu le praticien de renom dont les rumeurs parlaient : Shinichi qui ne recule devant aucun obstacle pour protéger une vie humaine.


« Je vais commencer par administrer un antidote d'urgence à ton amie. Je ne pense pas que cela détruira le venin, mais cela aura au moins pour effet de nous faire gagner du temps. Je vais ensuite t'installer un brancard et t'administrer une anesthésie totale. Je ferai de même pour ton amie.


— Moi aussi ? répondis-je. Tu vas m'utiliser dans les soins ?


— Je vais faire une transfusion sanguine. Pour t'expliquer, il s'agit de prélever une partie de ton sang pour le mélanger au sien, et ainsi dissoudre au maximum le poison qu'elle a ingéré. Étant donné que ton organisme lui-même ne semble pas avoir été contaminé aussi fortement qu'elle, j'ose espérer que cela suffira à purifier celui d'Azéthys.


— Je vois… Je n'ai rien à dire. Je vais me préparer.


— Bien. J'administre l'antidote et j'amène le brancard. »


Sans rétorquer, je déboutonnai ma chemise dégoulinante et me préparai à offrir mon corps afin de tenter de sauver mon amie. Je savais très bien les dangers reliés à une telle opération. Le mélange de sangs incompatibles, les risques liés à l'anesthésie totale…J'avais connaissance de tout ce que cela impliquait. Pourtant, je ne pouvais pas reculer après être allé si loin. Je faisais confiance au docteur Yamada, j'avais confiance en le fait qu'il allait faire tout ce qui était en son pouvoir.


Lorsqu'il me ramena le brancard, je montai dessus et m'y allongeai sans rechigner. Il prépara la piqûre anesthésiante qu'il allait faire pénétrer en moi. Nos regards se croisèrent, le sien était marqué par un profond doute, par une profonde sensation d'urgence. Je pouvais le comprendre, il n'était qu'un homme. Il reprit la parole d'un air aussi sombre que tout à l'heure, me demandant une dernière confirmation.


« Pas de retour en arrière, Soichiro ? me questionna-t-il, laissant un malaise.


— Aucun retour en arrière, Shinichi. repris-je avec détermination. N'hésite pas. Je crois en toi. »


L'homme planta la seringue dans ma peau, me laissant ressentir le liquide froid pénétrer tout mon être. Alors que je me sentais déjà perdre connaissance, le docteur posa une sorte de masque qui adhéra à mon nez et tout autour de ma bouche. Je sentais que l'on m'envoyait de l'air, mais je ne sentis rapidement plus rien. Tandis que Zéphyra était présente, je fis une dernière et brève prière, avant de me laisser aller totalement jusqu'à perdre connaissance.


Je me réveillai dans la nuit, alerté par quelque chose. J'étais encore sous l'emprise de l'anesthésie, je le sentais. Mes membres ne bougeaient plus, tandis que mes yeux me retransmettaient une image floutée, déformant la réalité à laquelle je faisais face. Je distinguai à peine la silhouette du médecin, penché sur ce qui semblait être le corps de mon amie. Mes oreilles, elles, percevaient des paroles distinctes, que je réussissais à assimiler.


« Despair. murmura le médecin. Amandla amakhulu. Tiens bon, Izrathienne. Tu seras sauvée par cette abomination, et j'essaierai de faire en sorte que ton intégrité ne soit pas remise en cause. »


Un intense voile obscur s'étendit autour de l'homme, et disparut en quelques secondes. Puis je retombai raide sur mon lit de convalescence, en essayant de mémoriser ce que venait de dire le docteur.


Lorsque je rouvris les yeux, le jour s'était levé, laissant les rayons du soleil pénétrer la salle d'opération improvisée. Encore sous le coup de l'anesthésie, j'étais un peu dans les vapes. Je ne pouvais pas bouger ma tête et à peine déplacer mes bras alors étendus le long de mon corps. Je cherchai du regard mon ami médecin qui avait fait le plus dur en ayant pratiqué l'intervention. Lorsque mes yeux se posèrent sur lui, je constatai qu'il était assis sur une chaise à côté du lit d'Azéthys. Il s'était endormi. Je fus alors affolé par la tournure des choses, je regardai en direction de mon amie, la cherchant du regard, et je fus surpris lorsque dans ma pénible recherche de chaleur je le croisai.


Ses grands yeux couleurs saphir brillaient si fort que je crus qu'elle était une source de lumière à elle seule. Elle avait repris connaissance avant moi, m'observant d'un regard illuminé par un sourire comme jamais je n'en avais vu alors. Tout l'amour du monde s'en dégageait. Jamais je n'avais vu d'expression aussi aimante sur le visage d'une jeune femme… Jamais depuis celle de ma propre mère à mon égard. Je ne sus que dire.


Laissant la pression retomber, elle entraîna toutes les larmes de mon corps qui coulèrent sur mes joues tandis que je restais silencieux. Nous avions réussi. Shinichi, Zéphyra, et moi, avions bravé tous les interdits dans cette bataille pour la vie et nous avions réussi à triompher de ce combat. Sous le regard soulagé, débordant de larmes, de Zéphyra qui nous regardait tous les deux, Azéthys tenta tant bien que mal de lever sa main. Elle ne réussit pas à le faire, parvenant simplement à la pousser hors de son brancard dans un geste maladroit. Je tentai de faire de même, rassemblant les forces que j'avais pour passer ma main vers elle et attraper son membre pendant hors de son brancard. Lorsque nous eûmes le contact tant désiré, nos cœurs se connectèrent instantanément. Affichant un sourire plus prononcé encore, Azéthys, mon combat, prit la parole.


« Jamais je ne pourrai assez te remercier, Shiro. Jamais…


— Te voir en vie est ma seule récompense… Azéthys… Dieu soit loué, tu es vivante. »


Sous le regard bienveillant de Zéphyra, j'allais me surprendre à prononcer des mots que je ne devais pas dire. Je savais au fond de moi qu'avec tous ces évènements, l'affection que je portais pour Azéthys était devenu de l'amour. Mais je ne pouvais pas laisser mon cœur trahir ma raison. J'aimais Violet. Je ne pouvais pas envoyer valser tout ce que j'avais rêvé avec elle, et finalement, j'espérais fonder une famille avec mon actuelle fiancée que je comptais épouser par la suite. De plus, Azéthys n'était pas de mon espèce. Il fallait que je définisse clairement une frontière à ne pas franchir, pour qu'elle et moi restions en bons termes.


Zéphyra s'avança finalement vers nous. C'était elle qui avait expliqué la situation exacte à Azéthys en lui racontant tout ce que chacun avait fait simplement pour qu'elle puisse respirer et profiter de ces choses simples faisant partie de la vie. Nous parlâmes de beaucoup de choses ensemble : notre rencontre, à moi, et Zéphyra, puis de notre rencontre à moi et Azéthys. Nous repassions ensemble les bons moments de notre vie, tout en sachant que notre alliance ensemble allait perdurer.


Shinichi se réveilla une heure plus tard. Ses yeux cernés s'illuminèrent lorsqu'il vit que l'opération avait été couronnée de succès. Il nous expliqua alors qu'il savait déjà qu'il avait réussi, mais que le voir de manière concrète ne rendait sa satisfaction que plus réelle, moins abstraite qu'elle ne l'était avant qu'il se couche. Lorsque nous fûmes debout, moi et Azéthys nous prosternâmes devant le praticien pour le remercier solennellement. Je lui indiquai que je lui devais une reconnaissance que jamais je n'oublierai, et qu'un jour je lui rendrais la pareille, par n'importe quel moyen. Pour détendre l'atmosphère, et par gêne, il indiqua que lui faire goûter ma première épouse suffirait à éponger ma dette, mais il reprit rapidement pour m'assurer que tout cela était une blague.


Nous restâmes quelque temps avec le praticien, pour finalement nous éclipser lorsqu'il nous dit qu'il voulait se reposer davantage. Nous lui promîmes alors de passer le voir et de l'inviter, lui, sa femme et son enfant à dîner chez nous. Je ne savais pas sur le coup si j'allais pouvoir tenir ma promesse, mais Azéthys semblait confiante à ce propos… Elle devait avoir un moyen stable de venir avec un corps physique comme elle l'avait fait cette nuit… Mais j'étais trop réservé vis-à-vis d'elle pour lui poser des questions sur des détails si intimes.


Azéthys allait rester quelques jours chez moi. D'après Zéphyra, il ne valait mieux pas qu'elle rentre pour le moment. Zéphyra devait d'abord expliquer la gravité de la situation dans le royaume d'Izrath, et surtout faire en sorte que personne ne pose de questions, que ce soit l'entourage ou les supérieurs d'Azéthys, elle qui, avec Zéphyra, avait commis une faute professionnelle. Je ne comprenais pas la logique du sanctuaire céleste, mais mon amie m'assura que je n'avais pas à m'en occuper. Tout ce que je devais faire, c'était vivre le quotidien avec Azéthys sans lui mentionner ce qu'il se passait de l'autre côté, et ce fut ce que je fis.


J'installai mon amie chez nous, misant sur le fait que Violet allait comprendre la situation. Cependant, alors que je me demandais justement où était ma fiancée, je reçus un message provenant d'elle sur mon téléphone.


« Je dois te parler. Viens me rejoindre. Je suis à la Rue de la Liberté. Je t'attends, Soichiro. »


C'était inhabituel, une telle demande. Certes, Violet n'était pas connue pour être une femme transparente, mais une telle rigidité m'étonnait plutôt. Je demandai à Azéthys de rester chez moi en attendant mon retour, lui avançant qu'elle pouvait faire comme chez elle, ce qu'elle prit au mot puisqu'elle enleva ses chaussures et s'affala sur le divan en sirotant un jus d'ananas. Je soupirai, avant de prendre la route.


Je fus sur les lieux quelques minutes plus tard. Cette matinée ensoleillée rendait les alentours lumineux, éclatants, tandis que je cherchais du regard ma fiancée qui m'avait donné rendez-vous ici-même.


Un autre message arriva sur mon téléphone, pile au moment où je me demandais où elle était.


« Entre dans l'Église. »


L'Église ? Était-elle sérieuse ? Encore une fois, c'était surprenant venant d'elle. Nous ne nous y étions pas rendus depuis nos fiançailles, lorsque nous avions imaginé notre cérémonie en ces murs. Nous étions bien trop pris par notre travail pour aller à la messe, même si dans l'instant, je regrettais un peu de ne pas avoir écouté quelques sermons pour me remettre à ma place.


Je pénétrai le bâtiment, et lorsque j'y fus complètement entré, je ressentis directement le changement de température en comparaison avec l'extérieur. J'eus un frisson, réalisant que je n'avais même pas pris la peine de porter une veste pour cacher les pansements de Shinichi.


Je fis un petit tour, scrutant les magnifiques vitraux représentant le Christ et sa mère, Marie. Je m'avançai près des bougies afin d'en allumer une en offrande, me laissant voir quelque chose de surprenant. Une liasse de billets avait été déposée dans le pot qui était désormais plein à craquer, m'empêchant d'y glisser une pièce. Je souris. C'était typique de Violet. Elle avait pris au mot un sermon dans lequel le curé disait que « la foi n'avait pas de prix », et elle l'appliquait chaque fois qu'elle venait pour un motif important.


Mon téléphone vibra de nouveau.


« Je suis dans le confessionnal. »


Je me rendis devant le confessionnal, qui était juste à côté d'une statue représentant la vierge. Violet me sentit arriver. De l'intérieur, elle m'indiqua dans quelle partie elle était, me demandant de me rendre dans l'autre. Je m'exécutai, m'asseyant sur le banc. Je ne savais pas où porter mon regard, puisque peu importe ce que je voyais, Violet n'y était pas. Je ne pouvais distinguer ni son visage, ni ses émotions, si ce n'était au travers de sa voix. Une intonation dans laquelle se mêlaient tristesse, regret, et mélancolie.


« Soichiro… entama-t-elle. Je reconnaîtrais même ta respiration entre mille. J'ai tant de fois été sauvée par ton souffle que je ne les compte plus.


— Pourquoi m'as-tu fait venir, Violet ? lui demandai-je avec précaution. Quelque chose te tracasse ?


— Je voulais pouvoir te parler à cœur ouvert, en m'affranchissant de ton regard. Ce regard qui peut me faire faire n'importe quoi. Celui qui perce au travers de mes défenses et me rend folle.


— Je t'écoute, mon amour.


— J'ai tant à te dire. Tellement de choses qui se bousculent dans ma tête… Soichiro… Pourquoi as-tu pris ma défense, dis-moi ?


— Parce que je t'aime. répondis-je spontanément. Je ne tolérerai jamais que tu souffres, peu importe si je dois porter tout le malheur du monde sur mes épaules.


— Et pendant que tu seras banni de la profession, reprit-elle, attristée, Sawyer devient un homme de confiance, à qui l'on a confié les clés de la ville… Pourquoi n'as-tu pas dénoncé cette enflure à la place ?


— Qui m'aurait cru ? renchéris-je. Le premier à dévoiler sa vérité est le vainqueur. Un accusé se défendrait forcément et ferait encore plus durer les choses. »


Violet ne répondit pas. Elle se terra dans le mutisme, tandis que j'attendais désespérément qu'elle enchérisse. Quelle était l'expression de son visage ? Quels sentiments habitaient son cœur ? Toutes ces questions n'allaient pas trouver réponse, dans l'étroitesse de ce confessionnal.


« Quittons-nous, Soichiro. lâcha-t-elle d'une voix meurtrie par ses émotions. Séparons nos chemins, ici et maintenant.


— Violet… bégayai-je abasourdi par sa décision. Tu ne m'aimes plus ? Qu'est-ce que j'ai fait pour –


— Tu n'as rien fait ! me coupa-t-elle. Au contraire…tu…tu m'as sauvée…


— Alors…pourquoi !? lâchai-je, la voix cassée par mes larmes retenues de force. Pourquoi veux-tu me quitter, Violet ?


— Le monde est vaste, Soichiro… Et nos chemins, imprévisibles. Si j'avais su qu'en venant de France pour m'installer ici, j'allais rencontrer tous nos amis, et que tu viendrais un jour me déclarer ton amour… Je n'aurais même pas pu te regarder en face lors de notre première rencontre.


— Violet…


— Quand je suis devenue scientifique, j'espérais me battre pour rendre le monde meilleur. Je voulais que mon nom soit dans inscrit dans les livres d'histoire pour avoir créé quelque chose de durable pour guérir les maux de cette planète. Pouvoir faire cesser les guerres, la famine, et tous les malheurs. »


Elle marqua une pause, avant de reprendre.


« Et finalement, grâce à toi, ce rêve est encore possible, malgré mes erreurs. Alors que ton nom sera associé à une catastrophe, à la perte de vies, à des destins brisés… Pour quelque chose que j'ai commis…


— Tu n'as rien accompli de mal, Violet. Nous avons tous les trois été victimes d'un complot provenant de personnes mal intentionnées. Nous avons fait tout ce que l'on pouvait pour éviter le pire, mais l'ennemi était trop fort. Tu es meilleure que moi. Sur le plan intellectuel comme spirituel. Tu as de grandes ambitions que tu peux concrétiser par la force de ta volonté. C'est ce qui m'a séduit chez toi. Tout semble possible si l'on parle de toi, alors personne ne te privera de choisir ta voie.


— Soichiro… murmura-t-elle, la voix cassée par l'émotion.


— Tu sais…J'ai toujours pensé que l'on suivait un chemin tracé par une entité supérieure, par Dieu. C'est ironique pour quelqu'un qui se revendique factuel n'est-ce pas ? Cependant, je sens que cette épreuve ne doit non pas t'abattre, mais au contraire, te renforcer. Pour accomplir de grandes choses, il faut parfois savoir faire des sacrifices. Pas ceux du même genre que les frères Sawyer, mais l'idée est de se donner pour recevoir.


— Sacrifier ta réputation n'est pas un coût que je suis prête à supporter simplement pour survivre dans la profession. Je ne suis pas aussi forte que tu ne le penses, Soichiro. Tu n'es pas le seul à avoir des principes, et un honneur ! Tu n'es pas le seul à vouloir le bien des personnes que tu aimes ! Pourquoi t'acharnes-tu à me placer au-dessus de ta propre vie !? »


Je m'arrêtais quelques secondes. Avais-je vraiment heurté les sentiments de ma fiancée en voulant la préserver de cet acharnement médiatique ? Il semblait que c'était le cas. Pourtant, je ne regrettais rien. Je savais que Violet était suffisamment intelligente pour tirer le meilleur profit de cette expérience, envisager le futur sous un jour nouveau. Et puis j'allais être présent pour l'épauler dans sa tâche.


« Je vais retourner en France, seule. me lança ma fiancée, détruisant mon utopie intérieure. Le monde est vaste, et des tas de personnes auront besoin d'un scientifique pour gérer les conflits liés à Izrath, pour éviter ce genre de catastrophe.


— Je t'accompagne. repris-je, ferme. Hors de question que tu me laisses ici.


— Le Japon a besoin de toi Soichiro. renchérit alors Violet. Comptes-tu vraiment laisser Ricky et Romain Sawyer agir à leur guise après avoir vu ce dont était capable le plus vieux des deux ? Surveille-les, traque leurs méfaits, arrête-les, et révèle la vérité. Pense à toi. Refais-toi un nom, pour toi, sans te préoccuper de mon devenir. »


Je n'avais aucun argument. Violet et moi nous étions promis de changer le monde, et elle agissait en gardant en tête cet objectif. Elle avait raison concernant les frères Sawyer, mais aussi, et surtout, sur le fait que j'allais totalement éclipser ma carrière au profit de la sienne si je venais à rester avec elle. Cela ne me dérangeait pas, mais ma fiancée, elle, ne le voyait pas de cet œil.


« Je ne veux pas retourner en arrière. enchaîna-t-elle, faible. Alors je sortirai avant toi, et je te défends de le faire sans mon accord. Une fois que tu entendras claquer la porte de l'Église, cela sera à ton tour de sortir. Pour recommencer ta vie.


— Est-ce que l'on se reverra un jour ? demandai-je, la suppliant presque. Sais-tu à quel point je vais souffrir sans toi !?


— Je te promets qu'on se reverra, mon amour. J'ai une dette envers toi, alors un jour je reviendrai te voir, et je laverai ton nom pour de bon. Sois-en certain.


— Je me fiche de laver mon nom. la tentai-je afin de la faire céder. Je te veux juste toi, à mes côtés.


— Au revoir, Soichiro. Jamais je n'aimerai un homme autant que je ne t'ai aimé. »


Je l'entendis sortir du confessionnal. Je la sentis s'éloigner, guettant le bruit de son pas qui résonnait dans l'Église où nous priions ensemble. La cadence de Violet semblait de plus en plus lointaine, jusqu'à s'évaporer dans l'air froid qui réchauffait mon cœur devenu glacial. La porte claqua. Elle était partie.


Je restai quelques minutes à verser toutes les larmes de mon corps. J'étais dans un endroit propice à le faire, loin de tous les regards. Alors je pus m'extérioriser, sangloter, grogner, rager…


« Il y a bien longtemps que personne n'est venu dans ce confessionnal. me lança une voix grave et chaleureuse. Qu'il y a-t-il, mon fils ? »


Je racontai tout ce que j'avais sur le cœur à cet homme de foi qui, sans me juger, se contentait de me laisser m'extérioriser. Une heure passa tandis que je faisais le vide dans mon esprit, sous la bienveillance de l'espace autour de moi. Je sortis ensuite, vidé d'un poids, mais encore meurtri par la réalité.


Ainsi, alors que je n'avais plus de vie professionnelle, que je n'avais plus de revenu, ne me laissant que quelques économies pour vivres quelques mois, mais aussi et surtout, le spectre de l'absence de Violet planant au-dessus de moi, je tentai d'oublier l'espace de quatre jours la catastrophe et tout ce qui en découlait, afin de ne pas heurter une fois de plus une amie proche de moi, en la personne d'Azéthys.


Je lui appris à faire la cuisine, comme pour calmer ce cri de fureur en moi. Son émerveillement face à tout ce dont était capable les humains était le remède à quelque chose de cassé en moi. Je me sentais utile, encouragé, même si j'étais loin d'éprouver un seul sentiment authentique, maintenant que la femme m'ayant poussé jusqu'au bout de mes capacités avait disparu.


Azéthys me laissa l'occasion d'en découvrir plus sur elle. Son prénom était Himiko. Azéthys était le nom qu'elle utilisait quand elle venait dans le monde des humains. Elle n'avait le droit de le divulguer à quiconque, donc elle me fit promettre de garder ça secret. Elle me raconta brièvement ce qu'était le système d'Izrath, tandis que de mon côté je lui faisais voir des classiques de la culture, peintures, films et musiques, qu'elle semblait apprécier pleinement.


Était-elle éprise de moi ? C'était l'impression que je ressentais. Je me rappelai de cette fameuse déclaration, le soir de la catastrophe. Ce « Je t'aime » qu'il m'était impossible d'oublier. Mais je ne pouvais pas remettre le sujet sur le tapis. Mon cœur appartenait à ma fiancée, qui ne se considérait sûrement plus comme telle. Même si j'avais beaucoup d'affection pour Himiko, je me gardais de répondre à ses sentiments, afin de ne pas lui rappeler les siens.


Et de toute façon, l'heure n'était plus aux effusions d'amour candide. La réalité nous avait rattrapés. Lors du quatrième jour de cohabitation, alors que nous prenions le déjeuner ensemble, moi et mon amie sentîmes quelque chose de bizarre en nous. Nous regardant l'un l'autre d'un air dubitatif, nous n'eûmes même pas le temps d'émettre une hypothèse que quelqu'un ou quelque chose nous transporta directement en Izrath.


Je crus que c'était Zéphyra à première vue, mais lorsque je vis où nous avions atterri, j'en conclus vite que ce n'était pas le cas.


Nous allions vivre le dernier acte de notre histoire. La plus difficile des tribulations sur notre chemin déjà tracé.





Spoiler :


Nous étions dans une sorte de tribunal s'étendant sur des dizaines de mètres. Les lieux ressemblaient vraiment à ceux d'un tribunal classique du monde des humains, à l'exception que tout était peint de couleur dorée. Il y avait quelques rangées de chaises sur lesquelles se trouvaient différents Izrathiens, dont Séradiel, infirmière du sanctuaire céleste, que nous avions agressée quelques jours plus tôt. Regardant dans ma direction, elle affichait un air de profond regret sur son visage. Elle semblait compatir alors que nous l'avions violentée quelque temps auparavant.


Je me retournai, regardant exactement dans quel endroit je me trouvais. J'étais sous une vitre dans laquelle étaient percés quelques trous, comme pour entendre ce que j'allais dire. J'étais en compagnie d'Azéthys, qui avait repris son habit d'Izrathienne. Je compris alors que dans ce tribunal allait se jouer notre procès. Nous étions dans le box des accusés Azéthys et moi. J'eus un moment de doute. Qu'était-il arrivé à Zéphyra pendant ces quelques jours ? Mais alors que les gouttes de sueur commençaient à perler sur mon front, je vis ma partenaire apparaître devant moi. Elle était également dans le box des accusés. Azéthys se jeta sur elle pour l'étreindre, mais l'amie de mon âge se contentait de la regarder avec tristesse. Je pris la parole, tentant de trouver une raison dans cette histoire.


« Zéphyra, nous sommes ici pour l'agression n'est-ce pas… ?


— Oui. répondit-elle, solennelle. J'ai tenté de plaider notre cause, mais j'ai échoué, pardonnez-moi, jeune maître.


— Ne t'en fais pas. la rassurai-je. Nous savions que nous allions passer par là. Je suis prêt à payer le prix de mes actes.


— Soichiro… Zéphyra… bégaya Azéthys avant de se révolter. Ce n'est pas juste ! Pourquoi payeriez-vous pour m'avoir sauvé la vie ! Quelle justice se prétend contre le sauvetage d'une vie !?


— Ce n'est que la mienne, jeune sotte. nous interrompit une voix grave et puissante résonnant dans la salle. »


L'expression d'Azéthys se glaça lorsqu'elle entendit la voix provenir de derrière elle. Elle se retourna docilement face à l'esprit qui apparut au centre de la salle d'audience. Il s'éleva majestueusement, encore et encore jusqu'à atteindre sa taille originale d'environ deux mètres et demi. Le monstre était une sorte de juge au faciès neutre. Son visage n'avait rien à voir avec celui d'un humain. Il était une sorte de colosse au corps coloré de violet dans lequel étaient incrustées quelques lignes bleues qui brillaient en permanence. D'après Zéphyra, la couleur des lignes de son corps exprimait l'émotion qu'il ressentait, tout comme le visage d'un humain reflétait les siennes. Le personnage, qui se nommait Astaris Bhorn selon Azéthys, était habillé d'une cape pourpre couvrant ses épaules, lui descendant tout le long du dos. Il était le juge du procès dans lequel nous allions comparaître. Alors que nous le scrutions, en attente de la tournure des choses, il prit la parole d'un ton glacial à notre égard.


« Accusés, entama-t-il tout en puissance, vous comparaissez donc pour le crime que vous avez commis. Rappelons donc les faits. Il y a quatre jours, vous avez donc soustrait une patiente de l'autorité médicale d'Izrath, avant d'agresser physiquement la personne en charge de ses soins. Vous avez également pris la liberté de sortir la convalescente d'Izrath. Et comme si cela ne suffisait pas, pour ajouter de la culpabilité sur vos épaules, vous avez également procédé à une opération humaine sur une Izrathienne ! »


Devant les faits qu'Astaris venait de citer, la foule poussa un cri de stupeur. On entendit des chuchotements provenant des différents monstres qui peuplaient les chaises destinées au public. Seule Séradiel regardait toujours la scène sans prendre la parole, désolée par ce qu'elle voyait. Astaris, ne supportant pas ce brouhaha, se saisit de son marteau pour faire taire la salle. Il reprit la parole.


« Séradiel n'ayant pas décidé de vous poursuivre pour votre acte, je me chargerai personnellement de prononcer vos sentences respectives, sans prendre en compte les violences perpétrées sur l'infirmière.


— Attendez votre honneur ! l'interrompis-je. Je dois préciser certaines choses ! »


Sans prendre en compte la réaction du juge, je lui coupai la parole. La foule me regarda, choquée par ce que je venais de faire. Zéphyra et Azéthys étaient toutes aussi choquées. Apparemment, on ne devait pas contredire Astaris. Mais je n'étais plus à un point où je me préoccupais de mon propre sort. Je m'exprimai donc avec détermination.


« Votre honneur. Tout ce désordre a été issu de ma propre volonté. C'est moi qui ai causé les dégâts à Azéthys, c'est moi qui ai remis en cause la médecine d'Izrath, c'est moi qui ai demandé à Zéphyra de me confier les soins d'Azéthys. Je suis l'origine de tout ce chaos et je m'en excuse solennellement. J'ai été guidé pour l'amour que je porte pour ma camarade, et par conséquent, je vous implore d'épargner Zéphyra et Azéthys ici présentes. Puissiez-vous comprendre que tout ce temps, elles ont été sous mon influence et que jamais elles n'ont pu s'en défaire, étant donné qu'elles ont agi sous la contrainte de l'engagement moral liant un Izrathien à son maître. »


Astaris s'arrêta quelques moments. Les quelques lignes bleues virèrent au rouge l'espace d'un instant, comme si ma réponse avait suscité en lui une colère immense. Cependant, au lieu de laisser éclater sa rage, il garda la face devant tout le monde. Les traits de son corps reprirent leur couleur initiale… Mais alors que je sentais qu'il allait se jeter sur l'occasion pour ne me condamner que moi, Azéthys et Zéphyra s'avancèrent dans le box et prirent la parole à l'unissons sans hésiter.


« Nous n'étions pas sous l'influence de Soichiro Namatame ! hurla Azéthys.


— En effet. approuva Zéphyra. Nous avons agi de notre propre chef, et non sous ses directives.


— C'est faux ! rétorquai-je, acharné. Encore maintenant elles sont manipulées !!! Ne les écoutez pas votre honneur ! »


Nous commençâmes à nous disputer, Azéthys, Zéphyra et moi, sous le regard interloqué de la foule. Nous fûmes néanmoins aussitôt stoppés par le marteau de juge d'Astaris. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut une fois de plus de ce ton glacial, en ignorant toutes nos plaintes. Ce qu'il dit me glaça le sang.


« Bien. Puisque vous semblez d'accord sur le fait d'avoir agi de votre propre chef, je prononce désormais la sentence.


— Non ! protestai-je, en vain. Ce n'est pas du tout le cas !!!


— Azéthys. Étant donné que ton sang a été mélangé à celui d'un humain, comme tout le monde ici présent le sait, le fluide vital de cet homme va se mélanger au tien et peu à peu te faire perdre toutes tes facultés de fée et donc d'Izrathienne. Tu vas progressivement perdre tout ce qui fait de toi une habitante du sanctuaire céleste. En d'autres termes, tu deviendras humaine. Je ne prononce donc aucune sentence à ton égard, étant donné que l'opération que tu as subie te privera de l'accès au sanctuaire céleste.


— Oui… reprit Azéthys, alors que j'étais abasourdi par la nouvelle. J'étais au courant avant de venir ici. Astaris. Je vous parle en tant qu'Izrathienne mais aussi en tant que femme… Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi… Je suis désolée du fait que ma dernière parution devant vous soit décorée d'une telle disgrâce. Congédiez-moi, Astaris.


— Bien. reprit le juge, n'entendant pas mes supplications. C'est avec profond regret que je fais cela, sincèrement. Puisse ta vie dans l'autre monde être couronnée de succès. »


Avant que je ne puisse protester, Astaris tapa dans ses mains, laissant disparaître Azéthys dans une faible lumière qui s'évapora tout simplement dans les airs. J'étais déconcerté par la décision, mais avant que je ne puisse vraiment réaliser, le juge, l'autorité, reprit la parole.


« Zéphyra. enchaîna-t-il, solennel. Par la présente je t'informe que tu es congédiée du sanctuaire céleste. Le contrat moral que tu as avec cet homme est maintenu et se brisera lorsqu'il étendra sa lignée. Lorsque son premier enfant verra le jour, ton engagement avec cet homme prendra fin et il sera recréé avec sa progéniture. Une fois que ce nouvel engagement aura pris effet, tu seras capable de revenir ici. Prends ce temps en compte pour réaliser à quel point il est futile d'aller aussi loin pour un homme.


— Bien. accepta La femme, sans broncher. Tout comme Azéthys, je m'excuse pour paraître devant vous dans un contexte si honteux. Mais je m'estime heureuse. Contrairement à elle, j'aurai le bonheur de vous revoir un jour. Vous pouvez me congédier. »


Je regardai une seconde fois la scène se dérouler devant mes yeux. Zéphyra disparut également de l'espace… Astaris se tourna enfin vers moi. Il reprit la parole. Cependant, je sentis la rigidité du juge faiblir, pour laisser paraître des sentiments presque humain à mon égard. Du mépris, de la tristesse, de la haine, du regret, de la jalousie. Quelque chose d'obscur qui semblait pouvoir éclater à tout moment.


« Humain, passons donc à ton verdict. grogna-t-il. Je te condamne à garder Azéthys auprès de toi jusqu'à ta mort ou la sienne. Je ne peux plus rien faire pour elle étant donné qu'elle sera pour toujours incapable de revenir en ce monde. Je te charge donc de la garder près de toi. Si tu faillis à cette tâche, je te traquerai où que tu ailles, je te retrouverai, et je me chargerai personnellement de te torturer jusqu'à ce que tu t'enfonces dans les profondeurs des abîmes de la mort. Je te maudirai et tu porteras le poids de ma malédiction pour le restant de tes jours.


— Je n'échouerai pas. répondis-je, défiant. Pour la simple raison que j'aime Azéthys. Jamais elle ne sera seule.


— Je n'ai pas besoin de ces belles paroles. Je t'observerai tout au long de votre progression ensemble. Si Azéthys trouve la mort avant toi, je considérerai que tu as failli à ta tâche, et je viendrai détruire tout ce qui te relie à la vie. Et je te promets que je me souviendrai de ta misérable existence ! Tu ne seras jamais tranquille, jamais au repos ! Je scruterai chacun de tes mouvements, sans jamais te lâcher ne serait-ce que d'un seul œil, à toi, qui a emporté mes fi…mon autorité de juge !


— Je ne sais pas quel est ce sentiment, mais je sens que vous portez bien plus qu'un simple jugement sur ces femmes. Quelque chose de bien plus personnel et en dehors de toute législation, Astaris. Je vous promets cependant que je tiendrai mes responsabilités à leur égard. Astaris, vous pouvez me congédier avec confiance, je prendrai soin d'elles.


— Alors disparais de ma vue. me grogna le juge du sanctuaire céleste. »


Je réapparus dans ma bâtisse en moins de temps qu'il n'en fallut pour que je ne le comprenne. Zéphyra était présente. Elle regardait l'horizon par la fenêtre de mon appartement, en réfléchissant. Quant à Azéthys… Elle était assise sur le lit dont les couvertures étaient parfaitement pliées. Je m'avançai vers elle afin de prendre la température de ses émotions, mais lorsqu'elle posa son regard sur moi, elle afficha un air de surprise. Elle prit la parole avant que je ne puisse le faire.


« Oh ! avança-t-elle, curieuse. Dites-moi, pouvez-vous me renseigner ? Je suis seule ici depuis à peu près une heure et je ne sais pas ce que je fais dans cet appartement, c'est chez vous ici ?


— Je… bégayai-je. Vous ne vous souvenez pas… ?


— Je vous avoue que tout ça me semble un peu étrange. reprit la femme, troublée. En vous regardant, j'ai un profond sentiment de chaleur qui me prend de l'intérieur. J'ai l'impression que nous avons vécu des tas de choses ensemble… Votre voix, votre présence, votre regard… Tout ça me fait ressentir des émotions se bousculant à l'intérieur de moi.


— Je t'avoue que nous avons vécu pas mal de choses ensemble. Une merveilleuse aventure ayant pour but la vie et l'espoir. Je suppose que cela prendra du temps avant que tu ne t'en rappelles, Azé… Himiko. »


Lorsque je prononçai son véritable nom comme pour me corriger, Azéthys eut un tilt. Ses yeux s'écarquillèrent et son visage laissa exprimer une profonde surprise. Elle posa de nouveau le regard sur moi, et cette fois, elle percuta. Elle rougit, laissant paraître une gêne prononcée devant moi. Lorsqu'elle reprit la parole, elle fut plus troublée qu'elle ne l'était avant.


« C'est toi Shiro… murmura-t-elle. Tu es revenu… »


À ces mots, je fus tout aussi surpris qu'elle ne l'était lorsque je l'appelai par son nom. Zéphyra se retourna également, étonnée par le fait qu'Azéthys se soit souvenue de moi. Lorsque la jeune femme reprit la parole, elle nous choqua encore plus. Ce qu'elle dit eut l'effet d'une bombe.


« Dis-moi Shiro. entama Himiko, innocente et ignorante. Où est Sirië ? »


En entendant ces mots, je fus mal à l'aise. Zéphyra, qui regardait la scène, s'effondra littéralement en larmes. Je réalisai alors la situation dans laquelle nous nous trouvions. Sirië était le nom de Zéphyra lorsqu'elle n'était pas en fonction, et Azéthys se rappelait d'elle malgré tout. Les deux femmes allaient devoir vivre le manque de l'autre, sans jamais pouvoir se percevoir. Si proches et si lointaines à la fois, elles étaient désormais incapables d'interagir l'une avec l'autre, étant donné que Himiko avait perdu toutes ses facultés d'Izrathienne.


Je me devais de m'assurer qu'un jour, elles puissent se contacter, par n'importe quel moyen.


Ce fut ainsi que se termina une page de notre histoire pour laisser place à un autre chapitre de notre vie. Je dégotai un emploi de vendeur dans un commerce alentour, réfléchissant à la remontée que j'allais faire en le nom de Violet. Je priais intérieurement pour suivre le chemin qui allait nous mener à nos proches retrouvailles, tandis que je pris la responsabilité du sort de Himiko en parallèle. Vivant dans mon deux pièces avec l'Izrathienne devenue simple humaine, je partageais son quotidien, en veillant à faire participer Zéphyra qui était en déplacement professionnel pour ma colocataire, mais qui était finalement juste à côté de nous.


Nous vîmes Himiko s'épanouir en tant que femme de jours-en-jours. Mes sentiments réfrénés envers elles finirent par se laisser exprimer, en raison de ma culpabilité et ma responsabilité à son égard. Ainsi, nous concrétisâmes nos sentiments l'un pour l'autre six mois après l'évènement tragique, et nous nous mariâmes trois ans plus tard.


Un an après notre concrétisation, de notre union résulta ta naissance. Je te nommai Hakaze, en honneur au projet du même nom, et à la défunte épouse de Ryoko. Ce jour-là nous passâmes du stade de couple à celui de famille. Tous les quatre, nous étions solidement liés dans les épreuves, et nous nous aimions. Moi, Himiko ta mère, et Zéphyra.


Dans les bras de cette femme aux yeux saphirs devenue la mienne se tenait ce bijou aux cheveux bruns et aux prunelles vertes que tu étais. J'étais le plus heureux des hommes, j'étais père. Je fus littéralement tombé amoureux de toi dès la première seconde, et ce fut le cas de tout le monde, en particulier de Zéphyra qui avait retrouvé un souffle à sa vie, elle qui finit par se languir de retourner en Izrath.


Cependant, le bonheur que je ressentis fut agrémenté d'une pointe de désespoir, en ce merveilleux jour que fut ta naissance. Tandis que je laissai Himiko se reposer, sortant dans le couloir de la maternité, Zéphyra m'apparut alors pour me faire une dernière confession. Le sourire qu'elle afficha était déformé par la tristesse. Je compris où elle voulait en venir.


« Bien… lança-t-elle d'une voix ayant perdu sa maturité et sa solennité. Jeune maître… Il est temps pour nous de nous séparer. Notre engagement moral prend fin avec la naissance de votre fille.


— Zéphyra… Je… Pourquoi dois-tu partir… ?


— Pourquoi… ? Je me le demande aussi parfois. Mais vous savez, jeune maître, notre vie est déjà écrite dans un livre que l'on ne fait que suivre. C'est ce que je pense. Alors j'imagine que tout ce que l'on a vécu ensemble valait la peine de l'être. J'ai vécu des choses merveilleuses à vos côtés, jeune maître. Même si vous n'aurez plus la faculté de me percevoir, je suis persuadée qu'un jour, mes sentiments parviendront jusqu'à votre cœur.


— Zéphyra… Je suis désolé. Désolé pour avoir été si égoïste avec toi. Je savais que ce jour arriverait, et tout ce que je trouve à te dire c'est ne pars pas. Je suis un idiot…


— En effet. s'amusa la femme aux cheveux blancs. Vous êtes peut-être un idiot, jeune maître. Mais grâce à vous, j'ai trouvé tout ce que je cherchais en Jidou, votre dimension. J'avais espoir en vous, les hommes. J'étais persuadée qu'en vous fréquentant j'allais vivre de grandes aventures. Je voulais connaître toutes sortes d'émotions qui m'étaient interdites dans le sanctuaire céleste. Et par un heureux hasard, ce fut vous que je croisai… Non, ce n'était pas le fruit du hasard, c'était écrit. Jeune maître, merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. Je vous aime vraiment du plus profond de mon cœur. »


Repensant à tout ce que l'on avait vécu, je sentis les larmes monter, mais je devais les garder à l'intérieur. Je ne pouvais pas infliger une peine de plus à Zéphyra. J'aimais profondément cette femme qui se tenait devant moi, au moins autant que je n'aimais celle qui m'avait quitté, ainsi que celle qui avait donné naissance à ma fille. Les circonstances avaient fait en sorte que je m'unisse avec celle qui est devenue ta mère, mais Dieu sait que je portais une affection toute aussi intense, bien que différente, à Zéphyra. Pensant donc à cette dernière scène, qui était notre dernier acte ensemble, je trouvai le courage et la force de sourire à mon amie qui afficha un air de surprise à mon égard.


« Zéphyra, souris-je, je compte sur toi pour prendre soin de ma fille comme tu l'as fait pour moi. Je te promets que je trouverai le moyen pour que l'on se revoie un jour, toi et moi. Et ce jour-là, je te témoignerai de toute mon affection et ma gratitude.


— Je vous promets de veiller sur votre fille, jeune maître. Puissiez-vous garder ce sourire qui est le vôtre.


— Arrête de m'appeler comme ça, la grondai-je joyeusement, nous sommes amis. »


Je tendis la main à la femme qui tenta de la saisir, mais qui disparut peu à peu avant de pouvoir le faire. Elle m'adressa un dernier sourire avant de s'évaporer totalement dans l'espace ambiant. Je voulus pleurer, ou bien hurler de rage, mais je n'avais pas le droit de lui montrer un tel spectacle. Pas maintenant que nous étions tous les deux isolés l'un de l'autre. Je repris alors confiance et revins dans la chambre, m'asseyant à votre chevet à toi et ta maman, attendant de prendre ma responsabilité de mari et de père.


Et ce fut ainsi que nous entamâmes un nouvel acte de notre vie. Nous vivions tous ensemble dans une nouvelle bâtisse assez grande que nous avions acquise grâce à nos économies. J'avais des projets concernant la ville. Je voulais concrétiser ces projets en guise de repentance pour la catastrophe à laquelle j'avais participé indirectement, mais aussi afin de répondre à la dernière volonté de Violet et m'assurer que nous ne nous étions pas séparés en vain. En espérant que cela se concrétise, je continuai à travailler ici et ailleurs pour ramener de l'argent au quotidien, couvrant les dépenses pour ta vie et celle de ta maman.


Himiko mourut quelques années plus tard d'une maladie qu'elle avait contractée plus tôt. Peu après les funérailles auxquelles nous assistâmes, je compris alors ce qu'était la punition dont parlait Astaris une décennie plus tôt. Ayant perdu ma moitié, le temps de vie qu'il me restait était également divisé. Chaque seconde qui passait pour toi se transformait en deux secondes sur mes épaules, sur mon corps, sur mon âme. Comme si je portais encore la vie de ta mère en moi et qu'elle se raccrochait à mon existence. Ce fut comme ça que j'encaissai le coup, et j'avoue que cela me permit de passer outre le décès de ta mère, même si encore maintenant je me condamne à l'amertume.


Cette malédiction d'Astaris fut alors un cadeau de consolation devant la fatalité ayant emporté Himiko, en espérant malgré tout que mon heure ne viendrait qu'une fois que tu pourrais t'assumer seule.


« Si je devais tout refaire, passer par toutes ces épreuves, je le referais sans hésiter. Tout ce que nous avons vécu, moi, Violet, Himiko, Zéphyra et toi était authentique. Nous avons tous joué le rôle de notre vie. Ce rôle qui était écrit à l'avance et que nous avons suivi à la perfection. S'il fallait donner un nom à la pièce dans laquelle nous avons joué, dans le théâtre que fut notre histoire, je lui donnerais le nom « Espoir ». C'est je pense, le meilleur mot pour qualifier notre histoire à tous.


Je ne regrette rien désormais. Je dois simplement m'assurer d'une dernière chose avant de partir de ce monde. Je veux que tu deviennes forte. Je veux que tu deviennes ce joyau étincelant pouvant briller au beau milieu d'un océan de désespoir. Je veux que tu sois capable de te créer des relations solides et inébranlables comme je m'en suis créé bien avant ta naissance. Garde à l'esprit ma fille, que tout ce que je fais en ce bas monde, l'air que je respire, les sons que j'émets de ma bouche, les sentiments que j'émets, toutes ces choses te sont destinées.


Et sache que jamais… Jamais… Jamais tu ne seras seule… »





Spoiler :


Je restais bouche bée devant toutes ces images projetées par Zéphyra. Subjuguée par l'histoire de la famille Namatame, je perdis mes moyens. La femme coupa la retransmission bien singulière, me laissant m'écrouler littéralement au sol. J'étais abasourdie par tout ce que je venais de voir et de ressentir. Zéphyra m'avait transmis tellement d'émotions que mes sens même étaient en conflits les uns avec les autres. Amour, angoisse, haine, tout se mélangeait à l'intérieur de moi pour créer le chaos.


J'étais essoufflée et en sueur, comme si j'étais celle ayant vécu tout cela. J'eus un doute prenant. Étais-je vraiment capable de porter le fardeau qu'était celui de trouver une solution qui pourrait sauver à la fois Hakaze et son père ? Je ne savais pas si j'étais réellement qualifiée pour leur donner espoir… Après tout, tout cela me dépassait déjà. Cependant, en regardant Zéphyra qui était quelque peu mal à l'aise à l'idée de tout dévoiler à une étrangère, je me rappelai de mes promesses. Cet engagement qui nous liait, Hakaze, Zéphyra et moi. Je devais être celle qui trouverait la solution qui recollerait tous les morceaux de la famille brisée par la fatalité.


Je repris la parole, décidée à en savoir plus sur le contexte du passé de l'homme, tout en essayant de comprendre l'état d'esprit de Hakaze.


« Zéphyra, comment Hakaze a-t-elle appris tout cela ?


— Tout cela… Est le contenu d'une lettre que le jeune maître a lui-même écrite. J'étais censée la donner à ma jeune maîtresse lorsque Soichiro rendrait le dernier souffle de vie, mais je ne pouvais me résoudre à lui infliger ce désespoir. Ainsi, j'ai modifié les dernières lignes du message afin de les faire coïncider, et je la lui ai transmise.


— Je vois… repris-je. Et toi, concernant Soichiro… Comment te sens-tu ?


— C'est un peu indiscret comme question. s'empourpra Zéphyra en rougissant de honte. Je n'ai de toute façon aucun sentiment pour lui…


— Je pense que c'est un mensonge. ricanai-je, m'amusant des réactions de l'Izrathienne. Après, si tu n'en veux pas, je le prends moi !


— Non ! hurla spontanément Zéphyra, avant de se reprendre. Enfin je veux dire… Et Reisuke dans l'histoire !? Il serait triste !


— Certaine que tu ne parles que de Reisuke ? repris-je, mesquine. Je ne dirai rien à personne.


— Je…J'ai toujours été éprise du jeune maître. soupira la femme. Depuis le premier jour. Il était cependant écrit que je ne devais pas être celle qui partagerait ses jours. Je garde donc ces sentiments en moi tout en restant à ses côtés sans qu'il ne le sache. Je suis certaine qu'à l'avenir, nous pourrons de nouveau nous percevoir, lui et moi.


— Un jour, tu pourras de nouveau lui faire face, Zéphyra. Je suis certaine que ce jour-là, tu arriveras à faire entendre tes sentiments. N'oublie pas que dans le futur, Soichiro est célibataire ! Et si tes mots ne lui parviennent pas, eh bien j'ouvrirai grand ses oreilles pour toi ! »


Devant mon entrain, Zéphyra qui était alors troublée se laissa aller au sourire. Cela me réconforta de voir la femme arborer une expression de bonheur, elle qui était d'habitude si froide. Lorsque l'armure de Zéphyra tombait, elle ne semblait être qu'une femme comme les autres. Toute sa puissance et son charisme s'en allaient pour ne montrer qu'une fragilité naturelle caractérisant la gent féminine. Sans que je ne le remarque, elle s'avança vers moi, pour finalement me faire participer à une étreinte venant de nulle part. La femme se reposa sur mon épaule pendant quelques minutes, pleurant à chaudes larmes. Je compris alors que malgré le fait qu'elle paraissait forte devant Hakaze, tout cela n'était que se donner une carapace. Elle était déterminée à remplir sa promesse au père en protégeant sa fille, quitte à laisser ses propres sentiments de côté, mais face à moi, elle pouvait se permettre de se relâcher. Tout en gardant l'étreinte, elle prit la parole, d'une voix trouble mais un peu rassurée.


« Tout cela est dingue. me dit-elle. Jamais je n'aurais osé faire ça. Personne n'aurait pu me tirer tous ces sentiments de l'intérieur… Mais face à toi, j'ai l'impression de pouvoir briser tous les tabous, toutes les barrières, et être moi-même. J'ai l'impression que la fierté n'a plus aucun sens, que personne ne me reprochera d'être faible… Quand je suis avec toi, tout est si simple… Erika…


— C'est normal. ris-je. J'ai assez pleuré devant toi pour que tu saches que même si je le voulais, je ne pourrais pas tout dévoiler de peur que tu ne ressasses toutes mes gourdes passées et futures. Avec moi, tu es sûre que tes hontes seront gardées. »


Je me mis à rire niaisement. J'avais évidemment mon petit jardin secret que je ne pouvais dévoiler à Zéphyra sous risque de déclencher quelque chose de plus important, mais je ne voulais pas remuer encore plus de ténèbres que je n'avais remué jusqu'alors. J'entraînai donc Zéphyra avec moi dans cet instant de dérision qui résonna dans les parois ténébreuses de l'espace dans lequel nous étions.


Moi et Zéphyra nous séparâmes quelques dizaines de minutes plus tard. Revenant dans notre véritable monde, j'étais encore couchée aux côtés de Hakaze qui dormait profondément. Je me levai, regardant au travers du carreau de la chambre de Laure. Il faisait toujours nuit. En scrutant l'horloge en forme de nounours qu'avait la jeune fille, je vis qu'il n'était que cinq heures. Je me saisis donc de l'occasion pour aller trouver le sommeil de nouveau, tout en sachant que Zéphyra et moi étions désormais face au même combat.


Lorsque je me réveillai, la première chose que je fis fut de regarder de nouveau ce réveil appartenant à la jeune fille qui nous avait accueilli. Il était dix heures. Hakaze dormait encore. Après tout, cette nuit avait été la seule décente que nous avions eue depuis le début de notre voyage. Ce fut donc à contrecœur que je troublai le sommeil de mon amie en la secouant légèrement. Je ne voulais pas être trop brusque. Je ne l'étais que lorsqu'il s'agissait de mon Rei. Hakaze soupira, m'implorant de la laisser dormir, mais au bout de quelques minutes d'insistance, elle rendit les armes.


Elle se leva, les cheveux ébouriffés par la nuit qu'elle venait de passer. Elle semblait avoir dormi comme un loir. Ses cheveux me firent vraiment peur. Ils partaient dans tous les sens tandis que sur son visage on pouvait même voir la trace de l'oreiller sur lequel elle s'était avachie toute la nuit durant. Reprenant ses esprits petit à petit, elle me regarda d'un œil mauvais, se demandant pourquoi je la scrutais.


« Erika… murmura-t-elle, encore à moitié endormie. Pourquoi tu me fixes comme ça avec cet air apeuré… Je suis si moche que ça au réveil ?


— Hakaze… bégayai-je horrifiée en pointant mon doigt vers sa tignasse. Tes cheveux…sont…sont… »


Hakaze percuta lorsque je prononçai cette phrase. Son visage devint rouge pivoine et elle poussa un cri de gêne dont le niveau d'aigu me surprit vraiment. Elle se rua dans la salle de bain de Laure sans même que je ne la voie filer. J'attendis quelques minutes dans l'incompréhension, assise sur le lit. Lorsqu'elle ressortit une dizaine de minutes plus tard, sa chevelure était toute aussi soignée qu'elle ne l'était d'habitude, et elle était également habillée de sa veste habituelle… Elle s'avança froidement vers moi, appliquant une pression insoutenable sur ma conscience de par son regard. Lorsqu'elle reprit la parole, elle était plus glaciale qu'elle ne l'avait jamais été.


« Tu n'as rien vu. me lâcha-t-elle en me faisant voir qu'elle était prête à me tuer pour mon silence. Me suis-je bien faite comprendre ?


— Cela sera notre secret ! rétorquai-je, détendue. Mais ne dis le mien à personne. Je ne me coiffe quasiment jamais, moi.


— Ja… Jamais ? bégaya la brune, abasourdie. Mais tes cheveux semblent parfaitement entretenus… Quelle est ta sorcellerie ?


— Je n'aime pas passer des heures devant le miroir. repris-je en exprimant du dégoût. C'est ennuyeux, il y a mieux à faire dans la vie. Alors j'utilise un shampoing sympathique qui me permet de les démêler facilement. Si tu veux, je t'en donnerai.


— Tu… Tu ferais ça pour moi ? murmura mon amie, émue. C'est la première fois que l'on me propose de m'offrir quelque chose en toute amitié… Je te remercie pour cette promesse de shampoing, Erika.


— Ce n'est rien. ris-je. D'ailleurs, si tu veux séduire un garçon, j'ai lu dans un magazine que les hommes aimaient beaucoup le parfum de ce shampoing. Je n'y croyais pas au début, mais mon Rei aime beaucoup ! Je pense, Hakaze, que ce sont les touts petits détails qui peuvent changer une femme.


— Reisuke aime… ? bégaya Hakaze, attentive. Alors peut-être que lui aussi… Enfin… Qu'est-ce que je raconte, moi ? Oublie ça tu veux…


— « Lui » ? la questionnai-je, malicieuse. Tu parles de ce fameux garçon auquel tu veux montrer que tu es forte et indépendante ? Chaque fois que tu le mentionnes, tu deviens rouge pivoine. C'est difficile de croire qu'une si belle jeune femme comme toi n'a jamais eu d'expérience avec un homme.


— Je… hésita Hakaze, complètement désarmée. Je sais que ce n'est pas réciproque. Il me considère comme sa sœur. Jamais il ne me verra en tant que femme, c'est peine perdue.


— Je pense juste que tu manques de confiance en toi ! souris-je, mesquine, en m'approchant de Hakaze. Je vais vérifier où est ton complexe et te l'enlever ! »


Je m'avançai malicieusement vers Hakaze qui était terriblement gênée par mon enthousiasme. J'étais de mon côté, assez euphorique. Je n'avais jamais eu d'amie avec qui faire ce genre de choses. Se jeter sur Hakaze pour me moquer de son tour de poitrine légèrement moins conséquent que le mien était une manière de revivre mes années lycée. Des petites scènes comme ça entre filles, je les découvrais en même temps que Hakaze. Elle avait un petit côté mignon derrière sa rigidité quand on y pensait. Cela me faisait rire que cette jeune femme si forte et ayant autant d'assurance était si faible quand il s'agissait de sentiments… Enfin, j'étais mal placée pour me moquer d'elle après tout, mais cela me faisait rire quand même.


« Erika… gémit Hakaze, honteuse. Arrête ça s'il te plaît, ça me gêne.


— C'est précisément pour ça que tu n'arrives pas à le séduire. rétorquai-je en prenant plaisir à voir Hakaze rougir. Sois plus détendue, plus épanouie, plus sensuelle. Ouvre donc un peu cette veste, tu auras l'air moins stricte. »


Alors que nous étions au beau milieu de cette mini querelle, nous entendîmes quelqu'un se rapprocher rapidement. Une voix grave se fit entendre. Un « Erika, Hakaze, debout les filles ! » suivi de l'ouverture de la porte qui donnait directement sur notre scène. Voulant me relever rapidement, j'oubliai le doigt que j'avais laissé dans la fermeture éclair de la veste de Hakaze. Cet incident eut des conséquences désastreuses. En effet, ce fut Masamune qui entra dans la chambre, nous demandant si tout allait bien, mais lorsqu'il passa son regard dans la salle il fut choqué de voir mon amie Hakaze dont la veste s'ouvrait désormais totalement sur sa poitrine dénudée.


Hakaze resta figée par gêne tandis que je me maudis à ce moment. Si mon doigt n'était pas resté coincé dans la fermeture éclair, Hakaze n'aurait pas dû traverser une telle épreuve. Masamune, qui ne se priva pas de scruter le corps de mon amie, ne semblait afficher aucune réaction explicite. Il haussa les épaules en reprenant la parole d'une voix trahissant son indifférence.


« On vous attend pour parler un peu des expériences du jour. lança-t-il. Je vous ai fait du thé d'ailleurs, vous allez enfin pouvoir goûter ma recette spéciale !!»


Il repartit comme si de rien n'était, laissant Hakaze, livide, sur le lit. Sans savoir ce qu'elle allait exprimer comme émotion, je me contentai de rester sur mes gardes.


« Je n'ai aucun pouvoir en tant que femme. Se lamenta mon amie en retenant ses larmes. Il a regardé et ça ne lui a rien fait. Ça veut dire que je ne suis même pas un tout petit peu séduisante.


— Mais non… murmurai-je prudente. Je pense que c'est Masamune qui a des goûts particuliers. Tu es jolie ne t'en fais pas.


— Mais jolie on le dit à des enfants de quatre ans ! Rétorqua mon amie qui allait vraiment pleurer si je ne la rassurais pas. Un homme voit ma nudité et hausse les épaules ! Je suis perdue dans les abîmes de la laideur et la répulsion !


— Je ne pense pas que se juger pour le regard d'un seul homme soit vraiment constructif. soupirai-je. Je pense que tu as simplement tiré le mauvais numéro avec cet obsédé du thé. »


Hakaze referma complètement sa veste. Je tournai ma tête vers la fenêtre, prétendant regarder l'horizon, mais la scrutant du coin de l'œil. Discrètement, elle essuya ses yeux avec sa manche, en veillant à ne pas être vue. Cette histoire semblait vraiment avoir heurté ses sentiments. Il fallait que je corrige cela.


Nous entendîmes quelqu'un entrer dans la salle. C'était Violet. Lorsqu'elle vit mon amie, les yeux gonflés par les larmes, elle me lança un signe d'incompréhension. Elle reprit la parole, concernée.


« Quelque chose ne va pas Hakaze ? demanda la jeune fille aux cheveux blonds. Tu as mauvaise mine.


— Ce n'est rien Madame Leblanc. reprit mon amie en tentant de dissimuler ses émotions. Il ne faut pas vous inquiéter. Je ne voudrais surtout pas interrompre votre génie avec des effusions stupides.


— Tu peux m'appeler Violet. soupira l'esprit brillant. Je ne sais d'ailleurs pas à quelle fédération tu fais référence. Il est hors de question que je reste dans ce club jusqu'à la fin de l'année, je ne suis que de passage.


— Pardonnez-moi, Madame Violet. Je tâcherai de ne plus vous mettre mal à l'aise. reprit Hakaze qui semblait décidément admirer Violet. Mais, pourrais-je vous poser une question indiscrète ?


— Indiscrète ? s'étonna la scientifique. Eh bien si je peux aider, pourquoi pas.


— Vous êtes-vous déjà demandée si vous étiez assez séduisante au regard d'un homme ?


Violet s'arrêta quelques secondes, gardant son expression composée face à nous. Elle réfléchit vraiment, cela se voyait à l'expression d'interrogation qu'elle renvoyait. Finalement, au bout d'une ou deux minutes, un éclair de génie anima son regard.


« Si tu veux qu'un homme te notifie, lui conseilla-t-elle, emporte de l'uranium dans ta poche. Cela marche à coup sûr.


— Vraiment ? s'émerveilla Hakaze, qui semblait vraiment heureuse. On peut sentir l'expérience dans vos mots, Madame Violet.


— Cela me semble un peu extrême, enchéris-je joyeusement, mais pourquoi pas !


— Je te préviens Erika. rugit Toratura en moi. Si tu suis ce conseil, je démissionne.


— Cette astuce ne fonctionne qu'avec une seule personne au monde. Nous coupa Laure qui avait débarqué de nulle part. Il n'y a que lui pour ne pas s'enfuir à la vue d'une fille qui a de l'uranium dans son sac. »


Les yeux de Hakaze retrouvèrent le reflet des larmes, me rappelant que son problème n'était toujours pas résolu. Et cela s'accentua encore plus lorsqu'elle aperçut Masamune de derrière la porte. Masamune qui scrutait Laure avec gêne, rougissant, et fébrile.


« Allons voir pour l'expérience. reprit Hakaze, démoralisée. C'est au moins un domaine où je me débrouille, la science. C'est bien, une fille intelligente…non ? »


La tension retomba un peu. Nous sortîmes tous les quatre de la chambre pour nous rendre dans le living-room du bâtiment. Masamune, l'instigateur du litige, se fit surprendre. Il prétexta être présent sur les lieux pour s'excuser à Hakaze. Il prit la parole, solennel.


« Désolé de t'avoir fait du mal. dit-il en se prosternant. Tu as un joli corps, mais j'ai décidé de rester chaste jusqu'à ce que la perfection de mon égérie nommée Laure ne se manifeste dans ma vie ! Je resterai pur jusqu'à déposer ma fleur sur son corsage !


— On dit que les hommes n'ayant pas suffisamment de rapports développent plus facilement le cancer de la prostate. reprit l'intéressée, toujours aussi indifférente. Pour ta santé il vaudrait mieux que tu m'oublies, car je ne me dévouerai pas pour écarter ce risque.


— Un jour, tu seras ma femme, Laure ! reprit-il confiant. Je te ferai des beaux enfants, et je te rendrai heureuse pour toujours, sois-en sûre !


— Si tu veux me rendre heureuse, sourit-elle d'un air malsain, pourquoi ne pas ingérer du cyanure ? »


Je pouffai de rire devant l'humour de Laure. Hakaze semblait un peu plus rassurée, mais s'affola de nouveau lorsque Masamune déclara vouloir accéder à la requête de celle qui l'aimait en allant se procurer du cyanure.


La principale concernée se contenta de hausser les épaules, nous emmenant moi, ainsi qu'une Violet dépitée, dans les quartiers où nous attendaient Akame et Soichiro, attablés à une grande table en bois sur laquelle étaient posés des tasses de thés et de la nourriture.


Nous les saluâmes chacun leur tour. Je saluai le premier des deux en faisant des signes de main bizarres et en me déclarant comme espionne de CERN, ce qui avait l'air d'emballer le scientifique. Quant à Soichiro, ce fut en jouant à la princesse que je m'avançai vers lui. Rentrant dans mon jeu, il me baisa la main en affichant un sourire ironique. Je fus surprise par l'ouverture d'esprit de Soichiro, lui qui semblait ronchon dans le futur était sympathique dans le passé. Violet devint livide, tandis que Hakaze, qui était revenue, semblait également rire de ce jeu fait par son père. Elle murmurait sans cesse un « j'aurai du dossier quand je rentrerai » qu'elle noyait dans un ricanement fourbe. Nous nous installâmes finalement à table. Violet nous servit à tous un chocolat chaud qui avait l'air délicieux, ignorant les supplications de Masamune qui fixait ses tasses de thé avec un air défaitiste…


« Bien. entama Soichiro. Nous sommes tous présents.


— Moi et Hakaze sommes futures ! m'amusai-je alors que mon amie soupira face à ma réplique. Ou passés selon le point de vue.


— C'est une observation intéressante mais hors contexte ! reprit l'autre Hakaze, la rousse, qui surgit de nulle part, me faisant lâcher un cri de surprise qui détruisit les tympans de mon amie la brune.


— En effet. bougonna Soichiro. Merci, Hakaze. Bref. J'ai réfléchi au problème de ces demoiselles. Il faudra quelques matériaux pour construire la machine à voyager dans le temps, et l'ennui réside en une phrase. Il nous manquera une source de kvantiki suffisante, ainsi que des métaux pouvant supporter la chaleur. Il nous faudrait du palladium, mais il n'y en a que dans les quartiers privés de l'académie.


— Ce n'est pas un problème. renchérit fièrement Akame. Le plus grand des voleurs est dans votre équipe. Ce n'est qu'une question de temps avant que le monde se rende compte qu'il ne faut pas provoquer l'illustre Akame Shintarou haha !!! »


Nous lui lançâmes un regard dubitatif alors qu'il avait déjà quitté la table, courant à perdre haleine vers sa mission. Violet soupira. Elle reprit la parole à moitié convaincue par ce qu'elle allait dire.


« Au moins, nous n'avons plus les éléments perturbateurs. dit-elle en lançant un regard presque désolé à Masamune, bâillonné par Laure.


— En effet. reprit sérieusement Soichiro. Hakaze du futur semble savoir construire une machine à voyager dans le temps. Le problème maintenant, c'est générer une source de kvantiki suffisante. Je me demande comment l'on pourrait faire en sorte d'en matérialiser suffisamment ici.


— Notre dernière tentative d'importation a déjà échoué. lança Laure en posant sa tête sur ses mains. Nous ne sommes pas encore prêts pour une telle ambition.


— Tu as l'esprit bien étroit pour une autoproclamée scientifique. sourit Violet, victorieuse. Il suffit de faire combattre deux Izrathiens ensemble, et de récolter l'énergie qu'ils dégagent pour l'introduire dans la machine.


— Utiliser des êtres vivants et les forcer à se battre ? s'indigna la rousse. C'est contraire à ton éthique Violet.


— Il suffit d'imaginer ça comme un sport. reprit l'intéressée, sérieuse. Au judo, au karaté, il y a bien bagarre dans le respect de l'adversaire. Si l'on demande aux Izrathiens d'agir de la sorte, alors ils ne seront pas en danger ni maltraités. »


L'ensemble du groupe s'arrêta pour réfléchir à la proposition de violet, tandis que je comptais le nombre de branches du lustre au plafond, ayant décroché depuis qu'ils avaient parlé d'hélicoptères. Mon amie Hakaze me donna un coup de coude qui me fit me ressaisir, mais je m'aperçus que ce n'était même pas intentionnel. Elle s'était juste levée trop brusquement.


« Je voudrais confronter mon Izrathien au tien, Soichiro. lança-t-elle, hostile. D'après ce que j'ai vu nous sommes les seuls à avoir un lien suffisamment fort avec notre partenaire pour pouvoir prétendre à générer une quantité raisonnable de kvantiki. Je te propose donc un match, toi contre moi.


— Je savais que tu dirais ça. sourit l'intéressé. Bien, suis-moi dehors. Je voudrais éviter à Violet de payer de nouveau des réparations pour cet endroit. »


Violet se mit en rage car Soichiro ne l'avait même pas mentionnée comme une potentielle combattante, ce qui me fit sourire. Hakaze se leva en silence, elle fut suivie par son père, ironiquement plus jeune qu'elle. Violet et moi suivîmes les deux protagonistes de ce duel, tandis que la femme du professeur Ryoko nous dit qu'elle allait demander le palladium directement à son mari. Je redoutais ce qui allait se passer. Après tout, c'était difficile d'imaginer comment pouvait finir un tel affrontement. Mais ce à quoi je m'attendais allait être encore plus pénible à voir que je ne le pensais. Lorsque nous sortîmes du bâtiment, Hakaze fut toute aussi surprise que moi lorsqu'elle vit son père jeter sa blouse à Violet qui la rattrapa par réflexe. La scientifique aux cheveux blonds qui était en retrait reprit alors la parole à mon intention.


« Je ne sais pas quel est le pouvoir de ton amie, lâcha-t-elle fièrement, mais elle a du cran de s'attaquer à Soichiro.


— On verra lequel des deux sera debout à la fin. ris-je. Je crois en Hakaze et ses pouvoirs. »


Sur l'espace de bataille, à deux pas de la rivière à côté de laquelle nous étions postées moi et Hakaze la veille, se trouvaient les protagonistes. La pression était palpable. Soichiro fut le premier à briser le silence. Il avança un poing vers sa fille, avant de prendre la parole d'un ton défiant.


« Allez, il est temps de te montrer comment se bat un Namatame. C'est à toi de jouer, Zéphyra !!


— Ceci est ma réplique ! lâcha Hakaze, défiante. Zéphyra, joins-toi à nous ! »


À ma grande stupéfaction, père et fille luisirent du même éclat pour laisser apparaître quelques secondes plus tard chacun leur réplique de Zéphyra à leurs côtés. Aucun des deux ne semblait surpris par l'apparition de l'autre esprit du duel. Chacune des deux Zéphyras prit place, prenant la parole de la même intonation vis-à-vis de leur propriétaire.


« Je suis présente pour vous, jeune maîtresse. dit la première, celle que je connaissais.


— Nous vaincrons ensemble, jeune maître. enchérit l'autre.


— Arrête de m'appeler comme ça, nous sommes ami·e·s ! rétorquèrent le père et la fille en synchronisation. »


Devant la réplique synchronisée, je ne pus m'empêcher de rire. Ce combat allait vraiment prendre une tournure plus que sympathique. Hakaze fut la première à s'élancer la bataille. Elle poussa un cri de détermination tandis qu'elle se jeta sur son père en même temps que Zéphyra se jeta sur son homologue. Soichiro ne vit pas sa fille arriver aussi rapidement et encaissa l'attaque en pleine figure, tandis que malgré sa vitesse, la Zéphyra du passé prit également l'attaque de son homologue.


« On y va, Sirïe !! hurla Hakaze, déterminée.


— Bien reçu jeune maîtresse ! rétorqua l'Izrathienne. »


À peine les femmes avaient entamé leur attaque qu'elles enchaînèrent avec des coups encore plus violents. Soichiro et sa partenaire encaissaient tout en prenant les dommages collatéraux liés aux attaques. L'homme ne semblait pas assez fort, ni assez rapide pour esquiver ou contre attaquer. Ce match semblait vraiment à sens unique de mon point de vue… Cependant, Violet qui regardait le match ne semblait pas du tout choquée par le résultat. Au contraire, elle était satisfaite de la tournure des choses, comme si… Non… Cela ne pouvait pas être possible… !!


« Hakaze !! hurlai-je. Tu tombes dans son piège !!!


— Quoi !? lâcha-t-elle, surprise. »


La jeune femme réalisa trop tard. Le coup de pied qu'elle donna à Soichiro Namatame fut stoppé en plein vol par la main de ce dernier. Il lui agrippa fermement la jambe, ce qui eut pour effet de réduire l'équilibre de mon amie à néant. De son côté, Zéphyra avait également stoppé Sirië. Soichiro et sa partenaire affichèrent un sourire commun. Ils projetèrent chacun leur ennemi au loin avant démarrer rapidement pour aller à leur poursuite. Les rattrapant alors, ils purent tous les deux asséner une attaque commune qui propulsa mes amies droit dans le décor, les faisant perdre l'équilibre jusqu'à tomber dans le lac alentour.


Revenant à leur place, Soichiro et sa partenaire regardèrent mon amie qui rampa hors du lac avec un air d'auto-satisfaction. Mes amies de leur côté affichèrent un sourire qu'elles tentèrent de dissimuler. Hakaze reprit la parole, légèrement essoufflée par le combat, un rictus aux lèvres.


« C'est pas mal du tout. Je suis satisfaite de voir que tu ne considères pas ça simplement comme une formalité pour la puissance. Je vais te récompenser en te révélant quelque chose. C'est une technique que moi et Sirië avons développé ensemble. Essaie de résister à ça, gamin ! »


Hakaze posa ses mains au sol tandis que son amie vint se placer derrière elle. Les deux femmes s'accroupirent et entamèrent ensemble une incantation qui résonna dans mon cœur et dans mon esprit, tandis que des flammes dorées s'installèrent tout autour d'elles. En synchronisation, elles lâchèrent ces mots.


« Brise les frontières, ô juge d'Izrath ! Accorde-nous l'espace d'un instant le pouvoir de nous unir et de ressentir en ne faisant qu'un. Qu'ensemble nous puissions marquer l'histoire, et créer le meilleur des lendemains ! La magie de Zéphyra : Shining Disaster !! »


La puissance émanant de Hakaze et sa partenaire devint clairement plus intense qu'elle ne l'était lorsque le combat avait débuté. Sirië disparut dans un torrent de lumière qui entourait désormais Hakaze. Lorsque la lumière en question se dissipa, je distinguai les changements apportés à mon amie la brune. Elle était couverte de l'armure de bataille de Zéphyra, à la seule exception près qu'elle était toute de pourpre colorée.


La fille de Soichiro fut satisfaite par l'épreuve de force qu'elle venait de traverser. Lorsqu'elle prit la parole, sa voix était trouble. Non… Sirie et Hakaze joignaient leurs intonations pour n'en faire qu'une, assurée, puissante, déterminée.


« Voilà la puissance combinée d'un humain et d'un Izrathien ! Tiens-toi prêt à encaisser cette force, Soichiro ! »


Lorsque mon amie se rua sur son père, elle le fit à une vitesse exceptionnelle. Je ne la vis même pas passer devant moi tellement elle fut rapide. Elle projeta son poing sur Soichiro qui ne put rien faire pour éviter les dégâts de l'attaque. Propulsé au loin, il fut néanmoins rattrapé par Zéphyra qui le reposa avec douceur au sol avant de se lancer de nouveau dans la bataille contre Hakaze et sa partenaire. Armée du sceptre de son Izrathienne, la jeune femme en armure pourpre se lança dans un duel acharné contre l'autre liée au jeune homme. Je sentais que ce combat signifiait beaucoup pour les deux femmes, en voyant leur détermination à vaincre. Elles enchaînaient coups sur coups, repoussant sans difficulté la Zéphyra de cette époque. Mais alors que je pensais avoir tout vu, Soichiro me surprit encore plus que ne m'avait surpris sa fille.


« Bien. Il semble que nous devons passer à la vitesse supérieure. Zéphyra !


— Bien jeune maître ! Maîtresse des cieux d'Izrath, toi qui as prêté serment au gardien des étoiles et as fait trembler de par ton nom toutes les nations ennemies ! Viens lutter à notre côté pour vaincre définitivement ! Nous faisons appel à toi, Azéthys ! Reine des contrées nitescentes !


— Azéthys !? m'exclamai-je, abasourdie.


— C'est terminé. sourit Violet. Hakaze a perdu. »


Un torrent de lumière s'abattit alors sur l'espace de bataille, sous le regard incrédule de Hakaze qui était toujours en union parfaite avec Zéphyra. Des éclats lumineux tombèrent du ciel comme des éclairs l'auraient fait. C'était tout aussi magnifique que dangereux. Une dizaine d'éclats s'abattit sur la scène pour finalement laisser une source bien plus intense jaillir des cieux. La combattante tant attendue sortit de cette faille dans les nuages, se ruant directement sur mon amie.


Hakaze évita de justesse l'attaque de sa mère avant de tenter de gagner du terrain par l'arrière. Mais alors qu'elle reculait de plus en plus, semblant acculée par la rapidité de son ennemie, elle ne remarqua même pas que son jeune père s'était réfugié à quelques mètres au-dessus d'elle. Porté par sa partenaire Zéphyra, elle le fit descendre en rappel pour le laisser attaquer sa fille à puissance maximale. Hakaze, ne pouvant plus éviter le coup porté par son père, tenta de parer l'attaque en utilisant son bras qui portait encore la tenue de Zéphyra.


Lorsque le père atterrit, le choc fut tel qu'il provoqua une intense pression atmosphérique aux alentours, faisant s'emballer les arbres, les feuilles, la faune et les eaux. Un tel ressentiment de puissance se dégageait des protagonistes du combat que je me remis moi-même en question. Étais-je vraiment capable d'atteindre une telle expérience en m'alliant à Toratura… ? Non, j'étais à mille lieues d'être aussi forte. Hakaze était en total accord avec sa partenaire, réussissant même jusqu'à tenir tête à son propre paternel accompagné de deux Irathiennes. C'était avec profonde admiration que je ne manquai pas une miette de la leçon de vie enseignée par les Namatames.


Le combat allait prendre fin, cela se voyait sur les mines essoufflées du père et de la fille. Tous les deux avaient donné le meilleur. Le jeune homme invita sa progéniture à lancer le dernier assaut. Elle ne se fit pas désirer et vint vers lui à toute vitesse. Mais alors qu'elle était dans sa course, ses yeux s'écarquillèrent et elle perdit ses moyens. Elle cria un « Non pas déjà ! » avant de tout simplement se recroqueviller rapidement sur elle-même, évitant ainsi l'attaque de Soichiro qui prit quelques secondes à reprendre l'équilibre qu'il avait perdu.


Je compris quelques secondes plus tard le problème. Hakaze ne pouvait se transformer que pendant un temps limité, et il était écoulé. C'était un pouvoir assez puissant qu'elle et Sirië avaient développé ensemble, mais il était encore instable. Je sus donc pourquoi elle ne l'avait pas utilisé contre mon Rei plus tôt auparavant, étant donné qu'un match amical et un combat pour la vie étaient deux choses complètement différentes.


Soichiro s'aperçut que sa fille n'était plus en état de continuer. Il remercia ses deux camarades en leur déposant à chacune un baiser sur la joue avant de les laisser se reposer. Violet devint rouge de colère pour une raison m'étant inconnue, mais je continuais à fixer le jeune homme en l'ignorant. Il s'avança vers sa Hakaze, qui semblait mal digérer sa défaite, mais au lieu de se moquer d'elle, lui lui tendit la main chaleureusement pour qu'elle se relève. De son air assuré, il prit la parole. Cependant, à ma grande surprise, il haletait si fort qu'il était difficile pour lui d'aligner une phrase. Il était à sa limite, comme l'était Hakaze.


« Tu es décidément une dure à cuire. dit-il en respirant fort.


— Quand je dirai ça à mon père… reprit mon amie. Jamais il ne me croira.


— Il doit bien galérer ton père pour avoir une fille comme toi.


— Tous les jours il me répète que je lui casse les oreilles… Mais je ne le laisserai jamais seul, même s'il doit me détester pour ça. Je lui montrerai que je suis assez forte pour étendre sa lignée et m'en occuper… Parce que… Dans ma famille, nous sommes des battants…


— Je vois… Murmura Soichiro, un sourire aux lèvres. Dans ce cas, ne fais pas attendre ton père plus longtemps, Hakaze. Nous avons sûrement accumulé assez de puissance pour construire la machine. Suis-moi et tu vas pouvoir partir rejoindre cet homme qui sème le chaos.


— Je vois… Je vais vous squatter quelques jours encore ici. De toute façon, quel que soit le jour duquel je partirai d'ici, j'atterrirai à la même date, je peux donc me permettre de rester présente. Je veux apprécier un peu plus votre compagnie à tous pour être prête moralement aux épreuves m'attendant de l'autre côté.


— Bien, dans ce cas, tu es la bienvenue.


— Merci, Gamin. »


Regardant la scène familiale, je ne pus m'empêcher d'éprouver une profonde compassion envers Hakaze et son père. Cette simple rencontre les avait enrichis tous les deux. Se battre de la sorte était pour eux le meilleur moyen de se comprendre. Il y avait des sentiments que l'on ne pouvait exprimer que par la force des actes, et c'était comme ça que fonctionnait la famille Namatame. Ce fut sur cette note positive que nous rentrâmes tous dans le laboratoire, sachant que le séjour avec la fédération ETHER allait bientôt prendre fin.





Spoiler :


Nous rentrâmes tous ensemble dans le laboratoire improvisé par ETHER. Hakaze et Soichiro continuaient à vouloir se prouver leur force et leur endurance. Les deux étaient épuisés par le combat, mais continuaient à résister à la pression de la fatigue musculaire simplement pour impressionner l'autre. C'était assez amusant à regarder. Après tout, ce voyage me permettait de découvrir d'autres aspects de Hakaze et de son père, que jamais je n'aurais pu voir sans cette épreuve. Cependant, notre séjour ici allait bientôt prendre fin. Nous n'avions plus qu'à laisser mon amie construire cette machine temporelle grâce à la puissance accumulée pour partir d'ici.


C'était Violet qui avait stocké l'énergie. Elle avait sorti un gadget qu'elle avait développé ayant le pouvoir de capturer une source d'énergie abstraite et la transformer en une ressource physique. Cela ne fonctionnait qu'avec l'énergie spirituelle produite par les Izrathiens, et cela ne pouvait servir que de conteneur, mais cela était suffisant pour nous permettre de prendre la route.


Nous rentrâmes ainsi dans les locaux qui semblaient avoir été refaits grâce à l'argent de Violet. En prenant cette information en compte, je n'osais plus toucher à quoi que ce soit. J'avais bien peur d'abîmer un bibelot ou de salir le papier peint avec une bêtise.


Je trouvai un endroit pas trop luxueux pour m'asseoir, tandis que Hakaze et son père étaient partis dans le laboratoire pour créer la fameuse machine à voyager dans le temps. Je soupirai. Je n'étais pas du tout utile dès que l'on parlait de sciences ou de connaissances dans un domaine précis. Mon seul talent était de remonter le moral des autres, ce qui ne servait finalement à rien.


Je repérai un livre dans une bibliothèque en face de laquelle je me trouvais. « Les bases de la Chimie ». Je pris l'ouvrage que j'ouvris page 1. Sur la préface était marqué « De la part de Violet, pour que vous sachiez au moins ce que vous mélangez. ». Je pouffai de rire. Cela devait être destiné aux trois énergumènes qui formaient la fédération ETHER chez Rikoukei. Masamune semblait lui avoir écrit en dessous « Merci mais ça ira », ce qui me fit une nouvelle fois pouffer.


Je les imaginais au quotidien, ces membres. Je savais ce que Soichiro était devenu, et pour Violet, Hakaze me l'avait dit. Mais les autres, avaient-ils réalisé leurs rêves ? J'essayais de générer l'image de Laure, Masamune, et Akame en tête. Les deux premiers mariés, avec un ou deux enfants. Leur fils ressemblerait physiquement à son père, avec le caractère de sa mère. Cela me fit sourire. Et si ce garçon avait une sœur qui était au contraire beaucoup plus légère, un peu idiote, comme son père, mais avec le physique de sa mère ?


Je partis dans un délire de solitude en imaginant à quel point un tel couple aurait pu mettre au monde une progéniture étrange. Je fus cependant interrompue par Violet, alors que j'étais pliée en deux sur le divan. Honteuse, je me rassis normalement en évitant son regard. Je repris le livre en vitesse afin de faire semblant d'être intéressée.


« Tiens, tu veux apprendre la chimie ? me sourit Violet. Je n'arrive pas à croire que ces imbéciles t'aient motivée. Il faudra du temps et un esprit de réflexion pour maîtriser les bases, mais si tu travailles dur, pourquoi ne réussirais-tu pas ?


— À vrai dire, soupirai-je, j'ai le sentiment d'être moins intelligente que la moyenne. Rien que la première page, c'est du chinois pour moi. H2O, CO2…J'ai l'impression de lire les noms abrégés de cartes Yu-Gi-Oh.


— Tu sais Erika, reprit sagement Violet. Ce n'est pas parce que tu ne maîtrises pas un domaine que tu es inférieure aux autres. Nous avons tous des points forts, et des points faibles. C'est humain. Ne le répète à personne, me chuchota-t-elle, mais je suis une piètre cuisinière. Mon majordome prépare tous les plats que je sers ici en douce.


— Surprenant ! m'étonnai-je. Donc même la grande Violet de la fédération ETHER a des lacunes !


— Arrête avec ça…s'empourpra la blonde, rougissant. C'est gênant que l'on cite mes exploits futurs alors que je ne sais pas comment je vais les réaliser. Je ne veux pas être en compétition avec moi-même… »


Je souris. La fille aux cheveux d'or n'était rien d'autre qu'une adolescente normale. Alors pour l'embarrasser encore plus, je repris.


« Et sinon c'est pour quand votre mariage avec Akame ? lançai-je, malicieuse. Je vois comment tu lui tournes autour. »


Violet s'étrangla avec le thé qu'elle était en train de boire. Je dus pratiquer les gestes de premiers secours tandis qu'elle avait fait une fausse route assez violente. Lui tapant dans le dos alors qu'elle toussait comme si elle allait recracher ses poumons, je m'excusai une bonne dizaine de minutes à la scientifique. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut d'une voix encore cassée par sa mésaventure, mais surtout en laissant entendre une détresse prononcée.


« Rassure-moi, je ne suis pas vraiment mariée à Akame dans le futur ? me demanda-t-elle, le visage marqué par la terreur.


— Malheureusement si… lâchai-je en feignant le dépit pour observer sa réaction. »


Mais je n'aurais pas du, puisque la femme semblant pourtant si solide, tourna de l'œil et tomba dans les pommes. Je paniquai. Je courus en vitesse au laboratoire de Soichiro et Hakaze, entrant comme une furie en hurlant que j'avais tué Violet par erreur. Mon amie la brune fit les yeux ronds tandis que Soichiro, lui, manifesta vraiment un sentiment d'urgence lorsque je mentionnai Violet. Il déboula dans la petite salle en courant, affolé, et lorsqu'il vit la blonde gisant au sol, il lui fit spontanément une réanimation cardio-respiratoire… Autrement dit, du bouche-à-bouche. Je rougis. Cette simple intervention de secours était terriblement romantique et sensuelle. Hakaze afficha un sourire de satisfaction, presque machiavélique devant la scène. Tandis que Violet reprit ses esprits, Soichiro, lui, retourna à son travail sans demander son reste. Je distinguai sur son visage l'ombre d'une gêne qu'il réfréna au plus profond de lui.


La blonde se releva, troublée par l'intervention du scientifique. Elle posa son index sur sa lèvre inférieure, ressentant sûrement encore le baiser du jeune homme. Elle se tourna vers Hakaze, qui affichait toujours l'expression d'une psychopathe ayant repéré une proie. Mon amie la brune prit la parole.


« Eh bien… lâcha-t-elle, légère. Il doit énormément tenir à toi Soichiro dis donc… À peine il a su que tu étais en danger qu'il est venu te secourir, et en plus il en a profité pour t'embrasser avec tant d'amour…


— Nous ne sommes que rivaux. rétorqua Violet, embarrassée. Il n'a fait qu'appliquer ses connaissances en secourisme.


— Je ne crois pas… soupira Hakaze en réfrénant un rictus. Après-tout je ne te l'ai pas dit, mais je connais bien Soichiro. Je suis sa fille tu comprends.


— Alors tu es donc vraiment sa progéniture… murmura la future première puissance de France. Je m'en étais doutée, tu as ses yeux, et son nom de famille.


— Je me doutais que tu devinerais Maman ! Ss'exclama joyeusement Hakaze en serrant la blonde dans ses bras. Tu as toujours été perspicace ! »


L'expression de Violet devint livide tandis qu'elle fut subitement pâle en entendant ce que lui dit Hakaze. La brune, semblant préparer un mauvais coup, reprit, naturelle.


« Cela me démangeait de t'en parler Maman. sourit-elle, tandis que je la sentais préparer un coup fumant. Tu peux être tranquille, Papa et toi vous finirez ensemble, puisque je suis ici pour te le dire. Alors fonce, déclare-toi et vis ton amour. »


Je voulus intervenir, mais j'étais prise au piège. Je devais garder le secret de Zéphyra. Je ne pouvais pas faire voir que je connaissais la véritable mère de Hakaze, autrement cette dernière saurait que l'Izrathienne m'avait tout révélé. Je tentai néanmoins de calmer le jeu.


« Tu as toujours été si blagueuse Hakaze ! l'interrompis-je d'une tape dans le dos avec un faux rire.


— Comment ça, blagueuse ? me questionna-t-elle d'une voix naturelle, mais d'une expression assassine. Violet est ma chère et tendre mère, pourquoi mentirais-je, dis-moi ?


Je fus prise d'un profond malaise. Je ne savais quoi répondre. Cependant, je fus sauvée par Soichiro qui appela sa fille en criant qu'elle devait venir finaliser le réacteur. Hakaze partit, non pas sans appliquer une extrême pression de par ses grands yeux verts qui m'auraient exécutée s'ils en avaient été capables.


« Elle est vraiment… Ma fille ? bégaya Violet, qui ne comprenait plus grand-chose de la situation. Suis-je vraiment sa mère ?


— Je ne sais pas… hasardai-je. Sa mère est morte dans notre présent, donc je ne l'ai jamais vue. »


Violet devint encore plus blanche, me laissant réaliser que je venais de lui annoncer sa mort par mégarde. Je tentai de rebondir, mais c'était trop tard. La scientifique était persuadée qu'elle allait mourir avant les 24 ans de Hakaze.


« Écoute, Violet. lâchai-je, dépitée. Il faut que je te dise quelque chose, mais n'en parle pas d'accord ?


— Je t'écoute. murmura la femme encore tremblante.


— Hakaze n'est que la nièce de Soichiro. Elle joue la comédie pour te faire peur. Son père est un demi-frère de Soichiro que le grand-père a eu avec une autre femme. Tu ne crains rien, tu es encore vivante dans le futur. »


Je venais de griller le cerveau de la jeune fille. Trop d'informations lui étaient venues d'un coup. Elle avança qu'elle ne comprenait plus rien, puis prit congés pour prendre de l'aspirine. Je soupirai. Hakaze avait eu une drôle de lubie. Mais alors que je retournais dans ma solitude, Laure, qui s'était absentée, revint.


« Tiens, s'étonna l'hypothétique épouse de Masamune. Tu es toute seule ? J'imagine que tu as dû créer des problèmes vu ta tête.


— Un tout petit peu… murmurai-je, honteuse. Ce n'est pas totalement de ma faute.


— On croirait entendre Masamune. soupira Laure, un sourire aux lèvres. Vous tentez de bien faire et finalement vous êtes toujours à côté de la plaque. Mais ne sois pas défaitiste. Avoir une personne qui est énergique, motivée, et souriante dans l'entourage, c'est important. Même si cette personne est une abrutie.


— Laure… murmurai-je, réconfortée. Tu es vraiment amoureuse de Masamune en fait…


— Oublie ce que j'ai dit. me répondit-elle en exprimant du dégoût. Il vaut mieux que tu te taises. Je me suis renseignée sur l'incident à Yokohama il y a quelques années.


— Comment tu sais pour cet incident !? m'exclamai-je, abasourdie.


— Hakaze m'a demandé de le faire. Vous avez laissé derrière un de vos camarades n'est-ce pas ? Eh bien j'ai trouvé des informations là-dessus. »


Laure appela Hakaze. Diamond surgit une nouvelle fois de nulle part, enfin de ma chevelure, afin de pousser un cri de satisfaction. Le bébé dragon semblait enthousiaste à l'idée d'avoir des informations menant sur son maître… Enfin, son père, pour reprendre les mots de Hiroki. Je repris un peu espoir. Lorsque mon amie la brune arriva, et que Laure lui indiqua qu'elle avait des informations, elle réfréna un sourire de soulagement qu'elle noya dans une expression d'exaspération.


Nous nous regardâmes ensuite, dubitatives. Qu'avait trouvé Laure sur une tour inconnue invoquée par Reisuke ? Y avait-il vraiment des ouvrages consacrés à cette partie de l'histoire ? À cette prison ? Je ne voyais aucune option plausible concernant l'existence de la tour. C'est pourquoi, je me hâtai d'écouter ce que Laure allait nous dire. Nous nous installâmes tous autour de la table. Laure ordonna à Masamune, qui était également revenu, de faire un thé pour tout le monde. Son visage s'illumina tandis qu'il alla préparer son breuvage, qu'il nous servit ensuite.


Lorsqu'il posa la tasse devant moi, je le remerciai. Cependant, alors que j'allais entamer le thé de Masamune, Akame arriva à toute vitesse en criant qu'il ne voulait rien manquer de notre complot. Il s'assit brutalement à table, tirant la nappe dans son mouvement avant de renverser toutes les tasses. Laure lui ordonna de nettoyer son bazar, devant l'expression meurtrie du futur policier qui décidément, n'allait jamais pouvoir nous faire goûter à sa fierté.


« J'ai donc épluché les livres comme tu me l'as demandé, Hakaze. J'ai été aidée par la femme du professeur, mais cette dernière est trop occupée à le supplier pour obtenir le palladium pour témoigner avec moi.


— Surprenant. ironisa Soichiro qui débarqua dans la salle. Vous l'avez tellement traumatisé qu'il ne veut plus nous fournir.


— En attendant, rétorqua Laure, je sais que la tour retenant leur ami prisonnier se nomme « La prison du temps ». Elle a été érigée il y a une quinzaine d'années et a entraîné la disparition de 40 % de la population de Yokohama.


— La prison du temps ? répéta Hakaze, dubitative.


— En effet. C'est un édifice fait en granit. Le bâtiment lui-même n'a rien d'extraordinaire, mais c'est ce qui est autour qui pose problème. La tour se trouve dans une faille spatio-temporelle.


— J'ai lâché quand vous avez parlé de radiateurs. répondis-je, perdue. Vous pouvez m'expliquer ?


— Grossièrement, reprit Hakaze, dépitée, la tour de Reisuke se trouve dans une autre dimension, et en brisant la barrière nous sommes parvenues à la pénétrer.


— C'était évident finalement. reprit Soichiro qui semblait lui aussi connaître la situation. En reprenant les informations, Reisuke n'aurait pas créé la prison. Il aurait tout simplement ouvert une brèche dans l'espace temps qui aurait ouvert un passage au milieu de la ville vers le bâtiment. Autrement dit, lorsque vous avez pénétré ces lieux…


— Nous n'étions même plus sur Terre. finit Hakaze.


— Qu'est-il advenu de la tour du temps après que les filles soient parties de l'endroit ? enchaîna Violet sortant de nulle part, apparemment intéressée par les explications.


— La prison est restée debout pendant trente jours selon les livres. avança Laure. Pendant trente jours cela a été le chaos à Yokohama et beaucoup de monde est resté emprisonné.


— Et ensuite ? dis-je. Elle a tout simplement disparu ?


— Il semblerait que quelqu'un aurait tout simplement détruit la tour. »


Nous nous arrêtâmes tous. Qui était capable de détruire une espèce de monument des ténèbres provenant d'une autre dimension alors que nous même nous étions incapables de ne briser la barrière définitivement… ? J'eus un peu peur à cet instant. Hakaze et moi, nous étions devenues fortes grâce à Zéphyra et Toratura, mais il avait fallu énormément de ressources rien que pour faire une percée dans le bâtiment. Et encore, c'était Medrawt qui l'avait fait pour nous. Alors, qui ? Quelle personne était donc capable de la détruire totalement, ainsi que la tour elle-même ?


Je repris la parole, cherchant à désépaissir le mystère.


« Dis-moi Laure. Est-il mentionné quoi que ce soit à propos de la personne qui a détruit cette tour ?


— Nous n'avons aucun nom, mais il semblerait qu'il ait utilisé des dragons étincelants pour tout détruire autour de lui. On a rapporté qu'il semblait venir d'une autre époque.


— Hélios… murmurai-je, complètement sonnée par la déduction que je venais de faire. C'est Hélios…


— Hélios ? me questionna Hakaze. Qui ça ?


— C'est une longue histoire. soupirai-je. Mais cela ne répond pas à la question essentielle : Qu'est-il arrivé à Hiroki ? »


Moi et Hakaze devînmes blanches. Tandis que Diamond poussa un cri de tristesse. Nous avions l'espoir de sauver Hiroki une fois que le conflit avec Reisuke serait réglé, mais ce nouvel élément avait jeté un froid dans nos esprits. Si la tour était détruite, Hiroki était-il à Yokohama, coincé dans une époque qui n'était même pas la sienne ? Il était vrai qu'il savait se débrouiller, mais de là à bondir dans le temps sans aucune aide extérieure, même Hakaze ne pouvait pas le faire. Je regardai mon amie qui semblait toute aussi perturbée que moi. Apparemment, elle s'était aussi liée ne serait-ce qu'un petit peu à mon ami. Sûrement à cause de ces derniers mots qu'il lui avait dits. Maintenant que je connaissais l'histoire de la fille de Soichiro, je pouvais dire qu'ils se ressemblaient fort, elle et Hiroki.


Tentant de garder espoir, je repris la parole en proposant une solution qui ne me convainquit même pas moi-même, caressant le dragon pour le rassurer.


« Quand nous aurons vaincu Reisuke, nous repartirons dans le passé à la recherche de Hiroki. S'il a été libéré dans le passé à Yokohama, il doit certainement encore s'y trouver ! Nous aurons le temps de penser à lui lorsque le monde sera sauf ! »


Hakaze reprit confiance. Rattrapant son calme naturel, elle prit la parole, toute aussi déterminée que moi. La voir reprendre du poil de la bête de la sorte me fit du bien.


« Erika a raison. Nous avons tout le temps de penser à récupérer Hiroki. Arrêter Reisuke est l'ordre prioritaire. C'est notre but premier à tous, moi, Erika, et Hiroki.


— Vous formez une bonne équipe toutes les deux. sourit Soichiro. Vous êtes plutôt complémentaires. Vous parviendrez à restaurer la paix dans le futur, croyez en vous.


— Je le pense aussi, approuva Violet. Presque autant en accord que Laure et Masamune.


— Beaucoup moins en accord ! rétorqua l'intéressé, tandis que Laure nia, glaciale. »


Tandis que la jeune fille aux cheveux noirs entama un conflit avec l'innocent qui n'était que trop amoureux d'elle, je savourais les paroles que tout le monde venait de dire. Ce n'était pas uniquement moi qui avais besoin de Hakaze, elle aussi ne pouvait pas se passer de moi. L'entendre de quelqu'un d'autre était assez agréable. J'étais ravie d'être utile à mon amie malgré tous les problèmes que je lui avais causés avant ça. J'étais désormais déterminée à continuer notre périple jusqu'à ce que notre succès soit proclamé. Les autres nous regardaient avec empathie, sachant que nous allions traverser des épreuves difficiles. Pourtant, tout me semblait désormais réalisable.


Soichiro brisa le silence pour reprendre la parole d'une voix énergique et agréable.


« Bien. sourit-il. Il ne nous reste plus qu'à avoir le palladium et cela sera possible de partir dans le futur.


— Oui… reprit Hakaze, mélancolique. La machine est quasiment prête. »


Notre passage à l'académie Rikoukei était mouvementé, mais on en voyait bientôt le bout. Tout le monde le savait, que nous allions bientôt partir. Alors que toute la fondation ETHER était rassemblée autour de la table, je me surpris à exprimer du regret tandis que nous allions bientôt prendre des routes différentes.


Je retins mes larmes, me maudissant pour m'être attachée à eux si rapidement.





Spoiler :


J'étais déjà attristée à l'idée de quitter la fédération ETHER, dont les énergumènes étaient toutes aussi excentriques les unes que les autres. Je me surpris à retenir des larmes, alors que Soichiro venait d'annoncer la fin de notre alliance spéciale. Je ne voulais pas partir, mais je n'avais pas le choix. Cette époque n'était pas la mienne, et Reisuke nous attendait pour en finir une bonne fois pour toutes avec ses ambitions malsaines.


Fort heureusement, l'absence de la femme de Ryoko, et donc du palladium, me laissait une excuse pour profiter encore de la compagnie des gens chez ETHER. En attendant d'avoir l'aval du professeur, nous décidâmes de faire une soirée bon enfant autour d'un barbecue et de musique.


Masamune était un très bon musicien. Il jouait de la guitare avec facilité, et enchaînait les mélodies sans montrer de signe de fatigue. Il entraînait le groupe dans le rythme de son concert improvisé, jouant des tas de chansons d'origine diverses et variées. Celle qu'il interpréta le mieux en instrumentale fut « Sound of silence », qui contrastait totalement avec l'attitude habituelle du jeune homme.


Je profitai de cette occasion pour m'amuser, et découvrir un peu plus mes nouveaux camarades. Je dansai avec Akame, qui s'était fait une raison sur ma non-appartenance au CERN. Nous devînmes complices d'un soir afin de coller ensemble Laure et sa groupie, qui, sous nos encouragements, ne réussirent pas à faire un pas vers l'autre malgré tout. Nous appelâmes donc le jeune homme en douce, afin de l'aider à la séduire.


Il y passa la soirée, mais il fut repoussé chaque fois qu'il tentait quelque chose. Il finit par se résigner, nous avançant qu'une fête sans Laure n'était qu'une nuit déprimante de plus.


Quant à Soichiro et Hakaze, ils parlaient ensemble autour d'un feu de camp. Les jeunes étaient en train de bavarder avec facilité, tandis que Violet, qui regardait le duo avec le sourire, intervenait de temps à autre afin de partager la discussion. Tout était parfait. Si parfait que j'aurais voulu que ce moment dure une éternité ou deux. Je me laissai aller à nous imaginer, mon Rei, Hakaze, Hiroki, et moi, à notre époque. Tous réunis de la sorte, à nous rappeler les vieilles anecdotes devenues futiles, dans l'espoir, la joie, et la quiétude. Mais je savais au fond que des tas d'obstacles allaient nous en empêcher.


La nuit passa, et le lendemain arriva vite. Hakaze courut de nouveau vers la salle de bain afin d'arranger sa chevelure, puis nous sortîmes de la chambre de Laure. Nous rejoignîmes tout le monde dans le laboratoire où se trouvait la machine construite par Hakaze et son père la veille. Ce que je redoutais tomba face à moi : la femme de Ryoko avait obtenu de ce dernier le matériau nécessaire à la finalisation de l'engin, et ce matériau avait été incorporé à la machine. Tout était prêt pour que nous puissions quitter l'époque d'ETHER.


Je serrai les poings. Je savais ce qu'allait annoncer Soichiro, et je ne voulais pas l'entendre. Je ne souhaitais pas tous les laisser ici. C'était impossible à concevoir.


« Bien. lâcha Soichiro, me poignardant le cœur. Il semblerait que tout soit prêt pour que vous puissiez partir. »


Il devint très sérieux. Fronçant ses sourcils, il prit délicatement la machine qu'il avait construite, avant de l'actionner d'un geste que je ne compris pas. La chose se mit à fonctionner, projetant de fins tuyaux de couleur translucide qui tourbillonnaient entre eux, jusqu'à s'écraser contre le mur en face. Un petit gouffre bleu ciel s'ouvrit dans le mur lui-même, sous les regards émerveillés de l'ensemble de l'équipe.


« Ce passage semble trop petit pour que l'on passe. grimaçai-je. Avons-nous échoué ?


— Non. sourit Violet. Ce portail-là n'est pas pour vous. Akame a été utile pour une fois. Il a soumis l'idée d'envoyer Diamond dans le passé avec une réplique de notre invention. Le dragon n'aura plus qu'à retrouver son maître pour que ce dernier puisse vous rejoindre dans le couloir temporel. Masamune et Laure ont travaillé sur la version portable du dispositif toute la nuit.


— Graouh ! approuva le dragon qui traînait péniblement en vol une petite boite de la taille d'un paquet de céréales.


— C'est formidable ! m'émerveillai-je. Merci énormément pour ce que vous avez fait pour Hiroki !


— Et je vous ai préparé une thermos de thé pour la route ! sourit Masamune, fier de lui. Retrouvez-moi absolument dans le futur pour me dire le goût !


— Merci. répondis-je en prenant la thermos. Je le goutterai dès que nous serons arrivées !! »


En attrapant le cadeau de Masamune, je le fis tomber, et il se brisa, sous le regard meurtri du futur policier. Hakaze posa sa main sur mon épaule en guise de solidarité, tandis que je crus que j'allais fondre en larmes.


« Maintenant que le dragon est parti vers le passé, vous partez pour le futur. dit Soichiro. Reculez. En cas de complications, je ne tiens pas à vous mettre en danger.


— Je resterai ici. répondit Hakaze. En cas de complications, je ne veux pas avoir la mort d'un gamin sur la conscience.


— Comme tu voudras, ne le regrette pas. Ouvrons les portes du temps ensemble, Hakaze. »


Hakaze sourit au jeune homme tandis que je restai en retrait, non pas par peur, mais pour laisser ce dernier moment d'intimité au père et à la fille. J'étais heureuse de les voir œuvrer ensemble pour le même objectif. Mais alors que Soichiro allait utiliser son engin étrange, Laure vint à mes côtés.


« Reste comme tu es, Erika. me murmura-t-elle. L'insouciance et la gentillesse sont des qualités rares chez un adulte. Elles te permettront de surmonter n'importe quelle situation.


— Si seulement tu pouvais dire la même chose à Masamune. ironisai-je alors que le portail du temps commençait à s'ouvrir. Le pauvre.


— Je lui dirai un jour peut-être. sourit la scientifique. Le jour où il pleuvra du Trinitrotoluène. »


Je me retins de pouffer de rire, tandis que Laure me lança un regard complice. Elle reprit la parole quelques secondes plus tard.


« Et si nous immortalisions l'instant ? avança-t-elle à l'ensemble de l'équipe. Nous pourrons dire que nous avons réussi à construire une machine à voyager dans le temps, et nous garderons l'image de Hakaze et Erika avec nous.


— Je suis d'accord. avança Violet. En plus nous détruirons la machine après utilisation. Autant garder une preuve visuelle de notre prouesse. »


Je donnai donc mon téléphone à Laure, enthousiaste à l'idée de garder un souvenir de mes amis. Elle alla chercher Masamune et Akame qui étaient dans la salle voisine, en train de refaire du thé. Elle tenait à ce qu'ils soient sur la photo. Ils vinrent ensemble en se ventant sur la qualité de la préparation de Masamune. Laure posa mon téléphone et déclencha le retardateur. Elle nous oppressa pour que nous nous mettions en position avant qu'il ne s'arrête, et enfin, nous fûmes ensemble pour la photo.


Nous vîmes le flash du cliché, et avec lui vint un sentiment de nostalgie à l'intérieur de moi. C'était le dernier réel instant que nous avions ensemble… Cela me rendait triste. Cependant, Laure reprit la parole avec entrain, comme pour briser cette tristesse.


« Donne-moi ton téléphone. sourit-elle. Je vais m'envoyer la photo.


— D'accord… répondis-je en m'exécutant. »


Laure repartit dans son coin pour faire son business. Elle alla dans la cuisine depuis laquelle elle envoya le message. Elle nous assura qu'elle allait revenir vite et nous pria de continuer nos tests. Nous nous exécutâmes en redoutant la suite.


Lorsque Soichiro reprit son œuvre, il jeta un regard complice vers Hakaze, et ensemble ils appuyèrent sur l'enclenche. Soichiro détacha une sorte de pistolet accroché à la machine, puis il bougea son bras, dessinant une forme rectangulaire contre le mur qui était vide de cadres et de babioles. Lorsque la forme fut dessinée, nous fûmes tous en attente de voir ce qui allait se passer… Et contre toute attente, dans ce rectangle assez large s'était dessiné un portail dans lequel tourbillonnaient des couleurs bleues et blanches. C'était quelque chose de similaire au portail de Reisuke, sauf qu'il semblait beaucoup plus sûr et agréable. Hakaze afficha un grand sourire devant son succès. Elle regarda son père avec satisfaction, reprenant la parole avec enthousiasme.


« Nous avons réussi ! Nous avons réussi ensemble, Soichiro !!!


— Oui… reprit Soichiro, ému. Nous avons réussi. Tous ensemble, nous sommes parvenus à construire cette machine.


— Et donc nous allons partir… soupira Hakaze. Honnêtement, je voudrais rester à vos côtés quelques jours de plus. J'aimerais tellement apprendre de vous tous. En tant que scientifique, comme en tant que humaine. »


Soichiro s'arrêta quelques secondes, fixant ce portail qu'il avait créé avec sa fille et sa future fiancée. Je distinguai en lui une pointe de mélancolie mêlée à du bonheur en abondance. Lorsqu'il se retourna vers Hakaze, il reprit la parole d'un air déterminé, avec une voix emplie de toute la compassion du monde.


« Hakaze. entama-t-il. Tu n'es pas de notre monde. Il ne faut pas t'attarder ici si tu a l'occasion de partir. Nous avons créé des liens avec vous, tous autant que nous sommes. Si nous continuons, Dieu sait quel paradoxe pourrait être créé rien qu'en se côtoyant. Pour être honnête, je pense que l'on en a déjà créé un si tu veux mon avis haha.


— Que veux-tu dire ? s'étonna Hakaze.


— Je suis un scientifique. s'amusa Soichiro. Et nous sommes ouverts à tout type de scénario. Y compris celui dans lequel une fille remonte le temps et rencontre son père. Tu n'as pas été assez vigilante en donnant ton nom de famille si facilement.


— Je ne m'attendais pas à tomber sur toi surtout. soupira Hakaze avec le sourire. J'ai baissé ma garde.


— Dans tous les cas, il est temps de laisser ton père accomplir les actes de sa vie. Laisse au destin ce qui est au destin, et ne tente surtout pas de changer les choses. Nous nous verrons en temps voulu. D'ici là, tâche de ne pas faire de bêtises.


— Papa… »


Hakaze serra les poings. Je sentis les larmes lui monter aux yeux devant l'amour que lui portait son père, mais elle ne laissa pas ces effusions de tristesse sortir. Elle se contenta d'essuyer ces quelques gouttes ne demandant qu'à dévaler ses joues avant de reprendre la parole, sous nos regards approbateurs.


« Il y a des années, je me suis promis de ne pas pleurer devant toi. reprit-elle, déterminée. Je vais y aller, Papa. Mais s'il te plaît, garde une dernière chose en tête : si un jour le pire arrive dans ta vie, et que les personnes auxquelles tu tiens sont dans une situation délicate, discute avec ces personnes avant d'agir de ton propre chef, même si c'est pour leur bien. Ne détruis pas une si belle relation simplement par amour.


— Je ne te garantis rien. sourit l'homme. Je te dirai à ton retour si j'ai pu suivre ton conseil.


— Quant à toi Violet, reprit mon amie la brune. Je suis désolée de t'avoir fait cette farce, mais ce que je t'ai dit est bien réel. Ne recule devant rien. Tu parviendras à ton but. C'est réciproque.


— Je le sais au fond de moi. répondit-elle, sereine. Merci, Hakaze. »


Mon aînée s'arrêta quelques secondes. Je la sentis devenir faible. Son regard se voila, elle baissa la tête, avant de reprendre d'une voix mêlant retenue et fragilité.


« Partons, Erika. »


Je me rendis aux côtés de Hakaze en lui souriant avec tristesse. Soichiro me regarda d'un air empathique. Il m'émut un peu à vrai dire. Moi aussi j'avais fini par m'attacher à l'homme qui se trouvait en face de moi, ainsi qu'à sa clique, et partir de là me tira quelques larmes. Finalement, je sanglotai tout en laissant mes émotions ruiner cet instant entre père et fille. Hakaze soupira en gardant le sourire devant mon attitude, tandis que son père posa sa main sur mon épaule en reprenant la parole.


« Erika. Je suis ravi de voir que ma fille a une amie comme toi dans le futur. Je suis certain que ce n'est pas le hasard qui vous a fait vous rencontrer. Vous avez bien des choses à apprendre l'une de l'autre. En attendant que je sois en état de le faire, je te confie Hakaze, d'accord ?


— Oui… bégayai-je. Je te le promets, Soichiro…


— Merci du fond du cœur. »


Alors que le portail était toujours ouvert, je me retournai vers l'équipe du laboratoire. Akame, Masamune, Violet, Laure, et Hakaze, la femme de Ryoko, nous regardaient tous avec le sourire. Ils tentaient de masquer leur tristesse également face à la situation alors que nous ne nous connaissions que depuis quelques jours. L'espoir était vraiment un sentiment merveilleux. Je pris la parole envers mes amis du jour qui resteraient ceux de demain, consciente que c'était la dernière fois.


« Lorsque nous sommes arrivées ici, entamai-je en retenant mes larmes, nous avons eu peur d'être coincées dans cette époque à jamais. Nous avons cherché par nous-même, puis nous avons croisé la route de la fédération ETHER. J'ai grâce à vous tous appris quelque chose de formidable. J'ai découvert que même si je ne me sens pas importante pour mes amis, j'ai quelque chose d'indispensable qu'eux n'ont pas, et ils ont ce que moi je n'ai pas. Tout comme vous, nous sommes complémentaires. Si une bande d'incapables ou de faibles s'unissent, alors ils peuvent surpasser tous les problèmes, même les plus insurmontables. Masamune, Akame, Laure, Violet, Hakaze, Soichiro… Merci du fond du cœur. Je vous aime si fort bien que l'on se soit rencontrés il y a trois jours à peine… Je veux… Je ne vous oublierai jamais.


— Si un jour tu rencontres le CERN Erika, répondit Akame, dis-toi que je ne serai jamais loin. Fais attention sur la route !


— Un jour tu goûteras mon thé ! enchérit Masamune, joyeux. Je t'en servirai un à la réception de notre mariage à Laure et moi !


— J'espère sincèrement que vous réussirez. dit Laure à son tour, me rendant mon téléphone. Et si jamais vous pouvez le faire, envoyez-moi une dose à injection létale comme ils en utilisent dans les exécutions américaines. J'aimerais tester sur Masamune.


— Si vous croisez mon mari là-bas, s'amusa Hakaze la rousse, assurez-vous qu'il n'a plus une cigarette à la bouche. Et comme ça nous serons quittes. »


Je souris. Chacun avait sa manière de faire les adieux.


« Les adieux sont souvent difficiles, mais les larmes devront attendre. leur dis-je avant de courir dans le gouffre, évitant ainsi d'éclater en sanglots de nouveau. »


Je m'enfuis en tirant Hakaze par le bras. Je mis une jambe, puis l'autre, en faisant confiance à Soichiro et à l'équipe du laboratoire. Ce fut ainsi que nous quittâmes l'académie Rikoukei pour nous rendre directement à notre objectif final : Le théâtre de notre bataille avec Reisuke.


Lorsque nous pénétrâmes le couloir temporel, nous eûmes la surprise de voir que tout était différent en comparaison avec le couloir de Reisuke, ainsi que celui de Soichiro dans le futur. L'atmosphère n'était pas du tout oppressante, bien au contraire. C'était simplement un long couloir dont les murs étaient couverts d'énergie bleue continuant à se laisser aller à son flux et son reflux avec quiétude. Le parterre blanc luisait et devenait bleu l'espace de quelques secondes sous nos pas. Nous attendions d'être aspirés, mais il n'en était rien. Hakaze qui analysa le couloir protesta alors.


« J'hallucine ! hurla-t-elle, frustrée. Cet enfoiré va vraiment nous faire marcher ! Sérieusement, à quoi je pensais en lui confiant la moitié des travaux !? Il se croit au Moyen Âge ou quoi !? Mortecouille ! Il me défrise !


— Tu…as vraiment dit « Mortecouille »… bégayai-je, n'en croyant pas mes oreilles.


— Chut. me répondit la jeune femme. Marchons plutôt. »


Nous avançâmes ensemble dans le couloir qui allait nous mener jusqu'à la prochaine étape. En compagnie de Hakaze, nous nous dirigeâmes tranquillement vers le fond de la brèche que nous ne voyions pas encore. Mais alors que nous avancions à notre rythme, nous entendîmes un cri masculin venant de derrière. Un « Attendez-moi !!! » qui résonna dans la faille. Nous nous arrêtâmes moi et Hakaze, semblant reconnaître cette voix qui nous appelait, et nos doutes furent rapidement confirmés. C'était Hiroki qui nous suivait, courant jusqu'à perdre haleine. L'homme courra jusqu'à nous, faisant des grands signes de bras comme s'il voulait se faire remarquer, alors que sa seule présence était flagrante ici.


Il arriva vers nous, c'était bien lui en chair et en os devant moi. Cependant, avant que je ne puisse m'écrouler de joie face à son retour, Hakaze réagit, lui assénant un fulgurant coup de pied droit dans l'estomac. Hiroki esquissa un « grouah » de douleur avant de se laisser tomber au sol. Hakaze le ramassa elle-même et prit la parole d'un ton hostile à son égard.


« Toi ! hurla-t-elle, frustrée. On se tape toutes les embrouilles du monde à Rikoukei et monsieur n'arrive que maintenant !? Et c'était quoi ce cinéma « Hakaze si tu sais prendre les bonnes décisions lâche-moi » ? Tu me prends pour ta copine ou quoi !? Je ne sais pas ce qui me retient de te…!!!


— Je crois que c'est Erika qui te retient. gémit le grand gaillard. Elle est agrippée à ton bras.


— Oh. Désolée Erika, j'étais tellement enragée que je n'avais pas remarqué.


— Ce n'est pas grave… soupirai-je. »


Je me retournai, dépitée par l'annonce de Hakaze. Elle n'avait même pas senti la pression que j'exerçai sur ses membres… Étais-je si faible…? Ou était-elle… Un monstre… !? Je repensai à l'épée de Medrawt qu'elle avait réussi à soulever d'une traite, ce qui me fit pencher pour la seconde option.


Je me retournai de nouveau, regardant mon amie d'un œil mauvais. Elle était en train de frapper Hiroki dans mon dos mais s'arrêtait quand je la regardais. Il semblait me faire des signes pour qu'elle arrête, mais je laissai Hakaze continuer son œuvre en guise de vengeance personnelle.


« D'ailleurs Erika ! reprit le jeune homme en grognant comme un animal. Envoyer Diamond dans un gouffre temporel dont tu ne sais pas la destination est pour toi la meilleure manière de prendre soin de lui !?


— Arrête d'infantiliser ton dragon. soupirai-je. Il s'inquiétait pour toi et a considéré ça comme un honneur de te sauver.


— Oh, alors il s'inquiétait pour son papa ? répondit-il d'une voix largement plus douce en regardant son ami d'un regard attendri. C'est qu'il est chou mon dragonou.


— Graouh ! approuva le dragon qui se mit à ronronner comme un chat, avant de retourner mâchouiller les cheveux de son maître. »


Hakaze soupira, puis partit en avant, exaspérée par le duo que Hiroki formait avec sa créature. Je la rattrapai en courant, suivie par mon ami le grand gaillard qui tentait tant bien que mal de garder la cadence, et enfin nous fîmes la route paisiblement ensemble. Hiroki ne cessait de lancer des blagues drôles pendant la route. Je riais comme une folle alors que Hakaze restait de marbre. Elle soupirait chaque fois que le garçon ouvrait la bouche. J'avais l'impression d'être dans un groupe d'amis avec une grincheuse et deux rigolos, c'était amusant.


Pendant l'espace d'un instant, je crus voir le reflet de Zéphyra au travers Hakaze. Puis j'entendis sa voix murmurer ces quelques mots.


« Bonne chance dans le passé, Zéphyra. »





Spoiler :


J'étais au fond de moi heureuse d'avoir retrouvé Hiroki, et de progresser de nouveau ensemble, dans l'ambiance de base de notre groupe. Lui et Hakaze allaient plutôt bien l'un avec l'autre. Malheureusement pour le grand gaillard, elle était assez violente avec lui, tandis que lui clamait que même si elle lui faisait subir le pire il me suivrait n'importe où pour m'aider. Il était un drôle de gaillard tout de même, Hiroki. Cela faisait longtemps que je le connaissais. Nous nous étions connus il y a six ou sept ans de cela, dans mon quartier, alors que je le suspectais d'exercer des activités louches. Je l'avais repéré, lui qui rôdait dans mon pâté de maisons en empruntant le même itinéraire, portant un sac assez lourd et revenant toujours avec ce même sac, vide. Je l'avais pris en filature, pour finalement m'apercevoir qu'il venait tous les jours à la même heure nourrir une chatte qui avait donné naissance à des bébés dans la rue.


Quelque chose m'avait fascinée chez Hiroki. Il était un garçon si doux, si prévenant, si attachant, mais il dégageait en même temps quelque chose d'étrange, de plus profond. J'avais l'impression qu'au fond de lui, son cœur était meurtri, qu'une cicatrice s'y était ouverte et ne s'était jamais refermée complètement. Parfois il avait des instants d'absence, d'autres plus sombres que son aura habituelle. Il était un jeune garçon assez porté sur la famille, se prêtant au jeu paternel pour tous les animaux égarés ou en difficulté. Lorsqu'il nous révéla à moi et Hakaze qu'il était un breeder d'Izrath, je ne fus donc qu'à moitié surprise.


Il était à la fois mignon et pur, à la fois glacial et charismatique. Hiroki était une personnalité complexe qui m'aspirait dans ses réactions spontanées et candides. Je voulais résoudre le mystère du grand gaillard, mais je n'avais jamais réussi. Alors j'espérais secrètement pouvoir dénouer toutes les ambiguïtés de ses sentiments de ce voyage, tout comme je l'avais plus ou moins fait avec Hakaze.


Ce fut en proférant cet espoir que j'arrivai en compagnie de mes amis au bout du tunnel temporel. J'étais un peu tremblante, appréhendant grandement l'affrontement avec Reisuke qui nous attendait de manière fatidique à la fin de notre voyage. Hiroki et Hakaze le remarquèrent. Ils se saisirent chacun d'une de mes mains, me lançant tous les deux un regard respirant l'amour et la chaleur.


Une foule de choses me revint en mémoire à cet instant précis. Je me revoyais dans ce décor tropical fait de plantes et d'animaux sauvages, donnant la main à cette personne qui la serrait si fort qu'il aurait été impossible de nous séparer. Nous avancions toutes les deux, se rassurant l'une et l'autre pour oublier la peur que nous ressentions. Cette poignée chaude et emplie d'amour, je l'avais tant recherchée que j'avais fini par abandonner, laissant au destin la mission de prendre soin d'elle.


Lorsque je repris mes esprits, nous étions arrivés à Yokohama, près de Tokyo. J'essuyai les larmes qui étaient remontées à mes yeux en même temps que mes souvenirs, avant de considérer les lieux. C'était une ville assez différente en comparaison avec celle que nous avions exploré quelques jours auparavant. Les environs étaient bien plus sombres et délabrés que ne l'étaient ceux de la ville que nous avions quittée. La première chose qui me sauta aux yeux fut le désordre omniprésent dans cet espace. Les poubelles étaient renversées au sol, laissant les ordures pulluler et dégager une odeur nauséabonde, tandis que les bâtiments en eux-mêmes étaient sombres et délabrés. Ce quartier respirait la misère, c'était difficile de croire que des gens vivaient dans ce coin, et pourtant ça avait bien l'air habité.


Hakaze inspecta les alentours. Elle chercha en premier lieu à savoir à quelle période de Yokohama nous nous trouvions, mais ne trouva pas le moindre indice à première vue. Hiroki cherchait également. Ce qui était amusant, c'était que mes deux amis avaient les mêmes méthodes d'investigation. Ils cherchèrent dans les mêmes endroits et subirent les mêmes échecs. Devant leur infortune, je me mis à rire, ce qui eut pour effet d'agacer Hakaze.


« Erika ! me cria-t-elle. Au lieu de te foutre de nous, tu ne pourrais pas plutôt je ne sais pas moi, nous aider ?


— Non, c'est ennuyeux de chercher des indices dans des baraques vides. Je préfère rencontrer quelqu'un directement.


— Que tu es naïve la blonde. railla Hiroki. Un objet ou une empreinte ne peut pas mentir. Un humain est capable de te berner, lui.


— Il a raison. renchérit Hakaze. Tu es stupide. Et c'est encore plus grave quand tu comprends que même un abruti comme lui s'en aperçoit. »


Hiroki ne releva même pas, se contentant de me narguer des yeux. Hakaze, elle, soupirait dès que je sortais une phrase, et parfois me fusillait du regard si c'était trop idiot à son goût. J'eus cependant une réflexion lumineuse. Une idée qui germa rapidement dans ma tête suite à mon constat.


« En fait, entamai-je. Vous êtes similaires, Hiroki et Hakaze. Vous iriez très bien ensemble. »


Mes deux amis se regardèrent, les yeux écarquillés, en entendant ce que je venais de dire. Leurs regards se mélangèrent pendant quelques secondes. Ils restèrent un petit bout de temps dans cette position avant de détourner le regard au même moment, faisant semblant d'ignorer l'autre. Hakaze reprit alors la parole à mon intention avec un soupçon de mépris dans sa voix.


« Par pitié Erika. soupira-t-elle. Je ne pensais pas que tu m'estimais si peu. Regarde-moi cette chose. On dirait un singe qui sort d'une réserve naturelle. Aucun charisme.


— Non, mais tu dis ça parce que tu sais que tu n'as aucune chance. rétorqua Hiroki, méprisant. Même Medrawt ne voudrait pas de toi tellement t'es pas à la hauteur. »


La tension devint palpable entre mes amis. Alors que je pensais détendre l'atmosphère, je n'avais fait que jeter de l'huile sur le feu. J'essayai de réparer mon erreur en incitant l'un à parler à l'autre, mais mes camarades boudaient chacun dans leur coin. Je lâchai un soupir devant cette situation. Réfléchissant à une solution, je fus néanmoins interrompue par deux personnes qui arrivaient vers nous en criant.


« Brittany ! cria une voix de femme d'âge moyen, exaspérée. Combien de fois dois-je te dire que nous n'avons rien à faire ici !? C'est dangereux !


— Lysandra… Je veux juste voir s'il reste des gens ici. On ne risque rien il n'y a plus personne. Sois un peu plus rock-and-roll ma poule ! »


Je me retournai en entendant ces voix féminines se disputant dans mon dos. Je les aperçus aussitôt mon regard changea de direction. L'une d'elle était une jeune femme qui semblait avoir la trentaine. Sa longue chevelure rousse mettait en avant sa silhouette fine et élancée habillée d'une robe blanche qui lui tombait jusqu'aux talons. Son visage était assez fin. Ses deux grands yeux gris nous dévisagèrent lorsqu'ils nous virent. La femme en question s'arrêta et fit un geste pour attirer l'attention de sa partenaire. Elle était une femme plus petite et rondelette. Elle possédait une chevelure blonde coiffée en brosse qui tombait légèrement sur ses yeux bleus. Elle possédait deux boucles d'oreilles en forme d'étoile et était habillée en pull large et en jean. Lorsque cette femme nous vit face à elle, elle fut alors comblée. Elle reprit la parole à l'intention de sa camarade avec un air victorieux et un ton ironique.


« Alors !? cria-t-elle, satisfaite. Qui avait dit qu'il pouvait y avoir des rescapés ? T'en penses quoi ma biche ? Tu veux encore jouer avec « The queen » ?


Sa partenaire lui répondit en soupirant devant l'auto-suffisance de la blonde.


« Oui… Tu as eu de la chance, rien de plus. Enfin, je ne sais pas si on peut parler de chance… Regarde le mec… Il a une tête de boulet typique. Si on doit se coltiner ce genre de gars, je sens que je vais me pendre.


— On vous entend ! ragea Hiroki qui semblait déjà les détester. »


Les femmes tiquèrent. Celle aux cheveux blonds s'avança d'un pas rapide vers nous, enjouée à l'idée d'avoir trouvé du monde dans ces rues désertes. J'allais pouvoir saisir l'occasion pour obtenir toutes les informations que je voulais. J'attendis donc que la blonde arrive. Lorsqu'elle parut devant moi, elle fut rejointe par son amie, puis elle prit la parole avec enthousiasme.


« Hey guys, hey girls ! Moi c'est Brittany ~ On m'appelle la rock queen de Slyburn ~


— Enchantée… bégayai-je. Je m'appelle Erika. Mais dis-moi. Pourquoi t'appelle-t-on la « rock queen » ?


— N'essaie pas de comprendre. Elle était en couple avec un rockeur qui se faisait appeler « Le king Elvis » donc elle a rejoint son délire et est devenue comme ça. Son vrai prénom c'est Rachel. Moi c'est Lysandra. Contrairement à elle, je ne suis pas enchantée.


— D'accord… murmurai-je. En parlant de couple, voici Hiroki et Hakaze. Tout comme Rachel et Elvis, ils forment un duo étrange.


— Nous ne sommes pas en couple ! hurlèrent mes deux amis en synchronisation. C'est elle qui dit n'importe quoi ! »


Je ris alors devant la réponse de mes deux aînés, rejointe par cette Brittany qui avait l'air aussi décalée que je ne l'étais quand je devenais un peu fofolle. La situation était amusante, mais ne semblait pas amuser Lysandra qui reprit la parole d'un ton plus strict et sérieux.


« Sans vouloir briser vos merveilleux instants dans les débris de Slyburn, j'aimerais savoir ce que vous faites ici. Parce que, soyons honnêtes, depuis le massacre de la sécurité il y a trois ans, il n'y a plus grand-chose d'intéressant ici.


— Le massacre d'il y a trois ans ? s'étonna Hakaze.


— Eh oui… répondit Brittany en soupirant. Un affrontement entre forces de l'ordre et gangs. Elvis a combattu comme un brave et dans une ultime pensée pour sa belle, autrement dit, moi, il a rendu l'âme en priant pour ma protection. Qu'il est magnifique mon Elvis à moi.


— Il y a vraiment eu un génocide ici… ? s'étonna Hiroki, vacillant entre surprise et tristesse.


— Ce ne sont que les délinquants qui se sont fait abattre. Enfin les délinquants, ils ne faisaient rien de mal finalement. Ils étaient juste une bande de jeunes qu'on laissait à la dérive et qui essayait de tuer le temps. J'ai perdu mon fils dans cette bataille. Contrairement à Brittany, je n'ai trouvé aucune consolation pour faire le deuil de Mario.


— Je vois… repris-je. Les forces de sécurité sont vraiment horribles… Comme je l'ai lu dans les livres d'histoire concernant cette froide époque… Je suis désolée pour vous deux… »


La femme plus âgée reprit sans aucune gêne face à nous. Je semblais avoir éveillé sa curiosité, au vu de l'expression dubitative qu'elle me renvoyait.


« Tu as bien dit avoir lu ça dans des livres d'histoire ? De quoi parles-tu jeune fille ?


— Ça serait très long à expliquer… murmurai-je. D'ailleurs, pourquoi les rues sont vides ici ?


— Ça serait tout aussi long à expliquer, M.D.R ! reprit Brittany qui avait vraiment dit mdr à l'oral. Pour te la faire rapide ma biche, des mecs hyper chelous ont débarqué sous des capes et tout le tralala genre pas du tout crédible tu vois. Ils ont commencé à jouer les prophètes en disant que la lumière était nulle et que les ténèbres étaient la voie… Des trucs chiants quoi. Et puis un mec est venu avec une armée de monstres aussi bizarres que nombreux. Il avait un pouvoir étrange en plus de ça : il contrôlait les gens qui perdaient contre lui.


— Un homme qui en contrôle d'autres ? reprit Hakaze, dubitative.


— C'est un breeder. grogna Hiroki. S'il a une armée de monstres aux propriétés différentes, c'est forcément un breeder. »


Diamond grognait en synchronisation avec son maître, tandis que Hakaze s'arrêta pour réfléchir. Nous étions à une époque où « Slyburn », qui semblait être le nom donné à Yokohama Est ici, était désert, et où des hommes masqués menaient des attaques en manipulant les esprits des autres. Cela me rappelait vaguement quelque chose, mais je n'arrivais pas à mettre le doigt sur quoi. Nous nous concertâmes, Hakaze, Hiroki, et moi.


« J'ai trouvé. entama la brune. Je me rappelle que lorsque j'étais petite, il y a eu un gros affrontement ici-même. Des personnes mal intentionnées ont soudain décidé d'organiser une rébellion contre le maire de la ville qui est aussi le directeur en chef de l'aspect économique entre Slyburn et Slyfair, l'autre côté de la côte. Ils ont cherché à rassembler tous les habitants de la moitié laissée à l'abandon, Slyburn, ici présent, pour les remonter contre ceux de Slyfair, les quartiers riches.


— Vraiment ? m'étonnai-je. Une révolution ?


— En quelque sorte. renchérit Hiroki. Ma famille avait déjà déménagé quand ça s'est passé, mais d'après les livres qui racontent ce passage, le maire, Romain Sawyer, aurait trouvé la mort dans cette guerre, et son frère Ricky également. Les deux faisaient partie de l'équipe qui avait développé les réacteurs de kvantiki en tant qu'énergie renouvelable. »


Hakaze grimaça lorsque Hiroki mentionna ces deux personnes, et pour cause, les frères étaient les responsables directs du mauvais sort que mon amie tentait de conjurer.


Mais cela n'allait pas nous aider à trouver Reisuke. Que faisait-il actuellement ? Je n'avais aucune idée de par où commencer. Résoudre le problème de ces habitants, ou laisser le temps faire son cours et chercher après mon ancien ami ? J'étais face à un dilemme.


Mais alors que nous réfléchissions, quelque chose nous alerta. Le ciel fut subitement dégagé de tous les nuages, nous laissant apercevoir les étoiles qui régnaient en cette fraîche soirée, mais aussi et surtout une gigantesque marque fluorescente de couleur mauve qui était étendue dans les cieux. Elle brillait d'une lueur dérangeante, presque malsaine. Elle affichait une forme similaire à une constellation, dont le reflet était d'un noir scintillant. Lysandra grimaça en lâchant un « Encore une fois !! » tandis que sa copine Rachel courait dans tous les sens en hurlant « Cachez-vous ! »


Hiroki fixa la marque en serrant les dents, comme redoutant ce qui allait se passer, tandis que Hakaze elle, restait pétrifiée devant cette chose. Elle était dans un drôle d'état. Je cherchai à la faire revenir parmi nous en captant son attention, en vain. Elle était devenue complètement vide face à ce dessin assez étrange qui s'était inscrit devant nos yeux incrédules. Je ne comprenais pas pourquoi elle avait une réaction aussi exagérée, mais elle ne pouvait même pas me répondre. Elle était muette et inerte, exactement comme une poupée de porcelaine.


Nous restâmes quelques minutes à regarder Hakaze qui ne bougea même pas ne serait-ce qu'un cil. Elle était littéralement subjuguée par le spectacle singulier qui se déroulait devant elle. Hiroki tenta de passer sa main devant ses yeux, de claquer des doigts devant son regard, rien n'y faisait, elle restait vide. Dans un état second. Je pris alors des mesures plus radicales. Tandis que la marque dans le ciel disparut, je secouai mon amie qui au bout de quelques secondes revint à elle. Elle reprit la parole, inquiète par ce qu'elle venait de voir.


« Cette chose…M'a rendue bizarre. bégaya Hakaze.


— Eh bien merci capitaine évidence ! railla Brittany. On avait remarqué que tu étais bizarre.


— Que s'est-il passé Hakaze ? la questionnai-je, inquiète. Qu'as-tu ressenti ?


— C'était comme si j'étais devenue vide à l'intérieur. reprit-elle, encore sous le choc. J'avais l'impression que quelque chose à l'intérieur de moi était en conflit avec une autre partie de moi. Comme s'il y avait une discorde entre deux parties de mon esprit. »


Nous restâmes dubitatifs devant les déclarations de Hakaze. Tandis que Brittany et son amie plus vieille pensaient qu'elle fabulait et en rajoutait une dose, moi et Hiroki n'étions pas du même avis. Nous nous regardâmes tous les deux, interloqués par ce que subissait actuellement Hakaze. Nous n'avions aucune idée de la cause ni des résultats produits par cette fixation, mais nous avions le sentiment que tout cela ne présageait rien de bon. Notre amie restait silencieuse, perdue dans ses pensées. Elle aussi ruminait cette chose qui semblait lui avoir fait de l'effet. Alors que j'allais tenter de la distraire, nous fûmes interrompus par Brittany qui reprit alors la parole.


« Bon, maintenant qu'on a trouvé des rescapés, il faudrait aller à la planque, non ?


— La planque ? la questionna Hakaze.


— Le restant des habitants de Slyburn n'ayant pas été contrôlé ou vaincu a monté une planque que nous utilisons pour nous cacher en attendant que les choses se calment. Nous devions y rester, mais MADAME Brittany a décidé de chercher d'autres survivants.


— Et Madame avait raison ! se félicita Brittany.


— D'accord, nous vous suivons. repris-je. Nous ne sommes pas d'ici donc nous ne serons pas capables d'éviter une menace éventuelle. »


Sans vraiment réfléchir à la suite, je me lançai avec Hakaze et Hiroki dans une course aux côtés de nos deux amies du jour. Je repensais à tout ce qui avait été fait depuis notre arrivée dans ce patelin. Cette gigantesque marque au motif étrange devant laquelle Hakaze était sonnée… Une histoire mêlant Romain et Ricky Sawyer, qui eux-mêmes avaient détruit la vie de Soichiro et Violet… Tout cela ne me présageait rien de bon.


Je restais un peu dubitative face à cette histoire de conflit interne qu'avait Hakaze. Je me devais de la surveiller afin de faire en sorte qu'elle ne cherche pas à commettre quelque chose qui allait lui porter préjudice comme la vengeance, étant donné que les frères Sawyer étaient présents à notre époque et que mon amie aurait pu vouloir venger son père. Suivant Lysandra et Brittany, nous dévalâmes une à une les rues de Slyburn, ayant pour but de nous réfugier dans l'abri des survivants de la ville. Nous nous méfiions beaucoup des monstres qui pouvaient surgir de n'importe où, mais notre danger fut beaucoup moins subtil.


Il arriva vers nous de face. Il était un homme sombre habillé d'une longue cape lui tombant sur un costume noir. Cette cape couvrait son visage et une bonne partie de son corps, ne nous laissant voir que deux grands yeux bleus qui brillaient au travers. L'homme portait en lui une profonde aura de ténèbres qui me glaça le sang. Je sentais qu'il respirait le mal et qu'il était prêt au pire. Lysandra et Brittany grimacèrent. Apparemment, elles connaissaient l'homme et ses intentions. Lorsque l'individu suspect prit la parole, il le fit avec mépris et agacement.


« Alors que je pensais avoir tout nettoyé, voici encore cinq personnes en vie, c'est regrettable.


— C'est toi le breeder… grogna Hiroki avec toute l'animosité du monde.


— À qui ai-je l'honneur ? reprit l'homme d'une voix grave et vibrante. Tu m'as l'air spécial.


— À un véritable breeder qui va t'empêcher d'utiliser les Izrathiens pour semer le chaos ! »


Tandis que l'homme s'avançait vers nous en nous laissant deviner qu'il comptait nous éliminer, je réfléchissais à une solution pour nous sortir de là. Toratura était certes envisageable, mais d'après le récit de Zéphyra, même elle et Azéthys ensemble ne pouvaient pas rivaliser avec des créatures trop puissantes, et perdre la vie avant de délivrer mon Rei n'était pas une option.


Mais alors que le danger s'approchait de plus en plus, ce fut Hiroki qui, sans réfléchir, s'interposa entre nous et l'homme. Soupirant d'un air malsain, il prit la parole avec un mépris total.


« Tu utilises les Izrathiens pour faire la sale besogne à ta place, enflure. Ils ne sont pas des machines de guerre !


— Je n'ai que faire de l'existence d'un animal de compagnie. J'ai du boulot, et je l'accomplirai. »


Diamond grogna sur la tête de Hiroki, prêt à se battre. Mais connaissant son maître, il allait gérer tout seul. Malgré tout, j'étais inquiète. Cet homme semblait assez fort pour détruire une ville, tandis que Hiroki, lui, n'avait aucun pouvoir provenant d'Izrath. Je repris la parole, à l'intention du grand gaillard.


« Hiroki, entamai-je, troublée. Je vais t'aider à vaincre cet homme.


— Ne me sous-estime pas s'il te plaît. me répondit-il glacial. Cette enflure ose utiliser ses capacités de breeder pour monter une armée disposée à le servir. Je vais lui montrer ce que c'est que d'être un parent !


— Mais… protestai-je.


— Partez en avant. Je me charge de lui et je vous rejoins. Je vais faire d'une pierre deux coups en détruisant une menace pour la terre et les Izrathiens.


— Évite les discours et contente-toi de vite lui régler son compte, grosse nouille. soupira Hakaze. »


Cette fois, à ma grande surprise, aucun de nous ne remit en cause la décision de Hiroki. Je suppose que c'était la confiance mutuelle qui grandissait dans le groupe qui faisait ça. Nous faisions de plus en plus de choses qui étaient naturelles. Lorsqu'il y avait eu cette histoire avec les chaînes, nous avions pris énormément de temps pour prendre notre décision… Et là, la séparation s'était faite naturellement. Ce fut en pensant à cet esprit d'équipe se renforçant que je repris la route, accompagnée de mes amies, en ayant totalement confiance en la victoire de mon ami le grand gaillard.


« Gagne. murmurai-je, laissant Hiroki gérer la situation. »





Spoiler :


A partir de ce chapitre, Hiroki devient notre narrateur principal !


Mes amies me faisaient confiance. Elles n'avaient pas discuté mon choix, me laissant assurer face à l'enfoiré en face sans même douter de ma réussite. Je me mis en garde devant cet homme qui me renvoyait une impression étrange, guettant le moindre signe de danger.


Je n'allais pas perdre contre lui. Je ne savais pas encore de quoi il était capable, mais une chose était sûre : je ne pouvais pas tolérer qu'un breeder utilise les Izrathiens qu'il élève comme des armes, des machines de guerre. Il enleva sa cape, me laissant voir son visage au teint mat. Il devait être de l'âge d'Erika, vers la fin de l'adolescence. Il était coupé court, cheveux noirs, au visage carré. Il affichait une expression neutre sur sa face, me dévisageant de manière impassible de par ses yeux mauves en amandes qui ne laissaient passer aucune émotion.


Il reprit la parole d'une voix grave et profonde se répandant dans les ruines alentours tel un gaz toxique dans un air pur.


« Tu sembles perdu ici. À en juger par tes vêtements, tu ne dois pas t'être changé depuis des jours… Habites-tu ici ? Es-tu prisonnier de cette dictature orchestrée par Sawyer ? Je pourrais te donner le pouvoir de réclamer vengeance si tu le voulais.


— Non merci. crachai-je. Je ne m'allierai pas avec un mec qui maltraite des Izrathiens.


— Que veux-tu faire, me coller un procès signé la SPA ? s'amusa le jeune homme. Laisse-moi rire. Nous, les breeders, sommes la classe la plus puissante d'Izrath. Là où un summoner n'a qu'un Izrathien, et subit les mêmes dégâts que ce-dernier, nous, nous pouvons générer autant de monstres que nous voulons, et peu importe leur sort, leur douleur, ou même leur mort, nous restons indemnes. Nous sommes invincibles !


— Et l'amour dans tout ça ! lâchai-je, indigné. Toutes les créatures dont nous devons nous occuper sont des êtres abandonnés par la vie, sans aucun repère ! Nous sommes des guides pour eux, et non des exploitants !


— L'amour ? rétorqua-t-il avec dégoût. L'affection n'a jamais fait progresser personne. C'est l'acharnement, l'entraînement difficile, et la peur de l'échec qui permettent à un monstre de devenir plus fort.


— Quel genre d'entraînement leur fais-tu subir… grognai-je. Espèce de monstre… »


Une créature gigantesque apparut derrière l'individu qui affichait un air satisfait. C'était un dragon d'au moins trois mètres de long. Une sorte d'hybride entre reptile et bête-ailée dont les yeux bleus éclatants transperçaient la noirceur des cieux dans lesquels il s'élevait. Le monstre nous fixait, moi et Diamond, en poussant des grognements de fureur. Mon Izrathien se cacha dans ma touffe de cheveux depuis laquelle je pouvais le sentir trembler, ce qui renforça ma détermination à le protéger avec tout ce que j'avais.


« Je te laisse une dernière chance, breeder fragile. lâcha le jeune homme. Rejoins nos rangs et moi, Shinji Paolos, je t'enseignerai les véritables méthodes pour devenir un puissant breeder. Même ta petite créature fragile pourrait devenir aussi puissante que la mienne si tu la stimulais avec autre chose que des bons sentiments.


— Je refuse. grognai-je. Peu importe ta démonstration de force, jamais je ne m'abaisserai à ton niveau, espèce de sadique !


— Bien. Alors je vais me charger de te faire taire à jamais, et lorsque cela sera fait, je m'emparerai de tous tes petits protégés. »


J'eus un sursaut de surprise face à l'homme qui était face à moi. Il gardait un sourire impassible marqué par des ténèbres profondes. Sans savoir vraiment de quoi il voulait parler, je redoutais la menace et m'y préparais. Mais alors que je m'attendais à ce qu'il envoie tout simplement son dragon vers moi pour me mettre à terre, il claqua des doigts. En réponse au résonnement de ce claquement sortirent de l'ombre des tas d'êtres ténébreux qui semblaient être au commandement de Shinji. Ils étaient des sortes d'animaux rongés par les ombres et dont on aurait enlevé tous les instincts naturels pour ne faire d'eux que des êtres de chaos. Semblant comme couverts d'une boue noire ébène, on ne pouvait discerner que deux grands yeux rouges lumineux qui brillait au-delà de cette couche vaseuse et ténébreuse.


Je reculai de quelques pas, mais il y en avait d'autres derrière moi. Ils s'avançaient lentement dans ma direction tandis que leur chef reprit la parole d'un ton satisfait.


« Comment trouves-tu mon armée des ombres pauvre fou ? Cela fait tellement longtemps qu'ils n'ont pas mangé… Voici l'occasion parfaite. Tu as deux choix maintenant. Rejoins-nous ou meurs ici. »


Je grimaçai. Comment avait-il osé réduire des Izrathiens à cet état ? Ce Shinji était un être exécrable que je me devais de mettre hors d'état de nuire. Le jeune homme me trouva d'ailleurs trop lent à répondre. Il reprit la parole, me méprisant de sa voix de sadique.


« Bien, alors meurs. »


Sur ces mots, les soldats de l'homme se ruèrent sur moi. Ils devaient être une vingtaine. Je sortis rapidement un couteau de ma veste. Une lame assez fine mais tranchante que je gardais toujours sur moi depuis ma jeunesse. En tant que breeder, j'avais eu l'occasion d'améliorer mon arme. Si je « tuais » un Izrathien avec elle, elle le plongeait dans un profond sommeil. Cela m'avait aidé par le passé à contrôler des crises de colère de mes propres enfants.


Armé de ce couteau, je me lançai dans la bataille tout en sachant que je ne pourrais pas vaincre 20 soldats. Shinji partit, confiant que j'allais me faire dévorer par ses sbires, tandis que j'essayais de me créer une ouverture pour m'enfuir. J'avais appris qu'un combat à l'arme blanche était assez difficile à gérer, puisqu'il fallait absolument appliquer la bonne pression sur l'arme tranchante, étant donné que trop de force empêcherait de retirer la lame, mais qu'un manque m'empêcherait de « tuer » du premier essai. En appliquant ces conseils à moi-même, je réussis à me ruer sur un des soldats pour le violenter d'un coup dans la poitrine tout en me retournant rapidement vers un autre derrière moi afin de lui en asséner un dans la tête. Pour toute réponse, je n'eus qu'un cri de douleur des deux bêtes tandis que leur sang mêlé à de la bouillasse noire était venu se poser sur mes vêtements. Elles s'écroulèrent, raides, mais respiraient encore.


Le combat commençait vraiment. Ils se ruèrent cette fois tous d'un coup sur moi tandis que je courais pour essayer de gagner du terrain. Ils étaient plus lents que moi, ce qui me permettait de parcourir quelques mètres de plus dans ma course. Haletant face à la pression qui s'accumulait alors que je n'avais tué que deux de leurs membres, je me cachai dans une allée en les attendant.


Lorsque je les attendis arriver, je sortis de ma cachette avec toute la rapidité que je cachai à l'intérieur, tranchant d'un seul coup quatre de mes poursuivants, puis je repris ma course, sans même regarder les dégâts qu'avait causé mon attaque.


Je dévalai ainsi rue sur rue dans l'espoir de répéter le même scénario face à ces soldats qui n'étaient certes pas capables de réfléchir, mais qui n'abandonneraient leur mission que lorsqu'ils seraient tous morts jusqu'au dernier. Cependant, un imprévu assez délicat vint s'installer sans crier gare.


En effet, je me retrouvai finalement dans un cul de sac. Je ne pouvais plus tendre la moindre embuscade. Il ne me restait alors plus qu'une solution.



Je me retournai face aux ennemis. Ils étaient encore plus d'une dizaine face à moi, me fixant tous de leurs grands yeux rouges inexpressifs. La pluie commençait à tomber sur le décor de notre affrontement bien singulier tandis que ma détermination se forgeait de plus en plus. C'était soit eux, soit moi… Et bien que ce combat semblait peine perdue, j'étais déterminé à aller jusqu'au bout. Empoignant mon arme de poche, je courus jusqu'à mes détracteurs jusqu'à m'approcher suffisamment de l'un d'eux pour lui lancer l'arme directement dans la tête. Il s'écroula littéralement au sol tandis que dans ma course je pus ramasser l'arme pour la planter dans la tête d'un autre soldat. Un autre arriva derrière moi, tentant de me mordre d'un coup sec, mais je pus me reculer in extremis afin d'éviter la blessure qui m'aurait été fatale.


Les soldats ne se démotivèrent pas et attaquèrent chacun tour-à-tour, ne laissant qu'une fraction de secondes entre chaque attaque, tentant de me mordre à chaque fois. Une morsure était tout ce qu'il fallait pour me réduire au silence. Une seule erreur et j'étais bon pour la tombe.


Acculé par les attaques à répétition de ces douze soldats animaliers restants, je reculai de plus en plus vers l'inévitable issue qu'était ce cul de sac, réfléchissant à une solution envisageable pour moi.


Cependant, mes aptitudes physiques s'essoufflaient en même temps que mes capacités mentales, me laissant ainsi entrevoir le début de la fin au fur et à mesure que j'esquivais les attaques des bêtes ténébreuses contrôlées par Shinji.


Je me reculai, encore et encore, et mon désespoir fut porté à son paroxysme lorsque je sentis enfin le mur derrière moi. Posant mes deux mains contre la paroi rocheuse, j'étais inquiet face à l'armée en face. Une longue goutte de sueur perla sur mon front, se joignant à la pluie qui gouttait sur ma peau de son côté. Regardant avec effroi la menace désormais proche, je repensai à tout ce que je devais faire. Beaucoup de choses vinrent dans mon esprit, Erika, Hakaze, Soichiro, Reisuke et mon objectif personnel dans ce combat… Tout ce que j'avais vécu ne pouvait pas finir aussi ridiculement, mais apparemment…C'était la fin.


Rongé par la frustration, je fermai les yeux, espérant que quelque chose ou quelqu'un me sauve de cette situation désespérée. Mais alors que peu à peu cet espoir disparaissait, j'entendis un bruit sourd qui me fit ouvrir mes mirettes instantanément.


Ce son, c'était un coup de feu qui provenait de l'autre bout de la ruelle. Sans percuter, je ne compris la conséquence de cet impact que lorsque je vis un des soldats s'écrouler au sol. Le restant du groupe se retourna vers la personne à l'origine de l'attaque tandis que je profitai de l'attention des gardes portée ailleurs pour moi-même en trancher deux avec mon arme. La personne qui venait de me sauver bougea à son tour, profitant de la puissance de son arme à feu afin de tuer un à un chaque monstre voulant ma peau. Ensemble nous éradiquâmes rapidement les uns après les autres ces sous-fifres de Shinji.


À un moment, alors que je me ruai sur l'une des dernières bêtes, ma lame toucha la poitrine de ma cible au même instant que la balle de l'allié du jour heurta sa tête. L'animal s'écroulant, je pus enfin voir le visage de la personne m'ayant porté secours. Elle était une femme âgée d'une trentaine d'années possédant des grands yeux de couleur saphir dont le regard était assez expressif. Elle me regardait avec le sourire, laissant ses longs cheveux blancs humides flotter au gré du vent, rayonnant dans cet environnement sinistre. Reprenant son arme, elle afficha cette fois un sourire plus malicieux qu'il ne l'était avant, pour finalement tirer dans ma direction. Je ne compris pas pourquoi un tel changement, mais la situation s'éclaircit quand le projectile me frôla avant de se planter dans le dernier de mes poursuivants qui s'écroula net au sol.


Je me retournai vers la cible, avant de me tourner de nouveau vers la femme. Elle souffla sur la fumée de son revolver avec satisfaction avant de s'avancer vers moi avec le sourire. Son habillement me faisait un peu penser à celui de Hakaze. Elle était vêtue d'une veste bleu ciel ainsi que d'une longue jupe de couleur sombre. Ses chaussures quant à elles semblaient être aussi confortables que des baskets tout en étant aussi élégantes que des souliers de ville.


Lorsque la femme fut assez proche, elle rangea son arme et me sourit de plus belle, prenant la parole d'un ton agréable. Sa voix était assez douce et féminine, tout en m'étant assez familière.


« Eh bien il s'en est fallu de peu ! me dit-elle, visiblement soulagée. Dis-moi mon garçon, rien de cassé ?


— Non… Plus de peur que de mal, tout va bien. murmurai-je. Mais…comment êtes-vous si forte ?


— Comment ? reprit-elle, amusée. Ne t'en fais pas jeune homme. Tout cela c'est de la routine pour moi ! Mais cela semble l'être pour toi aussi. Tu viens de Slyburn également ?


— Non. Je ne viens pas d'ici, mais disons que j'ai appris très tôt à me défendre. En tout cas je vous en dois une madame. Comment vous appelez-vous ?


— Tu peux me tutoyer garçon. On m'appelle Himiko. Namatame Himiko. Je fais partie de l'organisation visant à instaurer une paix durable dans Slyburn : La Guilde ETHER. »


Namatame Himiko… ? Était-ce vraiment… ? Était-elle vraiment liée à Hakaze et Soichiro… ?


Je scrutai davantage la femme qui était face à moi. En comparant son physique avec celui de Hakaze, j'obtins quelques concordances. La forme de son visage et de ses yeux était étrangement similaire, et bien que leurs cheveux n'étaient pas de la même couleur, ils avaient la même façon de lui tomber sur les épaules, la même dégaine. Elle portait une frange ressemblant à celle de la jeune fille. Himiko Namatame semblait être liée à Hakaze… Sa mère ?… Cela semblait possible, mais tout de même assez gros.


« Jeune homme, m'interrompit Himiko, ironique. Perdu dans tes pensées devant une femme ? C'est vexant. Tu pourrais au moins te présenter. »


Devant la petite pique semblant amicale venant de la beauté aux cheveux blancs comme neige, je repris la parole, gêné par la situation.


« Je m'appelle Hiroki. Yamada Hiroki. Je suis de passage dans la région. Dis-moi, Himiko. Les balles que tu as tirées sur ces bêtes, rassure-moi, elles ne sont pas mortelles ?


— Non, pas du tout. Me sourit la femme. Ce sont des tranquillisants. Aucune de ces bêtes ne mourra. Mais comment peux-tu défendre ces créatures ?


— Je suis un breeder d'Izrath. enchaînai-je. Mon travail est de préserver la vie de tous ceux qui en viennent, y compris ces choses. »


Nous fûmes interrompus par quelque chose d'étrange provenant de derrière. Je me retournai, prêt à me battre contre les choses invoquées par Shinji. Deux des bêtes étalées au sol remuèrent, mais alors que je croyais qu'elles allaient se relever, il en sortit une espèce de singe de petite taille, m'arrivant à peine jusqu'aux genoux. L'animal qui, de par ses yeux et son aspect ténébreux et sale, était dans les rangs de Shinji, s'avança vers moi avec toute la haine du monde. Lorsqu'il se jeta contre moi, j'allais me défendre par réflexe, mais tout ce que la créature réussit à faire fut de m'égratigner la jambe.


La bestiole s'acharnait avec ardeur à tenter de me blesser, mais il était bien trop frêle pour y arriver. J'eus presque pitié pour lui. Diamond, qui fixait le macaque d'un air neutre, utilisa une de ses facultés bien pratiques. Il pouvait pénétrer l'esprit d'un Izrathien, lire au fond de son cœur ce qu'il s'y tramait, et me retransmettre les images. Je vis alors la créature se faire piétiner par les autres membres de l'armée de Shinji, qui lui-même ne le défendait pas. Il le maltraitait encore plus chaque fois qu'il se faisait violenter sans rétorquer par ses camarades. Tout était clair mes yeux : cet Izrathien faisait de son mieux pour enfin faire cesser les coups et exister au regard de son maître.


« Eh petite chose… lançai-je d'une voix se voulant douce, comme lorsque je parlais à Diamond. Arrête ça, ce n'est pas bien de vouloir blesser les autres. »


La créature m'ignora en tentant de continuer sa besogne.


« Tu n'as pas à faire ça pour que quelqu'un t'aime… murmurai-je. Arrête. Regarde mon ami Diamond, il ne blesse personne, et nous sommes amis. »


Il m'ignora une nouvelle fois, attaquant mon autre jambe sous l'ordre de son maître. Il n'en fallut pas plus pour que je me saisisse du petit singe, qui était encore couvert de boue, avant de le serrer contre mon torse en signe d'affection. Au premier abord, il tenta de se débattre, mais il se laissa emporter par l'étreinte au bout de quelques secondes. Ayant enfin réussi à me faire notifier, je repris la parole à son intention.


« Shinji t'a fait du mal n'est-ce pas ? Eh bien moi je ne t'en ferai pas. Reste avec moi et je te promets que ton ancien maître ne reviendra jamais te causer du tort. Tu verras, je suis un bon grand-frère. Tu veux ? »


Le macaque hésita, mais Diamond vint appuyer ma demande. Ils communiquèrent d'une langue que je ne comprenais pas, et cela fit céder l'animal qui hocha la tête en signe d'acceptation. Un poids disparut de mon cœur tandis que je savais qu'un Izrathien de moins allait souffrir sous les coups de l'infâme Shinji.


La boue disparut de la créature, tandis que ses yeux perdirent leur lueur malsaine. Elle se jeta sur moi pour m'étreindre, avant de prendre place sur mon épaule droite, tandis que Diamond retrouva ma touffe de cheveux comme compagnie.


« Eh bien c'est décidé, nous ferons route ensemble ! repris-je joyeusement. Et je te nommerai Cram ! »


Cram poussa un cri d'approbation, ce qui me fit sourire. Cependant, je me rappelai d'une chose importante. Je me retournai. Himiko était toujours présente et je l'avais oubliée au profit de l'animal perdu. Gêné, je bégayai quelques mots, qu'elle brisa en reprenant la parole.


« Un véritable breeder je vois. sourit la femme. Tu aimes beaucoup ce que tu fais n'est-ce pas ?


— Je les aime énormément oui. repris-je sereinement. Je suis leur seule famille, je n'ai pas le droit de les laisser tomber.


— Nous sommes aussi de la même trempe, chez ETHER. Nous travaillons sur tous les fronts pour limiter les dégâts de toutes les menaces, en agissant comme une famille. Notre but est d'éviter un nouveau Purple Requiem : cette catastrophe ayant entraîné la mort de milliers de personnes et séparé cette ville en deux.


— Je vois… soupirai-je. C'est vrai que le Purple Requiem a causé des dégâts. Concernant la crise actuelle, j'imagine que tout s'est bien fini, autrement notre monde ne serait pas dans cet état.


— Pourquoi parles-tu avec tant de recul ? demanda Himiko, surprise. Nous sommes encore en guerre.


— Parce que je viens du futur, repris-je en haussant les épaules. C'est simple. »


La femme me tapa dans le dos en me disant que j'étais un excellent blagueur. Sa tape fut si forte que je crus recracher mes poumons. Elle s'arrêta quelques secondes, tandis qu'une pluie fine tombait toujours dans la ruelle dans laquelle jonchaient sur le sol les quelques corps inertes des bestioles nous ayant attaqués précédemment. Elle leva les yeux au ciel et y perdit son regard. Elle marqua une pause assez longue, la finissant par un soupir. Lorsqu'elle posa de nouveau ses yeux sur moi, elle semblait avoir compris ma situation.


« C'est difficile d'abandonner ceux que l'on aime en temps de guerre n'est-ce pas ?


— Comment le sais-tu… ?


— C'est écrit sur ton visage mon garçon. rit-elle. Tu me rappelles mon mari, Hiroki. Peu importe le risque, ses sentiments parlent avant tout et il en vient à faire des choses qui lui portent préjudice, mais il s'en moque. C'est une qualité exceptionnelle d'agir avec son cœur, mais parfois il faut mesurer les risques.


— Je comprends les risques… soupirai-je. Mais mes amies sont parties avec deux inconnues qui ne semblaient pas si fortes, et pour être honnête, je n'ose pas imaginer ce que je ferais s'il leur arrivait quelque chose.


— Deux inconnues dis-tu ? Je peux avoir des précisions ?


— Elles disent s'appeler Brittany et Lysandra. L'une est une blonde plutôt rondelette et l'autre une rousse un peu plus âgée et plus fine.


— Oh ! s'étonna Himiko. Elles sont avec les filles ! Bien, tu n'as pas à t'en préoccuper. Elles s'en sortiront.


— Comment pouvez-vous en être si sûre ?


— Lysandra et Brittany sont affiliées à la guilde. Elles ne sont pas officielles, mais nous avons des bons contacts ensemble. À l'heure qu'il est, tes amies doivent être dans la planque au sud de Slyburn. Si tu veux, passe la nuit à la guilde, et dès demain je t'accompagnerai les voir. D'accord ? »


Je réfléchis à la proposition de la femme. Elle ne semblait pas mentir en avançant le fait qu'elle pensait mes amies en sécurité. Elle dégageait une sérénité assez apaisante qui réchauffait mon cœur froid et humide, mais surtout qui me faisait baisser ma garde. Je ne la connaissais pas, même si elle me rappelait Hakaze, mais sans assurer mes arrières je baissai toutes les barrières de mon cœur et de mon esprit pour faire confiance en Himiko. Je repris la parole, encore troublé par ma propre décision.


« Je suppose que je n'ai pas le choix. Il vaut mieux vous suivre que de chercher à l'aveugle après mes amies. Vous êtes certaine que je ne serai pas dérangeant dans la guilde ?


— Ne t'en fais pas jeune homme. sourit Himiko. Personne n'osera contredire la maîtresse de maison, ils savent que de quoi je suis capable !


— La maîtresse de maison… ?


— Bien évidemment ! rétorqua la femme, fière. Mon mari et moi sommes les leaders du mouvement. Nous sommes également les propriétaires des locaux de la guilde ETHER. Allez, ne t'en fais pas et viens donc ! »


J'acquiesçai devant l'insistance de la leader de la guilde ETHER. Apparemment, ce mouvement semblait posséder des forces assez importantes qui allaient être utiles pour progresser dans cette époque. C'était donc l'occasion idéale pour moi d'avancer de manière stable, tout comme Hakaze et Erika semblaient s'être liées à d'autres personnes dans le passé.


Je suivis donc la femme qui marchait tranquillement sous cette pluie toujours aussi embêtante et froide. Nous étions tous les deux trempés, mais cela ne semblait pas la gêner plus que ça. Nous marchâmes pendant une dizaine de minutes en parlant de tout et de rien, dans ces quelques rues de Slyburn toutes plus crasseuses et nauséabondes les unes que les autres. Himiko accéléra soudainement le pas lorsque nous arrivâmes à un carrefour. Je restai près d'elle en gardant sa cadence, malgré la fatigue musculaire qui commençait à me guetter, et lorsqu'elle s'arrêta, nous étions tous deux face à une moto assez imposante de couleur bleu nuit. Elle semblait appartenir à la leader. Impressionné par la bécane qui était devant moi, je ne pouvais articuler un mot. Ce fut Himiko qui brisa le silence en reprenant la parole d'un ton ironique.


« Penses-tu que cette moto me sied bien, Hiroki ?


— J'étais loin d'imaginer que tu possédais un tel engin. Je suis épaté.


— Je pense que les femmes peuvent aller encore plus loin que les hommes lorsqu'il s'agit de braver les interdits. Rien que le fait de penser à ma fille me suffit à me donner des ailes tu vois !


— Tu as une fille ?


— Oui, reprit Himiko, fière. Une petite fille de neuf ans. Si je continue de maintenir l'ordre ici, c'est pour que ma Hakaze grandisse dans un monde meilleur. Et toi ? As-tu une motivation ? Sans ça, tu es destiné à mourir, Hiroki.


— Mes motivations sont secrètes. m'empourprai-je en détournant le regard, pris d'une forte chaleur au visage.


— Dans ce cas, garde les pour toi. sourit Himiko, malicieuse. Allez, monte jeune garçon ! »


La femme enfourcha sa moto avec détermination. Elle semblait assez confiante à l'idée de conduire. Je grimpai derrière elle afin de me laisser guider par sa conduite. Himiko se retourna, me demanda si j'étais bien installé, obtenant ainsi une réponse positive de ma part. Elle enfila des gants noirs afin de pouvoir conduire avec confort, et lorsqu'elle fut prête, elle démarra à vive allure.


Je m'accrochai à la taille de la femme avec gêne. Elle ne semblait cependant pas gênée à l'idée que mes mains soient posées sur une partie plutôt intime de sa silhouette. Bien au contraire, puisqu'elle m'invita à serrer davantage pour pas que je ne dérape. J'étais le plus mal à l'aise de nous deux, finalement. Me laissant porter par la vitesse de la conductrice tout en dévalant une à une les ruelles sombres et vides de Slyburn, je redoutais de plus en plus les combats à venir. Être séparé de mes amies était la dernière chose que je voulais supporter étant donné que le doute du lendemain était la pire chose qui existait à mes yeux. Pourtant, je devais faire avec, étant donné que je n'avais aucune idée de leur position actuelle.


Nous roulâmes quelques minutes de plus. Cependant, alors que nous étions assez proches de la guilde selon ma nouvelle alliée, nous sentîmes tous les deux une présence assez sombre qui nous poussa à nous arrêter net. Je descendis du véhicule tandis que je dis à Himiko de rester prête à partir. Après tout… Elle n'avait rien à faire dans cette situation, puisque la présence que je sentais était familière.


Elle se rapprochait de plus en plus de nous, à une vitesse considérable. Sans vraiment que je puisse discerner exactement d'où elle provenait, je la sentais de plus en plus oppressante, de plus en plus vile, se rapprochant vers moi de la manière d'un prédateur. Lorsque enfin la personne daigna se montrer, je la reconnus immédiatement.


Sa longue cape noire et sa chevelure sombre flottaient toutes les deux sous le même rythme du vent, de son flux et reflux lent et régulier. Les yeux de l'individu se posèrent sur moi et la femme, et comme je m'y attendais, il n'avait pas changé d'un pouce depuis le temps qui était passé. Toujours aussi arrogant dans sa dégaine, il me dévisageait avec insistance tandis que je tentais tant bien que mal de ne pas me laisser troubler psychologiquement par sa présence.


Tandis que Himiko regardait la scène, incrédule, je dévisageai à mon tour l'homme marqué par les ténèbres, avant de reprendre la parole d'un ton hostile.


« Donc tu es vraiment ici… Reisuke… grognai-je. »


Une nouvelle page allait s'écrire.





Spoiler :


Zéphyra et moi arrivâmes finalement là où se trouvait la guilde portant le nom de ETHER. Le bâtiment me surprit dès que je le vis. Après tout, Slyburn était un endroit assez dégueulasse et abandonné. Voir une bâtisse de ce genre au milieu de tous ces gravats était un peu surprenant. En effet, elle était une sorte de grand manoir semblant s'élever jusqu'au ciel et dont la propriété s'étendait sur plusieurs centaines de mètres. Les murs étaient peints de bleu ciel et n'étaient pas abîmés comme les autres habitations. Apparemment, l'équipe prenait soin de ses locaux. La grande propriété était posée derrière un jardin où étaient cultivées des fleurs et des plantations diverses.


J'eus un instant de doute, me demandant si j'étais vraiment arrivé à destination, mais Zéphyra m'assura que nous y étions. Elle prit la parole avec une pointe de nostalgie dans sa voix.


« Nous sommes arrivés, Hiroki. Entre donc.


— Ok… doutai-je. Cela ne me dit rien qui vaille. Vu la bâtisse, je sens que c'est une guilde de gros m'as-tu vu et de bourgeois… »


Je m'avançai dans l'entrée de la guilde en prenant soin de rester sur le béton entourant la végétation. J'avançai prudemment, comme si un danger allait surgir de nulle part, alors que selon Zéphyra je n'avais absolument rien à craindre des individus à l'intérieur. Restant méfiant, je me posai finalement face à la grande porte vernie qui se dressait entre moi et ceux qui allaient sûrement être mes seuls repères dans cette époque.


J'appuyai sur l'interrupteur, m'attendant à un une sonnerie classique, je fus surpris lorsque j'entendis une voix masculine hurler « JPP ! Quelqu'un sonne !! » en guise d'alarme. Je retentai une fois de plus, constatant que ce « JPP ! Quelqu'un sonne !! » venait bien de mon action. Dubitatif, je me retournai vers Zéphyra en me demandant ce qu'allait être sa réaction, mais pour toute réponse elle me poussa à appuyer une dizaine de fois sur la sonnette, parce qu'elle était nostalgique disait-elle.


Mais alors que je forçais sur la sonnette, encouragé par une Zéphyra de plus en plus satisfaite, je fus coupé par un cri venant de l'intérieur.


« Ça va, ça va ! J'arrive ! hurla une voix similaire à celle de l'alarme. »


Cram et Diamond restèrent en alerte, déjà prêts à attaquer si l'occasion leur était donnée.


Lorsque l'on m'ouvrit la porte, je fis face à un jeune homme qui devait avoir l'âge de Reisuke et Erika. Il était un blond à l'air nonchalant coiffé en brosse. Il me regardait avec agacement de ses yeux marron cachés derrière une paire de lunettes. Il me dévisagea de haut en bas, et par réflexe je fis de même. Il portait une veste bleue nuit ouverte sur un tee-shirt gris clair et un pantalon de la même couleur. Il tenait également un livre dont je ne pouvais discerner le contenu. Lorsque enfin il prit la parole je fus alors frustré.


« JPP ! hurla-t-il, agacé. Quelqu'un s'est ramené ! Et quel genre de mec par-dessus le marché !? Charisme : 0. Crédibilité : 0. Intelligence : Non mesurable. Si tu étais le personnage d'un roman, tu serais celui sur lequel je cracherais le plus !


— Bonsoir… lâchai-je d'une voix mêlant malaise et jugement négatif. « JPP » ? Qu'est-ce que cela veut dire ?


— Cela veut dire que je n'en peux déjà plus de toi ! Non mais sérieusement tu es trop prévisible ! Je sens que ton passé est d'un mélodrame à vomir et que toutes tes décisions seront stupides ! Sinon on m'a dit d'être convivial. Donc moi c'est Nathan. Et toi ?


— Hiroki. repris-je. On m'a dit de venir ici parce que… Eh bien en fait, je ne sais pas pourquoi.


— Ne me dis pas que tu me fais le coup de l'amnésique qui débarque d'une autre dimension pour accomplir une prophétie dont il est le protagoniste. soupira Nathan, exaspéré. Sérieusement, si tu me balances un développement aussi cliché, je t'écrirai une critique salée sois en certain !


— Je ne comprends pas vraiment où tu veux en venir…


— Je m'épanouis dans la critique spontanée. me lâcha le blond d'un air snob avant de me claquer la porte au nez. »


Il dut s'apercevoir quelques secondes plus tard que j'étais encore sur le pas de la porte, car il l'ouvrit de nouveau afin que j'entre. Je m'exécutai, pénétrant ainsi dans une grande salle qui semblait être le carrefour de tous les allers et venus ici. C'était un espace assez sobre qui donnait sur diverses entrées. Il devait y avoir cinq ou six directions à prendre en ne comptant pas les portes sur lesquelles débouchait le grand escalier.


J'étais un peu perdu dans ce sas. Je ne voulais vraiment pas partir dans un endroit qui n'était pas censé m'être ouvert. Je comptais sur Nathan pour m'indiquer la route à suivre, mais pendant que je regardais les alentours, il était parti dans son coin. Je restai donc indécis devant quel chemin emprunter, et malgré le fait que j'essayais d'obtenir l'aide de Zéphyra, cette dernière semblait prendre plaisir à me voir galérer. Je ne pouvais donc pas progresser sans prendre le risque d'aller là où je n'étais pas censé être.


Cependant, alors que je cherchais mon chemin, je vis un homme sortir d'une des entrées. Il était âgé d'une trentaine d'années, et possédait une barbe mal rasée. Il avait de grands yeux verts soulignés par des sourcils épais et un visage carré détouré par des cheveux en bataille. Il affichait un sourire franc, presque niais tandis qu'il déambulait dans le couloir. Lorsqu'il me vit, il s'avança vers moi d'un pas léger dans son ensemble tee-shirt plus short rayé bleu et blanc. Lorsqu'il fut enfin face à moi il prit la parole d'un ton enjoué.


« Salut Matelot ! lança-t-il joyeusement. Bienvenue à bord du paquebot ETHER ! Moi c'est Nicolas, mais tu peux m'appeler Nico. Besoin d'aide moussaillon !?


— Bonsoir, je m'appelle Hiroki, enchanté. On m'a dit de venir ici pour…une raison m'étant inconnue.


— Haha ! Quel drôle de bonhomme ! reprit l'homme en me tapant dans le dos. Je ne peux pas aider un poisson qui ignore pourquoi il dérive !


— En fait… Une femme nommée Himiko m'a dit de venir ici.


— Yoho ! Mam'zelle Himiko a donc ramené une nouvelle recrue ! C'est pas commun ça, dis donc !


— « Mam'zelle » ? repris-je, dubitatif.


— Oui l'ami ! m'assura l'homme. Himiko est la femme du leader d'ETHER et tout le monde la respecte ici, car elle a du courage à revendre ! Allez viens, je vais te présenter aux autres. »


Sans protester, j'accompagnai Nicolas qui revint donc sur ses pas en me traînant derrière lui jusqu'à la salle commune de la guilde. Comme le hall d'accueil, la salle de réception était assez sobre et bien décorée. Une énorme table était posée en plein milieu de la salle, laissant quelques personnes, environ une dizaine, se poster autour pour manger, ou pour discuter. Les personnes qui étaient assises étaient toutes des hommes de corpulence et origines variées. Il n'y avait qu'une seule présence féminine ; une jeune femme aux cheveux noirs corbeaux qui affichait une expression étrange sur son visage. Elle ne prêtait pas attention à nous. Nicolas me fit signe de le suivre, se dirigeant vers les membres de la guilde qu'il comptait me présenter. Manque de chance, ce fut ce Nathan qu'il tenta de me faire connaître en premier. Le jeune homme semblait être sur une tablette tactile, m'ignorant par la même occasion.


« Sérieusement, c'est quoi ce développement moisi !? hurla-t-il en faisant défiler le texte de sa tablette. Je vais laisser un commentaire. « Change tes persos, ton scénario. C'est trop cliché, reprends ta Miyako. » Voilà.


— Tu n'en as pas marre de lire les histoires de tout le monde pour les casser ? s'amusa Nicolas. Tu as mieux à faire non ?


— Ouais enfin non. lâcha le jeune homme en gardant les yeux sur sa tablette. J'aime bien lire, mais aucune histoire n'en vaut la peine. Attends, j'écris un autre truc. « Trop de drama, trop de tourments, mais pas de changement. » Et voilà. Je ne le lirai plus jamais.


— Tu pourrais être plus cool avec les apprentis lecteurs, tu abuses. Mathieu s'est encore excusé trois fois ce matin simplement parce que tu as dit que tu n'en pouvais plus de son livre.


— Ouais enfin son truc est bourré de fan service et de scènes hardcores. Et puis c'est tellement mal écrit, le développement est moisi. J'ai lu en diagonale et j'ai sauté tous ses arcs. C'était franchement dégueulasse en plus. Ah et sinon bienvenue dans la guilde le protagoniste de seconde zone, Hiro-machin. En plus je n'avais même pas vu, mais tu te balades vraiment avec un dragon sur la tête et un singe sur l'épaule.


— Hiroki. le corrigeai-je fermement. Et je ne suis pas venu intégrer l'équipe. Je suis de passage dans la région pour régler des affaires personnelles. Ensuite je repartirai d'où je viens. Et pour ta gouverne, je suis un breeder d'Izrath et c'est donc tout à fait normal !


— Oh JPP… soupira le blond à lunettes. Ne me dis pas que tu vas faire comme cet abruti qui spammait l'espoir dans esprits tourmentés. Je n'ai jamais vu un personnage aussi malsain et débile. »


Cette réplique marqua une pause dans la conversation. Exaspéré, je ne voulus même pas rétorquer tant la manière de penser du blond m'agaçait. Moi et Nicolas nous arrêtâmes donc, tandis que Nathan repartit à ses activités et à sa rage. Mon guide haussa les épaules en soupirant avant d'afficher de nouveau son sourire naturel.


« Bien matelot ! Attaquons avec de la douceur ! »


Nicolas me fit signe de le suivre. Il s'avança vers la jeune femme qui était assise en train de regarder une sorte de talisman fait d'argent. Ce que je vis en premier temps était sa chevelure ébène qui lui tombait jusqu'aux hanches couvertes par une longue robe rouge cramoisi, assorti à la pierre précieuse de forme rectangulaire incrustée dans son bijou. Lorsque Nicolas l'appela, elle se tourna vers nous, me laissant distinguer de près un visage surprenant. Des grands yeux bleus forts expressifs et marqués d'une profonde mélancolie, mélangée avec de la joie et du regret. L'expression de la jeune femme était assez surprenante de par son abstraction. Elle afficha un léger sourire lorsqu'elle me vit, prenant la parole avant même que Nicolas puisse entamer la conversation.


« Oh, s'amusa-t-elle. Un nouveau visage. Enchantée jeune homme. Je suis Laïla, Laïla Hoshino. À en juger par ton regard, tu ne comptes pas t'installer ici. Je peux lire en toi que tu as un but à accomplir dans un temps bref et que cet objectif tiraille ton cœur et ton esprit. Ai-je bon ?


— Comment le sais-tu… bégayai-je, abasourdi.


— Je peux aussi dire que tu es à la recherche de deux demoiselles dont tu as été séparé et qui tiennent beaucoup à toi.


— C'est juste… Tu as des talents de medium ?


— Non. renchérit la jeune fille, se moquant de moi. Je répétais simplement ce que Himiko nous a dit à ton sujet tout à l'heure, Hiroki ! »


Je m'arrêtai net face à cette révélation. Je me sentais vraiment stupide pour avoir cru à un prétendu pouvoir venant de la jeune femme. Pourtant, elle avait totalement l'air convaincue par ce qu'elle disait donc cela m'avait induit en erreur. Je repris avec gêne, cherchant à établir un contact.


« Je me suis fait avoir comme un débutant, ris-je. Dis-moi, tu as rejoint cette guilde pour empêcher une catastrophe toi aussi ?


— Oh non. sourit la jeune femme. Je l'ai rejointe pour des raisons personnelles. Tous les drames pourraient être nommés catastrophe par celui qui les vit. Le Purple Requiem a fait du bruit simplement car beaucoup de vies ont été perdues en cette nuit funeste, mais chaque jour, des catastrophes prennent en silence la vie d'innocents qui n'aspirent qu'à une vie paisible.


— C'est en effet une façon de voir les choses. soupirai-je. Mais je pense qu'il vaut mieux empêcher les grosses catastrophes pour pouvoir aussi aider ceux qui ont de la peine tous les jours.


— On dirait les mots de mon petit-frère. me lança-t-elle, narquoise. Cependant, il y a suffisamment de personnes qui participent à cette opération, donc je mène la mienne. Si la guilde a besoin de moi ils me le feront savoir. Je vais vous laisser, il se fait tard. Bonne nuit à vous.


— C'est vrai qu'il se fait tard. lâcha Nicolas. Tes fringues sont cradingues. Là-bas, tu trouveras de quoi te doucher et te changer. Ne t'en fais pas on a tout ça en trop. Notre guilde participe à des missions et on gagne des petites primes par-ci par-là. Tu devrais tenter une mission pendant que tu es là, c'est super fun !


— Merci. C'est gentil de ta part. »


Suivant Nicolas jusqu'à sortir de l'espace commun, je me dirigeai vers ce qui me semblait être une grande salle de bain comme il y en avait dans les foyers ou orphelinats. L'endroit était assez propre en comparaison avec ce que semblaient être les baraques de Slyburn. Dans cette salle de bains se trouvaient plusieurs cabines de douches les unes à côté des autres. Elles étaient toutes entourées de vitres teintées, ce qui permettait d'avoir un moment intime en paix. Face à ces box de lavage étaient disposés pas mal de lavabos ainsi que quelques armoires semblant contenir du linge. Ouvrant l'armoire, j'y déposai sans crainte tous mes effets personnels, à l'exception du médaillon de Zéphyra que je ne pouvais enlever.


Scrutant les vêtements qui étaient dans l'armoire, je décidai d'en prendre pour pouvoir me changer. Cela me mettait assez mal à l'aise, mais c'était peut-être la seule occasion pour moi de changer ma tenue dans ce monde qui n'était pas le mien. Je jetai donc ma pudeur et ma réserve pour prendre un tee-shirt un pantalon et des chaussettes, gardant tout de même mes sous-vêtements à moi qui étaient plus personnels qu'un simple maillot de corps. Attrapant une serviette, je filai enfin dans une cabine de douche individuelle pour tenter d'éclaircir mon enveloppe charnelle et mon esprit.


La cabine n'était pas si étroite qu'elle en avait l'air. Il y avait un espace pour pouvoir se changer convenablement et quelques porte-manteaux pour y déposer les vêtements. Profitant de l'espace, je m'y déshabillai pour ensuite pouvoir me glisser sous le pommeau de douche. Actionnant les robinets, je sentis alors quelque chose que j'avais oublié depuis le temps.


Si j'avais eu l'occasion de faire ma toilette avec les moyens du bord pendant ces dernières semaines, je n'avais pas eu le luxe de prendre une véritable douche. Cette sensation de la pression des gouttes me tombant sur le visage et sur le corps était certes quelque chose de banal, mais revitalisant quand on la sentait de nouveau après un laps de temps assez élevé. C'était bon de sentir l'eau glisser sur moi, j'avais l'impression d'être massé par le flot provenant d'en haut. Diamond et Cram se laissèrent aller également. Le dragon et le singe s'amusèrent sous la douche, avant de venir se faire savonner de force. Lorsque je lavais le dragon blanc, son nouveau camarade se moquait de lui, mais le retour de bâton lorsque je m'occupai de ce dernier fit rugir de plaisir mon petit protégé qui prenait sa revanche.


Ne voulant pas utiliser trop d'eau alors que l'on m'offrait le gîte, je sortis au bout de dix minutes de relaxation dans cet espace. J'y aurais bien passé plus de temps, mais je ne voulais pas abuser de la gentillesse de ces personnes. Retournant dans la partie destinée à se changer, je me séchai puis enfilai les vêtements neufs pour mettre en boule mes anciens habits bons pour partir à la poubelle tellement ils avaient encaissé. Lorsque je fus hors de la cabine de douche, je tombai nez à nez avec la personne que je voulais voir. C'était cette femme qui m'avait dit de venir ici. La leader d'ETHER aux cheveux blancs et aux yeux saphir, Himiko Namatame. Elle montrait un sourire assez franc montrant une chaleur assez forte.


« Je suis ravie que tu aies décidé de venir, Hiroki. Comment était la douche ?


— Très agréable. répondis-je en me prosternant. Merci beaucoup Himiko. C'est un joli bâtiment que vous avez ici dites donc.


— En effet. sourit-elle. Au départ il était une petite maison de rien du tout, mais au fur et à mesure de l'accomplissement de nos missions nous avons pu faire agrandir. Mon mari a travaillé dur pour que ce projet aboutisse, je lui en suis reconnaissante.


— Cela doit être difficile de garder l'intimité d'un couple dans ces conditions, non ?


— Ne t'en fais pas pour ça mon garçon. Nous avons nos quartiers moi et ma famille. Mais c'est bien la première fois qu'on me fait ce genre de remarque haha !!! Enfin, il se fait tard mais comme tu le vois tout le monde ou presque est encore debout. Cependant je te conseille d'aller te coucher. Demain tu auras sûrement pas mal de choses à faire, là où mon mari et ses amis peuvent dormir jusque midi s'ils le souhaitent.


— D'accord, acceptai-je, je vais aller me reposer. Cependant, pourrais-je voir ton mari avant ça ? J'aimerais le remercier convenablement pour m'offrir le gîte.


— C'est assez poli de ta part. Viens, je vais te mener à lui. »


Je séchai mes amis, avant de suivre la leader qui marchait tranquillement dans ses quartiers. C'était assez drôle de voir que Himiko, la mère de Hakaze, était une femme qui possédait deux aspects bien distincts en elle. D'une part, elle possédait un côté assez robuste qui lui permettait de se défendre elle et autrui dans un environnement de crise, et de l'autre côté elle était la gestionnaire de la guilde, telle une femme au foyer à grande envergure. J'aimais ce type de personnes qui n'étaient pas uniformes, et Himiko était l'une d'elle.


Nous passâmes dans la salle commune d'où je venais, et cette fois ce fut quelqu'un d'autre qui attira mon attention. Une petite fille qui devait avoir huit ou dix ans arriva en courant, dans un pyjama vert à rayures, pour se jeter sur la femme qui m'accompagnait. Himiko commença à rire tandis qu'elle la repoussa avec douceur. La gamine jeta un regard dans ma direction, me laissant voir qui elle était vraiment. Elle possédait de grands yeux verts assez ronds, animés d'une lumière assez intense. Ses cheveux courts n'obstruaient pas sa vision, me faisant contempler tous les traits du jeune visage face à moi, puis les comparer avec ceux de la femme que je connaissais. En effet, c'était Hakaze qui était face à moi. La petite fille, après s'être arrêtée sur moi, reprit la parole à l'attention de sa mère.


« J'ai encore réussi Maman ! Les racailles de dehors se sont fait détruire !


— Arrête de parler comme ton père, Hakaze. la sermonna sa mère. Tu ne devrais pas utiliser un langage aussi violent à ton âge. Tu auras le temps pour les jurons ne t'en fais pas.


— Mais je n'imite pas papa ! geint la petite. Si je l'imitais ça serait comme ceci : « Violet !! Où es-tu, ma Violet !? Je voudrais tant te retrouver pour te faire part de mes sentiments ! ». dit-elle d'un air dramatique. »


Les larmes montèrent aux yeux de Himiko qui perdit drastiquement toute la force et l'assurance qu'elle affichait jusqu'alors. Elle s'arrêta quelques secondes, les essuyant discrètement d'un revers de la manche, avant d'inviter sa petite fille à la suivre.


La jeune fille acquiesça avant de nous suivre, toute aussi enjouée que lorsqu'elle se jeta sur sa mère quelques minutes auparavant. Je marchai à leurs côtés, amusé par le fait de voir mon amie une quinzaine d'années en arrière. C'était assez amusant la comparaison entre la petite et la grande, mais cela ne me choquait pas énormément, moi qui l'avais connue à l'adolescence.


Nous arrivâmes finalement dans ce qui semblait être la salle d'entraînement de la guilde. Elle était similaire à un gymnase. L'espace était très aéré tandis que sur les côtés se trouvaient des sortes de gradins dans lesquels pouvait s'installer une cinquantaine de personnes. Au milieu du terrain se trouvaient deux hommes en train de s'affronter en match. Le premier était un homme âgé d'environ trente-cinq ans qui était habillé d'un simple ensemble pantalon/chemise noir. Je pouvais le dire sans analyser quoi que ce soit, cet homme était Soichiro Namatame. Il était face à un jeune qui allait sûrement attaquer la vingtaine. Le brun aux cheveux en brosse fixait le patriarche de son regard provocateur couleur noisette tandis que le duel semblait tourner en sa défaveur.


« Tu as encore du chemin pour m'affronter gamin. souffla le maître de la guilde. Absolute Zero : Gungnir ! »


Des tas de lances glacées sortirent du sol, se dirigeant à une vitesse folle sur un oiseau aux couleurs jaunes, rouges et violettes qui semblaient être d'élément feu. Le volatile tenta de cracher des flammes afin de les faire fondre, mais il n'était pas assez puissant. Il se fit percuter, puis disparut de l'espace dans un cri sourd et strident.


« Ugo. entama Soichiro. Oiseau du soleil cramoisi a encore du chemin à faire pour être à la hauteur. Tu devras t'entraîner dur pour me vaincre.


— Tss. ragea le brun. Nous parlons du grand Crimson Sunbird. Évidemment qu'il viendra te vaincre un jour ! Je trouverai un moyen, il faut que j'en trouve un. La prochaine fois, j'aurai la victoire. »


Cet « Ugo » repartit les mains dans les poches, frustré par le combat qu'il venait de perdre. Il passa à côté de nous afin de sortir de la salle d'entraînement. Je le regardai sortir, mais lorsque nos regards se croisèrent, il afficha un air moqueur et provocateur à mon égard. Scrutant mes partenaires, il esquissa un « tss » qui se noya dans son mouvement pour sortir. Je ne savais pas ce qu'il avait contre moi, mais il ne semblait pas m'apprécier. Et moi non plus, au vu du jugement qu'il portait sur mon Diamond et mon Cram.


Une fois le jeune homme sorti, la petite fille se rua vers son père avant de se jeter dans ses bras comme elle l'avait fait avec sa mère. Elle prit la parole, affichant ses progrès d'une voix enjouée.


« Papa ! cria la petite. Je suis revenue j'ai gagné ! Zéphyra m'a bien aidée à progresser encore une fois !


— Bravo ma petite ! reprit le père d'une voix douce. Je suis fier de toi. N'oublie pas, prends bien soin de Zéphyra. Elle est une alliée fidèle qui t'aidera toujours et qui t'aime énormément. Je compte sur toi pour être digne d'elle.


— Je ferai attention, promis ! Et un jour nous retrouverons Violet pour toi !


— Chéri, la coupa Himiko dont les larmes étaient remontées, arrête de lui ressasser tes histoires, elle va finir par y croire…


— Et alors ? reprit Soichiro, sans vraiment y prêter attention. L'enfance c'est aussi garder des croyances, et puis tu sais, sans Zéphyra et Violet, nous ne nous serions jamais rencontrés ma chérie.


— Change de disque… soupira Himiko, avant de reprendre avec le sourire. Tu me sors toujours la même chose. »


En entendant ces quelques mots, je sentis quelque chose d'étrange à l'intérieur de moi. Je compris quelques secondes plus tard que c'était Zéphyra qui exprimait quelques regrets en mon for intérieur. Je pouvais la comprendre, elle qui était si proche de la famille Namatame. Je tentai de reprendre du poil de la bête, afin d'envoyer des ondes positives à ma nouvelle partenaire improvisée. Mais alors que je me concentrai pour lui renvoyer du positif, Himiko m'interrompit.


« Chéri, voici Hiroki. C'est le garçon dont je t'ai parlé.


— Oh, bienvenue dans la guilde. me lança l'homme avec chaleur.


— Bonsoir. repris-je, tandis que Himiko emmena sa fille ailleurs. Merci de m'accueillir chez vous. Je m'appelle Hiroki, Yamada Hiroki.


— Hiroki… Oui on m'a prévenu de ton arrivée. Bienvenue ici. Je suis Namatame Soichiro, je suis le leader d'ETHER. Alors comme ça ma femme t'a amené ici ?


— Oui, c'est bien ça.


— Bien. Tu peux rester autant que tu le veux ici. Je lis en toi un profond sentiment de doute et un poids assez lourd sur tes épaules. Avant de reprendre ta quête, je te suggère de répondre à tes questions.


— Ça serait difficile… À vrai dire… Ma quête serait beaucoup plus simple si je connaissais des choses sur mes parents. Je ne les ai pas connus assez longtemps, donc c'est embêtant. Mais je ne peux rien y faire si ce n'est vivre avec le vide.


— Yamada hein… réfléchit l'homme. J'ai un ami médecin qui s'appelle comme ça… Peut-être devrais-tu chercher de ce côté pour avoir une piste ?


— J'aimerais éviter de passer par ce genre de procédés. Pour être honnête, je ne me sens pas tout à fait à ma place ici.


— Tu as raison. approuva Soichiro. Il ne vaudrait mieux pas remuer les spectres de ton passé, surtout lorsque tu viens d'une époque différente.


— Je vous demande pardon ?


— On me la fait pas à moi. sourit-il. J'ai compris que tu n'étais pas de cette époque. Après tout, des amies à toi sont venues me voir il y a des années maintenant. Alors, où sont Erika et ma fille ?


— Si j'ai interrompu mon voyage en passant par ici, c'est justement par espoir de les retrouver. avouai-je. Ne le dites ni à Himiko, ni à la petite que Hakaze se trouve ici. Je voudrais éviter de causer plus de dégâts temporels que ce que j'ai déjà causé. Pour ma part, avant de les ramener avec moi, je dois faire une chose ici.


— Ce fameux poids que tu dois poser n'est-ce pas ? Alors, quel est-il ? »


Je pris une grande inspiration. Était-ce le moment propice pour révéler mes objectifs… ? Ou devais-je les taire… ? Je restai silencieux quelques secondes, pensant à tout ce que l'on avait traversé. Yokohama était notre dernière chance de réussir, je devais donc maximiser mes chances en prenant le plus d'alliés possible dans la bataille. Ce fut sur cette pensée que je manifestai le courage de dévoiler mon objectif final dans ce voyage, bien plus important que toutes les raisons du monde.


« Si je suis ici, déclarai-je enfin, c'est pour sauver Reisuke. En tant que grand frère, je ne pourrai jamais me pardonner s'il lui arrivait quelque chose. Je l'ai promis à nos parents, je délivrerai Reisuke. »





Spoiler :


Soichiro Namatame me lança un regard dubitatif. Il fallait dire qu'il ne me connaissait pas encore à cette époque, même si moi je ne le connaissais que trop bien. Me confier était plus facile avec lui que n'importe qui d'autre. L'espace d'un instant j'en oubliai toutes mes promesses, et toute ma pression. Je baissai les armes le temps d'une confession brève et ridicule visant à soulager ma conscience.


« Disons qu'il s'est passé quelque chose dans notre vie, à moi et Reisuke, lorsque nous étions gamins. À cause de cet évènement, mon petit frère a pris de la distance, jusqu'à m'oublier totalement. Et j'ai de bonnes raisons de penser que ce qu'il se passe aujourd'hui avec lui est une conséquence d'un dommage psychologique qu'il a subi et que je n'ai jamais su réparer. Je voudrais pouvoir l'aider à sortir de cette spirale et le renvoyer avec Erika et Hakaze à la maison. Mais je ne suis pas aussi fort que je n'en ai l'air. Au fond, je ne suis qu'un breeder de seconde zone qui est incapable d'accomplir quoi que ce soit par lui-même. »


Il réfléchit à mes paroles, s'arrêtant quelques instants en posant son regard dans le vide. Il semblait réfléchir à un moyen de régler les soucis concernant mon frère et sa fille. Je le fixai, espérant qu'il m'apporte une solution, ou tout du moins, qu'il m'aide à en trouver une. Mais lorsqu'il se tourna vers moi, je vis dans ses yeux qu'il revenait bredouille.


« C'est un problème assez épineux en effet. murmura-t-il en se grattant la barbe. Et je crains ne pouvoir être d'aucune aide dans l'immédiat. Tu viens d'une autre époque, et je ne connais pas vraiment ton contexte. De plus, il y a déjà pas mal de soucis ici, depuis que le groupe « Purple Revolution » est actif.


— « Purple Revolution » ? demandai-je, dubitatif. Pourriez-vous m'expliquer ce que c'est ?


— Bien sûr. me répondit-il. Je suppose que tu es au courant de la catastrophe qu'il y a eu ici, le Purple Requiem ? Cette explosion qui a scindé la ville en deux ?


— En effet. J'ai appris beaucoup à ce sujet grâce aux livres, mais surtout grâce à vous, dans le futur.


— Eh bien, s'amusa l'homme, je radote dans le futur. C'est triste. Quoi qu'il en soit, depuis que la ville a été séparée en deux, le maire, Romain Sawyer, a tout simplement décidé de renommer les moitiés. Yokohama Est a été renommée Slyburn, et Yokohama Ouest Slyfair. Slyburn, dans laquelle nous nous trouvons, est un quartier qui a été laissé à l'abandon. Les services publics ont tous fermé, puis la population riche ou suffisamment aisée a migré vers Slyfair, qui d'ailleurs a fusionné avec Tokyo pour survivre. Les pauvres ont été transférés ici, et l'ensemble des personnes qui ont élu domicile en ces lieux vivent dans des endroits insalubres sous l'oppression d'une milice qui fait un monitoring de tout comportement suspect.


— C'est…une dictature ? m'interrogeai-je.


— Précisément. approuva Soichiro. Et le groupe « Purple Revolution » a décidé d'en finir. Ils veulent renverser le pouvoir en place afin de libérer la ville de Romain Sawyer.


— N'est-ce donc pas une bonne chose ? lui demandai-je, dubitatif. Renverser un dictateur, c'est le premier pas vers une démocratie.


— Pas du tout. reprit l'homme d'un signe de tête négatif. Que se passera-t-il après que « Purple Revolution » aura détrôné Sawyer ? Ils ne mettront pas un terme à la dictature : ils placeront simplement aux commandes un leader provenant de leurs rangs, appliquant leur idéologie.


— Je vois… grimaçai-je. Votre but est donc d'arrêter ce groupe ?


— Entre autres. Le but de la guilde ETHER est de prévenir toute forme de menace qui provoquerait une catastrophe similaire au Purple Requiem. « Purple Revolution » est l'une de ces menaces. »


C'était donc ça, le but final de la guilde ETHER. C'était plutôt intéressant avec du recul. Préserver la vie des innocents était bien fidèle à Soichiro Namatame et sa philosophie de vie. Zéphyra me fit savoir de l'intérieur que derrière tout cela, le leader avait aussi l'intention de reprendre la ville par la force de son côté, afin de rétablir un système cohérent qui ne léserait personne. C'était devenu le nouveau combat de sa vie, en guise de repentance pour avoir participé à l'incident qui avait détruit Yokohama.


« Tu pourras rester autant que tu le voudras ici. reprit-il, chaleureux. Le temps que tu accomplisses ton œuvre, tu auras un lit, des habits de rechange, et le ventre plein. Si tu as le temps, tu n'as qu'à aller voir Shinichi Yamada, mon ami médecin. Vous vous ressemblez assez fort et tu portes son nom. Vous avez forcément un lien de parenté.


— J'irai le voir sans faute. souris-je. Merci beaucoup pour votre hospitalité, Soichiro. Comment pourrais-je vous rendre la pareille ? Je n'aime pas avoir des dettes.


— Eh bien… Tu ne pourrais pas faire grand-chose pour moi au beau milieu de la nuit hélas. Cependant, j'ai bien une mission à t'attribuer pour que tu m'aides. Depuis que Slyburn a été laissée à l'abandon, les gangs sont légions. Je me suis donc auto-attribué la tâche de démanteler ces groupes, et les ramener sous la bannière d'ETHER afin d'unifier notre territoire et encadrer la jeunesse. J'ai justement repéré un de ces réseaux, et je compte y envoyer des recrues. Pourrais-tu les accompagner ?


— Bien sûr. repris-je confiant. Tout ce que vous voudrez, Soichiro. Je ferai de mon mieux pour honorer cette tâche. »


Le leader me lança un sourire satisfait. Je le saluai avant de me retourner, sortant de la salle le cœur lourd. J'avais enfin pu laisser un peu de ce fardeau psychologique qui pesait sur mes épaules, et j'avais obtenu un peu d'espoir en la solution temporaire qu'était de rester ici et investiguer Shinichi Yamada, semblant vraisemblablement être mon père. Erika et Hakaze étaient toujours hors de portée, mais je ne devais pas m'inquiéter pour elles. Après tout, Erika possédait Toratura qui était vraiment puissante, et tant que Hakaze restait aux côtés de Reisuke, je savais que j'étais voué à la revoir tôt ou tard.


Je retrouvai Himiko qui s'était éclipsée en compagnie de sa fille lorsque j'avais commencé à exhiber mon intimité psychologique à son mari. Elle me sourit d'un air compatissant en m'invitant à la suivre. Sans rechigner, je m'exécutai et nous sortîmes de la salle commune de la guilde pour nous diriger vers les dortoirs qui étaient à l'étage. Il y avait une dizaine de chambres qui étaient pour la plupart des espaces de trois à quatre lits, mais ce fut dans une individuelle que Himiko me guida. Elle me donna la clé de la chambre et me dit de faire comme si c'était chez moi, pour finalement me laisser seul dans ce petit espace sobre mais agréable.


Je m'écroulai sur la couche qui m'était offerte. Fixant le plafond sans sourciller, toutes les émotions et actions du jour se bousculaient dans ma tête. Je me demandais jusqu'où j'allais devoir courir dans cet environnement fait d'ombre, de tristesse et de désillusion. Sans m'en rendre compte, je m'étais embarqué dans une course à l'espoir, et en ce moment je doutais vraiment de ce qui m'attendait à l'arrivée.


Je trouvai le sommeil au bout de quelques dizaines de minutes. Je ne rêvai pas cette nuit-là, bien trop occupé par la pensée du lendemain qui arriva rapidement. Lorsque je rouvris les yeux, je fus surpris par la lumière du jour qui pénétrait le petit espace par la fenêtre. C'était agréable de voir que même à Slyburn, dans un environnement laissé à l'abandon, le soleil se levait après la nuit. Avoir une vision aussi simpliste du monde me faisait reprendre un peu espoir.


Je sortis de la chambre que je verrouillai derrière moi pour ensuite me diriger vers la salle commune. Les personnes étant dans la salle avaient changé, mais étaient toujours en nombre. Apparemment, la guilde semblait faire les trois huit. Cette pensée me fit sourire. Alors que je scrutais l'équipe du matin, je remarquai une fois de plus la jeune fille de la veille. M'avançant timidement vers elle, j'espérai l'espace d'un instant qu'elle puisse me guider dans notre mission du jour. Je pris la parole d'un ton tout aussi timide que ma dégaine, me faisant enfin remarquer par la jeune femme.


« Excuse-moi, Laïla c'est bien ça ?


— Oh, s'étonna-t-elle juste une fraction de secondes. C'est encore toi Hiroki, bonjour.


— Bonjour. Dis-moi. J'ai parlé avec le leader hier, et il m'a dit qu'un gang va être attaqué par ETHER en vue d'un démantèlement. J'ai été affecté à la mission. Saurais-tu où je dois m'adresser ?


— Eh bien tu t'es adressé à la bonne personne. sourit la jeune femme aux longs cheveux noirs. Je suis la personne qui partira les traquer, avec mon partenaire. Nous serons donc trois.


— J'ai été chanceux dans ce cas. ris-je. Je suis disponible quand vous le voulez pour partir. »


Laïla me demanda de l'attendre le temps d'aller chercher son partenaire. J'acquiesçai silencieusement en guise de réponse. La jeune fille aux cheveux noirs s'éclipsa afin de se diriger vers les dortoirs. Attendant qu'elle revienne, je m'assis à la grande table, scrutant la relique quantique de Zéphyra en me posant des questions. Cram et Diamond se manifestèrent. Ils avaient faim. Je me mis alors en quête de nourriture en me dirigeant vers le réfectoire.


Quelque chose buta contre moi, avant de lâcher un juron. Un garçon semblant assez jeune, de quatorze ou quinze ans, à la touffe noire ébène. Je ne pouvais distinguer qu'un seul de ses yeux verts/jaunes perçants, puisque l'autre était couvert par une épaisse mèche de cheveux. Il était plus petit et frêle que moi. Je le dépassais de trois têtes. Pourtant, il affichait un rictus prononcé, comme s'il se foutait de moi.


« Bordel ! lâcha-t-il, désinvolte. Il y a plein de nouveaux ou quoi là !? Bordel, je sens que je vais tous vous niquer en un coup avec mes dragons cybernétiques et vous allez pleurer vos mères haha !! Moi c'est Nayel, mais tu peux m'appeler maître.


— Euh… Ok. Moi c'est Hiroki et je suis –


— Et t'es mon sous-fifre haha !! ricana le garçon. Quand tu veux je te prends en un contre un ! Ça ne durera pas longtemps je n'aime pas faire durer les batailles contres les fragiles ! »


Une main vint se poser sur l'épaule du garçon bruyant et vulgaire. Je détournai mon regard vers l'individu qui venait d'apparaître, pour voir un jeune semblant du même âge que ce Nayel. Il semblait plus calme et posé que son acolyte, même si leurs looks étaient assez similaires. En effet, le nouvel arrivé était un brun aux yeux marron possédant une mèche de cheveux lui couvrant l'œil droit tandis que c'était l'œil gauche de Nayel qui était couvert par sa mèche. Ils devaient être de bons amis pour être si semblables. C'est ce que je pensais à ce moment. Cependant, lorsque le nouveau venu ouvrit la bouche, ce fut une toute autre version comparé à son camarade.


« Ne t'arrête pas aux apparences, Hiroki. sourit-il. Tu sais, la vie est un chemin semé d'embûches sur lequel tu heurteras des obstacles. Si tu fonces dedans tu risques d'y perdre beaucoup mais si tu les contournes, alors d'autres problèmes arriveront pour essayer de te freiner sur ta route, mais ta détermination sans faille arrivera à les contourner. Si tu réussis à éviter tous les aléas et que tu devines quand la vie va te surprendre, tout en prédisant que la vie va te prédire, alors tu sortiras victorieux.


— Euh… Merci… bégayai-je, même si je n'avais rien compris à son monologue.


— Je t'en prie. Moi c'est Buster. Je suis ici depuis un petit moment, et j'attends dans l'ombre pour pouvoir briller. Sais-tu que l'amitié est un sentiment paradoxal ? Tu t'attaches à des gens qui vont forcément disparaître de ta vie un jour, mais tu te sens obligé de le faire, car tu sais que tu vas passer de bons moments avec eux, mais ces instants ont pour prix une faiblesse immense lorsque l'on se sépare, donc nous sommes tous masochistes au fond.


— Je suis d'accord. répondis-je afin de ne pas contrarier celui qui me semblait fou.


— Je suis ravi que tu comprennes. sourit le brun. Je suis content de voir quelques personnes ouvertes d'esprit rejoindre notre guilde. C'est important d'avoir des surprises dans la vie, et j'en ai eu une grâce à toi. Merci, Hiroki. »


Le garçon se prénommant Buster soupira lorsque Nayel le tira par la manche. Il s'en alla avec son partenaire en me faisant un signe de main. Amusé par la mini querelle entre les garçons qui étaient deux facettes d'une même pièce, je revins à mes occupations. Cependant, comme pour ne me laisser aucun moment de répit, ce fut cette fois Laïla qui revint me voir, accompagnée de mon camarade du jour. Un homme brun aux cheveux en bataille. Il possédait des yeux marron soulignés par des traits assez fins qui lui donnaient un regard assez doux. Tout habillé de noir, il s'avança accompagné de son amie afin de prendre la parole.


« Alors c'est toi le nouveau ! lâcha-t-il joyeusement. Je ne voulais pas rester le bleu longtemps, je suis ému ! Je m'appelle Jordan Sankels. Je suis aussi un membre récent de la guilde.


— Salut, moi c'est Hiroki Yamada. Enchanté. Je ne suis pas de la guilde, juste de passage. Je vais vous aider, toi et Laïla, dans votre mission du jour.


— Laïla m'a expliqué oui. sourit le jeune homme. Un peu d'aide ne serait pas de refus. Je n'ai pas vraiment l'habitude de ces missions. Je n'étais pas dans un gang, juste dans un foyer pour jeunes délinquants.


— D'ailleurs, repris-je, qu'est-ce que vous appelez « gangs » ?


— Des rassemblements d'individus mal intentionnés qui possèdent des zones de Slyburn. reprit Laïla. Ils instaurent souvent des dictatures violentes et répressives dans leurs arrondissements respectifs. Notre travail est de démanteler leurs réseaux et de les recruter dans notre propre gang, sous les directives de Soichiro.


— La cible du jour est le groupe « United We Stand », connu sous le code « UWS ». Chez nous on l'appelle le gang des hohos, parce qu'ils disent hoho à la fin de chacune de leurs phrases.


— Le gang des hohos ? souris-je. Amusant.


— Ne sous-estime pas un gang, Hiroki. lança Laïla, glaciale. Un gang est souvent composé de personnes prêtes à tout pour échapper à la justice. Blesser, piller, tuer, violer, écorcher, massacrer, dépecer, noyer, brûler, décapiter… Tout est possible pour un membre de ces groupes de crapules. Tu risques ta vie lorsque tu en démantèles un.


— Les « United We Stand » passent surtout leur temps à parler d'oiseau du soleil cramoisi et à se railler les uns les autres en écoutant de la pop japonaise. soupira Jordan.


— Tu n'es pas drôle. bouda Laïla qui semblait vouloir me faire peur. J'ai toujours rêvé d'affronter un vrai groupe de truands, mais finalement ce sont juste des adolescents à la dérive. »


Je soupirai, puis nous partîmes. Laïla avait déjà localisé la base qu'elle avait enregistrée sur un GPS. Nous marchâmes ainsi, Jordan, elle et moi, dans les rues de Slyburn. Je guettais en même temps après Erika, Hakaze, et Reisuke, mais aussi après Shinji, le breeder tyrannique. Je voulais absolument avoir un autre match contre cette énergumène qui retenait entre ses griffes des tas d'êtres aussi fragiles que Cram. Il fallait que je les libère tous. Mon honneur d'éleveur d'Izrath en dépendait.


Accompagné par les deux jeunes de la guilde, j'avais l'impression d'être dans le groupe depuis toujours. Jordan me parlait assez amicalement tandis que Laïla ne manquait pas une occasion pour me lancer des blagues douteuses et me dire que quelque chose en moi l'attirait. Sans comprendre vraiment de quoi elle voulait parler, je continuai avec le sourire jusqu'à une espèce de garage, me demandant jusqu'où irait cette mission d'aujourd'hui.


L'endroit était désert. Nous étions arrivés dans une sorte de garage abandonné dont la seule issue mis à part l'entrée était une série d'escaliers descendant vers une cave. Nous descendîmes tous les trois, jusqu'à apercevoir ce qui se trouvait vraiment au-dessous de l'étage. Nous fûmes surpris. C'était un souterrain.


Ici étaient entreposées trois motos, ainsi qu'un side-car. Sur toutes les bécanes était dessiné un emblème ressemblant à un oiseau de feu coloré de nuances de jaune, violet, et rouge. Elles étaient soigneusement entretenues, lustrées même. Laïla s'en approcha. Elle sortit de sa poche une espèce d'assistant électronique ainsi qu'un câble étrange. Elle connecta le fil à son objet, l'autre, à une des motos. Quelques secondes passèrent tandis que je la scrutais d'un air dubitatif.


« Matricule X25-345BA. dit la voix robotique de l'assistant électronique. Propriétaire : Jérôme Duskill. Téléchargement des lieux visités en cours…


— Eh bien ! soupira Laïla. Je ne pensais pas que cela serait si simple.


— Je peux savoir ce que tu as fait exactement ? la questionnai-je.


— C'est très simple. reprit Jordan. Laïla n'en a pas l'air, mais elle est très forte lorsqu'il s'agit d'informatique. Elle a piraté un assistant électronique pour en faire un agent de hacking multifonction. Il permet entre autres de passer des portes verrouillées électroniquement, d'obtenir des informations sur les appareils électroniques, et de les contrôler à sa guise.


— Ok. reprit la fille aux cheveux noirs qui semblait avoir trouvé quelque chose. En écoutant les conversations qu'ils ont eues lorsqu'ils conduisaient la moto, je peux en déduire que leur planque se trouve… »


Elle nous pointa le mur, l'air satisfait.


« Juste là ! »


Nous nous arrêtâmes tous les trois devant l'étendue de granit, et je me demandais si je n'étais pas victime d'un autre plaisanterie de la jeune fille. En effet, aucune issue ne semblait accessible du premier coup d'œil. Mais elle nous dit de la laisser faire. Elle se présenta devant l'impasse, avant de scander quelques mots, comme une incantation.


« — T'as pas de skill, grand génie ! cria-t-elle. »


Le mur sembla se fissurer lorsqu'elle prononça ces paroles, mais il n'en était rien. Une entrée secrète se révéla, nous ouvrant l'accès sur un couloir dont on ne pouvait voir le fond. Je restai bouche bée. Ils avaient vraiment réussi à créer un passage qui ne s'ouvrirait qu'en reconnaissant des mots clés ? Et Laïla avait deviné tout ça rien qu'en écoutant une conversation enregistrée par leurs motos ? Dans tous les cas, elle nous avait débloqués.


« Afin de préserver le skill de la procrastination ! résonna une voix depuis le fond du couloir tandis que je restais sur mes gardes.


— Afin de rallier le grand Sunbird dans notre passion. dit une autre voix masculine. »


Tandis que nous progressions dans le couloir, des torches s'allumèrent toutes seules autour de nous, alors que l'ambiance devenait de plus en plus solennelle. Je sentais Jordan trembler de peur, tandis qu'un sourire lugubre se dessinait sur le visage de Laïla qui semblait avoir trouvé ce qu'elle venait chercher. Je déglutis. Allions-nous vraiment affronter un gang prêt à tout ? Il n'y avait qu'une seule façon de le savoir.


Lorsque nous arrivâmes au fond du couloir, nous débouchâmes sur un grand espace obscur illuminé par un cercle de torches. Au milieu de cet endroit se trouvaient trois individus rassemblés autour d'une grande flamme colorée de jaune, de rouge, et de violet. Ils dansaient ensemble face à la source incandescente tout en continuant leur chant.


Je considérai cette bande semblant assez particulière, me laissant les entendre s'appeler par leurs prénoms. Le dénommé Alain, le plus jeune, était souriant. Il était un gamin de treize ou quatorze ans portant une casquette rayée de couleur bleue et blanche. Habillé d'un tee-shirt et d'un short, il laissait paraître un air très sérieux et déterminé, fixant la flamme multicolore comme si sa vie en dépendait. Le second semblait avoir dix-sept ou dix-huit ans. Un jeune homme aux cheveux en piques de couleur brune soutenus par de la laque. Une de ses mèches était colorée de rouge, une autre de jaune, et une troisième de violet. Il affichait une expression neutre, mais soulignée par des traits du visage épais qui lui donnaient un certain charisme.


Enfin, le troisième était radicalement différent des deux autres. Il semblait avoir mon âge et dépassait de trois têtes celui de dix-sept ans. Il portait un bandana qui cachait la plus grosse partie de ses courts cheveux noirs comme du charbon, mais ce qui me captivait le plus, outre la carrure en armoire à glace de cette personne, était son regard perçant de couleur verte. Il affichait une expression désinvolte et glaciale à la fois, presque ténébreuse. Il portait un pantalon noir en velours, assorti à son tee-shirt sur lequel était incrusté un point comme l'on en utilisait pour terminer nos phrases.


« Nous avons les trois leaders. sourit Laïla alors que nous étions cachés derrière des poutres de cette base souterraine. Alain et Jérôme Duskill, les deux frères, ainsi que Kosta dit le grec.


— Ok. dit Jordan, concentré. Voici le plan. Nous allons les prendre en embuscade pour essayer de les faire fuir vers l'entrée, puis Laïla les attendra et se chargera de les mettre hors d'état de nuire.


— Elle en serait capable ? chuchotai-je, dubitatif. Trois hommes contre une femme me paraît déséquilibré.


— Déséquilibré pour eux oui ! reprit Jordan pris d'un glacial frisson. Je les plains tellement. J'en ai la chair de poule rien qu'à imaginer dans quel état ils vont revenir. »


Mais alors que nous parlions du plan, nous fûmes interrompus par un bruit sourd. J'eus à peine le temps de projeter Jordan sur le côté pour qu'il évite un projectile provenant de derrière. Je lançai un œil à l'objet brisé au sol… Une boule de cristal ?


« Je m'en étais allé en avril 2014 et voilà ce que je trouve à mon retour… murmura une voix grave sous une cape. Comment êtes-vous arrivés ici ? »


Il n'eut pas le temps de rétorquer que Laïla l'attaqua sans crier gare. Par réflexe, il réussit à bloquer l'attaque de mon alliée par une autre boule de cristal qui éclata en mille morceaux. Nous nous reculâmes, Jordan et moi, afin d'éviter les projectiles, nous faisant repérer par les autres membres de l'« United We Stand ». Furieux, ils condamnèrent la seule entrée d'un geste de la main, nous emprisonnant ici avec eux, pour le meilleur et pour le pire.


Ma première bataille chez ETHER allait avoir lieu, et était sur le point de dévoiler avec elle toute la dangerosité du milieu des gangs de Slyburn…





Spoiler :


J'emportai Jordan et Laïla dans ma course, alors que le nouvel individu nous poursuivait dans l'espace. Nous n'avions plus d'issue pour sortir, alors nous allions devoir trouver un moyen de les vaincre ici, une bonne fois pour toutes. Nous dévalâmes les escaliers qui menaient au centre de la pièce, plus bas, sachant très bien que là-bas nous attendait une confrontation frontale avec les membres de « United We Stand. »


Je plaquai Laïla contre le mur, lui faisant éviter une autre boule de cristal dont les éclats qui venaient d'exploser frôlèrent ma joue droite. Le verre brisé m'ouvrit un peu la peau, mais je n'eus pas le temps de guérir ma blessure, puisque l'homme était à nos trousses.


« Ok ! entama Jordan, acculé. Une fois en bas des escaliers c'est chacun pour soi ! Si nous restons groupés c'est fini ! Prenez-en chacun un et faites de votre mieux pour rester en vie ! »


Nous acquiesçâmes, Laïla et moi. Une fois en bas des escaliers, nous nous dispersâmes. Jordan fut suivi par Alain, notre amie par Kosta, moi par Jérôme. Tous les trois se lancèrent à notre poursuite, aidés par les boules de cristal violemment projetées sur nous de manière imprévisible. Cependant, aussi étrange que cela pouvait paraître, aucun des membres de l'équipe ennemie n'utilisait ses pouvoirs liés à Izrath pour nous attaquer. Ils se contentaient de courir après nous en nous menaçant et en nous insultant.


Diamond, qui visiblement avait l'air agacé par ce qu'il se passait, sauta de ma chevelure. Je me retournai dans ma course en lui criant de ne pas intervenir, mais ce n'était plus possible de l'arrêter. Le dragon blanc fonça à toute vitesse sur Jérôme…qui se le prit en pleine face avant de s'écraser lamentablement au sol.


« Hinhin. grogna l'homme en se relevant. Il a envoyé le dragon du skill le grand génie. »


Tandis que mon compagnon revint dans la chevelure, et que visiblement, Jérôme ne semblait pas aussi puissant qu'il n'en avait l'air, je me mis en garde face à lui. Cram descendit de mon épaule pour se positionner face à mon adversaire à mes côtés, prenant la position de défense d'un boxeur en couinant d'une voix aiguë et faible. Mais contre toute attente, Jérôme, qui voulait en découdre, se rua sur nous à une vitesse tout à fait normale. Un peu lente même. J'eus clairement le temps de voir arriver l'offensive du grand baraqué qui m'attaqua avec une pierre qu'il ramassa en course.


Il tenta de la lancer sur moi, mais Diamond la dévia rien qu'en soufflant dessus. Le dragon regarda son adversaire avec consternation, posant sa patte sur sa gueule en signe de dépit.


« Trop de skill. ricana Jérôme qui ne perdit pas espoir. Mais maintenant, tu te calmes. »


Je fus surpris. Vraiment. Lors de sa troisième attaque, que je pensais alors aussi ridicule que les deux précédentes, il s'écrasa à une vitesse folle contre moi, ne laissant qu'une ombre rouge m'asséner un coup de griffe acérée similaire à celle d'un rapace. Une large entaille se creusa sur mon torse tandis qu'il se mit à saigner, me tirant des gémissements de douleur que je peinais à réfréner.


« Skill Magic : Sunbird Claws. ricana le baraqué. Chez United We Stand, nous avons tous une marque de l'oiseau du soleil cramoisi. Moi, ce sont les serres. Essaie de me vaincre, grand génie.


— Tu m'as eu par surprise… grognai-je. Mais cela ne se reproduira pas.


— Tu te calmes. lâcha froidement l'homme. Tu diras ceci à ton leader : « Ma bannière, escroc. » »


Je serrai les dents pour essayer de contenir ma douleur, tandis que je ne pouvais m'empêcher de me courber légèrement. Diamond s'approcha de moi en couinant tandis que Cram, lui, s'était mis en tête d'affronter l'homme aux griffes acérées. Je voulus retenir le singe, mais le dragon ne me laissa pas faire. Il arracha le reste de mon tee-shirt afin d'avoir accès à mon torse, et me lécha les plaies. Je ne voulais pas que Diamond combatte, ce qui me fit oublier une chose essentielle : mon ami était un dragon d'élément lumière, et cet élément était connu en Izrath pour ses capacités de guérison. Ainsi, au fur et à mesure que la langue de mon Izrathien passait sur mes plaies, ces dernières se refermaient toutes seules, comme si rien n'était arrivé.


J'eus tout juste le temps de me jeter sur le singe pour éviter qu'il n'encaisse l'attaque de Jérôme. Mon ami l'Izrathien me lança un regard admiratif alors que je mordais la poussière à sa place. Mais je ne pus même pas m'assurer qu'il n'avait rien de cassé, puisque je dus bloquer les serres de Jérôme qui, à la vitesse de la lumière, ne me laissait aucun répit. Je réussis cependant à le contrer en manifestant de nouveau les flammes que j'avais sorties face à Reisuke dans le passé, de manière totalement involontaire encore une fois. Un mur flamboyant de couleur bleue me protégea de l'assaut, avant de disparaître tout simplement.


Je souris. Cette seconde gagnée me permit de faire un croche pied au plus vieux du gang ennemi afin de contre-attaquer. Diamond, qui ne comprenait pas quand je lui disais de ne pas se mettre en danger, reprit pendant quelques secondes la forme du majestueux dragon blanc aux yeux bleus avant d'attaquer de plein fouet notre adversaire qui ne put esquiver l'attaque.


Jérôme se fit propulser contre les parois de ce sanctuaire improvisé. Il ne lâcha même pas un cri de douleur lorsqu'il heurta le mur. Il ricana simplement en disant que ce n'était que de la chance.


Je me tournai vers les autres membres de mon groupe, et à ma grande surprise, ils avaient réussi eux aussi. Jordan avait vaincu Alain, qui possédait les ailes du soleil cramoisi, tandis que Laïla, elle, avait massacré Kosta dont les pouvoirs avaient disparu tant elle avait été violente envers lui. Elle semblait également avoir saisi une boule de cristal de l'individu masqué pour la fracasser sur son crâne maintenant ensanglanté au passage.


« Qui ose donc toucher à mes camarades !? S'exclama une voix grave sortie de nulle part. Je ne vous le pardonnerai jamais ! »


Nous nous tournâmes dans la direction d'où venait le cri : l'entrée de l'espace de bataille. C'était ce jeune homme au regard désinvolte de la guilde ETHER : Ugo. Il fit un grand bond vers nous, voltigeant dans un salto gracieux avant d'atterrir majestueusement au sol, à nos côtés.


« Tu arrives quand la fête est finie Ugo… soupira Jordan. Ils ont déjà tous été vaincus, nous pouvons rentrer à la guilde. »


Jordan se retourna, prêt à rentrer à ETHER par la porte désormais ouverte. Il ne fallut qu'une seconde. Une seule seconde pour qu'il se fasse percuter par un projectile enflammé qui le projeta contre une paroi du mur, le laissant lâcher un hurlement de douleur étouffé par le bruit de l'impact. Laïla se rua sur lui, inquiète, afin de constater son état de santé, tandis qu'Ugo, lui, nous regardait avec toute la colère du monde dans les yeux.


« Hoho, ils croyaient vraiment que je parlais d'eux quand je disais mes camarades. lâcha le jeune homme avec mépris et ironie. Je vais éclairer votre lanterne, grands génies. Je suis Ugo Porreau ; actuel chef des United We Stand, et vous avez malmené mes amis, non, ma famille. »


Les corps des autres membres du gang luisirent d'éclats rouges, jaunes, et violets, qui s'unirent rapidement autour de l'autoproclamé chef. Il scintilla d'un éclat cramoisi qui souleva un nuage de fumée, me faisant plisser les yeux par réflexe. Lorsque l'air redevint plus clair, j'eus l'occasion de constater ce qu'il en était.


Ugo avait changé de forme. Il était devenu un gigantesque oiseau rouge à la tête jaune dont le plumage était un dégradé des trois couleurs de son équipe. Le volatile à la crête cramoisie poussa un cri strident qui me faisait ressentir toute sa détermination. Mais alors que je pensais qu'il allait attaquer directement, il prit la parole.


« Hoho ! s'amusa-t-il d'une voix vacillant entre celle d'Ugo et une tonalité stridente. C'est futile. Moi vivant vous ne toucherez jamais à la United We Stand ! Rendez-vous maintenant, et prêtez allégeance au grand oiseau du soleil cramoisi si vous voulez rentrer la vie sauve !!!


— Pourquoi as-tu eu besoin de blesser Jordan !? m'exclamai-je, outré. Nous n'allions pas les tuer, nous devions les recruter et tu le sais très bien !


— Celui qui touche à mes amis commet une faute grave. reprit l'oiseau, furieux. Je ne cautionnerai ces dégâts physiques sous aucun prétexte. Hoho. »


Lorsqu'il dit « Hoho », les quatre garçons inconscients au sol se mirent à luire à leur tour. Ils reprirent connaissance, transformés en oiseaux similaires à celui qui nous faisait face, mais de taille moyenne. Ils volèrent jusqu'à arriver aux côtés de leur chef, me laissant distinguer leur ressemblance frappante avec lui.


« Hinhin. rit l'un des oiseaux dont la voix vacillait entre celle de Jérôme et un cri strident. T'es fini grand génie. Notre équipe pue le skill.


— Ne va pas trop vite, enchérit celui de Kosta. Il risque de ne pas tout comprendre.


— Le destin était écrit depuis avril 2014… reprit calmement l'autre oiseau. »


Je me dressai face aux cinq oiseaux qui étaient prêts à se jeter sur nous. Lorsqu'ils se ruèrent sur moi, attaquant tous en rapace, j'eus le temps de voir le tourbillon de flammes qui embrasa chaque volatile qui s'apprêtait à m'attaquer. Je me tins raide et droit face à cette attaque, prêt à dévier par n'importe quel moyen toute cette puissance.


Mais à ma grande surprise, ils n'eurent pas le temps de me toucher. Une ombre furtive passa devant moi avant de tout simplement s'écraser sur les cinq comparses. Les quatre plus frêles se firent tout simplement propulser au loin tandis que le cinquième perdit seulement l'équilibre.


L'ombre reprit forme humaine. C'était Laïla. Elle dévisageait les United We Stand d'un air assassin tandis que dans ses yeux désormais rouges je pouvais lire une très grande haine, un très grand mépris.


« Tu n'as pas intérêt à faire mention à qui que ce soit de ce que tu verras Hiroki. me menaça la jeune femme, ténébreuse et assassine. »


Je n'eus pas le temps de promettre quoi que ce soit. La fille aux cheveux noirs était déjà partie se battre contre le plus puissant des United We Stand, Ugo en personne. Grâce à un pouvoir dont j'ignorais les propriétés, elle se téléporta à une vitesse fulgurante derrière le volatile qu'elle propulsa au loin en projetant une onde mauve semblant assez puissante, mais surtout très ténébreuse. Ugo ne se laissa pas vaincre si facilement. Une traînée de flammes lui suffit pour repousser l'attaque de la jeune femme. Il la poursuivit ensuite en attaquant en rapace, laissant son corps lui même s'embraser alors qu'il s'était lancé dans une course derrière elle. Elle courait, il la rattrapait, et s'il la touchait, c'était fini. Mais Laïla n'avait pas encore montré tout ce dont elle était capable.


Le volatile lâcha un cri strident empli de détermination qui me fit frissonner. Je sentais que cette chose était d'un niveau largement supérieur au reste du groupe. Peut-être de celui de Reisuke et Luna. Mais Laïla ne se laissa pas démonter par l'arrogance de son adversaire. Elle se jeta silencieusement sur lui, sans émettre le moindre son. Lorsque je crus qu'elle allait simplement s'écraser sur la carcasse brûlante du monstre, elle disparut et réapparut de derrière. Cependant, il l'avait déjà notifiée.


L'oiseau lança une puissante attaque que Laïla esquiva tranquillement, sans faire le moindre effort. Quelque chose avait changé en elle. Elle luisait désormais d'un éclat rougeâtre de plus en plus fort tandis que la pression qu'elle dégageait croissait au fil du temps. Lorsqu'elle déploya sa main vers le leader des UWS, je sentis une énergie immense qui en provenait. Il ne lui fallut qu'une seconde pour projeter un rayon noir ébène d'un diamètre d'un ou deux mètres, à la vitesse de la lumière.


Il allait s'écraser sur Ugo et le tuer sur le coup. C'était ce que je pensais à ce moment, en voyant la force colossale qu'elle avait déployée. Mais le jeune garçon ne se laissa pas abattre. Il se contenta d'esquiver habilement la source de puissance qui s'écrasa dans le sol, en gravitant autour du diamètre du rayon comme s'il dansait. Il remonta ainsi jusqu'à Laïla, avant de lui cracher une boule de feu en plein dans la figure.


Elle fut projetée à une vitesse folle vers le sol, mais l'oiseau n'allait pas la laisser récupérer. Il plongea en rapace, laissant toute sa puissance enflammée se déchaîner alors qu'il était prêt à s'écraser droit sur ma partenaire. Cette dernière chargeait de l'énergie, mais bien trop lentement. Elle allait tout simplement se faire carboniser vive par l'attaque d'Ugo si elle ne faisait rien.


Dans un geste de compassion, d'urgence, ou de folie, je me ruai vers la femme afin de m'interposer entre elle et l'oiseau. Rapidement, je jetai Diamond et Cram qui roulèrent sur le sol afin de leur éviter des blessures, tandis que j'étais prêt à encaisser tous les dégâts liés à l'attaque. Lorsque la boule de feu s'écrasa sur moi, je fermai les yeux par réflexe, mais je ne sentis rien.


J'ouvris timidement les yeux de nouveau. Et ce que je vis me pétrifia. L'offensive enflammée, aussi large que le bâtiment ETHER lui-même, flottait dans les airs, arrêtée par je ne savais quelle intervention. Elle était retenue par une sorte de champ de force de couleur mauve qui semblait aspirer progressivement l'énergie qui se dégageait de la puissance ennemie.


Laïla se trouvait derrière moi et était plus déchaînée que jamais. Elle semblait particulièrement en colère, non, enragée pour une raison qui m'était inconnue. Je sentais cette fois que si je ne faisais rien, ce n'était pas elle, mais toute l'équipe adverse qui serait à pleurer à la fin de ce match. Elle s'avança d'un pas lourd, m'écrasant totalement de par son aura charismatique et ténébreuse. Quelque chose avait changé d'un seul coup chez elle, et ce changement allait se révéler décisif, voir meurtrier.


« Les neuf piliers du désespoir ! hurla-t-elle, déchaînée. Le cercle de Lithemba ! »


Sans que je ne sache pourquoi, lorsqu'elle prononça ce nom, quelque chose en moi se réveilla. Quelque chose d'abstrait, et de subtil, qui s'éteint aussitôt, mais qui avait existé l'espace d'une seconde.


Une épaisse ombre entoura la jeune femme qui afficha soudainement un sourire dérangeant sur son visage glacial. Le meneur de l'United We Stand tenta de la frapper avant qu'elle ne puisse générer ce qui semblait être une attaque fulgurante, mais il fut repoussé par le sort de Laïla qui ne se laissa pas perturber par ses tentatives. Déconcerté, il essaya encore, mais il fut surpris par 9 colonnes de pierre couleur ébène qui surgirent de nulle part, entourant le volatile cramoisi.


« Abats-toi sur lui, désespoir. murmura-t-elle. »


Et à la seconde où elle murmura ces paroles, un éclair fracassant s'abattit sur la bâtisse, précisément au centre du cercle formé par les neuf colonnes que Laïla avait installé en quelques secondes. Cette puissance de couleur mauve provoqua un vacarme assourdissant, ne laissant que les cris de rage et de souffrance de notre ennemi se joindre à lui dans un son lugubre qui dura quelques dizaines de secondes. L'éclair dont l'éclat de lumière était obscur continua à s'abattre en continu pendant quelques minutes, puis les cris cessèrent, et lorsque l'attaque disparut avec ses édifices de pierre, elle souleva un nuage de poussière avec elle.


L'oiseau…était encore debout. Il avait survécu à une attaque aussi dévastatrice. C'était tout bonnement impossible, et pourtant, c'était vrai.


Je devins blême. Comment avait-il pu encaisser une telle attaque alors qu'elle semblait m'avoir aspiré en elle dans la foulée !? Je n'eus même pas le temps de lui poser la question. Laïla m'interrompit. Essoufflée, au bout de ses forces, elle se laissa tomber sur le sol, raide, et perdit connaissance.


Elle avait perdu. Laïla, qui avait montré toute cette puissance, avait perdu. Mais ma surprise n'était pas arrivée à terme. Quelques secondes plus tard, l'oiseau cessa de se mouvoir et tomba au sol, lui aussi raide. Il s'écrasa dans un nuage de fumée qui, lorsqu'il se dissipa, me laissa voir Ugo sous sa forme originelle : celle du brun qui me dévisageait chez ETHER, lui aussi inconscient.


Voilà ce qu'était une véritable guerre de gangs. J'étais le dernier debout dans l'espace de bataille. Le dernier combattant encore conscient des deux côtés de l'affrontement. Tout le monde autour de moi avait subi, d'une manière ou d'une autre, les conséquences d'un violent heurt dans l'univers de Slyburn. ETHER avait vaincu, c'était l'essentiel. Pour le reste, je pouvais m'en charger.


Je pris en charge de manière prioritaire mes deux amis, qui furent rapidement soignés grâce à ma brigade infirmière volatile. Jordan et Laïla reprirent connaissance, tandis que mes unités s'attardèrent ensuite sur les United We Stand qui eux, étaient beaucoup plus amochés.


« Eh bien. soupirai-je. Voilà une mission qui fut difficile.


— Merci pour ton soutien Hiroki… grommela Jordan qui peinait à y voir clair. Sans toi nous étions bons pour tous finir morts dans cet endroit lugubre.


— C'est vrai. enchérit Laïla. Merci de nous avoir soigné, Hiroki.


— Ce n'est rien. repris-je, gêné, car au fond je savais que sans moi l'histoire aurait suivi son cours. Parlons plutôt de comment nous ramènerons ce gang à la guilde.


— Je vais m'en charger. sourit la jeune femme aux longs cheveux noirs, qui elle, avait déjà repris du poil de la bête. »


Elle les entassa tous les cinq dans une sphère d'énergie noire dans laquelle ils étaient très à l'étroit. Elle la fit tout simplement disparaître de nos yeux, devant mon expression qui devait trahir une inquiétude profonde. Elle se moqua de moi, mettant en avant le fait que grâce à ses pouvoirs, elle pouvait envoyer cette bulle dans une autre dimension, pour la faire de nouveau apparaître quand elle voulait. Cela allait nous aider à les transporter jusqu'à la guilde, et ils ne risquaient rien.


Dubitatif, je la laissai faire, me préparant déjà à avancer que je n'étais pas responsable de leur mort. Ainsi nous rentrâmes, Jordan, Laïla, et moi, vers la guilde ETHER, non pas sans que la jeune femme du groupe me fasse de nouveau promettre de ne jamais révéler quoi que ce soit sur ses pouvoirs, en échange de quoi elle me laisserait la vie sauve.





Spoiler :


Nous avions vaincu le gang des « United We Stand », Laïla, Jordan, et moi. Au terme d'un combat acharné entre la jeune femme aux cheveux noirs et Ugo, le leader de l'équipe qui semblait infiltré chez ETHER, nous avions réussi à sécuriser la zone et nous allions les ramener à la guilde. Afin d'aller plus vite, nous emportâmes avec nous leurs bécanes que nous prîmes la liberté de conduire grâce au soutien de l'assistant personnel de notre informaticienne en chef.


Nous rentrâmes à la guilde une heure plus tard. Laïla, qui semblait vouloir garder ses facultés secrètes, fit réapparaître les membres du gang afin de ne pas montrer ses pouvoirs. Elle me menaça une nouvelle fois afin d'être certaine que je cacherai ses pouvoirs, que je n'en parlerai pas, afin que son secret survive. Mais Jordan, lui, n'était pas sous la menace. Elle devait lui faire particulièrement confiance, bien plus qu'à moi. Ainsi nous sonnâmes à la porte.


« JPP ! Quelqu'un sonne ! retentit la sonnerie singulière. »


Laïla et Jordan en avaient pris l'habitude. C'était effrayant. Pour ma part, je m'attendais à ce que l'autre blond à lunettes vienne cracher sa haine sur nous, mais il n'en fut rien. À la place, un jeune homme d'apparence beaucoup plus sobre et réservé vint nous ouvrir la porte. Un garçon aux cheveux châtains bouclés et aux lunettes qui lui donnaient un petit air intello, voir même, de professeur. Il était habillé d'un costume cravate assez chic, laissant dépasser une chemise azur de bonne qualité et qui faisait très classe. Son bras droit était raide le long de son corps, se terminant sur sa main qui tenait fermement un livre sur lequel il était inscrit « Le nouveau Bescherelle ».


« Bonsoir. nous lança le jeune homme d'une voix grave et monotone. Je vous prie d'entrer. J'ai justement un Darjeeling sur le feu, je vais vous en servir une tasse. »


Je crus l'espace d'un instant que nous nous étions trompés d'adresse, mais en y regardant bien, il n'y avait qu'un seul bâtiment dans tout Slyburn qui ne ressemblait pas à un appartement insalubre, et c'était la guilde ETHER. Alors j'entrai, suivi par Laïla et Jordan. Notre portier du jour nous invita à le suivre dans la cuisine, ignorant le tas d'inconscients que l'on traînait derrière nous. Il nous dit qu'il avait l'habitude de fréquenter les cadavres, ce qui ne me rassura qu'à moitié. Finalement, nous nous installâmes tous à table, en laissant les United We Stand à leur triste sort l'espace de quelques minutes.


« Vous m'avez troublé dans mon instant délicatesse. nous lança-t-il en nous servant une tasse de thé. J'étais tranquillement en train de divaguer sur « Englishman in New-York » en me languissant de mon Darjeeling lorsque vous avez sonné, me rappelant cette honteuse sonnerie qu'ils ont osé installer.


— Je te présente Alexis… soupira Laïla sans même prendre le temps de rétorquer.


— Je t'en prie Laïla. s'insurgea l'homme. Tu sais bien que mon nom est Honest, et qu'Alexis vit à l'intérieur de moi mais ne se laisse pas percevoir au premier venu. Je te demanderai donc d'appeler chacun de nous par leur nom.


— Honest est spécial, enchérit Jordan, mais c'est un chic type. C'est juste que tout ce qu'il dit est basé sur ce duo étrange entre Alexis et Honest.


— Je te demande pardon ? tiqua l'intéressé, agacé. Je rêve ou j'ai bien entendu ce que j'ai entendu ?


— Ne le prends pas mal. lâchai-je en voulant minimiser les dégâts. Il n'a pas voulu dire que tu étais étrange.


— Mais qui s'intéresse à la pensée de cette énergumène !? Je parle de cette affreuse tournure de phrase ! « Basé sur » ne s'applique que lorsque l'on parle dans un contexte militaire. « Établi sur » est la forme correcte à employer. Je tiens ça d'une source officielle, naturellement. »


Lorsque Jordan s'excusa enfin, il reprit tranquillement son thé d'un air snob en croisant les jambes. Nous étions mal à l'aise à table, et aucun de nous n'osait vraiment sortir un mot. Mais le jeune homme à lunettes brisa le silence, prenant la parole avec fierté.


« Avez-vous déjà tenté de divaguer pour écrire des nouvelles ? entama-t-il intéressé. »


Aucun de nous ne répondit favorablement, à son grand désespoir. Il soupira.


« Je partais avec un minimum d'espoir, mais me voilà conforté dans ma pensée. Triste éducation nationale ne sachant former que des illettrés. Un jour, je la réformerai. Enfin, passons cette disgrâce dont vous seuls devez avoir honte, voulez-vous. Je pense que l'écriture est à la base de toute civilisation. Transmettre un savoir, ou un univers, par le biais de l'utilisation de la langue, est un héritage formidable. Un cadeau de la vie elle-même qui nous a octroyé ce droit d'instruire, et de communiquer. Il n'existe rien de plus extraordinaire qu'un livre ! »


Nous entendîmes une sorte de sonnerie de portable, indiquant sûrement une notification pour quelqu'un dans la salle. Ce n'était ni moi, ni Jordan, ni Laïla. Le jeune homme au Darjeeling sortit alors son téléphone dont la coque représentait le drapeau du Royaume-Uni, avant de consulter avec élégance le pourquoi il avait été interpelé.


Il devint livide, comme s'il avait vu la mort en personne. Ses yeux s'écarquillèrent, tandis que de la mousse sortait progressivement de sa bouche légèrement entrouverte. Il resta pétrifié sur place, et nous ne pouvions rien y faire.


Inquiet, je me saisis de son téléphone pour constater l'objet du traumatisme : une simple notification sur gmail indiquant qu'une nouvelle partie de l'histoire « Fiction Darkness » venait d'être postée.


« Je ne pensais pas revivre une telle épreuve un jour… bégaya le propriétaire du téléphone qui tentait de reprendre ses esprits. Il faudra que je ménage Alexis lorsque je lui annoncerai la nouvelle. »


L'homme se leva et nous faussa compagnie, nous prétextant qu'il devait se préparer psychologiquement à partir dans les fins fonds du désespoir. Nous pûmes donc enfin traîner les dépouilles à moitié vivantes — ou à moitié mortes selon le point de vue — de l'équipe que l'on venait d'affronter jusqu'à notre leader.


Nous rejoignîmes Soichiro à la salle d'entraînement, là où il discutait avec Nathan, le blond que je redoutais.


« Non mais JPP Soichiro ! s'exclama-t-il, arrogant. Ce n'est juste pas possible ! La meuf elle arrive en mode « Mdr je viens du futur parce que mon père il souffre et je veux lui rendre le sourire ». De un, comment elle sait qu'elle peut revenir dans le passé ? De deux, comment elle peut détruire sa vie sans motif légitime ? De trois, tu peux m'expliquer en quoi voir le père de sa mère adoptive l'aidera ?


— Aussi si tu sautes mes arcs ça n'aidera pas… soupira Soichiro, à bout de nerfs. »


Le visage du leader de la guilde s'illumina lorsqu'il nous vit et qu'il put éviter la suite de la conversation, prétextant qu'il avait à faire. Il nous rejoint presque en courant, tandis que son interlocuteur soupira avant de se mettre à lire un autre livre dont je ne pouvais distinguer le titre.


« Mission accomplie ! balança Jordan, fier de lui. Voici l'ordre de mission du jour, le gang des « United We Stand », autrement dit, les fameux UWS !


— C'est ça leur fameux gang ? lâcha Nathan en regardant ceux qu'on traînait. JPP. Je m'attendais à des antagonistes crédibles qui feraient monter la pression, mais ce ne sont que des gags ambulants de seconde zone qui n'auront jamais de temps d'écran.


— Nous ne sommes pas les héros d'un livre ! rétorquai-je agacé, avant de repartir dans une conversation saine. Nous avons eu du mal à les avoir, Soichiro. Ugo était un des leur. Il nous a trahi sur place et nous a combattu. Nous nous en sommes sorti in extremis. »


Soichiro s'arrêta quelques secondes en se grattant la barbe. Il ordonna ensuite à Laïla de réanimer les cinq individus, qui reprirent rapidement leurs esprits après une telle violence. Je me tus, attendant de voir le sort dont allait hériter l'UWS.


« Bien. Donc vous êtes ceux qui ont fait un grabuge dans tout Slyburn… Vous êtes plus jeunes que je ne le pensais.


— Nous sommes vraiment magnifiques, resplendissants de jeunesse et de beauté ! reprit Alain, amusé.


— Vous n'obtiendrez rien de nous. enchaîna Jérôme. Exécutez votre peine et point final. »


Soichiro poussa un long soupir qui résonna autour de nous. Il semblait dépité par le groupe, et pour être honnête, je l'étais aussi. Il s'adressa à Ugo le premier.


« Dis-moi Ugo, lança Soichiro, dubitatif. Pourquoi t'en es-tu pris aux membres d'ETHER ? Tu fais partie de cette guilde, non ?


— J'ai beau être affilié à ETHER, reprit l'intéressé, ferme, je n'en suis pas moins un membre de l'United We Stand. Ces gars sont ma famille et nous avons tout traversé ensemble. Jamais je ne laisserai quiconque les malmener.


— Je vois… soupira son interlocuteur. Dans ce cas, pourquoi t'être laissé capturer par Laïla alors que tu sais très bien comment te sortir de ce genre pouvoir ? »


Je fus totalement abasourdi par ce que venait de dire Soichiro. Je tournai rapidement mon regard vers Ugo, restant choqué cinq bonnes secondes. Le brun grimaça, tandis que son équipe le regardait d'un air dubitatif. J'attendais sa réponse, au même titre que tout le monde.


« Ils les ont soignés. lâcha-t-il en s'avouant vaincu. Je n'oublie pas ce qu'on fait de mal à l'UWS, mais je n'oublie pas ce qu'on leur fait de bien non plus. Quand je les ai vu vaincre mes amis j'ai agi sous l'impulsion en voulant les protéger, puis lorsque je fus battu à mon tour, et que j'ai vu Hiroki nous porter secours, je me suis rappelé d'une chose.


— Quel genre de chose ? l'interrogea Soichiro.


— Je me suis rappelé que depuis que je suis chez ETHER, j'ai connu des personnes formidables. répondit finalement Ugo en baissant la tête. Vous m'avez donné tout ce que je n'avais jamais eu : un foyer, un sentiment de sécurité, des aînés auprès desquels m'instruire et des plus jeunes à éduquer à mon tour. Tout ce qu'il me manque ici pour être pleinement heureux, c'est la compagnie de mes camarades.


— Ugo… lâchai-je, plein de compassion. »


Soichiro prit quelques instants, dévisageant le brun sans y mettre les formes. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut d'une voix emplie de sagesse, d'une douceur paternelle.


« J'ai le pouvoir de vous infliger une peine pour être un gang illégal. Alors voici votre châtiment. Plutôt que de survivre clandestinement et reclus sous terre, vous intégrerez ETHER en tant que membres. À partir d'aujourd'hui, votre famille ne se restreint plus à cinq membres. Ici tout le monde s'interposera entre vous et une menace, excepté Nathan. Afin que notre groupe perdure, et que nous puissions tous évoluer grâce aux autres, je compte sur vous, l'équipe des UWS, afin de faire partie intégrante de la fratrie. »


Les larmes montèrent aux yeux d'Ugo qui lâcha un regard encourageant au reste de ses amis. Ces derniers restèrent indifférents, à l'exception d'Alain qui semblait plus qu'enthousiaste. Finalement, en le nom de tout le monde, le leader des UWS accepta le sort imposé par Soichiro Namatame, laissant ETHER accueillir quatre nouveaux membres en son sein.


« Merci pour tout, Soichiro Namatame… murmura Ugo d'une voix si faible que je fus le seul à pouvoir l'entendre. Je vous serai reconnaissant à la vie à la mort, parole de sunbird. »


Ce fut ainsi que les UWS intégrèrent la guilde ETHER. J'avais l'impression qu'une nouvelle page allait s'écrire pour le gang clandestin. Au fond de moi, j'étais satisfait d'avoir participé à les remettre dans le droit chemin, même si je n'étais pas définitivement ici. Après tout, quitte à traverser les époques, autant aider les personnes si je le pouvais. C'était cette pensée qui me poussait à faire de mon mieux pour m'intégrer. Les UWS partirent de la salle, suivant Himiko qui s'apprêtait leur montrer leurs nouveaux quartiers. Soichiro reprit la parole devant moi, tandis que Laïla était toujours non loin de nous.


« Je vous remercie tous les trois. nous sourit le charismatique leader. Vous avez rempli votre mission convenablement et grâce à vous, quatre destins sont sauvés.


— C'est naturel. s'amusa Laïla. Vous avez envoyé la meilleure recrue sur place, le succès était forcément garanti.


— Il est vrai qu'avec Jordan sur les lieux, cela ne pouvait que réussir. rétorqua malicieusement Soichiro. »


Laïla rit jaune face au leader, avant de tourner les talons et nous planter sur place. Je lançai un regard à sa silhouette habillée d'une robe rouge et à la longue chevelure qui s'éclipsait petit-à-petit au fond de l'espace tandis que le père de Hakaze reprit la parole à mon intention.


« Merci à toi aussi, Hiroki. sourit-il. Ta dette si elle existait de base, est désormais épongée. Prends le temps qu'il te faudra pour résoudre tes problèmes ici, et si tu retrouves tes amies, tu es libre de les amener également.


— Merci, souris-je à mon tour. N'hésitez pas si vous avez besoin de moi pour quoi que ce soit ! »


Je sortis du terrain sur lequel était planté Soichiro. Je réfléchis quelques secondes à ce que j'allais pouvoir faire. Reisuke et Hakaze devaient être allés dans un endroit à l'abri des regards pour continuer leur œuvre. Il était impossible de retrouver mon frère dans une ville si vaste comme Slyburn, et apparemment, il était impossible de se rendre à Slyfair, d'après toutes les mises en garde que j'avais vues dans les rues.


Je pris ma décision. Si Reisuke aussi cherchait des réponses, il était forcément allé voir Shinichi Yamada, qui n'était autre que notre père biologique. En y allant à mon tour j'allais pouvoir obtenir ce que je désirais, et peut-être avoir des indications sur l'emplacement, et surtout les plans de mon frère cadet.


Mais alors que j'allais sortir de la guilde afin de chercher après Shinichi je vis quelqu'un y entrer sans même sonner.


Lorsque nos regards se croisèrent, quelque chose d'étrange eut lieu entre lui et moi. Je le reconnus immédiatement. Ces cheveux blonds en bataille, ce regard vert pétillant comme celui d'un enfant, mais n'affichant cette fois pas la lueur particulière d'un Izrathien… Cette personne était le chevalier venu du Moyen Âge, Medrawt. Il avait notifié quelque chose en moi, je le sentais. Ainsi, lorsqu'il s'approcha dans ma direction, l'air déterminé, je ne fus qu'à moitié surpris par son comportement.


« Toi ! me hurla-t-il, perturbé par quelque chose. Est-ce que tu viens d'Inde !?


— Euh… Non. bégayai-je, choqué par cette question pour le moins très étrange. Pourquoi me demandes-tu ça ?


— Les jouveanceaux se baladant avec un singe sur les épaules et au teint mat me font penser à un camarade indien que j'avais par le passé. renchérit le chevalier noble. Mortecouille, c'était la bonne vieille époque ! »


Je restai figé par la surprise durant quelques secondes, avant d'atterrir grâce à la douleur de Diamond qui mordit mon crâne par erreur.


« Je suis bien au mouvement ETHER ? me demanda le blond, sérieusement.


— En effet… repris-je, dubitatif.


— Merci mon bon gaultier. répondit-il, satisfait. Je m'en vais de ce pas pratiquer la jactance avec ton maître. »


Je le suivis du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse au fond de l'espace, laissant derrière lui des questions que je réfrénai en pensant à autre chose.


Ainsi je sortis, et je dévalai les rues jusqu'à me trouver sur la côte, pile là où se trouvait la séparation entre Slyburn et Slyfair. Je contemplai pendant quelques secondes l'autre moitié de la ville, qui, même de loin, semblait bien plus luxueuse que les quartiers miteux dans lesquels vivaient les membres de la guilde.


Comment quelqu'un pouvait-il laisser à l'abandon une partie de son peuple, tandis qu'il privilégiait une autre ? C'était aussi immonde que Shinji qui n'hésitait pas à envoyer ses camarades au casse-pipe, comme du bétail, pour son plaisir personnel.


Le soleil couchant se reflétait dans la transparente étendue d'eau qui composait la grande rivière séparent les deux quartiers. Les faibles remous, beaucoup moins violents qu'une vague, faisaient scintiller l'espace.


Je perdis mon regard dans le paysage à la fois si vivant et si mort, tandis que je me posais des questions sur ce que j'allais croiser du lendemain. Il était déjà assez tard pour rendre visite à mon père. J'avais de plus, besoin de temps pour savoir comment j'allais aborder la chose. Je n'étais pas du genre à lui balancer comme ça que j'étais son fils venu du futur, mais en même temps, je lui ressemblais très fort donc cela allait être difficile de passer inaperçu.


Je fus interrompu dans mes songes par une présence que je remarquai. Himiko, la femme de Soichiro Namatame, se tenait elle aussi debout devant l'étendue d'eau, fixant l'horizon de la même façon que moi. Elle avait l'air pensive. Je distinguai en elle un sentiment de mélancolie, de nostalgie, alors que sur son visage était incrustée une expression plutôt triste.


Je me rapprochai d'elle sans qu'elle ne me remarque. C'était un peu du voyeurisme, mais je ne pouvais pas faire autrement. Zéphyra me poussait à me diriger vers elle, sans que je ne sache pourquoi.


« Papa… murmura-t-elle. Est-ce que tu me vois d'ici ? J'ai retrouvé quelques souvenirs de toi, qui étais si présent, toujours à mes côtés. Je me demande ce que tu aurais fait à ma place… »


Je sentis une pointe de tristesse en moi alors que Zéphyra, elle, scrutait la femme avec attention.


« Parfois c'est si difficile d'aspirer au bonheur… lâcha la femme aux cheveux blancs. Je sais qu'il m'aime énormément… Mais je n'arrive pas à panser les blessures de son cœur. Elle reste toujours présente, et j'ai le sentiment que je ne pourrai jamais la remplacer définitivement. »


Quelques larmes coulèrent le long de ses joues, malgré le fait qu'elle essayait de les retenir. Zéphyra serra les poings, apparemment aussi attristée que celle qui se tenait devant nous. Pour ma part, je ne pouvais pas rester les bras croisés sans rien faire. Je m'avançai vers elle et la devançai, la laissant notifier ma présence.


« Oh Hiroki. s'exclama-t-elle en s'essuyant maladroitement les yeux. Que fais-tu ici ?


— J'étais venu contempler le coucher de soleil pour faire le point sur mes émotions. lui répondis-je calmement.


— Comme moi dans ce cas. me sourit tristement la femme aux cheveux blancs. Quand j'ai besoin de me retrouver avec moi-même, je viens ici.


— Quelque chose te tracasse ? lui demandai-je en feignant l'ignorance.


— Rien de spécial. m'assura-t-elle, pudique. Je viens juste me ressourcer ici.


— Tu sais… Je t'ai entendu, Himiko. murmurai-je. Et je voulais te dire… Enfin, si tu as des soucis, tu peux m'en parler. »


La femme se figea, net. Surprise par le fait que je l'avais découverte. Elle rougit légèrement, me laissant comprendre que c'était quelque chose dont elle n'avait jamais parlé auparavant. Je mis ma main sur son épaule et la blottit contre moi, essayant de la rassurer par quelques mots :


« Parfois on a l'impression de lutter en vain. lâchai-je, d'une voix se voulant profonde. Moi aussi, j'ai parfois eu le sentiment que mon combat n'avait pas de sens. Mon petit frère ne se rappelle même pas de moi, et cela fait dix ans qu'il ne me rend pas l'amour que je lui donne en secret. Pourtant, je ne désespère pas. Je sais qu'il m'entendra un jour.


— J'aimerais avoir ta force… reprit Himiko, qui se laissa aller contre moi. Et si jamais il ne te rend jamais ton affection, que feras-tu ?


— Je m'accrocherai. répondis-je, serein. Il est de ma famille, et je l'aime. Peu importe ce qui le tracasse, je ferai mon possible non pas pour qu'il oublie sa peine, mais pour qu'il me crée une place.


— Ce ne sera pas possible avec Soichiro. Il est devenu à fleur de peau depuis le Purple Requiem, et c'est Violet qui l'habite. Je ne suis pas jalouse de cette femme, et je n'en veux pas à mon mari… Mais j'ai l'impression que je n'ai pas ma place dans leur relation, même si celle-ci est terminée.


— Je suis certain qu'il tient à toi. rétorquai-je, sûr de moi.


— Et moi je suis certaine que même si je t'embrassais, ici et maintenant, il en resterait indifférent. Tu veux tester ? »


La femme me lança un regard dans lequel je pouvais voir un sentiment profond, mais abstrait. Était-elle vraiment sérieuse ? Je jetai un œil à Zéphyra, me rendant compte qu'elle était abasourdie par la question de l'épouse de Soichiro. Cette dernière reprit, amusée.


« Vous les jeunes, vous êtes amusants. sourit la femme. Il suffit de vous parler d'amour pour vous faire chavirer. Shiro était comme ça lorsqu'il a rencontré Violet. Il ne la laissait pas voir ce côté de lui, mais il était aussi troublé que toi.


— Himiko. lâchai-je. Tu sais, quand je t'ai dit que je venais du futur, lorsque nous nous sommes rencontrés ?


— Oui… soupira-t-elle. Que me diras-tu cette fois ? Une autre histoire grotesque ?


— Je viens vraiment du futur, Himiko. repris-je sérieusement. Et je peux te le prouver. »


Je sortis l'amulette de Zéphyra que Hakaze m'avait transmis, et je le lui montrai. Les yeux de la femme s'écarquillèrent de surprise en se posant sur le médaillon. Je repris la parole.


« Ce pendentif, c'est ta fille qui me l'a transmis. C'est celui qui permet d'appeler Zéphyra. Tu peux aller voir Hakaze à ton époque, elle aura encore ce bijou, et il est unique au monde. Je viens de votre futur, Himiko, et je connais beaucoup de choses sur ta famille.


— Cette…cette chose… bégaya la femme. En effet, il n'en existe qu'un seul exemplaire. Mais, pourquoi veux-tu me le faire comprendre ?


— Dans le futur, vous êtes séparés, Soichiro et toi. lâchai-je. Tu as finalement cessé de faire des efforts et tu es partie. Ça l'a brisé. Il ne s'en est jamais remis. Il est seul, dans ses nouveaux quartiers, et il cherche désespérément à te retrouver, par n'importe quel moyen. Violet ne compte plus, car tu es absente. Tu dois le savoir au fond de toi, que Soichiro est un homme qui pleure les personnes disparues, et qui aime secrètement celles qui sont présentes.


— Tu me mens n'est-ce pas ? sourit la femme avec tristesse. Je suis désolée, mais il est impossible que j'ai quitté mon mari dans le futur. Tout simplement car je vais bientôt mourir.


— Alors tu le sais… soupirai-je. Je pensais que ta mort avait été imprévue. »


Un malaise s'installa dans la conversation. Je ne savais plus quoi dire, ni quoi faire pour tenter de rassurer Himiko. Cette dernière reprit la parole au bout de quelques secondes de lourd silence.


« Au fond, cela m'arrange que Violet est présente malgré son absence. Car quand je mourrai je vais les laisser seuls, sans personne à qui se raccrocher. Je compte sur elle pour leur donner un but, un objectif pour continuer.


— Mais… bégayai-je, terrassé. De quoi vas-tu mourir, Himiko ? Hakaze est toujours restée évasive lorsque l'on abordait ta disparition.


— Je vais mourir pour ouvrir les portes du temps, Hiroki. Je vais sauver Hakaze et son père pour de bon en laissant ma vie comme compensation.


— Les portes…du temps ? répétai-je, non convaincu.


— J'ai vu le futur moi aussi. Un futur dans lequel une guerre éclate. Une très grande guerre opposant un roi tyrannique semblant sortir du désespoir lui-même et voulant conquérir le monde entier. Dans cet avenir, mon mari, ma fille, et moi nous battons contre lui à un moment donné… Et Hakaze perd la vie pour sauver la mienne. Je n'ai jamais pu l'admettre. Alors j'ai décidé de faire quelque chose.


— Himiko… murmurai-je, consterné par la nouvelle.


— Si je meurs avant le jour de la guerre, Hakaze n'aura pas à se sacrifier pour moi. Elle pourra continuer à vivre sa vie plutôt que de l'offrir pour la mienne. Et en étudiant cette ligne de temps, il faut que je meure sous deux ans, afin que Hakaze et son père décident de partir d'ETHER suite à ma mort. Laïla sera celle qui reprendra la guilde, et cela repoussera le déclenchement de la confrontation. »


Himiko était consciente qu'elle allait mourir pour sauver sa fille… Et elle y consentait de bonne grâce. Je ne savais que dire, devant tant d'amour provenant de la femme. Zéphyra, attristée, fixait la mère de mon amie d'un regard hurlant au regret et à la souffrance, mais moi, j'ignorais ce que je pouvais répondre.


Finalement, il fallait que je laisse faire le destin, et que je prenne en compte la résolution de Himiko. Je devais laisser le passé au passé, l'avenir à l'avenir. Et le mien c'était Reisuke.


Et si je pouvais trouver, dans ma recherche, un moyen de sauver Himiko… Cela serait le comble du bonheur.





Spoiler :


J'emportai Jordan et Laïla dans ma course, alors que le nouvel individu nous poursuivait dans l'espace. Nous n'avions plus d'issue pour sortir, alors nous allions devoir trouver un moyen de les vaincre ici, une bonne fois pour toutes. Nous dévalâmes les escaliers qui menaient au centre de la pièce, plus bas, sachant très bien que là-bas nous attendait une confrontation frontale avec les membres de « United We Stand. »


Je plaquai Laïla contre le mur, lui faisant éviter une autre boule de cristal dont les éclats qui venaient d'exploser frôlèrent ma joue droite. Le verre brisé m'ouvrit un peu la peau, mais je n'eus pas le temps de guérir ma blessure, puisque l'homme était à nos trousses.


« Ok ! entama Jordan, acculé. Une fois en bas des escaliers c'est chacun pour soi ! Si nous restons groupés c'est fini ! Prenez-en chacun un et faites de votre mieux pour rester en vie ! »


Nous acquiesçâmes, Laïla et moi. Une fois en bas des escaliers, nous nous dispersâmes. Jordan fut suivi par Alain, notre amie par Kosta, moi par Jérôme. Tous les trois se lancèrent à notre poursuite, aidés par les boules de cristal violemment projetées sur nous de manière imprévisible. Cependant, aussi étrange que cela pouvait paraître, aucun des membres de l'équipe ennemie n'utilisait ses pouvoirs liés à Izrath pour nous attaquer. Ils se contentaient de courir après nous en nous menaçant et en nous insultant.


Diamond, qui visiblement avait l'air agacé par ce qu'il se passait, sauta de ma chevelure. Je me retournai dans ma course en lui criant de ne pas intervenir, mais ce n'était plus possible de l'arrêter. Le dragon blanc fonça à toute vitesse sur Jérôme…qui se le prit en pleine face avant de s'écraser lamentablement au sol.


« Hinhin. grogna l'homme en se relevant. Il a envoyé le dragon du skill le grand génie. »


Tandis que mon compagnon revint dans la chevelure, et que visiblement, Jérôme ne semblait pas aussi puissant qu'il n'en avait l'air, je me mis en garde face à lui. Cram descendit de mon épaule pour se positionner face à mon adversaire à mes côtés, prenant la position de défense d'un boxeur en couinant d'une voix aiguë et faible. Mais contre toute attente, Jérôme, qui voulait en découdre, se rua sur nous à une vitesse tout à fait normale. Un peu lente même. J'eus clairement le temps de voir arriver l'offensive du grand baraqué qui m'attaqua avec une pierre qu'il ramassa en course.


Il tenta de la lancer sur moi, mais Diamond la dévia rien qu'en soufflant dessus. Le dragon regarda son adversaire avec consternation, posant sa patte sur sa gueule en signe de dépit.


« Trop de skill. ricana Jérôme qui ne perdit pas espoir. Mais maintenant, tu te calmes. »


Je fus surpris. Vraiment. Lors de sa troisième attaque, que je pensais alors aussi ridicule que les deux précédentes, il s'écrasa à une vitesse folle contre moi, ne laissant qu'une ombre rouge m'asséner un coup de griffe acérée similaire à celle d'un rapace. Une large entaille se creusa sur mon torse tandis qu'il se mit à saigner, me tirant des gémissements de douleur que je peinais à réfréner.


« Skill Magic : Sunbird Claws. ricana le baraqué. Chez United We Stand, nous avons tous une marque de l'oiseau du soleil cramoisi. Moi, ce sont les serres. Essaie de me vaincre, grand génie.


— Tu m'as eu par surprise… grognai-je. Mais cela ne se reproduira pas.


— Tu te calmes. lâcha froidement l'homme. Tu diras ceci à ton leader : « Ma bannière, escroc. » »


Je serrai les dents pour essayer de contenir ma douleur, tandis que je ne pouvais m'empêcher de me courber légèrement. Diamond s'approcha de moi en couinant tandis que Cram, lui, s'était mis en tête d'affronter l'homme aux griffes acérées. Je voulus retenir le singe, mais le dragon ne me laissa pas faire. Il arracha le reste de mon tee-shirt afin d'avoir accès à mon torse, et me lécha les plaies. Je ne voulais pas que Diamond combatte, ce qui me fit oublier une chose essentielle : mon ami était un dragon d'élément lumière, et cet élément était connu en Izrath pour ses capacités de guérison. Ainsi, au fur et à mesure que la langue de mon Izrathien passait sur mes plaies, ces dernières se refermaient toutes seules, comme si rien n'était arrivé.


J'eus tout juste le temps de me jeter sur le singe pour éviter qu'il n'encaisse l'attaque de Jérôme. Mon ami l'Izrathien me lança un regard admiratif alors que je mordais la poussière à sa place. Mais je ne pus même pas m'assurer qu'il n'avait rien de cassé, puisque je dus bloquer les serres de Jérôme qui, à la vitesse de la lumière, ne me laissait aucun répit. Je réussis cependant à le contrer en manifestant de nouveau les flammes que j'avais sorties face à Reisuke dans le passé, de manière totalement involontaire encore une fois. Un mur flamboyant de couleur bleue me protégea de l'assaut, avant de disparaître tout simplement.


Je souris. Cette seconde gagnée me permit de faire un croche pied au plus vieux du gang ennemi afin de contre-attaquer. Diamond, qui ne comprenait pas quand je lui disais de ne pas se mettre en danger, reprit pendant quelques secondes la forme du majestueux dragon blanc aux yeux bleus avant d'attaquer de plein fouet notre adversaire qui ne put esquiver l'attaque.


Jérôme se fit propulser contre les parois de ce sanctuaire improvisé. Il ne lâcha même pas un cri de douleur lorsqu'il heurta le mur. Il ricana simplement en disant que ce n'était que de la chance.


Je me tournai vers les autres membres de mon groupe, et à ma grande surprise, ils avaient réussi eux aussi. Jordan avait vaincu Alain, qui possédait les ailes du soleil cramoisi, tandis que Laïla, elle, avait massacré Kosta dont les pouvoirs avaient disparu tant elle avait été violente envers lui. Elle semblait également avoir saisi une boule de cristal de l'individu masqué pour la fracasser sur son crâne maintenant ensanglanté au passage.


« Qui ose donc toucher à mes camarades !? S'exclama une voix grave sortie de nulle part. Je ne vous le pardonnerai jamais ! »


Nous nous tournâmes dans la direction d'où venait le cri : l'entrée de l'espace de bataille. C'était ce jeune homme au regard désinvolte de la guilde ETHER : Ugo. Il fit un grand bond vers nous, voltigeant dans un salto gracieux avant d'atterrir majestueusement au sol, à nos côtés.


« Tu arrives quand la fête est finie Ugo… soupira Jordan. Ils ont déjà tous été vaincus, nous pouvons rentrer à la guilde. »


Jordan se retourna, prêt à rentrer à ETHER par la porte désormais ouverte. Il ne fallut qu'une seconde. Une seule seconde pour qu'il se fasse percuter par un projectile enflammé qui le projeta contre une paroi du mur, le laissant lâcher un hurlement de douleur étouffé par le bruit de l'impact. Laïla se rua sur lui, inquiète, afin de constater son état de santé, tandis qu'Ugo, lui, nous regardait avec toute la colère du monde dans les yeux.


« Hoho, ils croyaient vraiment que je parlais d'eux quand je disais mes camarades. lâcha le jeune homme avec mépris et ironie. Je vais éclairer votre lanterne, grands génies. Je suis Ugo Porreau ; actuel chef des United We Stand, et vous avez malmené mes amis, non, ma famille. »


Les corps des autres membres du gang luisirent d'éclats rouges, jaunes, et violets, qui s'unirent rapidement autour de l'autoproclamé chef. Il scintilla d'un éclat cramoisi qui souleva un nuage de fumée, me faisant plisser les yeux par réflexe. Lorsque l'air redevint plus clair, j'eus l'occasion de constater ce qu'il en était.


Ugo avait changé de forme. Il était devenu un gigantesque oiseau rouge à la tête jaune dont le plumage était un dégradé des trois couleurs de son équipe. Le volatile à la crête cramoisie poussa un cri strident qui me faisait ressentir toute sa détermination. Mais alors que je pensais qu'il allait attaquer directement, il prit la parole.


« Hoho ! s'amusa-t-il d'une voix vacillant entre celle d'Ugo et une tonalité stridente. C'est futile. Moi vivant vous ne toucherez jamais à la United We Stand ! Rendez-vous maintenant, et prêtez allégeance au grand oiseau du soleil cramoisi si vous voulez rentrer la vie sauve !!!


— Pourquoi as-tu eu besoin de blesser Jordan !? m'exclamai-je, outré. Nous n'allions pas les tuer, nous devions les recruter et tu le sais très bien !


— Celui qui touche à mes amis commet une faute grave. reprit l'oiseau, furieux. Je ne cautionnerai ces dégâts physiques sous aucun prétexte. Hoho. »


Lorsqu'il dit « Hoho », les quatre garçons inconscients au sol se mirent à luire à leur tour. Ils reprirent connaissance, transformés en oiseaux similaires à celui qui nous faisait face, mais de taille moyenne. Ils volèrent jusqu'à arriver aux côtés de leur chef, me laissant distinguer leur ressemblance frappante avec lui.


« Hinhin. rit l'un des oiseaux dont la voix vacillait entre celle de Jérôme et un cri strident. T'es fini grand génie. Notre équipe pue le skill.


— Ne va pas trop vite, enchérit celui de Kosta. Il risque de ne pas tout comprendre.


— Le destin était écrit depuis avril 2014… reprit calmement l'autre oiseau. »


Je me dressai face aux cinq oiseaux qui étaient prêts à se jeter sur nous. Lorsqu'ils se ruèrent sur moi, attaquant tous en rapace, j'eus le temps de voir le tourbillon de flammes qui embrasa chaque volatile qui s'apprêtait à m'attaquer. Je me tins raide et droit face à cette attaque, prêt à dévier par n'importe quel moyen toute cette puissance.


Mais à ma grande surprise, ils n'eurent pas le temps de me toucher. Une ombre furtive passa devant moi avant de tout simplement s'écraser sur les cinq comparses. Les quatre plus frêles se firent tout simplement propulser au loin tandis que le cinquième perdit seulement l'équilibre.


L'ombre reprit forme humaine. C'était Laïla. Elle dévisageait les United We Stand d'un air assassin tandis que dans ses yeux désormais rouges je pouvais lire une très grande haine, un très grand mépris.


« Tu n'as pas intérêt à faire mention à qui que ce soit de ce que tu verras Hiroki. me menaça la jeune femme, ténébreuse et assassine. »


Je n'eus pas le temps de promettre quoi que ce soit. La fille aux cheveux noirs était déjà partie se battre contre le plus puissant des United We Stand, Ugo en personne. Grâce à un pouvoir dont j'ignorais les propriétés, elle se téléporta à une vitesse fulgurante derrière le volatile qu'elle propulsa au loin en projetant une onde mauve semblant assez puissante, mais surtout très ténébreuse. Ugo ne se laissa pas vaincre si facilement. Une traînée de flammes lui suffit pour repousser l'attaque de la jeune femme. Il la poursuivit ensuite en attaquant en rapace, laissant son corps lui même s'embraser alors qu'il s'était lancé dans une course derrière elle. Elle courait, il la rattrapait, et s'il la touchait, c'était fini. Mais Laïla n'avait pas encore montré tout ce dont elle était capable.


Le volatile lâcha un cri strident empli de détermination qui me fit frissonner. Je sentais que cette chose était d'un niveau largement supérieur au reste du groupe. Peut-être de celui de Reisuke et Luna. Mais Laïla ne se laissa pas démonter par l'arrogance de son adversaire. Elle se jeta silencieusement sur lui, sans émettre le moindre son. Lorsque je crus qu'elle allait simplement s'écraser sur la carcasse brûlante du monstre, elle disparut et réapparut de derrière. Cependant, il l'avait déjà notifiée.


L'oiseau lança une puissante attaque que Laïla esquiva tranquillement, sans faire le moindre effort. Quelque chose avait changé en elle. Elle luisait désormais d'un éclat rougeâtre de plus en plus fort tandis que la pression qu'elle dégageait croissait au fil du temps. Lorsqu'elle déploya sa main vers le leader des UWS, je sentis une énergie immense qui en provenait. Il ne lui fallut qu'une seconde pour projeter un rayon noir ébène d'un diamètre d'un ou deux mètres, à la vitesse de la lumière.


Il allait s'écraser sur Ugo et le tuer sur le coup. C'était ce que je pensais à ce moment, en voyant la force colossale qu'elle avait déployée. Mais le jeune garçon ne se laissa pas abattre. Il se contenta d'esquiver habilement la source de puissance qui s'écrasa dans le sol, en gravitant autour du diamètre du rayon comme s'il dansait. Il remonta ainsi jusqu'à Laïla, avant de lui cracher une boule de feu en plein dans la figure.


Elle fut projetée à une vitesse folle vers le sol, mais l'oiseau n'allait pas la laisser récupérer. Il plongea en rapace, laissant toute sa puissance enflammée se déchaîner alors qu'il était prêt à s'écraser droit sur ma partenaire. Cette dernière chargeait de l'énergie, mais bien trop lentement. Elle allait tout simplement se faire carboniser vive par l'attaque d'Ugo si elle ne faisait rien.


Dans un geste de compassion, d'urgence, ou de folie, je me ruai vers la femme afin de m'interposer entre elle et l'oiseau. Rapidement, je jetai Diamond et Cram qui roulèrent sur le sol afin de leur éviter des blessures, tandis que j'étais prêt à encaisser tous les dégâts liés à l'attaque. Lorsque la boule de feu s'écrasa sur moi, je fermai les yeux par réflexe, mais je ne sentis rien.


J'ouvris timidement les yeux de nouveau. Et ce que je vis me pétrifia. L'offensive enflammée, aussi large que le bâtiment ETHER lui-même, flottait dans les airs, arrêtée par je ne savais quelle intervention. Elle était retenue par une sorte de champ de force de couleur mauve qui semblait aspirer progressivement l'énergie qui se dégageait de la puissance ennemie.


Laïla se trouvait derrière moi et était plus déchaînée que jamais. Elle semblait particulièrement en colère, non, enragée pour une raison qui m'était inconnue. Je sentais cette fois que si je ne faisais rien, ce n'était pas elle, mais toute l'équipe adverse qui serait à pleurer à la fin de ce match. Elle s'avança d'un pas lourd, m'écrasant totalement de par son aura charismatique et ténébreuse. Quelque chose avait changé d'un seul coup chez elle, et ce changement allait se révéler décisif, voir meurtrier.


« Les neuf piliers du désespoir ! hurla-t-elle, déchaînée. Le cercle de Lithemba ! »


Sans que je ne sache pourquoi, lorsqu'elle prononça ce nom, quelque chose en moi se réveilla. Quelque chose d'abstrait, et de subtil, qui s'éteint aussitôt, mais qui avait existé l'espace d'une seconde.


Une épaisse ombre entoura la jeune femme qui afficha soudainement un sourire dérangeant sur son visage glacial. Le meneur de l'United We Stand tenta de la frapper avant qu'elle ne puisse générer ce qui semblait être une attaque fulgurante, mais il fut repoussé par le sort de Laïla qui ne se laissa pas perturber par ses tentatives. Déconcerté, il essaya encore, mais il fut surpris par 9 colonnes de pierre couleur ébène qui surgirent de nulle part, entourant le volatile cramoisi.


« Abats-toi sur lui, désespoir. murmura-t-elle. »


Et à la seconde où elle murmura ces paroles, un éclair fracassant s'abattit sur la bâtisse, précisément au centre du cercle formé par les neuf colonnes que Laïla avait installé en quelques secondes. Cette puissance de couleur mauve provoqua un vacarme assourdissant, ne laissant que les cris de rage et de souffrance de notre ennemi se joindre à lui dans un son lugubre qui dura quelques dizaines de secondes. L'éclair dont l'éclat de lumière était obscur continua à s'abattre en continu pendant quelques minutes, puis les cris cessèrent, et lorsque l'attaque disparut avec ses édifices de pierre, elle souleva un nuage de poussière avec elle.


L'oiseau…était encore debout. Il avait survécu à une attaque aussi dévastatrice. C'était tout bonnement impossible, et pourtant, c'était vrai.


Je devins blême. Comment avait-il pu encaisser une telle attaque alors qu'elle semblait m'avoir aspiré en elle dans la foulée !? Je n'eus même pas le temps de lui poser la question. Laïla m'interrompit. Essoufflée, au bout de ses forces, elle se laissa tomber sur le sol, raide, et perdit connaissance.


Elle avait perdu. Laïla, qui avait montré toute cette puissance, avait perdu. Mais ma surprise n'était pas arrivée à terme. Quelques secondes plus tard, l'oiseau cessa de se mouvoir et tomba au sol, lui aussi raide. Il s'écrasa dans un nuage de fumée qui, lorsqu'il se dissipa, me laissa voir Ugo sous sa forme originelle : celle du brun qui me dévisageait chez ETHER, lui aussi inconscient.


Voilà ce qu'était une véritable guerre de gangs. J'étais le dernier debout dans l'espace de bataille. Le dernier combattant encore conscient des deux côtés de l'affrontement. Tout le monde autour de moi avait subi, d'une manière ou d'une autre, les conséquences d'un violent heurt dans l'univers de Slyburn. ETHER avait vaincu, c'était l'essentiel. Pour le reste, je pouvais m'en charger.


Je pris en charge de manière prioritaire mes deux amis, qui furent rapidement soignés grâce à ma brigade infirmière volatile. Jordan et Laïla reprirent connaissance, tandis que mes unités s'attardèrent ensuite sur les United We Stand qui eux, étaient beaucoup plus amochés.


« Eh bien. soupirai-je. Voilà une mission qui fut difficile.


— Merci pour ton soutien Hiroki… grommela Jordan qui peinait à y voir clair. Sans toi nous étions bons pour tous finir morts dans cet endroit lugubre.


— C'est vrai. enchérit Laïla. Merci de nous avoir soigné, Hiroki.


— Ce n'est rien. repris-je, gêné, car au fond je savais que sans moi l'histoire aurait suivi son cours. Parlons plutôt de comment nous ramènerons ce gang à la guilde.


— Je vais m'en charger. sourit la jeune femme aux longs cheveux noirs, qui elle, avait déjà repris du poil de la bête. »


Elle les entassa tous les cinq dans une sphère d'énergie noire dans laquelle ils étaient très à l'étroit. Elle la fit tout simplement disparaître de nos yeux, devant mon expression qui devait trahir une inquiétude profonde. Elle se moqua de moi, mettant en avant le fait que grâce à ses pouvoirs, elle pouvait envoyer cette bulle dans une autre dimension, pour la faire de nouveau apparaître quand elle voulait. Cela allait nous aider à les transporter jusqu'à la guilde, et ils ne risquaient rien.


Dubitatif, je la laissai faire, me préparant déjà à avancer que je n'étais pas responsable de leur mort. Ainsi nous rentrâmes, Jordan, Laïla, et moi, vers la guilde ETHER, non pas sans que la jeune femme du groupe me fasse de nouveau promettre de ne jamais révéler quoi que ce soit sur ses pouvoirs, en échange de quoi elle me laisserait la vie sauve.





Spoiler :


Le lendemain, Soichiro appela tout le monde à se rassembler dans la salle commune de la guilde. Avançant que c'était de la plus haute importance, il nous laissa prendre place autour de la grande table, avant de faire son annonce d'un ton solennel.


« Bien. entama-t-il ferme, aux côtés de sa femme, et de Laïla. Merci d'avoir fait si vite. Si je vous ai rassemblés ici, c'est parce que nous allons entreprendre une mission de la plus haute importance. Quelque chose de capital pour la sécurité de Slyburn, et donc de la nôtre.


— Une mission importante !? s'étonna Nicolas. Cela faisait longtemps que nous n'en avions pas eu.


— Tu n'as pas compris que c'était le moment de dévoiler le super grand méchant totalement prévisible qui va massacrer la moitié de la guilde avant de se faire détruire par le pouvoir de l'amitié ? soupira Nathan. Sérieusement, JPP de vos scénarios clichés et prévisibles.


— Alexis a un mauvais pressentiment. déclara Honest, une tasse d'Earl Grey à la main. Je pense qu'il vaudrait mieux faire preuve d'extrême prudence. Et que tout le monde s'arme d'un Bescherelle, ainsi que de la dernière édition du Larousse.


— La rhétorique n'aidera pas dans ce combat. enchérit Buster. Elle n'est que théorique. Théorique n'est pas pratique, et pratique est ce que l'on vivra. Nous devons donc compter sur l'entretien de nos corps, de nos esprits, de nos motivations, et surtout sur la capacité de prédiction par rapport à notre cible. Il faut que l'on prédise que l'on est prédit sur le fait que l'on a prédit qu'ils ont prédit que l'on allait les prédire, et nous serons victorieux. »


Les divers éléments de la guilde partirent chacun dans leurs digressions. Soichiro dut taper dans ses mains afin de faire taire la foule et reprendre.


« Soyez sérieux pour une fois. soupira l'homme. Bien, notre cible est la suivante : Le mouvement ESPer situé sur le territoire de Slyfair. Plus précisément son chef : Eric Sawyer.


— Eric Sawyer ? repris-je, dubitatif. Je ne le connaissais pas celui-là.


— Eric est le fils de Ricky Sawyer, et donc le neveu de l'actuel maire de la ville. enchérit Himiko. Ce dernier nous a envoyé un e-mail dans lequel il a détaillé les risques liés à la montée en puissance du mouvement ESPer alors que « Purple Revolution » est toujours en train de rôder dans les parages, et aussi dégoûtant cela puisse paraître, nous avons conclu une alliance temporaire contre ces deux groupes.


— Une alliance ? s'étonna Ugo, entouré par ses camarades. Il a intérêt à avancer le maximum d'avantages pour qu'on considère sa proposition, hoho.


— Je ne dirais pas non à un jet privé en guise de récompense. s'amusa Kosta, rejoint par Alain qui s'y voyait déjà.


— Tu te calmes. l'interrompit Jérôme. Sawyer est un escroc qui travaille sous de fausses bannières.


— Pff ! protesta Alain. Si c'est comme ça je prends l'avion pour la France afin de travailler comme garde rapprochée du président de la république. »


Soichiro dut de nouveau réclamer le calme dans la salle. Pour la seconde fois il tapa dans ses mains afin de mobiliser l'attention sur l'ordre de mission. Agacé, il reprit.


« Le mouvement ESPer est bien plus dangereux que toutes les équipes clandestines que l'on a pu démanteler jusqu'à aujourd'hui. Vous connaissez tous plus ou moins les castes d'Izrath : eh bien comme son nom l'indique, ESPer regorge d'espers.


— Des espers ? demanda Jordan, dubitatif. Qu'est-ce ?


— Les espers sont des personnes qui matérialisent le kvantiki d'Izrath en pouvoirs psychiques et télépathiques. précisa Laïla. Ils peuvent, selon la nature de leur pouvoir, matérialiser différemment leur source de puissance. Certains d'entre eux au niveau assez avancé sont même capables de lire ou contrôler les pensées d'autrui. Je conseille donc à tout le monde de bien se reposer avant d'attaquer en pleine forme le conflit de demain.


— Ouais enfin anyway, enchérit Nayel. Pas moyen qu'on me retourne la tête, moi je vais les mater vos lascards.


— Retourner un cerveau vide ça les avancera tellement… soupira Nathan. Tais-toi un peu le figurant, tu bouffes du temps d'écran pour rien. Après on s'étonne que personne n'a du développement scénaristique. JPP.


— Hoho quelle répartie. s'amusa Ugo. Ça pue le skill à cent mètres. »


Le rassemblement se termina sur cette note. Le mouvement ESPer semblait être un défi de taille qui faisait face à la guilde ETHER, mais tout le monde était confiant à propos de l'expédition du lendemain. Personne n'avait vraiment peur d'échouer. Tout le monde avait confiance en l'équipe, et c'était sympathique à voir. J'espérais malgré tout que tout allait bien se passer, et que j'allais pouvoir retrouver Erika, Hakaze et Reisuke là-bas. Après tout, mon objectif principal était de sauver mon frère de cette emprise qui l'écartait de moi et de la réalité de notre situation.


Je retournai dans ma chambre sur les préconisations du leader. Il nous dit de nous préparer convenablement pour le lendemain, quitte à prendre l'après-midi complète. J'allai donc me doucher et changer mes vêtements, pour être sûr de pouvoir bouger tranquillement le lendemain. Je passai le reste de l'après-midi à brosser mes deux amis, et à emporter dans un sac du matériel afin de m'assurer leur confort, à l'instar d'un paquet de couches culottes pour Cram qui, parfois, avait du mal à se retenir.


Je repensais à notre périple tandis que je faisais mon sac. Tout ce qu'il s'était passé depuis le début entre Reisuke, Erika, Hakaze et moi. Des tas d'évènements bons et mauvais, des alliances surprenantes, des défis, des joies, des peines, tellement de choses s'étaient déroulées dans ce voyage… Et je sentais qu'il allait bientôt arriver à terme. Je ne pouvais m'empêcher d'être un peu triste à l'idée de quitter la guilde un jour. Avec tout ce que j'avais vécu avant, je n'avais jamais réellement trouvé de vrais camarades si ce n'était Hakaze, ainsi que son père . Être dans un milieu bruyant et chaleureux comme ETHER me réchauffait le cœur. Demain, j'allais faire de mon mieux pour les aider, afin de leur montrer ma gratitude.


L'après-midi passa rapidement, me rappelant toutes les responsabilités que je portais sur mes épaules en guise de passe-temps. J'avais changé de vêtements et revu toutes mes compétences de breeder pour me préparer au mieux à lancer l'assaut aux côtés de cette guilde que j'aimais vraiment. J'étais désormais habillé d'un sweat-shirt léger et d'un vieux jogging pour être plus à l'aise dans l'effort. Le sweat était un peu trop large, mais c'était mieux que rien après tout. J'étais désormais prêt à tout affronter, ESPer, Shinji, Hakaze, ou Reisuke. Tout m'était possible.


Sortant de ma chambre provisoire, je me rendis une fois de plus dans la salle commune dans laquelle s'étaient déjà rassemblés les membres de la guilde. Ils me regardèrent tous lorsque je pénétrai l'endroit, me laissant me sentir mal à l'aise. Cependant, je me sentais désormais beaucoup plus en confiance et dans mon élément que lors de ma première visite.


Je m'assis à la table à côté de Laïla que j'appréciais un peu plus que les autres. J'avais quelques atomes crochus avec elle et je tenais à les conserver, puisque nous avions malgré tout formé une bonne équipe contre les UWS.


« Tiens, Hiroki. me sourit-elle. D'attaque pour aujourd'hui ? J'ai hâte de voir tes performances du jour.


— J'ai confiance. repris-je, serein. Je suis certain que nous y arriverons. Et puis je compte sur toi pour me protéger en cas de soucis ! »


Les mots que je lui dis impactèrent fortement la jeune fille. Ses yeux s'écarquillèrent tandis qu'elle rougit légèrement. Laïla venait de me laisser apercevoir une facette beaucoup plus émotive d'elle que ce que j'avais l'habitude de voir. Je pouffai de rire. Je ne manquai pas de la taquiner sur cette réaction, mais elle me dit d'aller me faire voir.


Lorsque tout le monde fut enfin installé, le maître de la guilde apparut. Il était habillé d'une chemise noire ouverte sur le bassin, ainsi que d'un pantalon de la même couleur. C'était apparemment la tenue qu'il portait lorsqu'il devait se déplacer personnellement remplir une mission. Son apparition suscita bavardages autour de la grande table commune. Les UWS qui étaient face à moi papotaient entre eux tandis qu'Ugo, leur chef, était bien plus sérieux qu'à l'accoutumée.


Lorsque Soichiro prit la parole, tout le monde se tût en marque de respect pour le doyen de la guilde. Sa femme et sa fille quant à elles réglaient le volume du micro qui était accroché à son haut, afin que tout le monde puisse entendre.


« Nous sommes donc tous fin prêts pour nous lancer dans la bataille contre ESPer. Membres d'ETHER, cet affrontement est capital, et sera fastidieux. Nous allons tout simplement pénétrer le mouvement et le détruire de l'intérieur.


Pour cela, nous allons nous diviser en plusieurs équipes. L'équipe des UWS. Alain, Jérôme, Kosta, Adam et Ugo vont pénétrer l'entrée nord de l'établissement. Votre but est de neutraliser les caméras de surveillance entourant le dernier étage là où il y a le chef, Eric Sawyer. Je compte sur vous pour réussir.


— Inquiétez-vous surtout à propos des autres ! reprit joyeusement Alain. Évidemment que nous y arriverons.


— Cela sera du gâteau. enchérit Kosta en se frotant les mains. Ils n'ont qu'à bien se tenir.


— Alexis, Nathan, vous prenez l'entrée Est. Vous détruisez le plus de gardes possibles pour progresser tranquillement. Nayel et Buster, vous suivrez le chemin Ouest. »


Le blond à lunettes tiqua et poussa un long soupir, suivi d'un « JPP » tandis que le garçon aux cheveux frisés se contenta de lustrer son Bescherelle pour une raison qui m'était inconnue.


« Hiroki, Jordan, et Laïla. poursuivit Soichiro. Vous prenez l'entrée principale. Vous aurez le plus de gardes à sortir. Je compte sur vous pour mobiliser toute l'attention sur vous et mettre hors d'état de nuire toute personne voulant nous entraver. Hiroki, nous avons envoyé ta copine sur place pour que vous vous y retrouviez. Notre autre branche procédera également à une embuscade.


— Bien reçu. repris-je solennellement. Il en sera fait ainsi.


— Enfin, moi, Nicolas et Himiko, nous rendrons directement au sommet de l'organisation pour affronter Sawyer. Notre attaque dépendra vraiment de votre succès, les United We Stand. Mais l'attaque des UWS ne pourra s'effectuer que si vous arrivez à vaincre de votre côté. Car chaque entrée déverrouille une autre. L'équipe de Laïla sera donc celle qui ouvrira la brèche pour toutes les autres. Des questions ? »


Nous n'avions aucune question. Nous attendions simplement le signal fatidique, et dans un hurlement masculin de détermination qui écrasa la voix de Laïla, nous nous mîmes en route. Tout le monde était remonté et déterminé à démanteler le mouvement ESPer, avec chacun sa tâche pour vaincre l'influente organisation qui était un obstacle certain à la paix. Face à cette guerre, nous regardâmes tous devant nous sans exprimer un mot, comme une armée de soldats l'auraient fait. Même les UWS étaient calmes et déterminés. Et moi… Malgré mon appartenance temporaire au groupe, j'avais l'impression d'être un membre à part entière d'ETHER. J'étais un de leurs guerriers.


Nous prîmes le bateau jusqu'à arriver à Slyfair. Les quelques heures passées sur l'engin aquatique étaient vraiment marquées par la pression de l'environnement. Personne ne parlait à bord, chacun était concentré, le regard plongé dans le vide, en train de ruminer la mission que nous allions accomplir. C'était assez drôle à regarder dans le sens où nous savions tous que l'importance de la mission était capitale, et nous agissions en conséquence. Pour ma part, je doutais que cette mission colle à mes intérêts personnels, mais j'étais malgré tout satisfait de pouvoir sauver des personnes, et au moins, j'allais récupérer Erika au passage.


Nous arrivâmes quelques heures plus tard aux quartiers du mouvement ESPer. Nous y allâmes à tour de rôle. Le groupe de l'Ouest partit, puis celui de l'Est. L'escouade du Nord entra. Et enfin, ce fut notre heure, cette fois, par l'entrée principale. D'après Soichiro ; nous occupions un poste important dans le sens où c'était nous qui devions faire diversion contre les forces de sécurité d'ESPer. Ainsi, comme nous l'avions prévu, lorsque nous entrâmes, tous les systèmes se mirent en marche, nous condamnant à l'intérieur. Des hommes dont les âges variaient entre pré-adolescence et période jeune adulte se baladaient dans l'espace, habillés de l'uniforme singulier du mouvement psychique, mais ne semblaient même pas nous notifier. Je m'interrogeai.


« Il y a un problème ici. lâchai-je à voix haute. Avec tout le grabuge que nous avons déclenché, personne ne nous remarque.


— Ouais, reprit Jordan, dubitatif. j'imaginais aussi qu'on aurait plus de soucis avec les membres du groupe.


— J'imagine qu'ils doivent avoir une motivation pour ne pas nous attaquer… lança Laïla. Ou alors les rumeurs du mouvement sont vraies.


— Quelles rumeurs ? Le mouvement ESPer serait si sombre ?


— On dit que le mouvement utilise un système de contrôle mental pour garder les fidèles qui sortent du mode de pensée unique du leader.


— Sérieusement !? Soichiro ne blaguait donc pas… Je comprends pourquoi nous sommes ici d'un coup… Pauvres garçons…


— Ne sois pas émotif. me rattrapa Laïla. Qu'ils soient consentants ou victimes, ce sont des ennemis. Tu dois être capable de commettre des infamies si tu veux gagner.


— Tu as raison. soupirai-je. Ce n'est pas le moment de me laisser attendrir. »


Nous tentâmes d'avancer le plus possible dans les locaux. Cependant, alors que nous passâmes devant les jeunes hommes, croyant qu'ils ne distinguaient rien, j'eus la surprise de voir ces derniers se retourner vers nous. Tout de suite, je compris que nos spéculations étaient fondées. Leurs regards étaient totalement vides. Ils s'avancèrent doucement vers nous, finissant par encercler les trois membres de notre groupe. J'analysai la situation. Nous étions trois contre dix, un clair désavantage numérique qui nous mettait dans une position de faiblesse assez conséquente. Nous essayâmes bien évidemment de partir, mais nous fûmes repoussés facilement. Apparemment le contrôle mental altérait leur perception de la douleur et la réduisait considérablement.


« Ok, lâchai-je à moitié sonné, on sort comment maintenant ? Vous avez une idée ?


— Moi j'en ai une ! retentit une voix agressive portant tout la hargne du monde. Vous ne sortez pas et je vous écrase, bande de merdes ! »


La voix qui résonna dans l'espace dans lequel nous nous trouvions me troubla. Elle était une intonation féminine mais assez grave qui avait une sacrée portée. J'imaginais clairement le genre de fille qui avait poussé ce cri alors que je ne pouvais toujours pas la voir. Cependant, alors que je réfléchissais à un moyen d'utiliser cette nana à notre avantage, ses serviteurs s'écartèrent, laissant apparaître une jeune fille portant un uniforme différent des autres. Ses longs cheveux blonds tombaient sur son ensemble noir composé d'un haut assez sobre et d'une jupe longue lui tombant sur les genoux. Son visage quant à lui était souligné par de grands yeux verts exprimant naturellement de l'arrogance de par leurs traits tandis qu'ils n'étaient pas obstrués par ses cheveux, ces derniers formant une courte frange symétrique qui lui tombait à peine sur le front.


Lorsqu'elle nous vit, son expression naturellement arrogante se crispa pour afficher encore plus de mépris et de satisfaction face à notre situation. Semblant amusée par toute cette agitation, elle prit la parole à l'intention de notre groupe.


« Quand cet abruti de Sawyer nous a dit que son système de sécurité était assez merdique pour avoir laissé une guilde s'infiltrer, je pensais qu'il fabulait. ricana la blonde. Mais en effet, nous avons bien une belle brochette d'attardés qui nous infiltrent. Intéressant.


— Voilà une jeune femme bien arrogante. rétorquai-je, décidé à lui tenir tête. Ces gars, tu les contrôles vraiment ?


— Bien évidemment que je les contrôle ! Tu m'as prise pour qui franchement ? Si tu crois que tu vas pouvoir partir d'ici tranquillement, tu peux te foutre un doigt dans le cul et faire l'avion, espèce de pauvre tâche. Je suis Jessica ! Second meilleur élément du mouvement ESPer et accessoirement celle qui va vous rendre muets pour toujours.


— Je vois, s'amusa Laïla, donc si je comprends bien nous allons devoir nous occuper de toi et de ces hommes ?


— T'es pas si conne que t'en as l'air en fait. ricana la blonde. Eh oui. Cette bande de larves est mon harem et je suis leur maîtresse. Ces petites tapettes ne sont bonnes qu'à être à mon service et recevoir leur punition quand ça me chante. Tu connais le féminisme ? Je lui pisse à la raie. J'suis une vraie femme puissante tu vois.


— Pourquoi vouloir réduire en esclavage des personnes qui ne t'ont rien fait !? m'indignai-je. Arrives-tu à dormir sur tes deux oreilles alors que tu répands le mal !?


— Oh, qu'il est chou. rétorqua Jessica amusée. Je m'étais jamais faite rouspéter par un mec qui a un singe sur l'épaule. Repasse plus tard quand tu seras plus crédible, vu ?


— Eh bien essaie donc de me faire subir le même sort qu'à tes sbires qu'on rigole un bon coup ! la provoquai-je. Je n'attends que ça d'être ton serviteur, sale gamine !


— Bien. reprit-elle, ténébreuse. Puisque tu tiens à être suicidaire, je vais t'aider. Et puis tu es à mon goût, j'ai hâte de voir à quoi va ressembler ta tête de gland lorsque j'aurai réduit tes espoirs à zéro et que tu seras complètement sous mon contrôle !


— Trouvez-vous une chambre qu'on en finisse. railla Laïla.


— Ce n'est pas le moment, Laïla ! s'offusqua Jordan. On est encerclés au cas où tu aurais oublié !


— Ah oui, soupira Jessica, il y a la petite friture aussi. Adrien, Gregory, montrez que vous avez des couilles cette fois et allez me vaincre ces deux parasites. »


Deux de ses serviteurs s'avancèrent tandis que les autres se reculèrent. Le blond s'avança vers Laïla tandis que le brun s'avança vers Jordan. Pour ma part, j'étais pris dans un clash en un contre un contre la leader de cette partie du mouvement ESPer, Jessica. Je la scrutais, elle qui avançait un caractère assez fort, et ce que je vis au premier abord était une jeune femme pervertie par la corruption affichant sadisme et mépris sur son visage.


Jessica sortit légèrement sa langue de sa bouche afin de se lécher les babines tel un prédateur qui repère une proie. Son visage s'obscurcit, elle devint rapidement effrayante, bien plus que ne l'était Hakaze lorsqu'elle s'énervait contre moi. Un frisson me parcourut le corps. J'étais à la fois complètement effrayé, mais aussi un peu excité par la jeune blonde en face de moi.


« Je te fais donc le deal, pauvre tâche. On va se taper dessus tous les deux. Si tu gagnes, je relâcherai toutes les personnes ici et je te laisserai l'accès libre à la zone. Dans le cas contraire, si notre affrontement se termine par ma victoire… Alors je ferai de toi un membre de ma collection, et ta première besogne sera de me servir de repose-pied personnel. Toujours décidé à me montrer que tu n'es pas manipulable ?


— Tu n'as aucune chance avec de telles convictions, Jessica ! Je vais te montrer la force de la persévérance et de l'espoir ! Tu garderas mon nom en tête comme celui qui aura mis fin à ta série sordide ! Je suis Hiroki d'ETHER, celui qui va te vaincre ! »


Je n'eus pas le temps de prononcer le moindre mot de plus qu'une projection verdâtre se projeta contre moi à la vitesse de la lumière, me propulsant droit contre les vitres du bâtiment qui éclatèrent suite à la collision. J'écarquillai les yeux, distinguant dans un moment comme au ralenti la jeune blonde, Jessica, qui était elle-même le projectile qui venait de s'écraser sur moi. Englobée par un torrent d'énergie vert translucide, je pouvais voir un sourire carnassier dessiner une expression malsaine sur le visage de mon adversaire, tandis qu'elle tenta de fracasser son poing droit sur ma face toujours suspendue contre la paroi de la salle.


J'étais incapable d'esquiver, mais j'eus un coup de pouce extérieur. Cram, qui avait été projeté par l'attaque de la jeune fille, apparut de derrière elle. À ma grande surprise, il matérialisa une énergie noire dans une de ses pattes. Elle n'était pas très imposante, mais lorsqu'il la projeta, elle suffit pour faire dévier le poing de la blonde qui le planta juste à côté de moi en conséquence. Diamond sortit de par en dessous, me tirant fermement en utilisant sa mâchoire, ce qui me permit d'échapper à l'emprise de la fille.


Elle fut confuse en raison du recul provoqué par son attaque. Elle avait été si puissante que son poing restait encastré dans la paroi de granit. La seconde meilleure du mouvement ESPer grimaça, tentant à maintes reprises de retirer son membre, sans succès. Je profitai alors de cette distraction afin de projeter un puissant coup sur mon adversaire, ce qui lui arracha un cri de douleur, et la défit de l'emprise également.


Jessica monta en puissance. Un filet de sang coula de sa joue, tandis que la jeune femme se mit à léviter en poussant un grognement de rage qui me fit frémir. Elle devenait de plus en plus ténébreuse alors que, de mon côté, je regrettais déjà le coup de poing que je venais de lui donner.


Cram et Diamond vinrent se positionner à mes côtés, mais je les repoussai. Même dans une telle situation, je restais fidèle à mes engagements en tant que breeder. Même si Jessica semblait être une esper de talent, je ne pouvais reculer.


Je devais agir pour les protéger, et éviter de finir sous la coupe de cette folle. Mais je n'avais rien pour me défendre. Ni pouvoirs, ni arme. Je ne pouvais tout simplement pas vaincre une telle puissance…A moins d'avoir recours à une aide extérieure.


« Laïla ! hurlai-je à la jeune femme qui, lassée, faisait tourner en rond ses adversaires. Matérialise-moi une arme !


— M'as-tu prise pour un magasin ? se vexa mon amie aux cheveux couleur corbeau. Je ne suis pas un personnage non joueur d'un RPG fantasy. »


J'évitai de justesse la blonde qui tenta de nouveau de se projeter sur moi, la laissant créer un cratère dans le sol tellement son attaque était puissante. Je repris la parole à l'intention de Laïla, affolé.


« Je vais mourir si tu ne m'aides pas je te signale ! hurlai-je. Je me charge du reste mais matérialise-moi juste une arme par pitié !


— Très bien… soupira-t-elle, lasse. Despair : Ikrele lobumnyama !


— À tes souhaits. répondis-je spontanément. »


Elle ne rétorqua pas. Une épée faite d'énergie ténébreuse apparut devant la jeune femme aux longs cheveux corbeaux avant de tout simplement se planter dans le sol. J'évitai de nouveau Jessica d'une roulade, avant de me saisir de l'arme et la brandir devant la blonde. Elle grimaça, ce qui me tira un rictus. Puis elle déploya ses mains dans ma direction. Des tas de sphères d'énergie sortirent de nulle part en gravitant autour de moi. Avant que je ne puisse réagir, elles s'écrasèrent à une vitesse folle sur ma personne.


Mais l'épée donnée par Laïla était si facilement maniable que je puis trancher chacune de ces sphères, avant de m'attaquer directement à mon adversaire.


Jessica grimaça. Elle généra en l'espace de quelques secondes une sphère lumineuse si étincelante que je la crus capable de m'aspirer. Elle la projeta vers moi à une vitesse folle, si bien que je n'allais même pas avoir le temps de la dévier comme je l'avais fait pour les autres attaques.


Pourtant, je sentais que rien n'était perdu. J'avais toujours la main sur l'épée donnée par Laïla, et rien d'autre pour me protéger, mais je ne me pensais pas vaincu.


Et pour cause, sans que je ne sache pourquoi, ni commun, j'absorbai l'entièreté de l'arme qui était dans mes mains. Mon corps bouillit, comme si une puissance externe venait de le pénétrer, et en moins de temps qu'il n'en aurait fallu pour le dire, je propulsai une énergie ténébreuse si intense qu'elle fit exploser l'attaque de Jessica, emportant la blonde dans un torrent de force à la fois étincelante et obscure qui lui tira un hurlement de douleur.


La jeune femme s'écrasa au sol dans un vacarme assourdissant. J'étais persuadé que la partie n'était pas terminée. Elle semblait bien plus robuste que cela. Pourtant, lorsque le nuage de fumée la masquant se dissipa, je pus voir l'étendue des dégâts causés par mon attaque.


Elle était couverte d'égratignures, décoiffée, l'uniforme à moitié déchiré par mon offensive. Elle n'était plus agacée, ni confuse, ni en colère. Elle respirait désormais la haine. On pouvait lire toute le mépris du monde dans son regard, alors qu'elle peinait à tenir sur ses jambes.


« Saloperie… cracha Jessica, outragée. Je suis très mauvaise perdante. Je vais te massacrer, te briser en deux, te détruire ! Lorsque tu seras sous mon emprise, je t'ordonnerai de te torturer toi-même jusqu'à ce que tu crèves comme le vulgaire rat que tu es ! »


Avant que je n'aie le temps de répondre, la jeune fille plongea son regard dans le mien, laissant apparaître deux grands yeux luisants qui éliminèrent absolument tout ce qu'il y avait autour de nous. Plutôt que de faire disparaître les éléments du décor, j'avais l'impression qu'ils avaient le pouvoir de s'approprier mon attention, me faisant oublier les lieux de notre affrontement. Peu à peu, je me laissais happer par son attraction. Peu…à…peu… Je perdais le contrôle…


« Et voilà. reprit Jessica, satisfaite. J'ai rétabli la balance. Personne ne se met en travers de mon chemin. Personne.


— Autant tes sbires sont d'une faiblesse ridicule, enchaîna une autre voix féminine, autant toi tu es vraiment lourde, Jessica.


— Tu aurais pu au moins m'en laisser un… soupira un garçon l'accompagnant.


— Silence. lui rétorqua-t-elle, glaciale. Nous ne sommes pas dans un jeu vidéo où nous devons gagner en équipe.


— C'est pareil sur « MdR » ! geint le garçon. Tu fais toujours toutes les parties seule avec ton ADC !!


— Vous me fatiguez. soupira la voix de l'effrontée. Élimine-les, Hiroki. »


Les mots que j'entendais semblaient venir d'une voix qui m'était familière. D'après elle… Il me suffisait d'éliminer les deux personnes face à moi pour satisfaire à sa demande… Je n'avais pas à me poser la question de savoir si c'était bien ou mal… Tout ce que je devais faire, c'était répondre aux attentes de la seule parole qui parvenait à mes oreilles.


Je m'avançai vers la femme aux cheveux noirs qui était déconcertée par ce qui semblait être une situation délicate pour elle. J'avais pour seul objectif de l'éliminer. Je devais le faire pour répondre à cette voix qui me l'ordonnait. J'avais le sentiment qu'elle allait m'offrir tout ce que j'attendais si j'obéissais totalement au moindre de ses ordres.


Cependant, plus je m'avançais vers elle, plus je sentais que quelque chose n'allait pas. Je n'arrivais pas à regarder derrière moi, mais je ressentais quelque chose de malsain provenant de cette direction. Finalement, je réussis à jeter un œil, et tout ce que je vis alors fut une fille rongée par la haine, la rancune, entourée d'une aura sombre… Une existence pitoyable et malheureuse.


Je fus alors tiraillé entre deux voix qui résonnaient dans ma tête. Celle de la jeune fille qui me disait « occupe-toi de la brune » et la pensée de mon cœur qui me transmettait « sauve cette Jessica ». Je restai planté sur place quelques minutes, entendant les personnes en moi se battre pour obtenir mon consentement. Je pris ma tête dans mes mains tellement tout se bousculait à l'intérieur. J'avais mal, horriblement mal. Si j'avais pu faire cesser la douleur en me claquant la tête dans un mur, je l'aurais fait sans hésiter.


Lorsque je repris la marche, je tournai les talons, dirigeant mes pas vers la blonde qui se laissait de plus en plus consumer par la rancune et la rage au fur et à mesure que j'avançais vers elle. Je l'entendais hurler sur moi, me disant que la direction dans laquelle j'allais n'était pas la bonne… Mais j'étais convaincu au fond de moi-même que sa voix emplie de haine et de mépris n'était pas indicatrice du bon chemin à emprunter.


Ainsi, lorsque je fus en face d'elle, elle me cracha à la figure en guise de mépris. Tandis que la portion gluante coulait sur mon visage sans que je ne le calcule, je me surpris moi-même par le comportement que j'affichai. N'écoutant que mon cœur, je me ruai sur la jeune blonde afin de l'étreindre avec force et conviction. Je la sentis se crisper face à la surprise qui lui faisait face. Sa respiration devint vite saccadée et ses battements de cœur quant à eux redoublèrent d'intensité. Elle tenta de me repousser de tout son corps qui semblait comme me rejeter de l'intérieur, mais mon étreinte était trop forte, elle n'arrivait pas à s'en défaire.


Toujours sous son emprise, je repris alors la parole d'un ton machinal et sans émotion, guidé non pas par ma raison, mais par mon cœur lui-même.


« Il… bégayai-je péniblement. Il…ne…faut…pas… Te laisser…submerger…par la haine… Jessica.


— Sérieusement !? hurla la concernée, consternée. Qu'est-ce que tu racontes, sale gland !? Et pourquoi mon emprise n'a aucun effet !?


— Je ne serai jamais la marionnette du désespoir… Retrouve…le sourire, Jessica. Tu sembles brisée…mais tu peux te reconstruire si tu t'entoures de bonnes personnes… Ne ferme pas la porte à l'avenir… Tu n'as pas le droit d'agir de la sorte…


— Personne…n'aimera une sorcière comme moi. bégaya la jeune fille dans un élan de faiblesse.


— Oh que si… murmurai-je. Dehors se trouvent des milliers de personnes… Et parmi elles, quelqu'un te chérira et t'aimera, sans que tu n'aies besoin de pervertir ce beau visage avec des sombres sentiments te poussant au mal…


— Ce ne sont que des mots ! hurla-t-elle, comme pour se convaincre elle-même. Cela ne veut rien dire ! »


Sans réfléchir, toujours l'esprit embrouillé par la manipulation de Jessica, je me saisis de son corps bien plus fragile que le mien, mais extrêmement tendu et rigide. Je blottis la jeune fille contre moi, l'embrassant spontanément. Je lui transmis par mon acte toute la tendresse et la compassion que j'avais en moi, par la force d'un seul baiser langoureux que Jessica ne tenta même pas d'abréger.


L'emprise de Jessica se dissipa, me laissant réaliser que j'étais en train de commettre quelque chose d'extrêmement déplacé. Je me reculai en vitesse, m'excusant maladroitement pour ce que je venais de faire à la blonde. Elle me fixait, livide, tandis que je maudissais à l'intérieur son pouvoir qui m'avait fait entreprendre des actions que je ne désirais pas. Mais lorsqu'elle atterrit, elle revint se blottir contre moi. Elle s'écroula dans mes bras, tentant de masquer le bruit des larmes qui coulaient sur ses joues le plus possible.


Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut d'une voix saccadée par la tristesse, dont elle tentait de préserver l'assurance.


« Ne bouge pas sinon je te pète les dents. Je ne veux pas qu'on me voie dans un tel état de faiblesse. Si tu me balances, tu rentres en corbillard, vu ?


— Vu… répondis-je, encore sous le coup de l'émotion.


— Qu'est-ce qui cloche avec toi, sérieux. T'aurais pas tout simplement pu te laisser te faire manipuler, ou m'obéir en espérant me tirer comme tous les autres ?


— Jessica… lançai-je sérieusement. J'ai vu ton vrai visage lorsque tu m'as manipulé. Tu es poussée par la voix de la vengeance et de la perdition, mais je sais qu'au fond de toi, tu es une bonne personne. Une jeune fille à la dérive en soif de réponses et en conflits avec elle-même. Nous sommes similaires, Jessica. Seulement moi, j'ai encore des choses à protéger, alors que toi, tu devras les construire.


— Je sais que je suis paumée… avoua-t-elle. Mais ce n'est pas ton cas, donc t'as pas de temps à perdre. »


La blonde sécha ses larmes avant de me repousser. Elle affichait son air naturel mais cette fois troublé par notre échange. Ses serviteurs quant à eux avaient repris leurs sens, elle leur avait à tous rendus la liberté. Apparemment satisfaite par l'issue de notre affrontement, elle reprit la parole à notre intention.


« Passez. Je vais désactiver la sécurité dont je suis la responsable. Vous devez détruire cette fondation. Ce n'est qu'une organisation despotique qui nous a tous détruit de l'intérieur. Retrouvez Sawyer et défoncez-le une bonne fois pour toutes. Moi, ça me fatigue de voir tout le monde souffrir.


— Merci, Jessica. Vraiment.


— Casse-toi de là, je t'ai fait perdre assez de temps. »


Je lâchai un sourire sincère à Jessica qui me le rendit à son tour. J'avais l'impression d'avoir soigné quelque chose à l'intérieur de l'esprit de la jeune fille, et pour être honnête, j'en étais fier. Aussi, accompagné par mes acolytes, je me hâtai en direction de l'ascenseur, attendant des nouvelles aventures encore plus difficiles, plus haut dans le bâtiment…


L'ascenseur se referma sur nous, nous emmenant plus loin. J'espérais secrètement que notre mission allait bien se passer. Car après tout, tout s'était joué à un cheveu contre Jessica. Mais finalement, j'avais réussi à progresser tout en sauvant une personne… Et c'était la plus belle des récompenses…





Spoiler :


Alors que nous avions réussi à nous défaire de Jessica : Jordan, Laïla, et moi prîmes l'ascenseur afin de nous diriger directement à l'étage le plus proche du siège du leader du mouvement ESPer, plus connu sous le nom d'Eric Sawyer. Nous appuyâmes sur le bouton « 10 » qui allait nous permettre de le rejoindre… Mais à notre grande surprise, nous nous arrêtâmes au troisième étage seulement. L'ascenseur ouvrit ses portes, nous laissant faire face à un couloir vide de toute présence. Laïla, agacée, reprit la parole en nous laissant entrevoir sa frustration.


« Parfois j'ai l'impression que tout nous tombe dessus. soupira-t-elle. Pourquoi sommes-nous bloqués sérieusement… ?


— J'imagine que le mouvement doit être sécurisé. reprit Jordan. Nous devrons sûrement intervenir ici.


— Non. le corrigeai-je, sachant ce qu'il en était. Nous ne pouvons rien faire. Nous sommes trop loin de la chambre des contrôles. Laissons-leur ça et ayons confiance.


— Avoir confiance en qui ? m'interrogea Laïla. De qui parles-tu, Hiroki ?


— Je parle d'« eux ».


— Ne me dis pas que tu parles de… bégaya Jordan, le malaise inscrit sur son visage. »


Je ne répondis pas. C'était bien de ces personnes que je parlais. Ceux qui avaient causé tant de soucis ces derniers jours. Ils jouaient les durs, mais je savais au fond de moi qu'ils allaient faire de leur mieux pour remplir leur mission. Ainsi, je m'assis sur le sol, m'adossant sur une porte en attendant qu'ils y arrivent. Mais alors que je ne gardais que ma confiance en guise de preuve, quelque chose attira mon attention. J'entendis un bruit venant de la pièce derrière la porte sur laquelle j'étais adossé. Je me relevai, l'ouvrant pour voir ce qu'il s'y passait, et j'eus l'étonnante surprise de trouver la salle des caméras de surveillance.


Braquant mes yeux sur les écrans retransmettant le conflit, je pus voir Buster et Nayel de leur côté, mais aussi Soichiro, Nicolas et Himiko du leur. Les deux groupes étaient coincés et ne pouvaient pas avancer dans le bâtiment. Toute notre progression reposait alors sur « eux »…


Je posai mon regard sur les caméras de surveillance, retrouvant le groupe que je mentionnais à demi-mots.


« Sérieusement… se plaint Ugo, au milieu de ses camarades. De tous les coins où l'on pouvait atterrir, c'est dans les dortoirs qu'on tombe. Pile au moment où personne n'a envie de dormir.


— Je m'excuse. soupira Adam. J'ai cassé toutes mes boules de cristal dans mon combat contre ETHER.


— Ne te plains pas. rétorqua Jérôme. Cela serait dommage que le grand Ugo se fasse sortir par un esper de second rang hinhin.


— C'est quand même étrange. reprit sérieusement Alain. Nous sommes seuls alors que nous sommes censés infiltrer une sorte de guilde au fonctionnement sectaire. Ils sont partis en pique-nique ou bien quelqu'un nous a précédé ?


— Il n'y a qu'une explication plausible. détailla Kosta à la voix grave et assurée. Nous marchons droit dans un piège. À partir de cet instant, nous prenons la décision d'y foncer ou de nous rétracter. Qu'en dites-vous ? »


Le groupe s'arrêta. Les paroles de Kosta me firent un peu douter pour être honnête. Si les cinq individus se rétractaient maintenant, cela en était fini de notre assaut et nous finissions coincés au beau milieu de ce mouvement pullulant de personnes aussi effrayantes que ne l'était Jessica…S'ils décidaient de se venger, nous étions cuits. Mais alors que je m'accrochais aux derniers espoirs, essayant malgré tout de placer ma confiance en eux, le plus vieux, Jérôme, prit la parole.


« Je n'en ai rien à faire de cette guilde. lâcha-t-il indifférent. Mais si on part maintenant, il n'y aura aucun skill.


— Hoho ! enchaîna Ugo, joyeux. Jérôme veut faire de son mieux pour ETHER, je suis ému.


— Moi j'aime bien l'environnement là-bas ! reprit Alain, enthousiaste. Ça change de notre repère dans l'ombre où l'on ne voyait personne.


— Eh bien… soupira Kosta. Voilà que nos hommes s'attachent bien plus à ce monde qu'il ne le faudrait. Eh bien soit, mes camarades. Avançons pour nos espoirs. »


Les cinq compères continuèrent leur marche au travers des dortoirs qu'ils ouvrirent et inspectèrent un à un. Outre les effets intimes de chaque membre du mouvement ESPer, le « gang des hohos » ne trouva rien de particulier, rien de suspect qui attira leur attention. Alain fut assez dépité par ce manque d'action, cela se vit sur son visage. Quant aux autres, ils gardaient un air plutôt sérieux, cherchant de manière frénétique et sans prendre de pause.


Essuyant échecs sur échecs, ils firent toutes les chambres jusqu'à arriver au bout du couloir, non loin de la porte reliant dortoirs des garçons à ceux des filles. La salle de contrôle devait sûrement être dans les quartiers féminins puisqu'ils n'avaient rien trouvé ici. Mais alors que Jérôme allait s'avancer vers l'issue, il fut retenu par le cerveau du groupe, Kosta. Le plus vieux afficha un air irrité envers son camarade, tandis qu'Alain et Ugo, eux, semblaient amusés par ce changement soudain de situation.


« Arrête d'avancer, Jérôme. dit-il sérieusement.


— Qu'est-ce qu'il y a grand génie ? Ne fais pas semblant d'être le chef en nous donnant des ordres.


— Techniquement il est chef. lança Ugo, me faisant rater un battement de cœur. Tu sais bien que cacher notre véritable leader, c'est donner une subtile diversion à nos ennemis hoho !


— Et depuis quand cet imbécile sans skill est chef ? grommela le plus vieux du groupe.


— Depuis qu'il est le seul à se servir de sa tête. enchaîna Alain, ironique.


— Nous avons mis Kosta au pouvoir en avril 2014. précisa Adam.


— Nous sommes en 1998… soupira Ugo, dépité.


— 2043 selon le calendrier de la civilisation Sunbird. le corrigea Kosta. »


Je ne pus m'empêcher de sourire en voyant les images du groupe dont les membres se taclaient les uns les autres. Laïla et Jordan qui étaient à côté de moi pouffèrent de rire également, amusés par la situation assez comique de l'United We Stand. Je fis signe à mes camarades de garder profil bas afin de nous laisser entendre distinctement ce qu'il se disait dans leurs rangs, guettant finalement plus leurs nouvelles joutes que leur progression.


« Ce système m'est familier. avança Kosta, se grattant le menton. Il faut que je m'en souvienne pour que nous puissions progresser.


— Quel genre de système ? demanda Ugo, concerné et attentif.


— Regarde ces dalles au sol. C'est un mécanisme particulier utilisé par les bâtiments de Slyfair. Mes parents m'en ont beaucoup parlé, je connais ce système.


— Et dire que le fils du chef de la sécurité a fini dans un gang ! s'amusa Alain.


— En attendant, on est dans de beaux draps. C'est un labyrinthe invisible. Pour être bref, un chemin a été configuré au préalable, et si vous ne l'empruntez pas, vous êtes pris.


— Donc basiquement, c'est aléatoire ? demanda Jérôme.


— Laissez-moi quelques secondes de réflexion. »


L'homme s'arrêta à côté de ses camarades, entrant dans ce qui semblait être une réflexion intense. Il fixait sans cligner des yeux les quelques dalles qui jonchaient le sol. Je réfléchissais également à comment passer ce piège, trouvant en cette situation un bon stimulant cérébral… Mais le grec me dépassa dans la réflexion. Je lus sur son visage qu'il venait de trouver la solution au problème qui s'était dressé devant son équipe. Lorsque je le vis agir, je cessai alors de réfléchir pour observer sa décision. Il reprit la parole à l'intention de ses amis, d'un ton direct, doublé d'un charisme presque palpable.


« Progressons au hasard. déclara-t-il, brisant tous mes espoirs.


— Pourquoi progresser au hasard !? protesta Alain. Il n'y a aucune autre solution ?


— Aucune. assura le leader de l'United We Stand.


— Cela ne te ressemble pas, Kosta. murmura Ugo, concerné.


— Ce système de sécurité n'est pas le plus performant pour rien, il repose entièrement sur le hasard. Si vous faites un faux pas, vous prenez une décharge électrique. Nous allons devoir utiliser le hasard pour progresser. Jérôme, cherche-moi un objet possédant des propriétés magnétiques. Un aimant suffira. Alain, tu vas aller dans le local à fournitures de ménage et m'amener une paire de gants en caoutchouc. Je vais tenter une petite expérience. »


Les acolytes du jeune homme s'absentèrent pendant cinq minutes le temps de trouver ce qu'il fallait pour que leur chef fasse son expérience. Kosta plongea son regard dans les dalles qui formaient le labyrinthe invisible, tandis qu'Ugo, lui, se posait toujours des questions sur ce raisonnement singulier.


« Dis le grec. entama-t-il. C'est quoi ton expérience ?


— En rassemblant les données que j'ai en tête et en les appliquant à ce circuit, j'ai déterminé trois modèles de labyrinthe utilisés dans la sécurité qui peuvent être appliqués sur ce type de sol. Je vais donc utiliser l'aimant pour déterminer le plus de cases imprégnées par de l'électricité étant donné que ces dalles sont recouvertes d'une couche de zinc. Certaines couches sont peintes et donc ne conduisent pas le courant électrique, tandis que d'autres ont leur couleur naturelle et transmettent donc les décharges. Le souci c'est que les couches peintes sont de la même couleur que celle d'origine.


— Je vois… Donc ça rend le tout complètement aléatoire.


— Pas tout à fait. Il faut une épaisse couche de peinture pour isoler l'électricité, donc il y aura une barrière suffisante entre l'aimant et le métal pour qu'il ne soit pas attiré. En attirant l'aimant vers mon propre métal, je pourrai donc déterminer case par case quelle zone est électrique ou non.


— C'est bien pensé hoho ! Heureusement que tu te sers de ta tête ! »


Kosta restait impassible devant la remarque de son acolyte, pensant déjà à la suite de son expérience. Jérôme et Alain rapportèrent le matériel requis, ce qui permis à leur leader de mettre en route le scénario prédit à Ugo. Il lança l'objet faisant office d'aimant qui atterrit au milieu des dalles, puis il enfila les gants en caoutchouc pour pouvoir prendre appui sur celles qui étaient gorgées d'électricité. Ainsi, grâce à sa méthode, il réussit à retracer le chemin qui était dégagé de tout danger. Il marqua d'un feutre les cases accessibles, avant de se retourner vers ses camarades, qui étaient ébahis devant un tel élan de génie.


« On peut y aller, la voix est sûre. déclara-t-il, vainqueur.


— Excellent ! s'exclama Ugo. Bravo, leader ! »


Devant mon regard impressionné, Kosta s'avança franchement sur le chemin qu'il avait tracé, passant sans crainte le labyrinthe invisible en compagnie de son équipe. Cependant, alors qu'il allait ouvrir la porte séparant les deux séries de dortoir, elle s'ouvrit toute seule, faisant reculer l'homme et ses acolytes instinctivement.


Une femme arriva dans l'espace d'une démarche gracieuse et élégante, contrastant totalement avec son accoutrement. Elle portait une tenue assez particulière et inadaptée aux lieux. Un pantalon moulant de couleur kaki et une veste type militaire qui semblait être assez robuste. Ses mains quant à elles, étaient protégées par des gants en faux cuir comme les motards en avaient. Ses cheveux bruns étaient assez courts, mais soulignaient son visage dont les traits étaient plus durs que ceux des individus de la guilde. Elle et moi devions avoir le même âge. La nouvelle arrivée posa ses yeux marron, espiègles, sur le groupe des UWS, reprenant la parole d'une voix féminine, mais débordant d'assurance.


« Cela faisait longtemps que nous n'avions pas eu du divertissement ici ! sourit la femme. Depuis la mort de ce jeune crétin il me semble. Jessica a soulevé un grabuge énorme ce jour-là, mais depuis rien du tout. Je suis contente de voir que de la chair fraîche arrive. Je me nomme Cécilia. Troisième meilleur élément du mouvement ESPer, et accessoirement, la responsable du système de sécurité !


— Troisième meilleure ? reprit Kosta, déçu. Nous n'avons que de la demi-portion ?


— Ne sois pas méchant voyons. s'amusa la brune. Ce que tu vois ici n'est qu'une vaste compétition pour nous. Et je la gagnerai.


— Une compétition ? s'étonna Ugo. Entre qui ?


— Entre les trois meilleurs éléments du mouvement. Nous nous battons toutes pour l'amour de notre leader, Eric Sawyer, futur maître de la ville, et bientôt du monde.


— Quelle raison futile. s'empourpra Jérôme dont le visage laissa paraître un rougissement. Vous n'avez aucun skill.


— C'est vous qui êtes ridicules. Faire tout un traquenard pour passer un sol électrique alors qu'il n'y a aucune électricité. Regardez, je peux marcher pieds nus ici si je veux. »


Je m'arrêtai un moment… Alors la motivation principale de ces femmes à se battre avec autant de haine était tout simplement l'amour de celui qu'elles considéraient comme la tête pensante ? Pourtant, cette Jessica ne semblait pas attachée au leader dont j'ignorais encore le visage. Sans vraiment comprendre, je continuais à regarder le face-à-face entre UWS et Cécilia, en espérant que cette dernière cède.


« Tu pues le grec. lâcha Alain. Quel leader de merde.


— Je suis d'accord hoho ! reprit Ugo. A partir de maintenant, je suis le véritable leader !


— Déjà une dissolution ? sourit Cécilia. Quelle bande de gamins ignorants.


— Ne ricane pas, pimbêche. s'avança Alain, un rictus aux lèvres. Je serai ton adversaire !


— Qui t'a parlé d'adversaire. reprit la brune, satisfaite. Vous êtes déjà vaincus ! »


La femme se recula, actionnant discrètement un mécanisme se trouvant derrière elle. À la seconde où elle appuya sur l'interrupteur derrière elle, des traînées de gaz se rependirent rapidement dans l'espace de bataille. Toutes les issues se condamnèrent, empêchant les cinq comparses de sortir. Cécilia quant à elle enfila un masque à gaz aux couleurs militaires, regardant l'équipe adverse, qui était de plus en plus retranchée dans ses mouvements à cause du gaz se rependant aux alentours. Elle reprit la parole avec puissance, sa voix cependant atténuée par son masque.


« Vous ne pourrez pas tenir plus de cinq minutes sous ce gaz…C'est un concentré de monoxyde de carbone ayant des propriétés assez dangereuses si vous y êtes exposés trop longtemps. Cinq minutes et vous perdez connaissance, dix et c'est la mort… Qu'allez-vous faire, misérables ? Les issues sont condamnées…


— Comment faire… cracha Kosta, déjà affecté par la substance.


— À ce rythme, nous allons mourir… renchérit Ugo. Alain… Il faut que tu partes… »


Avant qu'Ugo ne puisse terminer sa phrase, il perdit connaissance, raide. Adam le suivit quelques secondes plus tard. Leur camarade Kosta tenta de les secouer pour qu'ils se reprennent, mais il ne tint pas plus longtemps et se laissa abattre à son tour. Je regardai le spectacle, impuissant face à la situation. De là où je me trouvais, il m'aurait fallu plus de dix minutes pour les rejoindre, et ça aurait été trop tard pour sauver qui que ce soit.


Cependant… La solution vint de la personne dont je m'attendais le moins. En effet, Alain était toujours debout, et devant lui se trouvait son acolyte, Jérôme, plus déterminé que jamais.


« Grand frère… dit le plus jeune en suffoquant. Libère-le… Et sauve-nous… »


Le plus jeune du groupe s'évanouit juste après avoir prononcé ces mots, laissant à son camarade le soin d'entendre les dernières paroles qu'il venait de prononcer. Lorsqu'il le fit, une lumière de couleur rouge entoura le dénommé Jérôme pendant quelques secondes, faisant se dissiper le gaz autour de lui et ses camarades par la même occasion. Cécilia était intriguée par ce changement soudain de scénario, grognant contre l'homme qui s'était défait du gaz toxique.


Lorsque la lumière se dissipa, Jérôme n'était plus le même. Il affichait une musculature assez imposante, tandis qu'il était habillé comme un héros de jeu vidéo ou de cartoon. Un équipement moulant, une cape, des morceaux d'armures sur les épaules et les jambes, Jérôme était devenu un autre. Sur ses gants, ainsi que sur son torse, se trouvait un emblème qu'il affichait fièrement : un point, comme l'on en utilisait pour terminer les phrases. Cécilia quant à elle fronça les sourcils avant de reprendre la parole toujours aussi défiante.


« Cette transformation ridicule ne me fera rien ! hurla-t-elle en gardant confiance. Je reste la reine de ce mouvement et rien ne peut tenir tête à mon pouvoir ! »


Le nouveau Jérôme resta muet face à son adversaire. Agacée par le mutisme de l'homme, la femme laissa vibrer les pouvoirs psychiques à l'intérieur d'elle. Elle fut entourée d'une lumière vert pâle qui l'entoura de la tête au pied. Le bracelet qu'elle portait, et qui s'était fait discret jusque-là, devint luminescent, laissant sortir quelques étincelles faites d'éclats étranges. À ma grande surprise, lorsqu'elles prirent forme, c'était tout une armée de vaisseaux spatiaux qui étaient prêts à attaquer le membre des « hoho ».


« Il faut absolument l'aider ! hurla Jordan derrière le moniteur. Il va se faire souffler !


— Laisse-le. le stoppai-je. Faisons confiance…en Jérôme. »


J'eus la crainte de regretter ces paroles lorsqu'elles sortirent de ma bouche. Toujours les yeux rivés sur l'écran, je vis les vaisseaux attaquer Jérôme tous en même temps pour finir dans un torrent de fumée qui occupait tout l'espace du combat entre mon camarade et la femme. J'eus peur que ce super pouvoir n'était qu'un costume lorsque je vis l'impact qu'il s'était pris… Cependant, à ma grande surprise, le membre de l'United We Stand s'en était sorti sans une égratignure, et pire, il avait détruit tous les projectiles autoguidés s'en étant pris à lui.


Je bégayai quelques mots attestant de ma stupeur, abasourdi face au pouvoir de Jérôme. Ce dernier s'élança à son tour à toute vitesse devant une Cécilia qui avait perdu sa confiance initiale. À ce moment-là, voyant la vigueur de l'homme qui évitait tous les vaisseaux projetés par la femme, je me disais qu'il allait lui asséner un coup de poing fulgurant… Mais à ma grande surprise, lorsqu'il fut près d'elle, il s'arrêta net.


Nous étions tous effarés face à ce qu'il faisait, Cécilia comprise. Elle était face à lui, affichant un air consterné par le fait que l'homme était assez stupide pour s'arrêter devant elle. Pour toute réponse, elle n'eut qu'un silence.


L'homme qui était devant elle fit quelque chose que je ne compris pas, il matérialisa un objet fait d'un or si éclatant que l'on aurait pu l'assimiler sans aucune exagération à la pureté du monde. L'artefact en forme de tige était similaire à un long stylo, ou bien un bâton. Ainsi, il le posa sur le front de la femme, et sans que je ne puisse comprendre comment, elle lâcha un hurlement de douleur avant de tout simplement s'écrouler au sol, raide.


Moi, Laïla, et Jordan, nous étions consternés devant cette scène plus que ridicule. Comment le simple fait de toucher l'adversaire avait pu mettre hors course le troisième meilleur élément du mouvement ESPer alors que j'en avais tellement bavé contre Jessica à peine une demi-heure plus tôt ? Je ne comprenais pas, mais le principal c'était qu'il avait gagné.


L'homme reprit son apparence normale et laissa ses camarades derrière lui le temps de traverser la porte menant aux dortoirs des filles. Comme ils l'avaient deviné, la salle de contrôle était derrière la limite franchie par Cécilia. Lorsqu'il entra, il désactiva toutes les sécurités très rapidement, laissant tout le groupe de Soichiro, ainsi que celui de Buster continuer de leur côté. Notre équipe pouvait donc aussi prendre l'ascenseur.


« L'ascenseur doit être débloqué ! exulta Laïla. Nous n'avons pas de temps à perdre !


— Super, il gère Jérôme ! Allons-y Hiroki !


— Pas tout de suite. Je dois m'assurer d'une chose avant ça. »


Je gardai les yeux braqués sur la caméra, surveillant les actions de Jérôme. Je voulais simplement m'assurer qu'il pouvait porter secours à ses camarades. Je le vis donc revenir dans la salle où gisaient les corps inconscients de son équipe. Il prit le pouls de chacun, et par chance, tout le monde était en vie. Il afficha un air de satisfaction, et un sourire que personne n'était capable de voir selon lui. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut d'un ton léger et chaleureux. Se pensant seul, il se parla à lui-même.


« Je ne laisserai personne vous faire de mal. lâcha-t-il en souriant tendrement. »


J'affichai un sourire de profonde satisfaction devant les paroles de Jérôme qui prit le soin de réveiller un à un ses camarades d'armes. J'étais même un peu ému par leur camaraderie, eux qui se désignaient comme le « Noyau dur des UWS ». Finalement, ils étaient dans un gang juste parce qu'ils n'avaient pas eu de chance, et non parce qu'ils étaient mauvais. Ça me faisait plaisir de savoir que Soichiro leur avait donné une chance d'oublier leurs problèmes et devenir des citoyens honnêtes.


En voyant Jérôme comme ça, cela me mit du baume au cœur. Peut-être pourrions-nous être amis pensais-je. Mais je n'eus pas le luxe d'y consacrer beaucoup de temps, puisque je pris un coup dans la nuque de la part de Laïla, ce qui eut pour effet de me tirer de mes pensées. Je repris ma course dans le bâtiment, mais une fois arrivé à l'ascenseur j'eus une surprise de taille.


La blonde de tout à l'heure était revenue face à nous, de nouveau entourée par les hommes qui composaient ce qu'elle appelait son harem. Elle nous fixait d'un regard tellement haineux que je ne savais plus quoi penser sur son comportement. Je pris la parole avec prudence, essayant de réveiller l'espoir en la jeune fille.


« Jessica… Que fais-tu encore ici…? N'avais-tu pas identifié ce qui t'empêche de t'épanouir… ?


— Je l'emmerde ton épanouissement ! rétorqua la blonde, hors d'elle. T'as utilisé ça pour m'embobiner, espèce de gros fils de pute ! Je vais te faire payer le fait de m'avoir arnaquée connard ! »


La jeune fille n'écouta même pas ce que j'avais à dire, fronçant les sourcils pour activer son pouvoir une fois de plus. Cependant, cette fois le résultat fut différent. Un voile noir vint perturber ma vision, empêchant le contact de Jessica de fonctionner sur moi. Je ne compris pas tout de suite ce qu'il se passait, mais mes doutes furent dissipés lorsque je vis que c'était une cape appartenant à Laïla qui m'avait protégé de l'attaque. Alors que je cherchais quoi dire, ce fut la femme aux cheveux couleur corbeau qui prit la parole d'un ton glacial et sans la moindre émotion.


« Bien… Cela a assez duré, Jessica.


— Tu sais très bien que je peux te défoncer quand je veux, dégage de là. cracha la blonde.


— Je crois que tu ne m'as pas bien comprise. reprit Laïla en bouillonnant de rage.


— Euh… Hiroki… bégaya Jordan, terrorisé. Un conseil… Fuis.


— Fuir !? m'étonnai-je. Comment ça ? »


Je réalisai quelques secondes après cela, mais il était déjà trop tard pour espérer sauver Jessica.


« Pauvre fille. reprit mon amie, désespérée. Il est temps pour toi de comprendre ce que voulaient dire mes menaces… Tu as refusé l'espoir de ce jeune homme… Tant mieux pour toi. Mais maintenant, je vais te faire goûter l'exact opposé. Je n'aurai aucune pitié, je ne m'appelle pas Hiroki.


— Alors viens puisque c'est comme ça. la provoqua Jessica qui semblait être capable de se battre de nouveau.


— Ne viens pas pleurer à la fin de ce match. »


Je voulus intervenir, mais Jordan me tint éloigné de la scène de combat, mettant en avant que j'allais me blesser si je continuais à vouloir m'immiscer. Je ne pouvais que regarder impuissant une nouvelle bataille se présentant comme horrible qui allait se dérouler sous mes yeux…





Spoiler :


Laïla venait de lancer ce qui allait être un combat assez dangereux contre Jessica. Les deux femmes semblaient toutes aussi déterminées l'une que l'autre. Si Jessica était enragée face à la situation à laquelle elle faisait face, la jeune femme couleur corbeau, elle, restait impassible, gardant son air abstrait face à la blonde qui était en face. Je scrutais l'échange assez pesant se déroulant devant moi. Jessica aurait pu activer son pouvoir, mais elle ne le fit pas. C'était comme si mon amie l'empêchait de le faire par un moyen dont elle seule avait le secret.


Tandis que je restais devant la scène, Jordan me tira la manche afin d'attirer mon attention. Lorsque je posai mon regard sur lui, il prit la parole, laissant entendre une crainte assez importante dans sa voix.


« Hiroki. Ça va devenir dangereux ici, tu devrais partir.


— Jordan… Pourquoi as-tu peur de Laïla ?


— Je n'ai pas… Peur de Laïla. bégaya le jeune homme, pas crédible du tout. C'est simplement qu'elle s'en fiche des dégâts collatéraux. Et puis, avec elle et moi ici, tu peux progresser. Tu as d'autres objectifs n'est-ce pas ? Soichiro m'en a parlé. Retrouve ton frère, Hiroki. »


Je m'arrêtai quelques secondes face à Jordan. Il était vrai que mon objectif premier n'était pas d'aider la guilde, mais surtout de sortir Erika, Hakaze et Reisuke de ce bourbier. Ainsi, après quelques secondes d'arrêt, je pris la route vers l'ascenseur. Me voyant me diriger à toute allure vers ce qui allait me mener loin d'elle, la blonde envoya ses quelques sbires à mon assaut. Cependant, alors qu'ils étaient prêts de moi, ils furent arrêtés par l'attaque d'un monstre ténébreux… Cette chose…C'était une araignée.


Je m'arrêtai quelques secondes de plus, cherchant à savoir qui était le propriétaire de cet insecte, quand je vis que ce n'était personne d'autre que Jordan. Le jeune homme avait invoqué cette créature pour me protéger. Se mettant face à mes détracteurs, il reprit la parole avec assurance et arrogance cette fois.


« Dix contre un… Moui, c'est pas terrible, je m'attendais à plus. entama-t-il avec arrogance. Je m'attendais à plus de challenge. Enfin… Je suppose que moi aussi, je vais vous faire voir ce qu'est le désespoir. Les terres de l'indifférence et du regret se languissent de dévorer vos ambitions corrompues jusqu'à la moelle ! En garde ! »


Le comportement de Jordan me fit malgré tout sourire. Apparemment, lui et Laïla étaient bien plus proches que ce que je ne croyais, et ils partageaient la même force. C'était sympathique à voir, une amitié semblant aussi solide comme la leur. Laissant à mes camarades le soin de gérer les conflits à cet étage, je me ruai vers l'ascenseur et y pénétrai, appuyant une fois de plus sur le bouton dix.


Mais alors que l'ascenseur monta, je me retrouvai de nouveau à m'arrêter à un étage inférieur à celui que je visais. Cette fois, ce fut au huitième que je stoppai. L'ascenseur s'ouvrit, me laissant en sortir. Je débouchai sur un couloir tout ce qu'il y avait de plus banal, cependant, en le traversant j'atterris dans une salle assez singulière.


Ce que je vis en face de moi ressemblait à un espace d'affrontement. Sur le ring se trouvaient des chaînes et des électrodes, sûrement destinées à être posées sur les protagonistes des matchs. Quant à moi… Il semblait que j'avais atterri dans une loge spectateur. Une vitre me séparait du terrain de duel qui m'était donc complètement inaccessible. Ainsi, les évènements qui se déroulèrent soudain devant moi ne pouvaient même pas être réglés de par ma main.


Quatre garçons entrèrent sur le terrain par le côté Ouest. Si je reconnus immédiatement Buster et Nayel, le garçon les accompagnant, ainsi que le jeune homme semblant un peu plus vieux m'étaient totalement inconnus. Le dernier du groupe semblait être un ennemi. Il était un gars aux cheveux bruns qui était habillé de l'uniforme du mouvement ESPer. Il avait des yeux perçants de couleur gris qui semblaient mettre en avant un esprit malicieux, sadique. Le camarade inconnu de Buster était quant à lui un blond coiffé de la même frange que son ami Nayel, dont les deux yeux couleur blanc affichaient un air timide et peu sûr de lui.


L'homme habillé des couleurs d'ESPer se plaça en face de Buster dans l'arène. Il posa les électrodes sur lui-même, défiant du regard le garçon de la guilde. Lorsqu'il reprit la parole, ce fut pour dégrader encore plus mon ami.


« Tu mets les électrodes comme ça et on démarre le combat. ricana-t-il d'une voix grave. J'te rappelle les enjeux, gros sac. Si tu gagnes, tu pourras déverrouiller les contrôles depuis les loges derrière la vitre. Si tu perds, je vais pouvoir m'amuser avec toi et les électrochocs. Cela fait tellement longtemps que personne n'est mort ici.


— Tu es encore plus pénible que Nayel. soupira Buster. Nous en finirons vite. »


Tandis que le garçon mettait les électrochocs sur lui afin d'entamer le combat, je regardai les contrôles, et en effet, un bouton était verrouillé. Il était protégé par un entourage transparent semblant être du verre. Ne voulant pas laisser mon ami courir le risque de faire face à un tel affrontement, je tentai ce que je pouvais pour briser la couche de protection… En vain. De son côté, Le jeune reprit la parole, accompagné par Nayel et l'autre individu qui ne parlait pas.


« Voilà, je suis prêt. Ce n'est pas nécessaire de mettre les électrodes à Nayel puisque quoiqu'il arrive, lui et moi sommes liés.


— Toi et lui, liés ? Haha la belle affaire ! Ne viens pas te plaindre lorsque vous serez tous les deux morts alors ! Rappelle-toi de mon nom ! Ibrahim, quatrième meilleur élément du mouvement ESPer, et accessoirement, le nom qui sera marqué sur ta tombe ! »


Ibrahim actionna ses pouvoirs psychiques, il chargea ses deux poings avec ce qui semblait être de l'électricité. Avec toute sa puissance, il se rua sur son adversaire, lâchant un hurlement de détermination qui retentit dans la salle, mais alors que son poing allait toucher le jeune garçon, il fut arrêté à mains nues par le compagnon de ce dernier, Nayel. Les yeux d'Ibrahim s'écarquillèrent devant ce scénario, tandis que Buster, lui, afficha un air satisfait mais restant discret.


« T'as vraiment cru que tu pouvais menacer ton maître ? ricana Nayel, toujours aussi empathique. La vermine, ça se prosterne ! »


Nayel asséna un coup de poing à Ibrahim qui le propulsa dans un des murs de l'arène, déclenchant également les électrodes qui projetèrent des décharges directement dans le corps du brun d'ESPer. Il hurla de douleur, me laissant constater à quel point les dommages collatéraux liés au système de ce mouvement étaient cruels. Je comprenais un peu comment tous les membres de ce mouvement finissaient comme Jessica ou Ibrahim…


L'homme revint à la charge, désignant cette fois directement Nayel comme cible. Cependant, alors qu'il allait une fois de plus projeter une attaque de poings électriques sur le jeune arrogant, ce fut cette fois l'autre garçon semblant timide aux cheveux blancs qui stoppa l'attaque pour ensuite la renvoyer à son propriétaire. Le gamin afficha un sourire qui me glaça le sang, tout en restant silencieux, laissant le soin à Buster de reprendre la parole.


« Tant que Nayel et Rayel seront là, il te sera impossible de me toucher. Ils sont peut-être deux imbéciles, mais j'ai besoin d'eux pour me retenir. Si je redeviens le Buster d'autrefois, je ne peux garantir ce qu'il se passera pour toi.


— Putain… grogna Ibrahim. Tu oses encore me prendre de haut !? Je vais te faire regretter ça, putain de mioche ! Constate un peu ce qu'est la véritable puissance d'un esper ! Thunder Spell : Eternal Lightning ! »


Je poussai un cri de surprise tandis que l'homme brandit un éclair qu'il pouvait tenir à mains nues comme s'il s'agissait d'une arme qu'il contrôlait. Apparemment, le pouvoir de l'individu au langage plus que discutable était de matérialiser l'énergie psychique en l'élément foudre. Armé de ce qu'il avait fait apparaître, il bondit quelques dizaines de centimètres plus haut pour finalement le fracasser au milieu des trois protagonistes qui furent entraînés par le nuage poussiéreux généré par l'impact. La force d'Ibrahim, qui n'était que le quatrième meilleur élément semblait assez conséquente malgré tout. Je m'inquiétais à propos du sort de Buster et ses amis, alors qu'au fond, je ne pouvais rien faire si ce n'était regarder…


Cependant, alors que je m'inquiétais pour le jeune garçon, celui-ci me surprit totalement. Je distinguai sa silhouette bouger dans l'épais nuage de fumée provoqué par l'attaque. Il s'avançait de plus en plus, marchant calmement jusqu'à sortir de l'écran généré par Ibrahim. Lorsqu'il fut sorti, il n'affichait plus son air satisfait, mais une expression légèrement marquée par la frustration. Son visage avait été un peu ensanglanté par l'attaque de l'homme. Lorsque mon ami reprit la parole, ce fut en laissant paraître un profond dépit.


« Je ne voulais pas te faire voir ça, mais je suppose que je n'ai pas le choix. Ne sois pas choqué je te prie. 50 %. »


Le corps de Buster rayonna tandis qu'il dévisageait son adversaire avec le sourire. Quelque chose changeait en le jeune garçon. Il se construisait une sorte d'armure tout autour de lui, ce qui me faisait vraiment un effet de surprise considérable. Sans que je ne distingue vraiment toutes les étapes, il revêtit d'un coup une carcasse similaire à un Izrathien de la caste des chevaliers, exactement comme Medrawt. Une armure toute faite de bleu foncé et de rayures jaunes qui lui traversaient les membres.


« Aslan, le chasseur de dragons. déclara fièrement Buster. Voilà ce que je suis.


— Aslan, le chasseur de dragons…!? répéta Ibrahim, abasourdi. Un Izrathien !!?


— Seul le leader d'ETHER est au courant, alors merci de garder ceci pour toi. reprit le chevalier. Je suis un Izrathien dans ce monde sous l'apparence d'un humain. Aslan, le chasseur de dragons. »


Sans ajouter un autre mot, Buster fit apparaître une épée dans son dos, la saisissant pour se battre avec Ibrahim qui s'était défendu grâce à un éclair. Les deux individus se confrontèrent par le biais de leurs armes l'un face à l'autre, en encaissant des coups et en en renvoyant, tandis que les acolytes présents aux côtés de Buster regardaient la scène en prenant les paris. Ibrahim, le quatrième, semblait faire jeu égal avec Aslan, le chasseur de dragons, ce qui n'affolait pas mon camarade de la guilde. Son ami Rayel se jeta à son tour contre l'homme aux éclairs qui le repoussa facilement. Le jeune homme aux cheveux blancs ne semblait pas assez puissant pour rivaliser face à l'esper. Ainsi, pour toute réponse, Buster déploya ses deux mains, laissant s'ouvrir la paume de la droite, puis de la gauche.


« 75 %. dit-il, déterminé. »


À ces mots, Rayel disparut dans un torrent de fines particules de lumières qui s'intégrèrent directement dans l'armure du membre d'ETHER, qui laissait désormais beaucoup de nuances de blanc apparaître notamment sur les épaules. L'armure semblait devenue plus légère mais aussi plus puissante. Ibrahim, qui tentait tant bien que mal d'endommager l'armure pendant sa transformation en vain, prit la parole, agacé par la situation.


« C'est quoi ce bordel !? s'insurgea l'éclair. Tu absorbes tes potes pour devenir plus fort !? C'est clairement dégueulasse, même pour moi !


— Aslan, le chasseur de dragons. Le pourfendeur du mal. »


Le jeune garçon relança une attaque plus rapide que la première, détruisant d'un coup d'épée l'éclair dans la main de son adversaire qui n'eut d'autre choix que de reculer rapidement afin d'éviter un nouvel impact dans la foulée. Cependant, à la grande surprise d'Ibrahim, l'éclair que Buster avait brisé n'avait pas disparu, mais était resté au creux de sa main droite. Devant l'étonnement de l'adhérent du mouvement ESPer, l'ami de la guilde ETHER reprit la parole avec dépit.


« Tu es vraiment stupide en réalité. Lorsque je détruis quelque chose en portant cette armure, je m'accapare de la puissance de ce que je bats. En d'autres termes, je deviendrai de plus en plus fort à chacun de tes échecs.


— Ok. reprit Ibrahim, déterminé. Je pensais pas qu'un mioche pouvait être si fort, mais qu'à cela ne tienne. Je vais moi aussi te montrer ce que tu n'aurais jamais dû voir. »


L'homme claqua des doigts, se laissant entourer par un torrent électrique traversant son corps de haut en bas. Il lâcha un hurlement de douleur dont la voix était saccadée et déformée tellement il hurlait fort résonner dans la salle de l'affrontement qui était déjà à moitié détruite par l'intensité des coups des deux protagonistes. Il ferma les yeux et serra les dents, comme pour contenir le pouvoir qu'il relâchait, pour finalement nous laisser, Buster et moi, voir le résultat de toute cette mise en scène.


L'homme baignait dans un flux d'électricité perpétuel qui affluait autour de son corps entier. Il possédait désormais deux traits jaunes lui traversant le visage ainsi que des yeux de même couleur. Ses cheveux avaient également viré au blond, comme s'il était lui-même devenu un éclair puissant et rapide.


Le nouvel Ibrahim ne se fit pas attendre et se rua sur mon ami qui fut littéralement soufflé par l'attaque rapide et puissante. L'adhérent du mouvement serra l'Izrathien à la gorge, voulant le projeter dans sa course jusqu'au mur afin de le finir. Cependant, Buster, qui tentait tant bien que mal de reprendre le contrôle, réussit finalement à minimiser l'impact, se saisissant de son adversaire afin de stopper sa course et le renvoyer quelques mètres plus loin. Mais cela n'avait pas l'air d'arrêter Ibrahim qui, machinalement, reprit sa course jusqu'à revenir flanquer un coup de poing assez intense au chevalier, le fracassant contre le sol.


Mon ami était clairement à la merci de l'homme qui rayonnait de l'éclair qui l'entourait. Ibrahim appliquait une pression assez forte sur l'armure — et donc le corps — de Buster qui était allongé sur le ventre au sol, incapable de se relever. Tout semblait perdu pour lui, et je ne pouvais même pas l'aider. Je cherchai Zéphyra au fond de moi, mais comme je m'en doutais, elle était absente, autrement elle m'aurait aidé dans mon combat contre Jessica… Ce n'était cependant pas le moment de me poser des questions puisque si je ne faisais rien, j'allais voir un carnage se dérouler sous mes yeux…


Cherchant n'importe quelle solution, je me mis à appuyer sur tous les boutons du simulateur, détraquant ainsi toutes les commandes de l'arène qui s'emballa. Les câbles volèrent en haut, en bas, à gauche, à droite, s'entraînant dans un tourbillon, une danse, que devaient éviter les deux protagonistes du combat sous peine de se prendre des ondes psychiques directement dans la face. Cela permit à mon ami de se dégager, mais aussi à son acolyte Nayel de se jeter sur Ibrahim et de le faire tituber, le laissant se prendre quelques dégâts par son propre système d'électrochocs.


« Haha ! ricana Nayel. On la ramène moins maintenant hein !? À genoux devant ton maître !


— Nayel, on va devoir terminer ça. le coupa Buster. Fini de s'amuser.


— Sérieusement !? protesta le garçon. Je n'ai même pas eu le temps de le défoncer.


— Nayel. le gronda le chevalier.


— Bon d'accord ! De toute façon il est foutu. »


Des décombres électriques ressortit Ibrahim, plein d'énergie psychique combinée à de l'énergie électrique. Il possédait en lui une puissance incommensurable désormais. Assez pour éradiquer mon ami et son acolyte d'un seul coup. Et il ne se fit pas attendre puisqu'il se rua la tête la première, chargeant à l'aide de toute l'électricité de son corps directement vers Buster. Ce dernier ne semblait cependant pas être déconcerté par le monstre qui se ruait sur lui. Il se contenta simplement de prononcer quelques mots, toujours aussi calme qu'il ne l'était, avant de terminer sa phrase.


« 100 %.


— Sérieux… bouda Nayel. Pour une fois que je m'amusais. »


Nayel disparut également dans un torrent de lumières, tout comme l'avait fait Rayel il y avait maintenant quelques minutes. Cependant, les lumières dans lesquelles il s'évanouit étaient noires. Les particules s'assemblèrent pour prendre la forme d'un énorme dragon de couleur ébène qui se déploya dans l'espace avant d'être totalement absorbé par Aslan, le chasseur de dragons au milieu de l'espace de bataille. Plus Buster absorbait l'énergie générée par Nayel, plus il se métamorphosait en un guerrier totalement nouveau. Son épée grossit, encore et encore, jusqu'à atteindre le double de sa taille normale, tandis que son propriétaire grandit jusqu'à devenir titanesque. Son armure déjà colorée de bleu, de jaune et de blanc vit la couleur grise s'ajouter à sa panoplie, devenant ainsi ce qui semblait être la forme ultime que pouvait prendre Buster. La 100 %.


« Me voici donc à ma forme originelle. Aslan, le destructeur du chaos. Je ne voulais pas en arriver là, mais je n'ai pas eu le choix. Rayel et Nayel sont des Izrathiens tout comme moi. Nous sommes à la fois trois personnes différentes, mais aussi une seule personnalité, puisque nous sommes un habitant d'Izrath ayant été scellé en trois parties par Astaris lui-même. Mais aujourd'hui, le monstre scellé a repris son état initial pour te détruire.


— Et nous allons te massacrer, esclave !! continua le chevalier de la voix de Nayel. »


Lorsque la voix de Nayel qui parlait au travers du chevalier s'estompa, Aslan courut vers son adversaire, brandissant son épée contre ce dernier. L'Izrathien était plus rapide que jamais, bien plus que l'éclair ne l'avait été durant tout le match. Je regardais le combat, stupéfait par toute la puissance qui se dégageait des jeunes garçons de la guilde ETHER… Et je n'étais pas le seul. Ibrahim était tellement sonné qu'il pouvait à peine éviter les coups d'épées portés par mon ami, et lorsqu'il le faisait, c'était pour se faire avoir par un des câbles qui dansaient de manière imprévisible dans l'espace.


L'homme n'avait pas d'autre choix que de se retrancher de plus en plus dans l'espace, laissant Buster, Nayel et Rayel gagner du terrain encore et encore jusqu'à acculer l'homme au bout de la salle. Lorsqu'Ibrahim ne put plus esquiver la moindre attaque, il se prit la colossale épée d'Aslan pleine puissance en plein dans l'estomac, lâchant à cet instant un cri déformé par la douleur qui fit trembler les murs de l'arène et de la loge par son intensité.


Propulsé contre le mur, Ibrahim glissa lentement jusqu'au sol où il s'écrasa, relâchant toute son énergie psychique dans un torrent d'éclair qui s'estompa quelques secondes plus tard, non pas sans briser la vitre teintée qui me séparait du terrain de duel avant cela. Le bouton de la loge qui était protégé par ce verre incassable se brisa enfin et je pus appuyer dessus, débloquant ainsi l'accès à l'étage supérieur. Je jetai un œil sur les protagonistes du combat qui pouvaient désormais me voir, et je trouvai Ibrahim, inconscient, tandis que Buster, toujours en Aslan, me remarqua enfin. Il s'approcha de moi à une vitesse fulgurante, mais il s'arrêta lorsqu'il me fit face, reprenant la parole de sa voix habituelle.


« Hiroki… Donc tu m'as vu. Le secret que je voulais garder ne l'est plus désormais.


— Ne te fais pas de bile, le rassurai-je. Je ne compte rien dire. De toute façon je ne resterai pas dans l'équipe… Et puis… Tu as fait un combat merveilleux. Jamais je n'aurais pu montrer une telle performance…


— Merci beaucoup. reprit-il, satisfait. Nous nous sommes beaucoup entraînés en Izrath, Rayel, Nayel et moi. Mais reprendre notre forme initiale est toujours délicat. Cela nous fatigue beaucoup et si l'un de nous lâche, toute l'union est compromise. C'est une manière de nous empêcher de retrouver notre puissance sur le long terme.


— Je vois… Vous avez été formidables malgré tout… Grâce à vous toute la guilde peut progresser désormais…


— J'espère bien que vous allez progresser… Parce que nous, nous sommes à notre limite. Nous devons retourner sur Izrath pour reprendre des forces. On se revoit dans vingt-quatre heures l'ami. Vous n'avez pas intérêt à échouer.


— Compte là-dessus. »


Buster serra son poing, je fis de même, et ensemble nous partageâmes une de ces poignées d'hommes que l'on faisait entre amis proches ou entre frères. Par cet échange avec le guerrier, je récoltais la mission qu'il m'ordonnait de réaliser, et je savais qu'en acceptant la poignée de main je m'engageais à la réussir. Mais de toute façon, j'étais obligé de triompher. Tous mes camarades avaient fait de leur mieux pour faire de cette opération un succès, je n'avais pas l'arrogance de tout envoyer valser en perdant.


Ainsi, lorsque le chevalier disparut pour rejoindre l'autre dimension, je savais ce qu'il me restait à faire. Je longeai de nouveau le couloir vide du mouvement ESPer jusqu'à regagner l'ascenseur qui était resté à cet étage… Et enfin, je puis appuyer sur le bouton dix et arriver à l'étage convoité.


Tandis que les portes s'ouvrirent tout doucement, je repensais à tous les combats que j'avais vu ces dernières heures. La bataille que nous avions menée avec Jordan et Laïla contre Jessica et ses gardes, le combat des UWS contre Cécilia et ses vaisseaux, celui de Buster, Rayel et Nayel contre Ibrahim et toute sa haine… Tout était pièce du succès final de notre opération.


Mais alors que les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, j'eus un sentiment horrible me traversant tout le corps. Un présage de ténèbres si intense que mon esprit se paralysa l'espace d'un instant, me laissant totalement immobile dans la cage de verre arrivée au sommet.


Quelque chose de malsain arrivait, je le sentais. Alors je sortis de l'ascenseur et me mis à explorer les lieux avec prudence, redoutant une attaque furtive dans mon dos.


Mais alors que je réfléchissais, je fus interrompu par un bruit venant de derrière moi. C'était l'ascenseur qui m'avait amené ici qui redescendait. Quelqu'un d'autre l'avait appelé. Je restai devant les portes de la machine, attendant de voir qui allait grimper jusqu'au dernier étage où je me trouvais actuellement. Je m'attendais à toute présence possible. Laïla, les UWS, Jordan, ou même Jessica… Mais lorsqu'elles s'ouvrirent, ce fut la dernière personne à laquelle je m'attendais qui en sortit… Elle aussi habillée de l'uniforme du mouvement ESPer.


« Toi aussi tu es arrivée ici… murmurai-je. Nous nous retrouvons enfin, Erika. »





Spoiler :


Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, la méfiance en moi atteint son paroxysme. Je me préparais à toutes les éventualités, redoutant le pire quant à l'identité de la personne qui allait sortir de la cage de verre que nous avions débloquée. Cependant, lorsque je pus enfin distinguer qui était face à moi, c'était la dernière personne à laquelle je m'attendais qui me fit face. Elle était vêtue de l'uniforme du mouvement ESPer, si bien qu'il me fallut deux regards pour la reconnaître, mais ces yeux pétillants de couleur bleu, ainsi que ces boucles blondes ne pouvaient pas me tromper. C'était Erika qui était en face de moi.


Mais elle ne me notifia pas. Elle sortit de l'ascenseur sans même m'adresser la parole, accompagnée par ces deux filles : Brittany et Lysandra. Elle se déplaça rapidement dans le sas que nous occupions, scrutant toutes les sorties en restant en alerte. Je ne compris pas sur le coup, mais elle devait avoir ses raisons.


« La voie est libre ! s'exclama-t-elle à une personne dans l'ascenseur. »


Un homme en blouse sortit de la cage de verre. L'homme brun aux yeux marron s'avança d'une démarche assurée, se recoiffant en prenant un air snob. Il redressa sa coiffure vers l'arrière afin de se dégager la vision, avant de reprendre la parole.


« Bonjour jeune homme au singe et au dragon. lança-t-il d'une voix grave et profonde. Je suis le grand savant fou et futur maître du monde, Akame Shintarou ! Et voici mon escouade de drôles de dames. Lysandra, Brittany, et Erika !


— Tes…drôles de dames… bégayai-je en lançant un regard dubitatif à Erika.


— En fait nous devions nous introduire dans le mouvement pour secourir une amie d'Akame. se justifia maladroitement la blonde. Et puis ça avait l'air amusant aussi…


— Dans tous les cas, enchaîna Akame, l'œil brillant, l'infiltration est un succès ! Et grâce à nos plans machiavéliques, tout est sur le point de s'effondrer ! Et je serai le maître de ce chaos haha !!


— Comment ça, tout va s'effondrer ? repris-je, redoutant le pire. Qu'as-tu fait, Akame ?


— Nous avons placé de la TNT sur toutes les fondations principales du bâtiment ! s'exclama joyeusement Erika. Et nous avons programmé un déclencheur qui fera tout sauter dans une heure.


— Ne me dis pas que tu es sérieuse !? hurlai-je, abasourdi. À quel moment vous pensez que faire sauter un bâtiment plein à craquer est une bonne idée !? C'est du terrorisme ni plus ni moins !


— Nous serons de toute façon tous sortis d'ici dans une heure. m'interrompit une voix féminine familière. »


La femme apparut de nulle part, accompagnée par Soichiro et Nicolas. Elle s'avança vers nous, déterminée, sans la moindre égratignure, ce qui m'indiqua qu'elle n'avait pas subi de dommages lors de sa progression.


« Nous nous sommes chargés de la top recrue du mouvement à l'aide d'Akame et son escouade. nous dit la femme, déterminée. Et par la même occasion, notre accord est conclu Hiroki. Tu as retrouvé ton amie.


— C'est vrai. repris-je. Cependant, ma mission en tant que membre d'ETHER n'est pas terminée. Il reste le leader du mouvement. Je rentrerai avec Erika une fois l'objectif atteint.


— Bien parlé. enchérit Soichiro. Digne d'un véritable membre d'ETHER. Nicolas. Rassemble les membres de la guilde et fais les évacuer. Préviens aussi tous les espers que les lieux vont s'écrouler, et sauve le maximum de personnes possible.


— Bien reçu leader ! s'exclama l'homme avant de partir en vitesse.


— Lysandra, Brittany, Erika, ajouta Himiko. Suivez Nicolas. Votre mission est accomplie, sortez, nous vous rejoindrons. Et ne vous en faites pas, nous avons neutralisé tous les membres d'ESPer, jusqu'au dernier.


— Tous les membres ? répondit Erika, interpelée.


— Elle les a tous électrocutés avec son taser. soupira Soichiro. Ils sont tous à moitié dans le coma, éparpillés dans le bâtiment. »


La réaction du maître de la guilde accompagnée par la pensée de Himiko qui règle le compte des joueurs à coups de décharges électriques me fit pouffer de rire. Cependant, l'heure n'était plus à la rigolade. Nicolas exécuta sa mission, se faisant suivre par Brittany et Lysandra. Mais alors qu'il sollicita Erika de faire de même également, cette dernière refusa, prenant la parole d'un air déterminé.


« Je ne fais pas partie de cette époque, et Hiroki non plus. Si nous sommes séparés de nouveau, nous ne savons pas si nous serons capables de nous retrouver. Je resterai ici, peu importe le risque.


— Bien parlé, jeune fille aux cheveux en parchemins ! s'exclama Akame. Tu es une gourde, mais tu es courageuse.


— Merci Akame, enchérit joyeusement Erika qui ne sembla pas voir le problème.


— Je te laisse ici dans ce cas miss ! reprit Nicolas, détendu.


— D'ailleurs, repris-je. Buster et Nayel sont déjà partis. Ils m'ont chargé de dire qu'ils reviendront d'ici vingt-quatre heures. »


Nicolas s'éclipsa, accompagné par Lysandra et Brittany qui le suivirent sans sourciller. Erika remercia ces dernières une fois qu'elles furent dans l'ascenseur. Apparemment elles avaient bien aidé mon amie de longue date. Cela me réchauffait le cœur, cette capacité qu'avait Erika à nouer des liens et à pleurer lorsqu'ils étaient brisés alors qu'ils ne dataient que de quelques jours. Toutes les personnes que nous avions croisées dans ce périple comptaient en tant qu'humains, en tant qu'amis, plutôt qu'en simple aide sur le moment… Et j'aimais beaucoup Erika pour ce trait de caractère. On avait l'impression qu'elle portait l'espoir même en elle.


« Bien, nous ne sommes plus que cinq désormais. reprit Himiko. Procédons avec prudence. Eric est un Sawyer, autrement dit, il pourrait être capable de tous les vices, de tous les coups bas, si cela lui permettait de nous vaincre.


— Et j'ai un mauvais pressentiment. ajouta Soichiro. Je sens que quelque chose de bien pire qu'Eric se cache ici.


— Vous avez raison. enchaîna Erika. Toratura sent quelque chose de vraiment malsain ici, procédons avec prudence. »


Sur les avertissements d'Erika nous bougeâmes enfin dans le mouvement qui semblait avoir été fragilisé par la récente attaque qu'il avait subi de notre part. Cependant, l'heure n'était pas à la réflexion inutile, mais à l'action. Nous nous déplaçâmes tous les cinq avec prudence jusqu'à arriver dans le bureau de Sawyer, le leader du mouvement ESPer.


Lorsque nous entrâmes dans le bureau, nous eûmes l'extrême surprise de trouver un endroit saccagé de toutes parts, ne laissant qu'un vaste champ de ruines en guise de bureau du leader du mouvement. Nombreux étaient les livres tombés de leur étagère, ou tout simplement brûlés par l'attaque que l'on avait ressentie plus tôt. Les vitres, elles, étaient toutes brisées, ne laissant que quelques fragments de verre cassé errer sur le sol. Le bureau du leader respirait le parfum des ténèbres. Ce n'était pas une odeur à proprement parler, mais simplement une sensation d'étouffement, comme si toute l'oxygène de la salle avait été happée par la pénombre. C'était assez difficile de respirer ici, mais cela ne semblait pas tous nous déranger. En effet, au-delà de la pénombre de la noirceur se trouvait une personne qui était de dos à nous.


Cette personne regardait au travers des vitres brisées du mouvement ESPer. Elle se tenait debout face à ce carnage qui commençait à déteindre sur la ville. L'extérieur s'affolait face à cet événement leur semblant tragique, laissant résonner les sirènes de police et celles d'ambulance comme seule musique de fond de cette ambiance de soirée sinistre pour Slyfair. La personne que nous avions en face de nous semblait comme absorbée par ce spectacle, si bien qu'elle ne nous notifia même pas aux premiers abords.


Nous ne pouvions d'ailleurs pas vraiment dire qui était l'individu en question, étant donné qu'il était couvert par une longue cape pourpre qui flottait au gré de la pression atmosphérique bien plus intense qu'au rez-de-chaussée, le vent étant bien plus fort en altitude.


Alors que j'allais ouvrir le débat en prenant la parole, Soichiro me devança. Il s'avança armé de son charisme de leader pour demander des explications à l'individu clairement suspect devant nous, tandis que sa femme braqua un revolver en direction de ce qui était sûrement un ennemi pour notre camp.


« Eh toi ! Où se trouve Sawyer !? Et qui es-tu !?


— Je ne suis responsable de sa disparition. reprit une voix féminine calme et ténébreuse. Ma mission ne concerne pas cet homme. Regardez ce qu'est devenu Slyfair. Une ville corrompue par les ténèbres en une soirée… »


La voix qui répondit à Soichiro me rappelait clairement quelqu'un. Ne voulant pas admettre l'identité de la personne, je tentai de me persuader que la coïncidence était trop grosse pour être réelle… Mais Erika aussi avait reconnu cette intonation, certes marquée par la tristesse et la monotonie, mais très familière. Mon amie prit la parole, me chuchotant quelques mots.


« Cette voix… murmura-t-elle. C'est Hakaze, non ?


— Oui. soupirai-je. Je t'expliquerai plus tard. Pour l'instant, n'essayons pas d'alerter Soichi – »


Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase que l'intéressé, non content de cette réponse évasive suivie d'un silence de la part de notre amie, s'avança vers elle l'attrapant par son épaule pour qu'elle se retourne. Cependant, lorsqu'il retourna la femme avec violence, il vit le visage de sa fille certes brièvement, mais suffisamment pour tomber sur les genoux, choqué par ce qu'il venait de voir. Himiko braqua son arme sur Hakaze qui était toujours de dos à elle, mais je la stoppai, lui assurant qu'elle le regretterait. Sans comprendre, la femme baissa son arme, me faisant confiance, tandis que son mari, lui, bégaya quelques mots perdus dans cette soirée ténébreuse.


« Pourquoi… lâcha-t-il, meurtri. Pourquoi es-tu devenue comme ça… ? Ne me dis pas que cet objectif que tu m'as dit à Rikoukei…


— Je suis flattée. reprit Hakaze sans bouger d'un pouce. Je ne pensais pas que tu te souviendrais de moi. Mais tu as raison, je suis venue ici pour accomplir la quête que je me suis imposée. J'ai bien tenté de me faire une raison, de me dire que c'était mieux ainsi… Mais finalement… Ma faiblesse a été bien plus forte que ma conviction, et je me suis faite happer par les ombres.


— Hakaze ! hurlai-je, désespéré. Pourquoi as-tu besoin de suivre une voie condamnée au malheur !? Il y a forcément une autre solution, Hakaze !


— Hakaze… ? murmura Himiko, ne réalisant pas ce qu'il se passait.


— Hiroki… soupira la jeune femme. Je suis désolée. Je ne contrôle plus rien. Cette chose qui a pris le contrôle de moi semble venir de mon être lui-même… Comme si une voix puissante me disait de changer le passé. Je suis devenue une femme happée par les ténèbres. Il ne vaut mieux pas que tu voies mon visage, Hiroki. Je ne suis plus celle que tu as connu il y a des années maintenant.


— Celle que tu as connu… bégaya Erika. Attends, Hakaze. Toi et Hiroki vous –


— Je suis désolée envers toi aussi, Erika. Tout ce que l'on a partagé ensemble était réel… Je te considère comme une amie, la seule que je n'ai jamais eue… Mais parfois, il est impossible de continuer à lutter. Le désespoir est trop grand. Il faut que je voie la réalité en face. Je suis une anomalie générée par le malheur et la souffrance.


— Hakaze… murmura Erika, se mordant la lèvre. J'avais un cadeau pour toi… »


Mon amie la blonde sortit de sa poche quelque chose que je ne vis pas au premier abord. Et je fus surpris par le cadeau en question. Un flacon de shampoing à la pêche. Une grande bouteille de deux cent millilitres. Elle le lança aux pieds de Hakaze qui le ramassa, avant de répondre, la voix brisée par l'émotion.


« Je te remercie sincèrement, Erika… répondit mon amie. Cela me touche vraiment.


— C'est le parfum que mon Rei préfère… Lâcha Erika en se retenant de pleurer. Cela t'aidera à séduire celui que tu aimes…


— Soyons franches dans ce cas-là. reprit Hakaze, la voix à moitié morte. Aimes-tu la pêche, Hiroki ?


— Je ne peux pas me laver les cheveux quand Diamond les mord, repris-je naturellement. Du coup je fais avec ce que j'ai quand j'ai l'occasion.


— Tu ne comprends pas… soupira Hakaze, visiblement irritée par ma réponse. »


La jeune femme s'arrêta quelques secondes, fixant l'horizon duquel se dégageait fumée et lumières de gyrophare, avant de se retourner face à nous. Nous eûmes ainsi l'occasion de voir ce qu'était devenu son visage. Erika recula d'un pas, l'expression choquée. Et pour cause, Hakaze était totalement différente de celle que nous avions connu. Elle portait deux grandes marques rouges lui traversant le visage. Ses yeux… Étaient étranges. Le blanc de ses yeux s'était rempli de noir, tandis que son vert habituel s'était changé en mauve clair, laissant une expression malsaine s'installer sur le visage de la fille de Soichiro, dont le teint de peau s'était également obscurci. Je ne savais que dire devant la transformation brutale de mon amie qui était ma meilleure alliée… Mais ce fut elle qui brisa le silence.


« J'ai l'air d'un monstre n'est-ce pas… ? Je sais qu'au fond de moi je le suis. Je suis une erreur qui a besoin d'être supprimée. Malheureusement… Je ne peux pas me supprimer moi-même. Alors je compte sur vous. Grâce à Reisuke, j'ai trouvé la solution.


— Reisuke !!? Qu'est-ce que Reisuke t'a dit !!?


— Il m'a promis la naissance d'un nouveau monde. sourit la femme, laissant des larmes couler le long de ses joues. Il va ouvrir les portes du temps et me permettre de tout recommencer ! Un univers dans lequel je n'existe pas, dans lequel personne n'a à souffrir par ma faute ! Tu seras heureux, papa ! Tu n'auras plus jamais à pleurer pour me donner la vie !


— Je ne te laisserai pas faire ! hurla Himiko qui soudain, semblait concernée. Qui penses-tu être pour pouvoir dévaloriser ta vie de la sorte !? De quel droit veux-tu supprimer tout ce que j'ai ressenti en te portant, en te mettant au monde, et en te serrant dans mes bras !? Je donnerais ma vie pour toi, et cela ne changera jamais, même si je dois te neutraliser pour ça !!


— Vous ne comprenez pas… murmura-t-elle, haineuse.


— C'est toi qui ne comprends pas ! Hurlai-je à mon tour. Tu vas faire souffrir tes parents, Erika, et moi aussi ! Hakaze ! Renonce à ton objectif, par pitié ! Tu ne sais pas combien tu me ferais du mal si tu venais à partir !


— Hiroki… murmura Erika, attristée.


— Tu sais Hakaze… lâchai-je avec gêne. Ça fait des années que tu me rends fou. Je t'aime énormément, du plus profond de mon âme. J'aimerais tant…fonder une famille avec toi. »


J'avais le sentiment d'avoir lâché quelque chose qui était bien trop embarrassant à avouer en temps normal… Mais ce que je venais de dire était totalement véridique. Toutes ces années passées avec Hakaze m'avaient fait peu à peu tomber amoureux d'elle… Depuis ce drame… Depuis ma rencontre avec la brune… Depuis tout ce que nous avions traversé ensemble… Je ne pouvais pas imaginer ma vie sans Hakaze… Cela m'était impossible…


« Je sais… Ce que tu ressens Hiroki… »


Cette voix qui me parlait…C'était celle de Zéphyra. Celle qui s'était absentée depuis le début de notre assaut envers ESPer se manifesta enfin au travers de mon être. Restant à mes côtés, en scrutant avec tristesse ce spectacle déchirant, elle prit la parole au travers de ma bouche, en laissant entendre une intonation mêlant la mienne et la sienne.


« Je n'aurais pas cru vous reparler en de telles circonstances… déclarâmes-nous. Jeune maîtresse, jeune maître, je suis déchirée devant un tel spectacle.


— Z… Zéphyra !? lâcha Hakaze, surprise.


— Sirië !? reprit Soichiro, abasourdi à son tour. C'est toi ?


— Oui…C'est moi qui suis en ce jeune homme. Hakaze… Je comprends ta douleur vis-à-vis de ton parent. J'ai également énormément des regrets sur lesquels j'aimerais pouvoir revenir, que ce soit vis-à-vis du jeune maître… Ou d'autres personnes… »


En prononçant ces mots, je tournai la tête malgré moi vers Himiko qui semblait ne rien comprendre à ce qu'il se passait. Zéphyra semblait avoir quelque chose envers la mère de ma partenaire… Mais je ne pouvais pas cerner de quoi il s'agissait. Tout ce que je distinguais en l'esprit du duel était un profond sentiment de regret. Mais alors que j'essayais d'en comprendre davantage, elle se retourna de nouveau vers le père et la fille, reprenant la parole.


« Mais vouloir réécrire l'histoire est un tribut trop grand pour prétendre à y consentir. Hakaze, regarde les choses en face. Tout ce qui a été fait valait la peine d'être vécu et a abouti à de grands accomplissements, à de merveilleux bonheurs… Tu ne peux nier tout ce qui a contribué à faire de ton père l'homme qu'il est, de ta mère la femme qu'elle fut.


— Zéphyra… Je sais qu'au fond tu as raison… Mais je ne peux plus revenir en arrière. Je vis actuellement mes derniers instants de lucidité… Je vais finir par être happée par mes propres tourments… Tout comme l'est Reisuke. J'ignore si je serai aussi violente que lui… Mais Hiroki, Erika… Soichiro… Et toi aussi, Himiko… Arrêtez-nous… Par pitié, je vous le demande… Arrêtez-nous…


— Je t'arrêterai. reprit Himiko, déterminée. Jamais je ne te laisserai remettre en cause le destin que je t'ai construit. »


La jeune brune se retourna, étant désormais de dos face à nous. Zéphyra me rendit le contrôle de mon corps et de mes paroles, tandis qu'Erika et Himiko étaient toujours interpelées par ce qu'il se passait. Akame, lui, n'avait même pas osé dire un mot, de peur de soulever encore plus de grabuge. Hakaze, qui regardait de nouveau l'horizon, reprit la parole, semblant cette fois un peu soulagée par quelque chose.


« Hiroki… dit-elle avec douceur. Ce que tu m'as dit il y a quelques minutes… Au fond de moi, cela me rend heureuse. Toutes ces années vécues ensemble n'ont peut-être pas été vaines… Mais Hiroki… Quelqu'un à qui je tiens m'a dit un jour « Parfois certaines choses doivent être faites, et pour ce faire, des sacrifices sont être requis. Quand on tient à quelque chose ou à quelqu'un, on est prêt à tout pour arriver à créer l'espoir. » Hiroki… Si tu comprends ce que je veux dire… Alors sois celui qui viendra mettre fin à mes tourments…


— Hakaze je – »


La suite de ma phrase fut étouffée par un bruit sourd qui retentit dans tout l'espace regorgeant de ténèbres. C'était le son d'un hélicoptère s'approchant qui avait interrompu notre conversation. Je sentais une présence s'approcher de plus en plus, en même temps que le vacarme de l'engin se faisait de plus en plus fort… Et quand enfin la machine se positionna devant nous, je pus discerner clairement qui en était le pilote…C'était Reisuke. Il était cette fois habillé d'un ensemble pourpre composé uniquement d'un tee-shirt et d'un pantalon. Regardant la scène avec amusement, il prit la parole de sa voix grave et supérieure, nous parlant à nous tous, acteurs de ce prélude à la bataille finale.


« Vous avez fait un joli chemin, Hiroki, Erika, Soichiro, Himiko. Je suis vraiment impressionné par le fait que vous soyez arrivés si loin dans l'aventure. Malheureusement le jeu se terminera bientôt.


— Reisuke ! hurla Erika. Nous sommes venus ici pour t'arrêter ! Moi et Hiroki nous sommes prêts à te vaincre et à libérer Hakaze !


— C'est cela, c'est cela. soupira l'homme. Le véritable enjeu de ce combat te dépasse, Erika. Pendant que vous étiez tranquillement dans l'autre époque, j'ai eu l'occasion de faire des tas de choses. La prochaine fois vous réglerez bien votre machine, puisque je suis arrivé trois mois avant vous et j'ai pu établir des tas de choses.


— Quel genre de choses… ? grognai-je, agacé.


— Je me suis approprié la tête du groupe « Purple Revolution » par exemple. sourit Reisuke. Ils comptent renverser la ville et détrôner Romain Sawyer, le maire. Mais ce que ces abrutis ignorent, c'est que je compte m'approprier leur énergie, afin d'ouvrir l'ultime porte vers la puissance d'Izrath !


— L'ultime porte… ? bégaya Soichiro. Non. Ne me dis pas que tu – »


Reisuke afficha un sourire déformé par la haine et la moquerie. Il se retenait d'éclater de rire tandis que Soichiro semblait réaliser un danger que je ne concevais même pas moi-même.


« Eh oui, Soichiro Namatame. ricana mon petit frère. Je vais ouvrir cette fameuse porte vers le troisième univers. Et je m'approprierai le pouvoir de ces lieux, tout simplement. Une fois que cela sera fait, je serai l'être le plus puissant que ce monde n'ait jamais connu. »


Avant que je ne puisse répondre, une nouvelle arrivante nous interrompit. Je ne la connaissais que de vue, mais la réaction d'Erika ne pouvait me tromper. La brune aux yeux marron s'avançant d'une démarche élégante, était une connaissance de mon amie.


Elle semblait cependant bien différente de ce qu'elle était dans son époque. L'Indienne traînait une longue robe noire dont la coupe laissait entrevoir une de ses jambes, qui remontait jusqu'à sa poitrine seulement, laissant voir les épaules au teint mat de la jeune fille. Tout comme Hakaze, Indy possédait désormais un air ténébreux. Les contours de ses yeux étaient comme maquillés de noir, ce qui rendait son expression beaucoup plus sombre qu'auparavant. Elle avait également attaché ses cheveux par un chouchou rouge qui les ordonnait sans remettre en cause leur ondulation.


« Nous avons fini le pourquoi nous sommes venus, mon amour. lança l'Indienne. Nous avons mis la main sur la fille et son dragon. Elle est actuellement avec Purple Revolution pour se diriger vers la base.


— Parfait. sourit Reisuke. Tu as fait du bon travail, ma chère et tendre. Nous embarquons, nous n'avons plus rien à faire ici. »


Avant que je ne puisse rétorquer quoi que ce soit, Reisuke demanda à Indy, ainsi qu'à sa nouvelle équipière de le rejoindre à bord de l'hélicoptère. Et malgré le fait que nous demandâmes à Hakaze de rester auprès de nous, la femme s'exécuta et rejoint notre ennemi, les yeux emplis de regret. Elle murmura quelques mots qui furent inaudibles pour tous, excepté pour Zéphyra.


L'hélicoptère s'éloigna de plus en plus, nous laissant moi, Erika, Soichiro, Himiko, et Zéphyra dans la confusion et la tristesse. Notre affrontement allait bientôt avoir lieu. La bataille finale pour déterminer qui allait l'emporter. Il ne manquait plus qu'à rester les yeux braqués sur « Purple Revolution » afin de savoir quand nous allions nous battre.


Mais alors que j'étais perdu dans mes pensées, des secousses vinrent m'interrompre. Soichiro reprit ses esprits face à ce signe de danger imminent, nous hurlant tous d'évacuer le plus rapidement possible. Nous eûmes le même réflexe de porter la femme nous accompagnant, Himiko pour lui, Erika pour moi, avant de filer à vive allure par les escaliers qui semblaient également débloqués. Nous courûmes encore et encore, dévalant marches après marches, tandis que les personnes que nous portions nous hurlaient qu'elles étaient capables de prendre la course également. Sans les écouter, nous dévalâmes les séries d'escaliers une par une jusqu'à arriver au rez-de-chaussée, nous laissant sortir du mouvement ESPer de justesse avant qu'il ne s'écroule.


Himiko se ressaisit à son tour, faisant l'appel parmi les membres d'ETHER. Tout le monde était présent, excepté Buster et Nayel qui étaient repartis en Izrath l'espace de vingt-quatre heures. Nous contemplâmes tous les ruines du mouvement ESPer que nous avions détruit de l'intérieur, laissant la satisfaction générale pénétrer le cœur du groupe. Tout le monde poussa un cri de joie, célébrant ainsi la mission accomplie du jour. Le mouvement ESPer n'était plus, et c'était grâce à nous tous.


Le leader nous invita donc tous à regagner la guilde d'où nous venions. Étant donné que nous devions attendre le prochain signe de vie du groupe révolutionnaire pour agir, je demandai si je pouvais rentrer avec la guilde, permission que j'obtins de la part de Soichiro. Erika vint avec moi, accompagnée par Lysandra et Brittany qui semblaient vraiment appartenir à la guilde et qui allaient donc en regagner les quartiers. Ce qui nous attendait allait signer la fin d'un périple qui s'était étalé sur quelques semaines, voir un mois ou plus désormais… Mais qui avait radicalement changé nos visions à tous…


Je me sentais malgré tout plus fort, avec Erika à mes côtés… Mais j'ignorais si j'allais être capable de briser tous les secrets, tous les tabous, tous les mensonges, tous les interdits liés à notre histoire…


Je me rappelai de cette promesse que j'avais faite à ma mère, seize ans plus tôt. Je serrai les poings. De l'issue de mon combat dépendaient trop de choses, à commencer par le sort de mon seul et unique petit frère.


Regarde-moi, Maman. Je sauverai ton fils.





Spoiler :


Ce soir-là nous rentrâmes tous ensemble à la guilde. Le mouvement ESPer avait été démantelé de l'intérieur, et c'était en grosse partie grâce à notre intervention. L'ambiance était à la fête. Tout le monde fêtait la victoire de la guilde face à l'organisation adverse. Tout le monde, sauf Soichiro, Erika, Himiko, et moi. Nous étions tous les trois préoccupés par le combat auquel nous allions faire d'ici peu.


Erika se laissa finalement aller à la fête, se disant que cela ne servait à rien de broyer du noir… Quant à moi, je me réfugiai dans ma chambre provisoire, prévoyant d'y rester toute la soirée. Mais alors que j'étais allongé sur la couche qui m'était offerte, on vint m'interrompre dans ma réflexion. C'était Soichiro Namatame qui était entré. Je me rassis dès que je le vis, le laissant prendre place à côté de moi. Il s'adressa à moi d'un ton compatissant.


« Tu n'arrives pas à décompresser ?


— Pas du tout. Je n'aurai qu'une seule tentative pour sauver Hakaze, et Reisuke. Je n'ai pas le droit à l'erreur, et ça me met une pression énorme.


— Écoute, reprit Soichiro. J'ai peut-être un truc qui pourrait te changer les idées. Demain je devais accompagner ma gamine qui voudrait faire une « mission spéciale », selon ses mots. Ce qui me dérange, c'est que je viens d'être appelé par Romain Sawyer pour être auditionné concernant ESPer, et ça se passe demain. Je ne peux pas accompagner ma fille du coup. Ça te dirait de l'accompagner ? Elle ne m'a pas dit de quoi ça parlait, mais ça doit être une mission de gosse, elle n'a que 8 ans après tout.


— Pourquoi pas. repris-je, sans vraiment exprimer de réticence. Si cela peut faire plaisir à Hakaze. Et puis c'est toujours mieux que de rester toute la journée à ne rien glander.


— Merci beaucoup, tu m'enlèves une épine du pied. Je sais qu'avec toi elle ne risquera rien… Et puis, elle a Zéphyra avec elle, elle pourra se défendre.


— Et je la protégerai… repris-je, gêné. Parce que dans le futur… Enfin dans le présent… Je… l'aime quoi… »


Soichiro me lâcha un sourire. J'étais ravi de pouvoir rendre un service à l'homme qui avait tant fait pour moi dans le futur. Et puis, connaître Hakaze enfant m'intriguait. Nous nous rencontrerions que dans deux ou trois ans à partir de cet instant, j'avais donc connu la fille au début de son adolescence, quand son caractère se construisait déjà, cela m'amusait donc de savoir comment était la fille, histoire d'avoir du dossier à lui ressortir dans le futur.


Je restai quelques dizaines de minutes à parler avec le chef de la guilde, en apprenant davantage sur sa situation. Le plus gros de ce qu'il m'expliquait, Hakaze m'en avait déjà fait mention… Mais j'appris avec plus de détails la situation de l'homme. Il voulut que je lui explique la mienne, mais je laissai quelques détails obscurs, sachant que si je lui révélais la véritable histoire, cela aurait pu dérégler le temps lui-même.


Notre conversation terminée, l'homme me laissa me reposer pour le lendemain.


Diamond et Cram se moquèrent de moi dès que le leader fut parti. Le petit singe bomba le torse en lâchant des cris d'une grosse voix, face à mon dragon qui, couinant comme une jeune fille, le repoussa en feignant des larmes.


Je réalisai au bout de quelques secondes qu'ils caricaturaient mon altercation avec Hakaze. Ils avaient de la chance que je détestais faire du mal aux Izrathiens que je recueillais. Cela leur évita une sale remontrance.


Ce furent les rayons du soleil qui me levèrent du lendemain matin… Reprenant mes esprits, je sentis quelque chose de lourd qui écrasait mon corps. En y regardant bien, je distinguai mon amie Erika qui était affalée sur moi. Surpris, et je l'avoue gêné par son apparition soudaine, je me relevai brusquement, la propulsant du lit au passage. Elle atterrit dans un gros boom, lâchant un « Aie » qui me gêna quelque peu. La blonde se releva, encore à moitié en train de dormir, avant de prendre la parole d'un ton confus et dépité.


« Hiroki… gémit Erika. Ça fait mal ça…


— Pourquoi tu t'es couchée dans mon lit !? criai-je encore sous le coup de la surprise. Tu m'as fait peur, t'es complètement folle !


— J'avais peur de dormir toute seule… avoua-t-elle honteuse. J'ai angoissé quand j'ai pensé à nos affrontements à venir et puis je n'ai pas réussi à trouver le sommeil.


— Ce n'est pas une raison pour écraser ton 85C sur moi ! protestai-je. Allez retourne te coucher. J'ai du boulot, MOI.


— Comment tu sais que je fais du 85C au passage ? s'étonna Erika.


— Tu laisses traîner tes sous-vêtements chez ta tante et c'est moi qui fais le ménage pour l'aider. soupirai-je.


— Et tu as bien dit une mission !? réagit enfin Erika, enthousiaste, tandis que je me maudissais pour avoir laissé passer l'information. J'adore les missions ! »


La jeune fille montra un enthousiasme soudain que je ne vis pas arriver à l'idée d'entendre que j'allais partir en mission pour la guilde. Ses yeux à moitié fermés par la fatigue s'ouvrirent grand d'un seul coup, me laissant presque y voir des étoiles à l'intérieur. Je racontai l'objectif à mon amie qui semblait emballée par l'idée de suivre la petite et moi dans notre aventure. Cependant je refusai en bloc sa participation.


Mais finalement, après une demi-heure de plaintes et de yeux doux, je cédai à son caprice, la laissant aider à réaliser l'objectif de la petite Hakaze avec moi. Ce fut ainsi que nous sortîmes de la chambre pour aller nous doucher chacun dans notre coin, avant de chercher après la petite fille. Et ce fut dans la salle commune de la guilde que nous la trouvâmes. Elle était assise à table, la tête appuyée sur ses deux mains jointes, le regard perdu. Lorsque je m'assis à côté d'elle, je sentis que je l'interrompis dans ses pensées.


« Bonjour Hakaze ! m'exclamai-je, enthousiaste. Qu'est-ce que tu fais toute seule ici ?


— Bonjour Hiroki ! rétorqua joyeusement la fillette. Je t'attendais pour réaliser ma mission spéciale et je réfléchissais en même temps.


— Réfléchir ? l'interpellai-je. À quoi donc ?


— Je me demandais comment j'avais pu tomber amoureuse d'un demeuré comme toi dans le futur.


— Je te demande pardon ? bégayai-je, interdit. De quoi veux-tu parler ?


— Laïla m'a raconté pour hier. Je sais tout.


— Je peux vous dire, dame Hakaze, que ce jouvenceau est une boursemolle n'ayant aucune qualité pour paraître devant votre beauté. lui assura une voix grave et familière dans mon dos. »


Je soupirai. Forcément il fallait qu'après la brillante intervention de Laïla, ce soit au tour de Medrawt d'entrer en scène. Le jeune blond aux yeux vers s'avança triomphalement vers nous, se pavanant au milieu de l'indifférence des camarades de la guilde. Il était encore présent dans les locaux, et ça, c'était une véritable catastrophe.


« Eh bien voilà ! s'exclama Nathan surgi de nulle part. Enfin un personnage qui a du charisme ! Je commençais à désespérer. Ah et Hiro-machin ne t'inquiètes pas, tu me fais encore JPP. Dès que tu ouvres la bouche j'ai envie de gerber.


— Damoiselle Hakaze, mes hommages. entama Medrawt. Je viendrai donc vous escorter pour cette mission. Je serai votre noble écuyer pour ce jour, et que le trépas me guette si je faillis à ma besogne.


— Merci de me faire cet honneur Messire Medrawt ! sourit la petite fille. Pour commencer, débarrasse-moi de Hiroki s'il te plaît. Il est bien trop bizarre et je sens qu'il va parvenir à me contaminer avec un microbe.


— En quoi suis-je bizarre !? protestai-je, dépité. Et puis tu vas servir à quoi dans la mission toi !?


— Hiroki voyons ! me sermonna Erika. Sois gentil avec Medrawt. Ce n'est pas parce que c'est un imbécile qu'il faut le discriminer !


— Voyez qui parle d'imbécilité… grognai-je suffisamment bas pour pas qu'elle ne m'entende.


— Et puis c'est ma mission aujourd'hui ! enchaîna joyeusement le blond. Nous devons retrouver la dame du lac, celle pour laquelle ce petit cœur de moi chavire.


— Et où se trouve-t-elle, cette dame du lac ?


— Dans… Dans un lac… Je présume. bégaya Medrawt.


— Merci à toi, capitaine évidence ! repris-je, frustré. Bien. Quelque chose s'ajoute à la journée de merde ou vous estimez que je subis assez depuis mon arrivée dans cette pièce ?


— Oh si tu veux souffrir, ajouta Laïla sortant de nulle part, ça peut s'arranger.


— Toi, la ferme. grognai-je envers elle, glacial. A cause de toi, Hakaze met toujours quelqu'un entre elle et moi. »


Je me relevai, tournant le dos à mes camarades qui me suivirent en me criant dessus. L'ordre de mission du jour était donc de trouver celle qui semblait être la petite amie de Medrawt. Je restai dubitatif. En quoi me mêler des affaires de cœur du chevalier allait m'aider personnellement ? Pourquoi faisais-je ça finalement ?


Mais bien sûr que cela m'apportait quelque chose ! Si Medrawt finissait en couple à cette époque, nous changions l'histoire et ainsi… Il laisserait tomber Hakaze et je n'aurais plus de rival dans le futur… Plus besoin de faire des duels à l'épée avec lui en permanence… Je serais…


Je serais libre…


« Allez brave chevalier ! repris-je avec entrain. Allons trouver la donzelle élue de ce petit cœur de toi !


— Toi, tu as réalisé quelque chose de malsain. me dit Erika, suspicieuse.


— N'importe quoi. soupirai-je. Je veux simplement aider ce pauvre petit cœur de lui brisé par la solitude. »


Erika me regarda en coin, sachant pertinemment que je cachais un objectif en mon for intérieur. Je fis mine de ne rien dissimuler, et ensemble nous sortîmes de la guilde. Medrawt et Hakaze fanfaronnaient ensemble tandis que moi et Erika réfléchissions à comment retrouver cette fameuse dame du lac.


Nous nous baladâmes dans les rues de Slyburn, cherchant à droite, cherchant à gauche, espérant trouver une piste qui nous mènerait jusqu'à la dame du lac. Medrawt était le plus enjoué de nous tous. Il lui arrivait de s'absenter, de revenir avec un couvercle de poubelle et une barre rouillée, et de m'attaquer en prétendant être un chevalier. Tandis que j'esquivais ses coups, La petite Hakaze et la grande conne d'Erika riaient de mon malheur. De tous les membres du groupe, c'était moi qui devais me coltiner le boulet.


Mais la petite fille qui nous accompagnait semblait s'amuser à chercher le mystère de Medrawt, donc ce n'était pas peine perdue finalement. Après tout, c'était sa journée, à Hakaze. Je devais tout faire pour qu'elle ne soit pas impliquée dans ces histoires, elle qui avait encore l'innocence de l'enfance… Contrairement à la Hakaze que nous connaissions.


Nous tournâmes quelques heures de plus dans Slyburn à la recherche de la dame du lac. Medrawt s'amusait à porter la petite sur ses épaules et à courir avec elle, comme l'aurait fait un tonton rigolo dans une famille. La gamine était réceptive à tous ses délires et semblait apprécier le blond. Cependant, quelque chose n'était pas normal. J'avais davantage l'impression de me balader dans Slyburn plutôt que d'avoir un réel objectif, dans cet environnement dégueulasse. Erika ne semblait pas se préoccuper de ça, mais cela m'intriguait beaucoup.


« Dis, Medrawt. entamai-je.


— Messire Hiroki ? Un problème ?


— Tu as bien dit que tu cherchais une dame dans un lac, on est d'accord ?


— Bien sûr, elle se trouve dans un lac cristallin entouré d'une forêt luxuriante et agréable, un endroit comme il n'en existe pas deux.


— Medrawt… lui répondis-je, me préparant à hurler. Peux-tu me dire où tu comptes trouver un tel lac dans cette poubelle qu'est Slyburn !?


— Je vois… soupira le chevalier. Pour un gueux tu es décidément perspicace, Hiroki. »


L'homme s'arrêta pendant quelques dizaines de secondes, regardant dans le vide pendant ce temps. Nous avions apparemment touché un point sensible dans le cœur du blond aux yeux verts. Hakaze s'avança, agrippant le bras de son héros du jour qui détournait le regard, n'osant pas affronter le nôtre. Il se mordit la lèvre, avant d'essayer d'afficher une fausse joie qui ne trompait personne.


« Haha… rit le chevalier. Vous m'avez dévoilé au grand jour… Dame Hakaze… Je suis désolé… Mais je ne peux rester avec vous davantage.


— Tu dois partir… Medrawt ? murmura la petite, attristée.


— Si je suis arrivé dans cette guilde… C'est parce que je voulais trouver un endroit assez chaleureux pour y mourir.


— Mourir !? m'exclamai-je. As-tu perdu l'esprit !? Il faut éviter ce genre de blagues devant une enfant, Medrawt.


— Hiroki. me stoppa Erika, sérieuse. Il a l'air sincère. »


Je m'arrêtai quelques secondes. Comment Medrawt pouvait-il être sincère en disant qu'il allait mourir alors qu'il était en vie dans le futur ? C'était impossible… ! Pourtant, cédant sous le poids de mon insistance, l'homme lâcha un soupir, avant de dévoiler toute la vérité concernant son histoire.


« J'ai connu une femme il y a maintenant des années… Son nom était Mélissa. Encore aujourd'hui, quand je le prononce… Les regrets reviennent me hanter la mémoire et mon âme même. Moi et elle nous nous sommes rencontrés lorsqu'elle se retrouva par hasard là où j'habitais, et rapidement, je suis tombé amoureux d'elle. Elle était magnifique. Elle respirait la joie, la bonne humeur, et la gentillesse. Elle avait fait des études de psychologie, ce qui lui permit d'ouvrir les portes de ce petit cœur de moi d'une facilité déconcertante.


— Medrawt… Tu étais amoureux… ? bégayai-je consterné, non par ses sentiments, mais par le fait qu'il parlait un français presque correct.


— Medrawt… murmura Erika, attendrie. Que s'est-il passé… ? »


Sans renchérir, je laissai Medrawt continuer son récit, troublé par ce qu'il disait. Je n'imaginais pas mon pseudo-rival avoir une histoire d'amour avant sa rencontre avec Hakaze… Et il était en train de me prouver le contraire… Ainsi, je posai de nouveau mon regard sur lui, l'invitant à s'ouvrir davantage.


« Je lui ai juré fidélité et je suis devenu son dévoué serviteur. Elle a rencontré un homme, s'est mariée, et a eu un enfant avec lui, me laissant toujours la joie de partager tous ces évènements à ses côtés… Pour chaque épreuve, chaque moment de bonheur… J'étais là, avec la jeune maîtresse. J'étais heureux de paraître à ses côtés. Mais un jour, alors que nous étions en paix tous les quatre, nous fûmes surpris par la fatalité… »


Il marqua un instant de pause.


« Dame Mélissa… reprit-il au bord des larmes. Elle a reçu de la visite chez elle… Ces gens en voulaient à sa vie. Ils entrèrent dans le domicile, défonçant tout ce qu'il y avait à défoncer, n'épargnant ni les meubles, ni les vies. Je me suis battu, encore et encore, pour protéger ma maîtresse… mais elle refusa de me laisser derrière elle. Elle s'est battue à mes côtés, ne voulant pas rompre le lien qui nous unissait… avant de se faire assassiner sous mes yeux.


— C'est affreux… murmura Erika, meurtrie.


— Je le sais. soupira le chevalier. J'ai échoué dans ma tâche de la protéger. En tant qu'Izrathien, mon contrat me liait à elle, et j'ai failli à ma besogne. Cependant, ce ne fut là que ma première erreur. J'ai commis une faute bien plus lourde ensuite.


— Quel genre de faute ? repris-je, interpelé.


— J'ai créé un paradoxe. avoua finalement Medrawt. Nous, les Izrathiens du sanctuaire céleste, possédons une faculté pratique disponible uniquement pour ceux ayant fréquenté les terres du temps : la magie temporelle. Nous pouvons figer le temps, le rembobiner, dans une certaine durée qui dépend de notre engagement auprès d'elles. J'ai utilisé cette magie pour tenter de ramener Dame Mélissa à la vie… Et j'ai créé un paradoxe. »


Il marqua un autre instant de pause, qui me parut comme une éternité alors que je retenais mon souffle. J'avais l'impression que le Medrawt que je connaissais, le blagueur détendu, avait disparu au profit d'une autre facette plus sérieuse et chagrinée de l'homme.


« Je suis un condamné d'Izrath. avoua-t-il. Créer un paradoxe est le pire des crimes que l'on peut commettre. J'ai dû paraître devant le grand juge du sanctuaire céleste : Astaris Bhorn. J'ai échappé de justesse à la peine de mort, mais j'ai subi l'autre sanction la plus lourde.


— Et quelle a été ta peine… ? l'interrogea Erika, affligée par l'histoire.


— On m'a interdit l'accès à Izrath, ainsi que de me lier de nouveau à quelqu'un par un contrat. Le problème, c'est qu'un habitant d'Izrath ne peut pas survivre dans votre monde sans un hôte dans lequel puiser de l'énergie ou retourner à la maison lorsque ses forces le quittent. Dormir ne nous fait rien sur le long terme. Notre espérance de vie se résume à quelques années. Grâce à l'infirmière du sanctuaire qui venait me prodiguer des soins réguliers en toute illégalité, Séradiel, j'ai pu tenir plus longtemps, mais son traitement n'agit plus. C'est la fin pour moi.


— C'est horrible… reprit Hakaze, détruite.


— Medrawt… murmurai-je. »


J'eus les larmes aux yeux en entendant le récit du chevalier. Malgré le fait que je savais qu'il était vivant dans le présent. Je fus pris d'un doute horrible concernant l'homme que je connaissais en tant qu'Izrathien. En acceptant de garder Hakaze aujourd'hui… Avais-je déréglé la trame du temps et ainsi empêché Soichiro de rencontrer Medrawt et de résoudre son problème… !? Cette seule pensée suffisait à me glacer le sang. Je ne pouvais pas simplement regarder le blond s'éteindre sous mes yeux sans rien faire. C'était au-dessus de mes forces.


Devant nos trois mines confuses et désolées, l'homme reprit un sourire insouciant comme il en avait affiché un deux jours auparavant. Il s'adressa à nous avec entrain et enthousiasme.


« Haut les cœurs braves gens ! J'ai eu le temps de voir ma fin arriver, et j'y suis préparé. J'ai simplement une dernière requête pour vous… Pouvons-nous terminer cette journée en nous amusant tous ensemble ? J'aimerais au moins… Avoir apporté un peu d'espoir une fois dans ma vie… Revoir sourire quelqu'un depuis ma maîtresse… Et honorer mon contrat.


— Je refuse de te laisser partir ! hurla Hakaze.


— Hakaze… soupira Erika, compatissante. Tu ne peux rien faire pour aider Medrawt…


— Si, je peux faire quelque chose ! Medrawt est prisonnier de notre monde depuis des années et il n'a pas réussi à créer le paradoxe sinon sa maîtresse serait en vie, donc il ne doit pas être puni ! Il était juste amoureux de Mélissa !


— Dame Hakaze… Même le plus brave des chevaliers finit par tomber… Vous êtes jeune… Vivez votre vie sans vous préoccuper de moi… »


Nous nous arrêtâmes tous face à Medrawt, ne sachant pas quelle décision était la meilleure à prendre. Je me torturai l'esprit pour savoir quel était le facteur qui avait permis au chevalier de survivre toutes ces années… Mais rien ne me venait en tête… Il semblait vraiment condamné… Condamné à mourir de la sorte… Erika non plus ne savait pas comment faire pour sauver le blond aux yeux bleus… Elle me regardait… Dépitée par la situation.


« Allez, ayez espoir. reprit le blond. Je suis sûr que je trouverai une solution. Envoyez-moi des bonnes ondes, ça suffira amplement. »


Comme obéissant à une dernière volonté, nous fermâmes les yeux, Erika et moi, gardant espoir pour que Medrawt trouve une solution. Nous implorâmes le ciel pour qu'il trouve une solution afin que notre ami reste en vie, nous accrochant à cette portion de lumière que nous générions en priant pour lui. Mais alors que moi et mon amie avions les yeux fermés, quelque chose d'inattendu vint bouleverser nos plans…


« Juge des Izrathiens ! hurla Hakaze, déterminée. Roi du sanctuaire céleste, je fais appel à toi !!


— Non ! beugla Medrawt, consterné. Hakaze, ne fais pas ça !


— Ouvre le portail entre le monde de Jidou et d'Izrath ! continua la gamine sans prêter attention au chevalier. Je défie ta volonté ! Je fais appel de ton jugement !


— Par pitié… Arrête… Je ne mérite pas ça…


— Je t'appelle, Astaris Bhorn !!! »


L'incantation provenant de la petite fille résonna dans les cieux pendant quelques secondes devant mon incompréhension mais aussi devant celle d'Erika. Le blond aux yeux bleus quant à lui tomba sur les genoux, affichant une expression vacillant entre la surprise et la terreur. Il était sûrement choqué par ce que venait de faire Hakaze, même si je ne comprenais pas l'ampleur de ses propos. Il prit la parole à l'intention de la brune.


« Pourquoi… bégaya-t-il, livide. Pourquoi… ?


— Laisse nous faire. sourit Hakaze. Moi et Zéphyra nous te sauverons.


— C'est impossible ! hurla le chevalier. Vous ne faites pas les poids face – »


L'homme n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'un éclair surgit de nulle part. La pression du vent s'intensifia, nous faisant perdre l'équilibre à tous. Nous titubâmes face au changement drastique de climat, ce qui eut pour effet de nous faire tomber les fesses au sol, impuissant face à ce qui se tramait devant nous.


Des tas d'éclairs tombèrent tout autour de nous, et au bout du dixième, une brèche s'ouvrit dans le ciel. Il en sortit alors un monstre sans visage semblant porter une armure. L'Izrathien était tout de violet vêtu, laissant quelques lignes bleu ciel parcourir sa carcasse. Je le reconnaissais, c'était Astaris le juge. Sa voix retentit alors dans les cieux, s'adressant à notre groupe.


« Qui a osé m'invoquer pour contester une de mes décisions… gronda l'homme d'une voix grave résonnant autour de nous.


— C'est moi ! reprit Hakaze, déterminée. Je veux te parler de Medrawt, Papy !


— Papy !? cracha la créature. Je vois que tu ne tiens pas à la vie. Bien. Comment as-tu pu m'appeler en premier lieu. Seules les personnes étant sous contrat d'Izrath peuvent le faire.


— Mon contrat me lie à Zéphyra. rétorqua la petite fille, outrée.


— Je vois… soupira Astaris. Encore une fois elle conteste mes décisions. Fais-vite.


— C'est pour Medrawt ! Pourquoi mon ami doit payer alors qu'il n'a rien réussi à faire pour sauver sa maîtresse !? Il était juste amoureux, et si triste de l'avoir perdue ! Je ne tolère pas d'avoir brisé Medrawt de la sorte, tu es un méchant juge ! Très méchant ! »


Devant la maladresse de la petite fille, je repris la parole, tentant de jouer le médiateur dans le conflit. J'attaquai avec délicatesse, ne voulant pas me prendre les foudres d'Astaris.


« Ce que veut dire Hakaze… C'est qu'elle ne comprend pas pourquoi Medrawt doit être condamné alors que sa tentative n'a eu aucune conséquence, et aussi comment vous n'avez pas retenu le mobile. Leur lien était si fort qu'il ne pouvait vivre sans elle. Ce n'est pas un crime d'aimer quelqu'un tout de même ?


— Je suis d'accord ! enchérit Erika. Pourquoi infliger davantage de souffrance à Medrawt alors que cela fait des années qu'il souffre à cause du regret et du désespoir ! N'est-ce pas une peine suffisante pour vous Astaris !!?


— Il n'était pas venu ici pour souffrir, ok !? lançai-je à Astaris.


— Comment osez-vous… Défier ma décision. gronda le juge qui montait en puissance. Vous rendez-vous compte qu'il existe des lois auxquelles nous ne pouvons nous soustraire !? Qu'est-ce qu'un homme ou un Izrathien sans loi !? »


— Astaris ! reprit Hakaze, déterminée. C'est toi qui ne comprends pas ! Qu'est-ce qu'un Izrathien ou un humain sans sentiments !? Regarde Medrawt ! Ce n'était pas assez suffisant qu'il souffre par la mort de Mélissa qu'il doit mourir à son tour !? Je refuse de laisser faire ça ! Je veux qu'il reste avec moi ! Astaris ! Je te réclame le contrat de Medrawt, et ce n'est pas sa demande, mais la mienne ! »


Les mots provenant de cette voix fluette flottèrent dans les cieux jusqu'à s'estomper devant le gardien du sanctuaire céleste dont les lignes bleues avaient viré au rouge depuis qu'il écoutait Hakaze. Il s'arrêta quelques secondes sur la petite fille qui ne détourna pas le regard, rassemblant son courage pour défier le colossal juge d'Izrath. Je voulus intervenir pour pas qu'elle se fasse écraser par la créature, mais Zéphyra, celle qui était à l'intérieur de moi, m'arrêta en m'assurant que tout allait bien se passer… Je ne compris pas tout de suite, mais j'obtins toutes mes réponses lorsqu'il reprit la parole, non pas sans lâcher un soupir au préalable.


« Cela va devenir une habitude chez moi de passer tous vos petits caprices familiaux… rumina le juge du sanctuaire de sa voix grave et profonde. Bien. J'autorise cet Izrathien à rester avec toi, petite fille. Cependant, je ne lui laisserai pas l'occasion de retourner en Izrath. Il devra donc se ressourcer par ton biais. Le jour où ta flamme s'éteindra petite fille, celle de ce chevalier se consumera avec elle.


— Merci grand-père ! s'exclama joyeusement Hakaze. Tu vois que tu peux être gentil quand tu le veux !


— Tss. Tu diras à ton père que la dette que j'ai envers lui est épongée, et qu'il a intérêt à prendre soin d'elle s'il ne veut pas mourir dans d'atroces souffrances.


— Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais je lui dirai !


— Bien. Sur ce, je te souhaite une heureuse vie, Medrawt. »


Les dernières paroles d'Astaris s'évaporèrent dans les cieux petit à petit, en même temps que le grand colosse violet, devant Medrawt qui était à ras le sol, les larmes sortant de ses yeux écarquillés pour revenir trouver refuge le long de ses joues. L'homme avait changé d'habillement, reprenant l'armure qu'il portait habituellement dans le futur… Medrawt n'était plus un individu ordinaire qui faisait le guignol, il était devenu, non, redevenu, Medrawt le chevalier noble.


La petite fille lui lança un regard chaleureux accompagné par un sourire magnifique, ce qui eut pour effet de déclencher quelque chose à l'intérieur de l'esprit en armure. Il resta figé pendant quelques minutes, n'effectuant pour seul mouvement qu'une caresse sur la joue de celle qui l'avait sauvé en son dernier jour. Hakaze gardait l'expression qu'elle affichait face au blond qui n'en revenait toujours pas. Lorsque le chevalier reprit la parole, il s'agenouilla devant sa nouvelle maîtresse, posant son épée sur ses genoux, avant d'entamer un serment.


« Damoiselle Hakaze… entama-t-il, solennel. Vous avez bravé la couardise et réglé une situation face à laquelle je ne pouvais ni ho ni jo. Vous n'avez pas hésité à conchier le juge du sanctuaire pour me sauver du trépas… Et pour cela, je vous en suis reconnaissant. Par ce contrat, je fais le serment de toujours rester à vos côtés, pour toujours, jusqu'à la fin de nos jours. Je m'en irai à la mortaille si cela peut vous rendre le sourire, et je n'aurai peur d'aucune vergogne. Je m'assurerai de votre prospérité ainsi que celle de votre géniture… Du fond du cœur, je vous remercie.


— Contente-toi de devenir mon ami Medrawt ! Exactement comme Zéphyra ! Soyons heureux ensemble, c'est tout ce que je souhaite.


— Alors j'exaucerai votre désir, ma dame du lac. »


Alors que je ne comprenais pas le sens de ces paroles, Medrawt m'expliqua que la dame du lac était une légende chez les chevaliers nobles. Elle représentait ce que l'on appelait « Le pilier auquel s'accrocher ». Nombreux hommes qui n'avaient pas encore d'épouses imaginaient qu'une femme les attendait dans un lac cristallin et une forêt luxuriante afin de se donner du courage à la bataille et avoir le sentiment de se battre pour quelque chose… Et l'ami du jour avait réutilisé cette légende pour nous faire vivre une aventure aujourd'hui… Mais il n'avait plus besoin d'une motivation quelconque, puisque selon lui il venait de la trouver pour aujourd'hui et son futur. Voir cette petite fille grandir, s'épanouir en tant que femme, et goûter au bonheur était pour lui le plus beau des objectifs.


Nous nous amusâmes tous ensemble, satisfaits d'avoir sauvé Medrawt en ce jour qui terminait positivement. Le blond avait retrouvé sa ferveur, Hakaze avait retrouvé le sourire, et nous nous amusions tous ensemble comme des gamins à jouer à la guerre, à la course, tout ça pour assurer le bonheur de la petite. Nous rentrâmes quelques heures plus tard à la guilde, où Hakaze retrouva son père avec entrain.


« Papa ! s'exclama la petite fille en se jetant dans les bras de son père. Tu es revenu !


— Haha ! rit le père. Dis donc ma puce tu es bien enthousiaste ce soir ! Tu as passé une bonne journée ?


— Oui ! Erika a été gentille, et on a sauvé Medrawt du vilain juge qui voulait le tuer ! Alors on a pu tous s'amuser ensemble dans les rues de Slyburn et on a réussi la mission tous ensemble !


— Dis donc, il devait être menaçant ce juge pour que tu y emmènes Hiroki et Erika !


— Ah, il m'a dit de te dire que la dette qu'il avait envers toi est épongée et que si tu ne prenais pas soin d'elle il allait te tuer dans d'atroces souffrances !


— Ah d'accord… répondit Soichiro, soudainement devenu pâle. Tu as rencontré ce juge-là… Enfin… Le principal c'est que tu te sois amusée… Merci d'avoir pris soin d'elle, Hiroki.


— Je n'ai quasiment rien fait, Hakaze est assez grande pour se débrouiller seule.


— Je n'ai d'ailleurs pas trouvé comment j'ai pu tomber amoureuse de ce naze dans le futur, il ne sert à rien. »


Le père éclata de rire face à la déclaration de sa fille. Il se mit à me charrier tandis que je me défendis en avançant que tout cela était l'œuvre de Laïla, ce à quoi il me répondit que c'était classique. Il serra sa fille dans ses bras tandis que moi et Erika nous ne pûmes rien faire d'autre que de sourire sincèrement devant la scène. L'instant de bonheur que nous avions partagé avec la famille m'avait à la fois fait oublier la noirceur du quotidien, mais elle avait aussi renforcé ma détermination face aux évènements qui m'attendaient dans les jours à venir. J'étais désormais prêt à tout pour défier Reisuke et Hakaze, avec le profond espoir que, comme la petite et Medrawt, nous puissions rentrer tous ensemble, main dans la main, riant de blagues vaseuses et sans aucun sens.


Merci… Merci pour cette leçon d'espoir, Hakaze.





Spoiler :


Folle. Mythomane. Affabulatrice. Manipulatrice. Déjantée. Hystérique. Une liste non exhaustive des qualificatifs employés pour me désigner, pour me décrire. Mon histoire est celle d'un rejet constant de la part d'une masse bien pensante, à l'abri dans son petit monde fait de rêves et de contes de fées, ignorant la cruelle réalité qui se déroule sous ses yeux.


Moi je savais la vérité. Je n'ignorais rien de cette absurde réalité. Et j'avais décidé de me dresser contre elle, sans tenir compte du prix à payer pour le faire.


Et encore maintenant, j'étais certaine que si mes parents ou mes anciens amis m'avaient vue, dans cette robe noire, marquée de la puissance du désespoir et des ténèbres, ils m'auraient cataloguée sans même essayer de me comprendre. Après tout, qui le pouvait, à part Reisuke ?


J'avais cessé de l'appeler « mon héros du futur » il y avait quelque temps. Cela faisait déjà trois mois que nous étions arrivés dans cette époque, et j'avais réalisé qu'il n'avait rien d'un sauveur, ni d'un être plus puissant qu'un autre. Il était simplement prisonnier de la boucle lui aussi. Un cycle malsain et assassin qui attendait avec appétit les cadavres que l'on allait lui présenter en guise d'amuse-bouche.


Cela me rappelait une foule de souvenirs que j'aurais voulu écarter de ma mémoire. En particulier du tout premier jour. Cette fameuse journée d'été où j'ai compris que la population se voilait la face et refusait d'admettre à quel point ce monde était corrompu de toutes parts.


J'avais dix ans et je rentrais de l'école. Je possédais en mon for intérieur des tas de rêves qui n'attendaient qu'à être réalisés. Avocate, juge, ambassadrice, institutrice, et pourquoi pas faire de l'humanitaire aussi. Des tas de projets, d'ambitions de petite fille aspirant à rendre les autres heureux. Je travaillais dur, bien plus dur que n'importe quel autre enfant de ma classe, et j'étais proche de la perfection.


J'avais obtenu tous les honneurs, et je comptais tous les obtenir à l'avenir. Je me sentais destinée à accomplir de grandes choses, à vivre des moments merveilleux, et à changer le monde à ma façon. Je voulais améliorer le quotidien de chaque être vivant sur cette planète et me battre pour des causes justes.


Pourtant, alors que j'étais impatiente de rapporter à mes parents mes succès du jour, la fatalité me frappa. Non pas moi, mais ma petite voix intérieure, ma conscience, mon jugement. La scène que j'allais vivre allait me changer à jamais. Comme modifiant mon système de pensée, ainsi que ma vision de la vie elle-même.


Ce jour-là, j'avais choisi de faire un détour. Je voulais me balader un peu dans la forêt pour arriver jusqu'à chez moi, en prenant le temps de respirer la nature à pleins poumons, alors que mon école se trouvait en ville. Je me baladais niaisement et lentement, sachant qu'avant le retour de mes parents, j'avais une bonne heure devant moi. M'enfonçant dans le parc municipal, je respirais les magnolias plantés dans un petit jardin improvisé, tandis que je comptais des yeux les insectes s'y étant réfugié.


Cependant, alors que je pensais que mon escapade improvisée allait se terminer comme toutes les autres, je fus surprise par un bruit sourd qui retentit au loin, au cœur de la forêt dans laquelle je me trouvais.


Par curiosité, par inconscience, par instinct, je pris la première décision de folie de ma vie. Ainsi je me hâtai dans la direction du bruit sourd que je venais d'entendre, sans vraiment comprendre ce qu'il en était.


La première chose qui me fut donnée de voir lorsque je pénétrai l'espace fut une arme à feu. Une mitraillette de militaire paraissant assez lourde et peu maniable, mais dont les rafales étaient si puissantes que je ressentais leurs vibrations d'ici. Le propriétaire de cet objet était un homme blond aux yeux dorés semblant avoir la vingtaine. Habillé d'un uniforme sur lequel étaient écrites les lettres « F.F », il lâchait toute la puissance de son abomination sur un autre individu face à lui.


Et là, ce fut la surprise totale qui me gagna. Car la personne en face de lui, un homme à la coupe courte et aux cheveux couleur noir corbeau, ne se défendait pas avec des armes, mais semblait le faire sans aucune aide d'un objet extérieur. D'un geste de la main il repoussait les projectiles, générant à chaque fois une énergie rougeâtre qui les écrasait sans difficulté. Abasourdie par ce qu'il faisait, je me posai des tas de questions. « Comment fait-il ? Qu'est-ce que cette aura rouge ? A-t-il des super-pouvoirs ? Pourquoi ce gars veut le tuer ? » Telles étaient les interrogations qui me traversaient l'esprit.


L'homme esquiva les balles, encore et encore, grimaçant face à celui qui en voulait visiblement à sa vie. Le blond grimaça, sûrement frustré par le fait qu'il n'arrivait pas à atteindre sa cible. Il tomba à court de munitions, ce qui le força à sortir une recharge d'urgence. En moins de dix secondes il avait déjà remis son arme en état de marche, mais c'était insuffisant. L'individu aux cheveux noirs avait pour sa part utilisé sa magie afin de se projeter devant le gars aux yeux dorés, lui assénant un fulgurant coup-de-boule qui le fit reculer de quelques pas. Ce dernier rattrapa vite son arme projetée au sol, la pointant sur l'étrange individu avant de tirer un puissant coup de feu à bout portant, droit sur son visage. L'impact généra un écran de fumée qui me fit douter de l'état du surhomme l'espace de quelques instants, tandis qu'une forte pression atmosphérique se souleva d'un seul coup.


Lorsque le nuage de fumée se dissipa, l'homme au brassard « F.F » et moi eûmes un sursaut de surprise. Les dix balles tirées par la mitraillette restèrent comme suspendues dans l'air par un faisceau de puissance rouge généré par la cible du chasseur. Cette dernière afficha un air glacial en direction de son adversaire, qui, abasourdi, reculait prudemment en cherchant un appui derrière lui.


« Il est inutile d'essayer de m'atteindre, lança-t-il à son agresseur. Je voudrais éviter de soulever un conflit en répandant ton sang, mais si tu continues de vouloir porter atteinte à ma vie, je n'aurai d'autre choix que de poursuivre la tienne.


— Hors de question que je te laisse partir d'ici sain et sauf ! hurla l'homme à l'uniforme en sortant une autre arme d'un plus petit calibre de sa veste. Crève, sale monstre ! »


Il tira trois coups de feu qui n'eurent pas plus de succès que sa mitraillette. Mais ce n'était qu'une diversion, puisqu'il en profita pour se ruer sur l'autre homme afin de lui asséner un puissant coup en hurlant un cri de détermination. Cependant, alors que son poing allait toucher l'individu en face, ce dernier se contenta de le contenir dans la paume de sa main de laquelle se dégageaient désormais des étincelles rougeâtres. L'attaquant grimaça, me laissant comprendre que les éclats lumineux lui faisaient du mal. Beaucoup de mal. Il serra les dents en se mordant la lèvre, ce qui laissa couler un filet de sang sur son menton. Il essayait de maîtriser un sentiment de douleur intense, en vain.


Il fut repoussé d'un coup de genou qui l'envoya valser contre un arbre sur lequel il s'écrasa comme un vulgaire insecte. Mais ce n'était pas encore assez. Le blond semblait posséder une détermination sans aucune faille. Comme si sa vie dépendait de l'affrontement avec celui aux cheveux noirs. Il courut, rattrapant sa mitraillette au sol. Toujours dans sa course, il tira de nouveau des coups de feu sans s'arrêter, profitant du temps utilisé par son adversaire pour redéployer sa barrière afin de s'en approcher. Une fois suffisamment proche de l'individu, toujours protégé par son champ de force, il dégoupilla une grenade, puis traversa la barrière à mains nues, avant d'y lâcher l'objet qui explosa dans un vacarme assourdissant une fois qu'il atterrit.


La barrière d'énergie avait contenu l'explosion qui devint en fait une implosion, puisqu'elle n'affecta que l'homme en face. Le blond se retira de quelques mètres afin d'envisager la prochaine offensive de celui aux cheveux noirs. Je restai dubitative. Même si l'homme possédait des pouvoirs, je ne l'imaginais pas survivre à une telle chose… Et pourtant, il avait survécu. Lorsque la fumée se dissipa, il se tenait toujours fièrement sur ses deux jambes, à une exception près : son corps semblait avoir été carbonisé par l'offensive qu'il venait de se prendre.


« Eh bien. soupira-t-il. Vos rangs comptent décidément des personnes talentueuses. Je t'avoue que je n'ai pas vu venir ce coup fourré. La grenade, c'était bien pensé. »


Je crus que j'allais m'évanouir lorsque je vis l'homme parler malgré son terrible état. Mais ma surprise fut aussi grande qu'un gratte-ciel lorsque je constatai une chose encore plus surprenante. La cible aux cheveux noirs semblait se régénérer toute seule, et à une vitesse ahurissante. Ses brûlures disparaissaient dans un nuage de vapeur qui effaçait avec lui tous les coups, les hématomes, et les dégâts physiques liés à l'explosion. En quelques secondes, il était aussi intact qu'un nouveau né.


Une grosse goutte de sueur perla sur mon front, tandis que je restai bouche bée, abasourdie par le spectacle en question. Le blond au brassard grognait devant la vision qui lui était offerte. Il ne voulait pas lâcher le combat, cela se voyait, mais son corps était bien plus honnête que lui. Je pouvais discerner ses tremblements d'ici. Aussi instable qu'un acrobate en équilibre sur un fil au-dessus du vide.


« Je te laisse une dernière chance de te rétracter. lança l'homme, glacial. Si tu tentes une autre fois de m'atteindre, je te tuerai.


— Eh bien tue-moi. rétorqua l'attaquant. Je t'ai enfin retrouvé après toutes ces années passées à te chercher, Kojiro. Je ne te lâcherai jamais, jusqu'à ce que je te tue une bonne fois pour toutes !


— Soit… soupira le dénommé Kojiro. Eh bien ce fut un plaisir de t'avoir connu, mes condoléances à ta famille. »


Il déploya son bras autour duquel se matérialisa une immense puissance de la même couleur que tous les sorts qu'il avait utilisés jusqu'à maintenant. Kojiro se mit à léviter, entouré par cette matière abstraite, tandis que ses yeux bleus virèrent subitement au rouge écarlate. Son énergie prit la forme d'un dragon translucide dont le flux vital était perceptible et dégageait une sensation de terreur, de domination. Les larmes me montèrent. J'avais peur. Si peur que cette chose horrible ne nous dévore tous.


Je me laissai tomber sur les genoux, paralysée par la terreur, tout comme le soldat au blason « F.F. » qui lui, semblait s'être uriné dessus tant il voyait déjà sa fin arriver. Comment Kojiro avait-il pu déchaîner une telle créature ? Je n'avais même pas l'énergie pour y réfléchir. Pourtant, alors que je pensais que le dragon allait se jeter sur le blond, il se contenta de projeter un éclat intense au sol, nous aveuglant tous.


« Je suis bien trop gentil avec vous. murmura la voix de Kojiro qui résonnait dans la lumière. La prochaine fois, je ne te laisserai pas vivre. Alors je te conseille de t'abstenir de nous pourchasser désormais. »


Lorsque je rouvris les yeux, j'étais allongée dans une ruelle que je ne connaissais pas. Elle semblait reculée par rapport au quartier dans lequel j'habitais habituellement. Avais-je été transportée ici ? Et comment ?


Je n'eus pas le temps de deviner que je vis l'homme au dragon, inconscient.


Je le scrutai en me plaçant au-dessus de son corps inerte. Je lui tirai ses joues, ses cheveux, cherchant par quel mécanisme cet homme possédait ses facultés. J'étais vraiment curieuse. Je voulais découvrir son secret. Alors je voulus faire sortir sa puissance. Je bondis sur son ventre, espérant qu'il allait cracher quelque chose, mais à part un énorme cri de douleur, rien n'en sortit.


« Mais tu es malade !? hurla l'homme en toussant frénétiquement. Tu aurais pu me tuer ! Et puis d'ailleurs, qu'est-ce que tu fais ici toi !? »


Il avait soulevé une excellente question. D'abord, où étais-je ? Je n'en savais rien. Alors pour toute réponse, je haussai les épaules d'un air indifférent. Je n'avais plus peur de Kojiro, qui finalement avait l'air assez humain malgré les facultés qu'il possédait.


« Tu es dans notre résidence. reprit l'homme. Notre résidence familiale. Je pense que j'ai dû te transporter par erreur dans nos quartiers. Tu étais dans la forêt en train de nous espionner n'est-ce pas ?


— Mais comment !? m'exclamai-je en me trahissant.


— J'ai l'intuition développée. se contenta de répondre Kojiro. Dans tous les cas, je vais te ramener chez toi. Où habites-tu ?


— Je ne veux pas rentrer chez moi. boudai-je. Je resterai ici.


— Hors de question. rétorqua sèchement l'homme. Je ne pratique pas le rapt d'enfants.


— Je ne rentrerai que si tu me dis tout sur tes pouvoirs alors. négociai-je en gonflant les joues. »


L'homme soupira. Il murmura un « Pourquoi il faut que ça tombe sur moi… ? » qui me conforta dans l'idée qu'il allait céder. Il reprit ensuite la parole en affichant un sourire trahissant son hypocrisie.


« Il faut boire beaucoup de soupe et manger des épinards. lança-t-il joyeusement. Voilà, tu sais mon secret.


— J'ai l'air d'une imbécile ? rétorquai-je, agacée.


— Tu as l'air d'un enfant. reprit-il en prenant de grands airs. Et un enfant c'est stupide.


— Si tes enfants sont des abrutis, pas moi. grognai-je. »


Il posa sa main sur son visage en guise de répit. Il s'avoua finalement vaincu et m'invita à le suivre, ce que je fis, satisfaite. Mais à peine eus-je baissé ma garde que je fus de nouveau téléportée par son pouvoir, cette fois devant chez moi, comme si j'étais simplement rentrée de l'école.


« Je hais ce type ! hurlai-je au ciel, réalisant que je m'étais faite avoir. »





Spoiler :


La première chose que je fis fut de raconter immédiatement à mes parents tout ce que j'avais vu. De l'affrontement, jusqu'aux pouvoirs de l'homme qui avait dévié des balles de mitraillette, mais aussi, comment il s'était régénéré après une explosion, et son invocation du dragon étrange qui avait rendu son adversaire incontinent. J'étais émerveillée par ce que je venais de vivre, et je pense que cela se ressentait dans ma manière d'en parler. Seulement, mes ascendants affichèrent un air dubitatif. Ils ne me croyaient pas, cela se voyait sur leur visage.


« Eh bien ! sourit ma mère. Tu as décidément une grande imagination ma petite Indy. Tu devrais penser à écrire un roman quand tu seras adulte !


— En effet, renchérit mon père en feignant la surprise. Je suis certain que tu serais publiée sur une plateforme en ligne comme Wattpad !


— Ce n'est pas mon imagination ! protestai-je en espérant leur faire entendre raison. J'ai vraiment vu tout ça cette après-midi ! Et en plus il m'a transportée dans la résidence de sa famille, mais il m'a téléporté de nouveau ici pour ne pas me dire ses pouvoirs !


— Silence ! cria mon père, qui ne voulait pas en entendre plus. Indy, tes histoires de science-fiction te montent à la tête. Tu seras privée de télévision jusqu'à nouvel ordre. »


Je montai dans ma chambre, frustrée et en colère. La punition m'importait peu. Savoir qu'ils ne voulaient pas me croire était bien pire que cette broutille. Avoir quelque chose à dire, à révéler au monde entier, et ne pas être prise au sérieux par ses parents… C'était un sentiment horrible, insurmontable.


Et j'eus le même succès lorsque j'en parlai à mes amies de l'école. Aucune d'elles ne me crut et je fus rapidement écartée de tous les groupes, car on me désignait comme une menteuse voulant attirer l'attention sur elle. Je fus rapidement isolée de tous les autres enfants de mon âge, et dès que j'essayais d'évoquer le sujet avec qui que ce soit, j'étais condamnée à être écartée du groupe, de la table, ou même de la famille.


Trois mois passèrent. De menteuse on me désigna comme perturbée, en manque d'affection. La psychologue de l'école, dans toute sa compétence, indiqua à mes parents que je voulais monopoliser l'attention partout où j'allais, et que cela s'appelait du narcissisme. Je ne pris même pas la peine de protester.


Finalement, une année entière passa au rythme des accusations m'étant portées. Je voyais régulièrement la psychologue, qui était heureuse de me retrouver à chaque consultation, comme elle allait me le dire.


« Tiens Indy, s'exclama la femme. Je suis ravie de te revoir mon enfant !


— Oh je vous crois, souris-je. Se faire des consultations à l'œil juste pour écrire une ordonnance d'Atarax, ça doit être jouissif.


— Inutile d'être si méchante. soupira la femme. Tu as un problème à gérer et je t'accompagne, rien de plus.


— Ne vous en faites pas, repris-je décontractée. Si mes parents sont des pigeons, c'est de leur faute. On peut se faire un deal si vous voulez. Je prétends venir ici, je pars faire un tour, vous faites ce que vous voulez, puis je reviens et on fait semblant pour que mes parents paient. Vendu ? »


Ce fut ainsi que mes passages chez la psy devinrent plus gérables. J'avais d'autres chats à fouetter que de lire des poules dans des tâches de Rorschach. Je devais retrouver Kojiro. Ce salaud qui m'avait plantée un an plus tôt alors que j'avais des tas de questions à lui poser. Comment allais-je pouvoir de nouveau pénétrer la résidence en question ? Pourquoi je n'avais pas pris plus de notes concernant son emplacement ? Cela me rendait chèvre. Et pourtant je n'avais pas eu l'occasion de le revoir, alors que j'en mourais d'envie.


« Je ne vais jamais le revoir… soupirai-je à voix haute, comme pour me convaincre moi-même. »


En baissant la tête, je butai dans quelqu'un. Je levai mon regard afin de m'excuser à l'adulte en question, mais à ma grande surprise, lorsque je le considérai, j'eus un tilt. Et lui aussi en eut un. Nous pointâmes notre doigt l'un vers l'autre en écarquillant les yeux en synchronisation, hurlant à l'unissons.


« Toi ! hurlâmes-nous en chœur.


— Qu'est-ce que tu fais ici !? cracha l'homme dont la mine décomposée m'indiquait qu'il ne voulait pas me revoir.


— Je vais te faire payer de m'avoir plantée comme une imbécile ! hurlai-je, furieuse. En plus à cause de toi tout le monde me prend pour une folle ! »


Je retenais mes larmes. Voir celui qui était la cause de tous mes problèmes me faisait du mal finalement. Je voulais le retrouver, pour lui poser des tas de questions, et je m'étais attirée tous les problèmes de l'univers dans le procédé. Tout le monde me prenait pour une folle, ou pour une manipulatrice cherchant de l'attention, y compris mes propres parents. Je voulais simplement que quelqu'un me croie un jour, et on me fuyait comme la peste.


Kojiro remarqua mon malaise. Il me lança un regard plein de compassion, avant de poser sa main sur mon épaule. L'homme aux super-pouvoirs me sourit lorsque je posai mes yeux sur lui, et cette fois, de manière bien plus douce, il reprit la parole.


« Veux-tu que je te montre comment fonctionnent mes pouvoirs ? me sourit-il.


— Non… sanglotai-je. J'ai réfléchi au pourquoi tu ne peux pas me le dire… Et je sais que tu veux juste te protéger de ces gens qui veulent te tuer.


— C'est faux, répondit Kojiro, amusé. Mais tu y es presque. Je veux protéger mon fils de cette menace, pas moi.


— Alors je n'ai pas le droit de te poser mes questions. murmurai-je.


— J'y répondrai. Suis-moi. De toute façon même si tu ne tenais pas ta langue, personne ne te croirait. »


Je suivis l'homme aux cheveux noirs dans les rues de notre ville. Nous passions totalement inaperçu, lui et moi. Nous avions l'air d'une famille, une fille et son père, tandis qu'il me tenait la main pour traverser les avenues bombées d'un quartier populaire.


Une fois arrivés dans le parc de l'autre jour, à l'abri des oreilles intrusives, il me raconta tout sur ses facultés. C'était un héritage de famille qui se transmettait de père en fils. Il pouvait créer des tas de choses avec son énergie, comme des lances, des épées, des projections, ou même des armes à feu. Sa magie lui permettait aussi de réécrire les aptitudes de son corps en le soignant ou modifiant sa force physique ou intellectuelle. Il me montra des exemples concrets qui me firent frémir. Cette faculté était merveilleuse, fascinante, et troublante.


« C'est formidable…m'émerveillai-je devant l'incroyable faisceau étincelant rougeâtre. Tu as vraiment réussi à te défendre juste avec ça…


— C'est un pouvoir très puissant. m'assura Kojiro. Si puissant que je pourrais m'approprier le monde par son biais. J'ai les capacités pour devenir un souverain tyrannique et tortionnaire qui maîtrise la population mondiale en détruisant tous ceux qui se mettent en travers de sa route.


— Démentiel… lâchai-je, admirative. Et le monde entier serait esclave de tes désirs. Fais-le pour moi ! Détruis la terre, j'ai envie de regarder !


— Je ne ferai pas ça. fefusa l'homme. J'ai simplement envie de vivre en paix avec ma famille, sans courir le risque de me faire assassiner par ces gens.


— Et qui sont ces gens ?


— Cela ne te regarde pas. Tu ne dois pas savoir.


— Mais tu m'as dit pour tes pouvoirs, donc je peux le répéter.


— Personne ne te croira, c'est pour ça que tu es abonnée chez la psychologue. »


Je gonflai les joues. Kojiro avait raison. Même si je décidais de tout déballer, personne ne me croirait. De toute façon, je ne comptais pas vraiment tout répéter, vu que cette fois ma curiosité était satisfaite, et qu'il m'avait confié son secret.


Mais au lieu de partir en étant contente de savoir, je rendais toujours visite à mon nouvel – et seul – ami. Je découvris un peu plus de choses sur lui grâce à mes irruptions soudaines à l'improviste. Kojiro était un homme proche de la trentaine qui avait une femme, et un fils de huit ans appelé Shinichi. Il faisait des petits boulots pour gagner sa vie qu'il disait. Je compris rapidement qu'il était un chômeur dont personne ne voulait. Pourtant, moi je l'aimais bien. Il était plutôt rigide, souvent méchant, et n'avait pas d'humour, mais il était le seul qui pouvait me comprendre. Nous étions dans le même monde, Kojiro et moi. Sauf que le sien était réel, et le mien fictif.


Une autre année, puis deux. Nous étions toujours ensemble, moi et mon ami le monstre. Je découchais souvent pour partir en escapade avec lui. La vie était bien plus amusante en sa compagnie. Nous partions en camping dans la montagne en cherchant des créatures étranges, et parfois nous révélions des cachettes enfouies depuis des années. Tout était magique lorsque c'était avec Kojiro. J'avais l'impression d'avoir enfin trouvé un objectif dans la vie : je voulais désépaissir tous les mystères du monde, et mon chômeur en faisait partie.


Mais alors que nous étions en escapade dans la montagne cette fois, l'homme qui avait été vaincu par mon ami le grand dadais apparut de nulle part, tirant sans prévenir un coup de feu que Kojiro arrêta dans les airs. Nous nous retournâmes, dévisageant le blond aux yeux dorés. Je savais désormais le pourquoi il voulait porter atteinte à mon ami, et je ne comptais pas le laisser faire. Pourtant, je fus poussée par mon camarade qui se lança la tête la première sur son adversaire.


Mais le blond ne rétorqua pas. Il se contenta d'esquiver habilement l'attaque de son adversaire d'une roulade souple et rapide. Il revint à la charge, cette fois sans arme à feu. À une vitesse folle, courant aussi vite que l'éclair. Lâchant un hurlement de rage, celui qui jadis s'était uriné dessus se jeta sur Kojiro qui se préparait déjà à l'envoyer valser avec ses pouvoirs.


Mais cette fois, l'issue fut différente. Il réussit à placer une espèce de capsule dont j'ignorais les propriétés qui s'accrocha sur le tee-shirt de mon ami. À peine posé, le gadget s'agrippa à la peau de Kojiro et déclencha une lumière bleue semblant électrique qui l'engloba complètement, le laissant tomber sur ses genoux sous la douleur.


Je me ruai vers lui en criant son nom, mais il me fit signe de me reculer. Je ne comprenais toujours pas ce qu'il venait de se passer. Comment mon ami pouvait-il se faire vaincre si facilement alors qu'il possédait des pouvoirs aussi effrayants ?


Je n'en avais pas la moindre idée. Mais une chose était certaine, si rien n'était fait, il allait tuer mon monstre pour de bon. Et je l'aimais. Je ne voulais pas le perdre. J'aimais tous ces instants ensemble, nos disputes, nos balades, nos escapades et nos dangers. Je ne pouvais pas me résoudre à tout envoyer valser. Alors, tandis que l'agent « F.F » se positionnait devant mon Kojiro à genoux, avant qu'il ne pointe complètement son arme sur lui, je me jetai sur l'homme de toutes mes forces, le projetant violemment au sol.


« Indy ! hurla le monstre, apeuré. Ne fais pas ça, pars ! »


Mais il n'en était rien. J'avais déjà ramassé l'arme laissée au sol et je la pointai sur le soldat. Mais ce ne fut pas suffisant pour l'intimider, puisque d'un croche-pied il me mit à terre, braquant de nouveau le danger sur ma tempe. Kojiro, qui était impuissant face à ce triste spectacle, interrompit de sa voix celui qui allait me faire du mal.


« Elle n'a rien à voir avec nous ! lâcha-t-il, désespéré. Tue-moi, et laisse-là partir. Elle n'est qu'une gamine qui me colle en permanence. Je n'arrive jamais à la semer, tout ça parce qu'elle n'est qu'une folle en manque d'attention ! »


Je me mordis la lèvre tandis que ces mots résonnaient dans l'atmosphère. J'aurais préféré mourir avec Kojiro plutôt que d'entendre une nouvelle fois ces qualificatifs pour me désigner. Cela me faisait mal. Si mal que des larmes me surprirent. J'avais été bien trop affectée pour une histoire de quelques adjectifs… Non. Le fait qu'ils viennent de la bouche de mon monstre était ce qui me faisait mal. J'avais l'impression qu'il me comprenait, et tout s'effondrait.


Je voulais du temps. Du temps pour m'assurer qu'il ne pensait pas ce qu'il venait de dire. Du temps pour pouvoir apprendre encore plus de ses talents. Du temps pour connaître ce qu'il cachait au fond de son cœur, pour pouvoir développer notre complicité, et peut-être un jour devenir comme sa fille, ne serait-ce qu'un petit peu…


« Les larmes écarlates de cette jeune fille font foi de son attachement en Izrath. résonna soudainement une voix grave et puissante dont je ne connaissais pas la provenance. »


Il ne fallut qu'une seconde pour que je propulse, par une force que je ne me connaissais pas, l'individu qui allait attenter à ma vie au loin. Je me relevai rapidement, sentant quelque chose de magistral, de magnifique, d'incroyable monter en moi. Une énergie rouge se dégageait de mes mains, tandis que mes blessures guérissaient elles aussi toutes seules. Kojiro bégaya quelques mots m'étant inaudibles, l'air abasourdi par mon changement brutal.


Soudain, quelque chose apparut devant moi. Une longue cape noire, un Fedora de même couleur, une aura ténébreuse et une forme humanoïde à la peau pâle. La chose qui était apparue se retourna vers moi, me laissant distinguer un visage mature d'un homme aux rides creusées et aux yeux noirs. La barbe un peu grisonnante, à la chevelure noire assez longue.


Lorsqu'il prit la parole à mon intention, j'étais à mille lieues d'imaginer ce qu'il allait me dire.


« Indy. entama-t-il, me laissant deviner que la voix lui appartenait. Mon nom est Ziakwer. À partir d'aujourd'hui je me battrai à tes côtés en tant qu'Izrathien ayant passé un contrat avec toi. »


Un pendentif se forma autour de mon cou, comme provenant de nulle part, laissant au cœur du bijou fait d'argent briller une pierre aux rayons saphir et émeraude à la fois. Stupéfaite, abasourdie, complètement atterrée par cette apparition soudaine, je laissai toutes mes questions de côté pour me concentrer sur l'urgence.


« Je te protégerai, mon monstre. lançai avec détermination avant de me ruer sur son adversaire. »





Spoiler :


Des pouvoirs s'étaient éveillés en moi, alors que je voulais protéger du mieux que je pouvais mon ami le monstre. Un homme était sorti de nulle part, Ziakwer. Il s'était présenté devant moi en m'annonçant qu'Izrath avait reconnu mon chagrin comme étant légitime et qu'en cette raison, il allait se battre à mes côtés. Tout d'abord, je n'avais aucune idée de ce qu'était Izrath, et comment il avait pu me remarquer. Ce type devait être sacrément développé côté audition pour pouvoir m'entendre penser des choses en mon for intérieur. Dans tous les cas, j'avais un moyen de préserver la vie de la personne que j'estimais le plus, et c'était bien ce que je comptais le faire.


Manier mes nouvelles facultés était un peu difficile. Je devais appréhender de nouveau mon corps qui était soudainement plus léger, plus habile, et surtout beaucoup plus rapide que la normale. Avec l'aide de Ziakwer, je réussis néanmoins à être un adversaire de taille pour mon ennemi qui, surpris par mon changement brutal et inattendu, semblait regretter de ne pas s'être débarrassé de moi plus tôt. Il avait vaincu mon monstre par l'effet de surprise, et c'était à son tour. Ainsi, lorsque je me propulsai à toute vitesse vers lui en tourbillonnant comme une torpille d'énergie incandescente, il fut littéralement soufflé par la violence de mon attaque.


« Il est inutile de vouloir me tester. lançai-je, glaciale. Je ne serai pas aussi gentille que Kojiro. Je te tuerai sur le champ si tu le menaces encore, ne serait-ce que d'un cheveu.


— Toi aussi… Tu es un monstre… grogna l'individu qui était couché sur le dos au sol.


— Folle. Psychopathe. Manipulatrice. Affabulatrice. Monstre. Cela ne fait qu'un nom que l'on me donne de plus. Eh bien soit. Si tu veux me désigner par ce terme, tu es libre. Mais je préfère que tu m'appelles « bourreau » étant donné que je vais creuser ta tombe, ici et maintenant. »


Je lançai une autre attaque surpuissante qui allait bien au-dessus de mes espérances. Il ne fallut qu'une fraction de secondes pour qu'elle ne s'écrase sur le blond aux yeux dorés qui eut à peine le temps de se rouler par terre pour esquiver mon assaut. Il s'accroupit, dégoupillant une nouvelle fois une de ses fameuses grenades qu'il lança en ma direction. Mais je n'eus même pas besoin de faire le moindre mouvement. L'Izrathien qui m'accompagnait s'en saisit et la désintégra sans le moindre effort, avant de se ruer sur l'individu en face nous. Là, il utilisa sa magie pour le soulever dans les airs, faisant apparaître une traînée ténébreuse qui se resserra autour du cou de ma victime afin de l'étrangler. La puissance prit une forme circulaire qui entoura le membre du blond, le compressant de plus en plus.


Il suffoqua, suspendu dans les airs, impuissant. Son regard vacillait entre haine et supplications, comme s'il m'implorait de me tuer sur place, tandis que je le regardais, indifférente. Je laissai mon nouvel acolyte faire. Il était prêt à éradiquer de la surface ce déchet qui mettait en péril l'existence de mon monstre, et cela me suffisait à vouloir qu'il disparaisse.


Pourtant, quelque chose me retint. Enfin, quelqu'un. Et ce quelqu'un, c'était Kojiro. Il m'interrompit d'un « Indy, arrête !! » qui résonna en moi comme s'il venait de mon âme même. Je me stoppai net, suivie par Ziakwer qui me lança un regard dubitatif. Je me tournai vers mon monstre, cherchant à savoir pourquoi il comptait s'interposer entre moi et son détracteur.


« Ne fais pas ça… murmura-t-il. Si tu tues cet homme, un autre viendra à sa place, et aura encore plus soif de mort que lui. Tu as déjà trop fait, Indy. Il doit avoir une famille, des gens qu'il aime… Et je ne peux me résoudre à les priver de leur père, ou de leur frère. Ne me force pas à devenir comme ceux qui ont besoin de répandre le sang pour se sentir vivre.


— Mais il reviendra pour te tuer si je le laisse vivre ! hurlai-je, abasourdie. Ressaisis-toi et regarde dans quel état tu te trouves !


— Même si je dois payer de ma vie cette erreur… Je ne salirai pas le nom de ma famille en devenant un assassin. »


Il me fixa, je le dévisageai. Un échange de convictions démarra entre lui et moi. Il faisait pression sur mon regard pour que je lâche l'affaire, mais je n'en avais aucune intention. Dix minutes passèrent tandis que l'autre homme au brassard était toujours suspendu dans les airs, à ma merci. Finalement, je m'avouai vaincue. Je fis signe à mon Izrathien de le laisser s'écrouler au sol, espérant qu'il en meure dans le procédé. Mais il n'en fut rien. Le blond était toujours vivant lorsqu'il s'écrasa par terre, et même si je n'avais que pour seule envie de finir mon travail en lui arrachant la pomme d'Adam de sa gorge, je choisis de délivrer Kojiro de sa prison à la place.


Il me dit que j'avais fait le bon choix, mais je savais pertinemment que c'était une grave erreur. Ziakwer repartit d'où il était arrivé : de nulle part, et Kojiro nous téléporta moi et lui dans un autre endroit bien plus loin que là où nous étions. La résidence de sa famille, la fameuse.


Mais alors que nous nous étions retrouvés dans ce qui semblait être une mini-ville mais qui n'était en fait que la gigantesque résidence de la famille de Kojiro, ce dernier me prit immédiatement dans ses bras avant de pleurer à chaudes larmes, m'étreignant de toutes ses forces.


« Tu me fais mal… Le monstre… bégayai-je en grimaçant.


— Tu es complètement folle, Indy ! lâcha-t-il la voix à moitié brisée par le chagrin. Te rends-tu compte de ce que tu viens de faire !? Pourquoi m'as-tu caché que toi aussi tu possédais des liens avec Izrath !?


— Izrath… ? murmurai-je, dubitative. C'est qui ce type ?


— Izrath est une autre dimension de laquelle je viens. me répondit alors Ziakwer sortant de nulle part. Une dimension dans laquelle vivent des créatures aux capacités dépassant celles des hommes. C'est de ce monde que proviennent les pouvoirs de Kojiro.


— Et par ta faute, enchaîna l'intéressé, furieux, ils vont te pourchasser toi aussi ! S'ils croient que nous sommes de la même famille, ils mettront ta vie en danger ! »


Je restai quelques secondes à l'arrêt. J'étais heureuse, en totale béatitude. Ce qu'avait dit Kojiro face à ce soldat n'était qu'une mascarade qui se faisait mettre à nu par ses larmes et ses regrets à mon égard. Il tenait énormément à moi, malgré tout ce qu'il avait pu dire ou faire, et cela me suffisait à être en plénitude.


« Au moins maintenant, tu es obligé de me garder avec toi ! souris-je joyeusement. Imagine si je me fais tuer, cela sera TOTALEMENT ta faute !


— Ne me dis pas que tu comptes me faire du chantage affectif par-dessus le marché… soupira Kojiro. Ma situation n'est-elle pas assez délicate comme ça de ton point de vue !?


— Je compte le faire si cela me permet de toujours rester avec toi. répondis-je, sérieuse. Je sais que tu as mis ton fils à l'abri dans un endroit que tu ne diras jamais à personne afin de gagner le plus de temps possible pour le protéger. Je ne serai pas la prochaine de la liste à être écartée de ta vie parce que tu as peur !


— Et moi je te dis que jamais plus tu ne me reverras ! hurla le monstre, furieux. Tu ne sais pas ce que tu fais Indy !


— Et tu ne comprends pas que je n'en ai rien à faire des conséquences ! Je risque de mourir !? Eh bien tant mieux ! Je n'ai de toute façon rien qui me fait vibrer autant que d'échapper à ces tueurs ! Arrête de vivre dans la crainte, de toute façon d'une manière ou d'une autre, nous finissons tous par mourir ! »


Il s'arrêta quelques secondes, choqué par ce que je venais de lui dire. Je réalisai que j'avais été un peu loin, mais il était impossible pour moi de reculer. Si je ne lui disais pas clairement ce que je voulais, c'était fini pour notre relation, à lui et moi.


« L'éternité n'a pas d'horloge, Kojiro. repris-je, plus douce. Peu importe combien de temps tu vis, tu finiras par disparaître un jour. Alors je profiterai de ma vie sans jamais avoir peur de qui que ce soit. Et tu devrais en faire de même. Car n'oublie pas que pendant que tu es ici avec moi, ton fils grandit sans père. »


Les yeux de mon monstre s'écarquillèrent. Je discernai des tas d'émotions dans son regard. Des tas de sentiments qui se bousculaient pour avoir le monopole d'un esprit confus n'ayant jamais pris du recul sur la situation dans laquelle se trouvait sa famille. Il n'avait jamais pensé à ce que je venais de lui dire, et il ne put de toute manière pas me répondre. Il avait passé sa vie entière à grandir dans la peur, et à y plonger toutes ses relations, à commencer par son fils. Il ne pouvait tout simplement pas tout remettre en cause juste par une phrase, et je le comprenais tout à fait. Mais j'allais lui montrer que j'étais capable de changer les choses.


« Puisque tu n'as plus rien à dire, avançai-je, victorieuse, je vais donc rester avec toi pour toujours ! Il faut que nous nous entraînions ensemble pour savoir repousser l'ennemi, Ziakwer !


— Il en sera fait comme tu le désires Indy. reprit l'homme pâle qui me faisait penser à un fantôme. Nous sommes de toute façon unis par le même désir, comme l'atteste notre contrat.


— Je ne me rappelle pas avoir signé quoi que ce soit. souris-je d'un air malicieux.


— Ce pendentif est le témoin de notre alliance. L'émotion que tu as exprimée à ce moment a été ce qui m'a appelé, car toi et moi voulions la même chose : protéger cet homme. Mon souhait immatériel, et ton impuissance physique. Tu n'étais pas assez forte, et je n'étais pas présent physiquement. En partageant notre contrat, tu n'es plus faible, et je peux venir dans votre monde. C'est le véritable sens d'Izrath. Nous sommes unis au-delà des dimensions. »


Cette réponse me satisfaisait. Je connaissais désormais beaucoup plus de choses sur les capacités de Kojiro, et donc de mes pouvoirs nouvellement acquis. J'avais certes investi deux ans et quelques mois dans ma quête de réponses, mais je me sentais plus proche de la vérité que jamais je ne l'avais été.


Mon chômeur restait pourtant secret sur pas mal de points liés à sa famille, notamment concernant depuis quand ils étaient pourchassés, par qui, et surtout comment et pourquoi. Comment avait-il été repéré par cette filiale voulant le tuer, et dans quel objectif voulaient-ils le faire ? Mon ami n'était pas quelqu'un de méchant, ni ayant des ambitions maléfiques comme un antagoniste de roman. Au contraire, il était d'une gentillesse presque enfantine. Il se mettait facilement à la place des autres et voulait simplement que son fils puisse vivre sans se soucier de mourir le lendemain. Comment pouvait-on pourchasser quelqu'un avec un si bon fond sans être un agent du mal ?


Cette organisation, la « F.F », j'allais lui faire payer ces choses. Si en tuer un n'était pas suffisant car il allait être remplacé, alors détruire l'entièreté du groupe, sans en laisser un seul vivant, semblait la solution naturelle s'imposant à nous.


Alors je m'entraînais dur, en compagnie de Kojiro et Ziakwer. Ce dernier restait à mes côtés en toutes circonstances, se battant avec moi contre mon ami et son dragon qui m'avait fait trembler des années plus tôt. Au départ, nous nous faisions terrasser par l'horrible créature soulevée par l'homme aux cheveux couleur corbeau, mais peu à peu, nous arrivions à rivaliser, voir à faire jeu égal avec elle. J'étais enthousiaste. Plus le temps passait, plus j'arrivais à diriger mes mouvements, à canaliser ma puissance, et même à utiliser le kvantiki, énergie particulière générée par mon partenaire. Nous étions de plus en plus qualifiés pour nous défendre, nous, ainsi que ceux qui comptaient dans nos cœurs.


J'étais reconnaissante envers le destin qui m'avait permise de vivre une aventure si folle et si exaltante. Si j'en avais raconté ne serait-ce qu'un mot à mes parents, ils ne m'auraient jamais cru. Même s'ils m'aimaient en tant que leur fille, j'étais condamnée à ne pas avoir leur confiance. Si bien que même lorsque je tentai de leur montrer mes pouvoirs en direct depuis chez nous, ils trouvèrent une explication logique pour réfuter tout ce que j'avais dit. Devant mon insistance vaine, Papa ne trouva rien d'autre à faire que de maudire la psychologue, cette charlatant qui avait pris son argent et n'avait pas guéri sa fille, tandis que ma mère me dévisageait d'un regard dans lequel se mêlaient incompréhension et jugement.


Ce fut ma dernière tentative de les raisonner. Une autre année s'écoula. J'avais désormais quinze ans, et j'étais plus apte physiquement qu'en étant enfant. Nous avions dû essuyer quelques assauts de l'organisation, Kojiro, Ziakwer et moi, mais nous nous en étions tous trois sorti sans la moindre égratignure. Après-tout, nos détracteurs peinaient déjà à vaincre Kojiro, qui était seul et ne s'entraînait donc jamais. Il leur était tout simplement impossible en l'état de nous gérer tous les trois au meilleur de notre forme. Ils allaient devoir trouver une autre alternative, sûrement similaire à cette tactique fourbe qu'ils avaient sorti pour prendre mon ami par surprise, et d'ici là nous avions le temps de nous y préparer.


« Il faut que je te parle, Indy. me dit sérieusement Kojiro, un beau matin de printemps.


— Ne me dis pas que tu veux encore me dissuader de te suivre ? souris-je. Tu sais que c'est peine perdue.


— Je le sais. soupira l'homme. Mais il faut que l'on agisse. Leurs membres sont en train de repérer ton quartier. Ils ont retrouvé où tu habites et vont tenter une attaque surprise. Il faudrait que nous sauvions tes parents.


— Je m'en charge. repris-je. Je suis assez puissante et il ne faut pas que tu sortes d'ici. Tu as un contact avec ton fils, tant que tu restes ici, tu pourras lui parler. »


Il avait compris avec les années que me dissuader une fois une idée en tête était peine perdue. Si bien qu'il n'opposa pas la moindre réticence face à mon plan. Il resta dans le recoin de la forêt dans lequel nous nous étions installés, loin de la « résidence familiale » qui n'était en fait qu'une ruelle à l'abri des regards qu'il squattait en tant que sans-abri, tandis que je me rendis chez mes parents, là où ils attendaient toujours que la mort vienne les extirper de leur routine.


J'y retrouvai mes parents attablés comme à leur habitude. Quel allait être leur choc lorsqu'ils allaient me voir débarquer, moi, leur fille, qui découchait deux nuits sur trois, habillée d'une robe boho et d'un chapeau de paille, les cheveux mal coiffés et ébouriffés au possible ! La petite studieuse et parfaite qui n'existait plus et avait laissé place à une adolescente éveillée au quotidien décalé du leur. Eh bien ils furent choqués. Abasourdis par la chair de leur chair, comme s'ils ne m'avaient jamais connue.


« Indy… !? s'exclama ma mère, sur le point de mourir d'une crise cardiaque. Pour l'amour du ciel, que t'est-il arrivé !?


— Tant de réaction pour une robe et un chapeau de paille ? m'amusai-je. Vous êtes vieux jeu à un point irréversible.


— Ce n'est pas la question. rétorqua mon père. Depuis quand as-tu changé d'accoutrement, et qui plus est, pour une apparence si négligée ?


— Je suis devenue une bobo. répondis-je en réfrénant un sourire. Mais non, ne vous en faites pas, je ne vis rien d'extravagant. J'échappe juste à des tueurs en série au quotidien avec un ami qui est vingt ans plus vieux que moi.


— Encore avec ces histoires ? reprit ma coincée de mère. La sagesse n'est pas venue avec l'adolescence.


— D'ailleurs ils rôdent dans le coin et vont sûrement essayer de venir me tuer. les avertis-je, sérieuse. Si vous vous trouvez ici dans les jours à venir ils vous feront la peau dans le procédé. »


Mon père soupira, avant de simplement m'ignorer. Je n'avais pas vraiment été convaincante, mais au point où j'en étais, je ne cherchais même plus à essayer. Je voulais juste les mettre en garde pour me donner bonne conscience, pour leur laisser une dernière chance de croire à ce que leur disait leur fille. Si bien que lorsque l'organisation qui me traquait pénétra chez mes parents dans la nuit et les tua, je ne ressentis rien. Absolument rien.


J'étais dans la cachette avec Kojiro, gardant un œil sur la situation grâce aux capacités de Ziakwer, et je regardais la scène comme si je perdais mon temps devant un navet d'Hollywood. Même mon monstre fut surpris par tant de détachement de ma part.


« Tu n'essaies même pas de les sauver ? lâcha-t-il, bien plus affecté par la mort de mes parents que je ne l'étais.


— Ils trouveraient encore le moyen de me dire que j'ai organisé ça pour les convaincre, soupirai-je, amusée. Ils ont fait leur choix, je ne vais pas les empêcher de récolter leur fruit. Plus important, comment va Shinichi ?


— Comme un charme. bredouilla-t-il, le malaise au visage. J'ai été le voir avant qu'il ne déménage, et je lui ai parlé de toi. Je lui ai dit que c'était grâce à toi que je pouvais trouver des moments à passer avec lui, et il t'a remercié. Il m'a dit qu'un jour il aurait l'occasion de te le dire de vive voix.


— Je te préviens tout de suite, je n'ai aucun intérêt pour les enfants. m'amusai-je.


— Shinichi est de trois ans ton aîné pourtant. sourit enfin l'homme. »


De trois ans mon aîné ? Vraiment ? Je me sentais ridicule. Tout ce temps j'avais imaginé un bambin, et c'était d'un garçon plus vieux que moi que Kojiro me parlait. J'éclatai de rire. Mes parents venaient de mourir, et j'éclatais de rire pour quelque chose de si futile, mais si amusant. Je devais vraiment être folle… Ou bien vivais-je vraiment la vie dont j'avais rêvé : une vie faite de surprises, aux côtés de quelqu'un qui me comprenait vraiment. Et même si je devais mourir à cet instant, alors je n'aurais pas été triste.


J'étais toute puissante. Détachée du monde et vivant dans mon univers. Incapable de ressentir la moindre peine. Au-dessus de toutes les lois sentimentales, en marge d'une société routinière qui ne réfléchissait jamais sur son existence. Je vivais. Je vivais comme jamais je n'avais vécu et jamais je n'allais vivre. J'exultais à chaque inspiration. Je réalisais mes rêves les plus fous et j'allais vers l'avant sans craindre la mort.


Et j'exultais si fort que je ne vis même pas la réalité me rattraper. Tellement absorbée par le bonheur que je n'avais même pas remarqué les signes avant-coureurs du malheur.


Nous avions été pris par surprise, et je n'avais pas été assez réactive. Il s'était jeté sur moi pour me protéger, et je fus projetée contre le sol. Je repoussai l'ennemi avec facilité, mais il était déjà touché.


En plein cœur. Leur tireur avait cette fois réussi à viser juste. Affreusement juste. Il avait été d'une précision de chirurgien. C'était frustrant. Si frustrant de voir mon monstre incapable de se relever. Si frustrant de le porter dans mes bras afin d'essayer quelque chose. Si frustrant de se prendre un refus de la même personne que j'essayais de sauver.


« C'est impossible, Indy. sourit Kojiro. Je ne peux pas me régénérer à ce stade.


— Mais pourquoi !? hurlai-je, déchirée de l'intérieur. Je peux toujours extraire la balle et –


— Non. Tu ne peux pas. Si tu la déloges, je me viderai de mon sang encore plus vite. Indy, les pouvoirs ont des limites. Tu as beau être toute puissante, si tu n'as pas la volonté de te servir de tes talents, tu ne pourras pas lutter contre une bête assoiffée de mort.


— Alors pourquoi tu n'as pas lutté !? lui reprochai-je. Si tu l'avais tué dès le début, il ne t'aurait pas fait la peau !


— Tout simplement car l'éternité n'a pas d'horloge. sourit l'homme. Je n'ai plus vécu dans la peur grâce à toi. Une peur qui aurait fait de moi un meurtrier au lieu de me laisser père de mon fils. J'ai pu passer des tas d'instants inoubliables avec lui grâce à toi. Et cela vaut ma vie. Je t'offre mon existence, comme je l'aurais offerte à mon Shinichi. Car tu es ma fille, Indy.


— Kojiro… bégayai-je, la vision brouillée par mes larmes. Mais… Si tu n'es pas là… Je n'ai plus rien à faire… De ma vie…


— Alors réponds à une requête de ma part. répondit l'homme en reprenant régulièrement son souffle. Retrouve Shinichi, et transmets-lui mon contrat avec Izrath. Il en aura besoin s'ils le retrouvent un jour. C'est ta mission. Ma dernière volonté. Ma fille.


— Je ne suis pas ta fille ! hurlai-je à l'homme qui peinait à respirer. Je ne veux pas que tu te considères comme un père pour moi. Pourquoi ne comprends-tu pas que je t'aime, en tant que femme !?»


Il cracha une ultime gerbe de sang dans laquelle résidait son souffle de vie. Il rendit l'âme dans mes bras, me laissant cette fois bien plus vulnérable que je ne l'étais lorsque mes propres parents avaient trouvé la mort.


Mais je n'avais pas à le pleurer. L'éternité n'a pas d'horloge. Peu importe le temps qu'il a vécu, il n'a pas passé sa vie dans la peur, et c'était l'essentiel. Alors je devais ramasser sa bague le liant à son Izrathien, et la transmettre à Shinichi. C'était la seule route, et je n'avais pas à m'en faire des émotions…


Alors pourquoi, alors que je reprenais mon chemin, je ne pouvais m'empêcher de pleurer ?





Spoiler :


Je n'avais plus de parents, ni de monstre, mais il m'avait laissé une mission. Une quête d'importance capitale. Je devais braver ma peine, retrouver Shinichi, le fils de Kojiro, et lui transmettre l'Izrathien de son père. Fort heureusement, j'avais désormais les moyens de mener à bien la tâche m'ayant été confiée. En effet : mes ascendants m'avaient légué leurs biens étant donné que j'étais leur seule fille. Au moins, ils avaient fait quelque chose d'utile de leur vie, c'était déjà ça. Alors je me mis en recherche de la progéniture de mon chômeur, qui était de trois ans mon aîné.


Les jours passèrent, puis les semaines, et enfin les mois. Je m'étais mise à la recherche de mon objectif, aidée par l'Izrathien qui accompagnait Kojiro jusque-là, ainsi que Ziakwer, qui avait développé un lien étroit et spécial avec moi. Nous étions une équipe d'investigation solide, cherchant dans tous les recoins de la ville une trace quelconque appartenant à notre cible. Pendant ce temps, je cumulais les petits boulots pour lesquels j'avais l'âge minimum requis, histoire de ne pas voir s'envoler l'argent de mes parents aussi vite qu'il n'était arrivé. J'en profitai pour m'entraîner en même temps, utilisant les pouvoirs qui m'avaient été octroyés, et en apprenant de nouveaux grâce à l'investissement de mon Izrathien.


Les hommes appartenant à « F.F » me couraient toujours après. Ils me poursuivaient sans cesse afin d'éteindre ma vie qu'ils pensaient liée à celle de Kojiro. Et pour cause, j'étais en permanence avec lui, et mes capacités ressemblaient aux siennes lorsque l'on se contentait de les évaluer sur l'aspect visuel. J'étais donc devenue une cible au même titre que lui, et cela me convenait finalement, puisque tant qu'ils étaient focalisés sur moi, ils ne cherchaient pas Shinichi, mon demi-frère par alliance spirituelle inter-cosmique et affective.


C'était une vie qui me plaisait finalement. Je vivais de fictions fantastiques, de films moyenâgeux, et de courses dans laquelle je mettais en jeu ma propre vie. Je retenais mon souffle et jouissais de l'adrénaline tandis que j'étais en course-poursuite avec le sablier de la vie, me demandant chaque fois si j'allais accéder à l'éternité au terme des affrontements que je menais.


Mais je n'étais pas prête à rendre l'âme. Je n'avais pas encore atteint la plénitude, celle qui nous faisait penser « je peux partir tranquille ». Non. J'étais la seule à savoir pour Shinichi, et à fortiori, l'unique alliée de sa famille sachant pour la mort de Kojiro.


Il fut une période où les attaques n'en finissaient pas. Je me demandais vraiment comment j'allais pouvoir faire pour remettre l'Izrathien au fils sans mettre cette organisation sur sa piste. Si la famille de Kojiro pouvait simplement disparaître de la circulation, cela aurait été la meilleure issue possible.


Mais alors que j'étais en train de poursuivre mon objectif, que j'étais proche du but, un imprévu m'arriva. Cela commença un beau matin, comme si de rien n'était. J'appelai l'Izrathien de Kojiro, ainsi que Ziakwer à mes côtés, mais seul l'un des deux répondit à l'appel. Mon compagnon l'homme pâle me laissa poireauter par un silence irritant à première vue, franchement inquiétant avec du recul.


Je me dis tout d'abord qu'il devait être occupé en Izrath. Après tout, je n'avais aucune idée de comment était régie cette dimension, à quoi elle ressemblait, et j'avoue que le savoir était quelque chose qui m'intéressait. Mais finalement, je me posais des tas de questions sur les éventuels empêchements de mon camarade, mais je n'en obtins aucune.


Je laissai passer des jours, puis des mois, et je dus me faire une raison : Ziakwer avait disparu. Il m'avait tout simplement abandonnée. C'était normal finalement, compte tenu du fait qu'il m'avait rejointe uniquement pour protéger Kojiro et que ce dernier était mort, par ma faute qui plus est. Laisser tomber la personne responsable de l'assassinat d'un proche était une chose finalement naturelle.


Pourtant, je souffrais. L'absence me faisait du mal. J'avais l'impression de perdre petit-à-petit tous ceux à qui je tenais. Kojiro, Ziakwer… Il ne me restait plus que le dragon m'accompagnant pour me tenir compagnie à moi, la harpie de la folie et de la démence.


J'atteignis finalement la majorité, ce qui me permit de travailler dans d'autres boulots mieux payés et plus variés. Un coup j'étais femme de ménage, une autre fois caissière, pour finalement travailler comme hôtesse dans un bar. Le boulot était simple : tenir compagnie à des hommes riches, les flatter, et encaisser l'oseille. On m'avait dit que c'était un travail risqué, car beaucoup d'hommes voulaient plus que de la simple compagnie, mais avec un dragon me surveillant en permanence, je n'allais pas craindre leur minidraco à eux.


Finalement, toutes les personnes ayant trop insisté pour me voir après le travail avaient fini traumatisées. Je mettais chaque fois sur le compte de l'ivresse leurs témoignages dans lesquels ils indiquaient que j'étais sûrement possédée par quelque chose de malsain qui ne se manifestait que lorsque j'étais seule avec eux, et ça marchait. Parfois je poussais le vice en jouant la victime, et je gagnais quelques centaines de billets supplémentaires. C'était simple, et lucratif, et puis de toute façon ils étaient prêts à me ramener dans leur lit pour une poignée de billets, donc je n'étais pas vraiment inquiète de leur sort.


Et finalement je réussis à m'acheter un petit appartement dans les rues de Yokohama, la ville en vue du moment. Il y avait quelques festivals, des thés dansants, et autres petites fêtes du genre qui me tentaient bien, non pas pour leur caractère festif, mais surtout pour le fait de passer inaperçu. Étant Indienne, il fallait que je porte les tenues classiques, et j'allais passer crème dans une ville où personne ne connaît vraiment personne.


Finalement, je me plus à Yokohama, et je décidai de revendre la propriété de mes parents, ainsi que mon appartement pour acheter une maison avec jardin. Elle avait été financée par les personnes m'accusant de raconter des mensonges, et celles qui étaient vraiment accusées à tort par ma bouche. Cette seule pensée me faisait sourire. Mais je ne comptais pas y rester longtemps. Ce n'était qu'une couverture, un pied-à-terre pour gagner du temps jusqu'à retrouver le seul et unique dans mon cœur. Une fois que je l'aurais retrouvé, je comptais repartir sur les routes et me faire poursuivre par l'organisation en son nom. Je vivais dans ce seul et unique but, afin de remercier celui qui m'avait fait découvrir ce monde et ces émotions que même mes parents ne m'accordaient pas.


Et un jour, je le retrouvai. Par pur hasard. Ou pas, qui sait. Peut-être étions-nous destinés lui et moi.


Mon cœur se mit à battre la chamade alors que nous étions sur la place des festivités de la ville, et qu'aujourd'hui se déroulait la fête de l'espoir. « Fête de l'espoir ». Un nom vraiment singulier que je n'aimais pas du tout. Car derrière un tel rassemblement n'avait lieu aucune action concrète pour des personnes qui souffraient comme la famille de Kojiro.


Mais il était présent, c'était l'essentiel. L'Izrathien en moi l'avait reconnu. Il le connaissait par les yeux du père, et je le ramenais au fils. Je fus emplie d'une joie immense à l'idée d'être enfin au terme de ma mission. Il était beau et ressemblait tellement à son père. Les mêmes cheveux, les mêmes yeux, la même étincelle dans le regard… Tandis qu'il dansait avec une femme à l'allure de bohémienne, je sentais qu'il respirait la gentillesse, comme mon chômeur. Il mettait l'ambiance sur la place de la ville, entraînant avec lui le public qui tapait des mains et des pieds au même rythme que lui.


Je fis mes adieux à l'Izrathien m'accompagnant, léguant à la progéniture de mon clochard l'artefact qui vint se glisser à son doigt sans même que celui-ci ne s'en rende compte. Je tournai les talons, prête à partir et à voguer vers une autre destinée maintenant que j'étais seule, mais je fus prise par un imprévu.


Il vint vers moi, tandis que sa camarade de danse, elle, alla chercher des hommes dans le public. Je pris timidement sa main pour danser un peu avec lui, avant de le suivre dans sa quête de public féminin. Nous formâmes ainsi une file derrière le jeune homme qui prenait plaisir à mettre l'ambiance en dansant. Je m'amusai un petit peu, oubliant l'espace de quelques instants l'excitant quotidien que je vivais au profit d'une vie normale.


Ils finirent par former des couples, me laissant en compagnie d'un brun aux yeux verts et au visage assez générique, de monsieur tout le monde, qui devint mon partenaire du jour improvisé. Le jeune homme plutôt bien bâti et dont le regard me troubla dès l'instant où j'y posai le mien se laissa emporter dans mes pas, entraîné dans une danse typique d'où je venais que je menais grâce au tissu que j'avais détaché de ma robe, afin de l'enrouler dans une étreinte distante et divertissante que nous partageâmes ensemble.


La partenaire de Shinichi se jeta sur lui, le faisant la porter délicatement en guise de pose de fin. Nous l'imitâmes toutes, et à ma grande surprise, seul notre couple réussit à effectuer le bouquet final, me laissant tournoyer gracieusement dans les bras de mon camarade de danse improvisé ce jour.


À peine la danse terminée, il partit en courant sans même m'adresser la parole, ignorant royalement sa partenaire du jour.


« Attends l'inconnu ! lui lançai-je, intriguée par son comportement atypique. Ne pars pas si vite ! »


Mais je n'eus pas le temps de le rattraper. Mes chaussures n'étaient pas faites pour la course. J'avais déjà eu beaucoup de mal à danser, je ne pouvais pas non plus courir avec ensuite.


Alors je les enlevai et me mis à sa poursuite. Pourquoi ? Je n'en savais rien. Pourtant, quelques dizaines de mètres plus tard, j'eus la réponse à mes questions. Je trouvai son porte-feuille au sol. Le ramassant, j'eus l'occasion de découvrir l'identité du mystérieux individu de la journée. « Reisuke Yamada ». Immédiatement, cela me fit tiquer. Yamada, comme Kojiro et son fils, mais surtout, ses yeux, qui n'avaient finalement rien d'envoûtant, mais ressemblaient surtout à ceux du père et de sa progéniture.


Et lorsque je lis davantage le document, je pus m'apercevoir de quelque chose de bien plus choquant. Sa date de naissance était datée à 26 ans dans le futur en partant de notre année. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre. Une carte d'identité indiquant une date du futur, des yeux ressemblant à ceux de mon chômeur et son fils, et le nom de famille identique. Tout s'éclaircit. La descendance de Shinichi, son fils peut-être, avait remonté le temps pour une raison m'étant inconnue.


Je courus de plus belle, afin de retrouver ce garçon. Je voulais le connaître, celui qui était sûrement la prospérité de cet homme qui avait changé ma vie, signifiant donc qu'il avait réussi à avoir des petits-enfants par son fils. Je souhaitais tout savoir de lui, et en apprendre autant que j'en avais appris avec son aïeul. Alors quand je le retrouvai, j'eus du mal à contenir ma joie.


« Enfin je t'ai rattrapé mon inconnu fuyard ! lâchai-je essoufflée et transpirant à grosse gouttes. Tu as oublié ton porte-feuille en partant !


— Ah merde… murmura-t-il en prenant l'objet. Merci de me l'avoir retourné, c'est très gentil de ta part.


— Par contre il faudra que tu refasses ta carte d'identité ! me moquai-je afin de savoir la vérité. Ta date de naissance indique que tu es né 26 ans dans le futur !


— Oui enfin…C'est compliqué. bégaya-t-il, gêné par sa situation. Je suis désolé d'être parti, je devais rejoindre mes amies au plus vite.


— Ne t'en fais pas il n'y a pas mort d'homme ! Je me présente : Indy Muller. Je sais c'est étrange comme nom, mais ma mère est Indienne et mon père allemand. C'est la première fois que je te vois dans le coin, Reisuke !


— Je viens de loin oui. reprit-il souriant. Je ne me présente donc pas. Voici mes amies, Hakaze, et Erika.


— Sa petite amie. le coupa la dénommée Erika, glaciale. Au cas où ça ne se verrait pas, nous sommes en couple.


— Oula ! ris-je de bon cœur. Une fille jalouse ! Tous aux abris ! Enfin, d'habitude je trouve cela absurde mais pour cette fois, je peux comprendre l'objet de la jalousie… »


Évidemment que je pouvais le comprendre. En regardant bien, il avait exactement tout ce que Kojiro possédait en lui, à commencer par la gentillesse et le sourire. Il était très accessible et assez beau garçon, mais aussi et surtout, il venait d'une autre époque, ce qui suscitait une foule d'interrogations dans mon esprit. Des questions pour lesquelles je voulais absolument trouver une réponse, et pour cela j'avais besoin de tout savoir sur Reisuke.


« Et sinon, repris-je enthousiaste, vous êtes venus faire quoi dans le passé ?


— Tu ne penses sérieusement pas que l'on vient de 26 ans dans le futur ? me répondit-il en mauvais menteur. Es-tu folle ?


— Non je ne suis pas folle ! rétorquai-je, exaspérée par ce qualificatif. J'ai vu dans un animé que le protagoniste voyageait dans le temps pour sauver en boucle une fille qu'il aime. Alors si tu viens du futur, tu dois avoir une bonne rai – »


Je m'arrêtai net, essayant de déceler en lui le moindre signe qui allait me permettre de valider ma théorie. Je fis mine d'être figée dans la stupeur, reprenant la parole d'une voix visant à montrer de l'amour et de l'admiration.


« Tu es venu pour me sauver d'une mort certaine afin que l'on vive notre amour… murmurai-je. Je suis si heureuse d'avoir un homme comme toi Reisuke…


— Je pense que tu dois faire erreur sur pas mal de choses… bégaya-t-il alors que la brune de son groupe se mit à éclater de rire. Cela serait une coïncidence trop grande, non ?


— Mais non inutile de faire ton timide. m'exclamai-je en lui donnant une tape sur l'épaule. Si tu es venu pour concevoir avec moi le futur leader de la rébellion de l'homme contre les machines qui l'ont asservi, alors tu peux disposer de moi comme bon te semble, mon héros du futur. »


Finalement, le courant passa, entre Reisuke et moi. Il me prit certainement pour une folle, mais il m'avoua qu'il venait d'une autre époque, et nous pûmes parler à cœurs ouverts, lui et moi. Je me surpris même à lui expliquer des passages de ma vie passée en évoquant certains de mes souvenirs à demi-mots, le laissant me rassurer et me conforter de par sa gentillesse.


Qui aurait cru que je serais tombée éperdument amoureuse d'un homme ayant traversé le temps, et pris par les mêmes tourments que son grand-père, qui n'était autre que mon chômeur ?





Spoiler :


Nous avions traversé le temps vers l'avenir après avoir essuyé un échec dans le présent, Reisuke et moi. Comme Erika et Hakaze me l'avaient dit, il n'était plus tout à fait lui-même. Quelque chose de plus sombre, de plus violent, de plus méchant, semblait en lui. Depuis qu'il était revenu de cette escapade en Égypte, mon héros du futur n'en était plus un. Je m'étais rangée à ses côtés en sachant très bien ce qu'il en était. Il ne me voyait pas comme une femme se tenant à ses côtés, mais comme quelqu'un d'utile qu'il pouvait manipuler ou même utiliser comme projectile, comme il l'avait fait durant notre bataille contre la dénommée Luna.


Nous arrivâmes à Slyburn les cœurs lourds, et une longue liste de choses restait à faire. Nous devions avant tout semer Luna, qui était déterminée à nous empêcher de nuire, mais aussi trouver un endroit dans lequel nous pourrions nous poser dans cette époque.


Reisuke, dans toute sa cruauté, prit la solution la plus radicale pour ralentir la blonde : il projeta un flux d'énergie sur un bâtiment qui le fit prendre feu, mettant en péril tous les innocents qui s'y trouvaient. Il sollicita Luna en lui demandant si elle abandonnerait ces gens à leur triste sort pour l'arrêter, et en toute bonté de cœur, la jeune femme s'exécuta, nous laissant gagner de la distance afin de nous mettre à l'écart.


J'étais émerveillée par tant de méchanceté provenant de mon héros du futur. Alors qu'il me tenait la main avec force, m'entraînant avec lui dans son voyage singulier au travers des cieux, je me surpris à repenser à ce jour où, du haut de mes dix ans, j'avais demandé à Kojiro de détruire le monde. S'il l'avait fait, il ne serait pas mort, alors pourquoi Reisuke n'avait-il pas le droit de tenter sa chance après tout ? Cela aurait été injuste de l'entraver.


« Pourquoi m'as-tu suivi alors que tu sais très bien que je ne suis plus le Reisuke que tu as connu ? me lança l'homme, tandis que nous prenions de la distance.


— Qui sait. souris-je. Peut-être que je t'ai suivi justement car tu n'es plus le Reisuke que j'ai connu ? Qui te dit que je ne préfère pas celui qui me parle actuellement ?


— Esprit marginal je suppose. soupira mon interlocuteur. En marge de la pensée habituelle dans laquelle un méchant n'a aucune raison de se battre. Mais je pourrais te manipuler en t'avançant des raisons attendrissantes, mais fausses pour justifier mon combat.


— Ce n'est pas ton problème. Si je suis assez idiote pour y croire, cela n'engage que moi. Contente-toi de penser à ta mission. Tu veux détruire le monde, non ? Alors détruis-le pour moi, et je t'aimerai en retour. »


Il s'arrêta quelques secondes, l'expression figée dans la surprise, avant de reprendre, non pas sans lâcher un autre soupir face à mon attitude.


« Tu es tellement… –


— Folle ? le coupai-je. Délurée ? Déjantée ? Psychopathe ?


— Parfaite. finit-il. Absolument parfaite. »


Était-ce tout ce qu'il fallait pour séduire un futur souverain des ténèbres ? C'était tout de même assez décevant, je m'attendais à beaucoup plus de challenge. Dire qu'avec mon clochard, j'avais mis du temps avant de me faire intégrer dans son cercle, alors que la version méchante de Reisuke lui, semblait déjà en pincer pour moi. J'espérais qu'il allait me donner plus de challenge, ou au moins me fournir le moyen de remonter dans le passé pour revivre d'autres années avec mon chômeur s'il ne pouvait pas le faire.


Car oui, je n'excluais pas la possibilité de revenir dans le temps, puisqu'il savait le faire. Retrouver mon monstre depuis le jour un en étant une adulte capable de le protéger, de l'étreindre et de l'aimer, c'était aussi un futur que j'envisageais. À défaut d'être mon partenaire idéal, Reisuke pouvait aussi devenir mon ticket vers le passé, cela ne me dérangeait pas.


« Nous sommes arrivés. m'interrompit le jeune homme de sa voix grave qui me tirait un frisson dès qu'il ouvrait la bouche.


— Et où sommes-nous donc ?


— Dans les bas quartiers de Slyburn. reprit-il, patient. Dans cette époque, un groupe de révolution se prépare. À l'aide des pouvoirs d'Izrath, ils ont fait en sorte de faire évacuer la plupart des personnes qui habitent ces quartiers. Autrement dit, on a des maisons pour nous deux, même si ce n'est pas le grand luxe.


— Cela me convient parfaitement. souris-je. Et quel est ton plan ?


— Entrons avant d'en parler »


Nous choisîmes donc la bâtisse la plus potable des bas quartiers de Slyburn afin d'y élire domicile. Lorsque je demandai à Reisuke ce qui était arrivé aux personnes ayant été « évacuées » il me répondit tout simplement que je n'avais pas à m'en soucier. Je ne comptais pas vraiment m'en faire, mais j'allais devoir réfréner mes envies curieuses.


Nous nous installâmes sur un canapé, l'un en face de l'autre, séparés par une petite table, essayant de trouver un rafraîchissement non périmé de plus de trois mois dans le réfrigérateur, sans succès. Nous prîmes donc un simple verre d'eau, nous réunissant afin de mettre nos plans en commun.


« Écoute-moi bien. lança Reisuke. Nous avons fait un bond d'à peu près trente ans dans le futur. À cette époque, il y a un groupe de révolutionnaires qui s'est construit. Ils s'appellent « Purple Revolution ». Ce nom fait référence au « Purple Requiem » qui a instauré le système contre lequel ils se révoltent, pour instaurer à leur tour un modèle politique et économique différent au lendemain de leur rébellion.


— Je vois. répondis-je. Donc si je comprends bien, tu veux tirer profit de ce groupe.


— En effet. sourit-il. Lorsque Purple Revolution va commencer sa mutinerie, toutes les personnes en lien avec Izrath seront réunies au même moment, au même endroit, c'est-à-dire, la mairie. Mon objectif est d'utiliser toute la puissance soulevée par les summoners, les casters, les breeders, et autres pouvoirs d'Izrath, afin d'ouvrir la porte vers le troisième monde.


— Et l'objectif final ? demandai-je. Ne me dis pas que tu fais ça juste pour la puissance en mode « de la force ! Je veux de la force ! » ?


— Pas plus que tu n'es une blonde au teint clair et aux yeux verts. ricana le garçon. Mon but ultime est de réécrire l'histoire, tout simplement.


— Même pas la destruction du monde, je suis déçue. soupirai-je. Tu n'es vraiment pas ambitieux Reisuke.


— Détruire le monde n'est pas une finalité. Une fois détruit, tu n'as plus rien à faire. Un but, c'est une situation ultime dans laquelle tu souhaiterais être, et pour ma part je rayerais bien quelques mentions de l'histoire, afin de pouvoir modeler ce monde-là à ce que je désire. Pour régner éternellement. »


Les paroles de Kojiro me revinrent en mémoire. S'il avait l'envie, il aurait pu soumettre le monde à sa volonté comme cela l'arrangeait. C'était exactement ce que voulait Reisuke : se faire une place de choix sur la pyramide des sacrifices que représentait notre société, quitte à tout détruire dans le procédé.


C'était…terriblement viril. J'aurais même dit plus : abominablement sexy. Cela m'émoustillait. Je voulais vraiment me faire une place de choix dans la hiérarchie du chaos. Voir cette famille triompher après tout le mal que mon clochard avait subi était quelque chose que je voulais apprécier plus que tout au monde, alors j'allais faire de mon mieux pour réaliser ce souhait.


« Tu rêvasses ? me coupa Reisuke dans mes songes. Ou bien ruminerais-tu ta future trahison envers moi ?


— Moi, te trahir ? répondis-je amusée. Dans les deux cas, un présumé-traître dirait qu'il n'en est pas un, donc à quoi bon tenter de lire en moi de manière aussi peu subtile ?


— Il existe d'autres manières de lire dans le cœur d'une femme tu sais, Indy.


— Je suis curieuse de savoir ce qu'il en est, Reisuke. »


Il s'appuya sur la petite table nous séparant l'un de l'autre en utilisant son bras droit, puis, d'un geste rapide, il effleura furtivement mes lèvres en me dévisageant de par son expression profonde et sensuelle qui semblait comme sonder mon âme elle-même.


Il me testait. Il voulait savoir si j'étais capable d'entreprendre ce genre de choses avec quelqu'un que je méprisais, mais il se méprenait. Je ne le détestais pas. Bien au contraire, j'étais très curieuse de tout connaître sur ce personnage plein de mystères. Ainsi, pour toute réponse, je lui volai un autre baiser, le dévisageant à mon tour.


Il me lança un regard complice. Il ne me faisait cependant pas confiance. Il pensait au fond de lui que j'allais le trahir, c'était écrit dans ses yeux. Mais une part de lui semblait apprécier de prendre ce risque. Il semblait comme excité à l'idée de savoir si j'allais effectivement franchir le pas. J'aimais beaucoup cet aspect de Reisuke, celui de laisser une part d'incertain dans ses calculs. Et j'étais cette part d'incontrôlable qui pouvait détruire ses plans cette fois.


Notre relation était destructrice, imprévisible, s'épanouissant en même temps que nos ambitions viles et perfides. Il me vola un autre baiser furtif. Un sourire mesquin se dessina sur son visage. Il m'enivrait, cet homme d'ambition possédant tout ce que Kojiro n'avait pas. Je ne pouvais plus réfréner cette envie de tout connaître de cet être intriguant et mystérieux. Ainsi, j'enjambai la petite table nous séparant, afin de retrouver mon bandit du futur. Je l'embrassai avec passion et ardeur, m'asseyant sur ses jambes afin de pouvoir confronter son regard. J'y plongeai le mien, trouvant au fond de ses yeux une profondeur si immense que j'eus peur de m'y immerger.


L'adrénaline montait en moi et m'emportait telle un ouragan brûlant de désir. Je voulus déboutonner la chemise de mon homme, mais ce n'était pas assez rapide à mon goût. Ainsi, générant une lame dans ma main droite, je pus la déchirer en quelques secondes avant de couvrir de baisers celui dont j'étais éperdument amoureuse. Il se laissa faire, me scrutant d'un air intéressé, comme s'il ne s'attendait pas à ça de ma part.


Son souffle chaud mêlé à son intonation grave suffisait à m'emmener dans des contrées inexplorées. Tandis que je lui dévoilai l'entièreté de mon intimité, je le sentis venir vers moi, m'octroyant lui aussi des sensations desquelles je n'aurais jamais soupçonné l'intention de sa part, et ensemble nous nous étreignîmes dans un élan de passion et de destruction, comme un prélude à la conquête du monde. Dans ce quartier vidé de toute âme, au beau milieu du chaos, nous nous confiâmes l'un à l'autre, afin de sceller dans la chair une alliance irréversible.


Reisuke put contacter le leader du groupe Purple Revolution : Ricky Sawyer. L'homme qui avait un peu plus de la trentaine s'entretint rapidement avec lui afin de discuter du projet de ce dernier. Il ne fallut pas grand-chose pour que mon allié ne l'embobine dans sa cause : une promesse de pouvoir, suivi d'une démonstration dans laquelle Reisuke terrassa le plus gros des troupes de leur bande suffit à le rallier à sa cause. Ainsi, l'homme restait le leader officiel de l'escouade, mais mon manipulateur devenait le grand manitou le contrôlant dans l'ombre.


Le plus pervers dans cette alliance était sans aucun doute qu'aucun des membres du groupe de révolutionnaires n'était au courant qu'ils avaient été vendus par leur leader à celui qui lui avait promis le pouvoir absolu en échange de sa coopération. Ainsi, ils allaient tous se battre le jour J non pour leur cause, mais simplement pour servir de chair à canon afin que Reisuke ouvre les portes du troisième monde.


Pour ma part, j'étais occupée à surveiller les faits et gestes de Luna. Elle aussi était en train de s'accommoder à ce monde. Elle réunissait elle aussi des personnes capables de nous tenir tête. La guilde ETHER, qui n'était pas bien crédible mais recueillait en son sein quelques éléments à risque, comme cette Laïla ou ce Soichiro qui, d'après Reisuke, était l'instigateur du voyage dans le temps initial. Alors je restais vigilante, prête à la stopper dès que cela allait être nécessaire.


Je n'eus pas à le faire. ETHER n'était jamais qu'un ramassis d'imbéciles duquel se distinguaient deux ou trois éléments au-dessus du médiocre, mais en dessous de la performance moyenne. Même Laïla et Soichiro se sont finalement révélés trop peu sûrs d'eux pour pouvoir oser se retourner contre nous. Alors je passai plutôt mon temps à me préparer.


Un jour, Reisuke vint me voir, satisfait. Il reprit la parole à mon intention, affichant un sourire non dissimulé qui présageait une bonne nouvelle.


« Tu disais avoir perdu contact avec ton Izrathien n'est-ce pas ?


— C'est exact… soupirai-je avec tristesse. Je n'ai plus aucune nouvelle de lui et mon pendentif ne répond plus.


— Eh bien, je l'ai retrouvé. me sourit-il. J'ai localisé Ziakwer.


— Sérieusement… ? bégayai-je, abasourdie. Tu as vraiment retrouvé mon partenaire ? »


Il me répondit en acquiesçant, avant de me préciser qu'il allait revenir du soir même. Et comme il me l'avait prédit, il ne fallut que quelques heures de plus à attendre pour que je retrouve mon compagnon de toujours. Mon pendentif brilla de nouveau, tandis que mon Izrathien renouvela son contrat avec moi.


Reisuke m'expliqua que Ziakwer était parti pour me protéger de l'assaut de l'organisation me pourchassant à l'époque. Il avait été directement à leur siège pour les occuper afin que je puisse accomplir ma mission sans obstacle. Il ne m'aurait rien dit pour ne pas m'alerter et me causer du souci, ce qui était noble, même si j'en avais beaucoup souffert.


Ce jour-là fut celui où je plaçai mon entière confiance en Reisuke. Il était suffisamment imprévisible, suffisamment ambitieux, pour tout entreprendre. Y compris la conquête de mon cœur et de mon corps. Il avait consolidé mon sentiment envers lui en résolvant ce problème qui me tenait à cœur, mêlant mon amour à ma reconnaissance pour former une dévotion de corps et d'esprit qui était insurmontable. Peut-être étais-je manipulée, ou peut-être que non, mais dans tous les cas, compte tenu de ce que je savais sur le combat de Reisuke et de Kojiro, j'étais prête à agir pour ce qui me semblait juste moi aussi.


Tout était presque prêt. Nous n'avions plus qu'à trouver « la jeune fille au dragon des étoiles ». Je ne savais pas ce que voulait dire Reisuke par là, mais il était formel : écarter cette personne ferait en sorte d'augmenter nos chances de réussite de 70 %. Nous l'avions localisée au mouvement ESPer, en la présence de Jessica Leocaser, deuxième meilleur élément de la fédération en question. Ainsi, nous décidâmes d'aller mener une mission de raid, qui comble de la chance était organisée au même moment que l'assaut d'ETHER sur ESPer.


Je n'eus finalement besoin d'user d'aucun de mes pouvoirs, puisque la jeune blonde effrontée se laissa convaincre par un simple discours. Et encore, discours était un bien grand mot pour qualifier mon argumentaire face au second meilleur élément d'ESPer.


« Veux-tu venir avec nous, Jessica Leocaser ? Nous allons sûrement détruire le monde et nous cherchons des gens qui aimeraient le voir s'écrouler.


— Compte sur moi ma poule ! m'avait-elle répondu, enthousiaste. Je viens de suite ! »


Ainsi tout était fin prêt. Nous avions la fille au dragon, ou plutôt, elle nous avait, puisque le pauvre Shinji devait faire avec ses envies, ses caprices, et ses insultes. Et il n'était pas le seul. Plus ou moins tout le monde avait fini victime des désirs de la blonde, excepté Ricky, Reisuke et moi, ce qui me fit remettre en question le caractère « révolutionnaire » du groupe. J'avais presque envie d'écarter tout le monde de la mission et recruter cette fille en seule et unique membre de l'escouade.


Mais Reisuke ramena avec lui une autre recrue, et pas n'importe laquelle. Hakaze Namatame, dans une forme plutôt délicate. Il m'avança que sans elle, ils étaient perdus. Elle était la seule intellectuellement potable du groupe, ce qui donnait trois longueurs de retard à nos ennemis qui l'avaient perdue selon lui.


« Méfiez-vous d'une chose. nous prévint Ricky. La femme qui a causé le Purple Requiem a monté un mouvement de son côté, du même nom que celui de Soichiro. Ils pourraient venir tout faire capoter, ce sont des cinglés.


— Ne vous en faites pas. s'avança l'un de nos membres. Je connais bien la fédération ETHER de Violet. Je m'assurerai qu'ils n'interviennent pas.


— Nous comptons donc sur toi Eric. reprit Ricky, satisfait. Fais tout ton possible pour les détruire. »


Et cette fois, nous étions parés à toutes les éventualités, et nous allions vaincre. L'ultime affrontement pouvait avoir lieu.





Spoiler :


Une bonne nuit de sommeil avait été suffisante pour me requinquer physiquement. Malgré tout ce que j'avais subi quelques jours plus tôt au mouvement ESPer, j'étais de nouveau capable de me battre. Je m'étais levé aux aurores, bien avant Erika qui, toujours affalée sur ma couche, ne me sentit même pas me mouvoir hors du lit pour me diriger vers la salle commune. Tout le monde dormait encore, et pour cause, il était à peine cinq heures du matin. Les rayons du soleil pénétraient les murs de la guilde ETHER, laissant le soin aux vitraux des salles d'illuminer l'espace de lueurs multicolores.


L'ambiance était particulièrement reposante et saine. Si agréable que j'en oubliai l'espace de quelques minutes le pourquoi j'étais ici. Mes responsabilités n'existaient plus. Je redevenais un enfant aux émotions candides, émerveillé par quelques lumières colorées se reflétant dans mon regard. Cela m'inspirait des tas de sentiments, des tas de rêves, des tas d'espoirs.


Mais je ressortis vite de cet état de béatitude matinale. La réalité me rattrapa aussitôt m'avait-elle quittée. Je devais me préparer à toute éventualité alors que mon ultime affrontement allait avoir lieu. Ainsi, je retournai dans la chambre m'étant généreusement allouée par Soichiro et la guilde. J'ouvris le chevet, sortant un cahier dont j'arrachai quelques pages, ainsi qu'un stylo bleu afin d'écrire quelques lignes qui me pesaient sur le cœur.


Cette lettre, je l'adressai à Reisuke, mon frère. Comme redoutant l'issue de notre affrontement, je voulais garantir la bonne réception de mes sentiments à son égard. Je devais m'assurer que toutes les vérités qu'il ignorait lui parviendraient peu importe le sort qui allait m'être réservé. Ainsi, je commençai par lui écrire quelques phrases, avant de finalement me laisser emporter dans mon écriture. Je lui dévoilai toutes mes craintes, toutes mes faiblesses, tout mon amour, sur le fond véridique d'une histoire singulière.


Je ne pouvais m'arrêter d'écrire. Tandis que mon stylo bille se mouvait au rythme de mes battements de cœur, des pulsations émotives d'un grand-frère à la dérive. J'avais le sentiment de poser mon fardeau, de déposer mes bagages émotionnels sur les épaules d'un autre. Je me sentais à la fois soulagé, et coupable de retranscrire ce lourd contenu qui allait peut-être causer encore plus de mal que les actions passées elles-mêmes.


Une page, puis deux, puis vint une troisième. Éclairé par l'aurore pénétrant ma chambre au travers d'une vitre, je repensais à tout ce que j'avais vécu pour en arriver à cet instant, tandis que je revivais simultanément chacun des instants que j'évoquais dans cet ultime témoignage à mon petit-frère. J'espérais ouvertement ne jamais avoir à transmettre ce qui pouvait être assimilé à un testament, que j'allais pouvoir tout lui raconter de vive voix, mais s'il y avait bien une chose qui était incertaine, c'était l'issue de mon affrontement avec Purple Revolution et Reisuke.


Car au fond, je n'étais rien. Ni un héros, ni un vilain. Ni un leader, ni un guerrier. Je n'étais rien d'autre qu'un garçon aussi perdu que celui qu'il voulait sauver. Et j'aspirais à retrouver mon chemin en guidant le sien, car c'était mon rôle de grand-frère. Je devais rassembler ma confiance, devenir plus fort, pour pouvoir tendre la main vers Reisuke et le sortir de la perdition, peu importe la violence qu'il allait déployer pour me faire reculer.


De longues minutes passèrent, puis des heures. Lorsque j'eus enfin fini de laisser couler le torrent de sentiments composant l'encre de mon stylo, je poussai un soupir de satisfaction. Je relis grossièrement ce que j'avais écrit, et j'en fus satisfait. Je pouvais désormais soigneusement ranger ces précieuses feuilles de papier contenant mon âme elle-même dans la poche de ma veste, afin de les sortir en temps voulu.


J'étais fin prêt. Erika, Diamond, et Cram dormaient encore à poings fermés tandis que le réveil affichait sept heures trente. J'en profitai pour rassembler mes affaires et quitter la guilde ETHER afin de me rendre directement sur le chemin menant à la mairie, loin de Slyburn, loin de tout. Mais alors que je pensais être le seul à avoir eu cette idée, je me rendis compte que ce n'était pas le cas. Soichiro était sorti lui aussi. Il avait rassemblé quelques effets personnels et prenait la route vers l'autre moitié de la ville, tout comme moi.


Je m'avançai vers lui afin d'entamer une discussion, encore sous le coup de la surprise.


« Soichiro…!? m'exclamai-je, stupéfait. Que faites-vous ici si tôt le matin ?


— Je pourrais te poser la même question gamin, me répondit l'homme l'air narquois. Je suppose que nous avons eu la même idée, n'est-ce pas ?


— J'imagine que oui, soupirai-je, amusé par la situation. Vous ne pouvez vous résoudre à mettre en danger les personnes importantes pour vous n'est-ce pas ?


— En effet. La situation dans laquelle se trouvent Yokohama et Tokyo est ma responsabilité, reprit Soichiro, sérieux. Si Purple Revolution compte renverser la ville, c'est parce que j'ai contribué à l'instauration de la dictature de Sawyer en laissant les deux moitiés se creuser. Autrement dit, c'est de ma faute, à moi et moi seul, si un tel évènement doit se produire.


— Et la situation dans laquelle se trouve Hakaze est ma responsabilité également, répondis-je tout aussi sérieux. C'est elle qui a accepté de m'aider pour venir en aide à mon frère. C'est à cause de moi qu'elle s'est risquée dans tout cela et qu'elle s'est laissée emporter par les ténèbres. Il est de mon devoir de la ramener à elle.


— Et je ne mettrai personne en danger pour réparer les dégâts que j'ai causés, lâchâmes-nous au même moment.


— Je suppose donc que l'on peut faire route ensemble et tout résoudre à nous deux ? s'amusa le maître de la guilde ETHER.


— Évidemment. C'est même notre devoir de le faire. Et nous rentrerons en héros. »


L'homme au regard profond, presque mystique, se contenta de soupirer avant de reprendre la route, traînant derrière lui ses quelques effets personnels qu'il avait emportés. Ainsi nous progressâmes ensemble vers le port de la moitié délabrée qui représentait Slyburn. Les environs étaient toujours empreints de l'odeur nauséabonde provenant des ordures jonchant les rues de la demi-ville laissée à l'abandon tandis qu'ils étaient aussi vides que le cerveau d'un candidat de télé-réalité. Cela donnait une atmosphère dérangeante à l'endroit dans lequel nous nous trouvions. Comme si la mort était venue en personne décimer toute vie alentour en laissant derrière elle une odeur de pourrissement qui empoisonnait le peu d'êtres ayant survécu à son passage. Soichiro regardait attentivement chacun des recoins de cet endroit qu'il habitait désormais. Je pouvais lire des tas de choses dans ses yeux : de la culpabilité, du remords, et un vide qui semblait suffisamment prononcé pour empêcher quiconque d'y remédier.


« Tu sais Hiroki, entama-t-il, évasif. Avant d'aimer la mère de Hakaze, j'ai connu une autre femme. Violet, Violet Leblanc. Une personne fantastique. Elle avait l'art de tirer le meilleur de mon existence. Elle me donnait un idéal à poursuivre sans me rabaisser. Elle savait me rendre plus fort, plus curieux, plus ambitieux, tout en brillant comme personne d'autre ne pouvait le faire à mes yeux.


— Je comprends ce sentiment… murmurai-je en repensant à quelques instants passés avec Hakaze. Et comment cela a-t-il fini ?


— Nous nous sommes séparés en raison du Purple Requiem. Romain Sawyer, l'actuel maire ayant survécu au drame, a accusé Violet d'avoir causé la catastrophe, alors pour laver son nom j'ai tout pris sur moi. Elle n'a jamais accepté ce choix et a pris la décision de partir loin d'ici pour retourner en France.


— Je vois… soupirai-je. Je suis désolé, Soichiro.


— Inutile de compatir. Sans cet évènement je n'aurais pas contribué à mettre au monde celle que tu veux comme épouse. Mais tu vois, depuis le départ de Violet, je me suis promis quelque chose. Pour laver son nom définitivement, il ne faut pas la blanchir auprès des autres, mais auprès d'elle-même. La personne qui juge le plus mon ex-fiancée dans cet univers n'est pas derrière un écran de télévision, elle est au fond d'elle. Alors tu comprends, je me refuse de la revoir tant que je ne peux pas lui montrer que j'ai réussi malgré avoir pris sa défense.


— Et une fois que vous l'aurez revue… ? Que ferez-vous ?


— Je m'excuserai pour ne pas avoir tenu compte de ses sentiments, je crois. Ou bien je m'écroulerai dans ses bras en l'implorant de recommencer. Peut-être que je passerai à côté d'elle, bien trop honteux pour lui avouer mon parcours, ou que je culpabiliserai pour m'être attaché à une autre. J'ai tant de fois imaginé nos retrouvailles, et je n'ai jamais eu une réponse définitive. »


Je souris. Même pour Soichiro, les histoires sentimentales étaient compliquées. Il suffisait de le voir rougir au simple fait d'évoquer les temps passés avec son ex-fiancée pour comprendre que l'homme factuel avait disparu au profit d'un garçon pris dans des déboires sentimentaux qui le tourmentaient de l'intérieur.


Arrivée sur la jetée, nous n'eûmes pas grand-chose à faire pour trouver comment continuer. Le leader d'ETHER avait déjà préparé un bateau qui allait le transporter jusqu'à l'autre côté de l'immense étendue d'eau séparant Slyburn de Slyfair. Il me fit signe d'y monter, je m'exécutai, et ensemble nous nous dirigeâmes vers les hauts quartiers de la ville.


Comme nous le craignions, Soichiro et moi, l'attaque contre la mairie avait déjà débuté. Des hélicoptères de médias étaient en vol, rassemblés autour de l'immense bâtiment faisant office bureau au maire et au gouvernement qui s'y rencontrait régulièrement. Je ne distinguai pas le pic de ce complexe de quarante-huit étages de là où je me trouvais, mais une chose était certaine : les combats avaient commencé dans les quartiers inférieurs des tours.


La foule s'était accumulée autour de ce qui semblait être le chaos du siècle. Les partisans du groupe révolutionnaire étaient venus en nombre, armés de leurs pancartes et revendications se multipliant à foison en ce début de matinée se voulant obscur. Ils n'hésitaient pas à huer les forces de l'ordre, la garde de Slyfair qui les empêchait de pénétrer l'immense complexe, ni à acclamer le ramassis de rebelles chaque fois qu'une explosion retentissait. L'ambiance était malsaine. Elle criait un appel au sang et à la mort qui était insupportable à entendre. « Libérez Slyfair », « A mort Sawyer », tous tenaient des pancartes différentes, habillés de vêtements violets pour se reconnaître entre eux.


Mais alors que je me demandais comment j'allais entrer, je remarquai quelque chose d'étrange. Un des hommes postés dans les gardes me rappelait quelqu'un… Non, je ne le connaissais que trop bien même. Ces cheveux bruns, cette balafre, et cet air rigide qu'il affichait lorsqu'il était en « mode inspecteur »… Cet homme, c'était Masamune Nishijima, mon supérieur dans la brigade criminelle d'ETHER, mais des années plus jeune.


Soichiro le notifia également. Après tout, le futur commissaire était un de ses amis les plus chers. Ainsi, nous nous frayâmes un chemin au travers la foule déchaînée, jusqu'à arriver devant le pauvre balafré qui peinait à contenir la situation.


« Violet est ici ? lui demanda directement Soichiro en réprimant une grimace.


— Je ne suis pas autorisé à dévoiler cette information, se moqua le représentant de l'ordre. Par contre, j'ai un thé à la menthe sur le feu si tu veux pour la pause !


— Laisse-nous passer et je le goûte quand tu veux, repris-je, sachant à quel point l'homme devenait docile lorsque l'on lui promettait de tester son breuvage.


— Oublions le thé tu veux, me coupa-t-il, sérieux. Soichiro, je savais que tu viendrais ici. Je t'ai noté les salles de contrôles du bâtiment. C'est de là que les terroristes utilisent la communication radio, ainsi que l'accès au réseau et à la retransmission télévisuelle. Ils communiquent leurs revendications comme ça, donc j'imagine que l'une des têtes doit s'y trouver.


— Et concernant la tête principale ? rétorqua le père de Hakaze alors que j'essayais de contenir la foule pendant leur discussion. Tu sais de qui il s'agit ? Un visage connu ?


— Oui. Ricky Sawyer. Lança le futur commissaire en se mordant la lèvre. Soichiro je t'en supplie, il faut que tu règles le problème avant que Violet ne décide de s'en charger personnellement. Je suis persuadé que tu es le seul capable de vaincre Sawyer. Ne fais pas souffrir notre camarade plus qu'elle n'a souffert. »


Il n'eut le temps de rien ajouter. Il donna un bout de papier sur lequel était imprimé un plan du bâtiment, me laissant remarquer qu'il avait entouré certaines zones spécifiques. Soichiro grimaça. Il m'ordonna de le suivre, ce que je fis sans réticence, et enfin, nous pénétrâmes nous aussi sur le champ de bataille.


L'intérieur de la mairie de Yokohama était marqué par un désordre considérable. Tout était chamboulé au possible. Une odeur de brûlé provenant de documents auxquels on avait mis feu venait m'intoxiquer les poumons, mêlée à une senteur désagréable semblable à de la viande carbonisée. Je scrutai les environs d'un œil un peu plus attentif, comprenant alors dans quoi nous venions d'atterrir.


Le parfum désagréable ne provenait pas de gibier, mais de dépouilles d'hommes et de femmes, tous carbonisés, encore en train de se consumer. Ils portaient tous un uniforme dont les couleurs avaient été aspirées par les flammes, mais dont le restant de forme indiquait qu'il y avait une logique entre eux. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre qu'ils étaient des employés de la mairie. Des agents au service de Romain Sawyer qui avaient été tout bonnement massacrés par je ne savais qui.


Nous passâmes à côté de ces corps sans sourciller, Soichiro et moi. Les morts ne pouvaient être ramenés à la vie. S'attarder sur leur sort n'était qu'une perte de temps. Alors nous progressâmes en empruntant les escaliers menant à l'étage supérieur. Tout était dans le même état qu'au rez-de-chaussée. Le sang, le souffre, la mort, tout était présent. Cela ne ressemblait pas à une révolution, mais à un acte de terrorisme barbare. Soichiro avait raison. Si ce groupe prenait le pouvoir, cela allait marquer la fin de la civilisation telle qu'elle nous était décrite. Il fallait absolument que quelqu'un les arrête, et le père de Hakaze s'était autoproclamé candidat idéal.


Nous nous hâtâmes. En effet, des hommes provenant de je ne savais quelle organisation arrivèrent, nous faisant nous dépêcher d'un seul coup afin de rester hors de leur champ de vision. Soichiro longeait les murs, ayant sorti un revolver. Il m'en confia un autre, m'invitant à le suivre en toute discrétion tandis que l'on évitait de se faire repérer par l'escouade de gardes. J'eus un élan de doute. Je n'avais jamais tué un être humain par le passé. Allais-je en être capable ? Certes, mon travail impliquait la protection de la population, mais j'étais encore un simple officier qui devait remplir un rapport chaque fois qu'il tirait, même pour intimider. Comment étais-je censé gérer l'urgence ?


Cette question était idiote. Si insensée que je ne pus m'empêcher de soupirer face à ma bêtise. J'avais prêté serment de protéger et servir, et c'était exactement ce que j'étais en train de faire. Chaque personne que j'allais abattre de cette arme n'était qu'un monstre capable de tuer pour la simple appartenance à un personnel de mairie. Ces gens n'avaient aucune raison, et il était impossible de discuter avec eux.


« Je vous couvre, Soichiro, murmurai-je. Je vous rejoindrai au sommet dès que j'en aurai fini avec eux. »


Il n'eut même pas le temps de contester que je sortis de ma cachette, m'élançant dans le couloir menant à l'ascenseur gardé par les troupes de Purple Revolution. Courant à perdre haleine, je fus vite remarqué par les gardes qui sortirent leurs armes à feu et les braquèrent sur moi. Un coup de feu retentit. Un bruit sourd qui me fit mal aux oreilles, mais comme je le pensais, il ne m'avait pas atteint.


Zéphyra s'était interposée grâce à un champ de force dont elle avait le secret, laissant en suspend la balle m'étant initialement destinée. Je souris. Je savais qu'elle ne pouvait pas se permettre de me perdre à une étape si cruciale sur le chemin me menant à Hakaze. Alors j'en profitai pour tirer autour de l'escouade, visant de manière volontaire à côté du groupe d'hommes se dressant face à moi. La bande provoquée, je pus prendre la fuite dans la direction opposée à l'ascenseur, permettant à Soichiro de s'y faufiler une fois la horde maîtrisée.


Ils hurlèrent qu'ils allaient me tuer et que je ne fuirais pas longtemps alors que je savais pertinemment que tant que Zéphyra serait avec moi, il leur serait impossible de me toucher avec des armes à feu. Ainsi, je déambulai dans les couloirs du premier étage de la mairie, cherchant à les semer en prenant l'ascenseur de la seconde tour jusqu'au quarante-huitième, cependant, tandis que j'allais parvenir à mes fins, je fus stoppé par quelque chose de soudain et inattendu.


Un faisceau étincelant bleu me frôla. Je réussis à m'extirper de justesse pour ne pas finir exterminé de manière instantanée par l'attaque. Je me retournai vers la direction d'où provenait ce coup de traître, avant de me rendre compte, sans réelle surprise, de qui en était à l'origine.


Le breeder tyrannique. Cette enflure qui avait essayé de me rayer de la carte avec son armée des ténèbres. Celui qui avait fait du mal à ce pauvre Cram qui en était encore traumatisé. Le garçon aux cheveux noirs et aux yeux mauves à l'air impassible et méprisant. Le jeune homme qui incarnait l'opposé de toutes mes valeurs et tous mes principes.


« Laissez, déclara-t-il de sa voix profonde. Je me charge de celui-ci.


— Shinji… grognai-je, à la fois haineux et satisfait d'avoir recroisé son chemin. Donc tu es vraiment au service de Purple Revolution…


— En effet, lâcha-t-il sans état d'âme. Nous avons pris d'assaut la mairie et nous comptons bien nous en emparer. Et toi, non content d'avoir échappé à mon armée d'Izrath, tu comptes venir jouer les trouble-fêtes en t'interposant de nouveau.


— Tu crois vraiment pouvoir me battre alors que j'ai échappé à ton armée ? rétorquai-je en repensant à tout ce qu'avait vécu Cram. Je n'attendais que ça de te revoir afin de t'exterminer !


— Épargne-moi tes beaux discours sur la fonction d'un breeder, doupira le jeune garçon. Lorsque j'ai rappelé mon armée, j'ai remarqué qu'il manquait un de mes soldats. J'ai d'abord cru que tu l'avais tué, ce qui aurait justifié son absence, puis je me suis rendu compte que tu as décidé de l'adopter. Cet Izrathien est ma propriété, je vais donc le récupérer.


— Jamais je ne te rendrai Cram. Il a appris à aimer les autres et à vivre normalement. Je ne te laisserai pas le replonger dans son traumatisme.


— Je m'attendais à ce genre de réponse. À vrai dire, j'espérais te revoir. Tu as suscité ma curiosité, toi qui te bats pour les Izrathiens sans même avoir la moindre puissance pour les protéger. Je vais te prouver une bonne fois pour toutes que tu ne peux rien face à ma puissance, et lorsque cela sera fait, je me chargerai de mettre la main sur toutes les créatures que tu contrôles. »


Le dragon d'au moins trois mètres de long réapparut derrière Shinji qui afficha une satisfaction non dissimulée face à l'apparition de son monstre. Il détruisit dans la foulée les murs séparant tout l'espace du premier étage afin de créer une large pièce désordonnée et sentant la poussière qui allait nous servir de champ de bataille. Par chance, la créature n'avait détruit aucun mur porteur, ce qui sauva tout le monde ici présent d'une mort certaine. Mais la partie allait s'annoncer difficile. L'hybride reptile/dragon aux écailles blanches et aux yeux bleus semblait prêt à me dévorer dès que son maître lui en donnerait l'ordre.


Je me lançai finalement dans l'affrontement, portant sur mes épaules le sort de Cram, de mes Izrathiens, ainsi que des habitants de cette ville.





Spoiler :


Le féroce dragon de trois mètres de long s'élevait jusqu'au haut plafond de l'étage dans lequel nous nous trouvions, tandis que j'appréhendais fortement la créature. Elle était simultanément étincelante et terrifiante. Si imposante que je sentais l'haleine générée par son souffle chaque fois qu'elle expirait de l'air.


Je déglutis. Une grosse goutte de sueur perla sur mon front tandis que je restais en alerte, guettant le moindre mouvement de la créature afin de l'esquiver et gagner du temps.


Mais alors que j'attendais le moindre signe du monstre, quelque chose me percuta de plein fouet à une puissance phénoménale, me projetant au sol. Je me relevai difficilement en grimaçant, lorsque je m'aperçus que l'être inconnu passait déjà à l'attaque. Une seconde plus tard et j'aurais pris ce projectile tranchant en plein dans la tête. À la place, il s'écrasa contre le sol dans un bruit sourd. Je me repris d'une roulade avant de me relever, m'apercevant au passage que cet assaut n'était pas l'œuvre du dragon, mais de Shinji lui-même. Stupéfait, je perdis mes moyens. La créature ne bougeait pas d'un pouce, mais me fixait d'un air déterminé, comme si elle était impliquée elle-même dans le combat.


Je pris quelques mètres de recul afin d'analyser la situation. En tant que breeder, je pensais vraiment que Shinji était incapable de se battre seul. Pourtant, il se déplaçait à une vitesse phénoménale et bondissait sur moi tel un animal afin d'écraser une puissance colossale sur moi. Je le bloquai à plusieurs reprises, puisant sur ma maigre énergie spirituelle afin de le contenir, mais il ne me fallut que quelques minutes pour être au bout de mes capacités, alors que le jeune garçon, lui, était toujours fièrement sur ses deux jambes.


« Déjà en train de mordre la poussière ? railla une voix grave que je ne connaissais que trop bien. Je t'ai vu en meilleure forme mon jouvenceau.


— Que fais-tu ici Medrawt !? m'exclamai-je en voyant le blond arriver. N'étais-tu pas rentré en Izrath à notre époque après avoir perdu contre Indy ?


— Du calme messire, soupira le blond. Je ne suis que dans votre esprit grâce à mes facultés d'Izrath. Si vous voulez pourfendre ce vil scélérat, mais que vous n'êtes qu'une boursemolle, alors laissez-moi vous éviter le trépas ! Je vous prie d'accepter cette épée de ce preux chevalier de moi. »


Quelque chose se matérialisa sous mes yeux en une fraction de secondes tandis que le chevalier noble disparut des environs. Cette épée… Était celle que j'avais laissée dans la forêt de Soichiro avant de partir pour le passé. Mon arme dévouée, celle avec laquelle je pouvais pourfendre les gueux et leurs couardises. Celle qui réveillait le destrier enfoui au plus profond de mon cœur. Mon épée de guerrier.


Je me saisis de la lame et la porta sans aucune difficulté afin de contrecarrer l'attaque de Shinji que je bloquai sans qu'il ne puisse passer au travers.


Je repris de l'assurance tandis que je me jetai sur mon ennemi, cette fois, revitalisé. J'avais retrouvé mes vieux réflexes de combattant, prêt à abattre mon épée sur celui qui m'entravait dans ma progression. Il esquiva d'un mouvement souple du corps mon premier coup, puis le second, mais alors que j'allais abattre le troisième, il se contenta de saisir ma lame à mains nues afin de la bloquer. Je reculai instinctivement afin d'éviter de me prendre une contre-attaque prévisible, tandis que le jeune homme lui, me regardait toujours aussi défiant et méprisant.


« Tu as sorti une belle arme dis donc, railla Shinji. Malheureusement cela ne suffira pas pour me vaincre.


— Cette épée est spéciale, repris-je, déterminé. Elle appartenait autrefois à un puissant guerrier, camarade d'armes d'un de mes amis les plus chers. Et cet homme a disparu, alors en attendant qu'il récupère son dû, j'ai juré de protéger ce trésor à sa place. »


Je brandis le cadeau que Medrawt m'avait prêté en attendant le retour de son ami. Une lumière étincelante s'en dégagea rapidement, se répandant dans les alentours comme si j'avais diffusé un gaz coloré. En quelques secondes, tout mon espace était désormais imbibé de la couleur de mon épée : un jaune soleil magnifique qui faisait luire tout l'espace de combat.


« L'épée des nobles ! lâchai-je, déterminé. X-Caliburning ! »


L'arme blanche que je tenais s'embrasa rapidement afin de se consumer totalement. Ces flammes ne m'affectaient pas, ce qui me permit de garder les deux mains sur l'objet brûlant et diffusant des braises de manière continuelle tout autour de nous.


Je me jetai sur Shinji beaucoup plus rapidement que la première fois, laissant une traînée de flammes derrière moi. L'épée que m'avait offerte Medrawt était bien particulière et me correspondait parfaitement. Elle appartenait à Bertelot, un autre chevalier que le blond fréquentait dans ses jeunes années, et elle possédait des propriétés la rendant spéciale. Plus le porteur possédait des sentiments forts, plus elle s'embrasait et décuplait ses capacités physiques. Et pour moi qui étais revenu dans le passé dans le seul but de mettre mes émotions au clair, c'était l'arme parfaite.


Pour seule motivation, j'avais de l'amour. L'amour de Hakaze, mais aussi et surtout, celui porté à mon frère, Reisuke. La simple pensée de les ramener tous les deux sains et saufs à la maison me procurait un sentiment de puissance, de responsabilité, et me poussait à repousser mes limites. Ainsi, malgré ses efforts, le breeder tyrannique ne put éviter l'assaut frontal se laissa propulser dans la direction des fenêtres de la mairie de Yokohama. Il réussit néanmoins à se rattraper en projetant une énergie azur translucide qui se planta dans le sol, laissant l'individu l'utiliser en tant qu'appui afin de se propulser de nouveau vers moi. L'espace d'un instant, je crus discerner dans son cri de rage un rugissement de dragon à moitié étouffé par la voix grave et profonde de mon adversaire. Cela me surprit, mais ce ne fut pas assez pour m'arrêter.


J'esquivai son attaque, et comme je l'imaginais, il me montra ses autres facultés. Il semblait pouvoir rester en suspend dans les airs, chargeant sous ses pieds une énergie de même couleur que les projections qu'il envoyait afin de se servir de sa pression pour flotter dans les airs. Ainsi, il se battait habilement en alternant coups de pieds, coups de poings, tout en m'évitant par des pirouettes et saltos gracieux et montrant sa souplesse dont lui seul avait le secret.


« Alors breeder de seconde zone !? me défia-t-il alors que je parais ses coups rapides et multiples. Toujours pas décidé à appeler une créature à la rescousse ?


— Dit celui qui se bat tout seul ! grimaçai-je. N'as-tu pas remarqué que ce n'est pas un combat entre breeders, mais simplement un affrontement entre toi et moi !?


— Je n'en serai pas si sûr. répondit Shinji, en prenant quelques mètres de recul, l'air moqueur. Ce n'est pas parce que Karbohn n'attaque pas qu'elle ne participe pas au combat.


— Karbohn… ? repris-je en dévisageant le dragon inactif. C'est cette créature ?


— Je n'ai pas l'habitude de nommer ces choses. reprit mon interlocuteur. Mais pour ce dragon c'est différent. Elle est la plus puissante que je possède, donc elle a bien le droit à de la reconnaissance, aussi faible soit-elle. »


Je grimaçai. Le simple fait qu'il utilise le mot « choses » pour parler d'êtres vivants me donnait l'envie d'en finir ici et maintenant. Les flammes de mon épée réagirent à ma colère, puisqu'elles devinrent deux fois plus grosses, d'un rouge vif qui semblait autant vouloir en découdre que moi à cet instant précis.


Alors que je reprenais mon assaut, je me posais des tas de questions. Pourquoi Karbohn n'esquissait-elle pas le moindre geste pour m'affronter ? Après-tout, je rivalisais avec celui qui s'occupait d'elle, et elle ne daignait même pas essayer de le défendre.


Peut-être ne l'aimait-elle pas, ou souhaitait-elle que je gagne ? Ce n'était pas non plus une option, puisque sans contrat, elle était libre de faire ce que bon lui semblait, y compris attaquer avec moi celui qui l'avait élevée. Elle n'était passible d'aucune peine, car son statut était Izrathienne non affiliée de manière définitive à un être humain. Alors pourquoi n'intervenait-elle pas dans le combat ?


Cette question restait dans ma tête alors que je croisai le fer avec le garçon aux cheveux noirs et aux yeux mauves qui, lui, semblait déterminé à me pourfendre de sa lame. Lorsque nos épées s'entrechoquèrent, j'en profitai pour plonger mes yeux dans ceux du breeder tyrannique. Un moment passa comme au ralenti, me laissant le dévisager afin de voir ce qu'il se passait au plus profond de son âme.


Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre. Ainsi, en prenant en compte l'information que je venais d'assimiler, je devais de nouveau revoir mes plans afin de lancer une attaque efficace.


Shinji réapparut furtivement derrière moi. Sans mon audition parée à toute épreuve, jamais je n'aurais eu le temps de le percevoir et brandir mon épée afin de bloquer son flux lumineux abondant, me protégeant ainsi de son attaque. J'en profitai pour saisir le garçon par le col, bloquant avec toute la fermeté du monde les mouvements qu'il tentait de faire. Je le balançai violemment au sol. Si rapidement qu'il dut se laisser écraser.


Posé à terre, je réussis à générer des liens de flammes qui l'y tinrent, et lorsqu'il fut mon captif, je brandis mon épée au-dessus de lui afin de le transpercer une fois pour toutes. Son expression était dérangeante. Elle n'avait rien de naturel. Il était beaucoup trop serein face à la mort, alors que lui-même avait causé la disparition de tas de personnes. J'hésitai. Peut-être que ma méthode n'allait pas être la meilleure et que j'allais simplement répandre le sang pour rien… Mais ma conscience intérieure m'assura que c'était une bonne solution.


Ainsi, au lieu de planter mon épée dans la chair de mon ennemi, je me retournai à la dernière seconde afin de la projeter droit sur Karbohn, la laissant s'écraser dans un bruit sourd, plantée juste à côté du dragon lumineux.


« J'ai hésité, lâchai-je, glacial. Je pensais qu'en tuant Shinji tu allais venir à sa rescousse, ou m'aider à le faire, mais tu t'es contentée de rester spectatrice durant tout le match entre lui et moi. »


Le dragon ne me répondit pas. Quoi de plus normal après tout ?


« Cependant, enchaînai-je. Ta passivité, et le fait que Shinji n'aurait jamais combattu à la place d'un Izrathien me conforte dans mes déductions. Je pensais vraiment qu'il était un breeder tyrannique ne se souciant pas des sentiments de ses amis, de sa famille reconstruite par Izrath, mais j'ai commis une erreur.


Les rôles sont inversés. Le maître du jeu ici, c'est toi, Karbohn ! »


Le dragon ne sourcilla pas. Venais-je vraiment d'élucider un mystère qui se cachait avec le talent d'un maître ? Je n'en étais pas certain moi-même. Après tout, Shinji gardait sa détermination habituelle et tentait de se débattre des attaches enflammées qui le retenaient prisonnier de mon offensive, et cela semblait colle à sa personnalité. Mais le simple fait qu'il n'envoie aucun Izrathien au casse-pipe et qu'il se batte lui-même suffisait à me mettre la puce à l'oreille. Il l'avait bien dit, qu'un breeder pouvait se permettre de perdre un membre de sa tribu. Alors il n'avait aucun intérêt à protéger Karbohn, à qui il avait donné un nom qui plus est.


« Je vois… soupira une voix féminine déformée par un écho plus aigu que son timbre d'origine. Je suis donc démasquée. Je n'aurais jamais cru cela possible. »


Je restai bouche bée. Karbohn venait-elle vraiment de prendre la parole ? Exactement comme une humaine ? Et par-dessus tout, avait-elle véritablement avoué que mes déductions étaient exactes ? Je reculai d'un pas, redoutant ce que j'allais entendre. Une expression mesquine se dessina sur la gueule du dragon qui me dévisageait désormais clairement. Elle se moquait ouvertement de moi, me scrutant de ses pupilles irisées. De mon côté, j'avais l'impression de vivre une vaste blague face à un tel retournement de situation.


« Félicitations, tu m'as démasquée, lança le dragon dont la voix résonnait dans les alentours sans qu'elle ne soit contrainte d'ouvrir la gueule. Je suis en effet celle qui manipule Shinji, et non l'inverse. Je me présente : Karbohn, véritable breeder d'Izrath. Je collectionne les humains afin de les asservir et ce jeune garçon est ma prise du moment.


— Waah… s'extasia une voix grave, hautaine, mais féminine provenant de nulle part. Trop stylé le plan ma poule, ça me branche trop sérieux. »


Je me tournai vers la provenance de cette voix, me laissant apercevoir celle que j'avais affronté quelques jours plus tôt au mouvement ESPer : Jessica. L'effrontée blonde au regard perçant capable de manipuler quiconque allait se mettre en travers de sa route. J'avais la poisse. Allais-je vraiment devoir affronter cette psychopathe en même temps que la dragonne et sa marionnette ? Si gérer Shinji était facile, devoir affronter trois menaces était complètement hors de ma portée. Pourtant, j'avais l'impression que l'esper n'était pas ici pour se battre avec moi. Lorsqu'elle reprit la parole, elle haussa les épaules.


« Si tu te demandes pourquoi je suis là, déclara-t-elle sans exprimer d'émotion quelconque, il y a une nana cheloue qui est venue me demander si je voulais la voir détruire le monde et ça avait l'air fun, donc je l'ai suivie.


— Es-tu vraiment là juste pour ça ? lui demandai-je, encore méfiant.


— Tu sais ma couille, renchérit-elle amusée, il y a aussi mon boss dans l'organisation Purple Revolution, Sawyer. Et j'ai pour ordre de sa part de continuer la garde que je menais au mouvement ESPer, c'est-à-dire, te buter si je te croise tu vois. »


Je reculai de quelques pas en restant sur mes gardes. D'un geste de la main, je rappelai mon épée plantée dans le mur à moi afin de pouvoir considérer mes trois ennemis et élaborer un plan. Mais alors que je restais attentif, la blonde du groupe s'amusa de ma réaction.


« Sérieux tu devrais tirer un coup t'as l'air vraiment coincé ma couille. Je ne suis pas venue ici pour te taper tu vois. Je me balade et je cherche des batailles sympas à mater. Regarde, j'ai même de quoi grailler pendant le match.


— Tu as vraiment ramené à manger… ? m'étonnai-je, ne sachant pas quoi penser d'elle.


— Ouais, reprit mon interlocutrice, satisfaite. De la charcuterie, du fromage, du pain, et une bouteille d'eau. Du coup ne crève pas trop vite histoire que je puisse finir mon sac. »


Je soupirai. Cette fille n'avait aucune logique. C'était peine perdue de vouloir anticiper ses faits et gestes. Elle était déjà partie s'installer dans un coin en sortant des sandwichs de son sac. Je me retournai vers Karbohn qui, à ma grande stupéfaction, n'avait pas profité de l'apparition de la blonde pour attaquer. À la place, elle restait figée face à l'invitée surprise, comme si quelque chose en elle provoquait un effet indésirable à la dragonne.


« C'est ici que ça se passe ! lançai-je à l'intéressée, voulant revenir à mon affrontement.


— Sinon le lézard, tu paries sur qui du coup ? murmura Jessica assez fort pour m'interrompre. Vas-y fais pas ta pucelle prends du salami il y en a pour deux tu vois. »


Je soupirai. Je ne pris même pas la peine de rétorquer. Elle m'avait cassé dans ma détermination. Tellement brisé l'instant que les flammes s'animant au rythme de mes émotions s'éteignirent, laissant Shinji totalement libre de ses mouvements. Il ne se fit d'ailleurs pas prier pour m'attaquer de nouveau, utilisant l'énergie azur pour se propulser droit vers moi sans que je ne puisse faire quoi que ce soit pour l'éviter.


Je ne réussis pas à me rattraper. Je m'écrasai contre le mur dans un vacarme assourdissant, avant de m'aplatir contre le sol.


J'entendis le rire de la dragonne, mêlé à la respiration saccadée de sa marionnette, ainsi qu'aux bruits de bouche de Jessica qui résonnaient dans l'espace. En plus d'être vulgaire et emmerdeuse, elle ne savait même pas mâcher en silence, et cela me perturbait.


« Tu ne peux pas être genre, plus discrète !? hurlai-je à la blonde tout en essayant de me tenir droit sur mes jambes.


— Eh oh t'as cru que t'étais habilité à me dicter ma conduite ? rétorqua-t-elle, indignée. Je ne suis pas ta putain moi d'accord ? Si t'as envie de jouer ton mec trop macho et dominateur, t'as qu'à aller voir dans un bordel. »


Je n'eus même pas le temps de rétorquer que le jeune garçon s'était déjà jeté sur moi à vive allure, m'obligeant à le repousser en le frappant au visage. Je grognai. Non pas pour l'intervention de Shinji pour me vaincre, mais surtout parce que cette petite peste n'arrêtait pas de me mettre des bâtons dans les roues en m'empêchant de me motiver de l'intérieur. Il était impossible de garder ma concentration avec ce concentré de nonchalance dans les alentours. Et ce n'était pas Karbohn qui allait arranger les choses.


« Pauvre petite créature, s'amusa-t-elle. Il suffit de l'intrusion d'une jeune fille pour que tu perdes tes moyens. J'aime les humains. Ils sont si amusants dans leurs réactions. C'est pour cela que j'aime les capturer. Leur expression avant que je les dévore…est parfaite. Je me languis tellement de voir cette émotion sur ton visage… Le désespoir…


— Ah ouais, le désespoir, la coupa Jessica, mâchant en même temps un morceau de saucisson sec. C'est vrai que c'est pas mal. Mais le truc qui fait vraiment kiffer, c'est quand tu les domines et qu'ils font ce que tu veux tu vois.


— Mais pour l'amour du ciel, la ferme ! hurlai-je, hors de moi. »


Lorsque je criai à l'intention de la blonde, je sentis quelque chose monter à l'intérieur. Je fus stupéfait, mais surtout, honteux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le pouvoir de Bertelot. Les émotions. Jessica. Tout se connectait. Plus elle me frustrait et faisait grandir ma rage, plus le pouvoir de mon épée et le mien devenaient puissants. Je ne savais pas jusqu'où pouvait me porter l'illogique membre d'ESPer, mais compte tenu de ce que j'avais eu l'occasion de voir, cela se tentait largement.


« Allez, bougez-vous sérieux ! râla-t-elle en brandissant un morceau de chorizo. Une bonne bouffe c'est mieux quand il y a du sang bordel ! »


Ce fut la goutte d'eau qui me fit instantanément monter en puissance. L'énergie me vint immédiatement tandis que je pensais à quel point cette gamine me faisait chier. L'épée revint dans ma main, et lorsque je la plantai au sol, ce ne fut pas une flamme, mais des tas d'explosions qui se déclenchèrent, proportionnellement à mon degré de frustration.


J'étais rapide. Si rapide que je pus éviter Shinji afin de me propulser directement sur Karbohn qui ne put esquiver mon attaque. Je lui assénai un coup d'épée fracassant droit sur le crâne, ce qui la fit lâcher un hurlement de douleur. La dragonne tenta de repasser à l'attaque en me repoussant d'un faisceau azur d'une puissance colossale, mais je réussis à la repousser sans difficulté grâce à l'épée de Bertelot. J'entendis un « Comment !? » résonner dans l'espace, témoin de la stupéfaction de la créature. Mais une fois de nouveau proche d'elle, plus rien ne m'empêcha d'enclencher l'un des sorts les plus puissants octroyés par le chevalier noble.


« La charmogne de la sorceresse ! hurlai-je. Pourfends la merdaille de l'anjorner à la nuitée !!! X-Caliburning, que trépasse si je faiblis, mortecouille ! »


Un torrent de flammes enveloppa la dragonne, impuissante, tandis que de nombreuses explosions venaient s'ajouter à l'attaque semblant déjà assez puissante au vu de la quantité d'énergie relâchée par l'arme. L'étendue de feu monta en puissance, rendant impossible l'échappatoire de la créature dont j'entendis le cri strident résonner dans l'espace et en moi comme si elle me lançait une attaque. L'ombre de son corps se tordit dans le brasier tandis que peu à peu on pouvait discerner qu'il perdait la vie. Une fois mon assaut terminé, il ne restait plus qu'un tas de cendres provenant de l'ennemie.


Mon épée disparut. Je restai quelques secondes face aux restes de mon adversaire tandis que Jessica, elle, vint me rejoindre. Alors que je pensais qu'elle allait me féliciter, elle se contenta de se foutre de moi.


« Sérieux j'ai rien pigé à ton incantation ma couille. Je ne sais pas d'où tu sors tous tes mots, mais tu ferais bien de t'acheter un dico tu vois.


— Les incantations de Bertelot… grognai-je mal à l'aise.


— Hiroki… soupira une voix grave, mais dénuée de ténèbres. »


Je m'interrompis afin de lancer un regard derrière moi. Shinji était allongé au sol, drainé par la disparition de cette créature. Dans ses yeux, je ne distinguais plus aucune ténèbre. Je ne réalisai alors pas vraiment que tout ce temps, ce n'était pas lui qui contrôlait Karbohn, mais la dragonne qui le tenait en otage. Je voulais lui poser beaucoup de questions, mais ce n'était pas l'heure.


« Repose-toi Shinji, lui lançai-je. Nous parlerons plus tard. Jessica. Apporte-le au service d'urgences le plus proche. Sa vie dépend de toi, donc fais attention.


— Bien reçu ! lança-t-elle, joyeuse. J'ai bien bouffé donc je peux me rendre utile, profites-en ! Et tiens, comme je suis sympa, je te guéris au passage. Je suis une trop bonne fille. »


Elle pointa sa main vers moi, luisit d'une couleur verdâtre, et en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, j'étais en effet remis sur pieds. Shinji quant à lui me tendit faiblement la clé qui allait ouvrir la porte vers un des signaux audiovisuels qui permettaient la communication du groupe terroriste vers l'extérieur. Laissant les deux individus partir, je repris donc ma progression dans la mairie de Yokohama, espérant ne pas trouver d'autres perturbations du genre.





Spoiler :


Je dévalais les quartiers de la mairie. Je ne pouvais pas passer par l'ascenseur avec autant de gardes, car même si Jessica m'avait soigné quelques minutes plus tôt, je ne voulais pas puiser sur mes ressources juste avant un autre combat hypothétique. Je me devais de retrouver Soichiro, mais là n'était pas ma seule mission. J'étais en charge de repérer la salle de contrôle de cet étage et la neutraliser.


J'y arrivai au bout de quelques minutes. C'était un espace pour transmettre à la radio, exactement comme les studios d'une station populaire. Un message de propagande était diffusé en boucle tandis qu'il était impossible de l'arrêter. Tout le matériel était sous une épaisse vitre incassable, mais grâce à la coopération de Shinji, je possédais la clé pour l'ouvrir.


Je détruisis d'un seul coup tout ce que je pouvais détruire, afin de stopper la retransmission live. Chose faite, je sortis de la salle en question, restant toujours sur mes gardes afin de préserver ma vie. Un problème se posait à moi : J'étais au premier étage, et il y en avait 47 autres, et cela, rien que pour cette tour. Comment étais-je censé retrouver Soichiro et l'aider à progresser de la sorte ?


« J'ai la solution, m'interrompit Zéphyra, comme sortant de mon esprit. Je peux sentir la présence du jeune maître, je te guiderai jusqu'à lui.


— Tu n'aurais pas pu m'aider contre Karbohn ? grognai-je, irrité. Dès qu'il s'agit du « jeune maître », bizarrement, tu sors !


— Je ne peux sortir que pour un temps limité lorsque je suis sous contrat temporaire, me répondit calmement la femme. J'ai donc placé ma confiance en toi pour te charger de cette personne, en me réservant pour les ennemis les plus coriaces.


— Parce que ce n'était pas encore un ennemi coriace ? Bégayai-je, livide. Tu as vu la puissance du dragon !?


— Le jeune maître est sur le point de se battre contre un ennemi puissant, Hiroki. Et je m'inquiète beaucoup, car il a déjà fait face à lui dans notre passé, mais il n'était pas seul.


— Comment ça ?


— Le fait que tu es allé le voir lorsqu'il a décidé de partir sans personne pour l'aider l'a encouragé à laisser tout le monde derrière lui. Dans ma ligne temporelle, il n'a pas pu se résoudre à régler les problèmes seul et a emmené toute la guilde ETHER.


— Toute la guilde !? m'exclamai-je, abasourdi. Donc tu veux me dire que dans la ligne temporelle d'où nous venons, Soichiro a affronté l'ennemi avec toute la guilde en soutien et que là il s'apprête à le faire seul !? »


Zéphyra acquiesça silencieusement. Il ne m'en fallut pas plus pour me hâter dans les couloirs, repoussant toutes les menaces éventuelles que je pouvais croiser en utilisant mon revolver. Je réalisai au passage que je m'étais fait avoir, puisque l'arme m'ayant été confiée n'était en fait que le pistolet à tranquillisants qu'avait utilisé Himiko lors de mon premier affrontement avec Shinji. A moitié déçu, je progressai rapidement et prudemment jusqu'au point indiqué par l'Izrathienne, là où Soichiro allait bientôt affronter cet adversaire à la puissance colossale.


La femme aux cheveux blancs et à l'armure scintillante m'indiqua tous les endroits à ne pas louper. Je tentai de nous diriger vers la seconde zone de contrôles pointée par Masamune sur le plan, mais elle m'assura qu'elle avait déjà été neutralisée. Une jeune fille appartenant au mouvement ESPer semblait lutter à nos côtés contre le groupe Purple Revolution. Je demandai si cette personne était Jessica, mais Zéphyra me répondit qu'il s'agissait d'une autre, qui était en fait le meilleur élément du mouvement appartenant à Eric Sawyer.


Je restai dubitatif, mais je fis confiance à cette personne qui avait vécu le conflit par l'intermédiaire de ses liens avec Hakaze. Ainsi, je gravis de nouveau les escaliers, jusqu'à arriver au trentième étage, là où se trouvait Soichiro.


Comme me l'avait indiqué la femme ayant passé un contrat avec Hakaze, le père de mon amie était déjà face à un individu semblant bien plus puissant que ne l'était Karbohn. Un homme d'âge mûr au teint mat et aux cheveux noirs dressés sur son crâne. Il était habillé d'une espèce de toge semblant venir droit d'un livre de mythologie gréco-romaine à la seule exception qu'elle était toute noire et ornée de dessins rouges, de la même teinte que ses yeux. Son regard semblait suffisant pour transpercer Soichiro qui lui faisait face en réfrénant de la colère.


« Soichiro ! criai-je au maître de la guilde en prenant place à ses côtés. Tout va bien !?


— Écarte-toi gamin, me murmura le trentenaire, sérieux. Je dois me charger de cet homme moi-même.


— Je vois que tu n'as pas perdu ton sens du sacrifice, railla l'homme d'une voix grave et profonde. Tout cela me fait chaud au cœur. Au fait, comment va Violet ? Toujours noyée dans le chagrin et le remord après avoir causé la mort de tas d'innocents ?


— Je t'interdis de prononcer son nom… grogna Soichiro en serrant les poings. C'est de ta faute si elle a souffert. Tout aurait pu aller pour le mieux et tu as tout détruit.


— Par « tout » tu entends la sécurité des innocents de Yokohama, ou ta petite romance personnelle et innocente sous fond d'expériences scientifiques ? Ce sont deux choses différentes. Admets-le, Soichiro. La seule chose qui te fait te dresser devant moi aujourd'hui, c'est ton orgueil d'homme ayant perdu sa femme, et non le remord d'un scientifique ayant tué des tas d'innocents.


— Tu te trompes, reprit Soichiro en claquant un objet noir étrange au sol. Si je me dresse contre toi, ce n'est ni pour Violet, ni pour ceux que tu as tué. Tu es le leader de Purple Revolution, et je suis celui d'ETHER, cela me suffit pour vouloir ramener ta tête en guise de trophée de guerre. »


Je n'eus pas le temps de réagir que mon allié s'était déjà jeté dans la gueule du loup. Je ne le vis pas partir, comme s'il était aussi rapide que la lumière elle-même. Il rayonnait d'un éclat azur translucide tandis que derrière lui, il laissait désormais de la buée flotter dans l'air ambiant. Quel était ce pouvoir ? Était-ce en rapport avec cette espèce de pierre qu'il avait claqué au sol ? Et pourquoi l'atmosphère était devenue si glaciale ? Tant de questions se bousculaient dans mon esprit alors que le père de ma chère et tendre tentait d'abattre sa puissance sur l'aîné des frères Sawyer.


Cela ne suffit pas pour décontenancer le sombre individu. Il restait sagement immobile, se contentant de repousser Soichiro d'un geste du bras droit comme un homme débarrassait son costume d'un peu de poussière s'y étant déposé, propulsant ainsi le leader de la guilde ETHER contre une des parois de l'espace de bataille.


Je restais abasourdi. Il fallait que j'intervienne. Mais Zéphyra m'en empêcha. Elle me dit qu'il était inutile que j'intervienne dans une telle bataille. Son ancien propriétaire devait le vaincre seul afin de régler lui-même ce qui le tourmentait au plus profond de son être. Mais cela ne me rassurait vraiment pas, considérant la piètre performance qu'il était en train de nous montrer.


Il se releva sans sourciller, essayant de reprendre l'avantage à sa manière, mais c'était peine perdue. Ricky Sawyer n'avait pas encore montré la moindre source de pouvoir, ni invoqué une seule créature, lui qui était un summoner. Je sentais qu'il était à mille lieues d'avoir montré quoi que ce soit de son potentiel, et cela me faisait peur.


Lorsque Soichiro reprit son offensive, il chargea cette fois beaucoup plus de puissance. Il matérialisa une épée semblant aussi dure que l'acier et aussi froide que de la glace qu'il agrippa en utilisant sa main droite. Mettant une force assez impressionnante dans ses gestes, il tenta d'asséner un coup au ténébreux leader de Purple Revolution, sans succès. L'homme se contenta d'arrêter à mains nues l'arme, avant de la faire se briser en mille morceaux.


« Tu n'arriveras jamais à lever la main sur moi en utilisant des attaques si pathétiques, soupira l'adversaire de l'homme. Par pure compassion je veux bien te laisser partir et faire comme si rien ne s'était passé. »


Pour toute réponse, il manqua de se prendre une autre tentative de meurtre de Soichiro, toute aussi vaine que la précédente. Chaque fois que le leader d'ETHER tentait la moindre offensive, elle se faisait avorter avant même de pouvoir causer un quelconque dégât à Ricky Sawyer. Ce dernier, finalement las de se mouvoir, laissa tout simplement tous les assauts le percuter, me laissant constater que même abouties, les attaques du père de Hakaze ne causaient pas d'égratignure à l'homme au teint mat.


« Je suis certain que même Violet te dirait de cesser de te ridiculiser tout seul, lança-t-il, ironique. Il n'y a pas de mal à rester dans le côté théorique de la science. Parfois, il faut laisser sa place à des personnes plus qualifiées, retiens ceci.


— La dernière fois que tu t'es autoproclamé plus qualifié, cela a engendré le Purple Requiem, répondit Soichiro, haletant déjà le combat à peine commencé. Tu ignores combien on en a tous souffert, Ricky.


— Je ne l'ignore pas. Je n'en ai juste rien à faire. Ce sont deux choses différentes. Les émotions humaines ne sont pas des données factuelles. Elles ne servent que de guide instable pouvant faire basculer l'univers entier du jour au lendemain. Qu'est-ce qu'a été le Purple Requiem finalement ? Un projet fait avec toute la bonne volonté du monde par trois utopistes tellement ancrés dans leurs émotions qu'ils ont oublié qu'il existe des salauds prêts à détourner ce genre de puissance.


— Tu essaies de nous mettre la catastrophe sur le dos simplement car nous avions de bonnes intentions ? grogna le scientifique, presque animal.


— Ne te méprends pas. Je sais que de ton point de vue je ne suis qu'une ordure. Mais tu es le plus fou de nous deux Soichiro. Tu étais prêt à rendre cette énergie toute puissante disponible à tous. Cette puissance qui te donne ces pouvoirs de glace, qui m'octroie mes énergies des ténèbres, accessible par tous les foyers. Te rends-tu compte de ce que cela implique !? N'importe quel psychopathe aurait pu avoir les moyens d'organiser une rébellion à l'échelle mondiale en détournant son arrivée de gaz ou d'électricité pour en absorber la force. Et vous, vous comptiez sur la bonne foi des gens pour que cela n'arrive jamais !? Et tu te revendiques scientifique !?


— Nous comptions sécuriser le système si une certaine personne n'avait pas jugé bon de s'approprier toute la puissance pour elle, reprit Soichiro, semblant perturbé par l'argumentaire de Ricky.


— Comment auriez-vous fait ? s'interrogea son interlocuteur, amusé. Je suis curieux de savoir par quels moyens matériels vous auriez sécurisé l'ensemble de Tokyo, qui je le rappelle est une des plus grandes villes de notre pays.


— C'est très simple à expliquer. reprit la voix de Zéphyra qui, sans que je ne le remarque, s'était incrustée dans la conversation. »


Soichiro se tourna vers la femme adulte aux cheveux blancs et au regard saphir qui était apparue de nulle part. Ses yeux s'écarquillèrent et manifestèrent toute sa surprise. L'Izrathienne venait d'apparaître dans l'espace de bataille, faisant face à Ricky en déployant un charisme fou. Elle reprit la parole avec calme et détermination, montrant qu'elle maîtrisait son sujet.


« Je peux assurer que l'arrivée de kvantiki dans les foyers aurait été sécurisé puisque Soichiro travaillait avec moi, me chargeant de renforcer chaque conduit approvisionnant les habitations avec un matériau spécial provenant d'Izrath. Cette matière provenant du désert Citrine avait pour effet de modifier le code génétique du kvantiki afin qu'il ne puisse se faire absorber par aucun être vivant, homme, ou créature. Cette énergie était utilisable qu'en matière première multi-usage pouvant être renouvelée à l'infini.


— Je vois… murmura Ricky, contrarié.


— Par ailleurs, reprit Zéphyra, d'une colère extrême, même si mon jeune maître ne semble pas se dresser contre vous en guise de vengeance pour les actes passés, ce n'est pas le cas de tout le monde. Ainsi, Ricky Sawyer, je vais te faire payer ici et maintenant le fait d'avoir levé la main sur ma sœur.


— Ta sœur !? sursautai-je, abasourdi par la nouvelle. »


Je n'eus pas le temps de demander des explications que Zéphyra avait elle-même brisé son contrat avec moi pour se lier de nouveau avec Soichiro dont l'énergie spirituelle fut décuplée en conséquence. C'était certes, pour la bonne cause, mais je ne pus m'empêcher d'être frustré à l'idée d'avoir été jeté si facilement. Je me sentais comme seul et abandonné, ce qui me fit monter les larmes aux yeux. Mais je me ressaisis vite. Il fallait que je m'investisse moi aussi dans la bataille, plus ou moins discrètement, afin de faire peser la balance en notre faveur.


Lorsque Soichiro attaqua de nouveau, il réussit à atteindre sa cible qui n'eut d'autre choix que le considérer sérieusement cette fois-là. Ricky luisit d'une lueur noire assez intense, avant de propulser un torrent d'énergie semblant maléfique droit en direction du père de Hakaze. Zéphyra s'interposa, projetant un écran de lumière dorée qui eut un effet de miroir envers le scientifique despote. Mais alors que je pensais que c'était tout, il n'en était rien. Le maître d'ETHER avait déjà bondi par-dessus le miroir afin de pourchasser Ricky qui, ayant évité son propre rayon d'une facilité déconcertante, n'avait cependant pas prévu une attaque aussi furtive, se prenant un coup d'épée de glace droit sur le torse. Il recula de quelques pas, grimaçant face à l'impact qui lui avait tiré un filet de sang.


« Je vois…rumina-t-il avec mépris. Très bien. Tu n'auras aucune excuse dans l'au-delà, Soichiro. Je t'avais donné l'opportunité de fuir avec la vie sauve. »


Une seconde. Il ne fallut qu'une seconde à Ricky Sawyer pour filer aussi furtivement que l'ombre et écraser Soichiro et son acolyte contre le mur. Lorsqu'il réapparut à mes yeux, il n'était plus qu'un amas de ténèbres sans aucune forme duquel on pouvait distinguer deux pupilles rouges éclatantes dans lesquels était perceptible une envie irrésistible de sang, de mort.


La forme obscure s'arrêta devant les deux camarades qui se relevaient en grognant des injures, et à peine furent-ils debout qu'elle se rua contre eux, s'écrasant violemment dans un torrent d'énergie ténébreuse semblant à la fois brûlante et électrique. L'Izrathienne parvenait à repousser les attaques en faisant de son mieux pour éviter les dégâts que tentait de lui infliger l'homme. Soichiro de son côté générait des sortes de boucliers glacés qu'il renouvelait régulièrement, claquant une autre de ces pierres dont il avait le secret pour déclencher ses pouvoirs.


Les combattants n'étaient pas à armes égales. Ricky semblait beaucoup plus fort, mais le duo formé entre Soichiro et son ancienne collaboratrice suffisait à le mettre à mal. Chaque fois que l'un attaquait, il servait de diversion afin que l'autre puisse trouver une ouverture afin d'asséner un coup fulgurant à leur antagoniste. Le leader de Purple Revolution ne manquait cependant pas de ressource, puisqu'il pouvait disparaître purement et simplement dans l'ombre afin de réapparaître où il voulait. Il était incroyablement furtif, rapide, et puissant, exactement comme les ténèbres elles-mêmes. Pourtant, Zéphyra continuait à lui tenir tête, loin d'être épuisée. Devant leur acharnement, j'intervins indirectement dans la bataille. J'appelai ma brigade de volatiles de soins qui prenaient en charge Soichiro quand Zéphyra tapait sur l'adversaire, et inversement, afin que tous deux gardent une certaine endurance que Ricky possédait naturellement.


Mais alors que l'écart entre le duo et le despote se resserrait de plus en plus, les trois protagonistes du combat furent interrompus dans leur affrontement. Une boule de feu sortant de nulle part qui s'écrasa sur le mur, ayant été évitée de justesse par les combattants.


Tous nos regards se braquèrent sur l'instigateur de l'attaque. Un homme semblant de quelques années mon aîné, coiffé d'une coupe pompadour couleur rouge, laissant champ libre à son regard méprisant à mi-chemin entre le gris et le marron. L'individu habillé d'un imperméable kaki tombant sur un tee-shirt à carreaux noirs et un pantalon en velours dévisageait de son œil malicieux tous les protagonistes de la bataille, m'ignorant royalement par-dessus le marché.


« Désolé de vous interrompre, sourit vilainement l'homme. J'ai pensé qu'il serait courtois de ma part de venir vous dire bonjour.


— Pourquoi as-tu quitté ton poste !? cracha Ricky. Tu étais censé garder la salle de contrôles non !?


— Je suis désolé de te le faire savoir papa, mais mon alliance avec Purple Revolution s'arrête ici. À vrai dire, je n'ai jamais été votre allié. Depuis le début je compte tous vous descendre. La salle de contrôle est désactivée depuis de longues heures.


— Papa… ? bégayai-je en fixant l'homme ayant repris sa forme humaine. Vous êtes parents ?


— En effet. sourit le plus jeune, diplomate. Permets-moi de me présenter. Je suis Eric Sawyer. Je suis le leader du mouvement ESPer que vous avez pris plaisir à descendre il y a quelques jours. Tout comme vous, laisser Purple Revolution en liberté me fait de la peine, alors je viens vous prêter main forte, maintenant que toutes les pièces sont actionnées. »


Soichiro fixa l'homme aux cheveux rouges d'un air dubitatif. Mais il n'eut pas le temps de réfléchir. Le père avait déjà lancé sa contre-attaque contre le leader d'ETHER. Une offensive si rapide et furtive que même Zéphyra n'eut le temps de rien faire pour la contrer. Mais à ma grande surprise, ce fut Eric Sawyer lui-même qui détourna l'offensive de son père, avant de se dresser contre lui, se plaçant devant Soichiro et sa partenaire.


« Hors de mon chemin, lâcha Ricky. Je n'ai aucune considération pour un opportuniste.


— Opportuniste ? sourit le plus jeune. Tu es tendre avec moi. Où est passée ta bonne vieille appellation « résidu de préservatif » que tu aimes tant ? »


Nous le regardâmes tous, dubitatifs. Pourtant le père ne contestait pas. Cela me laissa un sale goût dans la bouche en imaginant combien il devait être dégradant envers son fils.


« Je le sais, continua l'homme à la coupe pompadour. Je suis un fils de pute, issu d'un accident de contraception, et tu n'as jamais voulu de moi, alors sois franc et assume-le devant tout le monde… Au moins tu auras été honnête un jour avant de mourir.


— Mourir ? s'amusa le plus vieux des deux. La dernière fois que quelqu'un m'a dit ça, c'était ton oncle, et il a fini sous mon emprise. Laisse-moi te rappeler qui est le maître incontesté de notre famille. »


Il rassembla toute la puissance qu'il contenait en lui et la propulsa à une vitesse folle sur les trois partenaires improvisés qui, comme dans un élan de synchronisation, utilisèrent leur défense au même moment. Cependant, quelque chose de singulier se dégageait d'Eric Sawyer. Il révéla une énergie similaire à celle de son père Ricky, non pas sans attirer l'attention de ce dernier.


« Comment !? hurla l'homme, abasourdi. Ne me dis pas que tu… ?


— Ne sous-estime pas ce résidu de préservatif qui contient ton ADN de traître et de lâche, s'amusa Eric. Oui, comme tu le devines, j'ai obtenu la puissance de Romain Sawyer, ton frère, que je viens d'assassiner de mes propres mains. Et tu es le prochain sur la liste ! »


Il ajouta à la défense du groupe toute la puissance qu'il possédait afin de transformer l'énergie groupée en un torrent vacillant du bleu éclatant au noir le plus opaque qui s'écrasa sur Ricky en moins d'une centième de seconde. L'individu fut compressé contre sol, dans un vacarme assourdissant. Sans lui laisser la moindre minute pour s'expliquer ou dire quoi que ce soit, le fils plongea dans l'épais nuage de fumée, laissant apparaître un poignard fait d'énergie similaire à celle de Jessica. Nous entendîmes un gémissement noyé dans le bruit d'un assaut physique, puis, quelques secondes plus tard, Eric revint, le visage tâché du sang de son père.


« Eh bien ! sourit l'homme. Rien de plus rafraîchissant que sentir le sang de son père couler sur ses mains. Avec ceci, Purple Revolution est morte et nos objectifs sont accomplis.


— Tu es sûr que tu es bien dans ta tête ? lâchai-je, hésitant.


— Ne t'en fais pas je te comprends, reprit Eric, diplomate. Je ne suis que le fruit de l'infortune d'une prostituée dont la contraception a défailli. Une telle existence ne peut que devenir une ordure de ma trempe. Il est d'ailleurs inutile de chercher Romain, je l'ai tué moi-même. Si vous voulez vous assurer de la désactivation de la salle de contrôle, allons ensemble au dernier étage.


— Et comment sommes-nous certains que tu ne nous cibleras pas ? reprit Soichiro, perplexe.


— Je ne retourne ma veste que lorsque j'ai à y gagner. Et ici, je n'ai rien à gagner en me mettant une guilde à dos en tuant leur leader, juste après la chute d'ESPer. Nous nous battrons lorsque j'aurai rassemblé mon mouvement pour sa renaissance. »


Sur ces mots, nous accompagnâmes Eric Sawyer, non pas sans rester sur nos gardes, jusqu'à l'ultime salle de contrôle, au dernier étage. Appréhendant ce que nous allions trouver, j'avais du mal à me faire rentrer en tête que Purple Revolution avait été détruite, mais je voulais y croire. Car derrière cette organisation se trouvait Reisuke, et je me rapprochais de plus en plus de lui.





Spoiler :


Nous prîmes l'ascenseur avec Eric Sawyer, qui n'était pas du tout sur ses gardes tandis que l'on fonçait au quarante-huitième étage de l'une des tours de la mairie. Nous allions au dernier étage de la seconde tour, puisque selon le fils de Ricky, il n'y avait rien d'autre à voir au sommet de la première, mis à part le corps de son oncle. Ainsi, nous gagnâmes tous du temps pour aller constater de nous-même que tous les contrôles liés à la révolution étaient bien éteints.


Les portes de la machine s'ouvrirent, nous laissant constater que rien n'avait été saccagé dans la salle de contrôle si bien gardée par l'ensemble de l'équipe de la mairie.


Sawyer s'avança jusqu'à une espèce de caméra qui donnait sur un studio à fond vert, exactement comme sur les plateaux de télévision ou de tournages de films. Il se tourna vers Soichiro, avant de prendre la parole à son intention.


« Soichiro Namatame… dit-il, sérieusement. Romain Sawyer est mort. Tu es venu ici pour arrêter Purple Revolution, et tu as réussi. Tu as également triomphé d'ESPer qui était la prochaine candidate à la prise de pouvoir de la ville. C'est à toi d'unifier Slyfair et Slyburn une bonne fois pour toutes. Branche l'antenne, prends la parole, et annonce que tu es le nouveau maire de Yokohama-Tokyo unifiée par ta main de fer.


— Tu me demandes vraiment… De prendre ce que tu veux depuis le début ? se méfia Soichiro.


— Je te l'ai dit, soupira Sawyer, le sourire aux lèvres. Si je dirige la ville maintenant tu n'auras plus qu'à ramasser ce qu'il reste d'ESPer avec tes camarades et me la reprendre définitivement. Te laisser réunifier Tokyo, c'est aussi pouvoir me refaire pour que l'on se livre ensuite une bataille physique et idéologique qui définira un vrai vainqueur. Alors sois désormais celui que je veux abattre. »


Soichiro, maire de Yokohama ? La révolution qu'il voulait mener pour instaurer un pouvoir qui se soucie des gens allait vraiment prendre forme ? Et son histoire avec Violet allait être réglée ? Je n'en croyais pas mes yeux. C'était une chance en or qui se présentait à lui, et il le savait. Il se dirigea vers le moniteur qui allait retransmettre sa décision. Il déglutit, anxieux, tandis que Zéphyra, toujours présente, ne put s'empêcher d'ordonner les cheveux de son jeune maître, tout en lui faisant porter la cravate.


Pile lorsqu'il enclencha le live, une erreur de communication l'interrompit. Nous eûmes tous les trois le même réflexe : braquer nos regards sur Eric Sawyer en pensant à un coup fourré. Pourtant, lui aussi était décontenancé. Il tapait des séries de codes sur l'ordinateur pour essayer de régler le souci, mais c'était peine perdue. La rediffusion était hors de contrôle, comme si quelqu'un l'avait attaquée de l'extérieur.


Elle se lança toute seule, laissant apparaître sur l'écran non pas le visage de Soichiro, mais celui d'une des jeunes femmes de la troupe de Reisuke : Indy Muller. L'Indienne au visage élégant et soigné, marqué par une pointe de ténèbres qui n'était discernable que pour ceux connaissant à qui elle avait prêté allégeance. Je grimaçai. Ce n'était pas bon du tout. Et lorsqu'elle prit la parole, je compris à quel point la situation était critique.


« Mes chers concitoyens, bonjour, entama la jeune femme, à la fois solennelle et accessible. Je me nomme Indy Muller. Comme vous le savez certainement, depuis ce matin le groupe « Purple Revolution » a lancé un mouvement de rébellion contre Romain Sawyer ainsi que tout le personnel de mairie, allant du conseiller municipal jusqu'aux agents d'entretien. Dans cette optique, le quartier de la mairie de Slyfair était depuis ce matin à feu et à sang, et j'imagine que cela a suscité l'inquiétude de toutes les familles. »


Elle marqua une pause, avant de reprendre, beaucoup plus joyeuse.


« Eh bien vos craintes n'existeront désormais plus. Moi, Indy Muller, accompagnée de ma précieuse équipe, je me suis rendue avec elle sur les lieux, et nous avons maîtrisé Purple Revolution. Tous les terroristes ont été supprimés, et le danger est écarté. »


Son visage s'obscurcit, trahissant une tristesse ayant l'air authentique, mais que je savais fausse.


« Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard pour sauver l'équipe actuelle. À l'heure où je vous parle, Romain Sawyer a trouvé la mort, ainsi que tous ses conseillers municipaux et ses adjoints. Nous devons donc, outre passer le deuil de notre dévoué maire, penser à l'avenir de notre ville, et montrer à tous ceux qui en voudraient à la paix que l'on se relèvera ! »


Elle marqua une autre pause. Avant de reprendre, déterminée, et pleine de convictions.


« Dès aujourd'hui je serai la nouvelle maire de Slyfair et Slyburn, qui redeviendront petit-à-petit notre belle Yokohama, province de la capitale. Mon équipe et moi nous chargerons de redresser notre bel endroit marqué par la tragédie de Purple Requiem, puis de Purple Revolution. Nous donnerons un souffle nouveau à notre territoire, il y fera bon vivre pour tous, sans aucune discrimination ! Ce jour est à marquer d'une pierre blanche, car c'est le commencement d'une ère de changement ! Une époque faite d'unification derrière une cause commune ! »


Enfin, elle termina, avec mépris, défi, et auto-suffisance, prononçant des dernières paroles nous étant destinées.


« Et je défie quiconque voulant entraver les voies du changement de venir nous en empêcher de force. Nous ne reculerons devant rien pour accomplir nos plans. Et le premier sera de réactiver le générateur ayant causé le Purple Requiem, mais cette fois en l'encadrant de scientifiques experts en Izrath qui sécuriseront la zone. Si quiconque désire nous en empêcher, qu'il vienne le faire, nous sommes en terre libre. »


Le live se coupa, nous laissant tous bouche bée face à la plaidoirie de l'Indienne. L'ascenseur descendit, puis remonta à une vitesse folle. Masamune Nishijima, mon futur supérieur, en sorti en trombes. Il vint directement voir Soichiro, sérieusement.


« Je te préviens ! hurla le nouveau venu. Pas un mot de ce que l'on vient de voir à Violet, ni à Ryoko. Ils ont assez donné pour le Purple Requiem !


— Pensais-tu vraiment que j'allais les impliquer ? reprit Soichiro, exaspéré. Si ce qu'a dit cette jeune femme est vrai, il faut agir au plus vite. Je vais rassembler ETHER. Masamune, amène-moi Laure et Akame, avec beaucoup de trinitrotoluène.


— Euh attendez., le coupai-je. Pourquoi prendre de la TNT ? Ce n'est pas genre… super dangereux ?


— Pas plus que de l'uranium dans une boîte à sandwichs, reprit Soichiro en haussant les épaules. On voit que tu n'as jamais fréquenté Akame gamin. »


Nous sortîmes donc tous de notre champ de bataille improvisé. Avant de nous rendre à la guilde ETHER, il fallait que je demande quelque chose à Zéphyra. Alors je la convoquai afin de la prendre à part, à l'abri des oreilles indiscrètes. Je lui expliquai ma requête, et, naturellement, elle me répondit que c'était de la folie. Mais à force d'arguments, en utilisant le sort de Hakaze et de Soichiro, je réussis à la convaincre de prendre le risque.


Ainsi nous rentrâmes, et l'accueil que l'on me réserva fut…particulier. Erika me gifla dès qu'elle me vit. Diamond se rua sur ma tignasse pour en arracher le moindre cheveu de rage, tandis que Cram, lui, se contentait de m'ignorer royalement, comme si je n'existais pas.


« Tu te rends compte de la peur que tu m'as fait !? hurla Erika, en synchronisation avec Diamond qui disait la même phrase en « graouh ».


— Ne t'en fais pas… répondis-je en essayant de relativiser. Ce n'était pas grand-chose.


— Pas grand-chose non ! reprit la blonde encore plus hors d'elle. Juste 168 morts dont le maire et le triple de blessés ! Je ne sais pas ce qui me retient de t'ajouter au compteur des victimes Hiroki !


— Mais je suis là, donc c'est l'essentiel, non ?


— Je ne veux pas te perdre une seconde fois, lâcha-t-elle, attristée. Et puis… c'est idiot, mais tu es parti sans moi. Je pensais vraiment qu'on était une équipe, toi, moi, et Hakaze. Mon amie part du côté de Reisuke, toi tu me considères comme un boulet à traîner derrière… Finalement, nous ne sommes rien d'autre que des personnes coopérant en vue d'un objectif commun. À la moindre occasion, chacun laisse l'autre sur la touche et pense personnellement.


— Ce n'est pas ça… murmurai-je en tentant de trouver les mots. Je voulais juste te –


— Me quoi ? Me protéger !? reprit-elle, outrée. Me protéger moi, celle qui a en elle un reptile capable de raser la ville s'il le voulait, alors que toi, dans ton extrême bonté d'âme, tu as attaqué un lieu rempli d'Izrathiens sans posséder le moindre pouvoir ? Arrête les belles paroles Hiroki, j'en ai assez. »


Elle claqua la porte de la salle sans même me laisser le temps de m'excuser. Cram et Diamond la rouvrirent, avant de la suivre, sans même m'adresser un regard. Je soupirai. J'avais vraiment fait n'importe quoi, et cela me mettait mal à l'aise. Je voulais simplement éviter un danger pour mes camarades, et ils ne voyaient pas cela du même œil que moi.


« Les jouvencelles sont difficiles n'est-ce point ? entama la voix de Medrawt provenant de derrière tandis qu'il posa sa main sur mon épaule.


— Oh que oui… murmurai-je. J'aimerais tant qu'elle comprenne que je voulais juste qu'il ne lui arrive rien.


— Parfois, quérir à protéger les autres du trépas n'est pas la solution pour leur apporter le bonheur. me dit le chevalier, sérieusement. Quand tu aimes quelqu'un, tu veux qu'il ne lui arrive rien, et pour cela tu es prêt à te sacrifier, car les voir souffrir te ferait plus de mal qu'être soumis à la torture physique, mais il en est de même pour les personnes que tu protèges.


— Je te demande pardon ? bégayai-je, interdit.


— Si damoiselle Erika venait à vous voir subir le trépas, malgré son absence de blessures, elle pleurerait toutes les larmes de son petit cœur d'elle. Cela vaut aussi pour petit singe et graouh graouh.


— C'est vrai… murmurai-je, honteux. Mais que dois-je faire alors ?


— Certains problèmes ne peuvent se résoudre qu'en les affrontant ensemble. Laisse tes camarades prendre part au combat avec toi. C'est en guerroyant à l'unisson la couardise et la misère, que l'on devient de vrais frères d'armes. »


Medrawt avait raison. J'avais beau vouloir protéger mes amis, si c'était au détriment de leur épanouissement, ce n'était rien d'autre qu'un souhait paternel égoïste. Il fallait donc, aussi douloureuse était l'initiative, que je les laisse prendre part aux batailles futures, celles qui allaient déterminer l'issue de notre histoire, mais aussi celle du monde.


Retournant voir Erika et mes Izrathiens, je gardai en tête mon objectif premier : m'excuser à eux, leur expliquer la situation, mais aussi et surtout nous préparer ensemble pour affronter la dernière étape de ce conflit qui n'avait que trop duré.





Spoiler :


Une nuit passa. Au terme d'excuses et d'explications plus longues et compliquées les unes que les autres, je réussis finalement à me faire pardonner d'Erika, Diamond, et Cram. Nous prîmes un moment pour nous changer, nous assurer que tout était fin prêt pour notre combat final, puis, une fois tous les détails préparés, nous sortîmes.


Erika ne prenait pas le combat au sérieux. Tout du moins, elle restait beaucoup trop…superficielle. Elle s'était déniché une espèce de robe azur assez dénudée. Deux épaisses bandes de tissu couvraient sa poitrine en se croisant pour attacher la tenue dans le dos de mon amie, tandis que son corps était couvert par deux rangées de froufrous qui lui tombaient jusque les hanches. La coupe était courte. Elle lui descendait à peine jusqu'aux genoux. Elle m'assura que c'était pour être plus à l'aise, mais j'étais persuadé qu'elle voulait juste avoir l'air d'une héroïne de roman fantasy ou autre bêtise du genre.


Alors que nous allions partir, nous fûmes surpris par une apparition soudaine. Zéphyra était surgie de nulle part, portant sur son dos un petit garçon qui n'avait pas vraiment l'air affolé. L'enfant brun au teint mi-mat et aux yeux bleus semblait même très joyeux à l'idée d'être transporté par la femme en armure.


« Le voilà. lança Zéphyra, contrariée. Sérieusement Hiroki, j'espère pour toi que cette demande est justifiée, car tu me traînes dans la disgrâce et la honte par une telle action.


— Ne t'en fais pas Zéphyra, souris-je. C'est d'une importance capitale pour notre plan. »


Elle fit descendre le gamin qui n'avait pas vraiment peur. Il me scruta en deux fois, comme s'il avait remarqué le problème, mais je fis mine de ne rien savoir.


« Bonjour Hiroki, entamai-je, amical. J'espère que mon amie ne t'a pas fait peur.


— Non ! lança joyeusement le petit garçon. Elle est venue chez moi cette nuit et m'a dit de la suivre parce qu'il y avait un grand combat avec un terrible méchant qui allait se dérouler, alors moi je suis venu pour voir les héros lui foutre une bonne raclée !


— Comment ça elle est venue chez toi !? hurla Erika, soudainement crispée. Ne me dis pas que tu as kidnappé un enfant, Hiroki !?


— Kidnappé ? reprit le petit sans me laisser le temps de répondre. Non c'est faux ! Pourquoi je me kidnapperais moi-même ? Zéphyra m'a dit qu'il fallait que je vienne parce que mon moi du futur m'avait demandé de venir ! »


Erika se tourna vers moi en me dévisageant, avant de reprendre, cinglante.


« Ne me dis pas que tu t'es kidnappé toi-même… soupira-t-elle. Enfin… Ta version passée…


— C'est exactement ce que j'ai fait, repris-je, satisfait. J'ai demandé à Zéphyra d'aller trouver mon alter ego de cette époque. Cet enfant, c'est moi. Il sera un atout important dans notre bataille contre Reisuke, Hakaze, et Indy.


— Comment ça ? me demandèrent Zéphyra et Erika en totale synchronisation.


— Je vous explique. Nous sommes dans le passé. Autrement dit, pour tous les habitants qui viennent de cette époque, nous venons du futur. Et nous avons le pouvoir de modifier notre présent à nous par nos actes ici, c'est bien pour ça que l'on ne doit pas créer de paradoxes. Jusque-là tu me suis ?


— Oui. Approuva Erika.


— Très bien. Maintenant imagine que d'une manière ou une autre je me bats avec Reisuke. Si Hiroki, le petit, que l'on appellera Hiro pour différencier, se trouve sur les lieux du combat, alors cela change beaucoup de choses. Hiro sera témoin de notre affrontement et de tous les coups portés par Reisuke, et que leur issue. Si une attaque me vainc, il le verra. Ainsi il gardera en mémoire cette information. Tu n'as pas décroché ?


— Elle a décroché depuis longtemps, mais je te suis toujours, reprit Zéphyra.


— Bien, soupirai-je. Maintenant prenons en compte que Hiro a obtenu l'information dans laquelle Reisuke me neutralise d'une flèche dans le cœur. Il grandira avec cette info en tête, et comme il est moi, il modifiera ma propre mémoire instantanément, me permettant de savoir avant le début du combat que Reisuke m'attaquera par une flèche. En d'autres termes –


— Tu peux prédire l'avenir en utilisant ta réplique du passé pour qu'elle emmagasine des informations à donner à ton avatar du présent… réalisa Zéphyra, abasourdie. C'est brillant. »


L'Izrathienne expliqua à Erika par des termes plus simples, mais l'idée était là. Tout ce que voyait Hiro allait être emmagasiné dans sa mémoire, et donc dans la mienne avant que je ne revienne ici. L'idée était de pouvoir contourner l'avenir grâce aux yeux du gamin.


« Le seul problème, enchéris-je, c'est la sécurité du petit. S'il venait à se faire tuer, je serais mort pour de bon, et qui plus est incapable de revenir dans le passé, et donc de le kidnapper. En d'autres termes, cela créerait un ultime paradoxe. Une boucle de laquelle ni moi, ni Hiro ne pourrions nous échapper.


— Alors il faut mettre l'enfant en lieu sûr, renchérit Zéphyra. J'ai un endroit pour ça. Il pourra tout voir sans être en danger.


— Je t'écoute.


— Je ne peux le dévoiler, mais je connais quelqu'un qui prendra bien soin du petit garçon. Il adore les enfants, il en sera capable.


— Bien. Je te fais confiance dans ce cas. Tu peux l'emmener. »


Zéphyra tapa des mains, avant de disparaître avec l'enfant. Instantanément, des souvenirs abstraits me vinrent en tête. Elle m'avait transporté en Izrath, me laissant avec un homme aux cheveux violets qui m'offrait tout ce que je voulais afin que je me sente bien. Je souris. Le stratagème était concluant, et je pouvais donc modifier ma mémoire grâce à mon avatar du passé.


« J'aurais bien fait ça pour toi Erika, entamai-je. Mais à en juger par mon âge, tu ne dois être qu'un nourrisson à ce stade.


— Et j'étais loin d'être au Japon aussi ! s'amusa la jeune fille armée de sa dérision habituelle. Tu ne m'aurais pas retrouvée. »


L'idée fut donc décrétée bonne. Nous partîmes donc, Erika, mes amis Izrathiens, et moi, vers l'ancienne centrale, tenant encore debout mais désaffectée, qui se trouvait dans le quartier le plus précaire et le plus à l'abandon de Slyburn : la zone « Abysmal ».


Je sortis un GPS que j'avais volé sur une des motos du gang United We Stand. J'appelai ensuite un de mes compagnons d'Izrath ayant un pouvoir d'électricité. Une sorte de luciole étincelante que j'avais recueillie il y avait quelques années de cela, afin qu'elle charge l'engin pour le faire fonctionner. Nous dévalâmes donc chaque rue, moi, Erika, et mes amis, jusqu'à arriver dans la zone fatidique, là où se trouvait la pire des racailles et la plus injuste des précarités.


Nous connaissions l'endroit. C'était non loin d'ici que nous avions atterri la première fois, me rappelant davantage les quelques étapes de notre périple. Tout ce que nous avions construit pour arriver jusqu'ici comptait vraiment pour moi. Toutes ces alliances que nous avions construites, nos combats au travers le temps, les liens noués par Erika et Hakaze à Rikoukei… Mais aussi ceux construit au cœur de la guilde ETHER, en particulier avec Soichiro, Laïla, et même Jessica. Tout cela avait du sens pour moi, et me motivait à aller plus loin. Reisuke n'avait pas le droit d'emporter tous leurs rêves et leurs espoirs. J'étais celui qui allait l'arrêter.


Nous passâmes quelques quartiers qui étaient toujours aussi déserts que ces derniers temps. Apparemment, le groupe de Brittany et Lysandra avait pu se réfugier quelque part ailleurs… Du moins, c'était ce que je me disais afin d'éviter d'imaginer le pire. Dévalant rues après rues en restant sur nos gardes, quelques lieux attirèrent notre attention, comme cette maison un peu reculée qui semblait avoir été dévorée par les flammes quelques années auparavant, mais dont les décombres n'avaient même pas été ramassés. Je m'arrêtai quelques secondes face à cette vieille bâtisse, en compagnie d'Erika. Cependant, nous fûmes interrompus par une voix féminine mais grave qui nous insulta quelques mètres plus loin. En me retournant pour voir qui nous parlait, je vis que c'était la blonde à la drôle de dégaine venant du mouvement ESPer, le concentré d'illogique et de nonchalance, en la présence de Jessica Leocaser, numéro deux de l'organisation.


« Jessica ? bégayai-je, abasourdi. Que fais-tu ici ? Et Shinji, où est-il ?


— Je te renvoie la question pauvre tache. Je peux savoir ce que tu fous chez moi ? Et pour ta gouverne, ce type est à l'hosto et ils le soignent.


— Ah… Désolé, bredouillai-je.


— Chez toi ? nous interrompit Erika ? Tu habites ce quartier ?


— J'habitais ce quartier, la corrigea la malicieuse. Cette maison carbonisée était la mienne. Tu peux entrer comme bon te semble, gros nibards. Ça ne me dérange pas.


— Que s'est-il passé pour qu'elle soit dans cet état ? repris-je ému, ignorant même l'attitude de la jeune fille.


— Eh oh. Je ne suis pas là pour étaler ma vie, capiche ? Et puis pourquoi vous êtes dans ce quartier pourri ? Genre vous voulez vous lancer dans l'humanitaire ou bien vous êtes juste paumés ?


— Tu as vu l'annonce d'hier non ? Celle d'Indy Muller, la nouvelle maire de Yokohama. Eh bien nous allons l'opposer. Nous nous rendons à la centrale désaffectée.


— Ah je vois… sourit malicieusement mon interlocutrice. Donc vous cherchez la révolution. Eh bien bonne chance bande de tocards. Continuez sur la droite et vous ne louperez pas ces fils de putain. »


Sans que nous ne puissions répondre à la jeune fille, celle-ci nous tourna le dos, s'éloignant de plus en plus de notre champ de vision pour finalement disparaître dans la pénombre de ces habitations délabrées et laissées à l'abandon. Je crus entendre un « Ne meurs pas, Hiroki » dénué d'arrogance provenant du second meilleur élément d'ESPer, mais je ne pus lui demander confirmation. J'eus un pincement au cœur en regardant la bâtisse qui semblait donc être l'ancien habitat de Jessica, mais je ne pouvais plus rien faire pour effacer son passé… Ni le mien d'ailleurs. Tout ce que je pouvais faire, c'était créer un avenir meilleur. Ainsi, moi et mes amies prîmes la droite comme nous l'avait indiqué la blonde aux yeux verts.


Ce fut au bout de trente minutes de marche supplémentaires que nous arrivâmes dans la zone la plus reculée de Slyburn, celle où se tenait la centrale désaffectée et scellée, qui avait vraisemblablement été ouverte. Progressant prudemment, nous nous rendîmes face à la tour en question. Mais quelqu'un en sortit. Et ce quelqu'un n'était pas n'importe qui. Hakaze. Celle de laquelle j'étais éperdument amoureux, celle pour qui je voulais me battre. Je voulus lui parler, mais Erika me stoppa. Elle se contenta de dévisager celle qui était apparue devant nous, me laissant prendre un peu de recul sur la situation.


« Vous êtes donc finalement arrivés, nous lança la femme, entre regret et mélancolie. Malheureusement pour vous, c'est trop tard.


— Trop tard ? reprit Erika, concernée. Que veux-tu dire, Hakaze !?


— Je suis désolée, nous coupa une autre voix féminine sortie de nulle part. J'ai échoué à les contenir. »


Nous nous retournâmes brusquement vers la direction d'où provenait la voix, nous laissant voir Luna qui, grimaçant, fixait la centrale avec insistance. La sœur du soleil d'Héliopolis, blonde aux yeux clairs, semblait contrariée par la tournure des évènements.


« J'ai tenté de faire échouer Reisuke à maintes reprises en le poursuivant ici, mais il a accumulé trop de puissance, avoua notre alliée la caster d'Izrath. Indy et lui sont devenus trop puissants. Je n'arrive plus à lutter seule.


— Nous sommes là pourtant ! enchéris-je, déterminé. Il n'est pas trop tard tant qu'on garde espoir !


— Non. Il n'y a plus d'espoir. Ils ont réussi. »


Je n'eus pas le temps de dire quoi que ce soit d'autre qu'une énorme colonne lumineuse aux couleurs mauves sembla comme tomber du ciel pour s'abattre sur la centrale désaffectée de la zone Abysmal. Elle eut l'air d'aspirer le bâtiment, puis ses alentours, se dirigeant à une vitesse folle sur nous au même moment. Je voulus protéger Erika et Luna de cette onde, mais mes réflexes ne furent pas suffisant, puisque nous fûmes tous aspirés par cette puissance étincelante me rappelant étrangement les vidéos concernant le Purple Requiem.


Je fus forcé de plisser les yeux alors que le torrent de puissance étincelante venait de s'abattre sur nous. Contre toutes nos attentes, cela ne nous fit pas la moindre douleur. Cependant, lorsque la lumière se dissipa, je fus stupéfait par ce qu'il en était. Nous semblions comme avoir été transportés dans les étoiles, aux fin fonds de la galaxie. J'avais l'impression de flotter dans les airs, à des années lumière de notre bonne vieille terre. Erika et Luna se tenaient toujours à mes côtés aussi dubitatives que je ne l'étais.


« Les plans de Reisuke se concrétisent, reprit Hakaze. Le processus d'ouverture de la porte vers le troisième monde a été enclenché. Peu à peu, la ville entière se fera transporter dans cette dimension, et une fois toute l'énergie des habitants liée à celle collectée lors de votre affrontement avec Purple Revolution, nous vous sacrifierons tous afin d'ouvrir l'ultime passerelle vers cet univers que nous désirons tant.


— Je ne vous laisserai pas faire… grognai-je. Je suis ici pour tous vous arrêter, Hakaze !


— Je ne peux t'accorder le droit d'entraver Reisuke. Je me dresserai devant toi à n'importe quel prix. Une fois que ce monde sera condamné, j'atteindrai les terres du temps et je pourrai alors réparer tous les dégâts causés, tout en ayant l'opportunité de sauver mon père de cette existence d'infortune. Ainsi, je ferai tout mon possible pour mener à bien ce projet.


— Alors affrontons-nous, ici et maintenant, Hakaze ! Je vais te ramener à la raison une bonne fois pour toutes.


— Ce n'est pas ton travail, gamin, reprit la voix grave de Soichiro qui nous interrompit. »


Il était arrivé lui aussi. Accompagné d'une escouade par-dessus le marché. Soichiro Namatame était avec sa femme Himiko, et deux autres membres de la guilde ETHER, en la présence de Nathan et Honest. Les quatre individus semblaient comme apparus de nulle part, mais je ne pouvais pas vraiment remettre en cause la logique de leur arrivée, étant donné que nous nous trouvions nous même dans des lieux défiant toutes les lois de la physique et de la science.


« Sérieusement… soupira Nathan, le critique à lunettes. Vous n'aviez pas plus cliché comme endroit ? Parce que bon, vous parlez tous de bataille finale, déjà c'est archi revu, et en plus, vous allez vous battre au beau milieu des étoiles. En mode tranquille, posé, au calme ! Non mais sérieusement c'est quoi ces conneries !


— Âneries, le corrigea le jeune homme au Bescherelle. T'emporter est une chose, mais je te prierai de ne pas salir notre beau langage en utilisant des mots sales. »


Himiko dévisagea sa fille, la désignant du doigt, avant de reprendre la parole avec détermination.


« Je suis venue ici pour t'arrêter une bonne fois pour toutes, Hakaze. Il est hors de question que tu fasses quoi que ce soit qui te mette en danger, quelle que soit ta raison.


— Dans le futur, répondit l'intéressée, Papa est dévasté par ta disparition et tente de trouver une solution pour te ramener à la vie. La construction de la machine à voyager dans le temps est uniquement engagée dans l'espoir de te revoir un jour. Quant à moi, je me bats pour qu'il retrouve le sourire. Et toi, tu t'engages dans une bataille destinée à me sauver. Notre famille est étrange, ne trouves-tu pas ? Es-tu prête à renoncer à ta cause ? Si tu te poses la question, tu aboutiras à la même réponse que moi. Il n'y a donc qu'une seule issue afin de nous départager, puisque nos ambitions sont incompatibles. »


Hakaze déploya son bras droit, tandis que son regard mauve glacial dévisageait sa mère. Un flux d'énergie violet se dégagea de sa main, prenant la forme d'une spirale entourant continuellement le membre de la femme que j'aimais, telle un serpent qui s'enroulait autour d'un support cylindrique. Pour toute réponse, Himiko jeta le long manteau qu'elle portait, rattrapé en vol par Soichiro, afin de ne laisser voir qu'une tenue de sport simple nous montrant qu'elle était déjà prête à corriger sa fille.


« Ouais enfin non, les coupa Nathan, se dressant entre la mère et la fille. Sérieux la bataille générationnelle c'est beaucoup trop cliché. Vous n'allez pas bouffer tout le temps d'écran alors qu'au fond on sait très bien que y aura un drama surjoué à la fin. Je vais me charger de cette ennemie, comme ça, pour une fois, on trouvera vraiment un personnage secondaire utile !


— Permets-moi de te couper Nathan, le reprit Honest. Tout d'abord, l'envie de te révéler la vérité monte en moi : tu n'es pas dans un roman. Ensuite, pour ta gouverne, j'aimerais mettre le doigt sur le fait que – »


Hakaze soupira. D'un geste rapide, elle projeta une onde obscure qui s'abattit sur les deux garçons, les propulsant au loin. Lorsqu'ils se relevèrent, je constatai qu'ils n'avaient rien de cassé… Cependant, quelque chose de bien plus grave semblait préoccuper Honest.


Le livre rouge qu'il tenait dans les mains tomba en lambeaux, sous son regard décomposé. Ses yeux s'écarquillèrent. Son teint devint blême. Une esquisse de frustration s'inscrit sur son visage, laissant éclater une colère immense en quelques secondes à peine. Il fut métamorphosé, bien plus agressif, assoiffé de vengeance. Il se redressa, l'expression perçante et méprisant Hakaze du plus profond de son âme.


« Tu n'aurais pas dû faire ça… grogna le jeune homme dont la voix était soudain devenue bien plus sombre. Je vais te définir le sens du mot supplice…


— Attends Honest ! lui criai-je. Tu ne peux pas –


— Prison, me coupa-t-il sèchement. Nom féminin. Lieu quelconque où quelqu'un est ou se sent séquestré, enfermé. »


En l'espace d'une seconde, une cage se dessina autour de moi, Luna, et Erika, nous enfermant à l'intérieur sans que l'on ne puisse faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. Était-ce…le pouvoir de Honest ? Quoiqu'il en fût, j'essayais de trouver un moyen de briser cette barrière, tandis que toute la guilde ETHER se mit face à Hakaze, entamant un combat à quatre contre un.


« Je vois que vous minimisez les risques, reprit mon ancienne amie, absolument pas perturbée. Il est en effet plus sage d'être à quatre contre un, même si je ne sais pas ce que vous gagnez en enfermant vos alliés.


— Tu comptes me faire croire que même sans te vaincre, nous aurons accès à Reisuke et Indy ? s'amusa Soichiro. Cette barrière les protège également de toute attaque, afin de les conserver pour l'assaut final.


— Bordel que c'est cliché, renchérit Nathan, exaspéré. Évidemment qu'on laisse le frère affronter Reisuke en dernier alors qu'il n'a aucun pouvoir, simplement pour l'affiche. Sérieusement JPP de vous tous. Si j'étais jury d'un quelconque concours sur Wattpad, jamais je ne vous éditerais. »


Mais alors qu'ils discutaient, Himiko avait déjà lancé son assaut. Elle portait désormais une armure assez similaire à celle d'Azéthys, mais malgré tout différente. D'une vitesse ahurissante, elle alla attaquer sa fille, Hakaze, qui pour toute réponse vint s'écraser sur sa mère, laissant la collision provoquer une onde électrochoc qui sembla tous nous électriser.


La bataille finale avait commencé, et ce n'était que le premier acte.





Spoiler :


Hakaze repoussa sa mère d'une facilité déconcertante. Le nuage de fumée se dissipa, me laissant voir ce que je redoutais. Mon amie était désormais habillée d'une armure similaire à celle de Zéphyra, à l'exception qu'elle était colorée de rouge. Elle dégageait une aura obscure qui suffisait à me glacer le sang. La fille de Soichiro n'était plus du tout la jeune femme bienveillante qui savait toujours me tirer vers le haut et révéler le meilleur de mes capacités. Il ne restait d'elle qu'une existence déformée par les ténèbres et les remords, capable du pire pour ses convictions.


Soichiro claqua de nouveau sa pierre au sol, laissant également apparaître Zéphyra, celle de la petite Hakaze cette fois puisque la mienne se trouvait encore en Izrath, à ses côtés. Ils se jetèrent tous les deux sur l'alliée de Reisuke qui, au lieu de se laisser intimider, se défit de son père et l'Izrathienne d'un geste bref. Les parents et leur camarade grimacèrent face à leur piètre performance, tandis que Hakaze gardait un air neutre.


« JPP !! hurla Nathan, apparemment contrarié. Criticize : Change tes persos ! »


Il se mit à luire d'une lueur aussi jaune que ses cheveux qui s'agitèrent au gré de la pression de son énergie. Il déploya ses bras afin de prendre une position de combat, mais lorsqu'il reprit la parole, ce fut une toute autre chose qu'il se passa.


« C'est quoi ton but finalement !? cracha le jeune homme. Tu te fais manipuler par le premier méchant en carton qui passe juste parce qu'il t'a promis un rêve inaccessible !? Laisse-moi rire. Tu vaux pas mieux qu'Erika. »


À la suite de ces mots, des chiffres apparurent au-dessus du blond à lunettes. Un nombre étincelant : 70. Je ne compris pas immédiatement ce qu'il en était mais la lueur redoubla d'intensité, laissant le guerrier d'ETHER devenir soudainement beaucoup plus puissant. Je ne saisis pas vraiment ce qu'il en était, mais je pus vite déduire la réponse. Il critiquait son adversaire, et plus la critique était lourde et avait d'impact, plus le gain accordé à son instigateur était important.


Alors qu'il fonçait sur Hakaze en projetant toute la puissance qu'il avait accumulée il fut secondé par Honest, qui, tenant toujours les lambeaux de son Bescherelle dans les mains.


« Ouragan. Nom masculin. Tempête très violente, où la vitesse du vent dépasse 120 km à l'heure. »


Aussitôt dit, il généra un ouragan si puissant qu'il sembla emporter avec lui tout ce qui se trouvait sur l'espace de bataille. Nathan soupira.


« Sérieusement !? Tu n'as rien d'autre à faire que de sortir quelque chose qui peut balayer tes coéquipiers au passage !? Non mais JPP de toi !! »


Le score de 75 s'afficha au-dessus du rabat-joie d'ETHER, ce qui décupla sa puissance. Cela lui permit de bondir dans la tempête en y déployant la totalité du pouvoir généré par sa critique, en direction de Hakaze.


Cette dernière soupira, et à vrai dire je pouvais la comprendre. Ces deux-là ressemblaient bien plus à un duo de comiques qu'à des combattants. Pourtant, lorsque l'attaque vint jusqu'à elle, elle transperça le bouclier d'ombre que la jeune femme avait généré, jusqu'à s'écraser sur elle dans un vacarme assourdissant.


Elle fut projetée contre les parois invisibles de l'espace de combat qu'elle heurta avec violence. Elle ne prit pas le temps de se relever qu'elle revint comme une fusée, prise d'une rage folle. Fixant les adversaires qui lui faisaient face, elle entama une incantation :


« Sanctum : Bright Slice. déclara-t-elle sans état d'âme. »


Son seul doigt devint aussi tranchant qu'une lame, et aussi étincelant que le soleil lui-même. Elle le mania avec légèreté et attaqua Nathan en donnant des coups de parts et d'autres qu'il peinait à esquiver. Il fallait dire que l'arme de la femme était aussi puissante qu'une épée tout en étant aussi agile et précise qu'un doigt humain, ce qui lui permettait d'attaquer rapidement, efficacement, et avec précision. Nathan ne parvint pas à esquiver toutes les attaques, ce qui lui valut des lacérations dispersées sur le torse et sur ses vêtements. Il se fit ensuite propulser par la jeune femme qui le mit KO en quelques instants.


Honest attaqua de derrière, assisté par Soichiro. Ensemble ils générèrent beaucoup de puissance glaciale qu'ils tentèrent d'utiliser contre Hakaze, mais, armée de son seul doigt, elle réussit à briser les épais écrans miroirs avant de neutraliser ses ennemis d'un geste furtif et rapide, comme l'on expédiait une tâche trop barbante.


Les trois hommes tombèrent au sol, incapable de se mouvoir. Elle les avait terrassés, et cela me faisait très peur. Elle avait réduit au silence l'homme ayant tenu tête à un individu aussi puissant que Ricky Sawyer, tout en neutralisant les deux autres membres de son équipe au passage.


Il ne restait plus que Himiko, la mère de mon amie. Elle resta droite, dévisageant sa fille d'une expression extrêmement contrariée. Elle serra les poings, grimaçant face à la démonstration de force déployée par Hakaze.


« Utiliser ces attaques qui viennent directement du sanctuaire céleste pour nous réduire au silence. Honte à toi, Hakaze. Tu utilises un héritage familial pour attaquer ta propre famille.


— Je sauve ma famille, nuance, reprit calmement la ténébreuse. Tout recommencera pour nous tous, et nous célèbrerons la vie… Enfin vous la fêterez, sans moi.


— Tu es aussi butée que ton père. Eh bien soit, je vais t'en empêcher pour de bon. Sanctum : Holy wings ! »


Himiko se mit à rayonner d'un éclat blanc qui se dissipa en quelques secondes. Cependant, à ma grande surprise, deux grandes ailes aussi étincelantes qu'un diamant lui poussèrent dans le dos, la laissant s'envoler dans l'espace avant d'atterrir gracieusement sur ses jambes. Le simple battement de ces ailes semblait secouer l'atmosphère elle-même, projetant à chaque fois de la poussière d'étoile qui scintillait quelques secondes avant de disparaître dans un souvenir dissipé.


Elle se jeta sur sa fille qui n'eut pas le temps d'esquiver son attaque. Elle tenta bien de se défendre avec « Bright Slice », mais c'était peine perdue. Himiko semblait connaître toutes les ficelles du sortilège de la brune, ce qui lui permettait d'esquiver, voir de contenir toutes les tentatives de mon amie Hakaze. Cette dernière grimaça, laisser entrevoir de l'insatisfaction pour la première fois depuis notre arrivée. La lueur autour d'elle fut de plus en plus éclatante, jusqu'à arriver à explosion, littéralement.


Elle sembla exploser, exactement comme une bombe l'aurait fait. Himiko se saisit rapidement des trois hommes gisant au sol, les extirpant in-extremis de l'assaut. Une fois la fumée dissipée, je pus constater que Hakaze était indemne. Malgré le fait qu'elle était réceptacle de chacune de ses attaques destructrices, la jeune fille ne subissait aucun dégât. Bien au contraire, j'avais l'impression qu'elle était même plus puissante chaque fois qu'elle provoquait une de ces explosions


Je déglutis. Elle semblait aussi puissante qu'un monstre. Je n'avais jamais vu une telle force chez qui que ce soit, y compris Reisuke qui était déjà assez fort lui-même. Je commençai à douter. Peut-être avions-nous pris cette mission trop à la légère, ou nous avions été trop présomptueux en nous surestimant.


Pourtant, la femme aux cheveux blancs ne se laissait pas démonter, bien au contraire. Elle prit son envol, gagnant de l'altitude jusqu'à pouvoir regarder sa fille de suffisamment haut, et lorsqu'elle fut prête, elle projeta de la paume de sa main droite une multitude de sphères luminescentes et multicolores qui s'écrasèrent sur Hakaze.


La malheureuse utilisa son doigt pour dévier tous les projectiles, mais ils étaient bien trop nombreux. Elle ne put pas tous les neutraliser, ce qui lui fit encaisser des dégâts considérables, acculée par la quantité bien trop importante lui étant tombée dessus.


Elle se ressaisit, mais la mère était déjà face à elle. Himiko se saisit du cou de son adversaire afin de l'immobiliser, et tandis que sa fille essayait de se débattre, elle généra une puissante énergie couleur blanchâtre qui vint s'écraser sur la brune, la laissant cracher un filet de sang en s'écroulant au sol.


Himiko se tourna, comme laissant pour vaincue sa progéniture. Cette dernière, haletant comme si elle avait bataillé durant des heures, prit la parole.


« Dis Himiko, entama-t-elle d'une voix à moitié morte. Pourquoi veux-tu m'empêcher de choisir cette route alors que tu projettes de faire exactement la même chose que moi ? »


Soichiro, qui reprit ses esprits, n'eut pas le temps de se poser la moindre interrogation que sa femme l'avait déjà réduit au silence pour de bon, le faisant perdre connaissance de nouveau. La maîtresse de la guilde ETHER grimaça face à la question pour le moins très franche de sa progéniture. Elle ne répondit pas, se contentant d'ignorer la brune, mais cela n'eut aucun effet positif. En effet, cela lui donna la force de se relever et de se dresser contre sa mère, avec toute la détermination du monde ancrée dans son regard à la fois féroce et impassible.


Toujours dans l'armure de Zéphyra, la jeune femme se propulsa droit contre sa mère, qui utilisa la même barrière qu'elle pour la repousser, avant d'enchaîner par un puissant battement d'ailes qui repoussa la fille quelques mètres plus loin.


« Je vais en finir une bonne fois pour toutes, reprit Hakaze. Sanctum : Nitescia ! »


Elle leva le bras au ciel. Dans la paume de sa main apparut une sphère d'énergie extrêmement puissante qui grossissait au fil des secondes d'une rapidité incroyable. La croissance de l'attaque était telle qu'elle atteint le double de son volume originel au bout de vingt secondes, puis le triple en une minute. Lorsqu'elle fut totalement chargée, la brune projeta sa toute puissance sur la mère qui, affolée, était complètement à la merci de l'assaut. Il s'écrasa sur elle, soulevant un immense nuage de fumée qui me fit tousser.


« Il semblerait que je sois arrivé à temps, reprit une voix grave et sérieuse, comme touchée par le chagrin. Damoiselle Hakaze, vous me faites énormément de peine. »


Medrawt apparut, portant dans ses bras Himiko qu'il avait protégé de l'impact. Il atterrit gracieusement en la gardant en sécurité, la déposant ensuite gentiment au sol. Il dégaina son épée avant de la pointer sur Hakaze, l'air à la fois outré et extrêmement triste.


« Je suis désolé d'être arrivé si tard mes amis, je couchais Hakaze.


— Je te remercie d'avoir veillé sur elle, Medrawt, reprit la femme aux cheveux blancs. Je m'inquiète beaucoup pour ma fille, et la savoir avec toi dissipe mes craintes.


— C'est naturel, répondit le chevalier. Après tout, je lui dois la vie. Vous ferez cependant attention. Depuis peu elle fait des cauchemars dans lesquels elle crie qu'elle ne veut pas se marier à « ce grand dadais tout moche et inutile ». »


Je soupirai. Tout ça grâce à la merveilleuse intervention de cette chère Laïla. Elle avait tiré profit de mes sentiments pour s'amuser de mon infortune, et cela avait l'air de marcher. Comment manipuler une enfant ? Elle était experte.


Je posai de nouveau mes yeux sur l'affrontement entre Medrawt, Hakaze et Himiko. Les deux partenaires improvisés attaquèrent en totale coordination, comme s'ils avaient toujours combattu côte à côte. C'était stupéfiant. Ils étaient extrêmement complices dans leurs attaques. Un regard suffisait pour indiquer à l'autre ce qu'il devait faire ou non, et grâce à cet esprit d'équipe, ils prirent le dessus sur la jeune femme.


Lorsque Hakaze voulut reprendre l'avantage, décidée à ne pas se laisser faire, elle témoigna d'une force prodigieuse qui semblait encore monter en puissance. Elle dirigea son attaque droit sur sa mère, se lançant tête la première dans une course effrénée vers Himiko qui, se remettant de l'assaut qu'elle venait de lancer, ne pouvait pas rétorquer.


Cependant, lorsque le coup alla se poser sur la femme aux cheveux blancs, ce fut le chevalier en armure qui encaissa l'attaque en s'interposant, prenant tous les dégâts sur lui. Il grimaça, soutenant la pression de son regard dans celui de son adversaire.


« Toujours pas décidée à entamer un dialogue ? lâcha le chevalier noble, aussi sérieux que quelqu'un de normal. Dois-je utiliser la force pour te faire entendre raison ?


— Si tu me connais si bien tu dois savoir que j'ignore le sens de ce mot., répondit Hakaze, toujours aussi impassible.


— Raison, reprit Honest qui avait soudainement regagné conscience. Nom féminin. Ensemble des facultés intellectuelles, considérées dans leur état ou leur fonctionnement normal. »


À l'instant précis où il prononça ces mots, Hakaze fut prise d'un doute. Le jeune homme n'eut même pas le temps de voir ce qu'il venait de faire, puisqu'il s'écroula ensuite, mais j'eus l'impression qu'il avait changé quelque chose en Hakaze.


« JPP… soupira Nathan… Une définition du dictionnaire et elle vacille tellement elle est fragile. »


Le score de 95 s'afficha au-dessus du corps de Nathan qui perdit connaissance à son tour, avant de s'écraser sur Hakaze qui fut propulsée au loin par la puissance dévastatrice de l'attaque.


Ce fut au tour de Soichiro d'agir. Il n'attaqua pas. Il rassembla ses forces, se levant péniblement, afin de bondir et rattraper sa fille avant qu'elle ne s'écrase. Il se contenta enfin de la serrer dans ses bras, avant de murmurer quelques mots lui étant destinés.


« Tu ne m'as jamais fait souffrir Hakaze. Je t'aime plus que tout au monde. Bien plus que Zéphyra, Azéthys, ou même Violet. Tu es mon inestimable trésor. Jamais je ne pourrais vivre dans un monde exempt de ta présence. Si c'était le cas, alors je serais à ta place, et je modifierais le cours du temps pour revenir dans un univers où je peux te serrer dans mes bras. »


Les yeux de Hakaze s'écarquillèrent face à la déclaration de son père. L'espace d'un instant, elle reprit ses esprits. Je distinguai ses yeux revenir à leur vert habituel tandis que des larmes se dessinaient sur son visage meurtri par le chagrin. Je fus soulagé. Hakaze était redevenue elle-même.


Pourtant, mon répit ne fut que de courte durée, puisque ses yeux reprirent leur noirceur malsaine, et en l'espace d'une seconde, elle ressortit la lame « Bright Slice » générée à son doigt et trancha sèchement son père qui s'écoula au sol.


Himiko lâcha un hurlement d'effroi, tandis que je ne réalisai pas ce que cela impliquait vraiment. Soichiro s'était écroulé au sol, comme figé dans le temps, sous nos regards impuissants. Hakaze se mit à éclater de rire en titubant à plusieurs reprises, se prenant la tête dans les mains comme si elle allait tomber sans le support de ses membres. Jamais je n'avais vu mon amie avec une telle expression. Ni elle, ni personne d'ailleurs. Elle était lugubre et inquiétante.


Elle continuait à rire frénétiquement, comme une personne étant à bout mentalement. Cela n'avait rien de naturel. On sentait toute la pression de ses nerfs dans ses effusions de joie qui n'en étaient finalement certainement pas. Dans ses yeux, je ne lisais plus rien. Ni peine, ni regret, ni joie. Il ne restait de mon amie qu'une coquille vide déformée par ses tourments et son désespoir.


Himiko s'écroula sur les genoux, cherchant à soigner du mieux possible celui qu'elle aimait. Elle était mobilisée par l'urgence à laquelle elle faisait face.


« Ne cherche pas à le soigner ! hurla Hakaze entre deux crises de fou rire. Quand je vous aurai tous réduits au silence, je pourrai modifier le passé et vous renaîtrez tous ! Je vous sauverai tous de cette issue fatale à laquelle vous faites face ! Finies les épreuves qui vous ont gâché la vie, je vais vous sauver, tous ! »


Elle fit se soulever un grondement énorme tandis que tout l'espace alentour semblait trembler sous la pression de son pouvoir. Des décharges électriques sortirent de partout et de nulle part, nous forçant même à nous protéger en vitesse, Erika et Moi. Himiko repoussait toutes les attaques de l'environnement, à la fois écrasée par l'état de son mari et celui de sa fille qui éclatait de rire en déployant ses bras et levant son regard vers le haut de la galaxie.


« Pardonnez-moi. Damoiselle Hakaze. »


Une seconde. Elle n'était pas attentive. Elle avait perdu la raison. Et finalement, beaucoup plus rapidement qu'il ne fallait pour le dire, il eut planté son épée dans l'abdomen de la jeune femme. Les rires cessèrent, ses yeux s'écarquillèrent, et une nouvelle fois son regard retrouva son éclat normal.


Le blond retira son épée, laissant sa maîtresse tomber sur les genoux, encore bouche bée par l'attaque du jeune homme. Je serrai les poings face à ce triste spectacle. Hakaze avait retrouvé ses esprits. Elle considéra tout le monde de son regard à moitié mort, avant d'afficher un sourire empreint de tristesse.


« Tu as pris la bonne décision Medrawt, le félicita la jeune femme, faible. Merci d'avoir mis un terme à toute cette folie… Mon ami…


— Je te sauverai ! hurlèrent Himiko et Erika ensemble, alors que notre prison disparut. »


Nous nous ruâmes, moi et Erika sur la jeune femme qui se laissa tomber au sol. Je la pris sur mes genoux, cherchant au fond de moi pourquoi nous en étions arrivés ici… Sans succès.


« Je suis désolée pour tout ce que j'ai fait… Hiroki, Erika. J'aurais voulu que tout se passe autrement.


— Hakaze… bégaya Erika. Pitié… Ne pars pas…J'ai…J'ai besoin de toi… Tu as toujours été là pour moi, on a partagé des moments drôles, des peines, des joies… Je voulais être là pour toi comme tu l'as été pour moi… Si… Si tu me laisses maintenant… Il me reste plus rien…


— C'est faux, bredouilla faiblement Hakaze. Il vous reste Reisuke. Arrêtez le, et repartez ensemble, comme vous devez le faire.


— Mais Hakaze ! hurla Erika qui ne voulait pas s'y résoudre. C'est impossible pour moi de te laisser ici !


— Erika… Vivre dans un monde de noirceur…C'est se condamner à la solitude. Le bonheur est simple. Il suffit de regarder le ciel, les nuages, les arbres, la vie… Des miracles se produisent au quotidien… Il faut simplement être assez ouvert d'esprit pour les voir.


— Hakaze… murmurai-je, la gorge nouée par l'émotion. Je…


— Tais-toi Hiroki, répondit-elle, douce. Je le sais. Moi aussi je t'aime du plus profond de mon cœur. Tu as toujours été celui qui brillait le plus à mes yeux. Ta gentillesse, ta douceur, ton ouverture d'esprit, et même ta capacité à me faire tourner en bourrique…font de toi l'homme que j'aime. »


Elle marqua une pause pour respirer, et reprit finalement en s'adressant à sa mère.


« Sauve papa, et dis-lui que je suis désolée… Je vous aime plus que tout au monde, tous les deux.


— Je le ferai… répondit Himiko. Et toi aussi, je te sauverai. »


La brune sourit. Avant de se tourner vers moi, l'expression à moitié éteinte.


« Tu te rappelles de notre promesse, Hiroki ?


— Bien évidemment… répondis-je, ne voulant pas m'en souvenir.


— Alors, exécute-toi. Mon amour. »


Je fis ce que Hakaze m'ordonna. Déposant mes lèvres sur les siennes, j'entrouvris sa bouche afin qu'elle rende son dernier souffle dans un baiser. Je sentis une bouffée d'air arriver en moi, comme si elle me l'avait insufflée… Et lorsque mes lèvres se détachèrent des siennes, je ne distinguai plus aucun signe de vie de celle que j'aimais.


« Dis Hiroki ? résonnait une voix fluette dans ma tête, comme pour me rappeler ce souvenir. J'ai lu dans un ouvrage de mon père que chez les Indiens d'Amérique, quand un camarade meurt, sa famille ou ses amis aspirent son dernier souffle afin de le garder avec lui. Tu ne trouves pas ça magnifique ?


— Moui, répondis-je sans grande conviction. Pourquoi tu me dis ça maintenant ?


— Parce que je voudrais qu'on se fasse une promesse. Si un jour l'un de nous meurt, alors l'autre doit lui prendre son dernier souffle, pour que l'on reste toujours ensemble, pour l'éternité, d'accord ?


— Si tu veux… »


Je lâchai un cri de rage, accompagné par toutes les larmes de mon corps. Une partie de moi venait de mourir, si ce n'était pas mon être complet qui m'avait quitté en même temps que Hakaze.


J'étais désormais seul, accompagné par le vide.





Spoiler :


J'étais seul, et rien ni personne ne pouvait me tirer de ma solitude. J'étais désarmé, abasourdi, détruit de l'intérieur alors que dans mes bras reposait celle que j'aimais du plus profond de mon âme. Je me voyais déjà l'embrasser, l'épouser, fonder une famille avec elle, mais la vie m'avait rattrapé et aujourd'hui elle gisait sur moi, inerte.


Je pleurais, jusqu'à brouiller ma vision. Je ne distinguai rapidement plus les formes. Mon nez coulait autant que mes yeux, j'avais l'impression de me vider de partout. J'avais l'impression que mon existence même n'avait plus aucun sens sans Hakaze, alors que mon petit-frère était toujours aux prises avec la folie, à deux doigts de détruire le monde. Mais tout cela n'avait plus aucun sens. Si elle n'était plus présente pour tirer le meilleur de moi-même, alors je redevenais un moins que rien, incapable de remplir la moindre mission. Je retournais dans les ombres desquelles elle m'avait tiré afin de disparaître de nouveau, seul et en peine.


Je restai avec mon âme sœur reposant sur mes genoux, ne réalisant pas la situation dans laquelle je me trouvais. La porte vers Indy et Reisuke venait d'apparaître, et nous pouvions l'emprunter sans le moindre scrupule ni remord, mais je n'y arrivais pas. Cependant, à ma grande surprise, ce fut Erika qui m'y entraîna. Elle me tirait par le bras, me faisant lâcher Hakaze. Je ne compris pas tout de suite le pourquoi elle était prête à abandonner ma chère et tendre derrière, mais lorsque je constatai son visage, je m'aperçus de la réalité.


Erika pleurait autant que moi. Elle était déchirée elle aussi, mais elle se relevait. Elle était plus forte que moi, la blonde. Elle était capable de se relever pour donner sa chance au monde, alors que de mon côté, je me fichais de son sort si je ne pouvais pas l'habiter en compagnie de ma seule et unique. Pourtant, elle s'obstinait à m'entraîner avec elle. Si Erika tenait tant à aller affronter Reisuke et Indy, elle n'avait qu'à le faire toute seule. Après-tout, dans le présent, une vie tranquille avec Reisuke l'attendait, tandis que moi j'étais condamné à errer dans un monde sans Hakaze. C'était injuste. Terriblement injuste, alors que nous n'avions rien demandé d'autre que de vivre heureux.


Luna et Erika me transportèrent de force par un sort de la plus âgée des deux. Ensemble elles continuèrent jusqu'au prochain espace étrange dans lequel nous allions atterrir, ne se souciant même pas de mes sentiments et de mes décisions. Ainsi, nous atterrîmes dans un environnement similaire à celui dans lequel nous avions affronté Hakaze.


« Hiroki, il faut que tu te ressaisisses ! me sermonna Erika. Ce n'est pas le moment de te laisser abattre ! Est-ce que tu comptes sauver ton frère en agissant de la sorte !?


— Sans Hakaze… murmurai-je de manière robotique… Rien n'a plus de sens.


— Il est inutile d'essayer de le ramener dans son état normal, interrompit une voix n'étant ni celle de Luna, ni celle d'Erika. Il est fini. »


Erika considéra la personne qui avait prononcé ces mots, et sans surprise, il s'agissait d'Indy Muller. L'Indienne était apparue de nulle part, exactement comme Hakaze l'avait fait juste avant ce terrible affrontement. Elle s'avança vers les deux femmes d'un air mystérieux doublé d'une profonde satisfaction. Son sourire était prononcé. Elle était heureuse de constater cette tournure des choses et ne s'en cachait pas. Pourtant, quelque chose clochait. Certes, la femme était avant tout présente pour protéger Reisuke, mais j'avais le sentiment qu'il y avait bien plus que cette histoire.


Car les regards lancés à Erika étaient assez particuliers. Elle ne considérait pas Erika comme une jeune fille parmi les autres, non. Une expression de haine était gravée dans les yeux d'Indy chaque fois qu'elle regardait mon amie la blonde. Comme si cette dernière lui avait fait quelque chose de personnel.


« Cela fait des mois que j'attends ton retour, Erika Kurenai, lança l'Indienne, méprisante.


— Et que me veux-tu ? reprit mon amie, dubitative. Tu veux m'affronter par pure jalousie ?


— Jalousie ? s'amusa son interlocutrice. S'il te plaît, je n'ai pas besoin d'être jalouse. J'ai bien plus que toi. Je suis la nouvelle maire de cette ville, future ambassadrice d'un monde nouveau, et même lui est à moi.


— Lui ? s'interrogea Luna, sur ses gardes. Alors tu le manipules ?


— Je ne le manipule pas. Je lui apporte simplement un soutien émotionnel non négligeable afin de lui donner confiance et lui montrer toutes les opportunités qu'il peut saisir. Je suis tout pour lui. Son outil, sa camarade, son amante, sa force.


— Son amante ? reprit Erika, déjà en colère. Explique-toi.


— Il n'y a rien à expliquer. soupira l'Indienne. Vois la réalité en face, tu as perdu sur toute la ligne. Reisuke est mien, et il a fait de moi la sienne. Tu as beau le connaître depuis des lustres, jamais tu ne partageras un lien si fort que celui que le nôtre.


— Alors tu fais tout ça… Juste pour l'amour d'un homme ? s'interrogea Luna.


— Oh non, ne te méprends pas., sourit Indy l'air léger. Je ne fais pas ça simplement pour l'amour de Reisuke. Si je devais donner une raison à mes agissements… Disons que j'aimerais voir ce que c'est qu'un monde détruit. J'aimerais contempler ce qu'est un univers de désespoir, juste par curiosité. »


Avais-je bien entendu ? Indy se battait simplement pour voir un monde détruit ? Était-ce vraiment possible d'agir de la sorte et mettre des vies en jeu par curiosité ? Je ne voulais pas vraiment y croire. Hakaze ne pouvait pas avoir payé sa vie juste pour répondre aux questions sordides d'une folle. Pourtant, quand je regardais l'Indienne, elle n'avait pas l'air de mentir. Elle était sûre d'elle, et semblait authentique. Sans aucun doute, ni remord.


« J'ai un compte personnel à régler avec toi Erika, lança la jeune fille en désignant mon amie du doigt. Car si nous sommes tous dans cette situation, c'est entièrement ta faute.


— Je le sais, reprit l'intéressée en grimaçant. Et c'est bien parce que je suis à l'origine de ce voyage dans le temps que je sauverai mon Rei. C'est ma responsabilité.


— Je ne parle pas de ça, rétorqua Indy en fronçant les sourcils. Tu peux berner tout le monde autour de toi, mais cela ne prend pas avec moi. Je sais ce que tu caches, Erika Kurenai. Je sais tout de toi. »


Les mots d'Indy laissèrent un silence derrière eux, comme s'ils avaient figé l'instant l'espace de quelques secondes. Moi et Luna nous scrutâmes Erika, qui, baissant la tête, n'avait toujours pas répondu. Je cherchais la jeune femme du regard, tandis que j'attendais sa réponse qui allait la blanchir. Cependant, au lieu de prendre la parole afin de dissiper mes doutes, elle eut un tout autre comportement.


En une fraction de secondes, la princesse des serpents apparut aux côtés de mon amie, laissant cette dernière reprendre l'apparence qu'elle avait lorsqu'elle se battait avec Toratura. Cheveux blancs, yeux pourpres, se dressant fièrement derrière un reptile féminin fait d'écailles et de chevelure de serpent… La reine des reptiles était de nouveau parmi nous, se plaçant entre Indy et sa propriétaire.


Les deux partenaires lancèrent un regard glacial à l'Indienne qui se contenta de lui renvoyer un sourire narquois. Il n'en fallut pas plus pour que Toratura et Erika ne se jettent sur Indy, accompagnées par une puissance rougeâtre. Elles projetèrent une onde énergétique droit sur la brune qui leur faisait face, mais comme je m'y attendais, cette dernière dévia très facilement l'assaut, restant indemne et inaccessible.


« C'est mesquin, s'amusa-t-elle. Ne pas répondre aux questions et passer directement à la bataille, c'est typique d'un comportement de fille qui a des choses à se reprocher. Allez, Erika ! Dis-nous ce que tu as sur le cœur ! J'aimerais l'entendre de ta bouche !


— Je n'ai rien à te dire ! rétorqua blonde aux cheveux bouclés. Écarte-toi ! mon Rei m'attend !


— Je regrette, mais il est hors de question que je renonce maintenant. J'ai beaucoup entrepris pour en arriver ici, et je compte aller jusqu'au bout. Mais ne t'en fais pas, je te garderai en vie, afin que tu constates ton échec cuisant ! »


Indy reprit son calme, murmurant tout simplement :


« Ziakwer, il est temps de préserver le futur. »


Une épaisse couche d'ombre se forma devant Indy, absorbant les attaques provenant d'Erika et Toratura. En moins d'une minute, la masse ténébreuse prit forme. Une apparence humaine, d'un homme au teint pâle et aux cheveux noirs. L'individu semblant d'âge avancé affichait un visage terne aux rides creusées, dont l'obscurité s'en dégageant était soulignée par une tenue noire et un Fedora de la même couleur. Une longue cape obscure lui tombait dans le dos, virevoltant au gré de la pression atmosphérique générée par son apparition.


Il ne prit même pas la parole. Il se rua sur l'Izrathienne du côté de mon amie et lui asséna un puissant coup de poing qui la fit se plier sous la douleur. Mais quelque chose me fit réagir. Au moment précis où Ziakwer toucha la princesse des serpents, ses cheveux changèrent de couleur pour virer au bleu nuit, alors que sa peau attrapa le teint de Toratura. Je ne compris pas ce que cela voulait dire au départ, mais lorsqu'il cracha une traînée de venin sur son adversaire, je réalisai.


Mais je n'eus pas le temps de l'expliquer. Ziakwer venait de se faire éjecter avant même de pouvoir enchaîner une autre attaque. Surpris, je me tournai rapidement vers Erika, mais l'attaque ne venait pas d'elle. Luna était arrivée à ses côtés, en position de combat, prête à en découdre.


« Peu importe le degré de responsabilité d'Erika, lança la femme, assurée. Ce que vous souhaitez faire est mal, et nombreux innocents paieront pour un conflit personnel. Je t'arrêterai, Indy.


— Peu importe le nombre de personnes qui périront, répondit Indy en haussant les épaules. L'éternité n'a pas d'horloge. Qu'ils meurent maintenant ou dans vingt ans, l'éternité les attend derrière la mort, et là-bas, les dates n'auront plus de sens. »


Cela ne convainquit pas Luna qui, d'un geste de la main, fit briller toutes les étoiles autour de nous d'un éclat intense. Tous les luminaires célestes s'allumaient les uns après les autres à une vitesse folle, avant de tous projeter un faisceau lumineux groupé qui s'abattit en quelques secondes sur Ziakwer, l'Izrathien d'Indy. L'homme ne se laissa pas décontenancer. Il se contenta de disparaître dans une faible quantité d'air obscur qui se dissipa avant même que l'attaque ne le touche. Il réapparut ensuite derrière l'instigatrice, ayant déjà chargé dans sa main droite de l'énergie mauve qu'il allait lui projeter, mais Erika le prit de cours. Toratura s'écrasa contre lui, le plaquant au sol, tandis que mon amie la blonde, elle, chargea de l'énergie afin de se ruer directement sur Indy, la propriétaire de Ziakwer.


L'Indienne esquiva gracieusement l'attaque de mon amie en faisant une pirouette arrière, avant d'elle-même attaquer, l'énergie chargée dans ses membres. S'ensuivit un échange acharné dans lequel la blonde et la brune se donnaient des coups de poings et de pieds, et paraient ceux provenant de l'adversaire, jusqu'à ce que l'une d'entre elles ne soit plus capable de répondre aux assauts de l'autre.


Ziakwer quant à lui, bataillait toujours avec Luna. Les deux individus testaient chacun leur magie l'un contre l'autre, tandis que Toratura, elle, rejoint la bataille aux côtés d'Erika. Cependant, alors que la sœur du soleil d'Héliopolis déclenchait des sorts tous plus puissants les uns que les autres, l'homme à la barbe prononçait se contentait de les contenir sans difficulté, comme s'il avait déjà affronté des pouvoirs de cette envergure.


« J'ai passé vingt-cinq ans à lutter contre les forces du mal, déclara l'homme de sa voix grave et profonde. Ta magie n'est que de la prestidigitation de seconde zone pour moi, jeune Égyptienne.


— Seuls les faibles s'arrêtent à l'écart entre les puissances pures et brutes, reprit Luna, sérieuse. Un grand guerrier sait franchir les fossés entre ses capacités et celles des autres, peu importe l'adversaire. Alors viens, je te vaincrai, aussi faible suis-je à tes yeux. »


Elle déploya son bras droit vers l'homme au Fedora, projetant un rayon éclatant comme le soleil d'un diamètre d'au moins trois mètres en sa direction. Dans toute sa puissance, Ziakwer le désintégra d'un geste furtif qui me donna l'impression qu'il coupa en deux la projection, mais cela ne suffit pas pour déranger la prêtresse d'Heliopolis, bien au contraire, puisqu'à la grande surprise de l'Izrathien d'Indy, quelque chose clochait.


En effet, le rayon en question, découpé par la puissance de Ziakwer, s'était scindé en deux, et rapidement en trois ou quatre-cent dragons à la peau scintillante et aux yeux clairs qui apparurent dans l'espace de bataille. De tailles variables, ils s'élevèrent tous en même temps, poussant un cri strident à l'unisson, avant de se jeter sur l'homme au teint pâle qui ne se laissait pourtant pas décontenancer par un tel revirement.


Luna orchestrait leurs attaques du doigt, comme un chef d'orchestre. Elle dirigeait la masse de créatures par des gestes de la main devenue aussi luminescente que sa création. Ils étaient rapides, elle était réactive. Alors ensemble ils formaient un duo approchant la perfection. La nuée étincelante s'écrasa donc sur Ziakwer qui, cette fois, ne put rien faire d'autre que se laisser projeter contre les parois de l'espace. Cependant, Indy qui s'était aperçue de la scène, bondit en utilisant sa réserve de pouvoir afin de rattraper son acolyte en vol. Elle fut suivie par Erika qui n'en avait pas fini avec elle, mais en guise de réponse, ce fut l'Izrathien de l'Indienne qui lança une ombre si puissante qu'elle projeta mon amie droit vers le sol. Ziakwer rayonna d'une lueur intense de couleur mauve qui se mêla à celle d'Indy. Il attrapa le col de la femme, avant de tout simplement la projeter droit sur Luna d'un geste sec et montrant toute la puissance de l'homme au Fedora.


L'Indienne arriva à la vitesse de la lumière sur Luna, projetée telle une torpille. Toratura s'interposa entre elle et l'Égyptienne, mobilisant toute la puissance à l'intérieur d'elle pour lancer une attaque empoisonnée destiner à lutter contre le tourbillon dévastateur qu'était devenue Indy. Les deux énergies s'entrechoquèrent, laissant la collision déclarer un bras de fer spirituel dont dépendrait sûrement l'issue du match. Un tourbillon mauve affrontait une spirale violette tirant sur le noir, tandis que je regardais la scène, encore bien trop fracassé par la disparition de Hakaze pour tenter quoi que ce soit.


Luna appela ses dragons qu'elle mobilisa pour aider Toratura, suivie par Erika qui, supportant son Izrathienne, se positionna à ses côtés en lui fournissant son énergie spirituelle. Quant à Ziakwer, il prit aussi position derrière Indy, sur laquelle il appliquait une espèce de sort que je ne pouvais discerner.


Pendant quelques longues secondes, tous les efforts de l'équipe Erika se mesuraient à ceux de l'équipe Indy, et aucune des deux ne voulait laisser l'autre prendre le dessus.


Lorsque les pouvoirs se dissipèrent, ils firent match nul. L'enjeu était de savoir laquelle des protagonistes allait se reprendre en premier, et malheureusement, ce fut Indy. Haletante, elle trouva néanmoins le temps de disparaître en une fraction de secondes, avant de réapparaître derrière Erika. Elle s'agrippa derrière la blonde en enroulant ses jambes autour de son cou telle un serpent qui mesurait le gabarit de son prochain repas, et chargea une onde d'énergie puissante au creux de la paume de ses mains.


Une vision me vint soudain. Erika avait réussi à déjouer la puissance, mais Ziakwer allait l'attaquer furtivement afin de l'éliminer une bonne fois pour toutes. Elle en ressortirait gravement blessée et Indy finirait prendre le dessus. Cette scène me tira de mon état de transe. À quoi étais-je en train de jouer, à me morfondre de la sorte ? Tout ce que j'allais gagner en agissant ainsi, cela allait être de perdre Reisuke et Erika en plus de Hakaze. Tout le temps me serait donné après ce conflit, mais il fallait que je réagisse immédiatement si je voulais éviter une telle destinée à mon amie.


« Erika ! hurlai-je. Attention à Ziakwer ! »


Elle réagit trop tard. L'homme à la cape s'était déjà propulsé furtivement contre elle. Mais ce n'était pas encore la fin pour mon amie la blonde, puisque je plongeai, déterminé à dévier le coup porté par l'Izrathien. Mon cœur sembla répondre à ma demande, puisque je fus pris d'un seul coup d'un pouvoir assez intense qui m'accorda ce souhait. Ainsi, je percutai Ziakwer, et nous allâmes ensemble nous écraser au loin. Cependant, Luna avait déjà réagi bien avant tout le monde. Elle envoya sa horde de dragons étincelants qui percutèrent l'homme au Fedora en vol, le projetant droit contre le sol. Il poussa un hurlement de douleur, tandis que Indy, elle, lâcha un « Ziakwer !! » de surprise et d'effroi. Cela permit à Erika de se débattre de l'emprise de l'Indienne, avant d'envoyer la princesse des serpents qui écrasa sa longue queue rugueuse sur la jeune fille, soulevant une explosion d'énergie intense sur elle.


Indy était à terre, tout comme Ziakwer. Mais alors que nous allions passer à l'attaque finale afin de les réduire au silence, nous fûmes interrompus par un bruit strident et intense, comme un sifflement qui venait percuter nos oreilles en permanence. Je lançai un regard à Erika, qui ne voyait pas de quoi il pouvait s'agir, comme Luna d'ailleurs. L'Indienne se releva péniblement, le sourire aux lèvres. Elle déploya ses bras comme si elle allait étreindre quelqu'un, ou quelque chose, avant de sourire d'un air totalement fou, exactement comme celui qu'avait arboré Hakaze avant elle.


« Et c'est la fin ! hurla-t-elle en exultant. C'est terminé ! Yokohama et Tokyo vont disparaître pour laisser place au chaos et au désespoir !


— Qu'est-ce que… bégayai-je, abasourdi.


— Le processus est terminé, reprit L'Indienne, amochée. Vous avez pris beaucoup trop de temps contre Hakaze et moi. Reisuke est arrivé au bout de son œuvre. Tout est perdu. Tout va disparaître et naître de nouveau ! »


L'environnement autour de nous se modifiait tandis que Indy, les yeux écarquillés par la folie, éclatait de rire en constatant l'œuvre de Reisuke prendre forme. Comment était-ce possible… ? Avions-nous déjà perdu ?


Non, je ne voulais pas y croire. C'était impossible que tout se termine de la sorte. Alors je me relevai, déterminé. Je refusais de laisser le monde subir ce que Reisuke avait prévu pour lui. Je m'avançai donc vers Indy, décidé à en finir avec elle et Ziakwer une fois pour toutes, mais elle me dévisagea avant de reprendre.


« Reisuke n'a plus besoin de nous, et ma cause est terminée, lâcha-t-elle, glaciale. Adieu. »


Et en moins de temps qu'il ne fallut pour que je ne rétorque quoi que ce soit, l'Indienne actionna un mécanisme. S'ensuivit une puissante explosion l'ayant utilisée comme réceptacle qui s'écrasa dans un vacarme assourdissant sur tous les protagonistes de notre bataille. Nous fûmes soufflés par ce qui semblait être une tempête de flammes et de soufre qui brûlait l'ensemble de mon corps, mais pas seulement. Erika, Luna, et Ziakwer étaient aussi pris du feu leur détruisant la chair. J'étais aspiré par l'ouragan ardent qui semblait me drainer la vie elle-même. Mais alors que je pensais qu'il était impossible pour moi de m'en sortir, je remarquai un éclat lumineux apparaître au milieu des flammes.


Un dragon étincelant, chevauché par un petit bipède que je ne pouvais distinguer dans les flammes, apparut au beau milieu du carnage. Les deux luisirent, puis aspirèrent tout le feu provoqué par l'explosion comme s'il n'était que broutille, empêchant ainsi la puissante attaque de tous nous réduire en cendres. Ils projetèrent un champ d'énergie bleu/vert qui s'abattit sur nous, guérissant nos blessures petit-à-petit.


Je savais qui était derrière tout ça, et j'en étais surpris. Pleurant le sort de Hakaze, j'en avais oublié l'essentiel. Mes frères, non, mes fils, Cram et Diamond, étaient restés en retrait, et ils venaient d'utiliser leur pouvoir d'Izrath pour prévenir l'attaque flamboyante qui allait nous réduire au silence.


Cependant, en regardant le petit singe, je compris alors le tribut qu'il venait de payer afin de nous sauver. L'extrémité de sa queue prit feu, laissant une flamme incandescente s'allumer au bout, tandis que sur son dos naquirent de petites braises qui grossissaient au fil des secondes. Le mammifère cracha une traînée ardente mêlée à un rugissement de puissance, me faisant comprendre qu'il avait modifié son propre code génétique d'Izrathien en y mêlant un élément de feu.


Lorsque je me ruai sur mes amis, je constatai que le singe pouvait rétracter ses flammes, ce qui me fit plaisir. Je les félicitai brièvement en les étreignant, même si je savais que la joie allait être de courte durée. Je lançai un regard à Indy. Cette dernière gisait au sol, encore consciente, mais amochée par l'explosion qu'elle avait provoquée. Son corps entier était impacté par son acte, excepté son buste qu'elle avait sciemment protégé, laissant indemne la zone couvrant sa poitrine jusqu'à ses hanches. Je me rendis à ses côtés afin de lui porter secours. Cependant, même dans cette position, elle gardait ses convictions et ses combats.


« C'est fini pour vous… sourit l'Indienne en suffoquant. Vous êtes arrivés trop tard. Reisuke va enfin pouvoir dominer ce monde… Et il n'aura pas à subir…le même sort…que Kojiro…


— Pourquoi aller jusqu'à te sacrifier pour ça… murmurai-je, malgré tout peiné par le sort de la jeune femme.


— Parce que j'avais une mission et je l'ai remplie. Rien de plus. J'ai fait une promesse, et cela m'engageait pour toujours. »


Je posai ma main sur le visage de la jeune fille, par pure compassion. À ce moment précis, j'eus une autre vision provenant de Hiro. Une scène dans laquelle l'homme aux cheveux violets en Izrath avait été prévenu que la secousse qu'Indy avait prise pour le processus de Reisuke qui arrivait à terme n'était rien d'autre qu'une détonation créée par du trinitrotoluène en abondance non loin de la centrale désaffectée. Il était inutile de savoir qui était à l'origine de cette explosion que l'Indienne avait confondue avec le signal de la création d'un nouveau monde dans lequel Reisuke allait s'épanouir.


J'étais presque peiné pour la jeune Indienne qui se raccrochait à un espoir qui n'existait pas, si bien que je n'osais pas lui dire la vérité. Je me relevai, me tournant vers mes amies et mes Izrathiens.


« Luna, entamai-je. Fais de ton mieux pour préserver la vie d'Indy. Je voudrais que tu fasses en sorte qu'elle ne meure pas. Erika, retrouve Hakaze. Il faut que tu ailles voir si Himiko a réussi à prolonger sa vie. Si elle a réussi, il faudra que l'une de vous trouve d'urgence Shinichi Yamada. Il sera habilité à tenter quelque chose de désespéré pour elles. Idem pour Soichiro. Ne perdez aucune vie dans le procédé.


— Et toi Hiroki ? me demanda Erika, faible.


— C'est évident tu ne trouves pas ? Je vais mettre un terme à cette folie en arrêtant Reisuke une fois pour toutes. Emmenez Cram et Diamond avec vous. Ils vous aideront à effectuer votre mission. »


Un escalier de dalles translucides apparut de nulle part, me laissant comprendre qu'il était le chemin qui allait me mener à mon frère, afin que lui et moi livrons cette bataille finale. Le cœur lourd, je me mis en route vers l'ultime confrontation entre moi, Reisuke, et notre passé commun.





Spoiler :


Je pris l'escalier, laissant derrière moi toutes les personnes qui avaient été touchées de près ou de loin par le conflit dans lequel nous étions tous impliqués. Des tas de sentiments se bousculaient dans ma tête. J'étais partagé entre la promesse faite à ma mère, le sort de Reisuke, mais aussi les espoirs de toutes les personnes tombées au combat, à commencer par Hakaze, mais aussi Indy et la guilde ETHER. Nous avions tous perdu quelque chose au change, et si je ne réparais pas nos erreurs, cela allait coûter la vie de tous les habitants de cette ville en prime.


Lorsque j'arrivai dans l'espace, Reisuke m'attendait. Il semblait au-dessus de tout le paysage, flottant en position assise par je ne savais quelle magie alors qu'il me regardait de haut d'un air neutre. Sa longue chevelure noir couleur corbeau flottait au gré de la pression générée par ce qui se trouvait derrière lui. En effet, il avait généré une colonne d'énergie changeant continuellement de teinte et qui, je pouvais le constater de là où je me trouvais, était incroyablement riche en kvantiki.


J'étais censé venir le vaincre, mais je ne pouvais me résoudre à détester mon frère. Pourtant, il fallait que je me convainque que c'était la seule solution pour arrêter ce conflit. Alors je me dis que l'être en face de moi n'était pas celui que j'aimais depuis tout ce temps, mais qu'au contraire je devais réveiller le vrai Reisuke qui sommeillait au fond de lui, peut-être emprisonné par des chaînes mentales difficiles à briser.


« Je n'aurais pas imaginé que Hakaze et Indy auraient vraiment fini par perdre, lança Reisuke, presque compatissant. C'est dommage. J'aurais aimé qu'elles puissent voir ce monde pour lequel elles se sont battues.


— Pourquoi fais-tu tout ça, Reisuke ? répondis-je, tentant de le raisonner. Regarde tout ce qu'il est advenu de toutes les personnes qui croyaient en toi, et celles qui leur ont fait face. Est-ce là ce que tu souhaites vraiment ?


— Je n'ai rien accompli Hiroki, reprit-il calmement. Tout du moins, je n'aurais pas pu aller aussi loin tout seul. Cette situation est le fruit de tourments de tous ceux qui se sont joints à ma cause pour exaucer leurs souhaits.


— Tu les as manipulées ! hurlai-je, exaspéré d'entendre ça. J'aurais pu raisonner Hakaze si tu n'étais pas intervenu, et Indy était sous ta coupe depuis le début ! Ne te fais pas passer pour une victime !


— Je t'accorde le fait que j'ai manipulé Hakaze, soupira mon frère avec le sourire. Par contre pour Indy, c'est faux. Elle était complètement folle depuis le début, même sans mon intervention. À vrai dire, elle m'a agréablement surpris par des idées auxquelles je n'avais même pas pensé. Elle est une femme brillante pour le peu qu'on reconnaisse son génie. »


Je serrai les poings. Il savait qu'il les manipulait, il jouait juste avec moi. Certes, l'Indienne avait l'air lucide, mais je ne pouvais m'empêcher de penser qu'un facteur extérieur la poussait à entreprendre ce genre d'actions. Mais je n'étais pas venu ici pour discuter de ça. J'allais mettre un terme aux agissements de celui qui avait entraîné avec lui Hakaze, Indy, et Reisuke, mon véritable frère.


Il descendit de son piédestal. Il sauta de là où il était perché jusqu'à atterrir avec force devant moi. Je ne comprenais pas comment il avait pu bondir de la sorte alors qu'il flottait dans les airs, mais Reisuke m'expliqua.


« Nous sommes actuellement dans la centrale désaffectée., me dit-il. Nous sommes cependant dans une autre dimension dans laquelle il est impossible de nous voir ou nous atteindre. Ainsi, je peux entreprendre mon projet en utilisant la source de pouvoir sans être dérangé.


— Tu dis ça mais… Tu nous as tous laissé venir. Pourquoi ?


— Je pensais qu'utiliser Purple Revolution pour obtenir toute l'énergie nécessaire allait être suffisant, mais depuis que je suis ici, enfermé dans ces parois, j'ai réalisé que ce n'était pas le cas. Il me manque une source non négligeable de kvantiki pour ouvrir la porte vers le troisième monde. Et cette source, c'est toi.


— Moi… bégayai-je, faisant semblant de ne pas comprendre.


— Inutile d'essayer de me leurrer, Hiroki. Je sais que tu possèdes en toi un cœur contenant une partie du noyau d'Izrath. »


Mon cœur rata un battement. Comment l'homme contrôlant Reisuke pouvait être au courant d'une chose aussi secrète ? Seuls Soichiro Namatame et Astaris le juge étaient au courant de ce qui m'était arrivé dans le passé. Je tentai de feindre l'ignorance.


« Tu dois te tromper de personne, repris-je, en essayant de garder un air neutre. Je ne vois pas de quoi tu parles en mentionnant le noyau d'Izrath.


— Je sais très bien de qui je parle, ricana Reisuke. Tu as eu un accident il y a des années, et Soichiro Namatame, l'homme qui t'a recueilli, était pris par l'urgence. En voulant te sauver, et voyant que ton cœur avait cessé de battre, il a incrusté à sa place le fragment du cœur d'Izrath, Noun, qui lui avait été confié par Astaris, et tu t'es remis à vivre.


— C'est vrai, avouai-je. Cependant, je ne peux te laisser t'approprier mon pouvoir. Il est relié à ma vie elle-même, et je n'ai pas spécialement envie de me suicider tu comprends.


— Ne t'en fais pas, je ne t'ai pas demandé ton avis. En garde, Hiroki. Le sort de ton frère et du monde entier dépend de ta victoire.


— « JPP, c'est tellement cliché comme dénouement » comme dirait Nathan, repris-je, dérisoire. Il est temps de mettre un terme à ta folie, Reisuke. »


Mon frère afficha un sourire carnassier qui ne présageait rien de bon. Derrière lui sortit une créature de la colonne de puissance d'Izrath. C'était Draekort, le monstre accompagnant Reisuke, mais il était vraiment différent par rapport à d'habitude. Ses six têtes noires avaient fusionné en une seule, et il avait l'air de baigner dans une énergie électrique blanche aux reflets bleus et violets. Il ressemblait d'ailleurs désormais plus à un dragon qu'à un reptile.


Sans vraiment comprendre, je restai en alerte, guettant le danger arrivant devant moi. Un étrange symbole sortit de la vague d'énergie blanchâtre pour s'élever jusqu'au ciel. Des éclairs étaient propulsés par ce symbole autour duquel gravitait perpétuellement de l'énergie semblant assez puissante. Si puissante que cela me glaçait le sang. Au bout de quelques minutes, le dragon fut avalé par cette vague, puis une espèce de serpent géant sans véritable forme surgit de nulle part. Il brisa le symbole dans un rugissement qui déclencha un horrible frisson dans mon corps. Le serpent semblant fait d'énergie sans avoir de forme réelle s'élevait dans les airs, laissant les joyaux de différentes couleurs briller sur toute son enveloppe encore retenue par quelques chaînes visant sûrement à limiter sa puissance.


« Voici Draekort, l'héritier du kvantiki ! s'exclama fièrement Reisuke. Voici le monstre qui causera ta chute et celle de l'humanité ! »


Reisuke se mit à rire frénétiquement devant le monstre issu de sa création, tandis que moi je scrutais ce qu'il en était. Je sentais une très grande puissance provenant de Draekort, comme s'il pouvait me mettre en pièces d'une seule attaque.


Le monstre colossal se jeta sur moi à une vitesse fulgurante. Je l'esquivai de justesse, le laissant s'écraser dans un torrent d'énergie sans aucune forme physique contre le sol. Il reprit rapidement sa carcasse initiale tandis que je cherchais un moyen de rétorquer. Je grimaçai. De toute manière, Reisuke avait percé à jour mon secret, il était donc inutile que je me retienne davantage. Ainsi, je puisai dans mon cœur la puissance requise afin de rivaliser avec Draekort.


Mais je n'y arrivais pas. Pour une raison m'étant inconnue, je ne parvenais pas à aller au plus profond de mon cœur afin d'y prendre la force que je maîtrisais. Pourtant, Soichiro m'avait bien expliqué qu'une fois que j'allais être en accord avec moi-même, j'allais pouvoir utiliser la puissance m'ayant été accordée… Et pourtant, j'échouais chaque fois que je tentais. Le reptile de Reisuke quant à lui avait repris forme. Férocement, il propulsa un puissant torrent d'énergie vers moi.


Je n'avais plus d'échappatoire derrière laquelle me cacher pour éviter ce second impact. Il ne me restait que quelques secondes pour réfléchir à un plan… Mais quelques secondes ne suffirent pas. Tout ce que je trouvai à faire, ce fut me replier sur moi-même, pensant que ce réflexe de mes bras me protégerait de l'impact colossal. Fermant les yeux, j'encaissai l'attaque de plein fouet.


Mais alors que je pensais que la foudre que j'avais reçue m'avait sûrement été fatale, je me relevai sans la moindre égratignure. J'avais pourtant bien encaissé l'attaque, mais elle était comme passée au travers de mon corps. Sans vraiment comprendre, je me relevai… Mais alors que je tentai de me concentrer de nouveau, je fus surpris par ce qu'il m'arriva. Je ressentis une force considérable gagner mes bras, mes jambes, solidifiant mes muscles d'un seul coup. Lorsque je me rendis compte de ce qu'il se passait, je constatai que j'étais désormais habillé d'une espèce d'armure étrange.


La cuirasse de laquelle j'étais désormais vêtu était ornée de motifs étranges formant des cercles, des carrés, des rectangles de différentes couleurs. J'avais l'impression que beaucoup d'armes séparées étaient assemblées pour faire ce qu'était ma nouvelle carapace. Reisuke me lança un regard surpris face à ma transformation, tandis que de mon côté, je recouvrai d'un coup la mémoire liée à mon opération, me révélant tous les détails de mon pouvoir.


« J'ai transcendé les barrières entre Jidou et Izrath, murmurai-je. Je ne suis plus un humain, mais un Izrathien moi aussi ! Tremble, Reisuke ! Je suis Hiroki, le guerrier antique ! Et j'en appelle au pouvoir de mon épée ! Agia Lepida ! »


Lorsque j'appelai le pouvoir de mon cœur, la partie bleue de mon armure se détacha, reprenant une forme d'épée lourde qui vint de poser dans ma main. Ne cherchant pas à comprendre les capacités de ma carcasse je me ruai sur le monstre englobé par le kvantiki, bien décidé à l'abattre. Le dragon tenta de reculer en prenant son envol, mais il ne put éviter l'attaque de ma Agia Lepida, encaissant l'attaque en hurlant d'un cri sourd. Je reculai, conscient que mon assaut n'allait pas être suffisant pour le réduire au silence, et j'avais raison, puisque Draekort ne se fit pas prier pour contre-attaquer. Poussant un cri strident, il se jeta sur moi à la vitesse de l'éclair en préparant un puissant projectile aussi éclatant que son corps qu'il propulsa contre moi.


Je bloquai le coup de par mon imposante épée, ne me rendant pas compte que mes pouvoirs fraîchement éveillés ne pouvaient pas rivaliser dans l'immédiat avec une attaque aussi puissante. L'assaut de Draekort passa au travers de ma protection, me laissant encaisser au moins cinquante pourcents des dégâts en pleine figure. Je ne fus pas propulsé par l'offensive pourtant violente de cette créature. Mon armure était assez lourde, ce qui m'empêchait de me laisser emporter pour si peu.


« Alors c'est ça ton pouvoir… murmura Reisuke, intéressé. Ce n'est pas mal du tout finalement. Je suis curieux de savoir pourquoi tu ne l'as pas utilisé pour me vaincre plus tôt.


— Je ne pouvais prendre le risque, répondis-je. Mon secret en aurait été compromis et j'aurais suscité du doute chez Erika. Et tu as réussi à fuir, donc j'ai bien fait de ne pas gâcher cette opportunité.


— Je vois… soupira mon petit-frère. Protéger un esprit d'équipe alors que tu es seul devant moi, c'est risible.


— Je ne suis pas seul. Au contraire, je n'ai jamais été si entouré. Regarde donc de quoi je suis capable, poussé par la motivation de mes amis et de ma famille ! »


Il n'était pas convaincu. Alors je me propulsai droit sur lui, déployant ma large et puissante arme dont les lignes bleues, qui étaient incrustées dans le gris de la lame, rayonnaient de manière intense, comme entrant en synchronisation avec mon cœur. L'armure que je portais semblait doté d'une conscience, ou tout du moins, une technologie suffisamment avancée pour détecter mes pensées quant à la manière dont je voulais esquiver ou me mouvoir.


Ainsi, il me suffit de visualiser mon objectif : Draekort, pour que la carcasse que je portais devienne soudain plus légère. Je bondis alors en y mettant toute ma puissance afin d'atteindre l'étrange créature, mais il n'en fut rien. Oh, je réussis à lui donner un coup d'épée qui la fit grogner de douleur, mais j'étais de nouveau propulsé, laissant encore une fois le dragon tenter de s'écraser sur ma personne.


« Tu n'y arriveras pas ! Antic warrior : j'en appelle au pouvoir de mon bouclier ! Asiménia aspída ! »


Mon épée se rangea dans l'espace prévu à cet effet au sein de mon armure, laissant en moins d'une seconde un imposant bouclier aux traits jaunes luisants se dresser devant moi. Me rangeant derrière l'objet, je pus dévier l'attaque qui m'était assénée sans aucune difficulté, regardant avec inquiétude le torrent d'énergie atteindre tout autour de moi au passage.


Mon bouclier disparût, ce qui me laissa l'occasion de reprendre ma lame aux reflets azur. Profitant du recul de l'attaque du dragon, je lui assénai cette fois un coup qu'il ne put éviter, se faisant fracasser au sol. Reisuke, qui ressentit de la douleur, grimaça. Il prit un moment pour inspirer, puis expirer, tandis que j'atterris tranquillement dans mon armure. Je voulus profiter de cet instant de faiblesse afin de pénétrer dans ses défenses mentales.


« Reisuke ! hurlai-je afin de lui faire entendre raison. Je détruirai tout ce que tu as entrepris ! Ce nouveau monde n'est qu'une mascarade et je te le prouverai ici et maintenant !


— Ce ne sont que des mots ! rétorqua mon frère, en colère. Tu ne gagneras pas avec deux phrases encourageantes et des bons sentiments ! Redescends sur terre, Hiroki !


— Et une fois que tu auras créé ton monde !? Quels seront tes objectifs !? Ta motivation est faible, tu n'as aucun pilier auquel te raccrocher lorsque tu tombes !


— Et quel genre de pilier ? grogna Reisuke, interpellé. Explique-toi.


— Te dire « Je veux rentrer à la maison parce que ceci ou cela m'attend », ou alors « je fais tout ça pour cette personne. » Tu vois ce que dont je parle ? Malgré tout le pouvoir que tu as et que les autres n'ont pas, si tu n'as pas un pilier solide auquel t'accrocher, ça sera ta motivation qui te trahira ! »


Il se moquait de ce que je disais, cela se voyait comme le nez au milieu du visage. Pourtant, sans me laisser décontenancer par ses paroles, je précisai ma réflexion afin de l'introduire en lui.


« Le pilier d'Erika, c'est que l'on puisse rentrer tous ensemble, repris-je, sérieux. Celui de Hakaze c'était de sauver la vie de son père… Le mien…C'est de pouvoir te ramener à tes proches. Je veux que l'on rentre tous et que l'on reprenne une vie normale…C'est tout ce que je cherche. Et toi, tu as oublié cette époque où ta seule motivation était le bonheur et la sécurité de celle que tu aimes !!


— Je n'ai pas besoin de raison pour me battre… grogna Reisuke. Tout ce qu'il me faut, c'est ma haine, mon mépris, mon désespoir. Et ça, tu ne pourras jamais l'effacer.


— Et une fois que tu auras ouvert les portes du troisième monde, que feras-tu !? hurlai-je. Tu seras l'être le plus puissant, mais tu n'auras personne sur qui gouverner, plus aucune âme pour t'entourer, et ta vie n'aura plus de sens !


— Je n'ai pas besoin d'être entouré. Lorsque j'aurai ouvert le troisième mon –


— Mais nous t'aimons Reisuke ! le coupai-je, déterminé. Peu importe ton absence de pouvoirs, sans cet odieux personnage qui a pris le contrôle de ton être. Nous aimons Reisuke Yamada comme il est, avec ses forces et ses faiblesses ! Nous t'attendons alors reprends le contrôle ! »


Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase que quelque chose se rua sur moi, me percutant de plein fouet en m'assénant un violent coup directement dans l'estomac. Je lâchai un cri bref qui fut coupé par l'impact de l'assaut que je pris. Sans que je ne puisse réagir, je fus propulsé au loin. Mais alors que j'essayais de reprendre l'équilibre, Reisuke fut plus rapide. Il me rattrapa dans ma course, m'assénant d'autres assauts qui me projetèrent ailleurs, me rattrapant encore et encore dans ma chute. Son offensive formait une boucle dont je ne pouvais me défaire tellement le jeune homme montrait une rapidité et une force exemplaire. Je restais donc suspendu dans les airs, ne pouvant me défaire des capacités de mon frère.


Pris dans cette boucle générée par Reisuke, j'essayais tant bien que mal de limiter les dégâts subits en attendant de trouver une solution. Asiménia aspída s'était formée dès que mon corps ressentit de la douleur, me permettant ainsi de constater que mon armure pouvait également agir de manière totalement autonome. C'était un avantage puisque cela me permettait de me retrancher sur moi-même et de minimiser les dégâts le temps de trouver une solution de rechange. Tous mes essais se soldaient cependant par des échecs cuisants. Draekort était très fort et il m'était impossible de m'échapper de cette spirale dans laquelle m'avait entraîné Reisuke. Je ne lâchai cependant pas, persuadé que j'allais trouver une solution. Mais elle ne vint pas de moi directement, puisque tandis que je me débattais, Reisuke se prit une espèce de bombe de boue sortant de nulle part, explosant directement sur lui dans ce qui semblait être des débris de poison. Je me retournai pour voir ce qui avait été mon sauveur du jour, retrouvant avec surprise la présence de Toratura, la princesse des serpents. Sa propriétaire, mon amie aux cheveux bouclés, se trouvait derrière elle. Elle fronça les sourcils, laissant de nouveaux sa chevelure virer au blanc, avant de se jeter dans la bataille à l'aide de son monstre.


Tout aussi déterminé qu'Erika, je revins dans la bataille, laissant derrière moi toutes mes appréhensions et mes doutes. En même temps que mon amie je me ruai sur Reisuke qui arrivait à éviter tous nos coups grâce à sa vitesse bien supérieure à la nôtre. Il gardait l'avantage face à nous malgré notre puissance, ce qui faisait rager ma partenaire qui était venue pour en découdre.


Nous nous arrêtâmes tous les trois au bout de quelques minutes de coups échangés. Tandis que moi et Erika nous commencions à nous essouffler, mon jeune frère, lui, semblait avoir une endurance parée à toute épreuve. Reprenant la parole, il s'adressa à nous avec sarcasme.


« Je n'aurais jamais cru que vous auriez été si agaçants tous les deux, sourit-il. Finalement, vous aurez été des adversaires de valeur, alors que je croyais que vous n'y arriveriez pas.


— Ne te laisse pas déconcerter par ce qu'il dit Erika, la prévins-je. Il tentera tout son possible pour te manipuler, comme il l'a fait pour Hakaze et Indy.


— Je suis sincère pourtant, reprit l'individu. Vous avez traversé les époques, vous avez réussi à trouver des alliés, combattu des tas de dangers jusqu'à venir ici. C'en est triste de savoir que c'est la fin de la route pour vous.


— Ne rêve pas, Reisuke, balança Erika, semblant furieuse. C'est la fin de tes objectifs. Nous repartirons avec mon Rei, et le monde sera sauvé. Hiroki, tu te charges de lui. Je vais détruire son monstre.


— Attends !! »


Je n'eus même pas le temps de protester qu'Erika se jeta dans la bataille directement contre Draekort, me laissant en tête-à-tête face à Reisuke.





Spoiler :


Je n'eus même pas le temps de protester qu'Erika se jeta dans la bataille directement contre Draekort, me laissant en tête-à-tête face à Reisuke. Je restais dubitatif. La jeune fille à la chevelure blanche n'était pas assez puissante pour pouvoir lutter contre une telle créature, et pourtant, elle s'étant lancée dans la bataille la tête la première, amenant avec elle la princesse des serpents. À ma grande surprise, Diamond, mon dragon de compagnie, ainsi que Cram, le singe que j'avais recueilli lors de mon affrontement contre Shinji, sortirent de nulle part et suivirent l'attaque de mon amie, confrontant Draekort avec elle.


Le combat fit rage entre les deux opposants. J'étais inquiet. Terriblement apeuré à l'idée de laisser mes amis affronter un si grand danger, mais cette fois, je devais leur faire confiance. Ainsi, je me tournai face à Reisuke, mais il m'avait devancé. Il avait profité de mes doutes pour me saisir à la gorge, me surélevant dans les airs en resserrant son emprise. Il me dévisageait avec toute la haine du monde dans son regard alors que je tentais de me débattre.


« Rentre-toi ça dans le crâne, Hiroki ! hurla Reisuke tandis que nous nous surélevions encore et encore, dans un tourbillon de lumière noire. Tous tes bons sentiments ne vaincront jamais l'injustice à laquelle tu feras face ! Je suis cette injustice à tes yeux aujourd'hui, mais cela ne changera pas le fait que tu es faible !


— L'univers ne se résout pas autour de la force et de la faiblesse… Reisuke… articulai-je péniblement. Tu parles comme si le monde entier était un ennemi à détruire alors que des tas de personnes sont là pour toi.


— Et c'est exactement le cas ! reprit-il, resserrant encore son emprise. Jamais tu ne vivras une vie tranquille faite d'amour et de paix ! Il y aura toujours quelqu'un pour tout te voler au moment où tu t'y attendras le moins ! »


Je sentais mon énergie se faire aspirer par Reisuke qui, soudain, semblait avoir perdu son arrogance. Il me fixait droit dans les yeux, affichant une exaspération non dissimulée face à mes mots et ma façon d'agir. Je ne comprenais pas, mais je n'avais pas le temps de m'en préoccuper. Ainsi, je fis appel au pouvoir au fond de mon cœur, lui transmettant ma volonté de sauver mon frère, et il m'écouta. Izrath me donna la force nécessaire pour agripper la main de mon adversaire et le projeter au loin.


J'entamai une chute vers le sol. Je réussis cependant à me rattraper grâce à Agia Lepida, l'imposante épée aux reflets azur de mon armure. Je la plantai dans le sol afin d'amortir la collision. L'homme aux longs cheveux noirs ne me laissa même pas l'occasion de lancer un regard à Erika et mes amis qu'il réapparut devant moi.


Je déterrai mon arme et me mis en garde, bien déterminé à ne pas laisser l'individu l'emporter. Pour toute réponse, il déploya un flux d'ombre aussi volumineux et opaque que l'océan lors d'une nuit d'hiver. En l'espace de quelques secondes, il projeta des centaines d'étincelles obscures qui vinrent s'abattre sur moi, tentant de m'occasionner des dégâts. Armé de mon épée, je tentai d'en dévier le plus possible en utilisant tous les réflexes m'ayant été attribués par la nature, tandis que je laissai à mon armure le soin de protéger mon enveloppe charnelle de mon manque de dextérité. Ma carcasse réussit à encaisser tous les impacts que j'avais échoués à contenir.


Cependant, alors que je pensais l'attaque passée, Reisuke apparut de nulle part, comme s'il avait bondi de son assaut. Il m'agrippa le crâne, et d'un seul geste violent, il me projeta face contre le sol, me laissant ressentir toute la violence de son impact.


Je grimaçai de douleur tandis que la forme de mon corps resta incrustée dans le sol, tant l'impact fut violent. L'homme au-dessus de moi maintenait la force dans son bras, mettant un poids considérable dont je n'arrivais pas à me défaire. Je m'accrochai cependant à mes motivations, mon espoir, ce que Reisuke n'avait pas en lui. Me rappelant les promesses que j'avais faites, la responsabilité reposant sur mes épaules, je me défis de l'emprise du suppôt du désespoir et me relevai, brandissant mon épée contre lui.


« Peu importe combien de fois tu me mettras à terre, je me relèverai, déclarai-je, déterminé à vaincre. Reisuke, tu n'auras jamais ce que tu convoites. Si je suis le dernier obstacle entre toi et ton but ultime, alors je le resterai jusqu'à ce que tu abandonnes. »


Ma tentative se solda de nouveau par un échec. Il se jeta sur moi comme un animal, mais j'eus assez de temps pour déclencher mon bouclier Asiménia aspída qui me protégea de son assaut. Mon épée revint à moi, me laissant quelques secondes pour essayer de transpercer Reisuke. Cependant, ce dernier disparut purement et simplement dans les ombres, comme se fondant dans l'atmosphère. Lorsqu'il réapparut, il me projeta une nouvelle fois grâce à un sort rapide et furtif qui transperça mon armure, me causant une plaie au niveau de l'abdomen.


« Rends-toi à l'évidence. Sans Erika tu étais à ma merci et je t'achevais pour de bon. Ta détermination n'a aucune valeur. Regarde où tu en es, Hiroki. Devoir compter sur le soutien de la première gourde qui passe pour survivre, car tu es impuissant en l'état !


— Moi et Erika sommes partenaires. Elle porte un peu de mon fardeau et moi un peu du sien. C'est exactement comme cela que le monde fonctionne, on appelle ça l'amitié, la solidarité, l'espoir.


— Tu essaies simplement de cacher à quel point tu es misérable derrière la puissance de l'amour. C'est digne d'un scénario de conte de fée dans lequel le héros gagne toujours, mais tu n'en es pas un, Hiroki. Juste un incapable. Un faible. Rien qu'un pion sur l'échiquier du destin !


— Tu as raison, Reisuke, finis-je par avouer. Je ne suis qu'un faible, et je suis loin d'être un héros. Je n'ai d'ailleurs aucune chance de te vaincre, tout simplement car je ne le veux pas !


— Comment !? s'exclama le ténébreux homme, abasourdi par ma déclaration.


— Plus j'encaisse et je donne des coups, plus je me dis que ce combat n'a aucun sens. Reisuke ! Crois-moi, deux membres de la même famille ne devraient pas avoir à s'affronter pour se comprendre ! »


Lorsque je prononçai ces mots, je sentis quelque chose se réveiller en mon frère. Ses yeux s'écarquillèrent devant ma détermination tandis que de mon côté, j'étais résolu à lui faire entendre raison. Me battre contre lui n'était pas la solution… Au contraire, elle ne faisait que le pousser dans davantage de ténèbres.


« Je n'ai pas de famille ! me cria-t-il, comme pour se persuader lui-même. Je n'en ai jamais eue !! Ce ne sont pas tes vaines tentatives de manipulation qui prendront sur moi !!


— Tu ne te rappelles pas de moi, repris-je, calme. Mais moi je me souviens de ce que l'on a vécu ensemble et de tout l'amour que j'ai pour toi ! Et ça, malgré tout ce que tu fais, tu ne pourras jamais effacer le frère que j'ai eu et que je compte retrouver !


— Ferme-là !! »


Reisuke hurla de rage, levant son visage au ciel comme pour que son cri s'étende au-delà des cieux. Il se tint la tête comme s'il avait mal au crâne, comme si quelque chose en lui luttait contre une autre en contradiction avec ses sentiments. Cette fois, il mit plus de temps à reprendre l'attaque contre moi. Il était plus lent qu'il ne l'était la dernière fois, ce qui me permettait de garder l'avantage sans que je n'aie à l'attaquer pour préserver ma vie. S'apercevant du fait que je ne cherchais pas à lui porter atteinte, la colère de mon jeune frère se décupla, le laissant hurler quelques mots de haine à mon égard.


« Attaque-moi Hiroki ! hurla-t-il comme une bête assoiffée de sang. Le monde dépend de ta victoire, et je t'ai tout pris ! Rappelle-toi de la mort de Hakaze et de son père, tout ça est mon œuvre !


— Je ne continuerai pas ce combat qui n'a pas de sens ! Tu es mon frère, et je ne lèverai pas la main sur toi de nouveau !


— Je n'ai pas de frère ! cracha Reisuke en déployant une puissance obscure propulsée tout autour de lui. Lorsque le troisième monde sera accessible, je n'aurai plus besoin de personne ! Et je ne te laisserai pas détruire tout ce que j'ai entrepris ! »


Reisuke m'attaqua de plus en plus, laissant apparaître au creux de sa main une épée similaire à la mienne qu'il utilisa pour me faire ressentir davantage les coups qu'il me portait. Il tentait tout ce qui était en son pouvoir pour me faire riposter et contre-attaquer, mais plus je répondais à ses provocations, plus je semais la haine dans son cœur. Au fond, Reisuke et moi nous étions comme Hakaze. Nous avions vécu des choses étranges et nous les réglions de façon encore plus bizarre, mais ce n'était pas la bonne manière… Grâce à Hakaze, je savais que ce n'était pas la solution.


Je repris néanmoins la bataille contre mon petit frère, laissant apparaître de la satisfaction sur son visage. Armé de mon Agia Lepida, je me lançai dans un duel à l'épée sans merci contre lui, même si je savais qu'au fond de moi je n'avais pas la force d'aller plus loin que le désarmer. De son côté, l'homme aux longs cheveux noirs m'affrontait, troublé par ce comportement lunatique que j'affichais. Il n'était plus en pleines capacités, comme si quelque chose en lui avait renoncé au combat. Je m'approchais de plus en plus du but que je cherchais tant, tout du moins, j'en avais l'impression.


Motivé par le fait de ramener Reisuke à moi, je donnai encore et encore des coups de lame jusqu'à désarmer mon petit frère avec succès. Alors qu'il tenta de se reculer pour reprendre l'arme qu'il avait laissé tomber, je jetai la mienne, me permettant de le rejoindre rapidement afin de l'étreindre avec force. Il lâcha un léger cri de stupeur, ne s'attendant sûrement pas à ce que j'agisse de la sorte avec lui, mais c'était quelque chose de nécessaire pour que je trouve la force de continuer.


« Ce combat n'a aucun sens, murmurai-je. Petit frère… Arrête cette guerre contre toi-même qui n'a que trop duré… Je t'en supplie.


— Lâche-moi ! rétorqua-t-il avec violence. Si tu ne veux pas te battre, eh bien je te tuerai sans que tu résistes puisque telle est ta volonté !


— Je ne te lâcherai pas. Hakaze a disparu, Soichiro également… Tu es tout ce qu'il me reste de mes racines. Alors non, je ne laisserai pas la dernière personne que j'aime en vie errer elle aussi. »


Pour toute réponse, mon frère poussa un cri de colère qui retentit dans l'espace comme si une bombe venait d'exploser juste à côté de nous.


Le hurlement de Reisuke projeta un épais écran de fumée noire qui me propulsa quelques mètres plus loin dans le champ de bataille. Le cri qu'il venait de pousser m'intriguait cependant. Je distinguais comme deux voix dans la vocifération provenant de son cœur… La voix grave de cet homme semant le chaos… Et celle de mon petit frère qui semblait comme m'appeler à l'aide.


Je m'attendais à le voir sortir de l'épais nuage noir, plus déterminé que jamais à vouloir me détruire moi et mon espoir… Mais pour toute réponse à ma pensée il resta isolé dans l'écran de fumée qu'il avait généré… Je sentais que je touchais au but. Il ne restait plus grand-chose entre moi et mon petit frère…J'étais sur le point de le sauver définitivement.


Mais alors que j'avais cette pensée, le nuage se dissipa enfin, me laissant voir Reisuke comme jamais je ne l'avais vu jusqu'alors. Ses cheveux étaient dressés sur son crâne, soulevés par le flux d'une énergie rougeâtre qui entourait mon petit frère. Ses yeux rouges brillaient d'un éclat intense, comme s'il était contrôlé par quelque chose ou quelqu'un d'autre. Je compris finalement pourquoi il était si difficile de parvenir au cœur de mon frère… Tout simplement…


« Depuis le début j'avais des doutes très forts, mais maintenant j'en suis convaincu. Tu n'es pas mon frère. Qui es-tu !?


— Je suis Reisuke Yamada… grogna l'être dans le corps de Reisuke, animé de toute la rage du monde.


— Tu mens ! L'interrompit la voix d'Erika provenant de nulle part. »


Je me retournai vers la jeune femme, qui était salement amochée, mais toujours debout. Ses habits étaient déchirés, son visage abîmé par des hématomes, mais elle était droite et déterminée. Cram, Diamond, ainsi que Toratura se tenaient tous les trois à ses côtés. Derrière eux se trouvait Draekort, le monstre de Reisuke, semblant temporairement immobilisé dans un sort que je ne connaissais pas.


« Mon Rei n'aurait jamais accepté de telles ambitions ! hurla-t-elle, convaincue par ses arguments. Lorsqu'il t'a permis de venir, son seul et unique but était de me sauver la vie. Le simple fait que tu me mettes en danger prouve que tu n'es pas lui. Certes, il est plus faible que toi, mais je le préfère largement à ce que tu es toi !


— Erika a raison ! enchéris-je, dans un acte de désespoir. Reisuke ! Je sais que tu m'entends au fond de toi ! Tu as traversé le temps et surpassé toutes tes contraintes pour aider Erika ! Tu as voulu la sauver comme tu m'as sauvé, car oui, si je suis encore en vie aujourd'hui c'est parce que ton existence même conjure le mauvais sort du désespoir au quotidien ! Reisuke ! Peu importe quel monde tu choisis d'ouvrir, cela ne nous ramènera pas nos parents ! Tu n'es pas le responsable de leur mort ! »


Le visage de Reisuke se décomposa lorsque je mentionnai nos parents. Erika quant à elle se retourna vers moi, semblant choquée par les révélations que je venais de faire. Les deux personnes me dévisagèrent comme si je provenais d'un autre monde, alors que je disais tout simplement la vérité. Les masques tombaient. Mes véritables objectifs devenaient de plus en plus visibles. Il était finalement inutile de garder le reste de l'histoire cachée dans mon esprit. Je continuai ma confession.


« Désolé de ne pas vous l'avoir dit avant… Mais je devais absolument faire en sorte de cacher mes véritables objectifs. Reisuke, tu n'as pas à t'en vouloir. Je ne t'en ai jamais voulu, et je suis certain que nos parents non plus. Tu sais, j'ai fait une promesse à notre mère. Je lui ai fait serment qu'un jour nous nous retrouverions, toi et moi. Que tu me voies comme quelqu'un d'autre qu'un potentiel rival en amour pour le cœur d'Erika, et qu'ensemble nous redevenions des frères. Tu animes chacune de mes motivations depuis toujours…parce que je t'aime plus que tout.


— Hiroki… bégaya Erika, semblant bien plus concernée que je ne l'aurais imaginé.


— Grand-frère… suivit Reisuke, tout aussi décontenancé qu'elle.


— Te rappelles-tu enfin de moi, Reisuke ? répondis-je en essayant de contenir mon émotion. »


Mon petit frère me répondit en acquiesçant timidement, détournant le regard face à moi. Une sensation de joie profonde m'envahit alors, me faisant me ruer sur lui afin de l'étreindre. Je serrai fort celui pour lequel je m'étais battu afin de célébrer ma victoire. Enfin je pouvais le tenir dans mes bras, ressentir de nouveau ce souffle, cette respiration lui étant propre. Enfin je pouvais de nouveau passer ma main dans ses cheveux, sentir sa crispation légère qui était la sienne lorsqu'il était mal à l'aise. Enfin je pouvais laisser parler mon affection de grand-frère, arrêter de porter un masque, pour enfin être moi-même.


Il resta rigide face à mon effusion de sentiments, mais je ne m'inquiétais pas. Reisuke était comme ça depuis qu'il était petit. Il avait du mal à s'ouvrir aux autres, même à moi. Il était mal à l'aise, mais il me laissait profiter pleinement de l'instant, comme une récompense m'étant offerte pour tous les efforts fournis dans notre lutte au travers le temps.


Cependant, alors que j'étreignais mon petit frère, m'empêchant ainsi de voir la tête qu'il affichait, je crus entendre un cri féminin semblant être celui d'Erika. Sans réaliser ce qu'il se passait, je ne pus que constater que je prenais de la distance par rapport à Reisuke, comme si j'étais propulsé par ce qui semblait être une attaque venant de je ne savais où. Mon armure d'Izrath s'effrita progressivement, tandis qu'une douleur intense pénétra mon corps par la poitrine. Je vis s'éloigner les visages consternés d'Erika et de Reisuke, dont les yeux écarquillés me firent signe que je n'étais pas victime d'un coup fourré de l'homme aux cheveux noirs. Ce qui me suffit.


Un souvenir s'installa dans mon esprit. Hiro, qui devait regarder mon affrontement et me prédire l'avenir, avait finalement détourné le regard, ne voulant pas se résoudre à me voir blesser son petit-frère. Il observait la situation actuelle, me laissant me rappeler ce qu'il venait de se passer. Une ombre sans forme était sortie du dos de Reisuke sans que je ne m'en aperçoive et avait décidé de me transpercer de toutes ses forces, me projetant loin de lui. J'aurais pu réécrire l'histoire, mais il semblait que le « moi » qui existait avant cet instant présent, celui avec la connaissance de ce dénouement, avait jugé qu'il était préférable que je disparaisse si cela signifiait la libération de cette précieuse existence.


Une voix grave et profonde, similaire à celle de Reisuke lorsqu'il était encore contrôlé, retentit alors dans l'espace, me narguant.


« Félicitations pour avoir gagné cette bataille, Hiroki. Mais comme je te l'ai dit, les bons sentiments ne suffisent pas à arrêter les injustices de ce monde. Et contrairement à toi, je reviendrai afin de terminer mon œuvre. Ce n'est que partie remise.


— J'ai confiance en Reisuke pour t'arrêter lorsque tu reviendras. soupirai-je, heureux. Cette fois, il sera prêt. »


La voix grave s'évapora alors, tandis que je m'écroulai finalement au sol. Reisuke et Erika accoururent vers moi. L'espace de bataille disparut en même temps que Draekort, le monstre de mon petit-frère, laissant le décor de la centrale désaffectée reprendre le dessus sur la galaxie dans laquelle nous nous trouvions. Les deux camarades de toujours se hâtèrent, courant à perdre haleine jusqu'à être proches de moi. Ils espéraient sûrement pouvoir me sauver, mais je savais que c'était trop tard. Ma respiration se faisait déjà lourde. Mon champ de vision s'obscurcissait, au point de me demander un effort considérable rien que pour garder les yeux ouverts. Une grande douleur semblait comme me brûler les organes de l'intérieur, laissant une sensation de vide dans mon esprit. Incapable de réfléchir ou de raisonner, j'allais bientôt perdre connaissance pour de bon.


« Hiroki ! hurla Reisuke, dont les larmes abondaient déjà sur ses joues. Ne t'en fais pas ! Nous allons trouver une solution pour te venir en aide !


— Il est trop tard, bégayai-je en rassemblant mes forces. Reisuke, j'aurais voulu te dire des tas de choses, t'expliquer de vive voix comment nous en sommes arrivés là, mais je n'ai plus le temps, alors prends ceci. »


Je mis ma main dans ma veste avec difficulté, cherchant à sortir cette lettre que j'avais écrite quelques jours plus tôt. Mais mon bras était trop lourd. C'était de plus en plus difficile à supporter, et finalement, je ne réussis pas. Je parvins seulement à laisser tomber les feuilles au sol. Reisuke les remarqua, cela me fit sourire. Dans un ultime élan d'effort, je lançai une dernière déclaration dans mon dernier souffle.


« Je t'aime, petit-frère. »





Spoiler :


« Où suis-je… Que s'est-il passé… Que fais-je ici… ? » Telles furent les questions que je me posai lorsque j'ouvris les yeux. Regardant autour de moi de part et d'autres, je m'aperçus du nouvel environnement dans lequel je me trouvai. Je m'étais réveillé dans un espace fait de pénombre, comme s'il s'agissait d'un autre monde, d'une autre dimension dans laquelle je me trouvai.


Tout dans ce monde n'était que désespoir et misère. Je me trouvais sur une sorte de plage, faite de sable gris s'étendant à perte de vue tandis que le ciel, lui, était recouvert d'un voile sombre empêchant même le soleil de passer. Seul le paisible bruit du flux et du reflux venait susciter mon audition. Ce bruit imposant sa propre ambiance était parfois interrompu par quelques sons d'éclairs venant du ciel, comme si un orage se préparait au loin…


Ici même, une brume assez épaisse de couleur blanche remontait jusqu'à ma taille, m'empêchant ainsi d'investiguer en détail les éléments naturels qui m'entouraient. Malgré le fait que j'adorais les plages en temps normal, je me sentais vraiment mal à l'aise dans cet environnement dont les seules couleurs étaient des nuances de gris, ôtant toute teinte à la nature.


Détournant mon regard du décor, je tentai de me focaliser sur mon premier objectif : me remémorer les évènements qui s'étaient passés avant que je ne me retrouve ici, cherchant en vain dans mon esprit semblant vide la réponse à mes questions. La dernière chose dont je me souvenais, c'était de m'être embarqué dans ce voyage au travers le temps avec Hakaze et Eri –


« Erika ! hurlai-je dans l'espace, m'interrompant moi-même dans mes pensées. Erika tu vas bien !? Où es-tu !? »


Personne ne me répondit. Je me rappelai alors de quelques évènements que nous avions vécus avant mon arrivée ici. Oui, Erika était en danger. C'était ce qu'il se passait.


Elle avait été attaquée par ce bandit…et après…le vide total. Avait-elle été tuée, et moi aussi par la même occasion, me retrouvant dans cet endroit triste et froid… ? Je n'avais aucune idée de ce qu'il s'était passé… Mais alors que je me posais des questions en mon for intérieur, je fus interrompu par quelque chose qui apparut devant moi. Une ombre assez impressionnante surgit de nulle part, arrachant avec elle le peu de vie qu'il restait au paysage alentour, pour finalement s'arrêter devant moi. Je ne pouvais distinguer ce qui me parlait vraiment. Était-ce un homme ? Un Izrathien ? Je n'en avais aucune idée, mais sa voix grave résonnant dans les alentours me glaça le sang à peine la chose commença à prendre la parole.


« Sois le bienvenu dans mon monde, Reisuke Yamada. Beaucoup de questions se posent, n'est-ce pas ?


— Mais qui êtes-vous… ? lâchai-je, complètement abasourdi par toutes ces choses. Que fais-je ici, et qu'est-ce que ce monde ?


— Du calme. Tu obtiendras les réponses que tu voudras en temps voulu. Pour le moment, sache que c'est toi qui as accepté de venir ici.


— Comment ça !? protestai-je. Comment pourrais-je accepter de vivre dans un endroit si…si dénué de vie ?


— Je suppose qu'avant de te révéler quoi que ce soit de plus, je devrais te rappeler le pourquoi tu es là n'est-ce pas ? suggéra l'ombre. Bien, écoute-moi donc. Toi et tes amies vous êtes arrivés en Égypte, vous battant d'entrée de jeu avec un bandit et son monstre. Cette personne a affronté les femmes t'accompagnant et les a vaincues assez facilement à vrai dire… Pour sauver l'une d'elles, tu as pris les choses en main et invoqué ton Izrathien.


— Mon Izrathien… ? bégayai-je. Je n'ai passé aucun contrat avec l'un des leurs.


— Bien sûr que si tu en possèdes un. Il est normal pour toi d'en posséder un. Mais alors que tu as relâché les pouvoirs de ce monstre qui sommeillait en toi, j'en ai profité pour te faire accepter ma domination sur toi. Tu as accepté mon influence, me permettant ainsi de te plonger dans ce monde.


— Je ne comprends toujours pas…ce que tu es.


— Tu peux me nommer Thymeos. Je suis l'essence même de ton désespoir, la partie sombre en toi que tu essayes de repousser au quotidien depuis que je me suis installé en toi, il y a maintenant plus d'une décennie. Cet univers dans lequel tu te trouves est le monde dans lequel je plonge tous ceux qui sont troublés, craintifs, en colère, tous ceux qui sont plongés dans le regret, dans le doute, dans le désarroi, dans la tristesse… Ce monde est celui du désespoir. Dans cet espace, rien n'a plus d'importance. La vie, l'amour, la joie, la peine, le regret, la tristesse, la responsabilité, les fardeaux… Tout cela n'existe plus. Ici nous t'enlevons tous tes fardeaux et toutes tes peines, à la seule et unique condition que tu ne seras compris que par les personnes présentes ici.


— D'autres personnes sont présentes ici !? Combien sommes-nous ?


— Je ne peux te révéler une telle information… Car ton monde de désespoir est différent de celui des autres. Contrairement à eux, il y a certaines choses que tu es défendu de faire. »


Je m'arrêtai quelques moments, confus par ce que la chose en face de moi venait de m'avouer. Ce monde était donc celui du désespoir ? Une terre où plus rien n'avait de sens, comme le disait alors Thymeos ? C'était difficile à croire… En quoi mon choix de sauver Erika m'avait fait-il basculer dans un tel endroit ? Et comment allais-je pouvoir en sortir ? Tout cela était étrange, très étrange. Je repris la parole, cherchant à éclaircir ce que disait Thymeos, sachant très bien qu'il pouvait me mentir, mais après tout, il était le seul interlocuteur capable de me répondre.


« Pourquoi suis-je ici !? Je suis mort en protégeant Erika ? Pourquoi aurais-je besoin du monde du désespoir pour m'enlever mes fardeaux et mes peines ?


— Tu ne te rappelles donc vraiment plus de rien n'est-ce pas… ? soupira l'ombre. Bien, je vais te rafraîchir la mémoire, Reisuke. »


L'ombre m'enveloppa complètement, laissant disparaître au fur et à mesure les éléments qui composaient le sinistre décor dans lequel je me trouvais. J'entendais encore les bruits alentours, me permettant donc de déduire que je n'étais qu'entouré d'un voile de ténèbres, et non transporté ailleurs. Je tentai de prendre la parole, voulant questionner davantage la mystérieuse forme s'étant présentée devant moi, mais je ne pouvais pas parler, j'étais devenu aphone. L'ombre reprit alors, me révélant un détail de plus sur ce monde sordide.


« Tu ne peux pas parler pour le moment. Je voudrais simplement te montrer quelque chose afin que tu te souviennes du comment tu es arrivé ici. »


Je ne tentai plus de rétorquer, acceptant la cruelle évidence que je semblais désormais faire partie de son monde et que j'étais obligé d'obéir à ses règles. Laissant ainsi la créature poursuivre, je pus constater qu'elle fit apparaître une sorte d'écran de fumée qui s'alluma rapidement, tel un poste de télévision l'aurait fait pour retransmettre une émission au grand public. Sur cette retransmission live… Ce fut mon image que je vis.


Accompagné d'Erika et Hakaze, je faisais face au bandit avec le nouveau pouvoir que j'avais acquis, celui de Draekort, le serpent à six têtes. Mais moi… Je n'étais plus la même personne. Mes cheveux avaient poussé à une vitesse folle tandis que mon regard noir était marqué par deux lueurs rouges faisant même plier les ténèbres de la chaude nuit égyptienne. J'avais perdu la timidité naturelle qui entourait mon aura pour ne laisser que de l'arrogance transparaître lorsque l'on me regardait. Avais-je vraiment subi une telle métamorphose… ?


Pour toute réponse à ma question intérieure, celui qui semblait être mon homologue se jeta sur le bandit, armé de son serpent, Draekort le dragon maléfique. Le monstre à six têtes attaquait depuis les entrailles même de la terre dont il ressortait encore et encore, acculant de plus en plus la créature sombre contrôlée par le balafré que nous affrontions. Les mouvements effectués par mon double ceux faits par sa créature, étaient tout sauf ce que j'avais l'habitude de faire. J'étais devenu…exactement comme Erika, pris d'une autre personnalité dont j'ignorais la provenance.


L'ombre qui me parlait s'approcha de nouveau de moi, reprenant la parole de sa voix grave et sans aucune émotion.


« Ce que tu as fait ici, tu l'as accompli de ton propre chef. C'est toi qui as décidé de prendre les armes, de réveiller ton Izrathien et de le laisser gagner le contrôle. Cependant, tes tourments n'en sont que devenus plus forts, écrasant peu à peu ta volonté au fur et à mesure que tu montais en puissance… Et nous nous sommes rencontrés.


— Comment ai-je pu rencontrer quelque chose que je ne peux même pas saisir… ?


— Je ne suis pas quelqu'un à proprement parler. Je ne suis qu'un serviteur. Regarde donc. »


L'ombre à laquelle je faisais face se dissipa sous mes yeux, laissant apparaître la véritable forme de mon interlocuteur… La personne à qui je parlais depuis tout à l'heure…N'était autre que moi.


Un autre moi d'apparence identique à celui que je représentais, à l'exception près qu'il était beaucoup plus las et sinistre, ne laissant pour seule lumière l'illuminant que deux grands yeux jaunes translucides. Je lâchai un cri de surprise, reculant d'un pas devant l'apparition soudaine de cette autre facette de ma personne. Cela fit sourire l'être qui se trouvait en face, le laissant ainsi reprendre son histoire à propos de mes souvenirs.


« Tu as pris la décision d'utiliser ton nouveau pouvoir pour sauver toi-même ton amie, croyant que cela suffirait à vaincre n'importe qui ? déclara Thymeos. Mais tu as rencontré mon maître sur ta route.


— Ton maître ? bredouillai-je, hésitant. Qui est-il ? Et pourquoi s'en est-il pris à moi ?


— Je ne suis pas autorisé à te révéler cette information. Tout ce que je peux te dire, Reisuke, c'est qu'il a su trouver les mots pour m'introduire en toi. Maître m'a permis de reprendre la place qui m'était due. Juste grâce à cet événement duquel j'ai émergé.


— De quoi parles-tu ?


— De la mort de nos parents, Reisuke, s'amusa l'ombre. Rappelle-toi, c'est toi qui as tué Papa et Maman ! »


Lorsque mon homologue des ténèbres m'annonça cette nouvelle, je me rappelai alors l'altercation que j'avais eue avec son maître. Je ne pouvais ni me rappeler de son visage, ni de son accoutrement, mais ce qu'il me dit me revint immédiatement en mémoire… Je compris peu à peu jusqu'où allait se rendre Thymeos dans ses explications… Mais tandis que j'allais le devancer, je constatai que j'étais de nouveau aphone. L'écran de fumée diffusa quelque chose d'autre devant mon regard détruit par ce que me révélait le serviteur.


Je me trouvais face au maître dont Thymeos avait pris le soin de masquer l'identité par un épais écran de fumée sombre l'entourant. Arborant un regard mauvais en direction de celui qui s'était mis en travers de ma route, j'appelai rapidement Draekort, engageant un combat sans merci entre moi et celui qui avait osé me détourner de mon objectif premier : la protection d'Erika. Cependant, je fus aussi surpris que mon homologue de l'écran lorsque je vis que ma créature, le dragon maléfique, fut détruite par une simple pression du regard provenant de mon adversaire. Les yeux écarquillés, je n'eus d'autre choix que d'écouter les paroles de la personne à laquelle je m'en étais prise.


« Toujours d'une faiblesse affligeante, Reisuke. Tu n'as pas changé depuis ces dix dernières années. Toujours en train d'aboyer, mais bien trop faible pour agir.


— Vous êtes… !? Cette voix que j'ai entendue lorsque je remontais le temps !


— En effet, ricana le maître. Je ne m'attendais cependant pas à ce que tu finisses ici, en Égypte. Tant mieux, j'aurai l'occasion de te parler. Devine quoi ? Tu as été sélectionné par ma royale personne pour devenir un guerrier du désespoir.


— Très drôle, raillai-je, pas du tout convaincu. Maintenant casse-toi, j'ai autre chose à faire. »


J'ignorai alors la personne, passant à côté d'elle afin de partir ailleurs. Mais lorsque que je la frôlai, elle ouvrit la bouche, sortant quelques mots d'une voix cruelle… Quelques syllabes ayant l'effet d'une bombe dans mon esprit tant elles étaient méchantes et déroutantes.


« Tu ne pourras rien protéger dans cet état, Reisuke. Tu es encore aussi faible que tu ne l'étais lorsque tes deux bons à rien de parents se sont fait tuer sans que tu ne puisses bouger le petit doigt.


— Comment sais-tu ça !? grognai-je. Et qui es-tu pour me juger de la sorte !!?


— Tu n'es pas en droit de poser des questions, misérable vermine. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est bien folle cette fille pour faire confiance à quelqu'un de si pathétique. Écoute donc les voix de ceux qui ont péri par ton impuissance ! »


Ces mots eurent le même effet sur mon esprit que sur celui qui était moi sur cet écran de fumée. Ils déclenchèrent une vague de culpabilité et de souvenirs entremêlés qui se bousculèrent dans ma tête, plongeant mon âme dans la confusion. Cependant, contrairement à moi, celui qui était dans le monde extérieur semblait être littéralement détruit par ces pensées. Mais je pouvais le comprendre, puisque tout comme lui, j'entendais tout ce qui passait dans sa tête, que ce soit les voix qui retentissaient, ou bien ses réponses pour les faire taire.


« Pourquoi n'as-tu rien fait, Reisuke ? dit la première.


— J'étais trop jeune, répondit celui que j'incarnais dans le monde réel. Je ne pouvais rien faire.


— Tu aurais pu appeler quelqu'un pour nous porter secours ! hurla une seconde voix pleine de reproches.


— Je suis arrivé trop tard… bégaya mon alter ego, décontenancé.


— Tu voulais nous voir disparaître ! reprit la première voix.


— Non c'est faux ! Je vous aimais…du plus profond de mon cœur…


— Alors pourquoi n'étais-tu pas là !? Pourquoi nous as-tu laissé mourir !? Pourquoi nous avoir tué, Reisuke !? »


Celui qui me représentait poussa un hurlement de désespoir et de culpabilité qui me fit frémir. Il reprit de plus belle, voulant se justifier à des voix vraisemblablement imaginaires.


« Je ne voulais pas que vous partiez ! J'avais encore besoin de vous ! Je voulais voir papa rentrer et me porter en me disant que j'étais de plus en plus costaud ! Je voulais que Maman m'étreigne et me dise qu'elle m'aimait… Je voulais connaître des tas de choses avec vous…J'aimerais tellement revenir en arrière…


— Reisuke, répondit la voix, l'accusant encore. Tu nous as trahi, jamais tu ne pourras revenir en arrière ! »


Les voix de mes parents se faisaient de plus en plus pesantes et menaçantes, acculant de plus en plus le personnage me représentant sur cet écran de fumée qui diffusait toujours ce qui semblait être un acte passé. Mon homologue se fit littéralement détruire l'esprit par ces mots de culpabilité revenant encore et encore, détruisant peu à peu toute la volonté exprimée par l'homme qui se déchirait physiquement pour éviter au maximum de laisser son mental se briser par la force de ses souvenirs.


Comme me sentant non concerné par cette scène qui était quand même une partie de ce que j'avais vécu, je n'émis pas la moindre larme, pas la moindre frustration, en regardant cette parcelle de mémoire qu'il me restait. Je compris alors le sens des paroles qu'avait dit Thymeos quelques dizaines de minutes plus tôt. La frustration, la colère, le dégoût, le regret, plus rien n'avait d'importance ici.


« C'est ce que tu as demandé. Mon maître a resserré son emprise en te demandant si tu voulais poser ce fardeau qu'était ton impuissance, faire taire ces voix qu'étaient celles de ta culpabilité, et ne plus entendre parler de cette histoire. Et pour être soulagé de tes maux psychologiques, tu as accepté son aide, le laissant ainsi éveiller tout mon potentiel en toi. Je suis né le jour où tu as vu les cadavres de tes parents étendus devant toi, et j'ai attendu qu'il me libère pour pouvoir prendre le contrôle. Grâce à lui, regarde tout ce que j'ai accompli. »


Habitué au fait d'être aphone lorsque l'on ne m'autorisait pas à parler, je jetai silencieusement mon regard sur l'écran qui montra des scènes diverses et variées me mettant en scène. Une image sur laquelle j'élevai une grande tour de granit au beau milieu de Yokohama, emportant avec moi des tas et des tas de citoyens qui tombèrent comme des mouches au fur et à mesure qu'elle s'élevait, une autre me montrant avec Hiroki, Erika et Hakaze, dans un affrontement dans lequel je mettais toute la rage que j'avais à l'intérieur. Je réalisai que pendant que j'étais ici, celui qui contrôlait mon enveloppe charnelle était en train de répandre le mal… Je pris alors la seule décision qui s'offrait à moi, arrêter Thymeos une bonne fois pour toutes. Je repris la parole, brisant par la force de ma voix l'aphonie qui m'était infligée.


« J'ai fait une erreur en me réfugiant une fois de plus dans la facilité, déclarai-je, déterminé. Faire taire ces voix, c'était fuir ma responsabilité. J'aurais tout simplement dû les écouter, les encaisser encore et encore jusqu'à ce qu'elles ne se taisent… Mais dès maintenant… Je ne prendrai pas le même chemin, je ne me fourvoierai pas de nouveau. Erika m'attend, je dois lui montrer que je suis fort.


— Erika… ? s'amusa mon double, se retenant d'éclater de rire. Elle a déjà trouvé un autre héros. Tu le sais aussi bien que moi, ton très cher rival, Hiroki, est en train de prendre soin d'elle. Personne n'espère ton retour, pourquoi te préoccuper d'eux ? Pourquoi subir la souffrance dans le monde réel alors que tu peux t'épanouir dans l'indifférence ici ?


— Erika…m'a laissé tombé… ? murmurai-je, repensant à celle que j'aimais. Je vois… Je suis vraiment seul… »


Le peu de combativité que j'avais ravivé en moi se fit détruire par l'argument de Thymeos. L'écran de fumée se dissipa. Apparemment, l'ombre n'avait plus rien à me faire voir. Elle me laissa retourner sur cette plage grisâtre tandis qu'elle retourna d'où elle venait : de nulle part. J'étais donc seul en ce monde terne, froid et dénué d'émotions, pour je ne savais combien de temps, pour je ne savais quelle raison…M'asseyant face à l'eau grise, je me posai davantage de questions. Avais-je besoin d'un motif pour me trouver dans ce monde, ou n'avais-je tout simplement aucune raison de vouloir rentrer dans le mien… ? J'ignorais dans lequel de ces cas je me trouvais, mais ce que je savais vraiment, c'était que je n'avais plus ma place à l'extérieur.





Spoiler :


« Où suis-je… Que s'est-il passé… Que fais-je ici… ? » Telles furent les questions que je me posai lorsque j'ouvris les yeux. Regardant autour de moi de part et d'autres, je m'aperçus du nouvel environnement dans lequel je me trouvai. Je m'étais réveillé dans un espace fait de pénombre, comme s'il s'agissait d'un autre monde, d'une autre dimension dans laquelle je me trouvai.


Tout dans ce monde n'était que désespoir et misère. Je me trouvais sur une sorte de plage, faite de sable gris s'étendant à perte de vue tandis que le ciel, lui, était recouvert d'un voile sombre empêchant même le soleil de passer. Seul le paisible bruit du flux et du reflux venait susciter mon audition. Ce bruit imposant sa propre ambiance était parfois interrompu par quelques sons d'éclairs venant du ciel, comme si un orage se préparait au loin…


Ici même, une brume assez épaisse de couleur blanche remontait jusqu'à ma taille, m'empêchant ainsi d'investiguer en détail les éléments naturels qui m'entouraient. Malgré le fait que j'adorais les plages en temps normal, je me sentais vraiment mal à l'aise dans cet environnement dont les seules couleurs étaient des nuances de gris, ôtant toute teinte à la nature.


Détournant mon regard du décor, je tentai de me focaliser sur mon premier objectif : me remémorer les évènements qui s'étaient passés avant que je ne me retrouve ici, cherchant en vain dans mon esprit semblant vide la réponse à mes questions. La dernière chose dont je me souvenais, c'était de m'être embarqué dans ce voyage au travers le temps avec Hakaze et Eri –


« Erika ! hurlai-je dans l'espace, m'interrompant moi-même dans mes pensées. Erika tu vas bien !? Où es-tu !? »


Personne ne me répondit. Je me rappelai alors de quelques évènements que nous avions vécus avant mon arrivée ici. Oui, Erika était en danger. C'était ce qu'il se passait.


Elle avait été attaquée par ce bandit…et après…le vide total. Avait-elle été tuée, et moi aussi par la même occasion, me retrouvant dans cet endroit triste et froid… ? Je n'avais aucune idée de ce qu'il s'était passé… Mais alors que je me posais des questions en mon for intérieur, je fus interrompu par quelque chose qui apparut devant moi. Une ombre assez impressionnante surgit de nulle part, arrachant avec elle le peu de vie qu'il restait au paysage alentour, pour finalement s'arrêter devant moi. Je ne pouvais distinguer ce qui me parlait vraiment. Était-ce un homme ? Un Izrathien ? Je n'en avais aucune idée, mais sa voix grave résonnant dans les alentours me glaça le sang à peine la chose commença à prendre la parole.


« Sois le bienvenu dans mon monde, Reisuke Yamada. Beaucoup de questions se posent, n'est-ce pas ?


— Mais qui êtes-vous… ? lâchai-je, complètement abasourdi par toutes ces choses. Que fais-je ici, et qu'est-ce que ce monde ?


— Du calme. Tu obtiendras les réponses que tu voudras en temps voulu. Pour le moment, sache que c'est toi qui as accepté de venir ici.


— Comment ça !? protestai-je. Comment pourrais-je accepter de vivre dans un endroit si…si dénué de vie ?


— Je suppose qu'avant de te révéler quoi que ce soit de plus, je devrais te rappeler le pourquoi tu es là n'est-ce pas ? suggéra l'ombre. Bien, écoute-moi donc. Toi et tes amies vous êtes arrivés en Égypte, vous battant d'entrée de jeu avec un bandit et son monstre. Cette personne a affronté les femmes t'accompagnant et les a vaincues assez facilement à vrai dire… Pour sauver l'une d'elles, tu as pris les choses en main et invoqué ton Izrathien.


— Mon Izrathien… ? bégayai-je. Je n'ai passé aucun contrat avec l'un des leurs.


— Bien sûr que si tu en possèdes un. Il est normal pour toi d'en posséder un. Mais alors que tu as relâché les pouvoirs de ce monstre qui sommeillait en toi, j'en ai profité pour te faire accepter ma domination sur toi. Tu as accepté mon influence, me permettant ainsi de te plonger dans ce monde.


— Je ne comprends toujours pas…ce que tu es.


— Tu peux me nommer Thymeos. Je suis l'essence même de ton désespoir, la partie sombre en toi que tu essayes de repousser au quotidien depuis que je me suis installé en toi, il y a maintenant plus d'une décennie. Cet univers dans lequel tu te trouves est le monde dans lequel je plonge tous ceux qui sont troublés, craintifs, en colère, tous ceux qui sont plongés dans le regret, dans le doute, dans le désarroi, dans la tristesse… Ce monde est celui du désespoir. Dans cet espace, rien n'a plus d'importance. La vie, l'amour, la joie, la peine, le regret, la tristesse, la responsabilité, les fardeaux… Tout cela n'existe plus. Ici nous t'enlevons tous tes fardeaux et toutes tes peines, à la seule et unique condition que tu ne seras compris que par les personnes présentes ici.


— D'autres personnes sont présentes ici !? Combien sommes-nous ?


— Je ne peux te révéler une telle information… Car ton monde de désespoir est différent de celui des autres. Contrairement à eux, il y a certaines choses que tu es défendu de faire. »


Je m'arrêtai quelques moments, confus par ce que la chose en face de moi venait de m'avouer. Ce monde était donc celui du désespoir ? Une terre où plus rien n'avait de sens, comme le disait alors Thymeos ? C'était difficile à croire… En quoi mon choix de sauver Erika m'avait fait-il basculer dans un tel endroit ? Et comment allais-je pouvoir en sortir ? Tout cela était étrange, très étrange. Je repris la parole, cherchant à éclaircir ce que disait Thymeos, sachant très bien qu'il pouvait me mentir, mais après tout, il était le seul interlocuteur capable de me répondre.


« Pourquoi suis-je ici !? Je suis mort en protégeant Erika ? Pourquoi aurais-je besoin du monde du désespoir pour m'enlever mes fardeaux et mes peines ?


— Tu ne te rappelles donc vraiment plus de rien n'est-ce pas… ? soupira l'ombre. Bien, je vais te rafraîchir la mémoire, Reisuke. »


L'ombre m'enveloppa complètement, laissant disparaître au fur et à mesure les éléments qui composaient le sinistre décor dans lequel je me trouvais. J'entendais encore les bruits alentours, me permettant donc de déduire que je n'étais qu'entouré d'un voile de ténèbres, et non transporté ailleurs. Je tentai de prendre la parole, voulant questionner davantage la mystérieuse forme s'étant présentée devant moi, mais je ne pouvais pas parler, j'étais devenu aphone. L'ombre reprit alors, me révélant un détail de plus sur ce monde sordide.


« Tu ne peux pas parler pour le moment. Je voudrais simplement te montrer quelque chose afin que tu te souviennes du comment tu es arrivé ici. »


Je ne tentai plus de rétorquer, acceptant la cruelle évidence que je semblais désormais faire partie de son monde et que j'étais obligé d'obéir à ses règles. Laissant ainsi la créature poursuivre, je pus constater qu'elle fit apparaître une sorte d'écran de fumée qui s'alluma rapidement, tel un poste de télévision l'aurait fait pour retransmettre une émission au grand public. Sur cette retransmission live… Ce fut mon image que je vis.


Accompagné d'Erika et Hakaze, je faisais face au bandit avec le nouveau pouvoir que j'avais acquis, celui de Draekort, le serpent à six têtes. Mais moi… Je n'étais plus la même personne. Mes cheveux avaient poussé à une vitesse folle tandis que mon regard noir était marqué par deux lueurs rouges faisant même plier les ténèbres de la chaude nuit égyptienne. J'avais perdu la timidité naturelle qui entourait mon aura pour ne laisser que de l'arrogance transparaître lorsque l'on me regardait. Avais-je vraiment subi une telle métamorphose… ?


Pour toute réponse à ma question intérieure, celui qui semblait être mon homologue se jeta sur le bandit, armé de son serpent, Draekort le dragon maléfique. Le monstre à six têtes attaquait depuis les entrailles même de la terre dont il ressortait encore et encore, acculant de plus en plus la créature sombre contrôlée par le balafré que nous affrontions. Les mouvements effectués par mon double ceux faits par sa créature, étaient tout sauf ce que j'avais l'habitude de faire. J'étais devenu…exactement comme Erika, pris d'une autre personnalité dont j'ignorais la provenance.


L'ombre qui me parlait s'approcha de nouveau de moi, reprenant la parole de sa voix grave et sans aucune émotion.


« Ce que tu as fait ici, tu l'as accompli de ton propre chef. C'est toi qui as décidé de prendre les armes, de réveiller ton Izrathien et de le laisser gagner le contrôle. Cependant, tes tourments n'en sont que devenus plus forts, écrasant peu à peu ta volonté au fur et à mesure que tu montais en puissance… Et nous nous sommes rencontrés.


— Comment ai-je pu rencontrer quelque chose que je ne peux même pas saisir… ?


— Je ne suis pas quelqu'un à proprement parler. Je ne suis qu'un serviteur. Regarde donc. »


L'ombre à laquelle je faisais face se dissipa sous mes yeux, laissant apparaître la véritable forme de mon interlocuteur… La personne à qui je parlais depuis tout à l'heure…N'était autre que moi.


Un autre moi d'apparence identique à celui que je représentais, à l'exception près qu'il était beaucoup plus las et sinistre, ne laissant pour seule lumière l'illuminant que deux grands yeux jaunes translucides. Je lâchai un cri de surprise, reculant d'un pas devant l'apparition soudaine de cette autre facette de ma personne. Cela fit sourire l'être qui se trouvait en face, le laissant ainsi reprendre son histoire à propos de mes souvenirs.


« Tu as pris la décision d'utiliser ton nouveau pouvoir pour sauver toi-même ton amie, croyant que cela suffirait à vaincre n'importe qui ? déclara Thymeos. Mais tu as rencontré mon maître sur ta route.


— Ton maître ? bredouillai-je, hésitant. Qui est-il ? Et pourquoi s'en est-il pris à moi ?


— Je ne suis pas autorisé à te révéler cette information. Tout ce que je peux te dire, Reisuke, c'est qu'il a su trouver les mots pour m'introduire en toi. Maître m'a permis de reprendre la place qui m'était due. Juste grâce à cet événement duquel j'ai émergé.


— De quoi parles-tu ?


— De la mort de nos parents, Reisuke, s'amusa l'ombre. Rappelle-toi, c'est toi qui as tué Papa et Maman ! »


Lorsque mon homologue des ténèbres m'annonça cette nouvelle, je me rappelai alors l'altercation que j'avais eue avec son maître. Je ne pouvais ni me rappeler de son visage, ni de son accoutrement, mais ce qu'il me dit me revint immédiatement en mémoire… Je compris peu à peu jusqu'où allait se rendre Thymeos dans ses explications… Mais tandis que j'allais le devancer, je constatai que j'étais de nouveau aphone. L'écran de fumée diffusa quelque chose d'autre devant mon regard détruit par ce que me révélait le serviteur.


Je me trouvais face au maître dont Thymeos avait pris le soin de masquer l'identité par un épais écran de fumée sombre l'entourant. Arborant un regard mauvais en direction de celui qui s'était mis en travers de ma route, j'appelai rapidement Draekort, engageant un combat sans merci entre moi et celui qui avait osé me détourner de mon objectif premier : la protection d'Erika. Cependant, je fus aussi surpris que mon homologue de l'écran lorsque je vis que ma créature, le dragon maléfique, fut détruite par une simple pression du regard provenant de mon adversaire. Les yeux écarquillés, je n'eus d'autre choix que d'écouter les paroles de la personne à laquelle je m'en étais prise.


« Toujours d'une faiblesse affligeante, Reisuke. Tu n'as pas changé depuis ces dix dernières années. Toujours en train d'aboyer, mais bien trop faible pour agir.


— Vous êtes… !? Cette voix que j'ai entendue lorsque je remontais le temps !


— En effet, ricana le maître. Je ne m'attendais cependant pas à ce que tu finisses ici, en Égypte. Tant mieux, j'aurai l'occasion de te parler. Devine quoi ? Tu as été sélectionné par ma royale personne pour devenir un guerrier du désespoir.


— Très drôle, raillai-je, pas du tout convaincu. Maintenant casse-toi, j'ai autre chose à faire. »


J'ignorai alors la personne, passant à côté d'elle afin de partir ailleurs. Mais lorsque que je la frôlai, elle ouvrit la bouche, sortant quelques mots d'une voix cruelle… Quelques syllabes ayant l'effet d'une bombe dans mon esprit tant elles étaient méchantes et déroutantes.


« Tu ne pourras rien protéger dans cet état, Reisuke. Tu es encore aussi faible que tu ne l'étais lorsque tes deux bons à rien de parents se sont fait tuer sans que tu ne puisses bouger le petit doigt.


— Comment sais-tu ça !? grognai-je. Et qui es-tu pour me juger de la sorte !!?


— Tu n'es pas en droit de poser des questions, misérable vermine. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est bien folle cette fille pour faire confiance à quelqu'un de si pathétique. Écoute donc les voix de ceux qui ont péri par ton impuissance ! »


Ces mots eurent le même effet sur mon esprit que sur celui qui était moi sur cet écran de fumée. Ils déclenchèrent une vague de culpabilité et de souvenirs entremêlés qui se bousculèrent dans ma tête, plongeant mon âme dans la confusion. Cependant, contrairement à moi, celui qui était dans le monde extérieur semblait être littéralement détruit par ces pensées. Mais je pouvais le comprendre, puisque tout comme lui, j'entendais tout ce qui passait dans sa tête, que ce soit les voix qui retentissaient, ou bien ses réponses pour les faire taire.


« Pourquoi n'as-tu rien fait, Reisuke ? dit la première.


— J'étais trop jeune, répondit celui que j'incarnais dans le monde réel. Je ne pouvais rien faire.


— Tu aurais pu appeler quelqu'un pour nous porter secours ! hurla une seconde voix pleine de reproches.


— Je suis arrivé trop tard… bégaya mon alter ego, décontenancé.


— Tu voulais nous voir disparaître ! reprit la première voix.


— Non c'est faux ! Je vous aimais…du plus profond de mon cœur…


— Alors pourquoi n'étais-tu pas là !? Pourquoi nous as-tu laissé mourir !? Pourquoi nous avoir tué, Reisuke !? »


Celui qui me représentait poussa un hurlement de désespoir et de culpabilité qui me fit frémir. Il reprit de plus belle, voulant se justifier à des voix vraisemblablement imaginaires.


« Je ne voulais pas que vous partiez ! J'avais encore besoin de vous ! Je voulais voir papa rentrer et me porter en me disant que j'étais de plus en plus costaud ! Je voulais que Maman m'étreigne et me dise qu'elle m'aimait… Je voulais connaître des tas de choses avec vous…J'aimerais tellement revenir en arrière…


— Reisuke, répondit la voix, l'accusant encore. Tu nous as trahi, jamais tu ne pourras revenir en arrière ! »


Les voix de mes parents se faisaient de plus en plus pesantes et menaçantes, acculant de plus en plus le personnage me représentant sur cet écran de fumée qui diffusait toujours ce qui semblait être un acte passé. Mon homologue se fit littéralement détruire l'esprit par ces mots de culpabilité revenant encore et encore, détruisant peu à peu toute la volonté exprimée par l'homme qui se déchirait physiquement pour éviter au maximum de laisser son mental se briser par la force de ses souvenirs.


Comme me sentant non concerné par cette scène qui était quand même une partie de ce que j'avais vécu, je n'émis pas la moindre larme, pas la moindre frustration, en regardant cette parcelle de mémoire qu'il me restait. Je compris alors le sens des paroles qu'avait dit Thymeos quelques dizaines de minutes plus tôt. La frustration, la colère, le dégoût, le regret, plus rien n'avait d'importance ici.


« C'est ce que tu as demandé. Mon maître a resserré son emprise en te demandant si tu voulais poser ce fardeau qu'était ton impuissance, faire taire ces voix qu'étaient celles de ta culpabilité, et ne plus entendre parler de cette histoire. Et pour être soulagé de tes maux psychologiques, tu as accepté son aide, le laissant ainsi éveiller tout mon potentiel en toi. Je suis né le jour où tu as vu les cadavres de tes parents étendus devant toi, et j'ai attendu qu'il me libère pour pouvoir prendre le contrôle. Grâce à lui, regarde tout ce que j'ai accompli. »


Habitué au fait d'être aphone lorsque l'on ne m'autorisait pas à parler, je jetai silencieusement mon regard sur l'écran qui montra des scènes diverses et variées me mettant en scène. Une image sur laquelle j'élevai une grande tour de granit au beau milieu de Yokohama, emportant avec moi des tas et des tas de citoyens qui tombèrent comme des mouches au fur et à mesure qu'elle s'élevait, une autre me montrant avec Hiroki, Erika et Hakaze, dans un affrontement dans lequel je mettais toute la rage que j'avais à l'intérieur. Je réalisai que pendant que j'étais ici, celui qui contrôlait mon enveloppe charnelle était en train de répandre le mal… Je pris alors la seule décision qui s'offrait à moi, arrêter Thymeos une bonne fois pour toutes. Je repris la parole, brisant par la force de ma voix l'aphonie qui m'était infligée.


« J'ai fait une erreur en me réfugiant une fois de plus dans la facilité, déclarai-je, déterminé. Faire taire ces voix, c'était fuir ma responsabilité. J'aurais tout simplement dû les écouter, les encaisser encore et encore jusqu'à ce qu'elles ne se taisent… Mais dès maintenant… Je ne prendrai pas le même chemin, je ne me fourvoierai pas de nouveau. Erika m'attend, je dois lui montrer que je suis fort.


— Erika… ? s'amusa mon double, se retenant d'éclater de rire. Elle a déjà trouvé un autre héros. Tu le sais aussi bien que moi, ton très cher rival, Hiroki, est en train de prendre soin d'elle. Personne n'espère ton retour, pourquoi te préoccuper d'eux ? Pourquoi subir la souffrance dans le monde réel alors que tu peux t'épanouir dans l'indifférence ici ?


— Erika…m'a laissé tombé… ? murmurai-je, repensant à celle que j'aimais. Je vois… Je suis vraiment seul… »


Le peu de combativité que j'avais ravivé en moi se fit détruire par l'argument de Thymeos. L'écran de fumée se dissipa. Apparemment, l'ombre n'avait plus rien à me faire voir. Elle me laissa retourner sur cette plage grisâtre tandis qu'elle retourna d'où elle venait : de nulle part. J'étais donc seul en ce monde terne, froid et dénué d'émotions, pour je ne savais combien de temps, pour je ne savais quelle raison…M'asseyant face à l'eau grise, je me posai davantage de questions. Avais-je besoin d'un motif pour me trouver dans ce monde, ou n'avais-je tout simplement aucune raison de vouloir rentrer dans le mien… ? J'ignorais dans lequel de ces cas je me trouvais, mais ce que je savais vraiment, c'était que je n'avais plus ma place à l'extérieur.





Spoiler :


« Je comprends ce que tu ressens, me dit une voix sortant de nulle part. »


Cette voix masculine qui me semblait familière m'interrompit dans mes pensées. Une ombre vint de nouveau se poser à côté de moi, me laissant distinguer une silhouette de jeune homme s'asseoir à mes côtés. Ses cheveux semblaient être dressés sur sa tête d'après sa forme, mais je ne pouvais pas en discerner davantage. Heureux d'avoir un semblant de compagnie, je ne me posai davantage de questions.


« Ce monde n'est pas si mauvais qu'on le pense, reprit-il de sa voix saccadée. Si je l'avais laissé ici, il n'aurait pas visé plus haut et ne se serait pas brûlé les ailes. Si l'espoir fait vivre, il peut aussi tuer… Alors je ne me risquerai plus à le côtoyer…


— Cette culpabilité te ronge ici aussi ? lui demandai-je, à la fois curieux et compatissant.


— Non. Quand je suis ici, plus rien n'a d'importance.


— C'est pour ça que ce monde nous convient, nous interrompit une autre voix sortant de nulle part. »


Ce fut une autre voix masculine qui s'interposa dans mon dialogue avec l'ombre, venant se poser à son tour à mes côtés face à la mer. L'ombre semblait moins puissante, mais je sentais une profonde lassitude provenant de ce qu'il représentait. Il reprit la parole d'un ton évasif, comme s'il était lui aussi loin de toute la réalité du monde réel.


« Toutes les joies et les peines appartiennent au passé. Quelque chose me rattache cependant encore au monde réel…comme cet homme qui sait défier les interdits pour le bien de sa femme et de sa fille. Je n'arrive pas à tourner la page et à aller de l'avant, parce que je vois en lui le même espoir que mes parents avaient dans leurs yeux lorsqu'ils me regardaient. Je ne peux donc pas complètement m'intégrer dans cet univers. Est-ce une chance, ou non ? Je n'en sais rien du tout… »


Je m'arrêtai quelques minutes, plongeant mon regard dans l'océan teinté de gris qui me faisait face. Si je n'avais pas de réelle raison pour rester ici… En avais-je une pour ne pas partir ? Certes, rester dans un monde où toutes les peines ne devenaient que de l'indifférence était alléchant… Mais je n'avais pas l'impression que c'était une fin convenable… Cela ne pouvait pas en être une en soi…


Je me relevai, laissant les deux présences autour de moi émettre un léger cri marqué par la surprise. Je questionnai mes intentions. Ma réponse les choqua lorsque je la leur fis savoir.


« Le monde du désespoir ne peut pas être la fin de la route. Je m'en vais chercher un univers qui correspondra à mes attentes dans la vie. Peu importe si je rentre seul, même si j'ai tout perdu, je peux tout reconstruire…et ce…même si la culpabilité me ronge et que je n'ai plus d'attaches… »


Laissant les deux masses ténébreuses ruminer sur leur sort, je me baladai dans ce monde, cherchant dans les moindres recoins un indice me permettant de sortir. Quittant la plage, je me retrouvai dans d'autres environnements tout aussi sinistres. Clairières, forêts, montagnes…toute l'atmosphère de ce monde n'était faite que de tristesse, de mélancolie et de désespoir. Je marchai quelques jours, cherchant encore et encore mon ticket de sortie pour retourner dans mon monde et mettre fin à tout ça…en vain.


Mais alors que j'étais au pic d'une montagne, à genoux, me maudissant d'avoir choisi la facilité une fois de plus, une autre présence vint se présenter à moi. Tout ce que je distinguais d'elle était une longue chevelure noire qui flottait dans le vent, tandis que le reste de son corps était plongé dans les ténèbres. Lorsque la voix de la créature résonna, je distinguai une tonalité féminine assez abstraite, marquée par de la profonde mélancolie, un profond regret.


« Que fais-tu ici à genoux, jeune garçon ? me lança-t-elle, compatissante.


— J'ai tenté de trouver la sortie de ce monde… murmurai-je. Mais je n'en ai aucune. Je ne peux pas quitter cet environnement infâme.


— Tiens, s'étonna la créature. Tu dois bien être le seul qui veuille sortir d'ici… Et paradoxalement, le seul qui ne puisse pas.


— Comment…!? Pourquoi dis-tu que je suis le seul coincé ici !?


— Toutes les personnes que tu croiseras ici viennent de leur propre chef. Il leur reste quelque chose à faire à l'extérieur, ce qui les pousse à repartir, mais sinon ils y resteraient bien. Et toi, as-tu vraiment quelque chose qui t'appelle à l'extérieur ? Sans raison véritable, tu ne sortiras jamais de cet endroit.


— Oui, répondis-je, déterminé. J'aimerais tout reconstruire, même si plus personne n'a besoin de moi. Voilà ce que je veux.


— Tu ne parviendras jamais à sortir d'ici avec cet état d'esprit, soupira la femme. Ce qu'il te faut, c'est de l'espoir. Si j'arrive à m'échapper d'ici, c'est parce qu'il y a quelqu'un à qui je tiens, et que le simple fait de le revoir suffit à me donner une motivation pour garder contact avec ce monde. Malgré toute la noirceur de mon âme, j'ose encore espérer qu'avec lui, je trouverai le chemin vers la lumière. Et toi ? Possèdes-tu un pilier auquel t'accrocher pour ne pas couler ?


— Il n'y a malheureusement personne qui répond à ce critère, murmurai-je, défaitiste. Puisque même elle… »


« Le pilier d'Erika, c'est que l'on puisse rentrer tous ensemble… Celui de Hakaze c'était de sauver la vie de son père… Le mien…C'est de pouvoir te ramener à tes proches. Je veux que l'on rentre tous et que l'on reprenne une vie normale…C'est tout ce que je cherche. Et toi, tu as oublié cette époque où ta seule motivation était le bonheur et la sécurité de celle que tu aimes ! »


Je déglutis. Qu'était-ce donc ? Cela me sembla comme une voix qui raisonnait dans ce monde de ténèbres… Comme des paroles d'espoir qui essayaient de faire disparaître la monotonie ambiante… Étaient-elles réelles… Ou simplement le fruit de mon imagination… ? Je ne savais pas différencier la réalité de la fiction ici. Cette ambiance était bien trop pesante pour me laisser y réfléchir…


Mais alors que je continuais à me morfondre… La voix retentit de nouveau. Une tonalité masculine assez grave portant quelque chose de plus que les individus que j'entendais ici… Comme si une profonde envie de vivre et d'aimer était ancrée en elle…


« Mais nous t'aimons Reisuke ! Peu importe ton absence de pouvoirs, sans cet odieux personnage qui a pris le contrôle de ton être. Nous aimons Reisuke Yamada comme il est, avec ses forces et ses faiblesses ! Nous t'attendons alors reprends le contrôle ! »


Cette voix…elle revenait encore pour me dire des paroles d'espoir… Étais-je aussi désespéré pour m'inventer une chimère à laquelle m'accrocher…ou quelqu'un venait-il vraiment pour moi… ?


Avant que je ne puisse trouver moi-même la confirmation, ce fut cette présence sombre qui me répondit, me confortant dans l'idée que je me faisais sur ce qui m'appelait.


« Et cette voix qui t'appelle, me dit-elle avec compassion, n'est-elle pas une raison suffisante de sortir d'ici ? Nous aimerions tous avoir la chance d'entendre quelqu'un nous appeler de l'extérieur, mais ce n'est pas quelque chose qui nous arrive à nous, peuple du désespoir. Que fais-tu encore ici ? Tu n'appartiens pas à notre monde. Va-t'en, Reisuke.


— J'imagine que…tu dois avoir raison, répondis-je, hésitant. Quelqu'un m'attend de l'autre côté…je crois… »


Le fait de prononcer ces mots eut pour effet de m'élever de plus en plus haut dans la montagne, me laissant voir d'une position supérieure ce monde dans lequel j'étais plongé. J'eus un pincement au cœur en voyant la désolation dans laquelle étaient plongés toutes ces âmes… Mais contrairement à moi, elles pouvaient aller et venir comme bon leur semblait… Je pouvais donc partir sans regrets.


Lorsque j'eus enfin quitté cet univers, je me retrouvai de nouveau face à Thymeos qui fut surpris de me voir ici. De l'espace dans lequel j'étais, je pouvais constater tout ce que l'individu faisait en mon nom… Et ce n'était effectivement pas joli à voir. Voyant que pendant que j'étais en train de me morfondre sans son monde, il en profitait pour semer le chaos, je fus pris d'une soudaine détermination à reprendre le contrôle avant qu'il ne soit trop tard. Je m'avançai vers Thymeos, ayant pour seul objectif la destruction de son emprise, mais ses mots vinrent une nouvelle fois percuter mon âme.


« Pourquoi veux-tu m'arrêter !? cracha-t-il, furieux. Je suis en train de tout détruire pour tout recommencer, exactement ce que tu veux, non ?


— Quelqu'un m'appelle à l'extérieur. Quelqu'un croit encore en moi… Je ne peux pas me laisser aller au désespoir alors qu'il m'appelle et est persuadé que je répondrai à ses mots. Je me battrai pour lui.


— Cette personne que tu entends c'est celui qui se bat contre nous en ce moment ! me répondit l'ombre, exaspérée. Il veut simplement t'amadouer pour te détruire et t'empêcher de tout reconstruire dans ta vie ! Laisse-moi le combattre avec toutes nos forces et je te garantis que tu n'auras plus à te préoccuper de ce que pensent les autres à ton sujet ! Tu seras libre de faire ce que tu veux !! »


« Tu as raison, Reisuke, dit Hiroki, attristé. Je ne suis qu'un faible, et je suis loin d'être un héros. Je n'ai d'ailleurs aucune chance de te vaincre, tout simplement car je ne le veux pas !


— Hiroki…ne veut pas gagner ? murmurai-je, dans l'incompréhension. Pourquoi… ?


— Plus j'encaisse et je donne des coups, plus je me dis que ce combat n'a aucun sens. Reisuke ! Crois-moi, deux membres de la même famille ne devraient pas avoir à s'affronter pour se comprendre !


— La même…famille… bégayai-je, sans vraiment réaliser ce qu'il voulait dire. »


Je me stoppai net à cet instant. Que voulait me dire Hiroki ? Pourquoi parlait-il de moi comme si nous étions de la même famille… ? Nous n'étions pas assez proches pour nous nous considérer comme deux membres de la même famille… Au contraire, nous étions rivaux, concourant chacun pour le cœur d'Erika. Et il avait bien profité de mon revirement de personnalité pour s'accaparer la jeune fille. Pourtant, lorsque je le regardais, je distinguais sur son visage qu'il se préoccupait vraiment de mon sort.


Thymeos réalisa que j'étais en train de reprendre espoir face aux paroles de Hiroki. Décidé à ne pas perdre son emprise, il reprit le contrôle de plus belle en me déclarant que ce n'était qu'illusion, que j'étais seul et que personne n'attendait mon retour, que tout cela n'était qu'un leurre pour me terrasser. Mais j'étais malgré tout convaincu qu'il avait tort. Je croyais en cette image que je voyais plus qu'en ses dires. Je reprenais confiance en moi.


« Je ne continuerai pas ce combat qui n'a pas de sens ! hurla Hiroki, désespéré. Tu es mon frère, et je ne lèverai pas la main sur toi de nouveau ! »


Mon…frère… ? Hiroki était vraiment mon frère… ? Non… Ce n'était pas possible. Depuis toujours j'étais fils unique. Le grand gaillard devait certainement mentir. Pourtant… Quelque chose en moi semblait vouloir croire en les paroles de l'homme. Thymeos quant à lui, semblant enragé par la tournure des choses, reprit le contrôle de plus belle, profitant de ma confusion pour reprendre la bataille que j'avais troublée par ma simple présence.


Mais alors que je regardais la scène en face de moi, encore chamboulé par l'argumentaire de mon rival, je fus surpris par le spectacle auquel j'assistais. Hiroki encaissait les coups, encore et encore, sans riposter. Lorsqu'il dégaina son épée, il s'engagea dans un duel contre Thymeos qu'il gagna rapidement. Mais alors qu'il aurait pu tout simplement nous tuer comme mon ombre le faisait sous-entendre, il se jeta sur moi pour m'étreindre. Cependant, Thymeos le repoussa, entraînant un combat de plus…


J'en avais assez de voir Hiroki se battre pour moi. J'en avais assez de voir le malheur se répandre autour de ma personne. J'en avais assez de causer tant de désastre simplement car j'étais d'une faiblesse affligeante. J'étais à bout, et je voulais que tout s'arrête.


« Disparaissons ensemble, Thymeos, déclarai-je glacial. Si tu veux tant que ça me contrôler, fais donc. Mais je ne te laisserai pas porter atteinte à ceux que j'aime. »


Cependant, alors que j'allais faire en sorte de nous détruire tous les deux, la voix de Hiroki résonna une fois de plus dans l'espace.


« Erika a raison ! Reisuke ! Je sais que tu m'entends au fond de toi ! Tu as traversé le temps et surpassé toutes tes contraintes pour aider Erika ! Tu as voulu la sauver comme tu m'as sauvé, car oui, si je suis encore en vie aujourd'hui c'est parce que ton existence même conjure le mauvais sort du désespoir au quotidien ! Reisuke ! Peu importe quel monde tu choisis d'ouvrir, cela ne nous ramènera pas nos parents ! Tu n'es pas le responsable de leur mort ! »


La dernière phrase émise par Hiroki résonna dans ma tête. Tout me revint alors, absolument tout. Hiroki était mon grand frère. Celui qui me protégeait quand nous étions enfants. Celui avec lequel je me battais pour savoir qui allait avoir le câlin du soir de maman. Celui qui était seul avant ma venue. Celui avec lequel j'avais promis étant gamin de nous serrer les coudes et de le faire parrain de mes enfants. Hiroki, non pas mon rival en amour, mais mon grand-frère, était venu pour me délivrer de mes tourments.


Tout s'illumina autour de moi en réaction à ma prise de conscience, Thymeos disparut en même temps que sa terre de désolation et de tristesse dans laquelle il m'avait plongé, me laissant alors reprendre connaissance sur le champ de bataille que j'avais créé moi-même. Des larmes étaient sorties de mes yeux sans que je ne m'en aperçoive, et cela semblait faire plaisir à mon frère qui affichait un air soulagé et marqué par un bonheur intense.


« Hiroki… bégaya Erika, semblant concernée par les déclarations de mon aîné.


— Grand-frère… suivis-je, tout aussi décontenancé qu'elle.


— Te rappelles-tu enfin de moi, Reisuke ? répondit Hiroki, sous le coup de l'émotion. »


J'acquiesçai timidement en détournant le regard, honteux face à tout le mal que j'avais causé. Hiroki m'étreignit dès qu'il le put, me laissant un peu mal à l'aise face à toute cette affection soudaine m'étant destinée. Il était encore trop tôt pour moi pour avoir de tels contacts…mais je savais désormais où se trouvait la vérité, où se trouvaient mes souvenirs, et surtout, les personnes ayant vraiment besoin de moi. Hiroki m'avait enseigné quelque chose que je ne comprenais pas auparavant. Il m'avait appris le sens du mot « espoir ».


Mais alors que tout semblait finir sur une note positive, j'entendis la voix de Thymeos provenant de derrière. Le savoir encore présent me glaça le sang, si bien que mes réactions ne furent pas assez rapides. Comme sortant de moi, la présence sombre s'écrasa contre mon frère, m'enlevant à son étreinte, le propulsant loin de moi. Erika lâcha un cri d'horreur qui retentit dans mes oreilles comme l'impact d'une bombe l'aurait fait. Je me ruai sur mon grand frère, redoutant le pire à son propos. Au fur et à mesure que j'accourrais vers lui, le décor de notre bataille finale disparaissait, ne laissant rien d'autre qu'une centrale nucléaire désaffectée et laissée à l'abandon, dont l'odeur mêlait effusions sanguines et poussière datant de dix ans au moins.


Lorsque j'arrivai au chevet de mon frère, je constatai qu'il était trop tard pour qu'il ne survive. Malgré tout, je tentai de le soigner, gardant espoir que je pouvais remédier cette grande plaie noire lui descendant de la clavicule jusqu'aux côtes…mais je perdis cette étincelle quelques secondes après qu'elle apparut, constant que mon aîné vivait ses derniers instants. Erika était à mes côtés, toute aussi affolée que je ne l'étais… Mais Hiroki lui, gardait le sourire…


« Hiroki ! hurlai-je en tentant de me rassurer, laissant déjà les larmes couler sur mes joues. Ne t'en fais pas ! Nous allons trouver une solution pour te venir en aide !


— Il est trop tard. bégaya mon aîné en rassemblant ses forces. Reisuke, j'aurais voulu te dire des tas de choses, t'expliquer de vive voix comment nous en sommes arrivés là, mais je n'ai plus le temps, alors prends ceci. »


Mon frère passa sa main dans sa veste, cherchant sûrement à sortir quelque chose qui m'était destiné… Cependant, alors qu'il allait me donner ce qui semblait être un trésor, le bras qui était dans sa poche se laissa tomber sous le poids de l'apesanteur. Je portai de nouveau mon regard affolé sur le visage de mon aîné, trouvant une expression chaleureuse marquée par la fatigue qui ouvrit une dernière fois la bouche, prenant la parole afin de me faire son ultime confession.


« Je t'aime, petit-frère. »


Ces quelques mots furent noyés dans le dernier souffle de mon frère qui se laissa partir dans mes bras. Les larmes que j'essayais de retenir jusqu'alors pour paraître digne devant Hiroki coulèrent le long de mes joues, entraînant avec elles le déferlement de toute ma tristesse, de toute ma rage, de toute ma frustration qui se traduisirent par un hurlement que je lâchai au ciel.


Erika s'écroula également. Je voulais la réconforter pour que ses larmes cessent… Mais je ne pouvais pas affronter son regard. Tout ce qui s'était passé était de ma faute. Dans mon regret j'avais réveillé quelque chose d'horrible en moi, et Hiroki l'avait payé du prix fort.


Je me relevai, déposant convenablement mon frère sur le sol. Je pris le soin de lui fermer délicatement les yeux. Affronter son regard vide était au-dessus de mes forces, surtout en repensant au fait que c'était moi qui avais causé cette abomination. Je repris finalement la parole à l'intention d'Erika, cherchant un petit réconfort dans toute cette folie.


« Erika…murmurai-je. Avant toute chose, nous devrions retrouver Hakaze.


— Mon Rei…bégaya la jeune femme, meurtrie. Hakaze… Hakaze est… »


Mon amie n'eut pas la force de terminer sa phrase. Elle lâcha la main de mon frère qu'elle tenait depuis quelques minutes, avant de désigner du doigt un point se trouvant à quelques mètres de nous. Je me levai, ouvrant la porte que me désignait Erika, avant de voir l'horrible vérité qu'elle tentait de me faire rentrer dans le crâne.


Dans l'autre salle de la centrale à l'abandon se trouvaient ses lieux dévastés, mais aussi et surtout des corps inertes. Une femme aux longs cheveux blancs et aux yeux bleus, accompagnée par une autre à la chevelure blonde et au regard scintillant s'efforçaient d'essayer de réanimer quelques personnes qui gisaient au sol, inconscientes. Parmi les individus en question, je reconnus immédiatement Soichiro et sa fille, mais aussi Indy Muller, accompagnés de deux garçons que je ne connaissais pas.


Je tombai sur les genoux, réalisant alors l'ampleur du mal que j'avais causé. Repensant à toutes ces vies que j'avais brisées, des nausées me vinrent. Je ne pus même pas opposer la moindre résistance, me laissant cracher ces émotions au sol, me maudissant encore et encore face à ce spectacle abject. Si j'avais pu le faire, je me serais littéralement tué sur place. Mais même ma mort n'était qu'une faible consolation face à tout ce que j'avais occasionné en termes de dégâts.


Je restai au sol quelques minutes avant de me faire interrompre dans mes pensées. Erika vint poser sa main sur mon épaule. Lorsque je relevai la tête, je pus distinguer son visage. Une expression souriante déformée par la tristesse, mais n'arborant aucune animosité, aucune rancœur à mon égard. Sans vraiment comprendre ce qui poussait la jeune femme à ne pas me liquider sur place, je la laissai prendre la parole.


« Mon Rei… murmura Erika. Tu ne dois pas te sentir coupable. Je suis triste pour tout ce qu'il s'est passé… Mais tout le monde a donné la vie pour te ramener à la lumière… Si tu désespères maintenant… Si tu te fais du mal… Alors ce côté sombre de toi aura gagné…


— Erika…


— Et puis…J'ai trouvé ceci près de Hiroki, et j'imagine que cela doit t'être destiné. »


La jeune fille me tendit quelques feuilles jointes qui étaient pliées soigneusement pour former une espèce de dossier pouvant tenir dans une poche. Dépliant ces papiers, je pus remarquer sur la première page les mots « Pour mon frère Reisuke ». Surpris par la présence de cette lettre, je me lançai dans la lecture des dernières lignes écrites par mon aîné, accompagné par Erika qui tenait à me soutenir moralement. Avant d'entamer la lecture, je repensai à ces derniers mots qu'il m'avait dit, et j'y répondis dans un murmure que j'étais vraisemblablement le seul à entendre.


« Moi aussi je t'aime, mon grand-frère. »





Spoiler :


Mon cher Reisuke. Je ne sais pas par où commencer lorsque je t'écris ces mots. J'espère au plus profond de moi que tu n'auras pas à lire cette lettre, puisque si tu as à le faire, c'est que j'ai failli à ma tâche.


Mais en tant qu'adulte, en tant que grand frère, je dois envisager toutes les situations possibles, dans la seule et unique optique de te sauver, toi à qui je tiens plus que tout. Ce que tu vas lire te fera sûrement un choc, mais tu as dû subir le plus gros de l'impact psychologique durant notre affrontement, et à l'heure qu'il est, je suppose que tu es en soif de vérité. Donc Reisuke, par le biais de cette lettre, je t'offre mon ultime témoignage, afin que personne ne te raconte des mensonges sur ton existence.


Nos parents étaient originaires de Yokohama, avant le Purple Requiem. Tu étais trop jeune pour t'en souvenir, mais nous y habitions avant ce qu'il s'est passé dans notre famille. Notre père, Shinichi Yamada, était un médecin qui œuvrait dans les quartiers les plus défavorisés et les moins desservis en matière de soins. Il était réputé comme un homme peu fréquentable, lui qui bravait tous les interdits de sa profession si cela lui permettait de sauver une vie.


Quelques patients réguliers venaient le voir, le permettant ainsi d'assurer sa vie tout en sauvant celle des autres. D'après notre mère, il avait un jour bravé les interdits en prolongeant la vie d'une femme. Il avait réalisé une transfusion sanguine alors qu'il ne possédait pas la qualification pour, simplement pour sauver la vie de sa patiente qui a fini par vivre une vie heureuse. Notre père était ce genre d'homme, celui qui risquait sa carrière, son argent, son avenir, si cela permettait de sauver autrui. Il rencontra notre mère à un âge assez avancé déjà, il avait trente-trois ans à l'époque. Il passait par une mauvaise passe et il trouva en notre mère, Yuki, un réconfort et une stabilité. Je ne peux pas t'en dire plus de ce côté puisque maman devait me raconter ça plus tard, mais elle n'eut jamais l'occasion de le faire.


Nos parents s'accordèrent rapidement ensemble et s'installèrent à Slyburn pendant quelque temps avant de déménager pour une province alentour. De leur union je fus le premier né, et on me donna le nom Hiroki, dont le kanji japonais était celui de « l'espoir en abondance ». Ainsi, en tant qu'aîné, on me confia la tâche de m'assurer de la prospérité de mes frères et sœurs, sur le plan sentimental comme financier. J'étais celui qui allait devoir porter toute la fratrie Yamada en toutes circonstances, et aujourd'hui encore, en écrivant cette lettre, je reste honoré par la tâche qui m'a été confiée ce jour.


Ainsi, j'ai grandi quatre ans seul avec les parents. Papa était occupé à se refaire sa réputation louche et peu accueillante dans son cabinet médical, insistant pour que Maman reste à la maison avec moi en laissant tomber son métier de femme de ménage pour qu'elle préserve sa santé. Je grandis donc aux côtés de notre mère qui me donna tout l'amour dont un fils pouvait rêver. Je n'ai pas énormément de souvenirs de cette époque, mais quand j'y repense, tout ce dont je me souviens est une sensation prenante d'amour et de chaleur qui baigne mon âme dans une source chaude agréable et revitalisante.


Et ce fut dans un tel climat d'amour que tu es né, mon petit-frère. Ta naissance fut la consécration de ma mission sur ce bas monde. J'avais désormais un objectif, assurer ta vie, la mettre plus en valeur que la mienne. Je devais faire en sorte d'emprunter chaque chemin avant que tu ne le fasses afin de m'assurer qu'aucun obstacle ne se mettrait sur ta route. Par ta présence, ma vie n'était plus une vie faite de solitude et de désespoir. J'avais trouvé à un très jeune âge quelque chose à protéger, quelqu'un à qui je devais tout, et cette personne, c'était toi, mon frère cadet.


J'assistai donc à toutes les étapes de ta vie de bébé jusqu'à ce que tu deviennes un petit enfant, m'émerveillant avec maman devant tes premiers mots, tes premiers pas, tes premiers dessins. Cela renforça ma détermination à protéger ce sourire qu'était le tien chaque fois que tu me faisais l'honneur d'afficher sur ton visage cette fraction de bonheur m'étant destinée. Je n'étais que de quatre ans plus vieux que toi, mais t'avoir derrière moi me fit être rapidement plus mûr que ne l'étaient les garçons de mon âge. J'avais la mission de te préserver, et nos parents me confortaient dans cette motivation en me rappelant régulièrement qu'un jour j'allais être responsable de toi. Je croyais en ces mots, ne réalisant pas l'ampleur et les conséquences d'un tel scénario, du moins, pas jusqu'à cet évènement fatidique.


Ce fut un jour de printemps que tout bascula dans nos vies à toi et à moi. J'avais dix ans, tu en avais six. Je venais de rentrer au collège tandis que toi tu entamais l'école élémentaire. Même si nous étions séparés, je m'étais assuré que tu ne sois jamais embêté par les plus grands en demandant à mes amis d'intervenir en cas de soucis avec toi. Je me servais de ma réputation de gentil, de celui qui rendait toujours service à autrui afin d'assurer ta protection, mais je n'avais pas calculé que j'allais sauter la dernière classe pour entrer directement au collège. Je ne pouvais plus venir te chercher à la sortie des écoles, puisque je terminais une heure plus tard…et cela me rendait malade. Je me torturais toujours l'esprit lors de la dernière heure, me demandant où tu étais, ce que tu faisais, avec qui tu parlais, si tu étais hors de danger. Toutes ces questions me torturaient l'esprit jusqu'à ce que je puisse voir ton visage souriant et respirant l'innocence, entendre ce « grand-frère » qui viendrait réconforter mon cœur meurtri par l'absence.


Comme à mon habitude, j'avais les yeux braqués sur ma montre, scrutant la trotteuse des secondes continuer sa course perpétuelle vers le futur avec rigueur. Je n'attendais qu'une chose, qu'elle n'arrive sur ce douze et qu'enfin la cloche sonne. Une fois que le son retentit dans la classe, je me levais rapidement pour sortir de cette prison que me tenait éloigné de toi, ignorant mes camarades comme mes professeurs afin de rentrer au plus vite. Je courais, courais, encore et encore, passant devant ton école primaire qui était déjà fermée, afin de revoir ton sourire qui apaiserait tous mes maux.


Cependant, quelque chose ce jour n'était pas normal. Je sentis qu'un évènement grave s'était passé quand je vis que la voiture de Papa, qui était censé être au travail, était déjà rentrée devant le garage. Il devait être revenu en urgence, ce fut ce que je pensais. Et il n'y a avait que pour toi qu'il aurait pu le faire. Ainsi, je me mis en tête une idée sordide, celle qu'il t'était arrivé malheur. Repassant tous les scénarios plausibles, je me ruai dans la maison en hurlant ton nom, espérant que nos parents me rassurent en me disant que tu allais bien.


Cependant, lorsque je pénétrai la maison, ce fut un tout autre scénario qui s'offrit à moi.


Tout était en désordre, on avait retourné la maison de fond en combles pour je ne sais quelle raison. Des tas de livres étaient à terre, accompagnés de feuilles volantes disposées aléatoirement sur le plancher tandis que nos affaires personnelles étaient retournées, cassées, déchirées… Tout avait été saccagé, mis sens dessus dessous. Mes battements de cœur s'accélérèrent au fur et à mesure que je réalisai l'évidence qui s'imposait face à mes yeux : quelqu'un s'était introduit chez nous et était venu faire le mal. Je n'avais pas vraiment idée de ce que l'on pouvait nous vouloir, à nous, une petite famille tranquille et sans histoires, donc j'en déduis que c'était un cambriolage. Fouillant la maison de fond en comble, j'inspectai chaque salle, chaque recoin de notre lieu de vie, espérant vous retrouver, toi et les parents. Après tout, la voiture de Papa était là, donc vous étiez dans la maison…et j'espérais de tout mon cœur qu'il ne t'était pas arrivé malheur.


Sur cette pensée je me rendis à l'étage, espérant vous retrouver sains et saufs. Mon espoir s'estompait au fur et à mesure que je progressais, puisqu'en m'entendant, les parents seraient sortis pour me rassurer. Mais seul le silence pesant faisait pression sur mon esprit à ce moment précis.


Ce fut au bout d'une dizaine de minutes qui me parut une éternité ou deux que je découvris finalement la scène de l'acte final de nos ascendants. Lorsque j'entrai dans leur chambre, je distinguai ta silhouette, debout, dos à moi. Tu semblais regarder quelque chose qui te paralysait. Je compris alors ce qu'il en était, n'ayant aucune surprise lorsque je constatai cette vision macabre. Les corps de nos parents gisaient dans une mare de sang s'étendant sur le tapis blanc de leur chambre. Ils avaient été assassinés par nous ne savions qui.


J'étais soulagé en faisant cette découverte. Même si nos parents étaient morts, tu étais encore envie et c'était la seule chose qui comptait pour moi. Ainsi, je t'étreins, te répétant que tout allait bien se passer, sans verser la moindre larme devant les cadavres de nos ascendants. Je n'avais pas le droit de pleurer devant toi même si au fond c'était mes parents à moi aussi que l'on avait enlevé. Papa et maman m'avaient préparés à ce jour fatidique, celui où j'allais être responsable de toi…et il était arrivé. Je devais désormais dire adieu à tout ce que j'avais vécu en tant qu'enfant pour laisser un adulte précoce s'installer en moi.


Je te laissai chez nos voisins de l'époque, les Wheeler, le temps de régler les soucis que nous causait cet incident majeur dans notre vie. Le père de famille m'accompagna lorsque je lui décris la catastrophe, laissant sa femme s'occuper de toi et de leur bébé, la petite June. Lorsqu'il vit la scène macabre, il tourna de l'œil et perdit connaissance, me laissant finalement gérer seul l'horrible situation à laquelle nous faisions face.


J'appelai les pompiers et la police, mettant toute mon énergie dans la cohérence de mes propos afin de leur expliquer au mieux. Tandis qu'ils se mirent en route, je regardai les cadavres de nos deux parents qui avaient été disposés l'un dans les bras de l'autre. Le corps de maman avait été percé de deux balles dans la poitrine, tandis que celui de papa avait été percé d'une balle dans le front. L'arme du crime était quant à elle quelques centimètres plus loin. Ce fut à ce moment que je pus enfin relâcher mes forces et pleurer devant la fatalité ayant foudroyé notre famille qui baignait dans l'amour et le bonheur. La réalité nous avait rattrapé, nos parents et nous, pour nous montrer que la vie était cruelle et qu'elle frappait sans préavis. Restant assis à l'extérieur de la chambre, toujours face à ce carnage, je gravai cette vision macabre dans mon esprit, gardant en mémoire que la vie ne tenait qu'à un fil.


Lorsque la police et les pompiers arrivèrent, je fus évacué de la maison avec le père Wheeler afin qu'ils puissent investiguer convenablement. L'heure de la mort était datée au début de l'après-midi. On ne m'en dit pas plus, j'étais trop jeune pour entendre des détails sordides tels que ceux que l'on voit dans les faits divers. Mais l'affaire avait été classée rapidement par les forces de l'ordre, sans déterminer de véritable assassin, faute d'éléments.


Lorsque la police et les pompiers emportèrent les corps de nos parents, je fus laissé seul devant notre domicile, sachant ce qu'il allait en être. Le père d'un de nos voisins était mort quelque temps plus tôt, et à ma grande surprise, je sus que personne ne s'occupait de l'après-mort. Les dégâts causés par une scène de crime étaient à nettoyer par la famille, et donc moi dans le cas auquel nous faisions face.


Tandis que tu restais chez les Wheeler, je passai les quatre jours suivant le décès de nos parents à nettoyer de fond en comble la scène qui avait été le dernier décor de leur vie ensemble. Une fois ceci fait, je fermai la porte en la verrouillant, laissant cette scène macabre au passé. Je finis pile à temps avant que tu ne puisses plus rester chez les Wheeler. Ces derniers devaient quitter leur habitat qu'ils avaient vendu à une agence immobilière quelque temps plus tôt avec pour projet de s'installer en France, ils ne pouvaient donc pas me dépanner davantage.


Ce fut encore six jours plus tard, alors que les Wheeler étaient partis le cœur lourd, que les funérailles de nos parents eurent lieu. Les personnes du quartier s'étaient rassemblées, ainsi que quelques célébrités locales qui venaient se pavaner à cet événement qui avait défrayé la chronique dans notre patelin paumé. Mais il n'y avait personne de notre famille. Moi qui pensais voir arriver des oncles, des tantes, ou des grands-parents, je ne vis que quelques businessmen en costard, mais aussi en enfant qui semblait avoir ton âge. Il était vêtu de noir tout comme les autres. Nous étions les seuls qui étions habillés normalement quand j'y repense. Accompagné par un homme rigide semblant être son père, il s'avança vers nous, attristé. Lorsqu'il fut face à nous, il prit enfin la parole avec compassion.


« Excusez-moi, avança-t-il, bienveillant. Je m'appelle Arata. Kashiwagi Arata. Je suis désolé pour ce qui est arrivé à vos parents.


— C'est gentil, répondis-je en lui souriant tristement. Merci d'être venu leur rendre hommage. »


Le garçon s'arrêta sur toi, alors que ta main agrippait toujours la mienne, mais tu ne lui renvoyas qu'un silence qui le mit encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était en arrivant. En voyant la scène, l'homme rigide s'avança vers son fils, reprenant la parole d'un air rude et impassible.


« Arata, rentrons.


— Oui père… »


Le garçon nous lança un dernier regard, affichant un sourire compatissant marqué par la tristesse, avant de repartir aux côtés de son père. Ne faisant même pas attention à nous, l'homme rigide sermonna son fils alors que je pouvais encore l'entendre.


« Arata, entama-t-il, rigide. Inutile d'aller exprimer ta sympathie. Nous sommes ici pour représenter l'image de marque de notre famille, pas pour compatir avec quelques étrangers que l'on ne recroisera jamais sur notre route. »


Je n'eus même pas la force d'aller le voir pour corriger ses paroles dégueulasses, notre avenir était bien trop flou pour que je remette tout en cause. Il fallait que je ne donne pas une mauvaise image de nous, étant donné que nous étions désormais sans représentant légal.


Quelques jours plus tard, on vint me voir afin de me faire part d'une nouvelle qui allait remuer le couteau dans la plaie. C'était prévisible, ils n'allaient pas laisser un enfant de six ans et un autre de dix ans livrés à eux-mêmes, c'est pourquoi ils voulaient nous placer dans une famille d'accueil.


Mais alors que le programme semblait plutôt attrayant, un hic vint, et ce hic c'était qu'ils n'avaient qu'une place par famille, nous devions être séparés. À ce moment mon sang ne fit qu'un tour. Je ne pouvais même pas concevoir notre séparation. Je ne pouvais pas envisager de passer ma vie sans te voir. Ce n'était pas possible, c'était au-dessus de mes forces. Ainsi, pour contester les projets de ces gens, je pris la seule décision qui pouvait me venir en tête. Je nous ai enfermé à l'intérieur, te séquestrant chez nous jusqu'à ce que l'on nous donne le droit de vivre ensemble.


Je sortais discrètement de temps en temps, te laissant à l'intérieur afin d'aller chercher de quoi nous nourrir. Tant que la porte était barricadée, nous pouvions échapper aux menaces du monde extérieur qui voulait nous séparer l'un de l'autre. Tu ne pouvais toujours pas articuler un mot, choqué parce que tu avais vu. Mais tant que j'étais à tes côtés, tout irait bien. C'était ce que je pensais à ce moment-là. Toi et moi pouvions affronter le monde tant que nous étions ensemble, mais si tu n'étais plus avec moi, je n'avais même plus de raison de vivre.


Nous tînmes une semaine comme ça. Lorsque je te demandais si tu avais besoin de quelque chose, tu me répondais d'un signe de tête négatif. Et si je te posais la question pour savoir si tu étais bien avec moi, tu me répondais d'un signe de tête positif. C'était la seule communication que l'on avait ensemble. C'était difficile à supporter, mais je voulais garder la face coûte que coûte afin que tu puisses continuer à t'épanouir en tant que petit garçon, je souhaitais protéger ce sourire qu'était le tien et ce, même si je devais te séquestrer pendant dix ans pour cela. Et ça…j'imagine que tu l'avais compris…puisque tu as fait quelque chose qui me redonna espoir.





Spoiler :


Nous étions sur le point d'aller nous coucher. Nous dormions ensemble depuis cette histoire, comme pour éviter que l'on ne se perde. Cela me rassurait davantage que cela ne te rassurait finalement, mais c'était mieux ainsi. Regardant la nuit de printemps illuminée par les étoiles, nous étions allongés l'un à côté de l'autre, et c'est là que ça s'est produit. Je me retournai vers toi, affichant ce sourire de grand frère auquel je voulais que tu te raccroches, et prenant la parole en tentant de masquer ma tristesse, je prononçai ces quelques mots banals mais qui portaient leur importance.


« Demain sera un jour meilleur. Bonne nuit, Reisuke.


— Demain sera un beau jour…parce que tu es là…grand-frère… »


Ces quelques mots que tu n'eus même pas le temps de finir avant de trouver le sommeil résonnèrent en moi, me donnant une force que jamais je n'aurais pu acquérir seul. Tu étais tout ce qu'il me restait en ce bas monde. Je devais protéger ta vie, ton être entier était sous ma vigilance. Toute personne voulant te séparer de moi devait disparaître. C'était ce que je pensais. Mais lorsque l'on sonna de nouveau à notre porte, le lendemain, sans savoir pourquoi, j'ouvris.


J'étais persuadé que la présence provenant de derrière n'était pas menaçante, et pour cause, ce n'était qu'une dame d'âge mûr qui se tenait en face de moi. Elle semblait avoir la cinquantaine déjà, cela se voyait par les rides forgées par le vécu sur son visage. Elle arborait une coiffure assez courte dont les cheveux bruns soigneusement lissés formaient des boucles en ce mêlant à des mèches grises cassées. Quant à ses yeux marron, ils semblaient dégager toute l'empathie du monde. Je me rappelle que ce jour-là, je savais que cette femme allait être une de nos alliées, et pour cause, la première chose qu'elle me dit fut une révélation pour moi.


« Enfin je vois ton visage ! sourit la femme. Hiroki, enchantée. Je m'appelle Marie, Marie Kurenai. Je viens d'emménager dans la maison d'à côté, à la place de tes anciens voisins, les Wheeler.


— Je vous préviens tout de suite, répondis-je, animal. Si vous comptez me séparer de mon frère, c'est hors de question.


— Je suis désolée mon garçon, reprit l'âme bienveillante, attristée. Tu as dû vivre des choses horribles avec le décès de tes parents et cet acharnement à vouloir te séparer de ta famille. Mais ne t'en fais pas, je suis de ton côté. J'ai pu m'arranger pour vous, regarde ce document. »


La femme me tendit un papier que je pris le loin de lire. On pouvait clairement y constater que Marie Kurenai, celle en face de moi, était légalement devenue notre famille d'accueil, à toi et à moi. Lorsque je lus ceci, mes yeux s'écarquillèrent. Je lâchai le document, relevant le regard vers celui de l'âme bienveillante qui me regardait avec compassion. Des larmes me montèrent aux yeux, mais je ne voulais pas pleurer pour rester digne. Cependant, lorsque Marie reprit la parole, ce fut le coup de grâce.


« On m'a dit que tu ne voulais pas sortir pour rester avec ton frère…c'est très beau ce que tu fais, Hiroki. J'étais assistante maternelle par le passé, je peux donc m'occuper de toi et de Reisuke. Vous pouvez même vous retrouver ici si vous le voulez. Je me chargerai juste de jeter un œil sur vous et de vous aider quand vous en aurez besoin. Tu es un grand frère admirable, mais tu devrais déposer une partie de ton poids sur mes épaules, d'accord mon garçon ? »


Ces mots me firent éclater en sanglots alors que j'essayais de tout garder pour moi par force et fierté. Les larmes qui éclatèrent regorgeaient de bonheur et de soulagement, pensant au fait que c'était la première fois depuis ces deux semaines de ténèbres qu'un soutien apparaissait dans mon combat. Marie Kurenai venait de mettre fin à toute une semaine d'inquiétude concernant où tu finirais, loin de moi, dans quelle famille, tout cela était derrière moi. Nous allions rester ensemble et c'était tout ce qui comptait à mes yeux. Je relâchai ainsi ma garde, te présentant à celle qui allait devenir notre tutrice légale, Marie Kurenai. Elle nous présenta sa nièce qu'elle gardait avec elle, une petite blonde aux yeux bleus dont les cheveux ondulés étaient doux comme la soie. Elle était aussi jeune que toi, la petite Erika. Et quand tu l'as vue la première fois, le courant est tout de suite passé.


Devenir amis avec Erika te redonna un fragment d'espoir. Tu évoluais beaucoup à son contact. Tu souriais, tu te bagarrais, tu boudais, avec elle tu reprenais un quotidien de petit garçon normal, jusqu'à même retourner à l'école juste pour lui faire visiter, à elle qui venait d'arriver dans cette ville. Marie vous accompagnait, elle me faisait pression pour que je retourne à l'école moi aussi, mais j'avais bien d'autres choses à faire.


Je devais avant tout m'assurer que tu puisses vivre convenablement après que nous allions avoir fini de puiser dans les ressources laissées par nos parents, et même si Marie nous donnait l'argent qu'elle percevait pour être notre tutrice, j'étais mal à l'aise à l'idée de nous laisser nous contenter de nous reposer sur son revenu, et pour ce faire, je faisais des petits boulots clandestins alors que je n'avais pas encore l'âge de travailler. Je nettoyais des maisons, tondais des pelouses, pour le compte des personnes de notre village qui ne me dénonçaient pas et me laissaient toujours quelques centaines de yens en plus pour me permettre de te payer un cinéma de temps à autre. C'était un fragment de bonheur qui me redonnait confiance en l'espoir.


Mais alors que je pensais que tout allait s'améliorer de jours en jours, un événement imprévu vint s'immiscer dans notre reconstruction. Plus le temps passait, plus je te sentais t'éloigner de moi. Malgré le fait que tu m'affirmais le contraire, je sentais vraiment que quelque chose ne tournait plus rond dans nos relations. Peu à peu tu perdis l'affection physique que tu avais envers moi, ne me faisant plus partager ces étreintes que l'on avait pour se réconforter l'un l'autre, mais aussi tous ces instants de camaraderie. Ces « poignées d'hommes » que l'on échangeait, poing contre poing avec le sourire. Tout disparaissait petit à petit pour ne laisser place qu'aux contacts verbaux dans notre relation. Petit-à-petit, tu semblais comme oublier notre lien même. Nous n'échangions plus que quelques mots après lesquels tu allais avec Erika et moi j'allais travailler de mon côté, de plus en plus oppressé par le malaise qui provenait de notre relation devenant instable. Jusqu'au jour fatidique où notre relation prit un virage étrange.


Ce jour-là nous nous levâmes ensemble, comme à notre habitude. Sans réellement me regarder, sûrement encore à moitié dans le sommeil, tu entrepris ta routine : toilette, habillement, préparation pour l'école. Et lorsque tu passas à table pour manger les gaufres que je t'avais préparées, je compris alors ce qu'il se passait sous mes yeux.


« Bonjour Reisuke ! entamai-je joyeusement. Tu as bien dormi ?


— Bon…jour, me dis-tu, dubitatif. Qui es-tu ? Un ami à Erika ? Pourquoi c'est toi qui me fais à manger ?


— Tu…ne te souviens pas de moi ? bégayai-je, déjà anéanti. »


Tu me répondis par un signe négatif de la tête. Voulant cacher au mieux ma tristesse et ma surprise, je me forçai à sourire, reprenant de la manière la plus naturelle possible.


« Je te taquine ! plaisantai-je. Je suis le plus vieux des enfants gardé par Marie Kurenai. Je me nomme Hiroki ! J'aide notre mère adoptive à s'occuper d'Erika et toi vu que je suis plus vieux que vous. »


Tu repris ta routine, mais mon monde s'écroula. Comment ne pouvais-tu pas te souvenir de ton propre frère ? Cela m'inquiétait vraiment. Tu étais vraiment convaincu par le fait de ne pas me connaître, et cela me préoccupait. De plus, j'étais triste d'avoir dû te mentir pour me couvrir. Je te laissai ensuite partir à l'école, voulant préserver ta vie avant tout, ce, même si j'étais destiné à mourir à tes yeux. Hiroki n'existait plus. Moi qui étais né pour te guider dans la vie, j'étais relégué au rang d'un autre enfant comme les autres. Je me suis senti tellement vide à ce moment-là que même maintenant je ne peux pas dire exactement ce que je ressentais à l'époque. Je n'avais plus de but, plus de raison de vivre si je ne pouvais pas être à tes côtés.


Je rencontrai Marie le jour même, lui déclarant le fâcheux problème. Elle réfléchit quelques minutes qui me parut des heures avant de finalement me dire qu'il était impossible pour elle d'avancer la moindre théorie. Elle n'était pas psychologue après-tout. Je pensais qu'elle avait la réponse à tous mes problèmes juste parce qu'elle était la seule à nous avoir aidé, mais elle était aussi impuissante que moi face à ton souci. Nous consultâmes un psychologue pour nous aider, mais même lui ignorait vraiment comment une seule personne pouvait disparaître de la mémoire d'un individu sans altérer le reste de ses souvenirs.


Nous cohabitâmes quelque temps, sous le regard attentif de notre tutrice. Elle voulait déceler dans tes faits et gestes des indices qui allaient nous mener à ce fameux revirement brutal que tu avais fait, ce virage à cent-quatre-vingt degrés qui nous séparait l'un de l'autre, sans trouver de réponse véritable.


Je souffrais. J'étais bien trop dépendant de notre relation fusionnelle et tactile. Chaque seconde passée près de toi me donnait envie de partager ces moments de fraternité que l'on vivait ensemble. Je voulais être ton guide, et je n'étais qu'un colocataire. Je n'arrivais pas à tourner la page sur notre relation, et nous n'avions pas de solution pour te « guérir ».


Alors un jour, dépassé par les évènements, et brisé dans mon affection, je me rendis chez Marie, notre voisine et tutrice.


« Je vais quitter le domicile, Marie.


— C'est hors de question ! protesta la femme. Dehors c'est dangereux, tu n'as que onze ans, et rien ne t'attend à part de la misère à l'extérieur !


— Rien ne sera pire que ce que je vis à l'intérieur ! rétorquai-je, tremblant. Je ne peux pas vivre sous le même toit que Reisuke alors qu'il me considère comme un étranger. Je ne peux pas, c'est hors de question. »


Les larmes me montèrent tandis que mes forces me quittèrent, comme si j'allais les évacuer en pleurant. Je baissai la tête, affichant pour une fois toute ma faiblesse face à notre tutrice légale, comme si cela allait arranger les choses.


« Mes parents m'ont nommé responsable de Reisuke, sanglotai-je. C'est mon devoir de lui apporter l'amour filial, et de le protéger, de le faire rire. Si je ne peux pas remplir ma fonction, je vais souffrir énormément. Je suis désolé, vous m'aidez beaucoup, mais c'est insurmontable.


— Et qu'est-ce que tu comptes accomplir dehors tout seul dis-moi ? me gronda la femme, prête à me faire la morale. Hiroki sois réaliste.


— Je voudrais trouver une piste me menant à la guérison de Reisuke, repris-je, déterminé cette fois. Si je cherche, je trouverai, j'en suis convaincu. Ce n'est pas pour rien que l'affaire de mes parents ait été classée sans suite aussi rapidement. Le problème de mon petit-frère est aussi étrange que ce simple fait.


— Je comprends, reprit Marie, s'avouant à moitié vaincue. Eh bien soit. Je vais m'occuper de Reisuke, et tu seras libre de faire ce que tu veux. Garde seulement à l'esprit qu'il est hors de question que tu découches. Partir en quête de réponses est le maximum que je t'accorderai. Si je viens à savoir que tu as passé une seule nuit dehors, je contacterai immédiatement les services sociaux pour te mettre un éducateur.


— Je vous promets que vous n'aurez pas à le faire, lui assurai-je, soulagé d'avoir son aval. »


Ainsi, je pris mes distances avec le foyer dans lequel nous vivions tous les deux. Je me levai plus tôt que toi le matin, afin de te préparer tes gaufres, celles que tu préférais, avant de partir en te laissant un mot. Je savais que tout ce qui m'attendait dans le monde de la débrouille et de la fugue ne serait que dégoût, décadence, et désespoir. J'allais devoir naviguer dans la fourberie, un mode de vie que je ne connaissais pas, mais cela m'était bien égal. J'œuvrais pour te ramener à la raison, et pourquoi pas découvrir la cause du décès de nos parents. J'idéalisais instantanément l'instant où nous allions être unis comme les doigts de la main, reprenant nos échanges entre frères et notre complicité d'antan.


J'errais dans les rues sombres et délabrées, cherchant des réponses à mes questions. Ma première piste fut de me rendre au cabinet de notre père, celui qui avait été laissé là après sa mort. Je constatai cependant qu'il n'existait plus. Il avait été rénové et reconverti en une épicerie, comme si Shinichi Yamada n'avait jamais existé. Je serrai les poings, en colère à l'idée de voir le patrimoine de notre ascendant se faire balayer d'un revers de la main en moins d'un an après son décès. Je repartis bredouille, errant dans les rues de la ville renommée en Sagamihara, cherchant par où commencer, rien que de quoi m'orienter.


« Tiens tiens, s'étonna une voix féminine qui me surprit non loin de l'ancien cabinet du docteur. Si ce n'est pas le fils de ce bon vieux Shinichi ! »


Je me retournai brusquement, considérant la femme qui semblait me connaître. Elle était une superbe dame aux cheveux noirs corbeaux soigneusement coiffés de manière à ne pas laisser de mèches obstruer son regard éclatant aux couleurs d'un ciel de printemps. Elle me regardait d'un air intéressé, me scrutant de son regard espiègle souligné par une mouche à l'œil, tandis que moi, j'étais mystifié par l'aura singulière se dégageant de mon interlocutrice. Sa robe rouge et son teint mat lui donnaient l'allure d'une gitane.


« Vous me connaissez ? lui demandai-je, étonné. Je ne vous ai jamais vue chez nous.


— Oh, je ne suis qu'une patiente de Shinchi, s'amusa-t-elle face à ma réaction. Mais je t'ai souvent vu au cabinet. Et puis je ne peux pas te louper, tu es le portrait craché de mon cher ami. Que cherches-tu ici ?


— Mon père est mort, lâchai-je. Mon petit frère, lui, ne se souvient subitement plus de moi, donc je cherche à savoir quand, pourquoi, et comment. Je veux résoudre le mystère de l'assassinat de mes parents, et guérir mon cadet.


— Un garçon de ton âge devrait surtout se rendre à l'école., me répondit la brune, une pointe d'ironie en elle. Ne t'en fais pas, tu auras l'occasion de trouver les réponses que tu cherches en temps voulu.


— Je ne sais pas… soupirai-je.


— Si tu veux une piste, pourquoi ne pas te rendre sur la plage Kosmos ? Shinichi adorait s'y relaxer, au point que Yuki s'amusait en lui disant qu'il y avait une maîtresse. »


Je la remerciai, elle m'assura que c'était naturel. Je pris ensuite congé afin de me rendre directement sur la plage mentionnée par la femme. Cependant, je fus confronté à un problème. Nous habitions très loin de l'endroit en question qui était à l'autre extrémité de la ville, derrière l'épaisse forêt qui la coupait en deux. Autant mon père avait une voiture pour s'y rendre, mais Marie n'en avait pas. Et j'étais bien trop jeune. Alors je devais me rendre à l'évidence, j'allais devoir compter quelques jours à pied afin d'y arriver.


Je rentrai à la maison régulièrement pendant quelques jours, une dizaine tout au plus. Marie surveillait que je ne découchais pas, ce qui me restreignait dans mes mouvements. J'avais déjà pris ma décision. J'allais devoir fuguer pour me rendre sur les lieux, ce qui impliquait de passer quelques nuits dehors, sans rentrer le soir. Si ma tutrice me prenait, c'était directement l'éducateur, et je le savais. Cependant, je voulais absolument connaître la vérité, peu importe si je devais trahir une promesse.


Marie cessa de venir contrôler ma présence. Je fis semblant de ne rien remarquer. Elle revint cependant deux jours plus tard pour me prendre en flagrant délit, sachant pertinemment que j'étais capable de fuguer, mais je ne m'étais pas fait avoir. J'attendais d'avoir sa confiance aveugle avant de la trahir.


Deux semaines après l'aval de Marie, je pris enfin la route. J'emportai quelques vivres avec moi, puis je partis dans la nuit, le cœur plein de questions et d'espoirs.


Quelque chose me fit cependant défaut. Je pensais vraiment qu'il allait être aisé de partir vers la plage Kosmos afin d'y trouver mes réponses, mais une fois que je pénétrai dans la ville au-delà des rues que je connaissais, je me perdis. Je n'avais jamais réalisé à quel point l'endroit dans lequel nous vivions était vaste, et c'était encore pire d'agir la nuit, puisque mon champ de vision était réduit.


Finalement, j'échouai dans la forêt sans vraiment comprendre comment j'en étais arrivé là. Je réalisai à ce moment que j'avais été présomptueux de vouloir régler ces soucis par moi-même, mais ce n'était plus la peine de m'apitoyer, car j'étais dans une situation piteuse. Sans téléphone, parce que bien évidemment, je me croyais au-dessus des précautions d'usage et je l'avais laissé à la maison.


Lorsque je réussis finalement à sortir de cette prison boisée qui me terrorisait chaque nuit, j'échouai de l'autre côté de la ville, là où se trouvait mon objectif. J'avais consommé tous mes vivres, et j'avais terriblement faim. J'avais passé au moins une semaine dans cet horrible environnement que je ne voulais jamais plus revoir de ma vie. J'avais réussi à me nourrir comme je le pouvais, mais j'étais loin d'être rassasié. Je n'aspirais qu'une chose : rentrer à la maison, prendre un bain, et manger.


Pourtant, cela n'allait pas être aussi facile que cela en avait l'air. J'étais sale, et mal habillé, alors dès que je tentais de demander de l'aide à des passants ou dans une boutique, on m'envoyait voir ailleurs comme si j'étais un pestiféré. Je n'étais pas un enfant, j'étais simplement un mendiant repoussant. Je ne demandais pourtant qu'un coup de fil pour prévenir ma tutrice, sachant très bien qu'une fois là-bas, j'étais bon pour avoir un éducateur collé derrière moi. Mais j'étais à un point de non-retour. Je ne pouvais pas rester dehors, et j'étais bien trop effrayé pour retourner dans cette forêt du cauchemar.


Mais en attendant que quelqu'un daigne m'aider, il fallait que je mange, et que je me douche. J'étais persuadé que si je trouvais de quoi me laver et me changer, j'allais pouvoir demander de l'aide sans que l'on me repousse, mais pour ça il fallait payer le bain public et des habits potables.


Ce fut ainsi que je démarrai une série de larcins et autres coups foireux dans les rues qui me rapportèrent un peu d'argent par ci, un peu de biens par là. J'étais le gamin qui était tout seul, celui qui servait de larbin aux petites racailles qui se faisaient passer des mots par mon biais pour quelques centaines de yens. Ce n'était pas une vie convenable je te l'avoue, mais c'était le seul moyen pour rentrer chez Marie.


L'argent ne rentrait que rarement, et mon estomac drainait mes pauvres gains quotidiens. Ainsi, avant même que je ne m'en rende compte, je passai un mois dans les ruelles sombres, humides et pestilentielles qui composaient l'envers du décor du quartier populaire dans lequel vagabondaient en permanence des tas d'hommes et de femmes venues de partout et pour différents motifs. Pour ma part, j'étais retranché dans mon petit coin à moi : un carton qui me faisait passer inaperçu entre deux poubelles, me formant un espace d'intimité même minime qui me donnait l'impression d'être en sécurité.


Ton anniversaire approchait, et je n'étais toujours pas rentré. Le jour J, j'avais volé une bougie et un briquet à un marchand du coin, me retranchant dans mon espace pour t'accompagner au moins par la pensée.


Je continuai à chanter « Joyeux anniversaire Reisuke » dans ce petit espace qu'était le mien, pensant au sourire que tu devais afficher aux côtés d'Erika. Cette seule pensée me réchauffait bien plus le cœur que ces repas chauds que je parvenais à voler de temps à autre. Même après des semaines dans la rue, tu étais la lumière qui me permettait de continuer en attendant que je puisse revenir. La situation m'avait d'ailleurs fait réfléchir : il fallait que je te dise que j'étais ton frère, peu importe ta réaction.


Les secondes passèrent, puis les minutes, puis les heures…et la lumière de cette bougie allumée pour toi s'estompa sans que je ne te retrouve, me laissant dans l'obscurité totale. Ne voulant pas me laisser abattre, il fallait que je sorte faire un autre de ces larcins qui m'aurait permis de te revenir pour ton anniversaire. Ce fut avec cette pensée que je m'élançai dans la ville, maintenant habitué des vols à l'arraché et autres procédés mesquins et salissants.


Je me mis en quête d'une cible potentielle pour générer de l'argent facile. Portant mon regard au cœur de la foule, j'épiais quiconque pouvait être un bon parti pour cette course au revenu, et ce fut sur deux personnes que je posai mon œil de prédateur.


Il était un homme accompagné d'une petite de mon âge qui semblait être sa fille. Le vieil homme semblait avoir plus de cinquante ans à en juger par les rides qui creusaient son visage marqué par la tristesse et l'amertume. Ses cheveux gris se battaient pour rester en vie sur son crâne, mais on sentait bien que la partie était terminée pour eux, l'homme était dégarni. Sa fille quant à elle était une jeune brune aux yeux éclatants de couleur verte. Elle avait des cheveux brun foncé de longueur moyenne qui lui donnaient un air assez adulte malgré le fait qu'elle avait encore le corps d'une enfant. Les deux individus avançaient main dans la main, perdus dans l'ambiance euphorique des festivités du soir. Ils étaient les cibles parfaites pour obtenir ce que je cherchais aujourd'hui.


Armé de toute ma détermination, de mon courage et de ma peur toujours plus grandissante de ce monde hostile et dénué de toute chaleur et réconfort, je me lançai dans cette attaque surprise, sans vraiment comprendre qu'en invoquant ce pari stupide, j'allais moi-même sceller cette vie qu'était la mienne.





Spoiler :


Armé de toute ma détermination, de mon courage et de ma peur toujours plus grandissante de ce monde hostile et dénué de toute chaleur et réconfort, je me lançai dans cette attaque surprise, sans vraiment comprendre qu'en invoquant ce pari stupide, j'allais moi-même sceller cette vie qu'était la mienne.


Rassemblant mes forces, je commençai à courir tout en essayant de me fondre au mieux dans l'environnement dans lequel j'étais, visant le sac en bandoulière que tenait la fille de mon âge. Dépassant touristes et autres passants, je me faufilai entre chacun d'entre eux jusqu'à arriver près de la brune et son père. Lorsque je fus juste derrière elle je ralentis ma course pour finalement marcher tranquillement derrière. Je fus pris d'un doute à ce moment. J'avais déjà commis quelques larcins envers les commerçants, mais jamais alors je ne m'étais attaqué à un particulier directement. Peut-être étaient-ils encore plus pauvres que moi et que ce que j'allais leur voler allait être vital… ?


Cependant, le visage de Reisuke revint paraître dans mon esprit dissipant avec lui tous mes doutes. Dans un élan de rage contre notre situation, j'attaquai la jeune fille, se saisissant rapidement de son sac avant de prendre la fuite. En me retournant vers elle et son père, je les vis en train de me poursuivre, me laissant l'occasion de croiser le regard émeraude de la brune. Ce regard aurait dû avoir plus d'effet que je ne le crus au premier abord, mais dans la situation où j'étais, je ne pouvais pas me permettre de m'arrêter. Je possédais leur bien, s'ils me rattrapaient, j'allais finir au commissariat, voir pire que ça. Je courus donc jusqu'à perdre haleine, me faufilant entre les passants jusqu'à me réfugier sous le carton qui me servait de toit, entre les deux poubelles qui me permettaient de passer inaperçu.


J'en profitai pour déballer ma prise du jour. Je pris dans mes bras le sac en bandoulière qui sentait un parfum de lavande que je n'avais pas senti depuis un bon mois. C'était idiot, mais l'odeur de la lessive du sac me rappelait celui du linge propre fourni par notre mère. Je restai donc quelques minutes à me rappeler des bons temps grâce à ce sac, avant de l'ouvrir et de constater la valeur de ce que j'avais volé.


J'eus cependant une surprise assez intense lorsque je découvris le contenu du sac. En effet, moi qui m'attendais à quelques objets multimédias que j'aurais pu revendre, je n'y trouvai pas grand-chose. Un cadre photo comme celui que l'on avait utilisé pour les funérailles de nos parents à l'intérieur duquel une femme respirant la gentillesse était représentée. La femme aux cheveux blancs et aux yeux bleus semblait être décédée, et j'eus cette confirmation en trouvant dans le sac un bouquet de fleur et un produit de nettoyage de pierre. Ce que je pensais être des richesses n'était finalement qu'un sac contenant tout ce qu'il fallait pour prendre soin d'une tombe.


Je pris alors conscience de la nature de mon vol, des intentions mauvaises que j'avais eues vis-à-vis de cette fille et son père. Moi qui n'avais rien à voir avec eux je m'étais permis d'empiéter sur leur vie et de leur enlever ce moment d'intimité qu'ils partageaient ensemble. À en juger par la ressemblance frappante, la femme devait être la mère de cette fille, et cela me rendait d'autant plus coupable, car contrairement à elle, moi j'avais eu le luxe de pleurer devant la tombe de mes parents.


Toujours à l'abri des regards, sous mon carton, je me rendis alors compte qu'il n'y avait qu'une chose à faire pour moi : retrouver ces gens afin de leur rendre leur sac et assumer les conséquences de mes actes mauvais envers eux. Ainsi, je soulevai mon toit afin de me mettre à la recherche de cet homme et sa fille.


Alors que j'avais décampé en vitesse la dernière fois, j'avais l'impression de courir au ralenti. Comme si le temps qui m'était imparti était trop court pour que je remplisse la mission que je m'étais octroyé. Ne pensant qu'à réparer le mal que j'avais fait en leur enlevant ce moment d'intimité qu'ils allaient partager ensemble, je me démenai à chercher chaque recoin de l'allée principale, mettant de côté les passants pour essayer de me concentrer sur ce visage que j'avais repéré quelques dizaines de minutes auparavant…en vain.


Dix minutes passèrent, puis vingt, puis trente, pour finalement laisser passer une heure sur les horloges du quartier huppé de la ville. La masse populaire se faisait de moins en moins importante, se retranchant dans ses quartiers en voyant le soir arriver…et moi…je n'avais toujours pas trouvé l'occasion de racheter mon erreur de jugement et mon acte. Abandonnant mes recherches, je m'écroulai au sol, me maudissant d'être devenu ce genre d'individu, quelqu'un d'instable et sur qui on ne pouvait pas compter. Laissant éclater des larmes chaudes et bruyantes, je me détestais encore et encore, et j'allais le faire jusqu'à ce que je sois trop fatigué pour continuer et que je m'écroule de fatigue. Mais alors que je restais au sol, persuadé que le plan que je m'étais donné était le meilleur à suivre, une forte voix aiguë vint m'interrompre dans mes actions. Elle me lâcha un « nous t'avons enfin retrouvé ! » qui me fit me retourner vers elle.


De ma vision trouble je pus enfin voir le visage que j'avais cherché toute la soirée durant. Je repris alors un peu espoir, laissant mes émotions s'inscrire sur ma tête barbouillée et sale l'espace d'un instant avant de les renvoyer d'où elles venaient pour ne pas les laisser paraître. Je ne pouvais pas me permettre de montrer ce qu'il se passait à l'intérieur tant que je vivais dans cet endroit.


La petite brune qui semblait être venue me sermonner s'arrêta un instant, comprenant sûrement que je n'avais aucune intention de garder son bien. Tandis que son père resta à l'écart, surveillant malgré tout sa fille à qui il confiait la situation, celle-ci prit la parole à mon égard d'une voix forte qui était censée couvrir son hésitation.


« Ce sac…c'est quelque chose de précieux pour moi. Cela appartient à ma mère, peux-tu me le rendre ? »


Sans prendre la parole je ramassai le sac que j'avais laissé au sol. Cette femme était donc vraiment la mère de cette fille, pensais-je. J'avais vraiment été grotesque en croyant pouvoir me sortir de ma situation avec un tel acte…C'était ce que je pensais lorsque je portai le bagage, prenant soin de ne rien casser à l'intérieur, avant de le tendre à la petite brune, n'osant pas affronter son regard croisant le mien. Détournant les yeux, je gardai le silence tandis que je sentais la poigne de la timide s'emparer du sac et l'enlever de mes mains.


Sans demander mon reste, je me tournai dans la direction opposée à la fille, malgré tout heureux d'avoir pu réparer mes actes avant de retourner dans ma galère. Mais alors que j'allais rentrer au bercail, là où était ma place, j'entendis un « Attends ! » qui provint de la même voix que celle qui réclamait son sac. Je me retournai avec surprise, ne comprenant pas ce que voulait la fille qui m'avait interpellé. Pour toute réponse à mon incompréhension, elle lâcha un sourire sincère qui ancra quelque chose de spécial en mon cœur. Face à ce geste éclatant, j'avais retrouvé cette sensation chaude et confortable que nous laissait maman à l'intérieur.


Mon esprit de gamin ne comprenait pas à l'époque, mais ce que j'avais ressenti ce jour-là, c'était de l'espoir profond… Et quand la petite brune reprit la parole, je compris alors le véritable sens de l'espérance.


« Je me demandais, entama-t-elle curieuse. Pourquoi tu as fait ça… ? Pourquoi tu as voulu voler le sac de maman ? Tu pensais qu'il y avait de l'argent dedans… ? »


Je lui répondis par un silence, détournant le regard face à la honte de mon acte qui me faisait face. Le père qui était alors en retrait repris la parole d'un ton menaçant envers moi, comme pour me forcer à donner des réponses.


« Si tu ne nous le dis pas à nous, tu peux le dire au commissariat aussi. C'est ton choix.


— Non ! Pas le commissariat s'il vous plaît ! implorai-je d'un ton trahissant ma détresse. Si j'y vais ils m'enverront en maison de correction et je ne pourrai jamais plus revoir mon frère ! »


Les mots que j'avais lâchés étaient sortis tout seuls de mon esprit face à la menace de l'homme. Lorsque je me rendis compte de ce que j'avais balancé, je me retranchai de nouveau dans ma quiétude, affichant sûrement une gêne considérable face à la situation. Pourtant, la réaction de l'homme en face me surprit énormément…puisqu'il lâcha un rire discret qui me percuta de plein fouet. Il reprit la parole en étant plus doux cette fois, me regardant avec le sourire aux lèvres.


« Il en aura fallu pour te faire parler, s'amusa l'homme d'âge mûr. Allez, réponds donc à ma fille, c'est important pour elle de savoir. »


Je me retournai vers la petite brune qui semblait vraiment prendre à cœur le fait de connaître le pourquoi de mon délit envers elle. Je n'avais pas d'autre choix que de rassembler mon courage afin de lui dire tout le pourquoi du comment… Même si m'ouvrir à des inconnus était difficile… Mais j'avais le sentiment qu'avec eux, tout allait bien se passer.


« Je pensais qu'il y a avait des objets à revendre, avouai-je, honteux. J'ai eu un besoin d'argent urgent et je n'ai pas réfléchi aux conséquences. Je suis désolé l'amie…


— Hakaze, me répondit-elle, sans parler de mon acte.


— Comment ? bredouillai-je, timide.


— Je m'appelle Hakaze. Namatame Hakaze. Et mon père le grincheux il s'appelle Soichiro. Et toi, quel est ton nom ?


— Hiroki, répondis-je. Yamada Hiroki. »


Lorsque je dévoilai mon nom, le père sembla tiquer un peu. Je lui demandai si quelque chose n'allait pas, mais il m'assura que tout se passait bien, laissant sa fille reprendre la conversation qu'elle avait avec moi.


« Dis, Hiroki, entama-t-elle avec compassion. Pourquoi tu es dehors, tout seul, et dans cet état ? Nous avons le même âge et on semble si différents quand on nous regarde…


— J'étais comme toi il y a quelque temps encore. Nous avons juste pris un mauvais virage, ma famille et moi. Mes parents sont morts et mon petit frère est dans un endroit où seul lui peut être. Je peux le voir, mais lui ne me reconnaît pas lorsqu'il croise mon regard, et ça me fait souffrir. Alors je suis parti de chez ma tutrice afin de trouver une solution à son mal, et me suis perdu. Donc j'erre ici.


— C'est triste, soupira Hakaze, peinée. Tu as dû traverser des épreuves difficiles. Mais je suis certaine qu'un jour tu arriveras à trouver ce que tu cherches. Tu es un bon grand-frère, Hiroki ! »


Le sourire qu'elle afficha à côté de ces paroles déclencha une émotion intense à l'intérieur de moi-même. Cela faisait un bon mois, non, plus, que je n'avais pas entendu ces mots qui me faisaient tant plaisir. « Tu es un bon grand frère, Hiroki. » Rien ne pouvait me faire plus plaisir que de savoir que la cause pour laquelle je vouais ma vie était convenablement remplie…


Malgré tout ce que je faisais, tu étais après tout, ma seule et unique motivation pour continuer dans ce monde dans lequel je n'étais pas à ma place, et c'était une chance que j'avais de pouvoir me raccrocher à ce pilier dans la vie, celui de te revoir un jour. Devant ma réaction spontanée et incontrôlée, Hakaze reprit la parole, cette fois avec plus de sérieux.


« J'ai quelque chose pour toi, Hiroki.


— Quelque chose…pour moi ? bégayai-je, sans comprendre. »


Sans que je ne puisse le voir arriver, la petite brune mit la main dans sa poche avant d'en sortir en billet de 2000 Yens qu'elle tendit vers moi, consentant clairement à m'avancer cette somme considérable pour une fille de son âge et pour moi. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut toujours armée de son sourire et de sa voix compatissante.


« Tu as vraiment besoin d'argent, Hiroki. Et puis tu voulais me rapporter notre sac n'est-ce pas ? Tu as compris ce que tu avais fait et tu nous as cherché, alors tu mérites bien de trouver un peu de gaieté ce soir.


— Je…ne peux pas accepter ça, soupirai-je. Téléphoner à ma tutrice serait bien suffisant pour que je puisse rentrer…parce qu'on ne m'a jamais dépanné d'un coup de fil. On ne m'écoute pas, car je suis sale. En plus aujourd'hui c'est l'anniversaire de mon frère, donc je voudrais rentrer pour le voir. Mais je ne peux pas accepter ton aide après ce que je t'ai fait. Je t'inspire simplement la pitié, je n'ai pas gagné le droit de bénéficier de ton soutien. »


La petite brune recula d'un pas, semblant déçue par ma réaction face à sa proposition. Je passai ma main dans mes cheveux, gêné par la déception que j'avais moi-même inscrit sur son visage, mais je ne pouvais pas faire autrement. Je voulais malgré tout respecter le code d'honneur que mon père m'avait transmis. De toute façon, quelques jours de plus n'allaient pas être la mer à boire au vu du mois que je venais de passer.


Cependant, comme pour trouver un compromis entre mes désirs et ceux de sa fille, ce fut l'homme qui l'accompagnait qui reprit la parole avec diplomatie.


« Dans ce cas, entama l'homme, tu n'as qu'à dire que c'est un échange de procédé. Tu empruntes une faveur à ma fille, et tu la lui rendras plus tard.


— Je doute être capable de rendre la pareille dans ma situation, soupirai-je. Cela me sera impossible.


— Écoute-moi jusqu'au bout jeune homme, reprit-il en m'écrasant de par son charisme. D'après ce que tu as dit, tu sembles ne pas vouloir rentrer, n'est-ce pas ? Alors je te propose de travailler pour moi. Tu nous suis, je te donne un toit, de quoi te changer, manger, et te laver, et en échange, tu deviens mon gamin à tout faire au laboratoire. Tu accompliras des tâches pour moi, je te donnerai de l'argent extra, et le reste je le garde pour couvrir les dépenses liées à ta vie avec nous. Tu pourras aller voir ton frère quand tu veux, tout en continuant tes recherches dans lesquelles je t'assisterai en te conduisant en voiture. Cela nous arrange tous les deux, c'est un bon marché, non ?


— Papa, tu vas vraiment faire ça !? s'extasia Hakaze devant son père.


— Bien sûr, on a la place pour accueillir une personne de plus dans la forêt. »


La petite brune exulta de joie devant la déclaration de son père, tandis que moi, je restai paralysé quelques secondes de plus en repensant à cette horrible forêt. Elle s'approcha rapidement de moi, collant presque son visage au mien, avant de se saisir de ma main d'une rapidité surprenante. Elle plongea son regard joyeux dans le mien perdu dans l'incompréhension avant de reprendre la parole avec entrain et insistance.


« Hiroki, moi et papa on pense que rien n'est fait au hasard, que toutes les rencontres sont organisées par quelqu'un au-dessus de nous. Si on s'est rencontré ce soir c'est parce qu'on doit faire un bout de chemin ensemble ! Hiroki, s'il te plaît, accepte de venir avec nous ! »


J'hésitai quelques instants. Tout cela était trop soudain. D'abord j'étais un voleur, ensuite on me proposait de l'aide pour récompenser mon crime, et enfin on me laissait le droit de reprendre une vie normale à condition d'avoir un travail…C'était trop hâtif, trop soudain, trop beau pour être vrai. Bien sûr que la proposition était alléchante, je pouvais enfin retrouver un foyer plutôt que de mendier pour pouvoir aller au bain public, mais j'avais l'impression que quelque chose n'était pas correct.


Cependant, ce que je lisais dans les yeux de Hakaze qui insistait face à moi était tout sauf de la réticence. La petite brune semblait vraiment vouloir m'aider à sortir de la galère. Même plus que ça. J'avais l'impression qu'une partie d'elle m'appréciait. Je me faisais sûrement des fausses idées de ce point de vue. Mais je me laissai malgré tout convaincre par les arguments du père et de la fille. Acquiesçant, je repris la parole avec sérieux, tout en gardant mon côté introverti face aux étrangers.


« D'accord. Je veux bien travailler pour vous monsieur. Je vous remercie de me donner cette opportunité. Je ne vous décevrai pas.


— Super ! exulta Hakaze. Je suis contente que tu aies choisi l'avenir plutôt que de te morfondre ici dans une poubelle !


— J'habite un carton entre deux poubelles s'il te plaît… répondis-je timidement.


— Maintenant, tu as un chez toi, Hiroki, sourit-elle en guise de réponse.


— Il y a un léger souci cependant, Hiroki, reprit Soichiro, l'air grave.


— Comment ça ? Quel est le souci monsieur ?


— Les magasins ferment dans trente minutes, cela serait dommage de manquer le cadeau d'anniversaire de ton petit frère, non ?


— Monsieur…vous êtes sûr que… ?


— Hâtons-nous, sourit l'homme. C'est un jour particulier pour toi n'est-ce pas ? Allons-y. »


J'acquiesçai avec le sourire face à l'homme et sa fille qui furent apparemment satisfaits de voir finalement une expression de joie se dessiner sur mon visage. Accompagné par mes rencontres, je me dirigeai en quête de magasins afin de trouver ce qui allait être un cadeau pour tes sept ans. Je ne pouvais pas rentrer dans les magasins à cause du fait que j'étais bien trop sale sur moi et sur mes vêtements, mais Hakaze, la petite brune, allait dans le magasin pour moi voir ce que je voulais pour ensuite ressortir avec l'objet tant convoité. Ce que nous t'avions payé ce jour-là, c'était un simple jouet de gamin que j'avais repéré. Il ne coûtait pas cher, mais c'était un cadeau pour lequel nous avions tous mis du nôtre…et c'était quelque chose que tu allais avoir venant de moi, et cela suffisait à me rendre heureux.





Spoiler :


Le père et la fille m'accompagnèrent jusque notre chez nous. Ce n'était pas ma destination principale, mais je voulais leur montrer en même temps cette bâtisse là où s'était joué le drame d'il y a quelque temps. Je ne m'y arrêtai cependant pas, sonnant à côté à la place, au domicile des Kurenai. Après quelques secondes d'attente sur le pas de la porte, la tante d'Erika, Marie Kurenai, vint m'ouvrir, constatant avec stupéfaction l'état dans lequel j'étais.


« Hiroki ! s'exclama-t-elle en hurlant, à deux doigts de faire une crise cardiaque. Tu es vivant ! J'ai bien cru que tu ne reviendrais jamais ! Te rends-tu compte à quel point tu m'as fait peur !? Je t'ai cherché partout ! Pour l'amour du ciel, même la police est à tes trousses ! Où étais-tu !?


— J'étais…de l'autre côté de la forêt, avouai-je, honteux. J'ai voulu enquêter sur mon père et…je me suis perdu. Personne ne m'a aidé parce qu'ils m'ont pris pour un immigré en recherche d'argent comme j'étais sale.


— Ne me refais plus jamais ça, murmura Marie de soulagement en me prenant dans ses bras. Je ne te laisserai jamais plus partir, puisque je ne peux pas te faire confiance. Maintenant tu rentres à la maison et tu prends une douche !


— À ce propos madame, entama Soichiro, diplomate. J'aimerais avoir une petite conversation avec vous. »


Soichiro s'avança alors avec sa fille, laissant Erika les voir tous les deux. Tandis que je me tus, laissant les adultes parler entre eux, l'homme expliqua la situation à ma voisine, celle qui était sur le papier ma tutrice. Il lui expliqua que j'allais travailler pour lui en échange des besoins de ma vie quotidienne, et que j'avais consenti à ça. J'allais aider sa fille à remplir son travail d'assistante de laboratoire, un job tranquille dont il pouvait assumer les charges financières. Pour toute réponse, Marie soupira, déclarant que j'étais décidément bien trop têtu et que ça allait me causer préjudice de nouveau un jour… Mais elle finit par accepter, faisant bien plus confiance à Soichiro que je n'aurais cru venant d'elle.


Je lui donnai le cadeau que j'avais pris pour toi, ne voulant pas paraître devant mon petit-frère en étant sale et mal vêtu. Je lui assurai que je viendrais la voir régulièrement pour avoir des nouvelles de toi, et elle m'assura en retour qu'elle prendrait soin de ce que j'avais de plus précieux en ce monde, puis nous nous séparâmes en cette fraîche soirée de printemps. J'étais soulagé d'avoir échappé à l'éducateur spécialisé, mais je ne le dis à personne pour éviter de ramener l'histoire sur le feu.


J'accompagnai désormais Soichiro et Hakaze à qui je racontai mon passé de A à Z. Je leur parlai de qui était nos parents comme je t'en ai parlé au début de cette lettre, laissant l'homme esquisser un sourire lorsque je lui mentionnai Shinichi notre propre père. Hakaze suivait avec attention les détails de notre histoire. Elle aimait lorsque je racontais combien tu étais précieux, combien tu étais fragile, et combien je devais te protéger contre ce vaste monde, comme me l'avait enseigné notre mère depuis ta naissance.


J'étais fier de raconter que j'avais un frère, même si notre histoire était teintée d'obscurité. Hakaze quant à elle me raconta qu'elle avait vécu un passé similaire au nôtre. Sans rentrer dans les détails, elle m'expliqua que sa mère était décédée d'une maladie deux ou trois ans plus tôt, et que depuis ce temps, Soichiro et elle s'étaient installés dans un endroit spécial à quelques heures de la ville. Je ne compris pas ce qu'elle voulait dire par là, mais mes doutes furent dissipés lorsque je vis l'immense forêt dans laquelle vit toujours la famille Namatame à ce jour. Ce n'était pas une blague, ils habitaient vraiment dans ce labyrinthe boisé ultra flippant dans lequel j'avais échoué un mois plus tôt.


Je m'installai donc dans ce qui était le logis mais aussi le quartier général de travail de Soichiro Namatame. Il faisait ses expériences sur les Izrathiens dans un laboratoire reculé, et le travail de sa fille était de l'aider à gérer les crises et les conflits entre habitants d'Izrath vivant dans la forêt.


En guise de travail, on me confia l'apprentissage de toutes les ficelles de ce monde. Je devais être capable de partir en mission pour Soichiro qui était lui-même subventionné par une fondation nommée ETHER pour faire des recherches sur le kvantiki qui restait présente dans les parages malgré une abolition récente de cette source d'énergie par la ville à cause d'incidents dont nous n'avions vécu directement. Ce fut ainsi que je devins un breeder. J'avais repéré dans la forêt de Soichiro toutes les créatures désorientées et sans famille, la plupart relativement jeunes, et comme pour conjurer le mauvais sort laissé sur moi en raison de mon manque d'affection, je décidai de devenir à mon tour leur tuteur, leur grand-frère. Une fois qu'ils grandissaient, je les renvoyais en Izrath le cœur lourd, mais l'esprit clair. J'avais l'impression de pouvoir leur donner le surplus d'amour t'étant destiné, et cela me faisait du bien.


Je m'entraînai, encore et encore, avec pour seul objectif de répondre aux attentes de Soichiro. Je faisais mes armes dans la grotte spéciale entraînement, tandis que j'appris à manier l'épée et toutes sortes de techniques de bataille afin de pouvoir agir lors d'une éventuelle crise. Je pouvais aussi continuer mes recherches sur Shinichi et ce syndrome étrange dont tu étais atteint, mais je ne découvris pas grand-chose, même avec l'aide de Soichiro. Alors je me contentais de venir te voir régulièrement en tant que simple camarade d'infortune, essayant de te glisser des perches sur notre lien de parenté, mais tu ne les saisissais pas, alors je décidai de tout simplement laisser le temps faire son œuvre.


Lorsque je pris un peu d'âge, mon nouveau tuteur m'apprit alors plus de détails sur le kvantiki et Izrath. Il étudiait cette énergie afin de pouvoir matérialiser dans le monde réel tous les Izrathiens qui n'avaient plus possibilité de retourner dans leur monde, pour une raison ou une autre. Medrawt faisait partie de ceux-là. Il vivait par le biais de Hakaze et s'était autoproclamé gardien des lieux afin de lui rendre la pareille. Je n'y croyais pas trop au début, mais lorsque Hakaze invoqua Zéphyra, je m'excusai en me prosternant plus bas que terre afin de montrer que j'avais fait erreur.


Le kvantiki était donc une énergie se faisant de plus en plus rare et souvent corrompue par le fait qu'elle était restée trop longtemps sous terre. Ainsi, le but premier de Soichiro était de faire taire toutes les sources d'énergie jaillissant telles des gisements de pétrole un peu partout dans la ville et ses alentours tandis qu'il menait en parallèle des recherches pour créer une invention spéciale dont il ne voulait pas me révéler la fonction. Tout cela me fascinait. Je n'avais jamais eu de réelles questions sur le paranormal et la spiritualité avant ça, mais tout découvrir me faisait prendre beaucoup de plaisir dans mon travail.


Les mois, puis les années passèrent me laissant grandir aux côtés de la famille Nanatame, plus particulièrement de Hakaze, qui était devenue ma partenaire de mission. Il n'était pas rare que l'on parte un ou deux jours, couchant là où l'on pouvait le faire, afin de gagner un peu d'argent, une relique quantique, ou des informations sur Izrath. Parfois j'étais celui qui ramenait le butin, parfois elle, et nous vivions cela très bien. Je développais mes facultés à interagir avec les Izrathiens : ils avaient chacun leur histoire, leurs raisons, leurs tourments, et ils étaient finalement aussi sensibles que nous lorsqu'il s'agissait de sentiments.


Secrètement, nous allions vous espionner de temps en temps, nous moquant de votre relation de couple bizarre sans jamais penser à la nôtre. Ce fut comme cela que Hakaze et Zéphyra repérèrent Toratura, la princesse des serpents, qui habitait en Erika depuis tout ce temps, ou tout du moins, qui débarquait sans prévenir d'Izrath de façon aléatoire.


Toratura qui était venue piquer une crise dans notre laboratoire. Elle était vexée par le fait qu'Erika ne connaissait pas son véritable nom Ahtraspia, la reine venimeuse. Notre amie l'avait surnommée Toratura simplement parce qu'elle trouvait ça mignon, ce qui frustra vraiment le reptile aux cheveux de serpents qui se plaignait qu'elle serait incapable de supporter la blonde pour la vie.


Lorsque tu es entré au collège, j'ai voulu me rapprocher davantage de toi, estimant que le temps avait peut-être déjà fait assez de boulot pour que je puisse t'approcher sans heurter ta mémoire ou tes sentiments. Ainsi, je sympathisai officiellement avec Erika Kurenai, remarquant au passage que tu étais fou d'elle, et comme pour marquer notre lien à tous les deux, je fis mine d'avoir le béguin pour elle. Il n'y avait de toute façon aucun danger pour toi étant donné que cela se voyait clairement que ton attirance était partagée, et j'étais persuadé que vous finiriez ensemble. Ainsi, à tes yeux je devins Hiroki le rival, celui que tu aurais souhaité voir disparaître pour être plus tranquille, mais je préférais jouer ce rôle dans ta vie que de ne rien incarner du tout.


Je ne voulais pas que tu m'oublies une seconde fois, et ce, même si je devais laisser une impression désagréable dans ton esprit et dans ton cœur. Ma principale priorité était de rester ancré dans ta vie, partageant en tant que spectateur toutes les épreuves dans lesquelles je m'imaginais à tes côtés. J'eus donc la joie de partager des moments naturels de ta vie comme tes premières déceptions, tes karaokés, ton premier groupe de musique avec Kôsei, Erika et les autres, mais aussi le jour de ta remise des diplômes au collège et au lycée, tandis que moi je montai en grade dans l'organisation ETHER du japon de laquelle Soichiro était un des chefs, devenant peu à peu une recrue qualifiée pour des missions plus extrêmes. Je choisis de suivre le cursus de police duquel Masamune Nishijima, un commissaire réputé, gérait la branche.


Soichiro m'encouragea dans ce choix, et en quelques années je reçus l'approbation tant attendue pour porter mon arme et devenir un agent des forces de l'ordre mandaté. Ce fut ce jour là que je débarquai de nulle part chez Marie afin de fêter ça tous ensemble. Je voulais te montrer que ton grand-frère était un héros, même si je savais que cela ne représentait rien à tes yeux dans l'instant.


Concernant moi et Hakaze…notre lien avait grandi d'années en années, et je finis par tomber amoureux d'elle. Je savais bien que la jeune fille que je connaissais depuis des années à cette époque ne partageait pas ce sentiment. Je préférais donc me taire sur ce dernier plutôt que de tout avouer et briser cette complicité intense qu'était la nôtre. Nous étions comme deux frères et sœurs. Faire évoluer cette relation solide en couple aurait peut-être été une erreur irréversible détruisant notre entente admirable. J'étais satisfait d'être son partenaire de mission, de pouvoir toujours assurer ses arrières, de dormir avec elle dans des endroits farfelus où nous devions passer la nuit, de nous battre pour savoir quelle route prendre et finalement rager devant son air supérieur parce qu'elle avait raison et moi tort. Tout ça c'était bien plus que ce que j'attendais au départ lorsque j'eus accepté la proposition de Soichiro Namatame qui consistait à bosser pour lui.


Nous passâmes quelques années de plus ensemble, moi, Hakaze et Soichiro. Notre but était désormais d'attraper des individus travaillant avec des Izrathiens, leur poser des questions, et éliminer ceux qui bossaient pour répandre le mal ou déséquilibrer notre dimension, avec ou sans le consentement de l'humain en question. Hakaze n'aimait pas mettre un terme à la vie d'un Izrathien, même les plus pourris du lot. Alors j'assurais cette lourde tâche à sa place. Nous effectuions des missions plutôt dangereuses, si bien qu'un jour, j'eus même un accident assez grave dans lequel je frôlai la mort, mais finalement, grâce à Soichiro, ainsi qu'au juge du sanctuaire céleste, Astaris, je réussis à m'en sortir. Je te raconterai cette histoire une autre fois si j'en ai l'occasion.


Nous gardions toujours un œil sur toi et Erika, constatant que les problèmes avec Toratura étaient de plus en plus fréquents. Connaissant le passé de la princesse des reptiles, nous savions que l'affronter de pleine face était impossible et qu'il fallait donc pouvoir la faire tirer un trait sur les évènements ayant eu lieu auparavant. Ainsi, nous devions trouver un moyen d'approche pour comprendre l'état d'esprit dans lequel se trouvait Erika, et fut lors votre concert improvisé que nous trouvâmes une solution. Lorsque vous vous installâtes sur le podium construit à cet effet, moi et Hakaze étions en retrait, observant la situation avec calme et attention.


« Dis donc, lançai-je alors qu'Erika semait le chaos. Toratura a gagné en puissance. C'est triste de voir qu'Erika n'ait pas suivi sa route. Elles ne se développent pas en même temps.


— C'est normal, reprit Hakaze, rationnelle. Erika est une jeune fille qui n'a aucun passé, Toratura n'est même pas censée être là et a vécu des choses terribles. C'est difficile pour la princesse de se repentir de ce qu'elle était auparavant. Surtout que pour une raison inconnue, elle a choisi l'incarnation de l'innocence pour porter son fardeau. Il faut leur laisser du temps pour qu'elles se comprennent.


— Je ne pense pas que ce soit du temps qu'il leur faut, mais plutôt de traverser des épreuves ensemble pour les rapprocher, un peu comme…toi…et moi…


— Qu'insinues-tu l'avorton ? reprit Hakaze, un sourire en coin. Tu penses que nous avons mûri en même temps ? Tu n'es encore qu'un gamin.


— Eh ! protestai-je. J'étais sérieux ! Et puis ne cherche pas des cross à un Izrathien capable de te mettre en pièces !


— Tu ne tiendrais pas deux secondes face à moi et ma partenaire, me nargua celle que j'aimais. D'ailleurs regarde ton petit-frère. Zéphyra ressent quelque chose provenant de lui. Une aura sombre et opaque, semblable à celle d'un Izrathien.


— Tu décèles une relique quantique ? lui demandai-je, concerné. Et si cet Izrathien avait à voir avec sa perte de mémoire ?


— Pas de relique quantique. Mais c'est possible que ce soit lié avec ton histoire. Draekort attend son heure, il ne se manifeste pas et Reisuke ne semble même pas savoir qu'il est présent.


— Ah…ça pue tellement, m'apitoyai-je. On va devoir gérer deux Izrathiens en même temps quoi !


— Ne t'en fais pas, sourit Hakaze. J'ai un plan. »


Hakaze me raconta ce qu'elle avait en tête. Elle devait aller voir Erika pour lui proposer une quête abracadabrantesque ; celle de remonter le temps pour chercher du kvantiki dans le passé et ce, afin de briser de force l'engagement avec Toratura qui dut être rassurée par Zéphyra tant elle eut peur que l'on la trahisse. Le but étant de faire vivre des épreuves à Erika et la princesse afin qu'elles se comprennent, tandis que toi aussi tu devais établir une communication avec Draekort afin de t'accorder avec lui. Ainsi, tandis que Hakaze était partie à votre rencontre, je devais prévenir Soichiro du plan de sa fille.


Il avança que c'était de la pure folie et qu'il y avait plus de risques de créer des paradoxes plutôt que de revenir sains et saufs. Pourtant, il ne remit pas en cause la décision de sa fille. Il déclara que si elle avait entrepris ça, c'était qu'elle était capable de gérer la situation, et il lui fit confiance.


Ainsi, votre voyage peu banal débuta. Je me cachai dans la forêt — que je connaissais d'ailleurs assez pour ne plus m'y perdre — attendant votre arrivée. Je vous vis partir vers le passé, et lorsque cela fut enfin fait, je me positionnai à mon tour dans un des cercles bleus dessinés au sol afin de vous rejoindre et garder un œil sur vous tous.


« Tout ce cinéma alors qu'il suffit d'appuyer sur le bouton de la machine de ma gamine pour enclencher le processus, railla Soichiro. Quel sens du spectacle.


— Hakaze tient à tout faire dans les formes, me moquai-je. Vous savez, votre fille est agaçante, mais elle a un très grand cœur. Mais c'est justement ce qui la rend fragile, donc je m'en vais la surveiller.


— Je suis à quatre-vingt-cinq pourcents certain qu'elle créera un paradoxe, soupira le vieil homme. Il faut absolument que tu l'en empêches.


— Comptez sur moi, ris-je en pensant à cette pauvre Hakaze. Par contre, j'aurais besoin de mon partenaire de bataille. Medrawt ! Tu viens ? On embarque. »


Le chevalier se rua sur moi, ravi que je ne l'avais pas oublié. Ensemble nous actionnâmes la machine à remonter dans le temps, laissant Soichiro nous dire des derniers mots avant notre départ.


« Prenez soin de ma fille vous deux. Elle est tout ce que j'ai en ce bas monde.


— Comptez sur moi, répondis-je spontanément. Je la préserverai au prix de ma vie.


— Et surtout, qu'elle ne crée pas de paradoxe ! insista le père, apparemment vraiment concerné par cet aspect du voyage. »


Sur un sourire je partis donc dans le passé avec une heure de décalage par rapport à vous. Tout comme vous je me suis fait des allés à l'époque de Yokohama, ce qui m'a permis de survivre et d'évoluer dans un monde qui n'était pas le mien, tout comme je l'avais fait lorsque j'étais un gamin.


Il était clairement moins hostile cet univers, mais j'avais cependant une mission bien claire, celle de te retrouver et de te rendre la mémoire que tu avais perdu, dans l'espoir de pouvoir de nouveau te serrer dans mes bras un jour et entendre ce « grand-frère » qui viendrait désormais de ta voix d'homme. La seule chose que je n'avais pas prévu dans ce voyage, c'était les tourments de Hakaze. Elle ne m'avait pas détaillé son passé à ce point, et je n'avais pas la moindre idée de comment elle se sentait vis-à-vis de son père et surtout vis-à-vis d'elle-même. Aujourd'hui, si je n'arrivais pas à la sauver, cela serait un profond regret qui se marquerait en moi étant donné que j'ai promis à Soichiro de la ramener sauve et qu'elle est la seule femme qui ait jamais compté à mes yeux.


Reisuke, tout ce que nous avons vécu par le passé nous amène donc à cette scène où tu dois lire cette lettre. Si je suis mort en essayant de te sauver, j'espère ne pas avoir aggravé ton état avec ces sentiments que je gardais en moi, et si tu es conscient de notre histoire en lisant ça, je voudrais te dire une dernière chose : un de ces précieux conseils de frère aîné que j'aurais voulu te donner de vive voix mais dont je n'ai pas pu saisir l'occasion : Garde espoir. Ne pleure pas, n'attise pas la haine en toi, ne te sens pas coupable, ne te déteste pas. Ne garde pas une rancœur contre la vie pour nous avoir séparé de la sorte. J'ai malgré tout vécu des choses formidables en raison de cet événement aussi dramatique soit-il, et je ne regrette rien de tout ce qu'il s'est passé à ce jour.


Reisuke, Soichiro m'a appris que notre destin est entre les mains d'un être supérieur, Dieu si tu préfères. Parfois il nous arrive malheur, mais il y a toujours une contrepartie heureuse qui fait qu'en te retournant tu ne regrettes rien. Trouve celle apportée par ma mort si tu en viens à lire cette lettre, crois, vis, cours, ris, et ne te préoccupe pas du reste. Si je peux te faire une ultime requête, garde en toi le petit frère que j'ai connu, et quand tu te sens mal, lève les yeux au ciel, je serai là pour te guider, où que je sois.


Je t'aime bien plus que tu ne peux l'imaginer, Reisuke.


Ton frère, Hiroki.





Spoiler :


Salut à toi cher lecteur ! Si tu es arrivé ici, je te félicite et je te remercie énormément !


Car oui, Rising Hope : Les spectres du passé, est un roman très très long comme tu as pu le voir en suivant l'ensemble de l'histoire. C'est une aventure personnelle fantastique que je mène depuis un bail, et par le biais de laquelle j'ai pu vivre des choses formidables comme exécrables.


J'ai rencontré des tas de gens grâce à Rising Hope, dont certains sont sur Wattpad. Je pense tout d'abord à mon cher Hikari-Miyako qui est mon complice de toujours, et avec qui j'ai pris plaisir à raccorder nos deux univers pour en faire deux histoires bien distinctes mais se voulant complémentaires sur certains points. Ainsi, je vous renvoie à son histoire "L'avènement des Dieux" qui pourrait vous donner plus de détails sur certains points, comme par exemple :


– Violet Leblanc. Violet est un personnage de l'histoire de mon cher ami.


– L'invasion de la mairie de Tokyo par la fondation de Violet.


– Masamune, Akame et Laura qui sont des personnages récurrents dans les deux histoires.


Ainsi que d'autres parties, détaillées ou non, qui offrent un contenu bonus à la lecture de Rising Hope !


Je remercie par ailleurs toutes les personnes n'étant pas sur Wattpad et qui ont lu un jour une version antérieure de cette histoire, et enfin, je tiens à laisser un mot à Quadriforce qui lira bientôt ce mot de la fin (Courage pour la lecture), que je remercie chaudement d'avoir eu le courage d'entamer cette épopée. Il m'a encouragé à tout réécrire en découvrant la nouvelle histoire en même temps que je l'écrivais, et en faisant des retours encourageants à chaque fois.


Enfin, je tiens à remercier AronGomu, que je ne tag pas non plus car à l'heure où j'écris ces mots il n'est qu'au chapitre quatre xD Merci d'avoir lu les spectres du passé dans sa version antérieure, et d'y avoir apposé ta critique. Avec du recul sur la réécriture, beaucoup de choses dans ta review étaient vraies, et j'ai fait de mon mieux pour faire concorder ce que tu as pointé au fur et à mesure sans altérer l'histoire originale que je voulais offrir. J'espère que cela t'aura fait plaisir de te rendre compte que ton avis a eu de l'impact sur mon histoire.


Je reste bien sûr ouvert aux avis, car un roman est une constante évolution !


Et pour le vrai vrai mot de la fin, il y a un second arc, donc l'épopée indigeste et longue à en vomir continue xD


Bisous les amis <3





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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [01/02/2021] à 21:51

Spoiler :


Une bonne nuit de sommeil avait été suffisante pour me requinquer physiquement. Malgré tout ce que j'avais subi quelques jours plus tôt au mouvement ESPer, j'étais de nouveau capable de me battre. Je m'étais levé aux aurores, bien avant Erika qui, toujours affalée sur ma couche, ne me sentit même pas me mouvoir hors du lit pour me diriger vers la salle commune. Tout le monde dormait encore, et pour cause, il était à peine cinq heures du matin. Les rayons du soleil pénétraient les murs de la guilde ETHER, laissant le soin aux vitraux des salles d'illuminer l'espace de lueurs multicolores.


L'ambiance était particulièrement reposante et saine. Si agréable que j'en oubliai l'espace de quelques minutes le pourquoi j'étais ici. Mes responsabilités n'existaient plus. Je redevenais un enfant aux émotions candides, émerveillé par quelques lumières colorées se reflétant dans mon regard. Cela m'inspirait des tas de sentiments, des tas de rêves, des tas d'espoirs.


Mais je ressortis vite de cet état de béatitude matinale. La réalité me rattrapa aussitôt m'avait-elle quittée. Je devais me préparer à toute éventualité alors que mon ultime affrontement allait avoir lieu. Ainsi, je retournai dans la chambre m'étant généreusement allouée par Soichiro et la guilde. J'ouvris le chevet, sortant un cahier dont j'arrachai quelques pages, ainsi qu'un stylo bleu afin d'écrire quelques lignes qui me pesaient sur le cœur.


Cette lettre, je l'adressai à Reisuke, mon frère. Comme redoutant l'issue de notre affrontement, je voulais garantir la bonne réception de mes sentiments à son égard. Je devais m'assurer que toutes les vérités qu'il ignorait lui parviendraient peu importe le sort qui allait m'être réservé. Ainsi, je commençai par lui écrire quelques phrases, avant de finalement me laisser emporter dans mon écriture. Je lui dévoilai toutes mes craintes, toutes mes faiblesses, tout mon amour, sur le fond véridique d'une histoire singulière.


Je ne pouvais m'arrêter d'écrire. Tandis que mon stylo bille se mouvait au rythme de mes battements de cœur, des pulsations émotives d'un grand-frère à la dérive. J'avais le sentiment de poser mon fardeau, de déposer mes bagages émotionnels sur les épaules d'un autre. Je me sentais à la fois soulagé, et coupable de retranscrire ce lourd contenu qui allait peut-être causer encore plus de mal que les actions passées elles-mêmes.


Une page, puis deux, puis vint une troisième. Éclairé par l'aurore pénétrant ma chambre au travers d'une vitre, je repensais à tout ce que j'avais vécu pour en arriver à cet instant, tandis que je revivais simultanément chacun des instants que j'évoquais dans cet ultime témoignage à mon petit-frère. J'espérais ouvertement ne jamais avoir à transmettre ce qui pouvait être assimilé à un testament, que j'allais pouvoir tout lui raconter de vive voix, mais s'il y avait bien une chose qui était incertaine, c'était l'issue de mon affrontement avec Purple Revolution et Reisuke.


Car au fond, je n'étais rien. Ni un héros, ni un vilain. Ni un leader, ni un guerrier. Je n'étais rien d'autre qu'un garçon aussi perdu que celui qu'il voulait sauver. Et j'aspirais à retrouver mon chemin en guidant le sien, car c'était mon rôle de grand-frère. Je devais rassembler ma confiance, devenir plus fort, pour pouvoir tendre la main vers Reisuke et le sortir de la perdition, peu importe la violence qu'il allait déployer pour me faire reculer.


De longues minutes passèrent, puis des heures. Lorsque j'eus enfin fini de laisser couler le torrent de sentiments composant l'encre de mon stylo, je poussai un soupir de satisfaction. Je relis grossièrement ce que j'avais écrit, et j'en fus satisfait. Je pouvais désormais soigneusement ranger ces précieuses feuilles de papier contenant mon âme elle-même dans la poche de ma veste, afin de les sortir en temps voulu.


J'étais fin prêt. Erika, Diamond, et Cram dormaient encore à poings fermés tandis que le réveil affichait sept heures trente. J'en profitai pour rassembler mes affaires et quitter la guilde ETHER afin de me rendre directement sur le chemin menant à la mairie, loin de Slyburn, loin de tout. Mais alors que je pensais être le seul à avoir eu cette idée, je me rendis compte que ce n'était pas le cas. Soichiro était sorti lui aussi. Il avait rassemblé quelques effets personnels et prenait la route vers l'autre moitié de la ville, tout comme moi.


Je m'avançai vers lui afin d'entamer une discussion, encore sous le coup de la surprise.


« Soichiro…!? m'exclamai-je, stupéfait. Que faites-vous ici si tôt le matin ?


— Je pourrais te poser la même question gamin, me répondit l'homme l'air narquois. Je suppose que nous avons eu la même idée, n'est-ce pas ?


— J'imagine que oui, soupirai-je, amusé par la situation. Vous ne pouvez vous résoudre à mettre en danger les personnes importantes pour vous n'est-ce pas ?


— En effet. La situation dans laquelle se trouvent Yokohama et Tokyo est ma responsabilité, reprit Soichiro, sérieux. Si Purple Revolution compte renverser la ville, c'est parce que j'ai contribué à l'instauration de la dictature de Sawyer en laissant les deux moitiés se creuser. Autrement dit, c'est de ma faute, à moi et moi seul, si un tel évènement doit se produire.


— Et la situation dans laquelle se trouve Hakaze est ma responsabilité également, répondis-je tout aussi sérieux. C'est elle qui a accepté de m'aider pour venir en aide à mon frère. C'est à cause de moi qu'elle s'est risquée dans tout cela et qu'elle s'est laissée emporter par les ténèbres. Il est de mon devoir de la ramener à elle.


— Et je ne mettrai personne en danger pour réparer les dégâts que j'ai causés, lâchâmes-nous au même moment.


— Je suppose donc que l'on peut faire route ensemble et tout résoudre à nous deux ? s'amusa le maître de la guilde ETHER.


— Évidemment. C'est même notre devoir de le faire. Et nous rentrerons en héros. »


L'homme au regard profond, presque mystique, se contenta de soupirer avant de reprendre la route, traînant derrière lui ses quelques effets personnels qu'il avait emportés. Ainsi nous progressâmes ensemble vers le port de la moitié délabrée qui représentait Slyburn. Les environs étaient toujours empreints de l'odeur nauséabonde provenant des ordures jonchant les rues de la demi-ville laissée à l'abandon tandis qu'ils étaient aussi vides que le cerveau d'un candidat de télé-réalité. Cela donnait une atmosphère dérangeante à l'endroit dans lequel nous nous trouvions. Comme si la mort était venue en personne décimer toute vie alentour en laissant derrière elle une odeur de pourrissement qui empoisonnait le peu d'êtres ayant survécu à son passage. Soichiro regardait attentivement chacun des recoins de cet endroit qu'il habitait désormais. Je pouvais lire des tas de choses dans ses yeux : de la culpabilité, du remords, et un vide qui semblait suffisamment prononcé pour empêcher quiconque d'y remédier.


« Tu sais Hiroki, entama-t-il, évasif. Avant d'aimer la mère de Hakaze, j'ai connu une autre femme. Violet, Violet Leblanc. Une personne fantastique. Elle avait l'art de tirer le meilleur de mon existence. Elle me donnait un idéal à poursuivre sans me rabaisser. Elle savait me rendre plus fort, plus curieux, plus ambitieux, tout en brillant comme personne d'autre ne pouvait le faire à mes yeux.


— Je comprends ce sentiment… murmurai-je en repensant à quelques instants passés avec Hakaze. Et comment cela a-t-il fini ?


— Nous nous sommes séparés en raison du Purple Requiem. Romain Sawyer, l'actuel maire ayant survécu au drame, a accusé Violet d'avoir causé la catastrophe, alors pour laver son nom j'ai tout pris sur moi. Elle n'a jamais accepté ce choix et a pris la décision de partir loin d'ici pour retourner en France.


— Je vois… soupirai-je. Je suis désolé, Soichiro.


— Inutile de compatir. Sans cet évènement je n'aurais pas contribué à mettre au monde celle que tu veux comme épouse. Mais tu vois, depuis le départ de Violet, je me suis promis quelque chose. Pour laver son nom définitivement, il ne faut pas la blanchir auprès des autres, mais auprès d'elle-même. La personne qui juge le plus mon ex-fiancée dans cet univers n'est pas derrière un écran de télévision, elle est au fond d'elle. Alors tu comprends, je me refuse de la revoir tant que je ne peux pas lui montrer que j'ai réussi malgré avoir pris sa défense.


— Et une fois que vous l'aurez revue… ? Que ferez-vous ?


— Je m'excuserai pour ne pas avoir tenu compte de ses sentiments, je crois. Ou bien je m'écroulerai dans ses bras en l'implorant de recommencer. Peut-être que je passerai à côté d'elle, bien trop honteux pour lui avouer mon parcours, ou que je culpabiliserai pour m'être attaché à une autre. J'ai tant de fois imaginé nos retrouvailles, et je n'ai jamais eu une réponse définitive. »


Je souris. Même pour Soichiro, les histoires sentimentales étaient compliquées. Il suffisait de le voir rougir au simple fait d'évoquer les temps passés avec son ex-fiancée pour comprendre que l'homme factuel avait disparu au profit d'un garçon pris dans des déboires sentimentaux qui le tourmentaient de l'intérieur.


Arrivée sur la jetée, nous n'eûmes pas grand-chose à faire pour trouver comment continuer. Le leader d'ETHER avait déjà préparé un bateau qui allait le transporter jusqu'à l'autre côté de l'immense étendue d'eau séparant Slyburn de Slyfair. Il me fit signe d'y monter, je m'exécutai, et ensemble nous nous dirigeâmes vers les hauts quartiers de la ville.


Comme nous le craignions, Soichiro et moi, l'attaque contre la mairie avait déjà débuté. Des hélicoptères de médias étaient en vol, rassemblés autour de l'immense bâtiment faisant office bureau au maire et au gouvernement qui s'y rencontrait régulièrement. Je ne distinguai pas le pic de ce complexe de quarante-huit étages de là où je me trouvais, mais une chose était certaine : les combats avaient commencé dans les quartiers inférieurs des tours.


La foule s'était accumulée autour de ce qui semblait être le chaos du siècle. Les partisans du groupe révolutionnaire étaient venus en nombre, armés de leurs pancartes et revendications se multipliant à foison en ce début de matinée se voulant obscur. Ils n'hésitaient pas à huer les forces de l'ordre, la garde de Slyfair qui les empêchait de pénétrer l'immense complexe, ni à acclamer le ramassis de rebelles chaque fois qu'une explosion retentissait. L'ambiance était malsaine. Elle criait un appel au sang et à la mort qui était insupportable à entendre. « Libérez Slyfair », « A mort Sawyer », tous tenaient des pancartes différentes, habillés de vêtements violets pour se reconnaître entre eux.


Mais alors que je me demandais comment j'allais entrer, je remarquai quelque chose d'étrange. Un des hommes postés dans les gardes me rappelait quelqu'un… Non, je ne le connaissais que trop bien même. Ces cheveux bruns, cette balafre, et cet air rigide qu'il affichait lorsqu'il était en « mode inspecteur »… Cet homme, c'était Masamune Nishijima, mon supérieur dans la brigade criminelle d'ETHER, mais des années plus jeune.


Soichiro le notifia également. Après tout, le futur commissaire était un de ses amis les plus chers. Ainsi, nous nous frayâmes un chemin au travers la foule déchaînée, jusqu'à arriver devant le pauvre balafré qui peinait à contenir la situation.


« Violet est ici ? lui demanda directement Soichiro en réprimant une grimace.


— Je ne suis pas autorisé à dévoiler cette information, se moqua le représentant de l'ordre. Par contre, j'ai un thé à la menthe sur le feu si tu veux pour la pause !


— Laisse-nous passer et je le goûte quand tu veux, repris-je, sachant à quel point l'homme devenait docile lorsque l'on lui promettait de tester son breuvage.


— Oublions le thé tu veux, me coupa-t-il, sérieux. Soichiro, je savais que tu viendrais ici. Je t'ai noté les salles de contrôles du bâtiment. C'est de là que les terroristes utilisent la communication radio, ainsi que l'accès au réseau et à la retransmission télévisuelle. Ils communiquent leurs revendications comme ça, donc j'imagine que l'une des têtes doit s'y trouver.


— Et concernant la tête principale ? rétorqua le père de Hakaze alors que j'essayais de contenir la foule pendant leur discussion. Tu sais de qui il s'agit ? Un visage connu ?


— Oui. Ricky Sawyer. Lança le futur commissaire en se mordant la lèvre. Soichiro je t'en supplie, il faut que tu règles le problème avant que Violet ne décide de s'en charger personnellement. Je suis persuadé que tu es le seul capable de vaincre Sawyer. Ne fais pas souffrir notre camarade plus qu'elle n'a souffert. »


Il n'eut le temps de rien ajouter. Il donna un bout de papier sur lequel était imprimé un plan du bâtiment, me laissant remarquer qu'il avait entouré certaines zones spécifiques. Soichiro grimaça. Il m'ordonna de le suivre, ce que je fis sans réticence, et enfin, nous pénétrâmes nous aussi sur le champ de bataille.


L'intérieur de la mairie de Yokohama était marqué par un désordre considérable. Tout était chamboulé au possible. Une odeur de brûlé provenant de documents auxquels on avait mis feu venait m'intoxiquer les poumons, mêlée à une senteur désagréable semblable à de la viande carbonisée. Je scrutai les environs d'un œil un peu plus attentif, comprenant alors dans quoi nous venions d'atterrir.


Le parfum désagréable ne provenait pas de gibier, mais de dépouilles d'hommes et de femmes, tous carbonisés, encore en train de se consumer. Ils portaient tous un uniforme dont les couleurs avaient été aspirées par les flammes, mais dont le restant de forme indiquait qu'il y avait une logique entre eux. Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre qu'ils étaient des employés de la mairie. Des agents au service de Romain Sawyer qui avaient été tout bonnement massacrés par je ne savais qui.


Nous passâmes à côté de ces corps sans sourciller, Soichiro et moi. Les morts ne pouvaient être ramenés à la vie. S'attarder sur leur sort n'était qu'une perte de temps. Alors nous progressâmes en empruntant les escaliers menant à l'étage supérieur. Tout était dans le même état qu'au rez-de-chaussée. Le sang, le souffre, la mort, tout était présent. Cela ne ressemblait pas à une révolution, mais à un acte de terrorisme barbare. Soichiro avait raison. Si ce groupe prenait le pouvoir, cela allait marquer la fin de la civilisation telle qu'elle nous était décrite. Il fallait absolument que quelqu'un les arrête, et le père de Hakaze s'était autoproclamé candidat idéal.


Nous nous hâtâmes. En effet, des hommes provenant de je ne savais quelle organisation arrivèrent, nous faisant nous dépêcher d'un seul coup afin de rester hors de leur champ de vision. Soichiro longeait les murs, ayant sorti un revolver. Il m'en confia un autre, m'invitant à le suivre en toute discrétion tandis que l'on évitait de se faire repérer par l'escouade de gardes. J'eus un élan de doute. Je n'avais jamais tué un être humain par le passé. Allais-je en être capable ? Certes, mon travail impliquait la protection de la population, mais j'étais encore un simple officier qui devait remplir un rapport chaque fois qu'il tirait, même pour intimider. Comment étais-je censé gérer l'urgence ?


Cette question était idiote. Si insensée que je ne pus m'empêcher de soupirer face à ma bêtise. J'avais prêté serment de protéger et servir, et c'était exactement ce que j'étais en train de faire. Chaque personne que j'allais abattre de cette arme n'était qu'un monstre capable de tuer pour la simple appartenance à un personnel de mairie. Ces gens n'avaient aucune raison, et il était impossible de discuter avec eux.


« Je vous couvre, Soichiro, murmurai-je. Je vous rejoindrai au sommet dès que j'en aurai fini avec eux. »


Il n'eut même pas le temps de contester que je sortis de ma cachette, m'élançant dans le couloir menant à l'ascenseur gardé par les troupes de Purple Revolution. Courant à perdre haleine, je fus vite remarqué par les gardes qui sortirent leurs armes à feu et les braquèrent sur moi. Un coup de feu retentit. Un bruit sourd qui me fit mal aux oreilles, mais comme je le pensais, il ne m'avait pas atteint.


Zéphyra s'était interposée grâce à un champ de force dont elle avait le secret, laissant en suspend la balle m'étant initialement destinée. Je souris. Je savais qu'elle ne pouvait pas se permettre de me perdre à une étape si cruciale sur le chemin me menant à Hakaze. Alors j'en profitai pour tirer autour de l'escouade, visant de manière volontaire à côté du groupe d'hommes se dressant face à moi. La bande provoquée, je pus prendre la fuite dans la direction opposée à l'ascenseur, permettant à Soichiro de s'y faufiler une fois la horde maîtrisée.


Ils hurlèrent qu'ils allaient me tuer et que je ne fuirais pas longtemps alors que je savais pertinemment que tant que Zéphyra serait avec moi, il leur serait impossible de me toucher avec des armes à feu. Ainsi, je déambulai dans les couloirs du premier étage de la mairie, cherchant à les semer en prenant l'ascenseur de la seconde tour jusqu'au quarante-huitième, cependant, tandis que j'allais parvenir à mes fins, je fus stoppé par quelque chose de soudain et inattendu.


Un faisceau étincelant bleu me frôla. Je réussis à m'extirper de justesse pour ne pas finir exterminé de manière instantanée par l'attaque. Je me retournai vers la direction d'où provenait ce coup de traître, avant de me rendre compte, sans réelle surprise, de qui en était à l'origine.


Le breeder tyrannique. Cette enflure qui avait essayé de me rayer de la carte avec son armée des ténèbres. Celui qui avait fait du mal à ce pauvre Cram qui en était encore traumatisé. Le garçon aux cheveux noirs et aux yeux mauves à l'air impassible et méprisant. Le jeune homme qui incarnait l'opposé de toutes mes valeurs et tous mes principes.


« Laissez, déclara-t-il de sa voix profonde. Je me charge de celui-ci.


— Shinji… grognai-je, à la fois haineux et satisfait d'avoir recroisé son chemin. Donc tu es vraiment au service de Purple Revolution…


— En effet, lâcha-t-il sans état d'âme. Nous avons pris d'assaut la mairie et nous comptons bien nous en emparer. Et toi, non content d'avoir échappé à mon armée d'Izrath, tu comptes venir jouer les trouble-fêtes en t'interposant de nouveau.


— Tu crois vraiment pouvoir me battre alors que j'ai échappé à ton armée ? rétorquai-je en repensant à tout ce qu'avait vécu Cram. Je n'attendais que ça de te revoir afin de t'exterminer !


— Épargne-moi tes beaux discours sur la fonction d'un breeder, doupira le jeune garçon. Lorsque j'ai rappelé mon armée, j'ai remarqué qu'il manquait un de mes soldats. J'ai d'abord cru que tu l'avais tué, ce qui aurait justifié son absence, puis je me suis rendu compte que tu as décidé de l'adopter. Cet Izrathien est ma propriété, je vais donc le récupérer.


— Jamais je ne te rendrai Cram. Il a appris à aimer les autres et à vivre normalement. Je ne te laisserai pas le replonger dans son traumatisme.


— Je m'attendais à ce genre de réponse. À vrai dire, j'espérais te revoir. Tu as suscité ma curiosité, toi qui te bats pour les Izrathiens sans même avoir la moindre puissance pour les protéger. Je vais te prouver une bonne fois pour toutes que tu ne peux rien face à ma puissance, et lorsque cela sera fait, je me chargerai de mettre la main sur toutes les créatures que tu contrôles. »


Le dragon d'au moins trois mètres de long réapparut derrière Shinji qui afficha une satisfaction non dissimulée face à l'apparition de son monstre. Il détruisit dans la foulée les murs séparant tout l'espace du premier étage afin de créer une large pièce désordonnée et sentant la poussière qui allait nous servir de champ de bataille. Par chance, la créature n'avait détruit aucun mur porteur, ce qui sauva tout le monde ici présent d'une mort certaine. Mais la partie allait s'annoncer difficile. L'hybride reptile/dragon aux écailles blanches et aux yeux bleus semblait prêt à me dévorer dès que son maître lui en donnerait l'ordre.


Je me lançai finalement dans l'affrontement, portant sur mes épaules le sort de Cram, de mes Izrathiens, ainsi que des habitants de cette ville.





Spoiler :


Le féroce dragon de trois mètres de long s'élevait jusqu'au haut plafond de l'étage dans lequel nous nous trouvions, tandis que j'appréhendais fortement la créature. Elle était simultanément étincelante et terrifiante. Si imposante que je sentais l'haleine générée par son souffle chaque fois qu'elle expirait de l'air.


Je déglutis. Une grosse goutte de sueur perla sur mon front tandis que je restais en alerte, guettant le moindre mouvement de la créature afin de l'esquiver et gagner du temps.


Mais alors que j'attendais le moindre signe du monstre, quelque chose me percuta de plein fouet à une puissance phénoménale, me projetant au sol. Je me relevai difficilement en grimaçant, lorsque je m'aperçus que l'être inconnu passait déjà à l'attaque. Une seconde plus tard et j'aurais pris ce projectile tranchant en plein dans la tête. À la place, il s'écrasa contre le sol dans un bruit sourd. Je me repris d'une roulade avant de me relever, m'apercevant au passage que cet assaut n'était pas l'œuvre du dragon, mais de Shinji lui-même. Stupéfait, je perdis mes moyens. La créature ne bougeait pas d'un pouce, mais me fixait d'un air déterminé, comme si elle était impliquée elle-même dans le combat.


Je pris quelques mètres de recul afin d'analyser la situation. En tant que breeder, je pensais vraiment que Shinji était incapable de se battre seul. Pourtant, il se déplaçait à une vitesse phénoménale et bondissait sur moi tel un animal afin d'écraser une puissance colossale sur moi. Je le bloquai à plusieurs reprises, puisant sur ma maigre énergie spirituelle afin de le contenir, mais il ne me fallut que quelques minutes pour être au bout de mes capacités, alors que le jeune garçon, lui, était toujours fièrement sur ses deux jambes.


« Déjà en train de mordre la poussière ? railla une voix grave que je ne connaissais que trop bien. Je t'ai vu en meilleure forme mon jouvenceau.


— Que fais-tu ici Medrawt !? m'exclamai-je en voyant le blond arriver. N'étais-tu pas rentré en Izrath à notre époque après avoir perdu contre Indy ?


— Du calme messire, soupira le blond. Je ne suis que dans votre esprit grâce à mes facultés d'Izrath. Si vous voulez pourfendre ce vil scélérat, mais que vous n'êtes qu'une boursemolle, alors laissez-moi vous éviter le trépas ! Je vous prie d'accepter cette épée de ce preux chevalier de moi. »


Quelque chose se matérialisa sous mes yeux en une fraction de secondes tandis que le chevalier noble disparut des environs. Cette épée… Était celle que j'avais laissée dans la forêt de Soichiro avant de partir pour le passé. Mon arme dévouée, celle avec laquelle je pouvais pourfendre les gueux et leurs couardises. Celle qui réveillait le destrier enfoui au plus profond de mon cœur. Mon épée de guerrier.


Je me saisis de la lame et la porta sans aucune difficulté afin de contrecarrer l'attaque de Shinji que je bloquai sans qu'il ne puisse passer au travers.


Je repris de l'assurance tandis que je me jetai sur mon ennemi, cette fois, revitalisé. J'avais retrouvé mes vieux réflexes de combattant, prêt à abattre mon épée sur celui qui m'entravait dans ma progression. Il esquiva d'un mouvement souple du corps mon premier coup, puis le second, mais alors que j'allais abattre le troisième, il se contenta de saisir ma lame à mains nues afin de la bloquer. Je reculai instinctivement afin d'éviter de me prendre une contre-attaque prévisible, tandis que le jeune homme lui, me regardait toujours aussi défiant et méprisant.


« Tu as sorti une belle arme dis donc, railla Shinji. Malheureusement cela ne suffira pas pour me vaincre.


— Cette épée est spéciale, repris-je, déterminé. Elle appartenait autrefois à un puissant guerrier, camarade d'armes d'un de mes amis les plus chers. Et cet homme a disparu, alors en attendant qu'il récupère son dû, j'ai juré de protéger ce trésor à sa place. »


Je brandis le cadeau que Medrawt m'avait prêté en attendant le retour de son ami. Une lumière étincelante s'en dégagea rapidement, se répandant dans les alentours comme si j'avais diffusé un gaz coloré. En quelques secondes, tout mon espace était désormais imbibé de la couleur de mon épée : un jaune soleil magnifique qui faisait luire tout l'espace de combat.


« L'épée des nobles ! lâchai-je, déterminé. X-Caliburning ! »


L'arme blanche que je tenais s'embrasa rapidement afin de se consumer totalement. Ces flammes ne m'affectaient pas, ce qui me permit de garder les deux mains sur l'objet brûlant et diffusant des braises de manière continuelle tout autour de nous.


Je me jetai sur Shinji beaucoup plus rapidement que la première fois, laissant une traînée de flammes derrière moi. L'épée que m'avait offerte Medrawt était bien particulière et me correspondait parfaitement. Elle appartenait à Bertelot, un autre chevalier que le blond fréquentait dans ses jeunes années, et elle possédait des propriétés la rendant spéciale. Plus le porteur possédait des sentiments forts, plus elle s'embrasait et décuplait ses capacités physiques. Et pour moi qui étais revenu dans le passé dans le seul but de mettre mes émotions au clair, c'était l'arme parfaite.


Pour seule motivation, j'avais de l'amour. L'amour de Hakaze, mais aussi et surtout, celui porté à mon frère, Reisuke. La simple pensée de les ramener tous les deux sains et saufs à la maison me procurait un sentiment de puissance, de responsabilité, et me poussait à repousser mes limites. Ainsi, malgré ses efforts, le breeder tyrannique ne put éviter l'assaut frontal se laissa propulser dans la direction des fenêtres de la mairie de Yokohama. Il réussit néanmoins à se rattraper en projetant une énergie azur translucide qui se planta dans le sol, laissant l'individu l'utiliser en tant qu'appui afin de se propulser de nouveau vers moi. L'espace d'un instant, je crus discerner dans son cri de rage un rugissement de dragon à moitié étouffé par la voix grave et profonde de mon adversaire. Cela me surprit, mais ce ne fut pas assez pour m'arrêter.


J'esquivai son attaque, et comme je l'imaginais, il me montra ses autres facultés. Il semblait pouvoir rester en suspend dans les airs, chargeant sous ses pieds une énergie de même couleur que les projections qu'il envoyait afin de se servir de sa pression pour flotter dans les airs. Ainsi, il se battait habilement en alternant coups de pieds, coups de poings, tout en m'évitant par des pirouettes et saltos gracieux et montrant sa souplesse dont lui seul avait le secret.


« Alors breeder de seconde zone !? me défia-t-il alors que je parais ses coups rapides et multiples. Toujours pas décidé à appeler une créature à la rescousse ?


— Dit celui qui se bat tout seul ! grimaçai-je. N'as-tu pas remarqué que ce n'est pas un combat entre breeders, mais simplement un affrontement entre toi et moi !?


— Je n'en serai pas si sûr. répondit Shinji, en prenant quelques mètres de recul, l'air moqueur. Ce n'est pas parce que Karbohn n'attaque pas qu'elle ne participe pas au combat.


— Karbohn… ? repris-je en dévisageant le dragon inactif. C'est cette créature ?


— Je n'ai pas l'habitude de nommer ces choses. reprit mon interlocuteur. Mais pour ce dragon c'est différent. Elle est la plus puissante que je possède, donc elle a bien le droit à de la reconnaissance, aussi faible soit-elle. »


Je grimaçai. Le simple fait qu'il utilise le mot « choses » pour parler d'êtres vivants me donnait l'envie d'en finir ici et maintenant. Les flammes de mon épée réagirent à ma colère, puisqu'elles devinrent deux fois plus grosses, d'un rouge vif qui semblait autant vouloir en découdre que moi à cet instant précis.


Alors que je reprenais mon assaut, je me posais des tas de questions. Pourquoi Karbohn n'esquissait-elle pas le moindre geste pour m'affronter ? Après-tout, je rivalisais avec celui qui s'occupait d'elle, et elle ne daignait même pas essayer de le défendre.


Peut-être ne l'aimait-elle pas, ou souhaitait-elle que je gagne ? Ce n'était pas non plus une option, puisque sans contrat, elle était libre de faire ce que bon lui semblait, y compris attaquer avec moi celui qui l'avait élevée. Elle n'était passible d'aucune peine, car son statut était Izrathienne non affiliée de manière définitive à un être humain. Alors pourquoi n'intervenait-elle pas dans le combat ?


Cette question restait dans ma tête alors que je croisai le fer avec le garçon aux cheveux noirs et aux yeux mauves qui, lui, semblait déterminé à me pourfendre de sa lame. Lorsque nos épées s'entrechoquèrent, j'en profitai pour plonger mes yeux dans ceux du breeder tyrannique. Un moment passa comme au ralenti, me laissant le dévisager afin de voir ce qu'il se passait au plus profond de son âme.


Il ne m'en fallut pas plus pour comprendre. Ainsi, en prenant en compte l'information que je venais d'assimiler, je devais de nouveau revoir mes plans afin de lancer une attaque efficace.


Shinji réapparut furtivement derrière moi. Sans mon audition parée à toute épreuve, jamais je n'aurais eu le temps de le percevoir et brandir mon épée afin de bloquer son flux lumineux abondant, me protégeant ainsi de son attaque. J'en profitai pour saisir le garçon par le col, bloquant avec toute la fermeté du monde les mouvements qu'il tentait de faire. Je le balançai violemment au sol. Si rapidement qu'il dut se laisser écraser.


Posé à terre, je réussis à générer des liens de flammes qui l'y tinrent, et lorsqu'il fut mon captif, je brandis mon épée au-dessus de lui afin de le transpercer une fois pour toutes. Son expression était dérangeante. Elle n'avait rien de naturel. Il était beaucoup trop serein face à la mort, alors que lui-même avait causé la disparition de tas de personnes. J'hésitai. Peut-être que ma méthode n'allait pas être la meilleure et que j'allais simplement répandre le sang pour rien… Mais ma conscience intérieure m'assura que c'était une bonne solution.


Ainsi, au lieu de planter mon épée dans la chair de mon ennemi, je me retournai à la dernière seconde afin de la projeter droit sur Karbohn, la laissant s'écraser dans un bruit sourd, plantée juste à côté du dragon lumineux.


« J'ai hésité, lâchai-je, glacial. Je pensais qu'en tuant Shinji tu allais venir à sa rescousse, ou m'aider à le faire, mais tu t'es contentée de rester spectatrice durant tout le match entre lui et moi. »


Le dragon ne me répondit pas. Quoi de plus normal après tout ?


« Cependant, enchaînai-je. Ta passivité, et le fait que Shinji n'aurait jamais combattu à la place d'un Izrathien me conforte dans mes déductions. Je pensais vraiment qu'il était un breeder tyrannique ne se souciant pas des sentiments de ses amis, de sa famille reconstruite par Izrath, mais j'ai commis une erreur.


Les rôles sont inversés. Le maître du jeu ici, c'est toi, Karbohn ! »


Le dragon ne sourcilla pas. Venais-je vraiment d'élucider un mystère qui se cachait avec le talent d'un maître ? Je n'en étais pas certain moi-même. Après tout, Shinji gardait sa détermination habituelle et tentait de se débattre des attaches enflammées qui le retenaient prisonnier de mon offensive, et cela semblait colle à sa personnalité. Mais le simple fait qu'il n'envoie aucun Izrathien au casse-pipe et qu'il se batte lui-même suffisait à me mettre la puce à l'oreille. Il l'avait bien dit, qu'un breeder pouvait se permettre de perdre un membre de sa tribu. Alors il n'avait aucun intérêt à protéger Karbohn, à qui il avait donné un nom qui plus est.


« Je vois… soupira une voix féminine déformée par un écho plus aigu que son timbre d'origine. Je suis donc démasquée. Je n'aurais jamais cru cela possible. »


Je restai bouche bée. Karbohn venait-elle vraiment de prendre la parole ? Exactement comme une humaine ? Et par-dessus tout, avait-elle véritablement avoué que mes déductions étaient exactes ? Je reculai d'un pas, redoutant ce que j'allais entendre. Une expression mesquine se dessina sur la gueule du dragon qui me dévisageait désormais clairement. Elle se moquait ouvertement de moi, me scrutant de ses pupilles irisées. De mon côté, j'avais l'impression de vivre une vaste blague face à un tel retournement de situation.


« Félicitations, tu m'as démasquée, lança le dragon dont la voix résonnait dans les alentours sans qu'elle ne soit contrainte d'ouvrir la gueule. Je suis en effet celle qui manipule Shinji, et non l'inverse. Je me présente : Karbohn, véritable breeder d'Izrath. Je collectionne les humains afin de les asservir et ce jeune garçon est ma prise du moment.


— Waah… s'extasia une voix grave, hautaine, mais féminine provenant de nulle part. Trop stylé le plan ma poule, ça me branche trop sérieux. »


Je me tournai vers la provenance de cette voix, me laissant apercevoir celle que j'avais affronté quelques jours plus tôt au mouvement ESPer : Jessica. L'effrontée blonde au regard perçant capable de manipuler quiconque allait se mettre en travers de sa route. J'avais la poisse. Allais-je vraiment devoir affronter cette psychopathe en même temps que la dragonne et sa marionnette ? Si gérer Shinji était facile, devoir affronter trois menaces était complètement hors de ma portée. Pourtant, j'avais l'impression que l'esper n'était pas ici pour se battre avec moi. Lorsqu'elle reprit la parole, elle haussa les épaules.


« Si tu te demandes pourquoi je suis là, déclara-t-elle sans exprimer d'émotion quelconque, il y a une nana cheloue qui est venue me demander si je voulais la voir détruire le monde et ça avait l'air fun, donc je l'ai suivie.


— Es-tu vraiment là juste pour ça ? lui demandai-je, encore méfiant.


— Tu sais ma couille, renchérit-elle amusée, il y a aussi mon boss dans l'organisation Purple Revolution, Sawyer. Et j'ai pour ordre de sa part de continuer la garde que je menais au mouvement ESPer, c'est-à-dire, te buter si je te croise tu vois. »


Je reculai de quelques pas en restant sur mes gardes. D'un geste de la main, je rappelai mon épée plantée dans le mur à moi afin de pouvoir considérer mes trois ennemis et élaborer un plan. Mais alors que je restais attentif, la blonde du groupe s'amusa de ma réaction.


« Sérieux tu devrais tirer un coup t'as l'air vraiment coincé ma couille. Je ne suis pas venue ici pour te taper tu vois. Je me balade et je cherche des batailles sympas à mater. Regarde, j'ai même de quoi grailler pendant le match.


— Tu as vraiment ramené à manger… ? m'étonnai-je, ne sachant pas quoi penser d'elle.


— Ouais, reprit mon interlocutrice, satisfaite. De la charcuterie, du fromage, du pain, et une bouteille d'eau. Du coup ne crève pas trop vite histoire que je puisse finir mon sac. »


Je soupirai. Cette fille n'avait aucune logique. C'était peine perdue de vouloir anticiper ses faits et gestes. Elle était déjà partie s'installer dans un coin en sortant des sandwichs de son sac. Je me retournai vers Karbohn qui, à ma grande stupéfaction, n'avait pas profité de l'apparition de la blonde pour attaquer. À la place, elle restait figée face à l'invitée surprise, comme si quelque chose en elle provoquait un effet indésirable à la dragonne.


« C'est ici que ça se passe ! lançai-je à l'intéressée, voulant revenir à mon affrontement.


— Sinon le lézard, tu paries sur qui du coup ? murmura Jessica assez fort pour m'interrompre. Vas-y fais pas ta pucelle prends du salami il y en a pour deux tu vois. »


Je soupirai. Je ne pris même pas la peine de rétorquer. Elle m'avait cassé dans ma détermination. Tellement brisé l'instant que les flammes s'animant au rythme de mes émotions s'éteignirent, laissant Shinji totalement libre de ses mouvements. Il ne se fit d'ailleurs pas prier pour m'attaquer de nouveau, utilisant l'énergie azur pour se propulser droit vers moi sans que je ne puisse faire quoi que ce soit pour l'éviter.


Je ne réussis pas à me rattraper. Je m'écrasai contre le mur dans un vacarme assourdissant, avant de m'aplatir contre le sol.


J'entendis le rire de la dragonne, mêlé à la respiration saccadée de sa marionnette, ainsi qu'aux bruits de bouche de Jessica qui résonnaient dans l'espace. En plus d'être vulgaire et emmerdeuse, elle ne savait même pas mâcher en silence, et cela me perturbait.


« Tu ne peux pas être genre, plus discrète !? hurlai-je à la blonde tout en essayant de me tenir droit sur mes jambes.


— Eh oh t'as cru que t'étais habilité à me dicter ma conduite ? rétorqua-t-elle, indignée. Je ne suis pas ta putain moi d'accord ? Si t'as envie de jouer ton mec trop macho et dominateur, t'as qu'à aller voir dans un bordel. »


Je n'eus même pas le temps de rétorquer que le jeune garçon s'était déjà jeté sur moi à vive allure, m'obligeant à le repousser en le frappant au visage. Je grognai. Non pas pour l'intervention de Shinji pour me vaincre, mais surtout parce que cette petite peste n'arrêtait pas de me mettre des bâtons dans les roues en m'empêchant de me motiver de l'intérieur. Il était impossible de garder ma concentration avec ce concentré de nonchalance dans les alentours. Et ce n'était pas Karbohn qui allait arranger les choses.


« Pauvre petite créature, s'amusa-t-elle. Il suffit de l'intrusion d'une jeune fille pour que tu perdes tes moyens. J'aime les humains. Ils sont si amusants dans leurs réactions. C'est pour cela que j'aime les capturer. Leur expression avant que je les dévore…est parfaite. Je me languis tellement de voir cette émotion sur ton visage… Le désespoir…


— Ah ouais, le désespoir, la coupa Jessica, mâchant en même temps un morceau de saucisson sec. C'est vrai que c'est pas mal. Mais le truc qui fait vraiment kiffer, c'est quand tu les domines et qu'ils font ce que tu veux tu vois.


— Mais pour l'amour du ciel, la ferme ! hurlai-je, hors de moi. »


Lorsque je criai à l'intention de la blonde, je sentis quelque chose monter à l'intérieur. Je fus stupéfait, mais surtout, honteux de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le pouvoir de Bertelot. Les émotions. Jessica. Tout se connectait. Plus elle me frustrait et faisait grandir ma rage, plus le pouvoir de mon épée et le mien devenaient puissants. Je ne savais pas jusqu'où pouvait me porter l'illogique membre d'ESPer, mais compte tenu de ce que j'avais eu l'occasion de voir, cela se tentait largement.


« Allez, bougez-vous sérieux ! râla-t-elle en brandissant un morceau de chorizo. Une bonne bouffe c'est mieux quand il y a du sang bordel ! »


Ce fut la goutte d'eau qui me fit instantanément monter en puissance. L'énergie me vint immédiatement tandis que je pensais à quel point cette gamine me faisait chier. L'épée revint dans ma main, et lorsque je la plantai au sol, ce ne fut pas une flamme, mais des tas d'explosions qui se déclenchèrent, proportionnellement à mon degré de frustration.


J'étais rapide. Si rapide que je pus éviter Shinji afin de me propulser directement sur Karbohn qui ne put esquiver mon attaque. Je lui assénai un coup d'épée fracassant droit sur le crâne, ce qui la fit lâcher un hurlement de douleur. La dragonne tenta de repasser à l'attaque en me repoussant d'un faisceau azur d'une puissance colossale, mais je réussis à la repousser sans difficulté grâce à l'épée de Bertelot. J'entendis un « Comment !? » résonner dans l'espace, témoin de la stupéfaction de la créature. Mais une fois de nouveau proche d'elle, plus rien ne m'empêcha d'enclencher l'un des sorts les plus puissants octroyés par le chevalier noble.


« La charmogne de la sorceresse ! hurlai-je. Pourfends la merdaille de l'anjorner à la nuitée !!! X-Caliburning, que trépasse si je faiblis, mortecouille ! »


Un torrent de flammes enveloppa la dragonne, impuissante, tandis que de nombreuses explosions venaient s'ajouter à l'attaque semblant déjà assez puissante au vu de la quantité d'énergie relâchée par l'arme. L'étendue de feu monta en puissance, rendant impossible l'échappatoire de la créature dont j'entendis le cri strident résonner dans l'espace et en moi comme si elle me lançait une attaque. L'ombre de son corps se tordit dans le brasier tandis que peu à peu on pouvait discerner qu'il perdait la vie. Une fois mon assaut terminé, il ne restait plus qu'un tas de cendres provenant de l'ennemie.


Mon épée disparut. Je restai quelques secondes face aux restes de mon adversaire tandis que Jessica, elle, vint me rejoindre. Alors que je pensais qu'elle allait me féliciter, elle se contenta de se foutre de moi.


« Sérieux j'ai rien pigé à ton incantation ma couille. Je ne sais pas d'où tu sors tous tes mots, mais tu ferais bien de t'acheter un dico tu vois.


— Les incantations de Bertelot… grognai-je mal à l'aise.


— Hiroki… soupira une voix grave, mais dénuée de ténèbres. »


Je m'interrompis afin de lancer un regard derrière moi. Shinji était allongé au sol, drainé par la disparition de cette créature. Dans ses yeux, je ne distinguais plus aucune ténèbre. Je ne réalisai alors pas vraiment que tout ce temps, ce n'était pas lui qui contrôlait Karbohn, mais la dragonne qui le tenait en otage. Je voulais lui poser beaucoup de questions, mais ce n'était pas l'heure.


« Repose-toi Shinji, lui lançai-je. Nous parlerons plus tard. Jessica. Apporte-le au service d'urgences le plus proche. Sa vie dépend de toi, donc fais attention.


— Bien reçu ! lança-t-elle, joyeuse. J'ai bien bouffé donc je peux me rendre utile, profites-en ! Et tiens, comme je suis sympa, je te guéris au passage. Je suis une trop bonne fille. »


Elle pointa sa main vers moi, luisit d'une couleur verdâtre, et en moins de temps qu'il ne fallut pour le dire, j'étais en effet remis sur pieds. Shinji quant à lui me tendit faiblement la clé qui allait ouvrir la porte vers un des signaux audiovisuels qui permettaient la communication du groupe terroriste vers l'extérieur. Laissant les deux individus partir, je repris donc ma progression dans la mairie de Yokohama, espérant ne pas trouver d'autres perturbations du genre.





Spoiler :


Je dévalais les quartiers de la mairie. Je ne pouvais pas passer par l'ascenseur avec autant de gardes, car même si Jessica m'avait soigné quelques minutes plus tôt, je ne voulais pas puiser sur mes ressources juste avant un autre combat hypothétique. Je me devais de retrouver Soichiro, mais là n'était pas ma seule mission. J'étais en charge de repérer la salle de contrôle de cet étage et la neutraliser.


J'y arrivai au bout de quelques minutes. C'était un espace pour transmettre à la radio, exactement comme les studios d'une station populaire. Un message de propagande était diffusé en boucle tandis qu'il était impossible de l'arrêter. Tout le matériel était sous une épaisse vitre incassable, mais grâce à la coopération de Shinji, je possédais la clé pour l'ouvrir.


Je détruisis d'un seul coup tout ce que je pouvais détruire, afin de stopper la retransmission live. Chose faite, je sortis de la salle en question, restant toujours sur mes gardes afin de préserver ma vie. Un problème se posait à moi : J'étais au premier étage, et il y en avait 47 autres, et cela, rien que pour cette tour. Comment étais-je censé retrouver Soichiro et l'aider à progresser de la sorte ?


« J'ai la solution, m'interrompit Zéphyra, comme sortant de mon esprit. Je peux sentir la présence du jeune maître, je te guiderai jusqu'à lui.


— Tu n'aurais pas pu m'aider contre Karbohn ? grognai-je, irrité. Dès qu'il s'agit du « jeune maître », bizarrement, tu sors !


— Je ne peux sortir que pour un temps limité lorsque je suis sous contrat temporaire, me répondit calmement la femme. J'ai donc placé ma confiance en toi pour te charger de cette personne, en me réservant pour les ennemis les plus coriaces.


— Parce que ce n'était pas encore un ennemi coriace ? Bégayai-je, livide. Tu as vu la puissance du dragon !?


— Le jeune maître est sur le point de se battre contre un ennemi puissant, Hiroki. Et je m'inquiète beaucoup, car il a déjà fait face à lui dans notre passé, mais il n'était pas seul.


— Comment ça ?


— Le fait que tu es allé le voir lorsqu'il a décidé de partir sans personne pour l'aider l'a encouragé à laisser tout le monde derrière lui. Dans ma ligne temporelle, il n'a pas pu se résoudre à régler les problèmes seul et a emmené toute la guilde ETHER.


— Toute la guilde !? m'exclamai-je, abasourdi. Donc tu veux me dire que dans la ligne temporelle d'où nous venons, Soichiro a affronté l'ennemi avec toute la guilde en soutien et que là il s'apprête à le faire seul !? »


Zéphyra acquiesça silencieusement. Il ne m'en fallut pas plus pour me hâter dans les couloirs, repoussant toutes les menaces éventuelles que je pouvais croiser en utilisant mon revolver. Je réalisai au passage que je m'étais fait avoir, puisque l'arme m'ayant été confiée n'était en fait que le pistolet à tranquillisants qu'avait utilisé Himiko lors de mon premier affrontement avec Shinji. A moitié déçu, je progressai rapidement et prudemment jusqu'au point indiqué par l'Izrathienne, là où Soichiro allait bientôt affronter cet adversaire à la puissance colossale.


La femme aux cheveux blancs et à l'armure scintillante m'indiqua tous les endroits à ne pas louper. Je tentai de nous diriger vers la seconde zone de contrôles pointée par Masamune sur le plan, mais elle m'assura qu'elle avait déjà été neutralisée. Une jeune fille appartenant au mouvement ESPer semblait lutter à nos côtés contre le groupe Purple Revolution. Je demandai si cette personne était Jessica, mais Zéphyra me répondit qu'il s'agissait d'une autre, qui était en fait le meilleur élément du mouvement appartenant à Eric Sawyer.


Je restai dubitatif, mais je fis confiance à cette personne qui avait vécu le conflit par l'intermédiaire de ses liens avec Hakaze. Ainsi, je gravis de nouveau les escaliers, jusqu'à arriver au trentième étage, là où se trouvait Soichiro.


Comme me l'avait indiqué la femme ayant passé un contrat avec Hakaze, le père de mon amie était déjà face à un individu semblant bien plus puissant que ne l'était Karbohn. Un homme d'âge mûr au teint mat et aux cheveux noirs dressés sur son crâne. Il était habillé d'une espèce de toge semblant venir droit d'un livre de mythologie gréco-romaine à la seule exception qu'elle était toute noire et ornée de dessins rouges, de la même teinte que ses yeux. Son regard semblait suffisant pour transpercer Soichiro qui lui faisait face en réfrénant de la colère.


« Soichiro ! criai-je au maître de la guilde en prenant place à ses côtés. Tout va bien !?


— Écarte-toi gamin, me murmura le trentenaire, sérieux. Je dois me charger de cet homme moi-même.


— Je vois que tu n'as pas perdu ton sens du sacrifice, railla l'homme d'une voix grave et profonde. Tout cela me fait chaud au cœur. Au fait, comment va Violet ? Toujours noyée dans le chagrin et le remord après avoir causé la mort de tas d'innocents ?


— Je t'interdis de prononcer son nom… grogna Soichiro en serrant les poings. C'est de ta faute si elle a souffert. Tout aurait pu aller pour le mieux et tu as tout détruit.


— Par « tout » tu entends la sécurité des innocents de Yokohama, ou ta petite romance personnelle et innocente sous fond d'expériences scientifiques ? Ce sont deux choses différentes. Admets-le, Soichiro. La seule chose qui te fait te dresser devant moi aujourd'hui, c'est ton orgueil d'homme ayant perdu sa femme, et non le remord d'un scientifique ayant tué des tas d'innocents.


— Tu te trompes, reprit Soichiro en claquant un objet noir étrange au sol. Si je me dresse contre toi, ce n'est ni pour Violet, ni pour ceux que tu as tué. Tu es le leader de Purple Revolution, et je suis celui d'ETHER, cela me suffit pour vouloir ramener ta tête en guise de trophée de guerre. »


Je n'eus pas le temps de réagir que mon allié s'était déjà jeté dans la gueule du loup. Je ne le vis pas partir, comme s'il était aussi rapide que la lumière elle-même. Il rayonnait d'un éclat azur translucide tandis que derrière lui, il laissait désormais de la buée flotter dans l'air ambiant. Quel était ce pouvoir ? Était-ce en rapport avec cette espèce de pierre qu'il avait claqué au sol ? Et pourquoi l'atmosphère était devenue si glaciale ? Tant de questions se bousculaient dans mon esprit alors que le père de ma chère et tendre tentait d'abattre sa puissance sur l'aîné des frères Sawyer.


Cela ne suffit pas pour décontenancer le sombre individu. Il restait sagement immobile, se contentant de repousser Soichiro d'un geste du bras droit comme un homme débarrassait son costume d'un peu de poussière s'y étant déposé, propulsant ainsi le leader de la guilde ETHER contre une des parois de l'espace de bataille.


Je restais abasourdi. Il fallait que j'intervienne. Mais Zéphyra m'en empêcha. Elle me dit qu'il était inutile que j'intervienne dans une telle bataille. Son ancien propriétaire devait le vaincre seul afin de régler lui-même ce qui le tourmentait au plus profond de son être. Mais cela ne me rassurait vraiment pas, considérant la piètre performance qu'il était en train de nous montrer.


Il se releva sans sourciller, essayant de reprendre l'avantage à sa manière, mais c'était peine perdue. Ricky Sawyer n'avait pas encore montré la moindre source de pouvoir, ni invoqué une seule créature, lui qui était un summoner. Je sentais qu'il était à mille lieues d'avoir montré quoi que ce soit de son potentiel, et cela me faisait peur.


Lorsque Soichiro reprit son offensive, il chargea cette fois beaucoup plus de puissance. Il matérialisa une épée semblant aussi dure que l'acier et aussi froide que de la glace qu'il agrippa en utilisant sa main droite. Mettant une force assez impressionnante dans ses gestes, il tenta d'asséner un coup au ténébreux leader de Purple Revolution, sans succès. L'homme se contenta d'arrêter à mains nues l'arme, avant de la faire se briser en mille morceaux.


« Tu n'arriveras jamais à lever la main sur moi en utilisant des attaques si pathétiques, soupira l'adversaire de l'homme. Par pure compassion je veux bien te laisser partir et faire comme si rien ne s'était passé. »


Pour toute réponse, il manqua de se prendre une autre tentative de meurtre de Soichiro, toute aussi vaine que la précédente. Chaque fois que le leader d'ETHER tentait la moindre offensive, elle se faisait avorter avant même de pouvoir causer un quelconque dégât à Ricky Sawyer. Ce dernier, finalement las de se mouvoir, laissa tout simplement tous les assauts le percuter, me laissant constater que même abouties, les attaques du père de Hakaze ne causaient pas d'égratignure à l'homme au teint mat.


« Je suis certain que même Violet te dirait de cesser de te ridiculiser tout seul, lança-t-il, ironique. Il n'y a pas de mal à rester dans le côté théorique de la science. Parfois, il faut laisser sa place à des personnes plus qualifiées, retiens ceci.


— La dernière fois que tu t'es autoproclamé plus qualifié, cela a engendré le Purple Requiem, répondit Soichiro, haletant déjà le combat à peine commencé. Tu ignores combien on en a tous souffert, Ricky.


— Je ne l'ignore pas. Je n'en ai juste rien à faire. Ce sont deux choses différentes. Les émotions humaines ne sont pas des données factuelles. Elles ne servent que de guide instable pouvant faire basculer l'univers entier du jour au lendemain. Qu'est-ce qu'a été le Purple Requiem finalement ? Un projet fait avec toute la bonne volonté du monde par trois utopistes tellement ancrés dans leurs émotions qu'ils ont oublié qu'il existe des salauds prêts à détourner ce genre de puissance.


— Tu essaies de nous mettre la catastrophe sur le dos simplement car nous avions de bonnes intentions ? grogna le scientifique, presque animal.


— Ne te méprends pas. Je sais que de ton point de vue je ne suis qu'une ordure. Mais tu es le plus fou de nous deux Soichiro. Tu étais prêt à rendre cette énergie toute puissante disponible à tous. Cette puissance qui te donne ces pouvoirs de glace, qui m'octroie mes énergies des ténèbres, accessible par tous les foyers. Te rends-tu compte de ce que cela implique !? N'importe quel psychopathe aurait pu avoir les moyens d'organiser une rébellion à l'échelle mondiale en détournant son arrivée de gaz ou d'électricité pour en absorber la force. Et vous, vous comptiez sur la bonne foi des gens pour que cela n'arrive jamais !? Et tu te revendiques scientifique !?


— Nous comptions sécuriser le système si une certaine personne n'avait pas jugé bon de s'approprier toute la puissance pour elle, reprit Soichiro, semblant perturbé par l'argumentaire de Ricky.


— Comment auriez-vous fait ? s'interrogea son interlocuteur, amusé. Je suis curieux de savoir par quels moyens matériels vous auriez sécurisé l'ensemble de Tokyo, qui je le rappelle est une des plus grandes villes de notre pays.


— C'est très simple à expliquer. reprit la voix de Zéphyra qui, sans que je ne le remarque, s'était incrustée dans la conversation. »


Soichiro se tourna vers la femme adulte aux cheveux blancs et au regard saphir qui était apparue de nulle part. Ses yeux s'écarquillèrent et manifestèrent toute sa surprise. L'Izrathienne venait d'apparaître dans l'espace de bataille, faisant face à Ricky en déployant un charisme fou. Elle reprit la parole avec calme et détermination, montrant qu'elle maîtrisait son sujet.


« Je peux assurer que l'arrivée de kvantiki dans les foyers aurait été sécurisé puisque Soichiro travaillait avec moi, me chargeant de renforcer chaque conduit approvisionnant les habitations avec un matériau spécial provenant d'Izrath. Cette matière provenant du désert Citrine avait pour effet de modifier le code génétique du kvantiki afin qu'il ne puisse se faire absorber par aucun être vivant, homme, ou créature. Cette énergie était utilisable qu'en matière première multi-usage pouvant être renouvelée à l'infini.


— Je vois… murmura Ricky, contrarié.


— Par ailleurs, reprit Zéphyra, d'une colère extrême, même si mon jeune maître ne semble pas se dresser contre vous en guise de vengeance pour les actes passés, ce n'est pas le cas de tout le monde. Ainsi, Ricky Sawyer, je vais te faire payer ici et maintenant le fait d'avoir levé la main sur ma sœur.


— Ta sœur !? sursautai-je, abasourdi par la nouvelle. »


Je n'eus pas le temps de demander des explications que Zéphyra avait elle-même brisé son contrat avec moi pour se lier de nouveau avec Soichiro dont l'énergie spirituelle fut décuplée en conséquence. C'était certes, pour la bonne cause, mais je ne pus m'empêcher d'être frustré à l'idée d'avoir été jeté si facilement. Je me sentais comme seul et abandonné, ce qui me fit monter les larmes aux yeux. Mais je me ressaisis vite. Il fallait que je m'investisse moi aussi dans la bataille, plus ou moins discrètement, afin de faire peser la balance en notre faveur.


Lorsque Soichiro attaqua de nouveau, il réussit à atteindre sa cible qui n'eut d'autre choix que le considérer sérieusement cette fois-là. Ricky luisit d'une lueur noire assez intense, avant de propulser un torrent d'énergie semblant maléfique droit en direction du père de Hakaze. Zéphyra s'interposa, projetant un écran de lumière dorée qui eut un effet de miroir envers le scientifique despote. Mais alors que je pensais que c'était tout, il n'en était rien. Le maître d'ETHER avait déjà bondi par-dessus le miroir afin de pourchasser Ricky qui, ayant évité son propre rayon d'une facilité déconcertante, n'avait cependant pas prévu une attaque aussi furtive, se prenant un coup d'épée de glace droit sur le torse. Il recula de quelques pas, grimaçant face à l'impact qui lui avait tiré un filet de sang.


« Je vois…rumina-t-il avec mépris. Très bien. Tu n'auras aucune excuse dans l'au-delà, Soichiro. Je t'avais donné l'opportunité de fuir avec la vie sauve. »


Une seconde. Il ne fallut qu'une seconde à Ricky Sawyer pour filer aussi furtivement que l'ombre et écraser Soichiro et son acolyte contre le mur. Lorsqu'il réapparut à mes yeux, il n'était plus qu'un amas de ténèbres sans aucune forme duquel on pouvait distinguer deux pupilles rouges éclatantes dans lesquels était perceptible une envie irrésistible de sang, de mort.


La forme obscure s'arrêta devant les deux camarades qui se relevaient en grognant des injures, et à peine furent-ils debout qu'elle se rua contre eux, s'écrasant violemment dans un torrent d'énergie ténébreuse semblant à la fois brûlante et électrique. L'Izrathienne parvenait à repousser les attaques en faisant de son mieux pour éviter les dégâts que tentait de lui infliger l'homme. Soichiro de son côté générait des sortes de boucliers glacés qu'il renouvelait régulièrement, claquant une autre de ces pierres dont il avait le secret pour déclencher ses pouvoirs.


Les combattants n'étaient pas à armes égales. Ricky semblait beaucoup plus fort, mais le duo formé entre Soichiro et son ancienne collaboratrice suffisait à le mettre à mal. Chaque fois que l'un attaquait, il servait de diversion afin que l'autre puisse trouver une ouverture afin d'asséner un coup fulgurant à leur antagoniste. Le leader de Purple Revolution ne manquait cependant pas de ressource, puisqu'il pouvait disparaître purement et simplement dans l'ombre afin de réapparaître où il voulait. Il était incroyablement furtif, rapide, et puissant, exactement comme les ténèbres elles-mêmes. Pourtant, Zéphyra continuait à lui tenir tête, loin d'être épuisée. Devant leur acharnement, j'intervins indirectement dans la bataille. J'appelai ma brigade de volatiles de soins qui prenaient en charge Soichiro quand Zéphyra tapait sur l'adversaire, et inversement, afin que tous deux gardent une certaine endurance que Ricky possédait naturellement.


Mais alors que l'écart entre le duo et le despote se resserrait de plus en plus, les trois protagonistes du combat furent interrompus dans leur affrontement. Une boule de feu sortant de nulle part qui s'écrasa sur le mur, ayant été évitée de justesse par les combattants.


Tous nos regards se braquèrent sur l'instigateur de l'attaque. Un homme semblant de quelques années mon aîné, coiffé d'une coupe pompadour couleur rouge, laissant champ libre à son regard méprisant à mi-chemin entre le gris et le marron. L'individu habillé d'un imperméable kaki tombant sur un tee-shirt à carreaux noirs et un pantalon en velours dévisageait de son œil malicieux tous les protagonistes de la bataille, m'ignorant royalement par-dessus le marché.


« Désolé de vous interrompre, sourit vilainement l'homme. J'ai pensé qu'il serait courtois de ma part de venir vous dire bonjour.


— Pourquoi as-tu quitté ton poste !? cracha Ricky. Tu étais censé garder la salle de contrôles non !?


— Je suis désolé de te le faire savoir papa, mais mon alliance avec Purple Revolution s'arrête ici. À vrai dire, je n'ai jamais été votre allié. Depuis le début je compte tous vous descendre. La salle de contrôle est désactivée depuis de longues heures.


— Papa… ? bégayai-je en fixant l'homme ayant repris sa forme humaine. Vous êtes parents ?


— En effet. sourit le plus jeune, diplomate. Permets-moi de me présenter. Je suis Eric Sawyer. Je suis le leader du mouvement ESPer que vous avez pris plaisir à descendre il y a quelques jours. Tout comme vous, laisser Purple Revolution en liberté me fait de la peine, alors je viens vous prêter main forte, maintenant que toutes les pièces sont actionnées. »


Soichiro fixa l'homme aux cheveux rouges d'un air dubitatif. Mais il n'eut pas le temps de réfléchir. Le père avait déjà lancé sa contre-attaque contre le leader d'ETHER. Une offensive si rapide et furtive que même Zéphyra n'eut le temps de rien faire pour la contrer. Mais à ma grande surprise, ce fut Eric Sawyer lui-même qui détourna l'offensive de son père, avant de se dresser contre lui, se plaçant devant Soichiro et sa partenaire.


« Hors de mon chemin, lâcha Ricky. Je n'ai aucune considération pour un opportuniste.


— Opportuniste ? sourit le plus jeune. Tu es tendre avec moi. Où est passée ta bonne vieille appellation « résidu de préservatif » que tu aimes tant ? »


Nous le regardâmes tous, dubitatifs. Pourtant le père ne contestait pas. Cela me laissa un sale goût dans la bouche en imaginant combien il devait être dégradant envers son fils.


« Je le sais, continua l'homme à la coupe pompadour. Je suis un fils de pute, issu d'un accident de contraception, et tu n'as jamais voulu de moi, alors sois franc et assume-le devant tout le monde… Au moins tu auras été honnête un jour avant de mourir.


— Mourir ? s'amusa le plus vieux des deux. La dernière fois que quelqu'un m'a dit ça, c'était ton oncle, et il a fini sous mon emprise. Laisse-moi te rappeler qui est le maître incontesté de notre famille. »


Il rassembla toute la puissance qu'il contenait en lui et la propulsa à une vitesse folle sur les trois partenaires improvisés qui, comme dans un élan de synchronisation, utilisèrent leur défense au même moment. Cependant, quelque chose de singulier se dégageait d'Eric Sawyer. Il révéla une énergie similaire à celle de son père Ricky, non pas sans attirer l'attention de ce dernier.


« Comment !? hurla l'homme, abasourdi. Ne me dis pas que tu… ?


— Ne sous-estime pas ce résidu de préservatif qui contient ton ADN de traître et de lâche, s'amusa Eric. Oui, comme tu le devines, j'ai obtenu la puissance de Romain Sawyer, ton frère, que je viens d'assassiner de mes propres mains. Et tu es le prochain sur la liste ! »


Il ajouta à la défense du groupe toute la puissance qu'il possédait afin de transformer l'énergie groupée en un torrent vacillant du bleu éclatant au noir le plus opaque qui s'écrasa sur Ricky en moins d'une centième de seconde. L'individu fut compressé contre sol, dans un vacarme assourdissant. Sans lui laisser la moindre minute pour s'expliquer ou dire quoi que ce soit, le fils plongea dans l'épais nuage de fumée, laissant apparaître un poignard fait d'énergie similaire à celle de Jessica. Nous entendîmes un gémissement noyé dans le bruit d'un assaut physique, puis, quelques secondes plus tard, Eric revint, le visage tâché du sang de son père.


« Eh bien ! sourit l'homme. Rien de plus rafraîchissant que sentir le sang de son père couler sur ses mains. Avec ceci, Purple Revolution est morte et nos objectifs sont accomplis.


— Tu es sûr que tu es bien dans ta tête ? lâchai-je, hésitant.


— Ne t'en fais pas je te comprends, reprit Eric, diplomate. Je ne suis que le fruit de l'infortune d'une prostituée dont la contraception a défailli. Une telle existence ne peut que devenir une ordure de ma trempe. Il est d'ailleurs inutile de chercher Romain, je l'ai tué moi-même. Si vous voulez vous assurer de la désactivation de la salle de contrôle, allons ensemble au dernier étage.


— Et comment sommes-nous certains que tu ne nous cibleras pas ? reprit Soichiro, perplexe.


— Je ne retourne ma veste que lorsque j'ai à y gagner. Et ici, je n'ai rien à gagner en me mettant une guilde à dos en tuant leur leader, juste après la chute d'ESPer. Nous nous battrons lorsque j'aurai rassemblé mon mouvement pour sa renaissance. »


Sur ces mots, nous accompagnâmes Eric Sawyer, non pas sans rester sur nos gardes, jusqu'à l'ultime salle de contrôle, au dernier étage. Appréhendant ce que nous allions trouver, j'avais du mal à me faire rentrer en tête que Purple Revolution avait été détruite, mais je voulais y croire. Car derrière cette organisation se trouvait Reisuke, et je me rapprochais de plus en plus de lui.





Spoiler :


Nous prîmes l'ascenseur avec Eric Sawyer, qui n'était pas du tout sur ses gardes tandis que l'on fonçait au quarante-huitième étage de l'une des tours de la mairie. Nous allions au dernier étage de la seconde tour, puisque selon le fils de Ricky, il n'y avait rien d'autre à voir au sommet de la première, mis à part le corps de son oncle. Ainsi, nous gagnâmes tous du temps pour aller constater de nous-même que tous les contrôles liés à la révolution étaient bien éteints.


Les portes de la machine s'ouvrirent, nous laissant constater que rien n'avait été saccagé dans la salle de contrôle si bien gardée par l'ensemble de l'équipe de la mairie.


Sawyer s'avança jusqu'à une espèce de caméra qui donnait sur un studio à fond vert, exactement comme sur les plateaux de télévision ou de tournages de films. Il se tourna vers Soichiro, avant de prendre la parole à son intention.


« Soichiro Namatame… dit-il, sérieusement. Romain Sawyer est mort. Tu es venu ici pour arrêter Purple Revolution, et tu as réussi. Tu as également triomphé d'ESPer qui était la prochaine candidate à la prise de pouvoir de la ville. C'est à toi d'unifier Slyfair et Slyburn une bonne fois pour toutes. Branche l'antenne, prends la parole, et annonce que tu es le nouveau maire de Yokohama-Tokyo unifiée par ta main de fer.


— Tu me demandes vraiment… De prendre ce que tu veux depuis le début ? se méfia Soichiro.


— Je te l'ai dit, soupira Sawyer, le sourire aux lèvres. Si je dirige la ville maintenant tu n'auras plus qu'à ramasser ce qu'il reste d'ESPer avec tes camarades et me la reprendre définitivement. Te laisser réunifier Tokyo, c'est aussi pouvoir me refaire pour que l'on se livre ensuite une bataille physique et idéologique qui définira un vrai vainqueur. Alors sois désormais celui que je veux abattre. »


Soichiro, maire de Yokohama ? La révolution qu'il voulait mener pour instaurer un pouvoir qui se soucie des gens allait vraiment prendre forme ? Et son histoire avec Violet allait être réglée ? Je n'en croyais pas mes yeux. C'était une chance en or qui se présentait à lui, et il le savait. Il se dirigea vers le moniteur qui allait retransmettre sa décision. Il déglutit, anxieux, tandis que Zéphyra, toujours présente, ne put s'empêcher d'ordonner les cheveux de son jeune maître, tout en lui faisant porter la cravate.


Pile lorsqu'il enclencha le live, une erreur de communication l'interrompit. Nous eûmes tous les trois le même réflexe : braquer nos regards sur Eric Sawyer en pensant à un coup fourré. Pourtant, lui aussi était décontenancé. Il tapait des séries de codes sur l'ordinateur pour essayer de régler le souci, mais c'était peine perdue. La rediffusion était hors de contrôle, comme si quelqu'un l'avait attaquée de l'extérieur.


Elle se lança toute seule, laissant apparaître sur l'écran non pas le visage de Soichiro, mais celui d'une des jeunes femmes de la troupe de Reisuke : Indy Muller. L'Indienne au visage élégant et soigné, marqué par une pointe de ténèbres qui n'était discernable que pour ceux connaissant à qui elle avait prêté allégeance. Je grimaçai. Ce n'était pas bon du tout. Et lorsqu'elle prit la parole, je compris à quel point la situation était critique.


« Mes chers concitoyens, bonjour, entama la jeune femme, à la fois solennelle et accessible. Je me nomme Indy Muller. Comme vous le savez certainement, depuis ce matin le groupe « Purple Revolution » a lancé un mouvement de rébellion contre Romain Sawyer ainsi que tout le personnel de mairie, allant du conseiller municipal jusqu'aux agents d'entretien. Dans cette optique, le quartier de la mairie de Slyfair était depuis ce matin à feu et à sang, et j'imagine que cela a suscité l'inquiétude de toutes les familles. »


Elle marqua une pause, avant de reprendre, beaucoup plus joyeuse.


« Eh bien vos craintes n'existeront désormais plus. Moi, Indy Muller, accompagnée de ma précieuse équipe, je me suis rendue avec elle sur les lieux, et nous avons maîtrisé Purple Revolution. Tous les terroristes ont été supprimés, et le danger est écarté. »


Son visage s'obscurcit, trahissant une tristesse ayant l'air authentique, mais que je savais fausse.


« Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard pour sauver l'équipe actuelle. À l'heure où je vous parle, Romain Sawyer a trouvé la mort, ainsi que tous ses conseillers municipaux et ses adjoints. Nous devons donc, outre passer le deuil de notre dévoué maire, penser à l'avenir de notre ville, et montrer à tous ceux qui en voudraient à la paix que l'on se relèvera ! »


Elle marqua une autre pause. Avant de reprendre, déterminée, et pleine de convictions.


« Dès aujourd'hui je serai la nouvelle maire de Slyfair et Slyburn, qui redeviendront petit-à-petit notre belle Yokohama, province de la capitale. Mon équipe et moi nous chargerons de redresser notre bel endroit marqué par la tragédie de Purple Requiem, puis de Purple Revolution. Nous donnerons un souffle nouveau à notre territoire, il y fera bon vivre pour tous, sans aucune discrimination ! Ce jour est à marquer d'une pierre blanche, car c'est le commencement d'une ère de changement ! Une époque faite d'unification derrière une cause commune ! »


Enfin, elle termina, avec mépris, défi, et auto-suffisance, prononçant des dernières paroles nous étant destinées.


« Et je défie quiconque voulant entraver les voies du changement de venir nous en empêcher de force. Nous ne reculerons devant rien pour accomplir nos plans. Et le premier sera de réactiver le générateur ayant causé le Purple Requiem, mais cette fois en l'encadrant de scientifiques experts en Izrath qui sécuriseront la zone. Si quiconque désire nous en empêcher, qu'il vienne le faire, nous sommes en terre libre. »


Le live se coupa, nous laissant tous bouche bée face à la plaidoirie de l'Indienne. L'ascenseur descendit, puis remonta à une vitesse folle. Masamune Nishijima, mon futur supérieur, en sorti en trombes. Il vint directement voir Soichiro, sérieusement.


« Je te préviens ! hurla le nouveau venu. Pas un mot de ce que l'on vient de voir à Violet, ni à Ryoko. Ils ont assez donné pour le Purple Requiem !


— Pensais-tu vraiment que j'allais les impliquer ? reprit Soichiro, exaspéré. Si ce qu'a dit cette jeune femme est vrai, il faut agir au plus vite. Je vais rassembler ETHER. Masamune, amène-moi Laure et Akame, avec beaucoup de trinitrotoluène.


— Euh attendez., le coupai-je. Pourquoi prendre de la TNT ? Ce n'est pas genre… super dangereux ?


— Pas plus que de l'uranium dans une boîte à sandwichs, reprit Soichiro en haussant les épaules. On voit que tu n'as jamais fréquenté Akame gamin. »


Nous sortîmes donc tous de notre champ de bataille improvisé. Avant de nous rendre à la guilde ETHER, il fallait que je demande quelque chose à Zéphyra. Alors je la convoquai afin de la prendre à part, à l'abri des oreilles indiscrètes. Je lui expliquai ma requête, et, naturellement, elle me répondit que c'était de la folie. Mais à force d'arguments, en utilisant le sort de Hakaze et de Soichiro, je réussis à la convaincre de prendre le risque.


Ainsi nous rentrâmes, et l'accueil que l'on me réserva fut…particulier. Erika me gifla dès qu'elle me vit. Diamond se rua sur ma tignasse pour en arracher le moindre cheveu de rage, tandis que Cram, lui, se contentait de m'ignorer royalement, comme si je n'existais pas.


« Tu te rends compte de la peur que tu m'as fait !? hurla Erika, en synchronisation avec Diamond qui disait la même phrase en « graouh ».


— Ne t'en fais pas… répondis-je en essayant de relativiser. Ce n'était pas grand-chose.


— Pas grand-chose non ! reprit la blonde encore plus hors d'elle. Juste 168 morts dont le maire et le triple de blessés ! Je ne sais pas ce qui me retient de t'ajouter au compteur des victimes Hiroki !


— Mais je suis là, donc c'est l'essentiel, non ?


— Je ne veux pas te perdre une seconde fois, lâcha-t-elle, attristée. Et puis… c'est idiot, mais tu es parti sans moi. Je pensais vraiment qu'on était une équipe, toi, moi, et Hakaze. Mon amie part du côté de Reisuke, toi tu me considères comme un boulet à traîner derrière… Finalement, nous ne sommes rien d'autre que des personnes coopérant en vue d'un objectif commun. À la moindre occasion, chacun laisse l'autre sur la touche et pense personnellement.


— Ce n'est pas ça… murmurai-je en tentant de trouver les mots. Je voulais juste te –


— Me quoi ? Me protéger !? reprit-elle, outrée. Me protéger moi, celle qui a en elle un reptile capable de raser la ville s'il le voulait, alors que toi, dans ton extrême bonté d'âme, tu as attaqué un lieu rempli d'Izrathiens sans posséder le moindre pouvoir ? Arrête les belles paroles Hiroki, j'en ai assez. »


Elle claqua la porte de la salle sans même me laisser le temps de m'excuser. Cram et Diamond la rouvrirent, avant de la suivre, sans même m'adresser un regard. Je soupirai. J'avais vraiment fait n'importe quoi, et cela me mettait mal à l'aise. Je voulais simplement éviter un danger pour mes camarades, et ils ne voyaient pas cela du même œil que moi.


« Les jouvencelles sont difficiles n'est-ce point ? entama la voix de Medrawt provenant de derrière tandis qu'il posa sa main sur mon épaule.


— Oh que oui… murmurai-je. J'aimerais tant qu'elle comprenne que je voulais juste qu'il ne lui arrive rien.


— Parfois, quérir à protéger les autres du trépas n'est pas la solution pour leur apporter le bonheur. me dit le chevalier, sérieusement. Quand tu aimes quelqu'un, tu veux qu'il ne lui arrive rien, et pour cela tu es prêt à te sacrifier, car les voir souffrir te ferait plus de mal qu'être soumis à la torture physique, mais il en est de même pour les personnes que tu protèges.


— Je te demande pardon ? bégayai-je, interdit.


— Si damoiselle Erika venait à vous voir subir le trépas, malgré son absence de blessures, elle pleurerait toutes les larmes de son petit cœur d'elle. Cela vaut aussi pour petit singe et graouh graouh.


— C'est vrai… murmurai-je, honteux. Mais que dois-je faire alors ?


— Certains problèmes ne peuvent se résoudre qu'en les affrontant ensemble. Laisse tes camarades prendre part au combat avec toi. C'est en guerroyant à l'unisson la couardise et la misère, que l'on devient de vrais frères d'armes. »


Medrawt avait raison. J'avais beau vouloir protéger mes amis, si c'était au détriment de leur épanouissement, ce n'était rien d'autre qu'un souhait paternel égoïste. Il fallait donc, aussi douloureuse était l'initiative, que je les laisse prendre part aux batailles futures, celles qui allaient déterminer l'issue de notre histoire, mais aussi celle du monde.


Retournant voir Erika et mes Izrathiens, je gardai en tête mon objectif premier : m'excuser à eux, leur expliquer la situation, mais aussi et surtout nous préparer ensemble pour affronter la dernière étape de ce conflit qui n'avait que trop duré.





Spoiler :


Une nuit passa. Au terme d'excuses et d'explications plus longues et compliquées les unes que les autres, je réussis finalement à me faire pardonner d'Erika, Diamond, et Cram. Nous prîmes un moment pour nous changer, nous assurer que tout était fin prêt pour notre combat final, puis, une fois tous les détails préparés, nous sortîmes.


Erika ne prenait pas le combat au sérieux. Tout du moins, elle restait beaucoup trop…superficielle. Elle s'était déniché une espèce de robe azur assez dénudée. Deux épaisses bandes de tissu couvraient sa poitrine en se croisant pour attacher la tenue dans le dos de mon amie, tandis que son corps était couvert par deux rangées de froufrous qui lui tombaient jusque les hanches. La coupe était courte. Elle lui descendait à peine jusqu'aux genoux. Elle m'assura que c'était pour être plus à l'aise, mais j'étais persuadé qu'elle voulait juste avoir l'air d'une héroïne de roman fantasy ou autre bêtise du genre.


Alors que nous allions partir, nous fûmes surpris par une apparition soudaine. Zéphyra était surgie de nulle part, portant sur son dos un petit garçon qui n'avait pas vraiment l'air affolé. L'enfant brun au teint mi-mat et aux yeux bleus semblait même très joyeux à l'idée d'être transporté par la femme en armure.


« Le voilà. lança Zéphyra, contrariée. Sérieusement Hiroki, j'espère pour toi que cette demande est justifiée, car tu me traînes dans la disgrâce et la honte par une telle action.


— Ne t'en fais pas Zéphyra, souris-je. C'est d'une importance capitale pour notre plan. »


Elle fit descendre le gamin qui n'avait pas vraiment peur. Il me scruta en deux fois, comme s'il avait remarqué le problème, mais je fis mine de ne rien savoir.


« Bonjour Hiroki, entamai-je, amical. J'espère que mon amie ne t'a pas fait peur.


— Non ! lança joyeusement le petit garçon. Elle est venue chez moi cette nuit et m'a dit de la suivre parce qu'il y avait un grand combat avec un terrible méchant qui allait se dérouler, alors moi je suis venu pour voir les héros lui foutre une bonne raclée !


— Comment ça elle est venue chez toi !? hurla Erika, soudainement crispée. Ne me dis pas que tu as kidnappé un enfant, Hiroki !?


— Kidnappé ? reprit le petit sans me laisser le temps de répondre. Non c'est faux ! Pourquoi je me kidnapperais moi-même ? Zéphyra m'a dit qu'il fallait que je vienne parce que mon moi du futur m'avait demandé de venir ! »


Erika se tourna vers moi en me dévisageant, avant de reprendre, cinglante.


« Ne me dis pas que tu t'es kidnappé toi-même… soupira-t-elle. Enfin… Ta version passée…


— C'est exactement ce que j'ai fait, repris-je, satisfait. J'ai demandé à Zéphyra d'aller trouver mon alter ego de cette époque. Cet enfant, c'est moi. Il sera un atout important dans notre bataille contre Reisuke, Hakaze, et Indy.


— Comment ça ? me demandèrent Zéphyra et Erika en totale synchronisation.


— Je vous explique. Nous sommes dans le passé. Autrement dit, pour tous les habitants qui viennent de cette époque, nous venons du futur. Et nous avons le pouvoir de modifier notre présent à nous par nos actes ici, c'est bien pour ça que l'on ne doit pas créer de paradoxes. Jusque-là tu me suis ?


— Oui. Approuva Erika.


— Très bien. Maintenant imagine que d'une manière ou une autre je me bats avec Reisuke. Si Hiroki, le petit, que l'on appellera Hiro pour différencier, se trouve sur les lieux du combat, alors cela change beaucoup de choses. Hiro sera témoin de notre affrontement et de tous les coups portés par Reisuke, et que leur issue. Si une attaque me vainc, il le verra. Ainsi il gardera en mémoire cette information. Tu n'as pas décroché ?


— Elle a décroché depuis longtemps, mais je te suis toujours, reprit Zéphyra.


— Bien, soupirai-je. Maintenant prenons en compte que Hiro a obtenu l'information dans laquelle Reisuke me neutralise d'une flèche dans le cœur. Il grandira avec cette info en tête, et comme il est moi, il modifiera ma propre mémoire instantanément, me permettant de savoir avant le début du combat que Reisuke m'attaquera par une flèche. En d'autres termes –


— Tu peux prédire l'avenir en utilisant ta réplique du passé pour qu'elle emmagasine des informations à donner à ton avatar du présent… réalisa Zéphyra, abasourdie. C'est brillant. »


L'Izrathienne expliqua à Erika par des termes plus simples, mais l'idée était là. Tout ce que voyait Hiro allait être emmagasiné dans sa mémoire, et donc dans la mienne avant que je ne revienne ici. L'idée était de pouvoir contourner l'avenir grâce aux yeux du gamin.


« Le seul problème, enchéris-je, c'est la sécurité du petit. S'il venait à se faire tuer, je serais mort pour de bon, et qui plus est incapable de revenir dans le passé, et donc de le kidnapper. En d'autres termes, cela créerait un ultime paradoxe. Une boucle de laquelle ni moi, ni Hiro ne pourrions nous échapper.


— Alors il faut mettre l'enfant en lieu sûr, renchérit Zéphyra. J'ai un endroit pour ça. Il pourra tout voir sans être en danger.


— Je t'écoute.


— Je ne peux le dévoiler, mais je connais quelqu'un qui prendra bien soin du petit garçon. Il adore les enfants, il en sera capable.


— Bien. Je te fais confiance dans ce cas. Tu peux l'emmener. »


Zéphyra tapa des mains, avant de disparaître avec l'enfant. Instantanément, des souvenirs abstraits me vinrent en tête. Elle m'avait transporté en Izrath, me laissant avec un homme aux cheveux violets qui m'offrait tout ce que je voulais afin que je me sente bien. Je souris. Le stratagème était concluant, et je pouvais donc modifier ma mémoire grâce à mon avatar du passé.


« J'aurais bien fait ça pour toi Erika, entamai-je. Mais à en juger par mon âge, tu ne dois être qu'un nourrisson à ce stade.


— Et j'étais loin d'être au Japon aussi ! s'amusa la jeune fille armée de sa dérision habituelle. Tu ne m'aurais pas retrouvée. »


L'idée fut donc décrétée bonne. Nous partîmes donc, Erika, mes amis Izrathiens, et moi, vers l'ancienne centrale, tenant encore debout mais désaffectée, qui se trouvait dans le quartier le plus précaire et le plus à l'abandon de Slyburn : la zone « Abysmal ».


Je sortis un GPS que j'avais volé sur une des motos du gang United We Stand. J'appelai ensuite un de mes compagnons d'Izrath ayant un pouvoir d'électricité. Une sorte de luciole étincelante que j'avais recueillie il y avait quelques années de cela, afin qu'elle charge l'engin pour le faire fonctionner. Nous dévalâmes donc chaque rue, moi, Erika, et mes amis, jusqu'à arriver dans la zone fatidique, là où se trouvait la pire des racailles et la plus injuste des précarités.


Nous connaissions l'endroit. C'était non loin d'ici que nous avions atterri la première fois, me rappelant davantage les quelques étapes de notre périple. Tout ce que nous avions construit pour arriver jusqu'ici comptait vraiment pour moi. Toutes ces alliances que nous avions construites, nos combats au travers le temps, les liens noués par Erika et Hakaze à Rikoukei… Mais aussi ceux construit au cœur de la guilde ETHER, en particulier avec Soichiro, Laïla, et même Jessica. Tout cela avait du sens pour moi, et me motivait à aller plus loin. Reisuke n'avait pas le droit d'emporter tous leurs rêves et leurs espoirs. J'étais celui qui allait l'arrêter.


Nous passâmes quelques quartiers qui étaient toujours aussi déserts que ces derniers temps. Apparemment, le groupe de Brittany et Lysandra avait pu se réfugier quelque part ailleurs… Du moins, c'était ce que je me disais afin d'éviter d'imaginer le pire. Dévalant rues après rues en restant sur nos gardes, quelques lieux attirèrent notre attention, comme cette maison un peu reculée qui semblait avoir été dévorée par les flammes quelques années auparavant, mais dont les décombres n'avaient même pas été ramassés. Je m'arrêtai quelques secondes face à cette vieille bâtisse, en compagnie d'Erika. Cependant, nous fûmes interrompus par une voix féminine mais grave qui nous insulta quelques mètres plus loin. En me retournant pour voir qui nous parlait, je vis que c'était la blonde à la drôle de dégaine venant du mouvement ESPer, le concentré d'illogique et de nonchalance, en la présence de Jessica Leocaser, numéro deux de l'organisation.


« Jessica ? bégayai-je, abasourdi. Que fais-tu ici ? Et Shinji, où est-il ?


— Je te renvoie la question pauvre tache. Je peux savoir ce que tu fous chez moi ? Et pour ta gouverne, ce type est à l'hosto et ils le soignent.


— Ah… Désolé, bredouillai-je.


— Chez toi ? nous interrompit Erika ? Tu habites ce quartier ?


— J'habitais ce quartier, la corrigea la malicieuse. Cette maison carbonisée était la mienne. Tu peux entrer comme bon te semble, gros nibards. Ça ne me dérange pas.


— Que s'est-il passé pour qu'elle soit dans cet état ? repris-je ému, ignorant même l'attitude de la jeune fille.


— Eh oh. Je ne suis pas là pour étaler ma vie, capiche ? Et puis pourquoi vous êtes dans ce quartier pourri ? Genre vous voulez vous lancer dans l'humanitaire ou bien vous êtes juste paumés ?


— Tu as vu l'annonce d'hier non ? Celle d'Indy Muller, la nouvelle maire de Yokohama. Eh bien nous allons l'opposer. Nous nous rendons à la centrale désaffectée.


— Ah je vois… sourit malicieusement mon interlocutrice. Donc vous cherchez la révolution. Eh bien bonne chance bande de tocards. Continuez sur la droite et vous ne louperez pas ces fils de putain. »


Sans que nous ne puissions répondre à la jeune fille, celle-ci nous tourna le dos, s'éloignant de plus en plus de notre champ de vision pour finalement disparaître dans la pénombre de ces habitations délabrées et laissées à l'abandon. Je crus entendre un « Ne meurs pas, Hiroki » dénué d'arrogance provenant du second meilleur élément d'ESPer, mais je ne pus lui demander confirmation. J'eus un pincement au cœur en regardant la bâtisse qui semblait donc être l'ancien habitat de Jessica, mais je ne pouvais plus rien faire pour effacer son passé… Ni le mien d'ailleurs. Tout ce que je pouvais faire, c'était créer un avenir meilleur. Ainsi, moi et mes amies prîmes la droite comme nous l'avait indiqué la blonde aux yeux verts.


Ce fut au bout de trente minutes de marche supplémentaires que nous arrivâmes dans la zone la plus reculée de Slyburn, celle où se tenait la centrale désaffectée et scellée, qui avait vraisemblablement été ouverte. Progressant prudemment, nous nous rendîmes face à la tour en question. Mais quelqu'un en sortit. Et ce quelqu'un n'était pas n'importe qui. Hakaze. Celle de laquelle j'étais éperdument amoureux, celle pour qui je voulais me battre. Je voulus lui parler, mais Erika me stoppa. Elle se contenta de dévisager celle qui était apparue devant nous, me laissant prendre un peu de recul sur la situation.


« Vous êtes donc finalement arrivés, nous lança la femme, entre regret et mélancolie. Malheureusement pour vous, c'est trop tard.


— Trop tard ? reprit Erika, concernée. Que veux-tu dire, Hakaze !?


— Je suis désolée, nous coupa une autre voix féminine sortie de nulle part. J'ai échoué à les contenir. »


Nous nous retournâmes brusquement vers la direction d'où provenait la voix, nous laissant voir Luna qui, grimaçant, fixait la centrale avec insistance. La sœur du soleil d'Héliopolis, blonde aux yeux clairs, semblait contrariée par la tournure des évènements.


« J'ai tenté de faire échouer Reisuke à maintes reprises en le poursuivant ici, mais il a accumulé trop de puissance, avoua notre alliée la caster d'Izrath. Indy et lui sont devenus trop puissants. Je n'arrive plus à lutter seule.


— Nous sommes là pourtant ! enchéris-je, déterminé. Il n'est pas trop tard tant qu'on garde espoir !


— Non. Il n'y a plus d'espoir. Ils ont réussi. »


Je n'eus pas le temps de dire quoi que ce soit d'autre qu'une énorme colonne lumineuse aux couleurs mauves sembla comme tomber du ciel pour s'abattre sur la centrale désaffectée de la zone Abysmal. Elle eut l'air d'aspirer le bâtiment, puis ses alentours, se dirigeant à une vitesse folle sur nous au même moment. Je voulus protéger Erika et Luna de cette onde, mais mes réflexes ne furent pas suffisant, puisque nous fûmes tous aspirés par cette puissance étincelante me rappelant étrangement les vidéos concernant le Purple Requiem.


Je fus forcé de plisser les yeux alors que le torrent de puissance étincelante venait de s'abattre sur nous. Contre toutes nos attentes, cela ne nous fit pas la moindre douleur. Cependant, lorsque la lumière se dissipa, je fus stupéfait par ce qu'il en était. Nous semblions comme avoir été transportés dans les étoiles, aux fin fonds de la galaxie. J'avais l'impression de flotter dans les airs, à des années lumière de notre bonne vieille terre. Erika et Luna se tenaient toujours à mes côtés aussi dubitatives que je ne l'étais.


« Les plans de Reisuke se concrétisent, reprit Hakaze. Le processus d'ouverture de la porte vers le troisième monde a été enclenché. Peu à peu, la ville entière se fera transporter dans cette dimension, et une fois toute l'énergie des habitants liée à celle collectée lors de votre affrontement avec Purple Revolution, nous vous sacrifierons tous afin d'ouvrir l'ultime passerelle vers cet univers que nous désirons tant.


— Je ne vous laisserai pas faire… grognai-je. Je suis ici pour tous vous arrêter, Hakaze !


— Je ne peux t'accorder le droit d'entraver Reisuke. Je me dresserai devant toi à n'importe quel prix. Une fois que ce monde sera condamné, j'atteindrai les terres du temps et je pourrai alors réparer tous les dégâts causés, tout en ayant l'opportunité de sauver mon père de cette existence d'infortune. Ainsi, je ferai tout mon possible pour mener à bien ce projet.


— Alors affrontons-nous, ici et maintenant, Hakaze ! Je vais te ramener à la raison une bonne fois pour toutes.


— Ce n'est pas ton travail, gamin, reprit la voix grave de Soichiro qui nous interrompit. »


Il était arrivé lui aussi. Accompagné d'une escouade par-dessus le marché. Soichiro Namatame était avec sa femme Himiko, et deux autres membres de la guilde ETHER, en la présence de Nathan et Honest. Les quatre individus semblaient comme apparus de nulle part, mais je ne pouvais pas vraiment remettre en cause la logique de leur arrivée, étant donné que nous nous trouvions nous même dans des lieux défiant toutes les lois de la physique et de la science.


« Sérieusement… soupira Nathan, le critique à lunettes. Vous n'aviez pas plus cliché comme endroit ? Parce que bon, vous parlez tous de bataille finale, déjà c'est archi revu, et en plus, vous allez vous battre au beau milieu des étoiles. En mode tranquille, posé, au calme ! Non mais sérieusement c'est quoi ces conneries !


— Âneries, le corrigea le jeune homme au Bescherelle. T'emporter est une chose, mais je te prierai de ne pas salir notre beau langage en utilisant des mots sales. »


Himiko dévisagea sa fille, la désignant du doigt, avant de reprendre la parole avec détermination.


« Je suis venue ici pour t'arrêter une bonne fois pour toutes, Hakaze. Il est hors de question que tu fasses quoi que ce soit qui te mette en danger, quelle que soit ta raison.


— Dans le futur, répondit l'intéressée, Papa est dévasté par ta disparition et tente de trouver une solution pour te ramener à la vie. La construction de la machine à voyager dans le temps est uniquement engagée dans l'espoir de te revoir un jour. Quant à moi, je me bats pour qu'il retrouve le sourire. Et toi, tu t'engages dans une bataille destinée à me sauver. Notre famille est étrange, ne trouves-tu pas ? Es-tu prête à renoncer à ta cause ? Si tu te poses la question, tu aboutiras à la même réponse que moi. Il n'y a donc qu'une seule issue afin de nous départager, puisque nos ambitions sont incompatibles. »


Hakaze déploya son bras droit, tandis que son regard mauve glacial dévisageait sa mère. Un flux d'énergie violet se dégagea de sa main, prenant la forme d'une spirale entourant continuellement le membre de la femme que j'aimais, telle un serpent qui s'enroulait autour d'un support cylindrique. Pour toute réponse, Himiko jeta le long manteau qu'elle portait, rattrapé en vol par Soichiro, afin de ne laisser voir qu'une tenue de sport simple nous montrant qu'elle était déjà prête à corriger sa fille.


« Ouais enfin non, les coupa Nathan, se dressant entre la mère et la fille. Sérieux la bataille générationnelle c'est beaucoup trop cliché. Vous n'allez pas bouffer tout le temps d'écran alors qu'au fond on sait très bien que y aura un drama surjoué à la fin. Je vais me charger de cette ennemie, comme ça, pour une fois, on trouvera vraiment un personnage secondaire utile !


— Permets-moi de te couper Nathan, le reprit Honest. Tout d'abord, l'envie de te révéler la vérité monte en moi : tu n'es pas dans un roman. Ensuite, pour ta gouverne, j'aimerais mettre le doigt sur le fait que – »


Hakaze soupira. D'un geste rapide, elle projeta une onde obscure qui s'abattit sur les deux garçons, les propulsant au loin. Lorsqu'ils se relevèrent, je constatai qu'ils n'avaient rien de cassé… Cependant, quelque chose de bien plus grave semblait préoccuper Honest.


Le livre rouge qu'il tenait dans les mains tomba en lambeaux, sous son regard décomposé. Ses yeux s'écarquillèrent. Son teint devint blême. Une esquisse de frustration s'inscrit sur son visage, laissant éclater une colère immense en quelques secondes à peine. Il fut métamorphosé, bien plus agressif, assoiffé de vengeance. Il se redressa, l'expression perçante et méprisant Hakaze du plus profond de son âme.


« Tu n'aurais pas dû faire ça… grogna le jeune homme dont la voix était soudain devenue bien plus sombre. Je vais te définir le sens du mot supplice…


— Attends Honest ! lui criai-je. Tu ne peux pas –


— Prison, me coupa-t-il sèchement. Nom féminin. Lieu quelconque où quelqu'un est ou se sent séquestré, enfermé. »


En l'espace d'une seconde, une cage se dessina autour de moi, Luna, et Erika, nous enfermant à l'intérieur sans que l'on ne puisse faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. Était-ce…le pouvoir de Honest ? Quoiqu'il en fût, j'essayais de trouver un moyen de briser cette barrière, tandis que toute la guilde ETHER se mit face à Hakaze, entamant un combat à quatre contre un.


« Je vois que vous minimisez les risques, reprit mon ancienne amie, absolument pas perturbée. Il est en effet plus sage d'être à quatre contre un, même si je ne sais pas ce que vous gagnez en enfermant vos alliés.


— Tu comptes me faire croire que même sans te vaincre, nous aurons accès à Reisuke et Indy ? s'amusa Soichiro. Cette barrière les protège également de toute attaque, afin de les conserver pour l'assaut final.


— Bordel que c'est cliché, renchérit Nathan, exaspéré. Évidemment qu'on laisse le frère affronter Reisuke en dernier alors qu'il n'a aucun pouvoir, simplement pour l'affiche. Sérieusement JPP de vous tous. Si j'étais jury d'un quelconque concours sur Wattpad, jamais je ne vous éditerais. »


Mais alors qu'ils discutaient, Himiko avait déjà lancé son assaut. Elle portait désormais une armure assez similaire à celle d'Azéthys, mais malgré tout différente. D'une vitesse ahurissante, elle alla attaquer sa fille, Hakaze, qui pour toute réponse vint s'écraser sur sa mère, laissant la collision provoquer une onde électrochoc qui sembla tous nous électriser.


La bataille finale avait commencé, et ce n'était que le premier acte.





Spoiler :


Hakaze repoussa sa mère d'une facilité déconcertante. Le nuage de fumée se dissipa, me laissant voir ce que je redoutais. Mon amie était désormais habillée d'une armure similaire à celle de Zéphyra, à l'exception qu'elle était colorée de rouge. Elle dégageait une aura obscure qui suffisait à me glacer le sang. La fille de Soichiro n'était plus du tout la jeune femme bienveillante qui savait toujours me tirer vers le haut et révéler le meilleur de mes capacités. Il ne restait d'elle qu'une existence déformée par les ténèbres et les remords, capable du pire pour ses convictions.


Soichiro claqua de nouveau sa pierre au sol, laissant également apparaître Zéphyra, celle de la petite Hakaze cette fois puisque la mienne se trouvait encore en Izrath, à ses côtés. Ils se jetèrent tous les deux sur l'alliée de Reisuke qui, au lieu de se laisser intimider, se défit de son père et l'Izrathienne d'un geste bref. Les parents et leur camarade grimacèrent face à leur piètre performance, tandis que Hakaze gardait un air neutre.


« JPP !! hurla Nathan, apparemment contrarié. Criticize : Change tes persos ! »


Il se mit à luire d'une lueur aussi jaune que ses cheveux qui s'agitèrent au gré de la pression de son énergie. Il déploya ses bras afin de prendre une position de combat, mais lorsqu'il reprit la parole, ce fut une toute autre chose qu'il se passa.


« C'est quoi ton but finalement !? cracha le jeune homme. Tu te fais manipuler par le premier méchant en carton qui passe juste parce qu'il t'a promis un rêve inaccessible !? Laisse-moi rire. Tu vaux pas mieux qu'Erika. »


À la suite de ces mots, des chiffres apparurent au-dessus du blond à lunettes. Un nombre étincelant : 70. Je ne compris pas immédiatement ce qu'il en était mais la lueur redoubla d'intensité, laissant le guerrier d'ETHER devenir soudainement beaucoup plus puissant. Je ne saisis pas vraiment ce qu'il en était, mais je pus vite déduire la réponse. Il critiquait son adversaire, et plus la critique était lourde et avait d'impact, plus le gain accordé à son instigateur était important.


Alors qu'il fonçait sur Hakaze en projetant toute la puissance qu'il avait accumulée il fut secondé par Honest, qui, tenant toujours les lambeaux de son Bescherelle dans les mains.


« Ouragan. Nom masculin. Tempête très violente, où la vitesse du vent dépasse 120 km à l'heure. »


Aussitôt dit, il généra un ouragan si puissant qu'il sembla emporter avec lui tout ce qui se trouvait sur l'espace de bataille. Nathan soupira.


« Sérieusement !? Tu n'as rien d'autre à faire que de sortir quelque chose qui peut balayer tes coéquipiers au passage !? Non mais JPP de toi !! »


Le score de 75 s'afficha au-dessus du rabat-joie d'ETHER, ce qui décupla sa puissance. Cela lui permit de bondir dans la tempête en y déployant la totalité du pouvoir généré par sa critique, en direction de Hakaze.


Cette dernière soupira, et à vrai dire je pouvais la comprendre. Ces deux-là ressemblaient bien plus à un duo de comiques qu'à des combattants. Pourtant, lorsque l'attaque vint jusqu'à elle, elle transperça le bouclier d'ombre que la jeune femme avait généré, jusqu'à s'écraser sur elle dans un vacarme assourdissant.


Elle fut projetée contre les parois invisibles de l'espace de combat qu'elle heurta avec violence. Elle ne prit pas le temps de se relever qu'elle revint comme une fusée, prise d'une rage folle. Fixant les adversaires qui lui faisaient face, elle entama une incantation :


« Sanctum : Bright Slice. déclara-t-elle sans état d'âme. »


Son seul doigt devint aussi tranchant qu'une lame, et aussi étincelant que le soleil lui-même. Elle le mania avec légèreté et attaqua Nathan en donnant des coups de parts et d'autres qu'il peinait à esquiver. Il fallait dire que l'arme de la femme était aussi puissante qu'une épée tout en étant aussi agile et précise qu'un doigt humain, ce qui lui permettait d'attaquer rapidement, efficacement, et avec précision. Nathan ne parvint pas à esquiver toutes les attaques, ce qui lui valut des lacérations dispersées sur le torse et sur ses vêtements. Il se fit ensuite propulser par la jeune femme qui le mit KO en quelques instants.


Honest attaqua de derrière, assisté par Soichiro. Ensemble ils générèrent beaucoup de puissance glaciale qu'ils tentèrent d'utiliser contre Hakaze, mais, armée de son seul doigt, elle réussit à briser les épais écrans miroirs avant de neutraliser ses ennemis d'un geste furtif et rapide, comme l'on expédiait une tâche trop barbante.


Les trois hommes tombèrent au sol, incapable de se mouvoir. Elle les avait terrassés, et cela me faisait très peur. Elle avait réduit au silence l'homme ayant tenu tête à un individu aussi puissant que Ricky Sawyer, tout en neutralisant les deux autres membres de son équipe au passage.


Il ne restait plus que Himiko, la mère de mon amie. Elle resta droite, dévisageant sa fille d'une expression extrêmement contrariée. Elle serra les poings, grimaçant face à la démonstration de force déployée par Hakaze.


« Utiliser ces attaques qui viennent directement du sanctuaire céleste pour nous réduire au silence. Honte à toi, Hakaze. Tu utilises un héritage familial pour attaquer ta propre famille.


— Je sauve ma famille, nuance, reprit calmement la ténébreuse. Tout recommencera pour nous tous, et nous célèbrerons la vie… Enfin vous la fêterez, sans moi.


— Tu es aussi butée que ton père. Eh bien soit, je vais t'en empêcher pour de bon. Sanctum : Holy wings ! »


Himiko se mit à rayonner d'un éclat blanc qui se dissipa en quelques secondes. Cependant, à ma grande surprise, deux grandes ailes aussi étincelantes qu'un diamant lui poussèrent dans le dos, la laissant s'envoler dans l'espace avant d'atterrir gracieusement sur ses jambes. Le simple battement de ces ailes semblait secouer l'atmosphère elle-même, projetant à chaque fois de la poussière d'étoile qui scintillait quelques secondes avant de disparaître dans un souvenir dissipé.


Elle se jeta sur sa fille qui n'eut pas le temps d'esquiver son attaque. Elle tenta bien de se défendre avec « Bright Slice », mais c'était peine perdue. Himiko semblait connaître toutes les ficelles du sortilège de la brune, ce qui lui permettait d'esquiver, voir de contenir toutes les tentatives de mon amie Hakaze. Cette dernière grimaça, laisser entrevoir de l'insatisfaction pour la première fois depuis notre arrivée. La lueur autour d'elle fut de plus en plus éclatante, jusqu'à arriver à explosion, littéralement.


Elle sembla exploser, exactement comme une bombe l'aurait fait. Himiko se saisit rapidement des trois hommes gisant au sol, les extirpant in-extremis de l'assaut. Une fois la fumée dissipée, je pus constater que Hakaze était indemne. Malgré le fait qu'elle était réceptacle de chacune de ses attaques destructrices, la jeune fille ne subissait aucun dégât. Bien au contraire, j'avais l'impression qu'elle était même plus puissante chaque fois qu'elle provoquait une de ces explosions


Je déglutis. Elle semblait aussi puissante qu'un monstre. Je n'avais jamais vu une telle force chez qui que ce soit, y compris Reisuke qui était déjà assez fort lui-même. Je commençai à douter. Peut-être avions-nous pris cette mission trop à la légère, ou nous avions été trop présomptueux en nous surestimant.


Pourtant, la femme aux cheveux blancs ne se laissait pas démonter, bien au contraire. Elle prit son envol, gagnant de l'altitude jusqu'à pouvoir regarder sa fille de suffisamment haut, et lorsqu'elle fut prête, elle projeta de la paume de sa main droite une multitude de sphères luminescentes et multicolores qui s'écrasèrent sur Hakaze.


La malheureuse utilisa son doigt pour dévier tous les projectiles, mais ils étaient bien trop nombreux. Elle ne put pas tous les neutraliser, ce qui lui fit encaisser des dégâts considérables, acculée par la quantité bien trop importante lui étant tombée dessus.


Elle se ressaisit, mais la mère était déjà face à elle. Himiko se saisit du cou de son adversaire afin de l'immobiliser, et tandis que sa fille essayait de se débattre, elle généra une puissante énergie couleur blanchâtre qui vint s'écraser sur la brune, la laissant cracher un filet de sang en s'écroulant au sol.


Himiko se tourna, comme laissant pour vaincue sa progéniture. Cette dernière, haletant comme si elle avait bataillé durant des heures, prit la parole.


« Dis Himiko, entama-t-elle d'une voix à moitié morte. Pourquoi veux-tu m'empêcher de choisir cette route alors que tu projettes de faire exactement la même chose que moi ? »


Soichiro, qui reprit ses esprits, n'eut pas le temps de se poser la moindre interrogation que sa femme l'avait déjà réduit au silence pour de bon, le faisant perdre connaissance de nouveau. La maîtresse de la guilde ETHER grimaça face à la question pour le moins très franche de sa progéniture. Elle ne répondit pas, se contentant d'ignorer la brune, mais cela n'eut aucun effet positif. En effet, cela lui donna la force de se relever et de se dresser contre sa mère, avec toute la détermination du monde ancrée dans son regard à la fois féroce et impassible.


Toujours dans l'armure de Zéphyra, la jeune femme se propulsa droit contre sa mère, qui utilisa la même barrière qu'elle pour la repousser, avant d'enchaîner par un puissant battement d'ailes qui repoussa la fille quelques mètres plus loin.


« Je vais en finir une bonne fois pour toutes, reprit Hakaze. Sanctum : Nitescia ! »


Elle leva le bras au ciel. Dans la paume de sa main apparut une sphère d'énergie extrêmement puissante qui grossissait au fil des secondes d'une rapidité incroyable. La croissance de l'attaque était telle qu'elle atteint le double de son volume originel au bout de vingt secondes, puis le triple en une minute. Lorsqu'elle fut totalement chargée, la brune projeta sa toute puissance sur la mère qui, affolée, était complètement à la merci de l'assaut. Il s'écrasa sur elle, soulevant un immense nuage de fumée qui me fit tousser.


« Il semblerait que je sois arrivé à temps, reprit une voix grave et sérieuse, comme touchée par le chagrin. Damoiselle Hakaze, vous me faites énormément de peine. »


Medrawt apparut, portant dans ses bras Himiko qu'il avait protégé de l'impact. Il atterrit gracieusement en la gardant en sécurité, la déposant ensuite gentiment au sol. Il dégaina son épée avant de la pointer sur Hakaze, l'air à la fois outré et extrêmement triste.


« Je suis désolé d'être arrivé si tard mes amis, je couchais Hakaze.


— Je te remercie d'avoir veillé sur elle, Medrawt, reprit la femme aux cheveux blancs. Je m'inquiète beaucoup pour ma fille, et la savoir avec toi dissipe mes craintes.


— C'est naturel, répondit le chevalier. Après tout, je lui dois la vie. Vous ferez cependant attention. Depuis peu elle fait des cauchemars dans lesquels elle crie qu'elle ne veut pas se marier à « ce grand dadais tout moche et inutile ». »


Je soupirai. Tout ça grâce à la merveilleuse intervention de cette chère Laïla. Elle avait tiré profit de mes sentiments pour s'amuser de mon infortune, et cela avait l'air de marcher. Comment manipuler une enfant ? Elle était experte.


Je posai de nouveau mes yeux sur l'affrontement entre Medrawt, Hakaze et Himiko. Les deux partenaires improvisés attaquèrent en totale coordination, comme s'ils avaient toujours combattu côte à côte. C'était stupéfiant. Ils étaient extrêmement complices dans leurs attaques. Un regard suffisait pour indiquer à l'autre ce qu'il devait faire ou non, et grâce à cet esprit d'équipe, ils prirent le dessus sur la jeune femme.


Lorsque Hakaze voulut reprendre l'avantage, décidée à ne pas se laisser faire, elle témoigna d'une force prodigieuse qui semblait encore monter en puissance. Elle dirigea son attaque droit sur sa mère, se lançant tête la première dans une course effrénée vers Himiko qui, se remettant de l'assaut qu'elle venait de lancer, ne pouvait pas rétorquer.


Cependant, lorsque le coup alla se poser sur la femme aux cheveux blancs, ce fut le chevalier en armure qui encaissa l'attaque en s'interposant, prenant tous les dégâts sur lui. Il grimaça, soutenant la pression de son regard dans celui de son adversaire.


« Toujours pas décidée à entamer un dialogue ? lâcha le chevalier noble, aussi sérieux que quelqu'un de normal. Dois-je utiliser la force pour te faire entendre raison ?


— Si tu me connais si bien tu dois savoir que j'ignore le sens de ce mot., répondit Hakaze, toujours aussi impassible.


— Raison, reprit Honest qui avait soudainement regagné conscience. Nom féminin. Ensemble des facultés intellectuelles, considérées dans leur état ou leur fonctionnement normal. »


À l'instant précis où il prononça ces mots, Hakaze fut prise d'un doute. Le jeune homme n'eut même pas le temps de voir ce qu'il venait de faire, puisqu'il s'écroula ensuite, mais j'eus l'impression qu'il avait changé quelque chose en Hakaze.


« JPP… soupira Nathan… Une définition du dictionnaire et elle vacille tellement elle est fragile. »


Le score de 95 s'afficha au-dessus du corps de Nathan qui perdit connaissance à son tour, avant de s'écraser sur Hakaze qui fut propulsée au loin par la puissance dévastatrice de l'attaque.


Ce fut au tour de Soichiro d'agir. Il n'attaqua pas. Il rassembla ses forces, se levant péniblement, afin de bondir et rattraper sa fille avant qu'elle ne s'écrase. Il se contenta enfin de la serrer dans ses bras, avant de murmurer quelques mots lui étant destinés.


« Tu ne m'as jamais fait souffrir Hakaze. Je t'aime plus que tout au monde. Bien plus que Zéphyra, Azéthys, ou même Violet. Tu es mon inestimable trésor. Jamais je ne pourrais vivre dans un monde exempt de ta présence. Si c'était le cas, alors je serais à ta place, et je modifierais le cours du temps pour revenir dans un univers où je peux te serrer dans mes bras. »


Les yeux de Hakaze s'écarquillèrent face à la déclaration de son père. L'espace d'un instant, elle reprit ses esprits. Je distinguai ses yeux revenir à leur vert habituel tandis que des larmes se dessinaient sur son visage meurtri par le chagrin. Je fus soulagé. Hakaze était redevenue elle-même.


Pourtant, mon répit ne fut que de courte durée, puisque ses yeux reprirent leur noirceur malsaine, et en l'espace d'une seconde, elle ressortit la lame « Bright Slice » générée à son doigt et trancha sèchement son père qui s'écoula au sol.


Himiko lâcha un hurlement d'effroi, tandis que je ne réalisai pas ce que cela impliquait vraiment. Soichiro s'était écroulé au sol, comme figé dans le temps, sous nos regards impuissants. Hakaze se mit à éclater de rire en titubant à plusieurs reprises, se prenant la tête dans les mains comme si elle allait tomber sans le support de ses membres. Jamais je n'avais vu mon amie avec une telle expression. Ni elle, ni personne d'ailleurs. Elle était lugubre et inquiétante.


Elle continuait à rire frénétiquement, comme une personne étant à bout mentalement. Cela n'avait rien de naturel. On sentait toute la pression de ses nerfs dans ses effusions de joie qui n'en étaient finalement certainement pas. Dans ses yeux, je ne lisais plus rien. Ni peine, ni regret, ni joie. Il ne restait de mon amie qu'une coquille vide déformée par ses tourments et son désespoir.


Himiko s'écroula sur les genoux, cherchant à soigner du mieux possible celui qu'elle aimait. Elle était mobilisée par l'urgence à laquelle elle faisait face.


« Ne cherche pas à le soigner ! hurla Hakaze entre deux crises de fou rire. Quand je vous aurai tous réduits au silence, je pourrai modifier le passé et vous renaîtrez tous ! Je vous sauverai tous de cette issue fatale à laquelle vous faites face ! Finies les épreuves qui vous ont gâché la vie, je vais vous sauver, tous ! »


Elle fit se soulever un grondement énorme tandis que tout l'espace alentour semblait trembler sous la pression de son pouvoir. Des décharges électriques sortirent de partout et de nulle part, nous forçant même à nous protéger en vitesse, Erika et Moi. Himiko repoussait toutes les attaques de l'environnement, à la fois écrasée par l'état de son mari et celui de sa fille qui éclatait de rire en déployant ses bras et levant son regard vers le haut de la galaxie.


« Pardonnez-moi. Damoiselle Hakaze. »


Une seconde. Elle n'était pas attentive. Elle avait perdu la raison. Et finalement, beaucoup plus rapidement qu'il ne fallait pour le dire, il eut planté son épée dans l'abdomen de la jeune femme. Les rires cessèrent, ses yeux s'écarquillèrent, et une nouvelle fois son regard retrouva son éclat normal.


Le blond retira son épée, laissant sa maîtresse tomber sur les genoux, encore bouche bée par l'attaque du jeune homme. Je serrai les poings face à ce triste spectacle. Hakaze avait retrouvé ses esprits. Elle considéra tout le monde de son regard à moitié mort, avant d'afficher un sourire empreint de tristesse.


« Tu as pris la bonne décision Medrawt, le félicita la jeune femme, faible. Merci d'avoir mis un terme à toute cette folie… Mon ami…


— Je te sauverai ! hurlèrent Himiko et Erika ensemble, alors que notre prison disparut. »


Nous nous ruâmes, moi et Erika sur la jeune femme qui se laissa tomber au sol. Je la pris sur mes genoux, cherchant au fond de moi pourquoi nous en étions arrivés ici… Sans succès.


« Je suis désolée pour tout ce que j'ai fait… Hiroki, Erika. J'aurais voulu que tout se passe autrement.


— Hakaze… bégaya Erika. Pitié… Ne pars pas…J'ai…J'ai besoin de toi… Tu as toujours été là pour moi, on a partagé des moments drôles, des peines, des joies… Je voulais être là pour toi comme tu l'as été pour moi… Si… Si tu me laisses maintenant… Il me reste plus rien…


— C'est faux, bredouilla faiblement Hakaze. Il vous reste Reisuke. Arrêtez le, et repartez ensemble, comme vous devez le faire.


— Mais Hakaze ! hurla Erika qui ne voulait pas s'y résoudre. C'est impossible pour moi de te laisser ici !


— Erika… Vivre dans un monde de noirceur…C'est se condamner à la solitude. Le bonheur est simple. Il suffit de regarder le ciel, les nuages, les arbres, la vie… Des miracles se produisent au quotidien… Il faut simplement être assez ouvert d'esprit pour les voir.


— Hakaze… murmurai-je, la gorge nouée par l'émotion. Je…


— Tais-toi Hiroki, répondit-elle, douce. Je le sais. Moi aussi je t'aime du plus profond de mon cœur. Tu as toujours été celui qui brillait le plus à mes yeux. Ta gentillesse, ta douceur, ton ouverture d'esprit, et même ta capacité à me faire tourner en bourrique…font de toi l'homme que j'aime. »


Elle marqua une pause pour respirer, et reprit finalement en s'adressant à sa mère.


« Sauve papa, et dis-lui que je suis désolée… Je vous aime plus que tout au monde, tous les deux.


— Je le ferai… répondit Himiko. Et toi aussi, je te sauverai. »


La brune sourit. Avant de se tourner vers moi, l'expression à moitié éteinte.


« Tu te rappelles de notre promesse, Hiroki ?


— Bien évidemment… répondis-je, ne voulant pas m'en souvenir.


— Alors, exécute-toi. Mon amour. »


Je fis ce que Hakaze m'ordonna. Déposant mes lèvres sur les siennes, j'entrouvris sa bouche afin qu'elle rende son dernier souffle dans un baiser. Je sentis une bouffée d'air arriver en moi, comme si elle me l'avait insufflée… Et lorsque mes lèvres se détachèrent des siennes, je ne distinguai plus aucun signe de vie de celle que j'aimais.


« Dis Hiroki ? résonnait une voix fluette dans ma tête, comme pour me rappeler ce souvenir. J'ai lu dans un ouvrage de mon père que chez les Indiens d'Amérique, quand un camarade meurt, sa famille ou ses amis aspirent son dernier souffle afin de le garder avec lui. Tu ne trouves pas ça magnifique ?


— Moui, répondis-je sans grande conviction. Pourquoi tu me dis ça maintenant ?


— Parce que je voudrais qu'on se fasse une promesse. Si un jour l'un de nous meurt, alors l'autre doit lui prendre son dernier souffle, pour que l'on reste toujours ensemble, pour l'éternité, d'accord ?


— Si tu veux… »


Je lâchai un cri de rage, accompagné par toutes les larmes de mon corps. Une partie de moi venait de mourir, si ce n'était pas mon être complet qui m'avait quitté en même temps que Hakaze.


J'étais désormais seul, accompagné par le vide.





Spoiler :


J'étais seul, et rien ni personne ne pouvait me tirer de ma solitude. J'étais désarmé, abasourdi, détruit de l'intérieur alors que dans mes bras reposait celle que j'aimais du plus profond de mon âme. Je me voyais déjà l'embrasser, l'épouser, fonder une famille avec elle, mais la vie m'avait rattrapé et aujourd'hui elle gisait sur moi, inerte.


Je pleurais, jusqu'à brouiller ma vision. Je ne distinguai rapidement plus les formes. Mon nez coulait autant que mes yeux, j'avais l'impression de me vider de partout. J'avais l'impression que mon existence même n'avait plus aucun sens sans Hakaze, alors que mon petit-frère était toujours aux prises avec la folie, à deux doigts de détruire le monde. Mais tout cela n'avait plus aucun sens. Si elle n'était plus présente pour tirer le meilleur de moi-même, alors je redevenais un moins que rien, incapable de remplir la moindre mission. Je retournais dans les ombres desquelles elle m'avait tiré afin de disparaître de nouveau, seul et en peine.


Je restai avec mon âme sœur reposant sur mes genoux, ne réalisant pas la situation dans laquelle je me trouvais. La porte vers Indy et Reisuke venait d'apparaître, et nous pouvions l'emprunter sans le moindre scrupule ni remord, mais je n'y arrivais pas. Cependant, à ma grande surprise, ce fut Erika qui m'y entraîna. Elle me tirait par le bras, me faisant lâcher Hakaze. Je ne compris pas tout de suite le pourquoi elle était prête à abandonner ma chère et tendre derrière, mais lorsque je constatai son visage, je m'aperçus de la réalité.


Erika pleurait autant que moi. Elle était déchirée elle aussi, mais elle se relevait. Elle était plus forte que moi, la blonde. Elle était capable de se relever pour donner sa chance au monde, alors que de mon côté, je me fichais de son sort si je ne pouvais pas l'habiter en compagnie de ma seule et unique. Pourtant, elle s'obstinait à m'entraîner avec elle. Si Erika tenait tant à aller affronter Reisuke et Indy, elle n'avait qu'à le faire toute seule. Après-tout, dans le présent, une vie tranquille avec Reisuke l'attendait, tandis que moi j'étais condamné à errer dans un monde sans Hakaze. C'était injuste. Terriblement injuste, alors que nous n'avions rien demandé d'autre que de vivre heureux.


Luna et Erika me transportèrent de force par un sort de la plus âgée des deux. Ensemble elles continuèrent jusqu'au prochain espace étrange dans lequel nous allions atterrir, ne se souciant même pas de mes sentiments et de mes décisions. Ainsi, nous atterrîmes dans un environnement similaire à celui dans lequel nous avions affronté Hakaze.


« Hiroki, il faut que tu te ressaisisses ! me sermonna Erika. Ce n'est pas le moment de te laisser abattre ! Est-ce que tu comptes sauver ton frère en agissant de la sorte !?


— Sans Hakaze… murmurai-je de manière robotique… Rien n'a plus de sens.


— Il est inutile d'essayer de le ramener dans son état normal, interrompit une voix n'étant ni celle de Luna, ni celle d'Erika. Il est fini. »


Erika considéra la personne qui avait prononcé ces mots, et sans surprise, il s'agissait d'Indy Muller. L'Indienne était apparue de nulle part, exactement comme Hakaze l'avait fait juste avant ce terrible affrontement. Elle s'avança vers les deux femmes d'un air mystérieux doublé d'une profonde satisfaction. Son sourire était prononcé. Elle était heureuse de constater cette tournure des choses et ne s'en cachait pas. Pourtant, quelque chose clochait. Certes, la femme était avant tout présente pour protéger Reisuke, mais j'avais le sentiment qu'il y avait bien plus que cette histoire.


Car les regards lancés à Erika étaient assez particuliers. Elle ne considérait pas Erika comme une jeune fille parmi les autres, non. Une expression de haine était gravée dans les yeux d'Indy chaque fois qu'elle regardait mon amie la blonde. Comme si cette dernière lui avait fait quelque chose de personnel.


« Cela fait des mois que j'attends ton retour, Erika Kurenai, lança l'Indienne, méprisante.


— Et que me veux-tu ? reprit mon amie, dubitative. Tu veux m'affronter par pure jalousie ?


— Jalousie ? s'amusa son interlocutrice. S'il te plaît, je n'ai pas besoin d'être jalouse. J'ai bien plus que toi. Je suis la nouvelle maire de cette ville, future ambassadrice d'un monde nouveau, et même lui est à moi.


— Lui ? s'interrogea Luna, sur ses gardes. Alors tu le manipules ?


— Je ne le manipule pas. Je lui apporte simplement un soutien émotionnel non négligeable afin de lui donner confiance et lui montrer toutes les opportunités qu'il peut saisir. Je suis tout pour lui. Son outil, sa camarade, son amante, sa force.


— Son amante ? reprit Erika, déjà en colère. Explique-toi.


— Il n'y a rien à expliquer. soupira l'Indienne. Vois la réalité en face, tu as perdu sur toute la ligne. Reisuke est mien, et il a fait de moi la sienne. Tu as beau le connaître depuis des lustres, jamais tu ne partageras un lien si fort que celui que le nôtre.


— Alors tu fais tout ça… Juste pour l'amour d'un homme ? s'interrogea Luna.


— Oh non, ne te méprends pas., sourit Indy l'air léger. Je ne fais pas ça simplement pour l'amour de Reisuke. Si je devais donner une raison à mes agissements… Disons que j'aimerais voir ce que c'est qu'un monde détruit. J'aimerais contempler ce qu'est un univers de désespoir, juste par curiosité. »


Avais-je bien entendu ? Indy se battait simplement pour voir un monde détruit ? Était-ce vraiment possible d'agir de la sorte et mettre des vies en jeu par curiosité ? Je ne voulais pas vraiment y croire. Hakaze ne pouvait pas avoir payé sa vie juste pour répondre aux questions sordides d'une folle. Pourtant, quand je regardais l'Indienne, elle n'avait pas l'air de mentir. Elle était sûre d'elle, et semblait authentique. Sans aucun doute, ni remord.


« J'ai un compte personnel à régler avec toi Erika, lança la jeune fille en désignant mon amie du doigt. Car si nous sommes tous dans cette situation, c'est entièrement ta faute.


— Je le sais, reprit l'intéressée en grimaçant. Et c'est bien parce que je suis à l'origine de ce voyage dans le temps que je sauverai mon Rei. C'est ma responsabilité.


— Je ne parle pas de ça, rétorqua Indy en fronçant les sourcils. Tu peux berner tout le monde autour de toi, mais cela ne prend pas avec moi. Je sais ce que tu caches, Erika Kurenai. Je sais tout de toi. »


Les mots d'Indy laissèrent un silence derrière eux, comme s'ils avaient figé l'instant l'espace de quelques secondes. Moi et Luna nous scrutâmes Erika, qui, baissant la tête, n'avait toujours pas répondu. Je cherchais la jeune femme du regard, tandis que j'attendais sa réponse qui allait la blanchir. Cependant, au lieu de prendre la parole afin de dissiper mes doutes, elle eut un tout autre comportement.


En une fraction de secondes, la princesse des serpents apparut aux côtés de mon amie, laissant cette dernière reprendre l'apparence qu'elle avait lorsqu'elle se battait avec Toratura. Cheveux blancs, yeux pourpres, se dressant fièrement derrière un reptile féminin fait d'écailles et de chevelure de serpent… La reine des reptiles était de nouveau parmi nous, se plaçant entre Indy et sa propriétaire.


Les deux partenaires lancèrent un regard glacial à l'Indienne qui se contenta de lui renvoyer un sourire narquois. Il n'en fallut pas plus pour que Toratura et Erika ne se jettent sur Indy, accompagnées par une puissance rougeâtre. Elles projetèrent une onde énergétique droit sur la brune qui leur faisait face, mais comme je m'y attendais, cette dernière dévia très facilement l'assaut, restant indemne et inaccessible.


« C'est mesquin, s'amusa-t-elle. Ne pas répondre aux questions et passer directement à la bataille, c'est typique d'un comportement de fille qui a des choses à se reprocher. Allez, Erika ! Dis-nous ce que tu as sur le cœur ! J'aimerais l'entendre de ta bouche !


— Je n'ai rien à te dire ! rétorqua blonde aux cheveux bouclés. Écarte-toi ! mon Rei m'attend !


— Je regrette, mais il est hors de question que je renonce maintenant. J'ai beaucoup entrepris pour en arriver ici, et je compte aller jusqu'au bout. Mais ne t'en fais pas, je te garderai en vie, afin que tu constates ton échec cuisant ! »


Indy reprit son calme, murmurant tout simplement :


« Ziakwer, il est temps de préserver le futur. »


Une épaisse couche d'ombre se forma devant Indy, absorbant les attaques provenant d'Erika et Toratura. En moins d'une minute, la masse ténébreuse prit forme. Une apparence humaine, d'un homme au teint pâle et aux cheveux noirs. L'individu semblant d'âge avancé affichait un visage terne aux rides creusées, dont l'obscurité s'en dégageant était soulignée par une tenue noire et un Fedora de la même couleur. Une longue cape obscure lui tombait dans le dos, virevoltant au gré de la pression atmosphérique générée par son apparition.


Il ne prit même pas la parole. Il se rua sur l'Izrathienne du côté de mon amie et lui asséna un puissant coup de poing qui la fit se plier sous la douleur. Mais quelque chose me fit réagir. Au moment précis où Ziakwer toucha la princesse des serpents, ses cheveux changèrent de couleur pour virer au bleu nuit, alors que sa peau attrapa le teint de Toratura. Je ne compris pas ce que cela voulait dire au départ, mais lorsqu'il cracha une traînée de venin sur son adversaire, je réalisai.


Mais je n'eus pas le temps de l'expliquer. Ziakwer venait de se faire éjecter avant même de pouvoir enchaîner une autre attaque. Surpris, je me tournai rapidement vers Erika, mais l'attaque ne venait pas d'elle. Luna était arrivée à ses côtés, en position de combat, prête à en découdre.


« Peu importe le degré de responsabilité d'Erika, lança la femme, assurée. Ce que vous souhaitez faire est mal, et nombreux innocents paieront pour un conflit personnel. Je t'arrêterai, Indy.


— Peu importe le nombre de personnes qui périront, répondit Indy en haussant les épaules. L'éternité n'a pas d'horloge. Qu'ils meurent maintenant ou dans vingt ans, l'éternité les attend derrière la mort, et là-bas, les dates n'auront plus de sens. »


Cela ne convainquit pas Luna qui, d'un geste de la main, fit briller toutes les étoiles autour de nous d'un éclat intense. Tous les luminaires célestes s'allumaient les uns après les autres à une vitesse folle, avant de tous projeter un faisceau lumineux groupé qui s'abattit en quelques secondes sur Ziakwer, l'Izrathien d'Indy. L'homme ne se laissa pas décontenancer. Il se contenta de disparaître dans une faible quantité d'air obscur qui se dissipa avant même que l'attaque ne le touche. Il réapparut ensuite derrière l'instigatrice, ayant déjà chargé dans sa main droite de l'énergie mauve qu'il allait lui projeter, mais Erika le prit de cours. Toratura s'écrasa contre lui, le plaquant au sol, tandis que mon amie la blonde, elle, chargea de l'énergie afin de se ruer directement sur Indy, la propriétaire de Ziakwer.


L'Indienne esquiva gracieusement l'attaque de mon amie en faisant une pirouette arrière, avant d'elle-même attaquer, l'énergie chargée dans ses membres. S'ensuivit un échange acharné dans lequel la blonde et la brune se donnaient des coups de poings et de pieds, et paraient ceux provenant de l'adversaire, jusqu'à ce que l'une d'entre elles ne soit plus capable de répondre aux assauts de l'autre.


Ziakwer quant à lui, bataillait toujours avec Luna. Les deux individus testaient chacun leur magie l'un contre l'autre, tandis que Toratura, elle, rejoint la bataille aux côtés d'Erika. Cependant, alors que la sœur du soleil d'Héliopolis déclenchait des sorts tous plus puissants les uns que les autres, l'homme à la barbe prononçait se contentait de les contenir sans difficulté, comme s'il avait déjà affronté des pouvoirs de cette envergure.


« J'ai passé vingt-cinq ans à lutter contre les forces du mal, déclara l'homme de sa voix grave et profonde. Ta magie n'est que de la prestidigitation de seconde zone pour moi, jeune Égyptienne.


— Seuls les faibles s'arrêtent à l'écart entre les puissances pures et brutes, reprit Luna, sérieuse. Un grand guerrier sait franchir les fossés entre ses capacités et celles des autres, peu importe l'adversaire. Alors viens, je te vaincrai, aussi faible suis-je à tes yeux. »


Elle déploya son bras droit vers l'homme au Fedora, projetant un rayon éclatant comme le soleil d'un diamètre d'au moins trois mètres en sa direction. Dans toute sa puissance, Ziakwer le désintégra d'un geste furtif qui me donna l'impression qu'il coupa en deux la projection, mais cela ne suffit pas pour déranger la prêtresse d'Heliopolis, bien au contraire, puisqu'à la grande surprise de l'Izrathien d'Indy, quelque chose clochait.


En effet, le rayon en question, découpé par la puissance de Ziakwer, s'était scindé en deux, et rapidement en trois ou quatre-cent dragons à la peau scintillante et aux yeux clairs qui apparurent dans l'espace de bataille. De tailles variables, ils s'élevèrent tous en même temps, poussant un cri strident à l'unisson, avant de se jeter sur l'homme au teint pâle qui ne se laissait pourtant pas décontenancer par un tel revirement.


Luna orchestrait leurs attaques du doigt, comme un chef d'orchestre. Elle dirigeait la masse de créatures par des gestes de la main devenue aussi luminescente que sa création. Ils étaient rapides, elle était réactive. Alors ensemble ils formaient un duo approchant la perfection. La nuée étincelante s'écrasa donc sur Ziakwer qui, cette fois, ne put rien faire d'autre que se laisser projeter contre les parois de l'espace. Cependant, Indy qui s'était aperçue de la scène, bondit en utilisant sa réserve de pouvoir afin de rattraper son acolyte en vol. Elle fut suivie par Erika qui n'en avait pas fini avec elle, mais en guise de réponse, ce fut l'Izrathien de l'Indienne qui lança une ombre si puissante qu'elle projeta mon amie droit vers le sol. Ziakwer rayonna d'une lueur intense de couleur mauve qui se mêla à celle d'Indy. Il attrapa le col de la femme, avant de tout simplement la projeter droit sur Luna d'un geste sec et montrant toute la puissance de l'homme au Fedora.


L'Indienne arriva à la vitesse de la lumière sur Luna, projetée telle une torpille. Toratura s'interposa entre elle et l'Égyptienne, mobilisant toute la puissance à l'intérieur d'elle pour lancer une attaque empoisonnée destiner à lutter contre le tourbillon dévastateur qu'était devenue Indy. Les deux énergies s'entrechoquèrent, laissant la collision déclarer un bras de fer spirituel dont dépendrait sûrement l'issue du match. Un tourbillon mauve affrontait une spirale violette tirant sur le noir, tandis que je regardais la scène, encore bien trop fracassé par la disparition de Hakaze pour tenter quoi que ce soit.


Luna appela ses dragons qu'elle mobilisa pour aider Toratura, suivie par Erika qui, supportant son Izrathienne, se positionna à ses côtés en lui fournissant son énergie spirituelle. Quant à Ziakwer, il prit aussi position derrière Indy, sur laquelle il appliquait une espèce de sort que je ne pouvais discerner.


Pendant quelques longues secondes, tous les efforts de l'équipe Erika se mesuraient à ceux de l'équipe Indy, et aucune des deux ne voulait laisser l'autre prendre le dessus.


Lorsque les pouvoirs se dissipèrent, ils firent match nul. L'enjeu était de savoir laquelle des protagonistes allait se reprendre en premier, et malheureusement, ce fut Indy. Haletante, elle trouva néanmoins le temps de disparaître en une fraction de secondes, avant de réapparaître derrière Erika. Elle s'agrippa derrière la blonde en enroulant ses jambes autour de son cou telle un serpent qui mesurait le gabarit de son prochain repas, et chargea une onde d'énergie puissante au creux de la paume de ses mains.


Une vision me vint soudain. Erika avait réussi à déjouer la puissance, mais Ziakwer allait l'attaquer furtivement afin de l'éliminer une bonne fois pour toutes. Elle en ressortirait gravement blessée et Indy finirait prendre le dessus. Cette scène me tira de mon état de transe. À quoi étais-je en train de jouer, à me morfondre de la sorte ? Tout ce que j'allais gagner en agissant ainsi, cela allait être de perdre Reisuke et Erika en plus de Hakaze. Tout le temps me serait donné après ce conflit, mais il fallait que je réagisse immédiatement si je voulais éviter une telle destinée à mon amie.


« Erika ! hurlai-je. Attention à Ziakwer ! »


Elle réagit trop tard. L'homme à la cape s'était déjà propulsé furtivement contre elle. Mais ce n'était pas encore la fin pour mon amie la blonde, puisque je plongeai, déterminé à dévier le coup porté par l'Izrathien. Mon cœur sembla répondre à ma demande, puisque je fus pris d'un seul coup d'un pouvoir assez intense qui m'accorda ce souhait. Ainsi, je percutai Ziakwer, et nous allâmes ensemble nous écraser au loin. Cependant, Luna avait déjà réagi bien avant tout le monde. Elle envoya sa horde de dragons étincelants qui percutèrent l'homme au Fedora en vol, le projetant droit contre le sol. Il poussa un hurlement de douleur, tandis que Indy, elle, lâcha un « Ziakwer !! » de surprise et d'effroi. Cela permit à Erika de se débattre de l'emprise de l'Indienne, avant d'envoyer la princesse des serpents qui écrasa sa longue queue rugueuse sur la jeune fille, soulevant une explosion d'énergie intense sur elle.


Indy était à terre, tout comme Ziakwer. Mais alors que nous allions passer à l'attaque finale afin de les réduire au silence, nous fûmes interrompus par un bruit strident et intense, comme un sifflement qui venait percuter nos oreilles en permanence. Je lançai un regard à Erika, qui ne voyait pas de quoi il pouvait s'agir, comme Luna d'ailleurs. L'Indienne se releva péniblement, le sourire aux lèvres. Elle déploya ses bras comme si elle allait étreindre quelqu'un, ou quelque chose, avant de sourire d'un air totalement fou, exactement comme celui qu'avait arboré Hakaze avant elle.


« Et c'est la fin ! hurla-t-elle en exultant. C'est terminé ! Yokohama et Tokyo vont disparaître pour laisser place au chaos et au désespoir !


— Qu'est-ce que… bégayai-je, abasourdi.


— Le processus est terminé, reprit L'Indienne, amochée. Vous avez pris beaucoup trop de temps contre Hakaze et moi. Reisuke est arrivé au bout de son œuvre. Tout est perdu. Tout va disparaître et naître de nouveau ! »


L'environnement autour de nous se modifiait tandis que Indy, les yeux écarquillés par la folie, éclatait de rire en constatant l'œuvre de Reisuke prendre forme. Comment était-ce possible… ? Avions-nous déjà perdu ?


Non, je ne voulais pas y croire. C'était impossible que tout se termine de la sorte. Alors je me relevai, déterminé. Je refusais de laisser le monde subir ce que Reisuke avait prévu pour lui. Je m'avançai donc vers Indy, décidé à en finir avec elle et Ziakwer une fois pour toutes, mais elle me dévisagea avant de reprendre.


« Reisuke n'a plus besoin de nous, et ma cause est terminée, lâcha-t-elle, glaciale. Adieu. »


Et en moins de temps qu'il ne fallut pour que je ne rétorque quoi que ce soit, l'Indienne actionna un mécanisme. S'ensuivit une puissante explosion l'ayant utilisée comme réceptacle qui s'écrasa dans un vacarme assourdissant sur tous les protagonistes de notre bataille. Nous fûmes soufflés par ce qui semblait être une tempête de flammes et de soufre qui brûlait l'ensemble de mon corps, mais pas seulement. Erika, Luna, et Ziakwer étaient aussi pris du feu leur détruisant la chair. J'étais aspiré par l'ouragan ardent qui semblait me drainer la vie elle-même. Mais alors que je pensais qu'il était impossible pour moi de m'en sortir, je remarquai un éclat lumineux apparaître au milieu des flammes.


Un dragon étincelant, chevauché par un petit bipède que je ne pouvais distinguer dans les flammes, apparut au beau milieu du carnage. Les deux luisirent, puis aspirèrent tout le feu provoqué par l'explosion comme s'il n'était que broutille, empêchant ainsi la puissante attaque de tous nous réduire en cendres. Ils projetèrent un champ d'énergie bleu/vert qui s'abattit sur nous, guérissant nos blessures petit-à-petit.


Je savais qui était derrière tout ça, et j'en étais surpris. Pleurant le sort de Hakaze, j'en avais oublié l'essentiel. Mes frères, non, mes fils, Cram et Diamond, étaient restés en retrait, et ils venaient d'utiliser leur pouvoir d'Izrath pour prévenir l'attaque flamboyante qui allait nous réduire au silence.


Cependant, en regardant le petit singe, je compris alors le tribut qu'il venait de payer afin de nous sauver. L'extrémité de sa queue prit feu, laissant une flamme incandescente s'allumer au bout, tandis que sur son dos naquirent de petites braises qui grossissaient au fil des secondes. Le mammifère cracha une traînée ardente mêlée à un rugissement de puissance, me faisant comprendre qu'il avait modifié son propre code génétique d'Izrathien en y mêlant un élément de feu.


Lorsque je me ruai sur mes amis, je constatai que le singe pouvait rétracter ses flammes, ce qui me fit plaisir. Je les félicitai brièvement en les étreignant, même si je savais que la joie allait être de courte durée. Je lançai un regard à Indy. Cette dernière gisait au sol, encore consciente, mais amochée par l'explosion qu'elle avait provoquée. Son corps entier était impacté par son acte, excepté son buste qu'elle avait sciemment protégé, laissant indemne la zone couvrant sa poitrine jusqu'à ses hanches. Je me rendis à ses côtés afin de lui porter secours. Cependant, même dans cette position, elle gardait ses convictions et ses combats.


« C'est fini pour vous… sourit l'Indienne en suffoquant. Vous êtes arrivés trop tard. Reisuke va enfin pouvoir dominer ce monde… Et il n'aura pas à subir…le même sort…que Kojiro…


— Pourquoi aller jusqu'à te sacrifier pour ça… murmurai-je, malgré tout peiné par le sort de la jeune femme.


— Parce que j'avais une mission et je l'ai remplie. Rien de plus. J'ai fait une promesse, et cela m'engageait pour toujours. »


Je posai ma main sur le visage de la jeune fille, par pure compassion. À ce moment précis, j'eus une autre vision provenant de Hiro. Une scène dans laquelle l'homme aux cheveux violets en Izrath avait été prévenu que la secousse qu'Indy avait prise pour le processus de Reisuke qui arrivait à terme n'était rien d'autre qu'une détonation créée par du trinitrotoluène en abondance non loin de la centrale désaffectée. Il était inutile de savoir qui était à l'origine de cette explosion que l'Indienne avait confondue avec le signal de la création d'un nouveau monde dans lequel Reisuke allait s'épanouir.


J'étais presque peiné pour la jeune Indienne qui se raccrochait à un espoir qui n'existait pas, si bien que je n'osais pas lui dire la vérité. Je me relevai, me tournant vers mes amies et mes Izrathiens.


« Luna, entamai-je. Fais de ton mieux pour préserver la vie d'Indy. Je voudrais que tu fasses en sorte qu'elle ne meure pas. Erika, retrouve Hakaze. Il faut que tu ailles voir si Himiko a réussi à prolonger sa vie. Si elle a réussi, il faudra que l'une de vous trouve d'urgence Shinichi Yamada. Il sera habilité à tenter quelque chose de désespéré pour elles. Idem pour Soichiro. Ne perdez aucune vie dans le procédé.


— Et toi Hiroki ? me demanda Erika, faible.


— C'est évident tu ne trouves pas ? Je vais mettre un terme à cette folie en arrêtant Reisuke une fois pour toutes. Emmenez Cram et Diamond avec vous. Ils vous aideront à effectuer votre mission. »


Un escalier de dalles translucides apparut de nulle part, me laissant comprendre qu'il était le chemin qui allait me mener à mon frère, afin que lui et moi livrons cette bataille finale. Le cœur lourd, je me mis en route vers l'ultime confrontation entre moi, Reisuke, et notre passé commun.





Spoiler :


Je pris l'escalier, laissant derrière moi toutes les personnes qui avaient été touchées de près ou de loin par le conflit dans lequel nous étions tous impliqués. Des tas de sentiments se bousculaient dans ma tête. J'étais partagé entre la promesse faite à ma mère, le sort de Reisuke, mais aussi les espoirs de toutes les personnes tombées au combat, à commencer par Hakaze, mais aussi Indy et la guilde ETHER. Nous avions tous perdu quelque chose au change, et si je ne réparais pas nos erreurs, cela allait coûter la vie de tous les habitants de cette ville en prime.


Lorsque j'arrivai dans l'espace, Reisuke m'attendait. Il semblait au-dessus de tout le paysage, flottant en position assise par je ne savais quelle magie alors qu'il me regardait de haut d'un air neutre. Sa longue chevelure noir couleur corbeau flottait au gré de la pression générée par ce qui se trouvait derrière lui. En effet, il avait généré une colonne d'énergie changeant continuellement de teinte et qui, je pouvais le constater de là où je me trouvais, était incroyablement riche en kvantiki.


J'étais censé venir le vaincre, mais je ne pouvais me résoudre à détester mon frère. Pourtant, il fallait que je me convainque que c'était la seule solution pour arrêter ce conflit. Alors je me dis que l'être en face de moi n'était pas celui que j'aimais depuis tout ce temps, mais qu'au contraire je devais réveiller le vrai Reisuke qui sommeillait au fond de lui, peut-être emprisonné par des chaînes mentales difficiles à briser.


« Je n'aurais pas imaginé que Hakaze et Indy auraient vraiment fini par perdre, lança Reisuke, presque compatissant. C'est dommage. J'aurais aimé qu'elles puissent voir ce monde pour lequel elles se sont battues.


— Pourquoi fais-tu tout ça, Reisuke ? répondis-je, tentant de le raisonner. Regarde tout ce qu'il est advenu de toutes les personnes qui croyaient en toi, et celles qui leur ont fait face. Est-ce là ce que tu souhaites vraiment ?


— Je n'ai rien accompli Hiroki, reprit-il calmement. Tout du moins, je n'aurais pas pu aller aussi loin tout seul. Cette situation est le fruit de tourments de tous ceux qui se sont joints à ma cause pour exaucer leurs souhaits.


— Tu les as manipulées ! hurlai-je, exaspéré d'entendre ça. J'aurais pu raisonner Hakaze si tu n'étais pas intervenu, et Indy était sous ta coupe depuis le début ! Ne te fais pas passer pour une victime !


— Je t'accorde le fait que j'ai manipulé Hakaze, soupira mon frère avec le sourire. Par contre pour Indy, c'est faux. Elle était complètement folle depuis le début, même sans mon intervention. À vrai dire, elle m'a agréablement surpris par des idées auxquelles je n'avais même pas pensé. Elle est une femme brillante pour le peu qu'on reconnaisse son génie. »


Je serrai les poings. Il savait qu'il les manipulait, il jouait juste avec moi. Certes, l'Indienne avait l'air lucide, mais je ne pouvais m'empêcher de penser qu'un facteur extérieur la poussait à entreprendre ce genre d'actions. Mais je n'étais pas venu ici pour discuter de ça. J'allais mettre un terme aux agissements de celui qui avait entraîné avec lui Hakaze, Indy, et Reisuke, mon véritable frère.


Il descendit de son piédestal. Il sauta de là où il était perché jusqu'à atterrir avec force devant moi. Je ne comprenais pas comment il avait pu bondir de la sorte alors qu'il flottait dans les airs, mais Reisuke m'expliqua.


« Nous sommes actuellement dans la centrale désaffectée., me dit-il. Nous sommes cependant dans une autre dimension dans laquelle il est impossible de nous voir ou nous atteindre. Ainsi, je peux entreprendre mon projet en utilisant la source de pouvoir sans être dérangé.


— Tu dis ça mais… Tu nous as tous laissé venir. Pourquoi ?


— Je pensais qu'utiliser Purple Revolution pour obtenir toute l'énergie nécessaire allait être suffisant, mais depuis que je suis ici, enfermé dans ces parois, j'ai réalisé que ce n'était pas le cas. Il me manque une source non négligeable de kvantiki pour ouvrir la porte vers le troisième monde. Et cette source, c'est toi.


— Moi… bégayai-je, faisant semblant de ne pas comprendre.


— Inutile d'essayer de me leurrer, Hiroki. Je sais que tu possèdes en toi un cœur contenant une partie du noyau d'Izrath. »


Mon cœur rata un battement. Comment l'homme contrôlant Reisuke pouvait être au courant d'une chose aussi secrète ? Seuls Soichiro Namatame et Astaris le juge étaient au courant de ce qui m'était arrivé dans le passé. Je tentai de feindre l'ignorance.


« Tu dois te tromper de personne, repris-je, en essayant de garder un air neutre. Je ne vois pas de quoi tu parles en mentionnant le noyau d'Izrath.


— Je sais très bien de qui je parle, ricana Reisuke. Tu as eu un accident il y a des années, et Soichiro Namatame, l'homme qui t'a recueilli, était pris par l'urgence. En voulant te sauver, et voyant que ton cœur avait cessé de battre, il a incrusté à sa place le fragment du cœur d'Izrath, Noun, qui lui avait été confié par Astaris, et tu t'es remis à vivre.


— C'est vrai, avouai-je. Cependant, je ne peux te laisser t'approprier mon pouvoir. Il est relié à ma vie elle-même, et je n'ai pas spécialement envie de me suicider tu comprends.


— Ne t'en fais pas, je ne t'ai pas demandé ton avis. En garde, Hiroki. Le sort de ton frère et du monde entier dépend de ta victoire.


— « JPP, c'est tellement cliché comme dénouement » comme dirait Nathan, repris-je, dérisoire. Il est temps de mettre un terme à ta folie, Reisuke. »


Mon frère afficha un sourire carnassier qui ne présageait rien de bon. Derrière lui sortit une créature de la colonne de puissance d'Izrath. C'était Draekort, le monstre accompagnant Reisuke, mais il était vraiment différent par rapport à d'habitude. Ses six têtes noires avaient fusionné en une seule, et il avait l'air de baigner dans une énergie électrique blanche aux reflets bleus et violets. Il ressemblait d'ailleurs désormais plus à un dragon qu'à un reptile.


Sans vraiment comprendre, je restai en alerte, guettant le danger arrivant devant moi. Un étrange symbole sortit de la vague d'énergie blanchâtre pour s'élever jusqu'au ciel. Des éclairs étaient propulsés par ce symbole autour duquel gravitait perpétuellement de l'énergie semblant assez puissante. Si puissante que cela me glaçait le sang. Au bout de quelques minutes, le dragon fut avalé par cette vague, puis une espèce de serpent géant sans véritable forme surgit de nulle part. Il brisa le symbole dans un rugissement qui déclencha un horrible frisson dans mon corps. Le serpent semblant fait d'énergie sans avoir de forme réelle s'élevait dans les airs, laissant les joyaux de différentes couleurs briller sur toute son enveloppe encore retenue par quelques chaînes visant sûrement à limiter sa puissance.


« Voici Draekort, l'héritier du kvantiki ! s'exclama fièrement Reisuke. Voici le monstre qui causera ta chute et celle de l'humanité ! »


Reisuke se mit à rire frénétiquement devant le monstre issu de sa création, tandis que moi je scrutais ce qu'il en était. Je sentais une très grande puissance provenant de Draekort, comme s'il pouvait me mettre en pièces d'une seule attaque.


Le monstre colossal se jeta sur moi à une vitesse fulgurante. Je l'esquivai de justesse, le laissant s'écraser dans un torrent d'énergie sans aucune forme physique contre le sol. Il reprit rapidement sa carcasse initiale tandis que je cherchais un moyen de rétorquer. Je grimaçai. De toute manière, Reisuke avait percé à jour mon secret, il était donc inutile que je me retienne davantage. Ainsi, je puisai dans mon cœur la puissance requise afin de rivaliser avec Draekort.


Mais je n'y arrivais pas. Pour une raison m'étant inconnue, je ne parvenais pas à aller au plus profond de mon cœur afin d'y prendre la force que je maîtrisais. Pourtant, Soichiro m'avait bien expliqué qu'une fois que j'allais être en accord avec moi-même, j'allais pouvoir utiliser la puissance m'ayant été accordée… Et pourtant, j'échouais chaque fois que je tentais. Le reptile de Reisuke quant à lui avait repris forme. Férocement, il propulsa un puissant torrent d'énergie vers moi.


Je n'avais plus d'échappatoire derrière laquelle me cacher pour éviter ce second impact. Il ne me restait que quelques secondes pour réfléchir à un plan… Mais quelques secondes ne suffirent pas. Tout ce que je trouvai à faire, ce fut me replier sur moi-même, pensant que ce réflexe de mes bras me protégerait de l'impact colossal. Fermant les yeux, j'encaissai l'attaque de plein fouet.


Mais alors que je pensais que la foudre que j'avais reçue m'avait sûrement été fatale, je me relevai sans la moindre égratignure. J'avais pourtant bien encaissé l'attaque, mais elle était comme passée au travers de mon corps. Sans vraiment comprendre, je me relevai… Mais alors que je tentai de me concentrer de nouveau, je fus surpris par ce qu'il m'arriva. Je ressentis une force considérable gagner mes bras, mes jambes, solidifiant mes muscles d'un seul coup. Lorsque je me rendis compte de ce qu'il se passait, je constatai que j'étais désormais habillé d'une espèce d'armure étrange.


La cuirasse de laquelle j'étais désormais vêtu était ornée de motifs étranges formant des cercles, des carrés, des rectangles de différentes couleurs. J'avais l'impression que beaucoup d'armes séparées étaient assemblées pour faire ce qu'était ma nouvelle carapace. Reisuke me lança un regard surpris face à ma transformation, tandis que de mon côté, je recouvrai d'un coup la mémoire liée à mon opération, me révélant tous les détails de mon pouvoir.


« J'ai transcendé les barrières entre Jidou et Izrath, murmurai-je. Je ne suis plus un humain, mais un Izrathien moi aussi ! Tremble, Reisuke ! Je suis Hiroki, le guerrier antique ! Et j'en appelle au pouvoir de mon épée ! Agia Lepida ! »


Lorsque j'appelai le pouvoir de mon cœur, la partie bleue de mon armure se détacha, reprenant une forme d'épée lourde qui vint de poser dans ma main. Ne cherchant pas à comprendre les capacités de ma carcasse je me ruai sur le monstre englobé par le kvantiki, bien décidé à l'abattre. Le dragon tenta de reculer en prenant son envol, mais il ne put éviter l'attaque de ma Agia Lepida, encaissant l'attaque en hurlant d'un cri sourd. Je reculai, conscient que mon assaut n'allait pas être suffisant pour le réduire au silence, et j'avais raison, puisque Draekort ne se fit pas prier pour contre-attaquer. Poussant un cri strident, il se jeta sur moi à la vitesse de l'éclair en préparant un puissant projectile aussi éclatant que son corps qu'il propulsa contre moi.


Je bloquai le coup de par mon imposante épée, ne me rendant pas compte que mes pouvoirs fraîchement éveillés ne pouvaient pas rivaliser dans l'immédiat avec une attaque aussi puissante. L'assaut de Draekort passa au travers de ma protection, me laissant encaisser au moins cinquante pourcents des dégâts en pleine figure. Je ne fus pas propulsé par l'offensive pourtant violente de cette créature. Mon armure était assez lourde, ce qui m'empêchait de me laisser emporter pour si peu.


« Alors c'est ça ton pouvoir… murmura Reisuke, intéressé. Ce n'est pas mal du tout finalement. Je suis curieux de savoir pourquoi tu ne l'as pas utilisé pour me vaincre plus tôt.


— Je ne pouvais prendre le risque, répondis-je. Mon secret en aurait été compromis et j'aurais suscité du doute chez Erika. Et tu as réussi à fuir, donc j'ai bien fait de ne pas gâcher cette opportunité.


— Je vois… soupira mon petit-frère. Protéger un esprit d'équipe alors que tu es seul devant moi, c'est risible.


— Je ne suis pas seul. Au contraire, je n'ai jamais été si entouré. Regarde donc de quoi je suis capable, poussé par la motivation de mes amis et de ma famille ! »


Il n'était pas convaincu. Alors je me propulsai droit sur lui, déployant ma large et puissante arme dont les lignes bleues, qui étaient incrustées dans le gris de la lame, rayonnaient de manière intense, comme entrant en synchronisation avec mon cœur. L'armure que je portais semblait doté d'une conscience, ou tout du moins, une technologie suffisamment avancée pour détecter mes pensées quant à la manière dont je voulais esquiver ou me mouvoir.


Ainsi, il me suffit de visualiser mon objectif : Draekort, pour que la carcasse que je portais devienne soudain plus légère. Je bondis alors en y mettant toute ma puissance afin d'atteindre l'étrange créature, mais il n'en fut rien. Oh, je réussis à lui donner un coup d'épée qui la fit grogner de douleur, mais j'étais de nouveau propulsé, laissant encore une fois le dragon tenter de s'écraser sur ma personne.


« Tu n'y arriveras pas ! Antic warrior : j'en appelle au pouvoir de mon bouclier ! Asiménia aspída ! »


Mon épée se rangea dans l'espace prévu à cet effet au sein de mon armure, laissant en moins d'une seconde un imposant bouclier aux traits jaunes luisants se dresser devant moi. Me rangeant derrière l'objet, je pus dévier l'attaque qui m'était assénée sans aucune difficulté, regardant avec inquiétude le torrent d'énergie atteindre tout autour de moi au passage.


Mon bouclier disparût, ce qui me laissa l'occasion de reprendre ma lame aux reflets azur. Profitant du recul de l'attaque du dragon, je lui assénai cette fois un coup qu'il ne put éviter, se faisant fracasser au sol. Reisuke, qui ressentit de la douleur, grimaça. Il prit un moment pour inspirer, puis expirer, tandis que j'atterris tranquillement dans mon armure. Je voulus profiter de cet instant de faiblesse afin de pénétrer dans ses défenses mentales.


« Reisuke ! hurlai-je afin de lui faire entendre raison. Je détruirai tout ce que tu as entrepris ! Ce nouveau monde n'est qu'une mascarade et je te le prouverai ici et maintenant !


— Ce ne sont que des mots ! rétorqua mon frère, en colère. Tu ne gagneras pas avec deux phrases encourageantes et des bons sentiments ! Redescends sur terre, Hiroki !


— Et une fois que tu auras créé ton monde !? Quels seront tes objectifs !? Ta motivation est faible, tu n'as aucun pilier auquel te raccrocher lorsque tu tombes !


— Et quel genre de pilier ? grogna Reisuke, interpellé. Explique-toi.


— Te dire « Je veux rentrer à la maison parce que ceci ou cela m'attend », ou alors « je fais tout ça pour cette personne. » Tu vois ce que dont je parle ? Malgré tout le pouvoir que tu as et que les autres n'ont pas, si tu n'as pas un pilier solide auquel t'accrocher, ça sera ta motivation qui te trahira ! »


Il se moquait de ce que je disais, cela se voyait comme le nez au milieu du visage. Pourtant, sans me laisser décontenancer par ses paroles, je précisai ma réflexion afin de l'introduire en lui.


« Le pilier d'Erika, c'est que l'on puisse rentrer tous ensemble, repris-je, sérieux. Celui de Hakaze c'était de sauver la vie de son père… Le mien…C'est de pouvoir te ramener à tes proches. Je veux que l'on rentre tous et que l'on reprenne une vie normale…C'est tout ce que je cherche. Et toi, tu as oublié cette époque où ta seule motivation était le bonheur et la sécurité de celle que tu aimes !!


— Je n'ai pas besoin de raison pour me battre… grogna Reisuke. Tout ce qu'il me faut, c'est ma haine, mon mépris, mon désespoir. Et ça, tu ne pourras jamais l'effacer.


— Et une fois que tu auras ouvert les portes du troisième monde, que feras-tu !? hurlai-je. Tu seras l'être le plus puissant, mais tu n'auras personne sur qui gouverner, plus aucune âme pour t'entourer, et ta vie n'aura plus de sens !


— Je n'ai pas besoin d'être entouré. Lorsque j'aurai ouvert le troisième mon –


— Mais nous t'aimons Reisuke ! le coupai-je, déterminé. Peu importe ton absence de pouvoirs, sans cet odieux personnage qui a pris le contrôle de ton être. Nous aimons Reisuke Yamada comme il est, avec ses forces et ses faiblesses ! Nous t'attendons alors reprends le contrôle ! »


Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase que quelque chose se rua sur moi, me percutant de plein fouet en m'assénant un violent coup directement dans l'estomac. Je lâchai un cri bref qui fut coupé par l'impact de l'assaut que je pris. Sans que je ne puisse réagir, je fus propulsé au loin. Mais alors que j'essayais de reprendre l'équilibre, Reisuke fut plus rapide. Il me rattrapa dans ma course, m'assénant d'autres assauts qui me projetèrent ailleurs, me rattrapant encore et encore dans ma chute. Son offensive formait une boucle dont je ne pouvais me défaire tellement le jeune homme montrait une rapidité et une force exemplaire. Je restais donc suspendu dans les airs, ne pouvant me défaire des capacités de mon frère.


Pris dans cette boucle générée par Reisuke, j'essayais tant bien que mal de limiter les dégâts subits en attendant de trouver une solution. Asiménia aspída s'était formée dès que mon corps ressentit de la douleur, me permettant ainsi de constater que mon armure pouvait également agir de manière totalement autonome. C'était un avantage puisque cela me permettait de me retrancher sur moi-même et de minimiser les dégâts le temps de trouver une solution de rechange. Tous mes essais se soldaient cependant par des échecs cuisants. Draekort était très fort et il m'était impossible de m'échapper de cette spirale dans laquelle m'avait entraîné Reisuke. Je ne lâchai cependant pas, persuadé que j'allais trouver une solution. Mais elle ne vint pas de moi directement, puisque tandis que je me débattais, Reisuke se prit une espèce de bombe de boue sortant de nulle part, explosant directement sur lui dans ce qui semblait être des débris de poison. Je me retournai pour voir ce qui avait été mon sauveur du jour, retrouvant avec surprise la présence de Toratura, la princesse des serpents. Sa propriétaire, mon amie aux cheveux bouclés, se trouvait derrière elle. Elle fronça les sourcils, laissant de nouveaux sa chevelure virer au blanc, avant de se jeter dans la bataille à l'aide de son monstre.


Tout aussi déterminé qu'Erika, je revins dans la bataille, laissant derrière moi toutes mes appréhensions et mes doutes. En même temps que mon amie je me ruai sur Reisuke qui arrivait à éviter tous nos coups grâce à sa vitesse bien supérieure à la nôtre. Il gardait l'avantage face à nous malgré notre puissance, ce qui faisait rager ma partenaire qui était venue pour en découdre.


Nous nous arrêtâmes tous les trois au bout de quelques minutes de coups échangés. Tandis que moi et Erika nous commencions à nous essouffler, mon jeune frère, lui, semblait avoir une endurance parée à toute épreuve. Reprenant la parole, il s'adressa à nous avec sarcasme.


« Je n'aurais jamais cru que vous auriez été si agaçants tous les deux, sourit-il. Finalement, vous aurez été des adversaires de valeur, alors que je croyais que vous n'y arriveriez pas.


— Ne te laisse pas déconcerter par ce qu'il dit Erika, la prévins-je. Il tentera tout son possible pour te manipuler, comme il l'a fait pour Hakaze et Indy.


— Je suis sincère pourtant, reprit l'individu. Vous avez traversé les époques, vous avez réussi à trouver des alliés, combattu des tas de dangers jusqu'à venir ici. C'en est triste de savoir que c'est la fin de la route pour vous.


— Ne rêve pas, Reisuke, balança Erika, semblant furieuse. C'est la fin de tes objectifs. Nous repartirons avec mon Rei, et le monde sera sauvé. Hiroki, tu te charges de lui. Je vais détruire son monstre.


— Attends !! »


Je n'eus même pas le temps de protester qu'Erika se jeta dans la bataille directement contre Draekort, me laissant en tête-à-tête face à Reisuke.





Spoiler :


Je n'eus même pas le temps de protester qu'Erika se jeta dans la bataille directement contre Draekort, me laissant en tête-à-tête face à Reisuke. Je restais dubitatif. La jeune fille à la chevelure blanche n'était pas assez puissante pour pouvoir lutter contre une telle créature, et pourtant, elle s'étant lancée dans la bataille la tête la première, amenant avec elle la princesse des serpents. À ma grande surprise, Diamond, mon dragon de compagnie, ainsi que Cram, le singe que j'avais recueilli lors de mon affrontement contre Shinji, sortirent de nulle part et suivirent l'attaque de mon amie, confrontant Draekort avec elle.


Le combat fit rage entre les deux opposants. J'étais inquiet. Terriblement apeuré à l'idée de laisser mes amis affronter un si grand danger, mais cette fois, je devais leur faire confiance. Ainsi, je me tournai face à Reisuke, mais il m'avait devancé. Il avait profité de mes doutes pour me saisir à la gorge, me surélevant dans les airs en resserrant son emprise. Il me dévisageait avec toute la haine du monde dans son regard alors que je tentais de me débattre.


« Rentre-toi ça dans le crâne, Hiroki ! hurla Reisuke tandis que nous nous surélevions encore et encore, dans un tourbillon de lumière noire. Tous tes bons sentiments ne vaincront jamais l'injustice à laquelle tu feras face ! Je suis cette injustice à tes yeux aujourd'hui, mais cela ne changera pas le fait que tu es faible !


— L'univers ne se résout pas autour de la force et de la faiblesse… Reisuke… articulai-je péniblement. Tu parles comme si le monde entier était un ennemi à détruire alors que des tas de personnes sont là pour toi.


— Et c'est exactement le cas ! reprit-il, resserrant encore son emprise. Jamais tu ne vivras une vie tranquille faite d'amour et de paix ! Il y aura toujours quelqu'un pour tout te voler au moment où tu t'y attendras le moins ! »


Je sentais mon énergie se faire aspirer par Reisuke qui, soudain, semblait avoir perdu son arrogance. Il me fixait droit dans les yeux, affichant une exaspération non dissimulée face à mes mots et ma façon d'agir. Je ne comprenais pas, mais je n'avais pas le temps de m'en préoccuper. Ainsi, je fis appel au pouvoir au fond de mon cœur, lui transmettant ma volonté de sauver mon frère, et il m'écouta. Izrath me donna la force nécessaire pour agripper la main de mon adversaire et le projeter au loin.


J'entamai une chute vers le sol. Je réussis cependant à me rattraper grâce à Agia Lepida, l'imposante épée aux reflets azur de mon armure. Je la plantai dans le sol afin d'amortir la collision. L'homme aux longs cheveux noirs ne me laissa même pas l'occasion de lancer un regard à Erika et mes amis qu'il réapparut devant moi.


Je déterrai mon arme et me mis en garde, bien déterminé à ne pas laisser l'individu l'emporter. Pour toute réponse, il déploya un flux d'ombre aussi volumineux et opaque que l'océan lors d'une nuit d'hiver. En l'espace de quelques secondes, il projeta des centaines d'étincelles obscures qui vinrent s'abattre sur moi, tentant de m'occasionner des dégâts. Armé de mon épée, je tentai d'en dévier le plus possible en utilisant tous les réflexes m'ayant été attribués par la nature, tandis que je laissai à mon armure le soin de protéger mon enveloppe charnelle de mon manque de dextérité. Ma carcasse réussit à encaisser tous les impacts que j'avais échoués à contenir.


Cependant, alors que je pensais l'attaque passée, Reisuke apparut de nulle part, comme s'il avait bondi de son assaut. Il m'agrippa le crâne, et d'un seul geste violent, il me projeta face contre le sol, me laissant ressentir toute la violence de son impact.


Je grimaçai de douleur tandis que la forme de mon corps resta incrustée dans le sol, tant l'impact fut violent. L'homme au-dessus de moi maintenait la force dans son bras, mettant un poids considérable dont je n'arrivais pas à me défaire. Je m'accrochai cependant à mes motivations, mon espoir, ce que Reisuke n'avait pas en lui. Me rappelant les promesses que j'avais faites, la responsabilité reposant sur mes épaules, je me défis de l'emprise du suppôt du désespoir et me relevai, brandissant mon épée contre lui.


« Peu importe combien de fois tu me mettras à terre, je me relèverai, déclarai-je, déterminé à vaincre. Reisuke, tu n'auras jamais ce que tu convoites. Si je suis le dernier obstacle entre toi et ton but ultime, alors je le resterai jusqu'à ce que tu abandonnes. »


Ma tentative se solda de nouveau par un échec. Il se jeta sur moi comme un animal, mais j'eus assez de temps pour déclencher mon bouclier Asiménia aspída qui me protégea de son assaut. Mon épée revint à moi, me laissant quelques secondes pour essayer de transpercer Reisuke. Cependant, ce dernier disparut purement et simplement dans les ombres, comme se fondant dans l'atmosphère. Lorsqu'il réapparut, il me projeta une nouvelle fois grâce à un sort rapide et furtif qui transperça mon armure, me causant une plaie au niveau de l'abdomen.


« Rends-toi à l'évidence. Sans Erika tu étais à ma merci et je t'achevais pour de bon. Ta détermination n'a aucune valeur. Regarde où tu en es, Hiroki. Devoir compter sur le soutien de la première gourde qui passe pour survivre, car tu es impuissant en l'état !


— Moi et Erika sommes partenaires. Elle porte un peu de mon fardeau et moi un peu du sien. C'est exactement comme cela que le monde fonctionne, on appelle ça l'amitié, la solidarité, l'espoir.


— Tu essaies simplement de cacher à quel point tu es misérable derrière la puissance de l'amour. C'est digne d'un scénario de conte de fée dans lequel le héros gagne toujours, mais tu n'en es pas un, Hiroki. Juste un incapable. Un faible. Rien qu'un pion sur l'échiquier du destin !


— Tu as raison, Reisuke, finis-je par avouer. Je ne suis qu'un faible, et je suis loin d'être un héros. Je n'ai d'ailleurs aucune chance de te vaincre, tout simplement car je ne le veux pas !


— Comment !? s'exclama le ténébreux homme, abasourdi par ma déclaration.


— Plus j'encaisse et je donne des coups, plus je me dis que ce combat n'a aucun sens. Reisuke ! Crois-moi, deux membres de la même famille ne devraient pas avoir à s'affronter pour se comprendre ! »


Lorsque je prononçai ces mots, je sentis quelque chose se réveiller en mon frère. Ses yeux s'écarquillèrent devant ma détermination tandis que de mon côté, j'étais résolu à lui faire entendre raison. Me battre contre lui n'était pas la solution… Au contraire, elle ne faisait que le pousser dans davantage de ténèbres.


« Je n'ai pas de famille ! me cria-t-il, comme pour se persuader lui-même. Je n'en ai jamais eue !! Ce ne sont pas tes vaines tentatives de manipulation qui prendront sur moi !!


— Tu ne te rappelles pas de moi, repris-je, calme. Mais moi je me souviens de ce que l'on a vécu ensemble et de tout l'amour que j'ai pour toi ! Et ça, malgré tout ce que tu fais, tu ne pourras jamais effacer le frère que j'ai eu et que je compte retrouver !


— Ferme-là !! »


Reisuke hurla de rage, levant son visage au ciel comme pour que son cri s'étende au-delà des cieux. Il se tint la tête comme s'il avait mal au crâne, comme si quelque chose en lui luttait contre une autre en contradiction avec ses sentiments. Cette fois, il mit plus de temps à reprendre l'attaque contre moi. Il était plus lent qu'il ne l'était la dernière fois, ce qui me permettait de garder l'avantage sans que je n'aie à l'attaquer pour préserver ma vie. S'apercevant du fait que je ne cherchais pas à lui porter atteinte, la colère de mon jeune frère se décupla, le laissant hurler quelques mots de haine à mon égard.


« Attaque-moi Hiroki ! hurla-t-il comme une bête assoiffée de sang. Le monde dépend de ta victoire, et je t'ai tout pris ! Rappelle-toi de la mort de Hakaze et de son père, tout ça est mon œuvre !


— Je ne continuerai pas ce combat qui n'a pas de sens ! Tu es mon frère, et je ne lèverai pas la main sur toi de nouveau !


— Je n'ai pas de frère ! cracha Reisuke en déployant une puissance obscure propulsée tout autour de lui. Lorsque le troisième monde sera accessible, je n'aurai plus besoin de personne ! Et je ne te laisserai pas détruire tout ce que j'ai entrepris ! »


Reisuke m'attaqua de plus en plus, laissant apparaître au creux de sa main une épée similaire à la mienne qu'il utilisa pour me faire ressentir davantage les coups qu'il me portait. Il tentait tout ce qui était en son pouvoir pour me faire riposter et contre-attaquer, mais plus je répondais à ses provocations, plus je semais la haine dans son cœur. Au fond, Reisuke et moi nous étions comme Hakaze. Nous avions vécu des choses étranges et nous les réglions de façon encore plus bizarre, mais ce n'était pas la bonne manière… Grâce à Hakaze, je savais que ce n'était pas la solution.


Je repris néanmoins la bataille contre mon petit frère, laissant apparaître de la satisfaction sur son visage. Armé de mon Agia Lepida, je me lançai dans un duel à l'épée sans merci contre lui, même si je savais qu'au fond de moi je n'avais pas la force d'aller plus loin que le désarmer. De son côté, l'homme aux longs cheveux noirs m'affrontait, troublé par ce comportement lunatique que j'affichais. Il n'était plus en pleines capacités, comme si quelque chose en lui avait renoncé au combat. Je m'approchais de plus en plus du but que je cherchais tant, tout du moins, j'en avais l'impression.


Motivé par le fait de ramener Reisuke à moi, je donnai encore et encore des coups de lame jusqu'à désarmer mon petit frère avec succès. Alors qu'il tenta de se reculer pour reprendre l'arme qu'il avait laissé tomber, je jetai la mienne, me permettant de le rejoindre rapidement afin de l'étreindre avec force. Il lâcha un léger cri de stupeur, ne s'attendant sûrement pas à ce que j'agisse de la sorte avec lui, mais c'était quelque chose de nécessaire pour que je trouve la force de continuer.


« Ce combat n'a aucun sens, murmurai-je. Petit frère… Arrête cette guerre contre toi-même qui n'a que trop duré… Je t'en supplie.


— Lâche-moi ! rétorqua-t-il avec violence. Si tu ne veux pas te battre, eh bien je te tuerai sans que tu résistes puisque telle est ta volonté !


— Je ne te lâcherai pas. Hakaze a disparu, Soichiro également… Tu es tout ce qu'il me reste de mes racines. Alors non, je ne laisserai pas la dernière personne que j'aime en vie errer elle aussi. »


Pour toute réponse, mon frère poussa un cri de colère qui retentit dans l'espace comme si une bombe venait d'exploser juste à côté de nous.


Le hurlement de Reisuke projeta un épais écran de fumée noire qui me propulsa quelques mètres plus loin dans le champ de bataille. Le cri qu'il venait de pousser m'intriguait cependant. Je distinguais comme deux voix dans la vocifération provenant de son cœur… La voix grave de cet homme semant le chaos… Et celle de mon petit frère qui semblait comme m'appeler à l'aide.


Je m'attendais à le voir sortir de l'épais nuage noir, plus déterminé que jamais à vouloir me détruire moi et mon espoir… Mais pour toute réponse à ma pensée il resta isolé dans l'écran de fumée qu'il avait généré… Je sentais que je touchais au but. Il ne restait plus grand-chose entre moi et mon petit frère…J'étais sur le point de le sauver définitivement.


Mais alors que j'avais cette pensée, le nuage se dissipa enfin, me laissant voir Reisuke comme jamais je ne l'avais vu jusqu'alors. Ses cheveux étaient dressés sur son crâne, soulevés par le flux d'une énergie rougeâtre qui entourait mon petit frère. Ses yeux rouges brillaient d'un éclat intense, comme s'il était contrôlé par quelque chose ou quelqu'un d'autre. Je compris finalement pourquoi il était si difficile de parvenir au cœur de mon frère… Tout simplement…


« Depuis le début j'avais des doutes très forts, mais maintenant j'en suis convaincu. Tu n'es pas mon frère. Qui es-tu !?


— Je suis Reisuke Yamada… grogna l'être dans le corps de Reisuke, animé de toute la rage du monde.


— Tu mens ! L'interrompit la voix d'Erika provenant de nulle part. »


Je me retournai vers la jeune femme, qui était salement amochée, mais toujours debout. Ses habits étaient déchirés, son visage abîmé par des hématomes, mais elle était droite et déterminée. Cram, Diamond, ainsi que Toratura se tenaient tous les trois à ses côtés. Derrière eux se trouvait Draekort, le monstre de Reisuke, semblant temporairement immobilisé dans un sort que je ne connaissais pas.


« Mon Rei n'aurait jamais accepté de telles ambitions ! hurla-t-elle, convaincue par ses arguments. Lorsqu'il t'a permis de venir, son seul et unique but était de me sauver la vie. Le simple fait que tu me mettes en danger prouve que tu n'es pas lui. Certes, il est plus faible que toi, mais je le préfère largement à ce que tu es toi !


— Erika a raison ! enchéris-je, dans un acte de désespoir. Reisuke ! Je sais que tu m'entends au fond de toi ! Tu as traversé le temps et surpassé toutes tes contraintes pour aider Erika ! Tu as voulu la sauver comme tu m'as sauvé, car oui, si je suis encore en vie aujourd'hui c'est parce que ton existence même conjure le mauvais sort du désespoir au quotidien ! Reisuke ! Peu importe quel monde tu choisis d'ouvrir, cela ne nous ramènera pas nos parents ! Tu n'es pas le responsable de leur mort ! »


Le visage de Reisuke se décomposa lorsque je mentionnai nos parents. Erika quant à elle se retourna vers moi, semblant choquée par les révélations que je venais de faire. Les deux personnes me dévisagèrent comme si je provenais d'un autre monde, alors que je disais tout simplement la vérité. Les masques tombaient. Mes véritables objectifs devenaient de plus en plus visibles. Il était finalement inutile de garder le reste de l'histoire cachée dans mon esprit. Je continuai ma confession.


« Désolé de ne pas vous l'avoir dit avant… Mais je devais absolument faire en sorte de cacher mes véritables objectifs. Reisuke, tu n'as pas à t'en vouloir. Je ne t'en ai jamais voulu, et je suis certain que nos parents non plus. Tu sais, j'ai fait une promesse à notre mère. Je lui ai fait serment qu'un jour nous nous retrouverions, toi et moi. Que tu me voies comme quelqu'un d'autre qu'un potentiel rival en amour pour le cœur d'Erika, et qu'ensemble nous redevenions des frères. Tu animes chacune de mes motivations depuis toujours…parce que je t'aime plus que tout.


— Hiroki… bégaya Erika, semblant bien plus concernée que je ne l'aurais imaginé.


— Grand-frère… suivit Reisuke, tout aussi décontenancé qu'elle.


— Te rappelles-tu enfin de moi, Reisuke ? répondis-je en essayant de contenir mon émotion. »


Mon petit frère me répondit en acquiesçant timidement, détournant le regard face à moi. Une sensation de joie profonde m'envahit alors, me faisant me ruer sur lui afin de l'étreindre. Je serrai fort celui pour lequel je m'étais battu afin de célébrer ma victoire. Enfin je pouvais le tenir dans mes bras, ressentir de nouveau ce souffle, cette respiration lui étant propre. Enfin je pouvais de nouveau passer ma main dans ses cheveux, sentir sa crispation légère qui était la sienne lorsqu'il était mal à l'aise. Enfin je pouvais laisser parler mon affection de grand-frère, arrêter de porter un masque, pour enfin être moi-même.


Il resta rigide face à mon effusion de sentiments, mais je ne m'inquiétais pas. Reisuke était comme ça depuis qu'il était petit. Il avait du mal à s'ouvrir aux autres, même à moi. Il était mal à l'aise, mais il me laissait profiter pleinement de l'instant, comme une récompense m'étant offerte pour tous les efforts fournis dans notre lutte au travers le temps.


Cependant, alors que j'étreignais mon petit frère, m'empêchant ainsi de voir la tête qu'il affichait, je crus entendre un cri féminin semblant être celui d'Erika. Sans réaliser ce qu'il se passait, je ne pus que constater que je prenais de la distance par rapport à Reisuke, comme si j'étais propulsé par ce qui semblait être une attaque venant de je ne savais où. Mon armure d'Izrath s'effrita progressivement, tandis qu'une douleur intense pénétra mon corps par la poitrine. Je vis s'éloigner les visages consternés d'Erika et de Reisuke, dont les yeux écarquillés me firent signe que je n'étais pas victime d'un coup fourré de l'homme aux cheveux noirs. Ce qui me suffit.


Un souvenir s'installa dans mon esprit. Hiro, qui devait regarder mon affrontement et me prédire l'avenir, avait finalement détourné le regard, ne voulant pas se résoudre à me voir blesser son petit-frère. Il observait la situation actuelle, me laissant me rappeler ce qu'il venait de se passer. Une ombre sans forme était sortie du dos de Reisuke sans que je ne m'en aperçoive et avait décidé de me transpercer de toutes ses forces, me projetant loin de lui. J'aurais pu réécrire l'histoire, mais il semblait que le « moi » qui existait avant cet instant présent, celui avec la connaissance de ce dénouement, avait jugé qu'il était préférable que je disparaisse si cela signifiait la libération de cette précieuse existence.


Une voix grave et profonde, similaire à celle de Reisuke lorsqu'il était encore contrôlé, retentit alors dans l'espace, me narguant.


« Félicitations pour avoir gagné cette bataille, Hiroki. Mais comme je te l'ai dit, les bons sentiments ne suffisent pas à arrêter les injustices de ce monde. Et contrairement à toi, je reviendrai afin de terminer mon œuvre. Ce n'est que partie remise.


— J'ai confiance en Reisuke pour t'arrêter lorsque tu reviendras. soupirai-je, heureux. Cette fois, il sera prêt. »


La voix grave s'évapora alors, tandis que je m'écroulai finalement au sol. Reisuke et Erika accoururent vers moi. L'espace de bataille disparut en même temps que Draekort, le monstre de mon petit-frère, laissant le décor de la centrale désaffectée reprendre le dessus sur la galaxie dans laquelle nous nous trouvions. Les deux camarades de toujours se hâtèrent, courant à perdre haleine jusqu'à être proches de moi. Ils espéraient sûrement pouvoir me sauver, mais je savais que c'était trop tard. Ma respiration se faisait déjà lourde. Mon champ de vision s'obscurcissait, au point de me demander un effort considérable rien que pour garder les yeux ouverts. Une grande douleur semblait comme me brûler les organes de l'intérieur, laissant une sensation de vide dans mon esprit. Incapable de réfléchir ou de raisonner, j'allais bientôt perdre connaissance pour de bon.


« Hiroki ! hurla Reisuke, dont les larmes abondaient déjà sur ses joues. Ne t'en fais pas ! Nous allons trouver une solution pour te venir en aide !


— Il est trop tard, bégayai-je en rassemblant mes forces. Reisuke, j'aurais voulu te dire des tas de choses, t'expliquer de vive voix comment nous en sommes arrivés là, mais je n'ai plus le temps, alors prends ceci. »


Je mis ma main dans ma veste avec difficulté, cherchant à sortir cette lettre que j'avais écrite quelques jours plus tôt. Mais mon bras était trop lourd. C'était de plus en plus difficile à supporter, et finalement, je ne réussis pas. Je parvins seulement à laisser tomber les feuilles au sol. Reisuke les remarqua, cela me fit sourire. Dans un ultime élan d'effort, je lançai une dernière déclaration dans mon dernier souffle.


« Je t'aime, petit-frère. »





Spoiler :


« Où suis-je… Que s'est-il passé… Que fais-je ici… ? » Telles furent les questions que je me posai lorsque j'ouvris les yeux. Regardant autour de moi de part et d'autres, je m'aperçus du nouvel environnement dans lequel je me trouvai. Je m'étais réveillé dans un espace fait de pénombre, comme s'il s'agissait d'un autre monde, d'une autre dimension dans laquelle je me trouvai.


Tout dans ce monde n'était que désespoir et misère. Je me trouvais sur une sorte de plage, faite de sable gris s'étendant à perte de vue tandis que le ciel, lui, était recouvert d'un voile sombre empêchant même le soleil de passer. Seul le paisible bruit du flux et du reflux venait susciter mon audition. Ce bruit imposant sa propre ambiance était parfois interrompu par quelques sons d'éclairs venant du ciel, comme si un orage se préparait au loin…


Ici même, une brume assez épaisse de couleur blanche remontait jusqu'à ma taille, m'empêchant ainsi d'investiguer en détail les éléments naturels qui m'entouraient. Malgré le fait que j'adorais les plages en temps normal, je me sentais vraiment mal à l'aise dans cet environnement dont les seules couleurs étaient des nuances de gris, ôtant toute teinte à la nature.


Détournant mon regard du décor, je tentai de me focaliser sur mon premier objectif : me remémorer les évènements qui s'étaient passés avant que je ne me retrouve ici, cherchant en vain dans mon esprit semblant vide la réponse à mes questions. La dernière chose dont je me souvenais, c'était de m'être embarqué dans ce voyage au travers le temps avec Hakaze et Eri –


« Erika ! hurlai-je dans l'espace, m'interrompant moi-même dans mes pensées. Erika tu vas bien !? Où es-tu !? »


Personne ne me répondit. Je me rappelai alors de quelques évènements que nous avions vécus avant mon arrivée ici. Oui, Erika était en danger. C'était ce qu'il se passait.


Elle avait été attaquée par ce bandit…et après…le vide total. Avait-elle été tuée, et moi aussi par la même occasion, me retrouvant dans cet endroit triste et froid… ? Je n'avais aucune idée de ce qu'il s'était passé… Mais alors que je me posais des questions en mon for intérieur, je fus interrompu par quelque chose qui apparut devant moi. Une ombre assez impressionnante surgit de nulle part, arrachant avec elle le peu de vie qu'il restait au paysage alentour, pour finalement s'arrêter devant moi. Je ne pouvais distinguer ce qui me parlait vraiment. Était-ce un homme ? Un Izrathien ? Je n'en avais aucune idée, mais sa voix grave résonnant dans les alentours me glaça le sang à peine la chose commença à prendre la parole.


« Sois le bienvenu dans mon monde, Reisuke Yamada. Beaucoup de questions se posent, n'est-ce pas ?


— Mais qui êtes-vous… ? lâchai-je, complètement abasourdi par toutes ces choses. Que fais-je ici, et qu'est-ce que ce monde ?


— Du calme. Tu obtiendras les réponses que tu voudras en temps voulu. Pour le moment, sache que c'est toi qui as accepté de venir ici.


— Comment ça !? protestai-je. Comment pourrais-je accepter de vivre dans un endroit si…si dénué de vie ?


— Je suppose qu'avant de te révéler quoi que ce soit de plus, je devrais te rappeler le pourquoi tu es là n'est-ce pas ? suggéra l'ombre. Bien, écoute-moi donc. Toi et tes amies vous êtes arrivés en Égypte, vous battant d'entrée de jeu avec un bandit et son monstre. Cette personne a affronté les femmes t'accompagnant et les a vaincues assez facilement à vrai dire… Pour sauver l'une d'elles, tu as pris les choses en main et invoqué ton Izrathien.


— Mon Izrathien… ? bégayai-je. Je n'ai passé aucun contrat avec l'un des leurs.


— Bien sûr que si tu en possèdes un. Il est normal pour toi d'en posséder un. Mais alors que tu as relâché les pouvoirs de ce monstre qui sommeillait en toi, j'en ai profité pour te faire accepter ma domination sur toi. Tu as accepté mon influence, me permettant ainsi de te plonger dans ce monde.


— Je ne comprends toujours pas…ce que tu es.


— Tu peux me nommer Thymeos. Je suis l'essence même de ton désespoir, la partie sombre en toi que tu essayes de repousser au quotidien depuis que je me suis installé en toi, il y a maintenant plus d'une décennie. Cet univers dans lequel tu te trouves est le monde dans lequel je plonge tous ceux qui sont troublés, craintifs, en colère, tous ceux qui sont plongés dans le regret, dans le doute, dans le désarroi, dans la tristesse… Ce monde est celui du désespoir. Dans cet espace, rien n'a plus d'importance. La vie, l'amour, la joie, la peine, le regret, la tristesse, la responsabilité, les fardeaux… Tout cela n'existe plus. Ici nous t'enlevons tous tes fardeaux et toutes tes peines, à la seule et unique condition que tu ne seras compris que par les personnes présentes ici.


— D'autres personnes sont présentes ici !? Combien sommes-nous ?


— Je ne peux te révéler une telle information… Car ton monde de désespoir est différent de celui des autres. Contrairement à eux, il y a certaines choses que tu es défendu de faire. »


Je m'arrêtai quelques moments, confus par ce que la chose en face de moi venait de m'avouer. Ce monde était donc celui du désespoir ? Une terre où plus rien n'avait de sens, comme le disait alors Thymeos ? C'était difficile à croire… En quoi mon choix de sauver Erika m'avait fait-il basculer dans un tel endroit ? Et comment allais-je pouvoir en sortir ? Tout cela était étrange, très étrange. Je repris la parole, cherchant à éclaircir ce que disait Thymeos, sachant très bien qu'il pouvait me mentir, mais après tout, il était le seul interlocuteur capable de me répondre.


« Pourquoi suis-je ici !? Je suis mort en protégeant Erika ? Pourquoi aurais-je besoin du monde du désespoir pour m'enlever mes fardeaux et mes peines ?


— Tu ne te rappelles donc vraiment plus de rien n'est-ce pas… ? soupira l'ombre. Bien, je vais te rafraîchir la mémoire, Reisuke. »


L'ombre m'enveloppa complètement, laissant disparaître au fur et à mesure les éléments qui composaient le sinistre décor dans lequel je me trouvais. J'entendais encore les bruits alentours, me permettant donc de déduire que je n'étais qu'entouré d'un voile de ténèbres, et non transporté ailleurs. Je tentai de prendre la parole, voulant questionner davantage la mystérieuse forme s'étant présentée devant moi, mais je ne pouvais pas parler, j'étais devenu aphone. L'ombre reprit alors, me révélant un détail de plus sur ce monde sordide.


« Tu ne peux pas parler pour le moment. Je voudrais simplement te montrer quelque chose afin que tu te souviennes du comment tu es arrivé ici. »


Je ne tentai plus de rétorquer, acceptant la cruelle évidence que je semblais désormais faire partie de son monde et que j'étais obligé d'obéir à ses règles. Laissant ainsi la créature poursuivre, je pus constater qu'elle fit apparaître une sorte d'écran de fumée qui s'alluma rapidement, tel un poste de télévision l'aurait fait pour retransmettre une émission au grand public. Sur cette retransmission live… Ce fut mon image que je vis.


Accompagné d'Erika et Hakaze, je faisais face au bandit avec le nouveau pouvoir que j'avais acquis, celui de Draekort, le serpent à six têtes. Mais moi… Je n'étais plus la même personne. Mes cheveux avaient poussé à une vitesse folle tandis que mon regard noir était marqué par deux lueurs rouges faisant même plier les ténèbres de la chaude nuit égyptienne. J'avais perdu la timidité naturelle qui entourait mon aura pour ne laisser que de l'arrogance transparaître lorsque l'on me regardait. Avais-je vraiment subi une telle métamorphose… ?


Pour toute réponse à ma question intérieure, celui qui semblait être mon homologue se jeta sur le bandit, armé de son serpent, Draekort le dragon maléfique. Le monstre à six têtes attaquait depuis les entrailles même de la terre dont il ressortait encore et encore, acculant de plus en plus la créature sombre contrôlée par le balafré que nous affrontions. Les mouvements effectués par mon double ceux faits par sa créature, étaient tout sauf ce que j'avais l'habitude de faire. J'étais devenu…exactement comme Erika, pris d'une autre personnalité dont j'ignorais la provenance.


L'ombre qui me parlait s'approcha de nouveau de moi, reprenant la parole de sa voix grave et sans aucune émotion.


« Ce que tu as fait ici, tu l'as accompli de ton propre chef. C'est toi qui as décidé de prendre les armes, de réveiller ton Izrathien et de le laisser gagner le contrôle. Cependant, tes tourments n'en sont que devenus plus forts, écrasant peu à peu ta volonté au fur et à mesure que tu montais en puissance… Et nous nous sommes rencontrés.


— Comment ai-je pu rencontrer quelque chose que je ne peux même pas saisir… ?


— Je ne suis pas quelqu'un à proprement parler. Je ne suis qu'un serviteur. Regarde donc. »


L'ombre à laquelle je faisais face se dissipa sous mes yeux, laissant apparaître la véritable forme de mon interlocuteur… La personne à qui je parlais depuis tout à l'heure…N'était autre que moi.


Un autre moi d'apparence identique à celui que je représentais, à l'exception près qu'il était beaucoup plus las et sinistre, ne laissant pour seule lumière l'illuminant que deux grands yeux jaunes translucides. Je lâchai un cri de surprise, reculant d'un pas devant l'apparition soudaine de cette autre facette de ma personne. Cela fit sourire l'être qui se trouvait en face, le laissant ainsi reprendre son histoire à propos de mes souvenirs.


« Tu as pris la décision d'utiliser ton nouveau pouvoir pour sauver toi-même ton amie, croyant que cela suffirait à vaincre n'importe qui ? déclara Thymeos. Mais tu as rencontré mon maître sur ta route.


— Ton maître ? bredouillai-je, hésitant. Qui est-il ? Et pourquoi s'en est-il pris à moi ?


— Je ne suis pas autorisé à te révéler cette information. Tout ce que je peux te dire, Reisuke, c'est qu'il a su trouver les mots pour m'introduire en toi. Maître m'a permis de reprendre la place qui m'était due. Juste grâce à cet événement duquel j'ai émergé.


— De quoi parles-tu ?


— De la mort de nos parents, Reisuke, s'amusa l'ombre. Rappelle-toi, c'est toi qui as tué Papa et Maman ! »


Lorsque mon homologue des ténèbres m'annonça cette nouvelle, je me rappelai alors l'altercation que j'avais eue avec son maître. Je ne pouvais ni me rappeler de son visage, ni de son accoutrement, mais ce qu'il me dit me revint immédiatement en mémoire… Je compris peu à peu jusqu'où allait se rendre Thymeos dans ses explications… Mais tandis que j'allais le devancer, je constatai que j'étais de nouveau aphone. L'écran de fumée diffusa quelque chose d'autre devant mon regard détruit par ce que me révélait le serviteur.


Je me trouvais face au maître dont Thymeos avait pris le soin de masquer l'identité par un épais écran de fumée sombre l'entourant. Arborant un regard mauvais en direction de celui qui s'était mis en travers de ma route, j'appelai rapidement Draekort, engageant un combat sans merci entre moi et celui qui avait osé me détourner de mon objectif premier : la protection d'Erika. Cependant, je fus aussi surpris que mon homologue de l'écran lorsque je vis que ma créature, le dragon maléfique, fut détruite par une simple pression du regard provenant de mon adversaire. Les yeux écarquillés, je n'eus d'autre choix que d'écouter les paroles de la personne à laquelle je m'en étais prise.


« Toujours d'une faiblesse affligeante, Reisuke. Tu n'as pas changé depuis ces dix dernières années. Toujours en train d'aboyer, mais bien trop faible pour agir.


— Vous êtes… !? Cette voix que j'ai entendue lorsque je remontais le temps !


— En effet, ricana le maître. Je ne m'attendais cependant pas à ce que tu finisses ici, en Égypte. Tant mieux, j'aurai l'occasion de te parler. Devine quoi ? Tu as été sélectionné par ma royale personne pour devenir un guerrier du désespoir.


— Très drôle, raillai-je, pas du tout convaincu. Maintenant casse-toi, j'ai autre chose à faire. »


J'ignorai alors la personne, passant à côté d'elle afin de partir ailleurs. Mais lorsque que je la frôlai, elle ouvrit la bouche, sortant quelques mots d'une voix cruelle… Quelques syllabes ayant l'effet d'une bombe dans mon esprit tant elles étaient méchantes et déroutantes.


« Tu ne pourras rien protéger dans cet état, Reisuke. Tu es encore aussi faible que tu ne l'étais lorsque tes deux bons à rien de parents se sont fait tuer sans que tu ne puisses bouger le petit doigt.


— Comment sais-tu ça !? grognai-je. Et qui es-tu pour me juger de la sorte !!?


— Tu n'es pas en droit de poser des questions, misérable vermine. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est bien folle cette fille pour faire confiance à quelqu'un de si pathétique. Écoute donc les voix de ceux qui ont péri par ton impuissance ! »


Ces mots eurent le même effet sur mon esprit que sur celui qui était moi sur cet écran de fumée. Ils déclenchèrent une vague de culpabilité et de souvenirs entremêlés qui se bousculèrent dans ma tête, plongeant mon âme dans la confusion. Cependant, contrairement à moi, celui qui était dans le monde extérieur semblait être littéralement détruit par ces pensées. Mais je pouvais le comprendre, puisque tout comme lui, j'entendais tout ce qui passait dans sa tête, que ce soit les voix qui retentissaient, ou bien ses réponses pour les faire taire.


« Pourquoi n'as-tu rien fait, Reisuke ? dit la première.


— J'étais trop jeune, répondit celui que j'incarnais dans le monde réel. Je ne pouvais rien faire.


— Tu aurais pu appeler quelqu'un pour nous porter secours ! hurla une seconde voix pleine de reproches.


— Je suis arrivé trop tard… bégaya mon alter ego, décontenancé.


— Tu voulais nous voir disparaître ! reprit la première voix.


— Non c'est faux ! Je vous aimais…du plus profond de mon cœur…


— Alors pourquoi n'étais-tu pas là !? Pourquoi nous as-tu laissé mourir !? Pourquoi nous avoir tué, Reisuke !? »


Celui qui me représentait poussa un hurlement de désespoir et de culpabilité qui me fit frémir. Il reprit de plus belle, voulant se justifier à des voix vraisemblablement imaginaires.


« Je ne voulais pas que vous partiez ! J'avais encore besoin de vous ! Je voulais voir papa rentrer et me porter en me disant que j'étais de plus en plus costaud ! Je voulais que Maman m'étreigne et me dise qu'elle m'aimait… Je voulais connaître des tas de choses avec vous…J'aimerais tellement revenir en arrière…


— Reisuke, répondit la voix, l'accusant encore. Tu nous as trahi, jamais tu ne pourras revenir en arrière ! »


Les voix de mes parents se faisaient de plus en plus pesantes et menaçantes, acculant de plus en plus le personnage me représentant sur cet écran de fumée qui diffusait toujours ce qui semblait être un acte passé. Mon homologue se fit littéralement détruire l'esprit par ces mots de culpabilité revenant encore et encore, détruisant peu à peu toute la volonté exprimée par l'homme qui se déchirait physiquement pour éviter au maximum de laisser son mental se briser par la force de ses souvenirs.


Comme me sentant non concerné par cette scène qui était quand même une partie de ce que j'avais vécu, je n'émis pas la moindre larme, pas la moindre frustration, en regardant cette parcelle de mémoire qu'il me restait. Je compris alors le sens des paroles qu'avait dit Thymeos quelques dizaines de minutes plus tôt. La frustration, la colère, le dégoût, le regret, plus rien n'avait d'importance ici.


« C'est ce que tu as demandé. Mon maître a resserré son emprise en te demandant si tu voulais poser ce fardeau qu'était ton impuissance, faire taire ces voix qu'étaient celles de ta culpabilité, et ne plus entendre parler de cette histoire. Et pour être soulagé de tes maux psychologiques, tu as accepté son aide, le laissant ainsi éveiller tout mon potentiel en toi. Je suis né le jour où tu as vu les cadavres de tes parents étendus devant toi, et j'ai attendu qu'il me libère pour pouvoir prendre le contrôle. Grâce à lui, regarde tout ce que j'ai accompli. »


Habitué au fait d'être aphone lorsque l'on ne m'autorisait pas à parler, je jetai silencieusement mon regard sur l'écran qui montra des scènes diverses et variées me mettant en scène. Une image sur laquelle j'élevai une grande tour de granit au beau milieu de Yokohama, emportant avec moi des tas et des tas de citoyens qui tombèrent comme des mouches au fur et à mesure qu'elle s'élevait, une autre me montrant avec Hiroki, Erika et Hakaze, dans un affrontement dans lequel je mettais toute la rage que j'avais à l'intérieur. Je réalisai que pendant que j'étais ici, celui qui contrôlait mon enveloppe charnelle était en train de répandre le mal… Je pris alors la seule décision qui s'offrait à moi, arrêter Thymeos une bonne fois pour toutes. Je repris la parole, brisant par la force de ma voix l'aphonie qui m'était infligée.


« J'ai fait une erreur en me réfugiant une fois de plus dans la facilité, déclarai-je, déterminé. Faire taire ces voix, c'était fuir ma responsabilité. J'aurais tout simplement dû les écouter, les encaisser encore et encore jusqu'à ce qu'elles ne se taisent… Mais dès maintenant… Je ne prendrai pas le même chemin, je ne me fourvoierai pas de nouveau. Erika m'attend, je dois lui montrer que je suis fort.


— Erika… ? s'amusa mon double, se retenant d'éclater de rire. Elle a déjà trouvé un autre héros. Tu le sais aussi bien que moi, ton très cher rival, Hiroki, est en train de prendre soin d'elle. Personne n'espère ton retour, pourquoi te préoccuper d'eux ? Pourquoi subir la souffrance dans le monde réel alors que tu peux t'épanouir dans l'indifférence ici ?


— Erika…m'a laissé tombé… ? murmurai-je, repensant à celle que j'aimais. Je vois… Je suis vraiment seul… »


Le peu de combativité que j'avais ravivé en moi se fit détruire par l'argument de Thymeos. L'écran de fumée se dissipa. Apparemment, l'ombre n'avait plus rien à me faire voir. Elle me laissa retourner sur cette plage grisâtre tandis qu'elle retourna d'où elle venait : de nulle part. J'étais donc seul en ce monde terne, froid et dénué d'émotions, pour je ne savais combien de temps, pour je ne savais quelle raison…M'asseyant face à l'eau grise, je me posai davantage de questions. Avais-je besoin d'un motif pour me trouver dans ce monde, ou n'avais-je tout simplement aucune raison de vouloir rentrer dans le mien… ? J'ignorais dans lequel de ces cas je me trouvais, mais ce que je savais vraiment, c'était que je n'avais plus ma place à l'extérieur.





Spoiler :


« Où suis-je… Que s'est-il passé… Que fais-je ici… ? » Telles furent les questions que je me posai lorsque j'ouvris les yeux. Regardant autour de moi de part et d'autres, je m'aperçus du nouvel environnement dans lequel je me trouvai. Je m'étais réveillé dans un espace fait de pénombre, comme s'il s'agissait d'un autre monde, d'une autre dimension dans laquelle je me trouvai.


Tout dans ce monde n'était que désespoir et misère. Je me trouvais sur une sorte de plage, faite de sable gris s'étendant à perte de vue tandis que le ciel, lui, était recouvert d'un voile sombre empêchant même le soleil de passer. Seul le paisible bruit du flux et du reflux venait susciter mon audition. Ce bruit imposant sa propre ambiance était parfois interrompu par quelques sons d'éclairs venant du ciel, comme si un orage se préparait au loin…


Ici même, une brume assez épaisse de couleur blanche remontait jusqu'à ma taille, m'empêchant ainsi d'investiguer en détail les éléments naturels qui m'entouraient. Malgré le fait que j'adorais les plages en temps normal, je me sentais vraiment mal à l'aise dans cet environnement dont les seules couleurs étaient des nuances de gris, ôtant toute teinte à la nature.


Détournant mon regard du décor, je tentai de me focaliser sur mon premier objectif : me remémorer les évènements qui s'étaient passés avant que je ne me retrouve ici, cherchant en vain dans mon esprit semblant vide la réponse à mes questions. La dernière chose dont je me souvenais, c'était de m'être embarqué dans ce voyage au travers le temps avec Hakaze et Eri –


« Erika ! hurlai-je dans l'espace, m'interrompant moi-même dans mes pensées. Erika tu vas bien !? Où es-tu !? »


Personne ne me répondit. Je me rappelai alors de quelques évènements que nous avions vécus avant mon arrivée ici. Oui, Erika était en danger. C'était ce qu'il se passait.


Elle avait été attaquée par ce bandit…et après…le vide total. Avait-elle été tuée, et moi aussi par la même occasion, me retrouvant dans cet endroit triste et froid… ? Je n'avais aucune idée de ce qu'il s'était passé… Mais alors que je me posais des questions en mon for intérieur, je fus interrompu par quelque chose qui apparut devant moi. Une ombre assez impressionnante surgit de nulle part, arrachant avec elle le peu de vie qu'il restait au paysage alentour, pour finalement s'arrêter devant moi. Je ne pouvais distinguer ce qui me parlait vraiment. Était-ce un homme ? Un Izrathien ? Je n'en avais aucune idée, mais sa voix grave résonnant dans les alentours me glaça le sang à peine la chose commença à prendre la parole.


« Sois le bienvenu dans mon monde, Reisuke Yamada. Beaucoup de questions se posent, n'est-ce pas ?


— Mais qui êtes-vous… ? lâchai-je, complètement abasourdi par toutes ces choses. Que fais-je ici, et qu'est-ce que ce monde ?


— Du calme. Tu obtiendras les réponses que tu voudras en temps voulu. Pour le moment, sache que c'est toi qui as accepté de venir ici.


— Comment ça !? protestai-je. Comment pourrais-je accepter de vivre dans un endroit si…si dénué de vie ?


— Je suppose qu'avant de te révéler quoi que ce soit de plus, je devrais te rappeler le pourquoi tu es là n'est-ce pas ? suggéra l'ombre. Bien, écoute-moi donc. Toi et tes amies vous êtes arrivés en Égypte, vous battant d'entrée de jeu avec un bandit et son monstre. Cette personne a affronté les femmes t'accompagnant et les a vaincues assez facilement à vrai dire… Pour sauver l'une d'elles, tu as pris les choses en main et invoqué ton Izrathien.


— Mon Izrathien… ? bégayai-je. Je n'ai passé aucun contrat avec l'un des leurs.


— Bien sûr que si tu en possèdes un. Il est normal pour toi d'en posséder un. Mais alors que tu as relâché les pouvoirs de ce monstre qui sommeillait en toi, j'en ai profité pour te faire accepter ma domination sur toi. Tu as accepté mon influence, me permettant ainsi de te plonger dans ce monde.


— Je ne comprends toujours pas…ce que tu es.


— Tu peux me nommer Thymeos. Je suis l'essence même de ton désespoir, la partie sombre en toi que tu essayes de repousser au quotidien depuis que je me suis installé en toi, il y a maintenant plus d'une décennie. Cet univers dans lequel tu te trouves est le monde dans lequel je plonge tous ceux qui sont troublés, craintifs, en colère, tous ceux qui sont plongés dans le regret, dans le doute, dans le désarroi, dans la tristesse… Ce monde est celui du désespoir. Dans cet espace, rien n'a plus d'importance. La vie, l'amour, la joie, la peine, le regret, la tristesse, la responsabilité, les fardeaux… Tout cela n'existe plus. Ici nous t'enlevons tous tes fardeaux et toutes tes peines, à la seule et unique condition que tu ne seras compris que par les personnes présentes ici.


— D'autres personnes sont présentes ici !? Combien sommes-nous ?


— Je ne peux te révéler une telle information… Car ton monde de désespoir est différent de celui des autres. Contrairement à eux, il y a certaines choses que tu es défendu de faire. »


Je m'arrêtai quelques moments, confus par ce que la chose en face de moi venait de m'avouer. Ce monde était donc celui du désespoir ? Une terre où plus rien n'avait de sens, comme le disait alors Thymeos ? C'était difficile à croire… En quoi mon choix de sauver Erika m'avait fait-il basculer dans un tel endroit ? Et comment allais-je pouvoir en sortir ? Tout cela était étrange, très étrange. Je repris la parole, cherchant à éclaircir ce que disait Thymeos, sachant très bien qu'il pouvait me mentir, mais après tout, il était le seul interlocuteur capable de me répondre.


« Pourquoi suis-je ici !? Je suis mort en protégeant Erika ? Pourquoi aurais-je besoin du monde du désespoir pour m'enlever mes fardeaux et mes peines ?


— Tu ne te rappelles donc vraiment plus de rien n'est-ce pas… ? soupira l'ombre. Bien, je vais te rafraîchir la mémoire, Reisuke. »


L'ombre m'enveloppa complètement, laissant disparaître au fur et à mesure les éléments qui composaient le sinistre décor dans lequel je me trouvais. J'entendais encore les bruits alentours, me permettant donc de déduire que je n'étais qu'entouré d'un voile de ténèbres, et non transporté ailleurs. Je tentai de prendre la parole, voulant questionner davantage la mystérieuse forme s'étant présentée devant moi, mais je ne pouvais pas parler, j'étais devenu aphone. L'ombre reprit alors, me révélant un détail de plus sur ce monde sordide.


« Tu ne peux pas parler pour le moment. Je voudrais simplement te montrer quelque chose afin que tu te souviennes du comment tu es arrivé ici. »


Je ne tentai plus de rétorquer, acceptant la cruelle évidence que je semblais désormais faire partie de son monde et que j'étais obligé d'obéir à ses règles. Laissant ainsi la créature poursuivre, je pus constater qu'elle fit apparaître une sorte d'écran de fumée qui s'alluma rapidement, tel un poste de télévision l'aurait fait pour retransmettre une émission au grand public. Sur cette retransmission live… Ce fut mon image que je vis.


Accompagné d'Erika et Hakaze, je faisais face au bandit avec le nouveau pouvoir que j'avais acquis, celui de Draekort, le serpent à six têtes. Mais moi… Je n'étais plus la même personne. Mes cheveux avaient poussé à une vitesse folle tandis que mon regard noir était marqué par deux lueurs rouges faisant même plier les ténèbres de la chaude nuit égyptienne. J'avais perdu la timidité naturelle qui entourait mon aura pour ne laisser que de l'arrogance transparaître lorsque l'on me regardait. Avais-je vraiment subi une telle métamorphose… ?


Pour toute réponse à ma question intérieure, celui qui semblait être mon homologue se jeta sur le bandit, armé de son serpent, Draekort le dragon maléfique. Le monstre à six têtes attaquait depuis les entrailles même de la terre dont il ressortait encore et encore, acculant de plus en plus la créature sombre contrôlée par le balafré que nous affrontions. Les mouvements effectués par mon double ceux faits par sa créature, étaient tout sauf ce que j'avais l'habitude de faire. J'étais devenu…exactement comme Erika, pris d'une autre personnalité dont j'ignorais la provenance.


L'ombre qui me parlait s'approcha de nouveau de moi, reprenant la parole de sa voix grave et sans aucune émotion.


« Ce que tu as fait ici, tu l'as accompli de ton propre chef. C'est toi qui as décidé de prendre les armes, de réveiller ton Izrathien et de le laisser gagner le contrôle. Cependant, tes tourments n'en sont que devenus plus forts, écrasant peu à peu ta volonté au fur et à mesure que tu montais en puissance… Et nous nous sommes rencontrés.


— Comment ai-je pu rencontrer quelque chose que je ne peux même pas saisir… ?


— Je ne suis pas quelqu'un à proprement parler. Je ne suis qu'un serviteur. Regarde donc. »


L'ombre à laquelle je faisais face se dissipa sous mes yeux, laissant apparaître la véritable forme de mon interlocuteur… La personne à qui je parlais depuis tout à l'heure…N'était autre que moi.


Un autre moi d'apparence identique à celui que je représentais, à l'exception près qu'il était beaucoup plus las et sinistre, ne laissant pour seule lumière l'illuminant que deux grands yeux jaunes translucides. Je lâchai un cri de surprise, reculant d'un pas devant l'apparition soudaine de cette autre facette de ma personne. Cela fit sourire l'être qui se trouvait en face, le laissant ainsi reprendre son histoire à propos de mes souvenirs.


« Tu as pris la décision d'utiliser ton nouveau pouvoir pour sauver toi-même ton amie, croyant que cela suffirait à vaincre n'importe qui ? déclara Thymeos. Mais tu as rencontré mon maître sur ta route.


— Ton maître ? bredouillai-je, hésitant. Qui est-il ? Et pourquoi s'en est-il pris à moi ?


— Je ne suis pas autorisé à te révéler cette information. Tout ce que je peux te dire, Reisuke, c'est qu'il a su trouver les mots pour m'introduire en toi. Maître m'a permis de reprendre la place qui m'était due. Juste grâce à cet événement duquel j'ai émergé.


— De quoi parles-tu ?


— De la mort de nos parents, Reisuke, s'amusa l'ombre. Rappelle-toi, c'est toi qui as tué Papa et Maman ! »


Lorsque mon homologue des ténèbres m'annonça cette nouvelle, je me rappelai alors l'altercation que j'avais eue avec son maître. Je ne pouvais ni me rappeler de son visage, ni de son accoutrement, mais ce qu'il me dit me revint immédiatement en mémoire… Je compris peu à peu jusqu'où allait se rendre Thymeos dans ses explications… Mais tandis que j'allais le devancer, je constatai que j'étais de nouveau aphone. L'écran de fumée diffusa quelque chose d'autre devant mon regard détruit par ce que me révélait le serviteur.


Je me trouvais face au maître dont Thymeos avait pris le soin de masquer l'identité par un épais écran de fumée sombre l'entourant. Arborant un regard mauvais en direction de celui qui s'était mis en travers de ma route, j'appelai rapidement Draekort, engageant un combat sans merci entre moi et celui qui avait osé me détourner de mon objectif premier : la protection d'Erika. Cependant, je fus aussi surpris que mon homologue de l'écran lorsque je vis que ma créature, le dragon maléfique, fut détruite par une simple pression du regard provenant de mon adversaire. Les yeux écarquillés, je n'eus d'autre choix que d'écouter les paroles de la personne à laquelle je m'en étais prise.


« Toujours d'une faiblesse affligeante, Reisuke. Tu n'as pas changé depuis ces dix dernières années. Toujours en train d'aboyer, mais bien trop faible pour agir.


— Vous êtes… !? Cette voix que j'ai entendue lorsque je remontais le temps !


— En effet, ricana le maître. Je ne m'attendais cependant pas à ce que tu finisses ici, en Égypte. Tant mieux, j'aurai l'occasion de te parler. Devine quoi ? Tu as été sélectionné par ma royale personne pour devenir un guerrier du désespoir.


— Très drôle, raillai-je, pas du tout convaincu. Maintenant casse-toi, j'ai autre chose à faire. »


J'ignorai alors la personne, passant à côté d'elle afin de partir ailleurs. Mais lorsque que je la frôlai, elle ouvrit la bouche, sortant quelques mots d'une voix cruelle… Quelques syllabes ayant l'effet d'une bombe dans mon esprit tant elles étaient méchantes et déroutantes.


« Tu ne pourras rien protéger dans cet état, Reisuke. Tu es encore aussi faible que tu ne l'étais lorsque tes deux bons à rien de parents se sont fait tuer sans que tu ne puisses bouger le petit doigt.


— Comment sais-tu ça !? grognai-je. Et qui es-tu pour me juger de la sorte !!?


— Tu n'es pas en droit de poser des questions, misérable vermine. Tout ce que je sais, c'est qu'elle est bien folle cette fille pour faire confiance à quelqu'un de si pathétique. Écoute donc les voix de ceux qui ont péri par ton impuissance ! »


Ces mots eurent le même effet sur mon esprit que sur celui qui était moi sur cet écran de fumée. Ils déclenchèrent une vague de culpabilité et de souvenirs entremêlés qui se bousculèrent dans ma tête, plongeant mon âme dans la confusion. Cependant, contrairement à moi, celui qui était dans le monde extérieur semblait être littéralement détruit par ces pensées. Mais je pouvais le comprendre, puisque tout comme lui, j'entendais tout ce qui passait dans sa tête, que ce soit les voix qui retentissaient, ou bien ses réponses pour les faire taire.


« Pourquoi n'as-tu rien fait, Reisuke ? dit la première.


— J'étais trop jeune, répondit celui que j'incarnais dans le monde réel. Je ne pouvais rien faire.


— Tu aurais pu appeler quelqu'un pour nous porter secours ! hurla une seconde voix pleine de reproches.


— Je suis arrivé trop tard… bégaya mon alter ego, décontenancé.


— Tu voulais nous voir disparaître ! reprit la première voix.


— Non c'est faux ! Je vous aimais…du plus profond de mon cœur…


— Alors pourquoi n'étais-tu pas là !? Pourquoi nous as-tu laissé mourir !? Pourquoi nous avoir tué, Reisuke !? »


Celui qui me représentait poussa un hurlement de désespoir et de culpabilité qui me fit frémir. Il reprit de plus belle, voulant se justifier à des voix vraisemblablement imaginaires.


« Je ne voulais pas que vous partiez ! J'avais encore besoin de vous ! Je voulais voir papa rentrer et me porter en me disant que j'étais de plus en plus costaud ! Je voulais que Maman m'étreigne et me dise qu'elle m'aimait… Je voulais connaître des tas de choses avec vous…J'aimerais tellement revenir en arrière…


— Reisuke, répondit la voix, l'accusant encore. Tu nous as trahi, jamais tu ne pourras revenir en arrière ! »


Les voix de mes parents se faisaient de plus en plus pesantes et menaçantes, acculant de plus en plus le personnage me représentant sur cet écran de fumée qui diffusait toujours ce qui semblait être un acte passé. Mon homologue se fit littéralement détruire l'esprit par ces mots de culpabilité revenant encore et encore, détruisant peu à peu toute la volonté exprimée par l'homme qui se déchirait physiquement pour éviter au maximum de laisser son mental se briser par la force de ses souvenirs.


Comme me sentant non concerné par cette scène qui était quand même une partie de ce que j'avais vécu, je n'émis pas la moindre larme, pas la moindre frustration, en regardant cette parcelle de mémoire qu'il me restait. Je compris alors le sens des paroles qu'avait dit Thymeos quelques dizaines de minutes plus tôt. La frustration, la colère, le dégoût, le regret, plus rien n'avait d'importance ici.


« C'est ce que tu as demandé. Mon maître a resserré son emprise en te demandant si tu voulais poser ce fardeau qu'était ton impuissance, faire taire ces voix qu'étaient celles de ta culpabilité, et ne plus entendre parler de cette histoire. Et pour être soulagé de tes maux psychologiques, tu as accepté son aide, le laissant ainsi éveiller tout mon potentiel en toi. Je suis né le jour où tu as vu les cadavres de tes parents étendus devant toi, et j'ai attendu qu'il me libère pour pouvoir prendre le contrôle. Grâce à lui, regarde tout ce que j'ai accompli. »


Habitué au fait d'être aphone lorsque l'on ne m'autorisait pas à parler, je jetai silencieusement mon regard sur l'écran qui montra des scènes diverses et variées me mettant en scène. Une image sur laquelle j'élevai une grande tour de granit au beau milieu de Yokohama, emportant avec moi des tas et des tas de citoyens qui tombèrent comme des mouches au fur et à mesure qu'elle s'élevait, une autre me montrant avec Hiroki, Erika et Hakaze, dans un affrontement dans lequel je mettais toute la rage que j'avais à l'intérieur. Je réalisai que pendant que j'étais ici, celui qui contrôlait mon enveloppe charnelle était en train de répandre le mal… Je pris alors la seule décision qui s'offrait à moi, arrêter Thymeos une bonne fois pour toutes. Je repris la parole, brisant par la force de ma voix l'aphonie qui m'était infligée.


« J'ai fait une erreur en me réfugiant une fois de plus dans la facilité, déclarai-je, déterminé. Faire taire ces voix, c'était fuir ma responsabilité. J'aurais tout simplement dû les écouter, les encaisser encore et encore jusqu'à ce qu'elles ne se taisent… Mais dès maintenant… Je ne prendrai pas le même chemin, je ne me fourvoierai pas de nouveau. Erika m'attend, je dois lui montrer que je suis fort.


— Erika… ? s'amusa mon double, se retenant d'éclater de rire. Elle a déjà trouvé un autre héros. Tu le sais aussi bien que moi, ton très cher rival, Hiroki, est en train de prendre soin d'elle. Personne n'espère ton retour, pourquoi te préoccuper d'eux ? Pourquoi subir la souffrance dans le monde réel alors que tu peux t'épanouir dans l'indifférence ici ?


— Erika…m'a laissé tombé… ? murmurai-je, repensant à celle que j'aimais. Je vois… Je suis vraiment seul… »


Le peu de combativité que j'avais ravivé en moi se fit détruire par l'argument de Thymeos. L'écran de fumée se dissipa. Apparemment, l'ombre n'avait plus rien à me faire voir. Elle me laissa retourner sur cette plage grisâtre tandis qu'elle retourna d'où elle venait : de nulle part. J'étais donc seul en ce monde terne, froid et dénué d'émotions, pour je ne savais combien de temps, pour je ne savais quelle raison…M'asseyant face à l'eau grise, je me posai davantage de questions. Avais-je besoin d'un motif pour me trouver dans ce monde, ou n'avais-je tout simplement aucune raison de vouloir rentrer dans le mien… ? J'ignorais dans lequel de ces cas je me trouvais, mais ce que je savais vraiment, c'était que je n'avais plus ma place à l'extérieur.





Spoiler :


« Je comprends ce que tu ressens, me dit une voix sortant de nulle part. »


Cette voix masculine qui me semblait familière m'interrompit dans mes pensées. Une ombre vint de nouveau se poser à côté de moi, me laissant distinguer une silhouette de jeune homme s'asseoir à mes côtés. Ses cheveux semblaient être dressés sur sa tête d'après sa forme, mais je ne pouvais pas en discerner davantage. Heureux d'avoir un semblant de compagnie, je ne me posai davantage de questions.


« Ce monde n'est pas si mauvais qu'on le pense, reprit-il de sa voix saccadée. Si je l'avais laissé ici, il n'aurait pas visé plus haut et ne se serait pas brûlé les ailes. Si l'espoir fait vivre, il peut aussi tuer… Alors je ne me risquerai plus à le côtoyer…


— Cette culpabilité te ronge ici aussi ? lui demandai-je, à la fois curieux et compatissant.


— Non. Quand je suis ici, plus rien n'a d'importance.


— C'est pour ça que ce monde nous convient, nous interrompit une autre voix sortant de nulle part. »


Ce fut une autre voix masculine qui s'interposa dans mon dialogue avec l'ombre, venant se poser à son tour à mes côtés face à la mer. L'ombre semblait moins puissante, mais je sentais une profonde lassitude provenant de ce qu'il représentait. Il reprit la parole d'un ton évasif, comme s'il était lui aussi loin de toute la réalité du monde réel.


« Toutes les joies et les peines appartiennent au passé. Quelque chose me rattache cependant encore au monde réel…comme cet homme qui sait défier les interdits pour le bien de sa femme et de sa fille. Je n'arrive pas à tourner la page et à aller de l'avant, parce que je vois en lui le même espoir que mes parents avaient dans leurs yeux lorsqu'ils me regardaient. Je ne peux donc pas complètement m'intégrer dans cet univers. Est-ce une chance, ou non ? Je n'en sais rien du tout… »


Je m'arrêtai quelques minutes, plongeant mon regard dans l'océan teinté de gris qui me faisait face. Si je n'avais pas de réelle raison pour rester ici… En avais-je une pour ne pas partir ? Certes, rester dans un monde où toutes les peines ne devenaient que de l'indifférence était alléchant… Mais je n'avais pas l'impression que c'était une fin convenable… Cela ne pouvait pas en être une en soi…


Je me relevai, laissant les deux présences autour de moi émettre un léger cri marqué par la surprise. Je questionnai mes intentions. Ma réponse les choqua lorsque je la leur fis savoir.


« Le monde du désespoir ne peut pas être la fin de la route. Je m'en vais chercher un univers qui correspondra à mes attentes dans la vie. Peu importe si je rentre seul, même si j'ai tout perdu, je peux tout reconstruire…et ce…même si la culpabilité me ronge et que je n'ai plus d'attaches… »


Laissant les deux masses ténébreuses ruminer sur leur sort, je me baladai dans ce monde, cherchant dans les moindres recoins un indice me permettant de sortir. Quittant la plage, je me retrouvai dans d'autres environnements tout aussi sinistres. Clairières, forêts, montagnes…toute l'atmosphère de ce monde n'était faite que de tristesse, de mélancolie et de désespoir. Je marchai quelques jours, cherchant encore et encore mon ticket de sortie pour retourner dans mon monde et mettre fin à tout ça…en vain.


Mais alors que j'étais au pic d'une montagne, à genoux, me maudissant d'avoir choisi la facilité une fois de plus, une autre présence vint se présenter à moi. Tout ce que je distinguais d'elle était une longue chevelure noire qui flottait dans le vent, tandis que le reste de son corps était plongé dans les ténèbres. Lorsque la voix de la créature résonna, je distinguai une tonalité féminine assez abstraite, marquée par de la profonde mélancolie, un profond regret.


« Que fais-tu ici à genoux, jeune garçon ? me lança-t-elle, compatissante.


— J'ai tenté de trouver la sortie de ce monde… murmurai-je. Mais je n'en ai aucune. Je ne peux pas quitter cet environnement infâme.


— Tiens, s'étonna la créature. Tu dois bien être le seul qui veuille sortir d'ici… Et paradoxalement, le seul qui ne puisse pas.


— Comment…!? Pourquoi dis-tu que je suis le seul coincé ici !?


— Toutes les personnes que tu croiseras ici viennent de leur propre chef. Il leur reste quelque chose à faire à l'extérieur, ce qui les pousse à repartir, mais sinon ils y resteraient bien. Et toi, as-tu vraiment quelque chose qui t'appelle à l'extérieur ? Sans raison véritable, tu ne sortiras jamais de cet endroit.


— Oui, répondis-je, déterminé. J'aimerais tout reconstruire, même si plus personne n'a besoin de moi. Voilà ce que je veux.


— Tu ne parviendras jamais à sortir d'ici avec cet état d'esprit, soupira la femme. Ce qu'il te faut, c'est de l'espoir. Si j'arrive à m'échapper d'ici, c'est parce qu'il y a quelqu'un à qui je tiens, et que le simple fait de le revoir suffit à me donner une motivation pour garder contact avec ce monde. Malgré toute la noirceur de mon âme, j'ose encore espérer qu'avec lui, je trouverai le chemin vers la lumière. Et toi ? Possèdes-tu un pilier auquel t'accrocher pour ne pas couler ?


— Il n'y a malheureusement personne qui répond à ce critère, murmurai-je, défaitiste. Puisque même elle… »


« Le pilier d'Erika, c'est que l'on puisse rentrer tous ensemble… Celui de Hakaze c'était de sauver la vie de son père… Le mien…C'est de pouvoir te ramener à tes proches. Je veux que l'on rentre tous et que l'on reprenne une vie normale…C'est tout ce que je cherche. Et toi, tu as oublié cette époque où ta seule motivation était le bonheur et la sécurité de celle que tu aimes ! »


Je déglutis. Qu'était-ce donc ? Cela me sembla comme une voix qui raisonnait dans ce monde de ténèbres… Comme des paroles d'espoir qui essayaient de faire disparaître la monotonie ambiante… Étaient-elles réelles… Ou simplement le fruit de mon imagination… ? Je ne savais pas différencier la réalité de la fiction ici. Cette ambiance était bien trop pesante pour me laisser y réfléchir…


Mais alors que je continuais à me morfondre… La voix retentit de nouveau. Une tonalité masculine assez grave portant quelque chose de plus que les individus que j'entendais ici… Comme si une profonde envie de vivre et d'aimer était ancrée en elle…


« Mais nous t'aimons Reisuke ! Peu importe ton absence de pouvoirs, sans cet odieux personnage qui a pris le contrôle de ton être. Nous aimons Reisuke Yamada comme il est, avec ses forces et ses faiblesses ! Nous t'attendons alors reprends le contrôle ! »


Cette voix…elle revenait encore pour me dire des paroles d'espoir… Étais-je aussi désespéré pour m'inventer une chimère à laquelle m'accrocher…ou quelqu'un venait-il vraiment pour moi… ?


Avant que je ne puisse trouver moi-même la confirmation, ce fut cette présence sombre qui me répondit, me confortant dans l'idée que je me faisais sur ce qui m'appelait.


« Et cette voix qui t'appelle, me dit-elle avec compassion, n'est-elle pas une raison suffisante de sortir d'ici ? Nous aimerions tous avoir la chance d'entendre quelqu'un nous appeler de l'extérieur, mais ce n'est pas quelque chose qui nous arrive à nous, peuple du désespoir. Que fais-tu encore ici ? Tu n'appartiens pas à notre monde. Va-t'en, Reisuke.


— J'imagine que…tu dois avoir raison, répondis-je, hésitant. Quelqu'un m'attend de l'autre côté…je crois… »


Le fait de prononcer ces mots eut pour effet de m'élever de plus en plus haut dans la montagne, me laissant voir d'une position supérieure ce monde dans lequel j'étais plongé. J'eus un pincement au cœur en voyant la désolation dans laquelle étaient plongés toutes ces âmes… Mais contrairement à moi, elles pouvaient aller et venir comme bon leur semblait… Je pouvais donc partir sans regrets.


Lorsque j'eus enfin quitté cet univers, je me retrouvai de nouveau face à Thymeos qui fut surpris de me voir ici. De l'espace dans lequel j'étais, je pouvais constater tout ce que l'individu faisait en mon nom… Et ce n'était effectivement pas joli à voir. Voyant que pendant que j'étais en train de me morfondre sans son monde, il en profitait pour semer le chaos, je fus pris d'une soudaine détermination à reprendre le contrôle avant qu'il ne soit trop tard. Je m'avançai vers Thymeos, ayant pour seul objectif la destruction de son emprise, mais ses mots vinrent une nouvelle fois percuter mon âme.


« Pourquoi veux-tu m'arrêter !? cracha-t-il, furieux. Je suis en train de tout détruire pour tout recommencer, exactement ce que tu veux, non ?


— Quelqu'un m'appelle à l'extérieur. Quelqu'un croit encore en moi… Je ne peux pas me laisser aller au désespoir alors qu'il m'appelle et est persuadé que je répondrai à ses mots. Je me battrai pour lui.


— Cette personne que tu entends c'est celui qui se bat contre nous en ce moment ! me répondit l'ombre, exaspérée. Il veut simplement t'amadouer pour te détruire et t'empêcher de tout reconstruire dans ta vie ! Laisse-moi le combattre avec toutes nos forces et je te garantis que tu n'auras plus à te préoccuper de ce que pensent les autres à ton sujet ! Tu seras libre de faire ce que tu veux !! »


« Tu as raison, Reisuke, dit Hiroki, attristé. Je ne suis qu'un faible, et je suis loin d'être un héros. Je n'ai d'ailleurs aucune chance de te vaincre, tout simplement car je ne le veux pas !


— Hiroki…ne veut pas gagner ? murmurai-je, dans l'incompréhension. Pourquoi… ?


— Plus j'encaisse et je donne des coups, plus je me dis que ce combat n'a aucun sens. Reisuke ! Crois-moi, deux membres de la même famille ne devraient pas avoir à s'affronter pour se comprendre !


— La même…famille… bégayai-je, sans vraiment réaliser ce qu'il voulait dire. »


Je me stoppai net à cet instant. Que voulait me dire Hiroki ? Pourquoi parlait-il de moi comme si nous étions de la même famille… ? Nous n'étions pas assez proches pour nous nous considérer comme deux membres de la même famille… Au contraire, nous étions rivaux, concourant chacun pour le cœur d'Erika. Et il avait bien profité de mon revirement de personnalité pour s'accaparer la jeune fille. Pourtant, lorsque je le regardais, je distinguais sur son visage qu'il se préoccupait vraiment de mon sort.


Thymeos réalisa que j'étais en train de reprendre espoir face aux paroles de Hiroki. Décidé à ne pas perdre son emprise, il reprit le contrôle de plus belle en me déclarant que ce n'était qu'illusion, que j'étais seul et que personne n'attendait mon retour, que tout cela n'était qu'un leurre pour me terrasser. Mais j'étais malgré tout convaincu qu'il avait tort. Je croyais en cette image que je voyais plus qu'en ses dires. Je reprenais confiance en moi.


« Je ne continuerai pas ce combat qui n'a pas de sens ! hurla Hiroki, désespéré. Tu es mon frère, et je ne lèverai pas la main sur toi de nouveau ! »


Mon…frère… ? Hiroki était vraiment mon frère… ? Non… Ce n'était pas possible. Depuis toujours j'étais fils unique. Le grand gaillard devait certainement mentir. Pourtant… Quelque chose en moi semblait vouloir croire en les paroles de l'homme. Thymeos quant à lui, semblant enragé par la tournure des choses, reprit le contrôle de plus belle, profitant de ma confusion pour reprendre la bataille que j'avais troublée par ma simple présence.


Mais alors que je regardais la scène en face de moi, encore chamboulé par l'argumentaire de mon rival, je fus surpris par le spectacle auquel j'assistais. Hiroki encaissait les coups, encore et encore, sans riposter. Lorsqu'il dégaina son épée, il s'engagea dans un duel contre Thymeos qu'il gagna rapidement. Mais alors qu'il aurait pu tout simplement nous tuer comme mon ombre le faisait sous-entendre, il se jeta sur moi pour m'étreindre. Cependant, Thymeos le repoussa, entraînant un combat de plus…


J'en avais assez de voir Hiroki se battre pour moi. J'en avais assez de voir le malheur se répandre autour de ma personne. J'en avais assez de causer tant de désastre simplement car j'étais d'une faiblesse affligeante. J'étais à bout, et je voulais que tout s'arrête.


« Disparaissons ensemble, Thymeos, déclarai-je glacial. Si tu veux tant que ça me contrôler, fais donc. Mais je ne te laisserai pas porter atteinte à ceux que j'aime. »


Cependant, alors que j'allais faire en sorte de nous détruire tous les deux, la voix de Hiroki résonna une fois de plus dans l'espace.


« Erika a raison ! Reisuke ! Je sais que tu m'entends au fond de toi ! Tu as traversé le temps et surpassé toutes tes contraintes pour aider Erika ! Tu as voulu la sauver comme tu m'as sauvé, car oui, si je suis encore en vie aujourd'hui c'est parce que ton existence même conjure le mauvais sort du désespoir au quotidien ! Reisuke ! Peu importe quel monde tu choisis d'ouvrir, cela ne nous ramènera pas nos parents ! Tu n'es pas le responsable de leur mort ! »


La dernière phrase émise par Hiroki résonna dans ma tête. Tout me revint alors, absolument tout. Hiroki était mon grand frère. Celui qui me protégeait quand nous étions enfants. Celui avec lequel je me battais pour savoir qui allait avoir le câlin du soir de maman. Celui qui était seul avant ma venue. Celui avec lequel j'avais promis étant gamin de nous serrer les coudes et de le faire parrain de mes enfants. Hiroki, non pas mon rival en amour, mais mon grand-frère, était venu pour me délivrer de mes tourments.


Tout s'illumina autour de moi en réaction à ma prise de conscience, Thymeos disparut en même temps que sa terre de désolation et de tristesse dans laquelle il m'avait plongé, me laissant alors reprendre connaissance sur le champ de bataille que j'avais créé moi-même. Des larmes étaient sorties de mes yeux sans que je ne m'en aperçoive, et cela semblait faire plaisir à mon frère qui affichait un air soulagé et marqué par un bonheur intense.


« Hiroki… bégaya Erika, semblant concernée par les déclarations de mon aîné.


— Grand-frère… suivis-je, tout aussi décontenancé qu'elle.


— Te rappelles-tu enfin de moi, Reisuke ? répondit Hiroki, sous le coup de l'émotion. »


J'acquiesçai timidement en détournant le regard, honteux face à tout le mal que j'avais causé. Hiroki m'étreignit dès qu'il le put, me laissant un peu mal à l'aise face à toute cette affection soudaine m'étant destinée. Il était encore trop tôt pour moi pour avoir de tels contacts…mais je savais désormais où se trouvait la vérité, où se trouvaient mes souvenirs, et surtout, les personnes ayant vraiment besoin de moi. Hiroki m'avait enseigné quelque chose que je ne comprenais pas auparavant. Il m'avait appris le sens du mot « espoir ».


Mais alors que tout semblait finir sur une note positive, j'entendis la voix de Thymeos provenant de derrière. Le savoir encore présent me glaça le sang, si bien que mes réactions ne furent pas assez rapides. Comme sortant de moi, la présence sombre s'écrasa contre mon frère, m'enlevant à son étreinte, le propulsant loin de moi. Erika lâcha un cri d'horreur qui retentit dans mes oreilles comme l'impact d'une bombe l'aurait fait. Je me ruai sur mon grand frère, redoutant le pire à son propos. Au fur et à mesure que j'accourrais vers lui, le décor de notre bataille finale disparaissait, ne laissant rien d'autre qu'une centrale nucléaire désaffectée et laissée à l'abandon, dont l'odeur mêlait effusions sanguines et poussière datant de dix ans au moins.


Lorsque j'arrivai au chevet de mon frère, je constatai qu'il était trop tard pour qu'il ne survive. Malgré tout, je tentai de le soigner, gardant espoir que je pouvais remédier cette grande plaie noire lui descendant de la clavicule jusqu'aux côtes…mais je perdis cette étincelle quelques secondes après qu'elle apparut, constant que mon aîné vivait ses derniers instants. Erika était à mes côtés, toute aussi affolée que je ne l'étais… Mais Hiroki lui, gardait le sourire…


« Hiroki ! hurlai-je en tentant de me rassurer, laissant déjà les larmes couler sur mes joues. Ne t'en fais pas ! Nous allons trouver une solution pour te venir en aide !


— Il est trop tard. bégaya mon aîné en rassemblant ses forces. Reisuke, j'aurais voulu te dire des tas de choses, t'expliquer de vive voix comment nous en sommes arrivés là, mais je n'ai plus le temps, alors prends ceci. »


Mon frère passa sa main dans sa veste, cherchant sûrement à sortir quelque chose qui m'était destiné… Cependant, alors qu'il allait me donner ce qui semblait être un trésor, le bras qui était dans sa poche se laissa tomber sous le poids de l'apesanteur. Je portai de nouveau mon regard affolé sur le visage de mon aîné, trouvant une expression chaleureuse marquée par la fatigue qui ouvrit une dernière fois la bouche, prenant la parole afin de me faire son ultime confession.


« Je t'aime, petit-frère. »


Ces quelques mots furent noyés dans le dernier souffle de mon frère qui se laissa partir dans mes bras. Les larmes que j'essayais de retenir jusqu'alors pour paraître digne devant Hiroki coulèrent le long de mes joues, entraînant avec elles le déferlement de toute ma tristesse, de toute ma rage, de toute ma frustration qui se traduisirent par un hurlement que je lâchai au ciel.


Erika s'écroula également. Je voulais la réconforter pour que ses larmes cessent… Mais je ne pouvais pas affronter son regard. Tout ce qui s'était passé était de ma faute. Dans mon regret j'avais réveillé quelque chose d'horrible en moi, et Hiroki l'avait payé du prix fort.


Je me relevai, déposant convenablement mon frère sur le sol. Je pris le soin de lui fermer délicatement les yeux. Affronter son regard vide était au-dessus de mes forces, surtout en repensant au fait que c'était moi qui avais causé cette abomination. Je repris finalement la parole à l'intention d'Erika, cherchant un petit réconfort dans toute cette folie.


« Erika…murmurai-je. Avant toute chose, nous devrions retrouver Hakaze.


— Mon Rei…bégaya la jeune femme, meurtrie. Hakaze… Hakaze est… »


Mon amie n'eut pas la force de terminer sa phrase. Elle lâcha la main de mon frère qu'elle tenait depuis quelques minutes, avant de désigner du doigt un point se trouvant à quelques mètres de nous. Je me levai, ouvrant la porte que me désignait Erika, avant de voir l'horrible vérité qu'elle tentait de me faire rentrer dans le crâne.


Dans l'autre salle de la centrale à l'abandon se trouvaient ses lieux dévastés, mais aussi et surtout des corps inertes. Une femme aux longs cheveux blancs et aux yeux bleus, accompagnée par une autre à la chevelure blonde et au regard scintillant s'efforçaient d'essayer de réanimer quelques personnes qui gisaient au sol, inconscientes. Parmi les individus en question, je reconnus immédiatement Soichiro et sa fille, mais aussi Indy Muller, accompagnés de deux garçons que je ne connaissais pas.


Je tombai sur les genoux, réalisant alors l'ampleur du mal que j'avais causé. Repensant à toutes ces vies que j'avais brisées, des nausées me vinrent. Je ne pus même pas opposer la moindre résistance, me laissant cracher ces émotions au sol, me maudissant encore et encore face à ce spectacle abject. Si j'avais pu le faire, je me serais littéralement tué sur place. Mais même ma mort n'était qu'une faible consolation face à tout ce que j'avais occasionné en termes de dégâts.


Je restai au sol quelques minutes avant de me faire interrompre dans mes pensées. Erika vint poser sa main sur mon épaule. Lorsque je relevai la tête, je pus distinguer son visage. Une expression souriante déformée par la tristesse, mais n'arborant aucune animosité, aucune rancœur à mon égard. Sans vraiment comprendre ce qui poussait la jeune femme à ne pas me liquider sur place, je la laissai prendre la parole.


« Mon Rei… murmura Erika. Tu ne dois pas te sentir coupable. Je suis triste pour tout ce qu'il s'est passé… Mais tout le monde a donné la vie pour te ramener à la lumière… Si tu désespères maintenant… Si tu te fais du mal… Alors ce côté sombre de toi aura gagné…


— Erika…


— Et puis…J'ai trouvé ceci près de Hiroki, et j'imagine que cela doit t'être destiné. »


La jeune fille me tendit quelques feuilles jointes qui étaient pliées soigneusement pour former une espèce de dossier pouvant tenir dans une poche. Dépliant ces papiers, je pus remarquer sur la première page les mots « Pour mon frère Reisuke ». Surpris par la présence de cette lettre, je me lançai dans la lecture des dernières lignes écrites par mon aîné, accompagné par Erika qui tenait à me soutenir moralement. Avant d'entamer la lecture, je repensai à ces derniers mots qu'il m'avait dit, et j'y répondis dans un murmure que j'étais vraisemblablement le seul à entendre.


« Moi aussi je t'aime, mon grand-frère. »





Spoiler :


Mon cher Reisuke. Je ne sais pas par où commencer lorsque je t'écris ces mots. J'espère au plus profond de moi que tu n'auras pas à lire cette lettre, puisque si tu as à le faire, c'est que j'ai failli à ma tâche.


Mais en tant qu'adulte, en tant que grand frère, je dois envisager toutes les situations possibles, dans la seule et unique optique de te sauver, toi à qui je tiens plus que tout. Ce que tu vas lire te fera sûrement un choc, mais tu as dû subir le plus gros de l'impact psychologique durant notre affrontement, et à l'heure qu'il est, je suppose que tu es en soif de vérité. Donc Reisuke, par le biais de cette lettre, je t'offre mon ultime témoignage, afin que personne ne te raconte des mensonges sur ton existence.


Nos parents étaient originaires de Yokohama, avant le Purple Requiem. Tu étais trop jeune pour t'en souvenir, mais nous y habitions avant ce qu'il s'est passé dans notre famille. Notre père, Shinichi Yamada, était un médecin qui œuvrait dans les quartiers les plus défavorisés et les moins desservis en matière de soins. Il était réputé comme un homme peu fréquentable, lui qui bravait tous les interdits de sa profession si cela lui permettait de sauver une vie.


Quelques patients réguliers venaient le voir, le permettant ainsi d'assurer sa vie tout en sauvant celle des autres. D'après notre mère, il avait un jour bravé les interdits en prolongeant la vie d'une femme. Il avait réalisé une transfusion sanguine alors qu'il ne possédait pas la qualification pour, simplement pour sauver la vie de sa patiente qui a fini par vivre une vie heureuse. Notre père était ce genre d'homme, celui qui risquait sa carrière, son argent, son avenir, si cela permettait de sauver autrui. Il rencontra notre mère à un âge assez avancé déjà, il avait trente-trois ans à l'époque. Il passait par une mauvaise passe et il trouva en notre mère, Yuki, un réconfort et une stabilité. Je ne peux pas t'en dire plus de ce côté puisque maman devait me raconter ça plus tard, mais elle n'eut jamais l'occasion de le faire.


Nos parents s'accordèrent rapidement ensemble et s'installèrent à Slyburn pendant quelque temps avant de déménager pour une province alentour. De leur union je fus le premier né, et on me donna le nom Hiroki, dont le kanji japonais était celui de « l'espoir en abondance ». Ainsi, en tant qu'aîné, on me confia la tâche de m'assurer de la prospérité de mes frères et sœurs, sur le plan sentimental comme financier. J'étais celui qui allait devoir porter toute la fratrie Yamada en toutes circonstances, et aujourd'hui encore, en écrivant cette lettre, je reste honoré par la tâche qui m'a été confiée ce jour.


Ainsi, j'ai grandi quatre ans seul avec les parents. Papa était occupé à se refaire sa réputation louche et peu accueillante dans son cabinet médical, insistant pour que Maman reste à la maison avec moi en laissant tomber son métier de femme de ménage pour qu'elle préserve sa santé. Je grandis donc aux côtés de notre mère qui me donna tout l'amour dont un fils pouvait rêver. Je n'ai pas énormément de souvenirs de cette époque, mais quand j'y repense, tout ce dont je me souviens est une sensation prenante d'amour et de chaleur qui baigne mon âme dans une source chaude agréable et revitalisante.


Et ce fut dans un tel climat d'amour que tu es né, mon petit-frère. Ta naissance fut la consécration de ma mission sur ce bas monde. J'avais désormais un objectif, assurer ta vie, la mettre plus en valeur que la mienne. Je devais faire en sorte d'emprunter chaque chemin avant que tu ne le fasses afin de m'assurer qu'aucun obstacle ne se mettrait sur ta route. Par ta présence, ma vie n'était plus une vie faite de solitude et de désespoir. J'avais trouvé à un très jeune âge quelque chose à protéger, quelqu'un à qui je devais tout, et cette personne, c'était toi, mon frère cadet.


J'assistai donc à toutes les étapes de ta vie de bébé jusqu'à ce que tu deviennes un petit enfant, m'émerveillant avec maman devant tes premiers mots, tes premiers pas, tes premiers dessins. Cela renforça ma détermination à protéger ce sourire qu'était le tien chaque fois que tu me faisais l'honneur d'afficher sur ton visage cette fraction de bonheur m'étant destinée. Je n'étais que de quatre ans plus vieux que toi, mais t'avoir derrière moi me fit être rapidement plus mûr que ne l'étaient les garçons de mon âge. J'avais la mission de te préserver, et nos parents me confortaient dans cette motivation en me rappelant régulièrement qu'un jour j'allais être responsable de toi. Je croyais en ces mots, ne réalisant pas l'ampleur et les conséquences d'un tel scénario, du moins, pas jusqu'à cet évènement fatidique.


Ce fut un jour de printemps que tout bascula dans nos vies à toi et à moi. J'avais dix ans, tu en avais six. Je venais de rentrer au collège tandis que toi tu entamais l'école élémentaire. Même si nous étions séparés, je m'étais assuré que tu ne sois jamais embêté par les plus grands en demandant à mes amis d'intervenir en cas de soucis avec toi. Je me servais de ma réputation de gentil, de celui qui rendait toujours service à autrui afin d'assurer ta protection, mais je n'avais pas calculé que j'allais sauter la dernière classe pour entrer directement au collège. Je ne pouvais plus venir te chercher à la sortie des écoles, puisque je terminais une heure plus tard…et cela me rendait malade. Je me torturais toujours l'esprit lors de la dernière heure, me demandant où tu étais, ce que tu faisais, avec qui tu parlais, si tu étais hors de danger. Toutes ces questions me torturaient l'esprit jusqu'à ce que je puisse voir ton visage souriant et respirant l'innocence, entendre ce « grand-frère » qui viendrait réconforter mon cœur meurtri par l'absence.


Comme à mon habitude, j'avais les yeux braqués sur ma montre, scrutant la trotteuse des secondes continuer sa course perpétuelle vers le futur avec rigueur. Je n'attendais qu'une chose, qu'elle n'arrive sur ce douze et qu'enfin la cloche sonne. Une fois que le son retentit dans la classe, je me levais rapidement pour sortir de cette prison que me tenait éloigné de toi, ignorant mes camarades comme mes professeurs afin de rentrer au plus vite. Je courais, courais, encore et encore, passant devant ton école primaire qui était déjà fermée, afin de revoir ton sourire qui apaiserait tous mes maux.


Cependant, quelque chose ce jour n'était pas normal. Je sentis qu'un évènement grave s'était passé quand je vis que la voiture de Papa, qui était censé être au travail, était déjà rentrée devant le garage. Il devait être revenu en urgence, ce fut ce que je pensais. Et il n'y a avait que pour toi qu'il aurait pu le faire. Ainsi, je me mis en tête une idée sordide, celle qu'il t'était arrivé malheur. Repassant tous les scénarios plausibles, je me ruai dans la maison en hurlant ton nom, espérant que nos parents me rassurent en me disant que tu allais bien.


Cependant, lorsque je pénétrai la maison, ce fut un tout autre scénario qui s'offrit à moi.


Tout était en désordre, on avait retourné la maison de fond en combles pour je ne sais quelle raison. Des tas de livres étaient à terre, accompagnés de feuilles volantes disposées aléatoirement sur le plancher tandis que nos affaires personnelles étaient retournées, cassées, déchirées… Tout avait été saccagé, mis sens dessus dessous. Mes battements de cœur s'accélérèrent au fur et à mesure que je réalisai l'évidence qui s'imposait face à mes yeux : quelqu'un s'était introduit chez nous et était venu faire le mal. Je n'avais pas vraiment idée de ce que l'on pouvait nous vouloir, à nous, une petite famille tranquille et sans histoires, donc j'en déduis que c'était un cambriolage. Fouillant la maison de fond en comble, j'inspectai chaque salle, chaque recoin de notre lieu de vie, espérant vous retrouver, toi et les parents. Après tout, la voiture de Papa était là, donc vous étiez dans la maison…et j'espérais de tout mon cœur qu'il ne t'était pas arrivé malheur.


Sur cette pensée je me rendis à l'étage, espérant vous retrouver sains et saufs. Mon espoir s'estompait au fur et à mesure que je progressais, puisqu'en m'entendant, les parents seraient sortis pour me rassurer. Mais seul le silence pesant faisait pression sur mon esprit à ce moment précis.


Ce fut au bout d'une dizaine de minutes qui me parut une éternité ou deux que je découvris finalement la scène de l'acte final de nos ascendants. Lorsque j'entrai dans leur chambre, je distinguai ta silhouette, debout, dos à moi. Tu semblais regarder quelque chose qui te paralysait. Je compris alors ce qu'il en était, n'ayant aucune surprise lorsque je constatai cette vision macabre. Les corps de nos parents gisaient dans une mare de sang s'étendant sur le tapis blanc de leur chambre. Ils avaient été assassinés par nous ne savions qui.


J'étais soulagé en faisant cette découverte. Même si nos parents étaient morts, tu étais encore envie et c'était la seule chose qui comptait pour moi. Ainsi, je t'étreins, te répétant que tout allait bien se passer, sans verser la moindre larme devant les cadavres de nos ascendants. Je n'avais pas le droit de pleurer devant toi même si au fond c'était mes parents à moi aussi que l'on avait enlevé. Papa et maman m'avaient préparés à ce jour fatidique, celui où j'allais être responsable de toi…et il était arrivé. Je devais désormais dire adieu à tout ce que j'avais vécu en tant qu'enfant pour laisser un adulte précoce s'installer en moi.


Je te laissai chez nos voisins de l'époque, les Wheeler, le temps de régler les soucis que nous causait cet incident majeur dans notre vie. Le père de famille m'accompagna lorsque je lui décris la catastrophe, laissant sa femme s'occuper de toi et de leur bébé, la petite June. Lorsqu'il vit la scène macabre, il tourna de l'œil et perdit connaissance, me laissant finalement gérer seul l'horrible situation à laquelle nous faisions face.


J'appelai les pompiers et la police, mettant toute mon énergie dans la cohérence de mes propos afin de leur expliquer au mieux. Tandis qu'ils se mirent en route, je regardai les cadavres de nos deux parents qui avaient été disposés l'un dans les bras de l'autre. Le corps de maman avait été percé de deux balles dans la poitrine, tandis que celui de papa avait été percé d'une balle dans le front. L'arme du crime était quant à elle quelques centimètres plus loin. Ce fut à ce moment que je pus enfin relâcher mes forces et pleurer devant la fatalité ayant foudroyé notre famille qui baignait dans l'amour et le bonheur. La réalité nous avait rattrapé, nos parents et nous, pour nous montrer que la vie était cruelle et qu'elle frappait sans préavis. Restant assis à l'extérieur de la chambre, toujours face à ce carnage, je gravai cette vision macabre dans mon esprit, gardant en mémoire que la vie ne tenait qu'à un fil.


Lorsque la police et les pompiers arrivèrent, je fus évacué de la maison avec le père Wheeler afin qu'ils puissent investiguer convenablement. L'heure de la mort était datée au début de l'après-midi. On ne m'en dit pas plus, j'étais trop jeune pour entendre des détails sordides tels que ceux que l'on voit dans les faits divers. Mais l'affaire avait été classée rapidement par les forces de l'ordre, sans déterminer de véritable assassin, faute d'éléments.


Lorsque la police et les pompiers emportèrent les corps de nos parents, je fus laissé seul devant notre domicile, sachant ce qu'il allait en être. Le père d'un de nos voisins était mort quelque temps plus tôt, et à ma grande surprise, je sus que personne ne s'occupait de l'après-mort. Les dégâts causés par une scène de crime étaient à nettoyer par la famille, et donc moi dans le cas auquel nous faisions face.


Tandis que tu restais chez les Wheeler, je passai les quatre jours suivant le décès de nos parents à nettoyer de fond en comble la scène qui avait été le dernier décor de leur vie ensemble. Une fois ceci fait, je fermai la porte en la verrouillant, laissant cette scène macabre au passé. Je finis pile à temps avant que tu ne puisses plus rester chez les Wheeler. Ces derniers devaient quitter leur habitat qu'ils avaient vendu à une agence immobilière quelque temps plus tôt avec pour projet de s'installer en France, ils ne pouvaient donc pas me dépanner davantage.


Ce fut encore six jours plus tard, alors que les Wheeler étaient partis le cœur lourd, que les funérailles de nos parents eurent lieu. Les personnes du quartier s'étaient rassemblées, ainsi que quelques célébrités locales qui venaient se pavaner à cet événement qui avait défrayé la chronique dans notre patelin paumé. Mais il n'y avait personne de notre famille. Moi qui pensais voir arriver des oncles, des tantes, ou des grands-parents, je ne vis que quelques businessmen en costard, mais aussi en enfant qui semblait avoir ton âge. Il était vêtu de noir tout comme les autres. Nous étions les seuls qui étions habillés normalement quand j'y repense. Accompagné par un homme rigide semblant être son père, il s'avança vers nous, attristé. Lorsqu'il fut face à nous, il prit enfin la parole avec compassion.


« Excusez-moi, avança-t-il, bienveillant. Je m'appelle Arata. Kashiwagi Arata. Je suis désolé pour ce qui est arrivé à vos parents.


— C'est gentil, répondis-je en lui souriant tristement. Merci d'être venu leur rendre hommage. »


Le garçon s'arrêta sur toi, alors que ta main agrippait toujours la mienne, mais tu ne lui renvoyas qu'un silence qui le mit encore plus mal à l'aise qu'il ne l'était en arrivant. En voyant la scène, l'homme rigide s'avança vers son fils, reprenant la parole d'un air rude et impassible.


« Arata, rentrons.


— Oui père… »


Le garçon nous lança un dernier regard, affichant un sourire compatissant marqué par la tristesse, avant de repartir aux côtés de son père. Ne faisant même pas attention à nous, l'homme rigide sermonna son fils alors que je pouvais encore l'entendre.


« Arata, entama-t-il, rigide. Inutile d'aller exprimer ta sympathie. Nous sommes ici pour représenter l'image de marque de notre famille, pas pour compatir avec quelques étrangers que l'on ne recroisera jamais sur notre route. »


Je n'eus même pas la force d'aller le voir pour corriger ses paroles dégueulasses, notre avenir était bien trop flou pour que je remette tout en cause. Il fallait que je ne donne pas une mauvaise image de nous, étant donné que nous étions désormais sans représentant légal.


Quelques jours plus tard, on vint me voir afin de me faire part d'une nouvelle qui allait remuer le couteau dans la plaie. C'était prévisible, ils n'allaient pas laisser un enfant de six ans et un autre de dix ans livrés à eux-mêmes, c'est pourquoi ils voulaient nous placer dans une famille d'accueil.


Mais alors que le programme semblait plutôt attrayant, un hic vint, et ce hic c'était qu'ils n'avaient qu'une place par famille, nous devions être séparés. À ce moment mon sang ne fit qu'un tour. Je ne pouvais même pas concevoir notre séparation. Je ne pouvais pas envisager de passer ma vie sans te voir. Ce n'était pas possible, c'était au-dessus de mes forces. Ainsi, pour contester les projets de ces gens, je pris la seule décision qui pouvait me venir en tête. Je nous ai enfermé à l'intérieur, te séquestrant chez nous jusqu'à ce que l'on nous donne le droit de vivre ensemble.


Je sortais discrètement de temps en temps, te laissant à l'intérieur afin d'aller chercher de quoi nous nourrir. Tant que la porte était barricadée, nous pouvions échapper aux menaces du monde extérieur qui voulait nous séparer l'un de l'autre. Tu ne pouvais toujours pas articuler un mot, choqué parce que tu avais vu. Mais tant que j'étais à tes côtés, tout irait bien. C'était ce que je pensais à ce moment-là. Toi et moi pouvions affronter le monde tant que nous étions ensemble, mais si tu n'étais plus avec moi, je n'avais même plus de raison de vivre.


Nous tînmes une semaine comme ça. Lorsque je te demandais si tu avais besoin de quelque chose, tu me répondais d'un signe de tête négatif. Et si je te posais la question pour savoir si tu étais bien avec moi, tu me répondais d'un signe de tête positif. C'était la seule communication que l'on avait ensemble. C'était difficile à supporter, mais je voulais garder la face coûte que coûte afin que tu puisses continuer à t'épanouir en tant que petit garçon, je souhaitais protéger ce sourire qu'était le tien et ce, même si je devais te séquestrer pendant dix ans pour cela. Et ça…j'imagine que tu l'avais compris…puisque tu as fait quelque chose qui me redonna espoir.





Spoiler :


Nous étions sur le point d'aller nous coucher. Nous dormions ensemble depuis cette histoire, comme pour éviter que l'on ne se perde. Cela me rassurait davantage que cela ne te rassurait finalement, mais c'était mieux ainsi. Regardant la nuit de printemps illuminée par les étoiles, nous étions allongés l'un à côté de l'autre, et c'est là que ça s'est produit. Je me retournai vers toi, affichant ce sourire de grand frère auquel je voulais que tu te raccroches, et prenant la parole en tentant de masquer ma tristesse, je prononçai ces quelques mots banals mais qui portaient leur importance.


« Demain sera un jour meilleur. Bonne nuit, Reisuke.


— Demain sera un beau jour…parce que tu es là…grand-frère… »


Ces quelques mots que tu n'eus même pas le temps de finir avant de trouver le sommeil résonnèrent en moi, me donnant une force que jamais je n'aurais pu acquérir seul. Tu étais tout ce qu'il me restait en ce bas monde. Je devais protéger ta vie, ton être entier était sous ma vigilance. Toute personne voulant te séparer de moi devait disparaître. C'était ce que je pensais. Mais lorsque l'on sonna de nouveau à notre porte, le lendemain, sans savoir pourquoi, j'ouvris.


J'étais persuadé que la présence provenant de derrière n'était pas menaçante, et pour cause, ce n'était qu'une dame d'âge mûr qui se tenait en face de moi. Elle semblait avoir la cinquantaine déjà, cela se voyait par les rides forgées par le vécu sur son visage. Elle arborait une coiffure assez courte dont les cheveux bruns soigneusement lissés formaient des boucles en ce mêlant à des mèches grises cassées. Quant à ses yeux marron, ils semblaient dégager toute l'empathie du monde. Je me rappelle que ce jour-là, je savais que cette femme allait être une de nos alliées, et pour cause, la première chose qu'elle me dit fut une révélation pour moi.


« Enfin je vois ton visage ! sourit la femme. Hiroki, enchantée. Je m'appelle Marie, Marie Kurenai. Je viens d'emménager dans la maison d'à côté, à la place de tes anciens voisins, les Wheeler.


— Je vous préviens tout de suite, répondis-je, animal. Si vous comptez me séparer de mon frère, c'est hors de question.


— Je suis désolée mon garçon, reprit l'âme bienveillante, attristée. Tu as dû vivre des choses horribles avec le décès de tes parents et cet acharnement à vouloir te séparer de ta famille. Mais ne t'en fais pas, je suis de ton côté. J'ai pu m'arranger pour vous, regarde ce document. »


La femme me tendit un papier que je pris le loin de lire. On pouvait clairement y constater que Marie Kurenai, celle en face de moi, était légalement devenue notre famille d'accueil, à toi et à moi. Lorsque je lus ceci, mes yeux s'écarquillèrent. Je lâchai le document, relevant le regard vers celui de l'âme bienveillante qui me regardait avec compassion. Des larmes me montèrent aux yeux, mais je ne voulais pas pleurer pour rester digne. Cependant, lorsque Marie reprit la parole, ce fut le coup de grâce.


« On m'a dit que tu ne voulais pas sortir pour rester avec ton frère…c'est très beau ce que tu fais, Hiroki. J'étais assistante maternelle par le passé, je peux donc m'occuper de toi et de Reisuke. Vous pouvez même vous retrouver ici si vous le voulez. Je me chargerai juste de jeter un œil sur vous et de vous aider quand vous en aurez besoin. Tu es un grand frère admirable, mais tu devrais déposer une partie de ton poids sur mes épaules, d'accord mon garçon ? »


Ces mots me firent éclater en sanglots alors que j'essayais de tout garder pour moi par force et fierté. Les larmes qui éclatèrent regorgeaient de bonheur et de soulagement, pensant au fait que c'était la première fois depuis ces deux semaines de ténèbres qu'un soutien apparaissait dans mon combat. Marie Kurenai venait de mettre fin à toute une semaine d'inquiétude concernant où tu finirais, loin de moi, dans quelle famille, tout cela était derrière moi. Nous allions rester ensemble et c'était tout ce qui comptait à mes yeux. Je relâchai ainsi ma garde, te présentant à celle qui allait devenir notre tutrice légale, Marie Kurenai. Elle nous présenta sa nièce qu'elle gardait avec elle, une petite blonde aux yeux bleus dont les cheveux ondulés étaient doux comme la soie. Elle était aussi jeune que toi, la petite Erika. Et quand tu l'as vue la première fois, le courant est tout de suite passé.


Devenir amis avec Erika te redonna un fragment d'espoir. Tu évoluais beaucoup à son contact. Tu souriais, tu te bagarrais, tu boudais, avec elle tu reprenais un quotidien de petit garçon normal, jusqu'à même retourner à l'école juste pour lui faire visiter, à elle qui venait d'arriver dans cette ville. Marie vous accompagnait, elle me faisait pression pour que je retourne à l'école moi aussi, mais j'avais bien d'autres choses à faire.


Je devais avant tout m'assurer que tu puisses vivre convenablement après que nous allions avoir fini de puiser dans les ressources laissées par nos parents, et même si Marie nous donnait l'argent qu'elle percevait pour être notre tutrice, j'étais mal à l'aise à l'idée de nous laisser nous contenter de nous reposer sur son revenu, et pour ce faire, je faisais des petits boulots clandestins alors que je n'avais pas encore l'âge de travailler. Je nettoyais des maisons, tondais des pelouses, pour le compte des personnes de notre village qui ne me dénonçaient pas et me laissaient toujours quelques centaines de yens en plus pour me permettre de te payer un cinéma de temps à autre. C'était un fragment de bonheur qui me redonnait confiance en l'espoir.


Mais alors que je pensais que tout allait s'améliorer de jours en jours, un événement imprévu vint s'immiscer dans notre reconstruction. Plus le temps passait, plus je te sentais t'éloigner de moi. Malgré le fait que tu m'affirmais le contraire, je sentais vraiment que quelque chose ne tournait plus rond dans nos relations. Peu à peu tu perdis l'affection physique que tu avais envers moi, ne me faisant plus partager ces étreintes que l'on avait pour se réconforter l'un l'autre, mais aussi tous ces instants de camaraderie. Ces « poignées d'hommes » que l'on échangeait, poing contre poing avec le sourire. Tout disparaissait petit à petit pour ne laisser place qu'aux contacts verbaux dans notre relation. Petit-à-petit, tu semblais comme oublier notre lien même. Nous n'échangions plus que quelques mots après lesquels tu allais avec Erika et moi j'allais travailler de mon côté, de plus en plus oppressé par le malaise qui provenait de notre relation devenant instable. Jusqu'au jour fatidique où notre relation prit un virage étrange.


Ce jour-là nous nous levâmes ensemble, comme à notre habitude. Sans réellement me regarder, sûrement encore à moitié dans le sommeil, tu entrepris ta routine : toilette, habillement, préparation pour l'école. Et lorsque tu passas à table pour manger les gaufres que je t'avais préparées, je compris alors ce qu'il se passait sous mes yeux.


« Bonjour Reisuke ! entamai-je joyeusement. Tu as bien dormi ?


— Bon…jour, me dis-tu, dubitatif. Qui es-tu ? Un ami à Erika ? Pourquoi c'est toi qui me fais à manger ?


— Tu…ne te souviens pas de moi ? bégayai-je, déjà anéanti. »


Tu me répondis par un signe négatif de la tête. Voulant cacher au mieux ma tristesse et ma surprise, je me forçai à sourire, reprenant de la manière la plus naturelle possible.


« Je te taquine ! plaisantai-je. Je suis le plus vieux des enfants gardé par Marie Kurenai. Je me nomme Hiroki ! J'aide notre mère adoptive à s'occuper d'Erika et toi vu que je suis plus vieux que vous. »


Tu repris ta routine, mais mon monde s'écroula. Comment ne pouvais-tu pas te souvenir de ton propre frère ? Cela m'inquiétait vraiment. Tu étais vraiment convaincu par le fait de ne pas me connaître, et cela me préoccupait. De plus, j'étais triste d'avoir dû te mentir pour me couvrir. Je te laissai ensuite partir à l'école, voulant préserver ta vie avant tout, ce, même si j'étais destiné à mourir à tes yeux. Hiroki n'existait plus. Moi qui étais né pour te guider dans la vie, j'étais relégué au rang d'un autre enfant comme les autres. Je me suis senti tellement vide à ce moment-là que même maintenant je ne peux pas dire exactement ce que je ressentais à l'époque. Je n'avais plus de but, plus de raison de vivre si je ne pouvais pas être à tes côtés.


Je rencontrai Marie le jour même, lui déclarant le fâcheux problème. Elle réfléchit quelques minutes qui me parut des heures avant de finalement me dire qu'il était impossible pour elle d'avancer la moindre théorie. Elle n'était pas psychologue après-tout. Je pensais qu'elle avait la réponse à tous mes problèmes juste parce qu'elle était la seule à nous avoir aidé, mais elle était aussi impuissante que moi face à ton souci. Nous consultâmes un psychologue pour nous aider, mais même lui ignorait vraiment comment une seule personne pouvait disparaître de la mémoire d'un individu sans altérer le reste de ses souvenirs.


Nous cohabitâmes quelque temps, sous le regard attentif de notre tutrice. Elle voulait déceler dans tes faits et gestes des indices qui allaient nous mener à ce fameux revirement brutal que tu avais fait, ce virage à cent-quatre-vingt degrés qui nous séparait l'un de l'autre, sans trouver de réponse véritable.


Je souffrais. J'étais bien trop dépendant de notre relation fusionnelle et tactile. Chaque seconde passée près de toi me donnait envie de partager ces moments de fraternité que l'on vivait ensemble. Je voulais être ton guide, et je n'étais qu'un colocataire. Je n'arrivais pas à tourner la page sur notre relation, et nous n'avions pas de solution pour te « guérir ».


Alors un jour, dépassé par les évènements, et brisé dans mon affection, je me rendis chez Marie, notre voisine et tutrice.


« Je vais quitter le domicile, Marie.


— C'est hors de question ! protesta la femme. Dehors c'est dangereux, tu n'as que onze ans, et rien ne t'attend à part de la misère à l'extérieur !


— Rien ne sera pire que ce que je vis à l'intérieur ! rétorquai-je, tremblant. Je ne peux pas vivre sous le même toit que Reisuke alors qu'il me considère comme un étranger. Je ne peux pas, c'est hors de question. »


Les larmes me montèrent tandis que mes forces me quittèrent, comme si j'allais les évacuer en pleurant. Je baissai la tête, affichant pour une fois toute ma faiblesse face à notre tutrice légale, comme si cela allait arranger les choses.


« Mes parents m'ont nommé responsable de Reisuke, sanglotai-je. C'est mon devoir de lui apporter l'amour filial, et de le protéger, de le faire rire. Si je ne peux pas remplir ma fonction, je vais souffrir énormément. Je suis désolé, vous m'aidez beaucoup, mais c'est insurmontable.


— Et qu'est-ce que tu comptes accomplir dehors tout seul dis-moi ? me gronda la femme, prête à me faire la morale. Hiroki sois réaliste.


— Je voudrais trouver une piste me menant à la guérison de Reisuke, repris-je, déterminé cette fois. Si je cherche, je trouverai, j'en suis convaincu. Ce n'est pas pour rien que l'affaire de mes parents ait été classée sans suite aussi rapidement. Le problème de mon petit-frère est aussi étrange que ce simple fait.


— Je comprends, reprit Marie, s'avouant à moitié vaincue. Eh bien soit. Je vais m'occuper de Reisuke, et tu seras libre de faire ce que tu veux. Garde seulement à l'esprit qu'il est hors de question que tu découches. Partir en quête de réponses est le maximum que je t'accorderai. Si je viens à savoir que tu as passé une seule nuit dehors, je contacterai immédiatement les services sociaux pour te mettre un éducateur.


— Je vous promets que vous n'aurez pas à le faire, lui assurai-je, soulagé d'avoir son aval. »


Ainsi, je pris mes distances avec le foyer dans lequel nous vivions tous les deux. Je me levai plus tôt que toi le matin, afin de te préparer tes gaufres, celles que tu préférais, avant de partir en te laissant un mot. Je savais que tout ce qui m'attendait dans le monde de la débrouille et de la fugue ne serait que dégoût, décadence, et désespoir. J'allais devoir naviguer dans la fourberie, un mode de vie que je ne connaissais pas, mais cela m'était bien égal. J'œuvrais pour te ramener à la raison, et pourquoi pas découvrir la cause du décès de nos parents. J'idéalisais instantanément l'instant où nous allions être unis comme les doigts de la main, reprenant nos échanges entre frères et notre complicité d'antan.


J'errais dans les rues sombres et délabrées, cherchant des réponses à mes questions. Ma première piste fut de me rendre au cabinet de notre père, celui qui avait été laissé là après sa mort. Je constatai cependant qu'il n'existait plus. Il avait été rénové et reconverti en une épicerie, comme si Shinichi Yamada n'avait jamais existé. Je serrai les poings, en colère à l'idée de voir le patrimoine de notre ascendant se faire balayer d'un revers de la main en moins d'un an après son décès. Je repartis bredouille, errant dans les rues de la ville renommée en Sagamihara, cherchant par où commencer, rien que de quoi m'orienter.


« Tiens tiens, s'étonna une voix féminine qui me surprit non loin de l'ancien cabinet du docteur. Si ce n'est pas le fils de ce bon vieux Shinichi ! »


Je me retournai brusquement, considérant la femme qui semblait me connaître. Elle était une superbe dame aux cheveux noirs corbeaux soigneusement coiffés de manière à ne pas laisser de mèches obstruer son regard éclatant aux couleurs d'un ciel de printemps. Elle me regardait d'un air intéressé, me scrutant de son regard espiègle souligné par une mouche à l'œil, tandis que moi, j'étais mystifié par l'aura singulière se dégageant de mon interlocutrice. Sa robe rouge et son teint mat lui donnaient l'allure d'une gitane.


« Vous me connaissez ? lui demandai-je, étonné. Je ne vous ai jamais vue chez nous.


— Oh, je ne suis qu'une patiente de Shinchi, s'amusa-t-elle face à ma réaction. Mais je t'ai souvent vu au cabinet. Et puis je ne peux pas te louper, tu es le portrait craché de mon cher ami. Que cherches-tu ici ?


— Mon père est mort, lâchai-je. Mon petit frère, lui, ne se souvient subitement plus de moi, donc je cherche à savoir quand, pourquoi, et comment. Je veux résoudre le mystère de l'assassinat de mes parents, et guérir mon cadet.


— Un garçon de ton âge devrait surtout se rendre à l'école., me répondit la brune, une pointe d'ironie en elle. Ne t'en fais pas, tu auras l'occasion de trouver les réponses que tu cherches en temps voulu.


— Je ne sais pas… soupirai-je.


— Si tu veux une piste, pourquoi ne pas te rendre sur la plage Kosmos ? Shinichi adorait s'y relaxer, au point que Yuki s'amusait en lui disant qu'il y avait une maîtresse. »


Je la remerciai, elle m'assura que c'était naturel. Je pris ensuite congé afin de me rendre directement sur la plage mentionnée par la femme. Cependant, je fus confronté à un problème. Nous habitions très loin de l'endroit en question qui était à l'autre extrémité de la ville, derrière l'épaisse forêt qui la coupait en deux. Autant mon père avait une voiture pour s'y rendre, mais Marie n'en avait pas. Et j'étais bien trop jeune. Alors je devais me rendre à l'évidence, j'allais devoir compter quelques jours à pied afin d'y arriver.


Je rentrai à la maison régulièrement pendant quelques jours, une dizaine tout au plus. Marie surveillait que je ne découchais pas, ce qui me restreignait dans mes mouvements. J'avais déjà pris ma décision. J'allais devoir fuguer pour me rendre sur les lieux, ce qui impliquait de passer quelques nuits dehors, sans rentrer le soir. Si ma tutrice me prenait, c'était directement l'éducateur, et je le savais. Cependant, je voulais absolument connaître la vérité, peu importe si je devais trahir une promesse.


Marie cessa de venir contrôler ma présence. Je fis semblant de ne rien remarquer. Elle revint cependant deux jours plus tard pour me prendre en flagrant délit, sachant pertinemment que j'étais capable de fuguer, mais je ne m'étais pas fait avoir. J'attendais d'avoir sa confiance aveugle avant de la trahir.


Deux semaines après l'aval de Marie, je pris enfin la route. J'emportai quelques vivres avec moi, puis je partis dans la nuit, le cœur plein de questions et d'espoirs.


Quelque chose me fit cependant défaut. Je pensais vraiment qu'il allait être aisé de partir vers la plage Kosmos afin d'y trouver mes réponses, mais une fois que je pénétrai dans la ville au-delà des rues que je connaissais, je me perdis. Je n'avais jamais réalisé à quel point l'endroit dans lequel nous vivions était vaste, et c'était encore pire d'agir la nuit, puisque mon champ de vision était réduit.


Finalement, j'échouai dans la forêt sans vraiment comprendre comment j'en étais arrivé là. Je réalisai à ce moment que j'avais été présomptueux de vouloir régler ces soucis par moi-même, mais ce n'était plus la peine de m'apitoyer, car j'étais dans une situation piteuse. Sans téléphone, parce que bien évidemment, je me croyais au-dessus des précautions d'usage et je l'avais laissé à la maison.


Lorsque je réussis finalement à sortir de cette prison boisée qui me terrorisait chaque nuit, j'échouai de l'autre côté de la ville, là où se trouvait mon objectif. J'avais consommé tous mes vivres, et j'avais terriblement faim. J'avais passé au moins une semaine dans cet horrible environnement que je ne voulais jamais plus revoir de ma vie. J'avais réussi à me nourrir comme je le pouvais, mais j'étais loin d'être rassasié. Je n'aspirais qu'une chose : rentrer à la maison, prendre un bain, et manger.


Pourtant, cela n'allait pas être aussi facile que cela en avait l'air. J'étais sale, et mal habillé, alors dès que je tentais de demander de l'aide à des passants ou dans une boutique, on m'envoyait voir ailleurs comme si j'étais un pestiféré. Je n'étais pas un enfant, j'étais simplement un mendiant repoussant. Je ne demandais pourtant qu'un coup de fil pour prévenir ma tutrice, sachant très bien qu'une fois là-bas, j'étais bon pour avoir un éducateur collé derrière moi. Mais j'étais à un point de non-retour. Je ne pouvais pas rester dehors, et j'étais bien trop effrayé pour retourner dans cette forêt du cauchemar.


Mais en attendant que quelqu'un daigne m'aider, il fallait que je mange, et que je me douche. J'étais persuadé que si je trouvais de quoi me laver et me changer, j'allais pouvoir demander de l'aide sans que l'on me repousse, mais pour ça il fallait payer le bain public et des habits potables.


Ce fut ainsi que je démarrai une série de larcins et autres coups foireux dans les rues qui me rapportèrent un peu d'argent par ci, un peu de biens par là. J'étais le gamin qui était tout seul, celui qui servait de larbin aux petites racailles qui se faisaient passer des mots par mon biais pour quelques centaines de yens. Ce n'était pas une vie convenable je te l'avoue, mais c'était le seul moyen pour rentrer chez Marie.


L'argent ne rentrait que rarement, et mon estomac drainait mes pauvres gains quotidiens. Ainsi, avant même que je ne m'en rende compte, je passai un mois dans les ruelles sombres, humides et pestilentielles qui composaient l'envers du décor du quartier populaire dans lequel vagabondaient en permanence des tas d'hommes et de femmes venues de partout et pour différents motifs. Pour ma part, j'étais retranché dans mon petit coin à moi : un carton qui me faisait passer inaperçu entre deux poubelles, me formant un espace d'intimité même minime qui me donnait l'impression d'être en sécurité.


Ton anniversaire approchait, et je n'étais toujours pas rentré. Le jour J, j'avais volé une bougie et un briquet à un marchand du coin, me retranchant dans mon espace pour t'accompagner au moins par la pensée.


Je continuai à chanter « Joyeux anniversaire Reisuke » dans ce petit espace qu'était le mien, pensant au sourire que tu devais afficher aux côtés d'Erika. Cette seule pensée me réchauffait bien plus le cœur que ces repas chauds que je parvenais à voler de temps à autre. Même après des semaines dans la rue, tu étais la lumière qui me permettait de continuer en attendant que je puisse revenir. La situation m'avait d'ailleurs fait réfléchir : il fallait que je te dise que j'étais ton frère, peu importe ta réaction.


Les secondes passèrent, puis les minutes, puis les heures…et la lumière de cette bougie allumée pour toi s'estompa sans que je ne te retrouve, me laissant dans l'obscurité totale. Ne voulant pas me laisser abattre, il fallait que je sorte faire un autre de ces larcins qui m'aurait permis de te revenir pour ton anniversaire. Ce fut avec cette pensée que je m'élançai dans la ville, maintenant habitué des vols à l'arraché et autres procédés mesquins et salissants.


Je me mis en quête d'une cible potentielle pour générer de l'argent facile. Portant mon regard au cœur de la foule, j'épiais quiconque pouvait être un bon parti pour cette course au revenu, et ce fut sur deux personnes que je posai mon œil de prédateur.


Il était un homme accompagné d'une petite de mon âge qui semblait être sa fille. Le vieil homme semblait avoir plus de cinquante ans à en juger par les rides qui creusaient son visage marqué par la tristesse et l'amertume. Ses cheveux gris se battaient pour rester en vie sur son crâne, mais on sentait bien que la partie était terminée pour eux, l'homme était dégarni. Sa fille quant à elle était une jeune brune aux yeux éclatants de couleur verte. Elle avait des cheveux brun foncé de longueur moyenne qui lui donnaient un air assez adulte malgré le fait qu'elle avait encore le corps d'une enfant. Les deux individus avançaient main dans la main, perdus dans l'ambiance euphorique des festivités du soir. Ils étaient les cibles parfaites pour obtenir ce que je cherchais aujourd'hui.


Armé de toute ma détermination, de mon courage et de ma peur toujours plus grandissante de ce monde hostile et dénué de toute chaleur et réconfort, je me lançai dans cette attaque surprise, sans vraiment comprendre qu'en invoquant ce pari stupide, j'allais moi-même sceller cette vie qu'était la mienne.





Spoiler :


Armé de toute ma détermination, de mon courage et de ma peur toujours plus grandissante de ce monde hostile et dénué de toute chaleur et réconfort, je me lançai dans cette attaque surprise, sans vraiment comprendre qu'en invoquant ce pari stupide, j'allais moi-même sceller cette vie qu'était la mienne.


Rassemblant mes forces, je commençai à courir tout en essayant de me fondre au mieux dans l'environnement dans lequel j'étais, visant le sac en bandoulière que tenait la fille de mon âge. Dépassant touristes et autres passants, je me faufilai entre chacun d'entre eux jusqu'à arriver près de la brune et son père. Lorsque je fus juste derrière elle je ralentis ma course pour finalement marcher tranquillement derrière. Je fus pris d'un doute à ce moment. J'avais déjà commis quelques larcins envers les commerçants, mais jamais alors je ne m'étais attaqué à un particulier directement. Peut-être étaient-ils encore plus pauvres que moi et que ce que j'allais leur voler allait être vital… ?


Cependant, le visage de Reisuke revint paraître dans mon esprit dissipant avec lui tous mes doutes. Dans un élan de rage contre notre situation, j'attaquai la jeune fille, se saisissant rapidement de son sac avant de prendre la fuite. En me retournant vers elle et son père, je les vis en train de me poursuivre, me laissant l'occasion de croiser le regard émeraude de la brune. Ce regard aurait dû avoir plus d'effet que je ne le crus au premier abord, mais dans la situation où j'étais, je ne pouvais pas me permettre de m'arrêter. Je possédais leur bien, s'ils me rattrapaient, j'allais finir au commissariat, voir pire que ça. Je courus donc jusqu'à perdre haleine, me faufilant entre les passants jusqu'à me réfugier sous le carton qui me servait de toit, entre les deux poubelles qui me permettaient de passer inaperçu.


J'en profitai pour déballer ma prise du jour. Je pris dans mes bras le sac en bandoulière qui sentait un parfum de lavande que je n'avais pas senti depuis un bon mois. C'était idiot, mais l'odeur de la lessive du sac me rappelait celui du linge propre fourni par notre mère. Je restai donc quelques minutes à me rappeler des bons temps grâce à ce sac, avant de l'ouvrir et de constater la valeur de ce que j'avais volé.


J'eus cependant une surprise assez intense lorsque je découvris le contenu du sac. En effet, moi qui m'attendais à quelques objets multimédias que j'aurais pu revendre, je n'y trouvai pas grand-chose. Un cadre photo comme celui que l'on avait utilisé pour les funérailles de nos parents à l'intérieur duquel une femme respirant la gentillesse était représentée. La femme aux cheveux blancs et aux yeux bleus semblait être décédée, et j'eus cette confirmation en trouvant dans le sac un bouquet de fleur et un produit de nettoyage de pierre. Ce que je pensais être des richesses n'était finalement qu'un sac contenant tout ce qu'il fallait pour prendre soin d'une tombe.


Je pris alors conscience de la nature de mon vol, des intentions mauvaises que j'avais eues vis-à-vis de cette fille et son père. Moi qui n'avais rien à voir avec eux je m'étais permis d'empiéter sur leur vie et de leur enlever ce moment d'intimité qu'ils partageaient ensemble. À en juger par la ressemblance frappante, la femme devait être la mère de cette fille, et cela me rendait d'autant plus coupable, car contrairement à elle, moi j'avais eu le luxe de pleurer devant la tombe de mes parents.


Toujours à l'abri des regards, sous mon carton, je me rendis alors compte qu'il n'y avait qu'une chose à faire pour moi : retrouver ces gens afin de leur rendre leur sac et assumer les conséquences de mes actes mauvais envers eux. Ainsi, je soulevai mon toit afin de me mettre à la recherche de cet homme et sa fille.


Alors que j'avais décampé en vitesse la dernière fois, j'avais l'impression de courir au ralenti. Comme si le temps qui m'était imparti était trop court pour que je remplisse la mission que je m'étais octroyé. Ne pensant qu'à réparer le mal que j'avais fait en leur enlevant ce moment d'intimité qu'ils allaient partager ensemble, je me démenai à chercher chaque recoin de l'allée principale, mettant de côté les passants pour essayer de me concentrer sur ce visage que j'avais repéré quelques dizaines de minutes auparavant…en vain.


Dix minutes passèrent, puis vingt, puis trente, pour finalement laisser passer une heure sur les horloges du quartier huppé de la ville. La masse populaire se faisait de moins en moins importante, se retranchant dans ses quartiers en voyant le soir arriver…et moi…je n'avais toujours pas trouvé l'occasion de racheter mon erreur de jugement et mon acte. Abandonnant mes recherches, je m'écroulai au sol, me maudissant d'être devenu ce genre d'individu, quelqu'un d'instable et sur qui on ne pouvait pas compter. Laissant éclater des larmes chaudes et bruyantes, je me détestais encore et encore, et j'allais le faire jusqu'à ce que je sois trop fatigué pour continuer et que je m'écroule de fatigue. Mais alors que je restais au sol, persuadé que le plan que je m'étais donné était le meilleur à suivre, une forte voix aiguë vint m'interrompre dans mes actions. Elle me lâcha un « nous t'avons enfin retrouvé ! » qui me fit me retourner vers elle.


De ma vision trouble je pus enfin voir le visage que j'avais cherché toute la soirée durant. Je repris alors un peu espoir, laissant mes émotions s'inscrire sur ma tête barbouillée et sale l'espace d'un instant avant de les renvoyer d'où elles venaient pour ne pas les laisser paraître. Je ne pouvais pas me permettre de montrer ce qu'il se passait à l'intérieur tant que je vivais dans cet endroit.


La petite brune qui semblait être venue me sermonner s'arrêta un instant, comprenant sûrement que je n'avais aucune intention de garder son bien. Tandis que son père resta à l'écart, surveillant malgré tout sa fille à qui il confiait la situation, celle-ci prit la parole à mon égard d'une voix forte qui était censée couvrir son hésitation.


« Ce sac…c'est quelque chose de précieux pour moi. Cela appartient à ma mère, peux-tu me le rendre ? »


Sans prendre la parole je ramassai le sac que j'avais laissé au sol. Cette femme était donc vraiment la mère de cette fille, pensais-je. J'avais vraiment été grotesque en croyant pouvoir me sortir de ma situation avec un tel acte…C'était ce que je pensais lorsque je portai le bagage, prenant soin de ne rien casser à l'intérieur, avant de le tendre à la petite brune, n'osant pas affronter son regard croisant le mien. Détournant les yeux, je gardai le silence tandis que je sentais la poigne de la timide s'emparer du sac et l'enlever de mes mains.


Sans demander mon reste, je me tournai dans la direction opposée à la fille, malgré tout heureux d'avoir pu réparer mes actes avant de retourner dans ma galère. Mais alors que j'allais rentrer au bercail, là où était ma place, j'entendis un « Attends ! » qui provint de la même voix que celle qui réclamait son sac. Je me retournai avec surprise, ne comprenant pas ce que voulait la fille qui m'avait interpellé. Pour toute réponse à mon incompréhension, elle lâcha un sourire sincère qui ancra quelque chose de spécial en mon cœur. Face à ce geste éclatant, j'avais retrouvé cette sensation chaude et confortable que nous laissait maman à l'intérieur.


Mon esprit de gamin ne comprenait pas à l'époque, mais ce que j'avais ressenti ce jour-là, c'était de l'espoir profond… Et quand la petite brune reprit la parole, je compris alors le véritable sens de l'espérance.


« Je me demandais, entama-t-elle curieuse. Pourquoi tu as fait ça… ? Pourquoi tu as voulu voler le sac de maman ? Tu pensais qu'il y avait de l'argent dedans… ? »


Je lui répondis par un silence, détournant le regard face à la honte de mon acte qui me faisait face. Le père qui était alors en retrait repris la parole d'un ton menaçant envers moi, comme pour me forcer à donner des réponses.


« Si tu ne nous le dis pas à nous, tu peux le dire au commissariat aussi. C'est ton choix.


— Non ! Pas le commissariat s'il vous plaît ! implorai-je d'un ton trahissant ma détresse. Si j'y vais ils m'enverront en maison de correction et je ne pourrai jamais plus revoir mon frère ! »


Les mots que j'avais lâchés étaient sortis tout seuls de mon esprit face à la menace de l'homme. Lorsque je me rendis compte de ce que j'avais balancé, je me retranchai de nouveau dans ma quiétude, affichant sûrement une gêne considérable face à la situation. Pourtant, la réaction de l'homme en face me surprit énormément…puisqu'il lâcha un rire discret qui me percuta de plein fouet. Il reprit la parole en étant plus doux cette fois, me regardant avec le sourire aux lèvres.


« Il en aura fallu pour te faire parler, s'amusa l'homme d'âge mûr. Allez, réponds donc à ma fille, c'est important pour elle de savoir. »


Je me retournai vers la petite brune qui semblait vraiment prendre à cœur le fait de connaître le pourquoi de mon délit envers elle. Je n'avais pas d'autre choix que de rassembler mon courage afin de lui dire tout le pourquoi du comment… Même si m'ouvrir à des inconnus était difficile… Mais j'avais le sentiment qu'avec eux, tout allait bien se passer.


« Je pensais qu'il y a avait des objets à revendre, avouai-je, honteux. J'ai eu un besoin d'argent urgent et je n'ai pas réfléchi aux conséquences. Je suis désolé l'amie…


— Hakaze, me répondit-elle, sans parler de mon acte.


— Comment ? bredouillai-je, timide.


— Je m'appelle Hakaze. Namatame Hakaze. Et mon père le grincheux il s'appelle Soichiro. Et toi, quel est ton nom ?


— Hiroki, répondis-je. Yamada Hiroki. »


Lorsque je dévoilai mon nom, le père sembla tiquer un peu. Je lui demandai si quelque chose n'allait pas, mais il m'assura que tout se passait bien, laissant sa fille reprendre la conversation qu'elle avait avec moi.


« Dis, Hiroki, entama-t-elle avec compassion. Pourquoi tu es dehors, tout seul, et dans cet état ? Nous avons le même âge et on semble si différents quand on nous regarde…


— J'étais comme toi il y a quelque temps encore. Nous avons juste pris un mauvais virage, ma famille et moi. Mes parents sont morts et mon petit frère est dans un endroit où seul lui peut être. Je peux le voir, mais lui ne me reconnaît pas lorsqu'il croise mon regard, et ça me fait souffrir. Alors je suis parti de chez ma tutrice afin de trouver une solution à son mal, et me suis perdu. Donc j'erre ici.


— C'est triste, soupira Hakaze, peinée. Tu as dû traverser des épreuves difficiles. Mais je suis certaine qu'un jour tu arriveras à trouver ce que tu cherches. Tu es un bon grand-frère, Hiroki ! »


Le sourire qu'elle afficha à côté de ces paroles déclencha une émotion intense à l'intérieur de moi-même. Cela faisait un bon mois, non, plus, que je n'avais pas entendu ces mots qui me faisaient tant plaisir. « Tu es un bon grand frère, Hiroki. » Rien ne pouvait me faire plus plaisir que de savoir que la cause pour laquelle je vouais ma vie était convenablement remplie…


Malgré tout ce que je faisais, tu étais après tout, ma seule et unique motivation pour continuer dans ce monde dans lequel je n'étais pas à ma place, et c'était une chance que j'avais de pouvoir me raccrocher à ce pilier dans la vie, celui de te revoir un jour. Devant ma réaction spontanée et incontrôlée, Hakaze reprit la parole, cette fois avec plus de sérieux.


« J'ai quelque chose pour toi, Hiroki.


— Quelque chose…pour moi ? bégayai-je, sans comprendre. »


Sans que je ne puisse le voir arriver, la petite brune mit la main dans sa poche avant d'en sortir en billet de 2000 Yens qu'elle tendit vers moi, consentant clairement à m'avancer cette somme considérable pour une fille de son âge et pour moi. Lorsqu'elle reprit la parole, ce fut toujours armée de son sourire et de sa voix compatissante.


« Tu as vraiment besoin d'argent, Hiroki. Et puis tu voulais me rapporter notre sac n'est-ce pas ? Tu as compris ce que tu avais fait et tu nous as cherché, alors tu mérites bien de trouver un peu de gaieté ce soir.


— Je…ne peux pas accepter ça, soupirai-je. Téléphoner à ma tutrice serait bien suffisant pour que je puisse rentrer…parce qu'on ne m'a jamais dépanné d'un coup de fil. On ne m'écoute pas, car je suis sale. En plus aujourd'hui c'est l'anniversaire de mon frère, donc je voudrais rentrer pour le voir. Mais je ne peux pas accepter ton aide après ce que je t'ai fait. Je t'inspire simplement la pitié, je n'ai pas gagné le droit de bénéficier de ton soutien. »


La petite brune recula d'un pas, semblant déçue par ma réaction face à sa proposition. Je passai ma main dans mes cheveux, gêné par la déception que j'avais moi-même inscrit sur son visage, mais je ne pouvais pas faire autrement. Je voulais malgré tout respecter le code d'honneur que mon père m'avait transmis. De toute façon, quelques jours de plus n'allaient pas être la mer à boire au vu du mois que je venais de passer.


Cependant, comme pour trouver un compromis entre mes désirs et ceux de sa fille, ce fut l'homme qui l'accompagnait qui reprit la parole avec diplomatie.


« Dans ce cas, entama l'homme, tu n'as qu'à dire que c'est un échange de procédé. Tu empruntes une faveur à ma fille, et tu la lui rendras plus tard.


— Je doute être capable de rendre la pareille dans ma situation, soupirai-je. Cela me sera impossible.


— Écoute-moi jusqu'au bout jeune homme, reprit-il en m'écrasant de par son charisme. D'après ce que tu as dit, tu sembles ne pas vouloir rentrer, n'est-ce pas ? Alors je te propose de travailler pour moi. Tu nous suis, je te donne un toit, de quoi te changer, manger, et te laver, et en échange, tu deviens mon gamin à tout faire au laboratoire. Tu accompliras des tâches pour moi, je te donnerai de l'argent extra, et le reste je le garde pour couvrir les dépenses liées à ta vie avec nous. Tu pourras aller voir ton frère quand tu veux, tout en continuant tes recherches dans lesquelles je t'assisterai en te conduisant en voiture. Cela nous arrange tous les deux, c'est un bon marché, non ?


— Papa, tu vas vraiment faire ça !? s'extasia Hakaze devant son père.


— Bien sûr, on a la place pour accueillir une personne de plus dans la forêt. »


La petite brune exulta de joie devant la déclaration de son père, tandis que moi, je restai paralysé quelques secondes de plus en repensant à cette horrible forêt. Elle s'approcha rapidement de moi, collant presque son visage au mien, avant de se saisir de ma main d'une rapidité surprenante. Elle plongea son regard joyeux dans le mien perdu dans l'incompréhension avant de reprendre la parole avec entrain et insistance.


« Hiroki, moi et papa on pense que rien n'est fait au hasard, que toutes les rencontres sont organisées par quelqu'un au-dessus de nous. Si on s'est rencontré ce soir c'est parce qu'on doit faire un bout de chemin ensemble ! Hiroki, s'il te plaît, accepte de venir avec nous ! »


J'hésitai quelques instants. Tout cela était trop soudain. D'abord j'étais un voleur, ensuite on me proposait de l'aide pour récompenser mon crime, et enfin on me laissait le droit de reprendre une vie normale à condition d'avoir un travail…C'était trop hâtif, trop soudain, trop beau pour être vrai. Bien sûr que la proposition était alléchante, je pouvais enfin retrouver un foyer plutôt que de mendier pour pouvoir aller au bain public, mais j'avais l'impression que quelque chose n'était pas correct.


Cependant, ce que je lisais dans les yeux de Hakaze qui insistait face à moi était tout sauf de la réticence. La petite brune semblait vraiment vouloir m'aider à sortir de la galère. Même plus que ça. J'avais l'impression qu'une partie d'elle m'appréciait. Je me faisais sûrement des fausses idées de ce point de vue. Mais je me laissai malgré tout convaincre par les arguments du père et de la fille. Acquiesçant, je repris la parole avec sérieux, tout en gardant mon côté introverti face aux étrangers.


« D'accord. Je veux bien travailler pour vous monsieur. Je vous remercie de me donner cette opportunité. Je ne vous décevrai pas.


— Super ! exulta Hakaze. Je suis contente que tu aies choisi l'avenir plutôt que de te morfondre ici dans une poubelle !


— J'habite un carton entre deux poubelles s'il te plaît… répondis-je timidement.


— Maintenant, tu as un chez toi, Hiroki, sourit-elle en guise de réponse.


— Il y a un léger souci cependant, Hiroki, reprit Soichiro, l'air grave.


— Comment ça ? Quel est le souci monsieur ?


— Les magasins ferment dans trente minutes, cela serait dommage de manquer le cadeau d'anniversaire de ton petit frère, non ?


— Monsieur…vous êtes sûr que… ?


— Hâtons-nous, sourit l'homme. C'est un jour particulier pour toi n'est-ce pas ? Allons-y. »


J'acquiesçai avec le sourire face à l'homme et sa fille qui furent apparemment satisfaits de voir finalement une expression de joie se dessiner sur mon visage. Accompagné par mes rencontres, je me dirigeai en quête de magasins afin de trouver ce qui allait être un cadeau pour tes sept ans. Je ne pouvais pas rentrer dans les magasins à cause du fait que j'étais bien trop sale sur moi et sur mes vêtements, mais Hakaze, la petite brune, allait dans le magasin pour moi voir ce que je voulais pour ensuite ressortir avec l'objet tant convoité. Ce que nous t'avions payé ce jour-là, c'était un simple jouet de gamin que j'avais repéré. Il ne coûtait pas cher, mais c'était un cadeau pour lequel nous avions tous mis du nôtre…et c'était quelque chose que tu allais avoir venant de moi, et cela suffisait à me rendre heureux.





Spoiler :


Le père et la fille m'accompagnèrent jusque notre chez nous. Ce n'était pas ma destination principale, mais je voulais leur montrer en même temps cette bâtisse là où s'était joué le drame d'il y a quelque temps. Je ne m'y arrêtai cependant pas, sonnant à côté à la place, au domicile des Kurenai. Après quelques secondes d'attente sur le pas de la porte, la tante d'Erika, Marie Kurenai, vint m'ouvrir, constatant avec stupéfaction l'état dans lequel j'étais.


« Hiroki ! s'exclama-t-elle en hurlant, à deux doigts de faire une crise cardiaque. Tu es vivant ! J'ai bien cru que tu ne reviendrais jamais ! Te rends-tu compte à quel point tu m'as fait peur !? Je t'ai cherché partout ! Pour l'amour du ciel, même la police est à tes trousses ! Où étais-tu !?


— J'étais…de l'autre côté de la forêt, avouai-je, honteux. J'ai voulu enquêter sur mon père et…je me suis perdu. Personne ne m'a aidé parce qu'ils m'ont pris pour un immigré en recherche d'argent comme j'étais sale.


— Ne me refais plus jamais ça, murmura Marie de soulagement en me prenant dans ses bras. Je ne te laisserai jamais plus partir, puisque je ne peux pas te faire confiance. Maintenant tu rentres à la maison et tu prends une douche !


— À ce propos madame, entama Soichiro, diplomate. J'aimerais avoir une petite conversation avec vous. »


Soichiro s'avança alors avec sa fille, laissant Erika les voir tous les deux. Tandis que je me tus, laissant les adultes parler entre eux, l'homme expliqua la situation à ma voisine, celle qui était sur le papier ma tutrice. Il lui expliqua que j'allais travailler pour lui en échange des besoins de ma vie quotidienne, et que j'avais consenti à ça. J'allais aider sa fille à remplir son travail d'assistante de laboratoire, un job tranquille dont il pouvait assumer les charges financières. Pour toute réponse, Marie soupira, déclarant que j'étais décidément bien trop têtu et que ça allait me causer préjudice de nouveau un jour… Mais elle finit par accepter, faisant bien plus confiance à Soichiro que je n'aurais cru venant d'elle.


Je lui donnai le cadeau que j'avais pris pour toi, ne voulant pas paraître devant mon petit-frère en étant sale et mal vêtu. Je lui assurai que je viendrais la voir régulièrement pour avoir des nouvelles de toi, et elle m'assura en retour qu'elle prendrait soin de ce que j'avais de plus précieux en ce monde, puis nous nous séparâmes en cette fraîche soirée de printemps. J'étais soulagé d'avoir échappé à l'éducateur spécialisé, mais je ne le dis à personne pour éviter de ramener l'histoire sur le feu.


J'accompagnai désormais Soichiro et Hakaze à qui je racontai mon passé de A à Z. Je leur parlai de qui était nos parents comme je t'en ai parlé au début de cette lettre, laissant l'homme esquisser un sourire lorsque je lui mentionnai Shinichi notre propre père. Hakaze suivait avec attention les détails de notre histoire. Elle aimait lorsque je racontais combien tu étais précieux, combien tu étais fragile, et combien je devais te protéger contre ce vaste monde, comme me l'avait enseigné notre mère depuis ta naissance.


J'étais fier de raconter que j'avais un frère, même si notre histoire était teintée d'obscurité. Hakaze quant à elle me raconta qu'elle avait vécu un passé similaire au nôtre. Sans rentrer dans les détails, elle m'expliqua que sa mère était décédée d'une maladie deux ou trois ans plus tôt, et que depuis ce temps, Soichiro et elle s'étaient installés dans un endroit spécial à quelques heures de la ville. Je ne compris pas ce qu'elle voulait dire par là, mais mes doutes furent dissipés lorsque je vis l'immense forêt dans laquelle vit toujours la famille Namatame à ce jour. Ce n'était pas une blague, ils habitaient vraiment dans ce labyrinthe boisé ultra flippant dans lequel j'avais échoué un mois plus tôt.


Je m'installai donc dans ce qui était le logis mais aussi le quartier général de travail de Soichiro Namatame. Il faisait ses expériences sur les Izrathiens dans un laboratoire reculé, et le travail de sa fille était de l'aider à gérer les crises et les conflits entre habitants d'Izrath vivant dans la forêt.


En guise de travail, on me confia l'apprentissage de toutes les ficelles de ce monde. Je devais être capable de partir en mission pour Soichiro qui était lui-même subventionné par une fondation nommée ETHER pour faire des recherches sur le kvantiki qui restait présente dans les parages malgré une abolition récente de cette source d'énergie par la ville à cause d'incidents dont nous n'avions vécu directement. Ce fut ainsi que je devins un breeder. J'avais repéré dans la forêt de Soichiro toutes les créatures désorientées et sans famille, la plupart relativement jeunes, et comme pour conjurer le mauvais sort laissé sur moi en raison de mon manque d'affection, je décidai de devenir à mon tour leur tuteur, leur grand-frère. Une fois qu'ils grandissaient, je les renvoyais en Izrath le cœur lourd, mais l'esprit clair. J'avais l'impression de pouvoir leur donner le surplus d'amour t'étant destiné, et cela me faisait du bien.


Je m'entraînai, encore et encore, avec pour seul objectif de répondre aux attentes de Soichiro. Je faisais mes armes dans la grotte spéciale entraînement, tandis que j'appris à manier l'épée et toutes sortes de techniques de bataille afin de pouvoir agir lors d'une éventuelle crise. Je pouvais aussi continuer mes recherches sur Shinichi et ce syndrome étrange dont tu étais atteint, mais je ne découvris pas grand-chose, même avec l'aide de Soichiro. Alors je me contentais de venir te voir régulièrement en tant que simple camarade d'infortune, essayant de te glisser des perches sur notre lien de parenté, mais tu ne les saisissais pas, alors je décidai de tout simplement laisser le temps faire son œuvre.


Lorsque je pris un peu d'âge, mon nouveau tuteur m'apprit alors plus de détails sur le kvantiki et Izrath. Il étudiait cette énergie afin de pouvoir matérialiser dans le monde réel tous les Izrathiens qui n'avaient plus possibilité de retourner dans leur monde, pour une raison ou une autre. Medrawt faisait partie de ceux-là. Il vivait par le biais de Hakaze et s'était autoproclamé gardien des lieux afin de lui rendre la pareille. Je n'y croyais pas trop au début, mais lorsque Hakaze invoqua Zéphyra, je m'excusai en me prosternant plus bas que terre afin de montrer que j'avais fait erreur.


Le kvantiki était donc une énergie se faisant de plus en plus rare et souvent corrompue par le fait qu'elle était restée trop longtemps sous terre. Ainsi, le but premier de Soichiro était de faire taire toutes les sources d'énergie jaillissant telles des gisements de pétrole un peu partout dans la ville et ses alentours tandis qu'il menait en parallèle des recherches pour créer une invention spéciale dont il ne voulait pas me révéler la fonction. Tout cela me fascinait. Je n'avais jamais eu de réelles questions sur le paranormal et la spiritualité avant ça, mais tout découvrir me faisait prendre beaucoup de plaisir dans mon travail.


Les mois, puis les années passèrent me laissant grandir aux côtés de la famille Nanatame, plus particulièrement de Hakaze, qui était devenue ma partenaire de mission. Il n'était pas rare que l'on parte un ou deux jours, couchant là où l'on pouvait le faire, afin de gagner un peu d'argent, une relique quantique, ou des informations sur Izrath. Parfois j'étais celui qui ramenait le butin, parfois elle, et nous vivions cela très bien. Je développais mes facultés à interagir avec les Izrathiens : ils avaient chacun leur histoire, leurs raisons, leurs tourments, et ils étaient finalement aussi sensibles que nous lorsqu'il s'agissait de sentiments.


Secrètement, nous allions vous espionner de temps en temps, nous moquant de votre relation de couple bizarre sans jamais penser à la nôtre. Ce fut comme cela que Hakaze et Zéphyra repérèrent Toratura, la princesse des serpents, qui habitait en Erika depuis tout ce temps, ou tout du moins, qui débarquait sans prévenir d'Izrath de façon aléatoire.


Toratura qui était venue piquer une crise dans notre laboratoire. Elle était vexée par le fait qu'Erika ne connaissait pas son véritable nom Ahtraspia, la reine venimeuse. Notre amie l'avait surnommée Toratura simplement parce qu'elle trouvait ça mignon, ce qui frustra vraiment le reptile aux cheveux de serpents qui se plaignait qu'elle serait incapable de supporter la blonde pour la vie.


Lorsque tu es entré au collège, j'ai voulu me rapprocher davantage de toi, estimant que le temps avait peut-être déjà fait assez de boulot pour que je puisse t'approcher sans heurter ta mémoire ou tes sentiments. Ainsi, je sympathisai officiellement avec Erika Kurenai, remarquant au passage que tu étais fou d'elle, et comme pour marquer notre lien à tous les deux, je fis mine d'avoir le béguin pour elle. Il n'y avait de toute façon aucun danger pour toi étant donné que cela se voyait clairement que ton attirance était partagée, et j'étais persuadé que vous finiriez ensemble. Ainsi, à tes yeux je devins Hiroki le rival, celui que tu aurais souhaité voir disparaître pour être plus tranquille, mais je préférais jouer ce rôle dans ta vie que de ne rien incarner du tout.


Je ne voulais pas que tu m'oublies une seconde fois, et ce, même si je devais laisser une impression désagréable dans ton esprit et dans ton cœur. Ma principale priorité était de rester ancré dans ta vie, partageant en tant que spectateur toutes les épreuves dans lesquelles je m'imaginais à tes côtés. J'eus donc la joie de partager des moments naturels de ta vie comme tes premières déceptions, tes karaokés, ton premier groupe de musique avec Kôsei, Erika et les autres, mais aussi le jour de ta remise des diplômes au collège et au lycée, tandis que moi je montai en grade dans l'organisation ETHER du japon de laquelle Soichiro était un des chefs, devenant peu à peu une recrue qualifiée pour des missions plus extrêmes. Je choisis de suivre le cursus de police duquel Masamune Nishijima, un commissaire réputé, gérait la branche.


Soichiro m'encouragea dans ce choix, et en quelques années je reçus l'approbation tant attendue pour porter mon arme et devenir un agent des forces de l'ordre mandaté. Ce fut ce jour là que je débarquai de nulle part chez Marie afin de fêter ça tous ensemble. Je voulais te montrer que ton grand-frère était un héros, même si je savais que cela ne représentait rien à tes yeux dans l'instant.


Concernant moi et Hakaze…notre lien avait grandi d'années en années, et je finis par tomber amoureux d'elle. Je savais bien que la jeune fille que je connaissais depuis des années à cette époque ne partageait pas ce sentiment. Je préférais donc me taire sur ce dernier plutôt que de tout avouer et briser cette complicité intense qu'était la nôtre. Nous étions comme deux frères et sœurs. Faire évoluer cette relation solide en couple aurait peut-être été une erreur irréversible détruisant notre entente admirable. J'étais satisfait d'être son partenaire de mission, de pouvoir toujours assurer ses arrières, de dormir avec elle dans des endroits farfelus où nous devions passer la nuit, de nous battre pour savoir quelle route prendre et finalement rager devant son air supérieur parce qu'elle avait raison et moi tort. Tout ça c'était bien plus que ce que j'attendais au départ lorsque j'eus accepté la proposition de Soichiro Namatame qui consistait à bosser pour lui.


Nous passâmes quelques années de plus ensemble, moi, Hakaze et Soichiro. Notre but était désormais d'attraper des individus travaillant avec des Izrathiens, leur poser des questions, et éliminer ceux qui bossaient pour répandre le mal ou déséquilibrer notre dimension, avec ou sans le consentement de l'humain en question. Hakaze n'aimait pas mettre un terme à la vie d'un Izrathien, même les plus pourris du lot. Alors j'assurais cette lourde tâche à sa place. Nous effectuions des missions plutôt dangereuses, si bien qu'un jour, j'eus même un accident assez grave dans lequel je frôlai la mort, mais finalement, grâce à Soichiro, ainsi qu'au juge du sanctuaire céleste, Astaris, je réussis à m'en sortir. Je te raconterai cette histoire une autre fois si j'en ai l'occasion.


Nous gardions toujours un œil sur toi et Erika, constatant que les problèmes avec Toratura étaient de plus en plus fréquents. Connaissant le passé de la princesse des reptiles, nous savions que l'affronter de pleine face était impossible et qu'il fallait donc pouvoir la faire tirer un trait sur les évènements ayant eu lieu auparavant. Ainsi, nous devions trouver un moyen d'approche pour comprendre l'état d'esprit dans lequel se trouvait Erika, et fut lors votre concert improvisé que nous trouvâmes une solution. Lorsque vous vous installâtes sur le podium construit à cet effet, moi et Hakaze étions en retrait, observant la situation avec calme et attention.


« Dis donc, lançai-je alors qu'Erika semait le chaos. Toratura a gagné en puissance. C'est triste de voir qu'Erika n'ait pas suivi sa route. Elles ne se développent pas en même temps.


— C'est normal, reprit Hakaze, rationnelle. Erika est une jeune fille qui n'a aucun passé, Toratura n'est même pas censée être là et a vécu des choses terribles. C'est difficile pour la princesse de se repentir de ce qu'elle était auparavant. Surtout que pour une raison inconnue, elle a choisi l'incarnation de l'innocence pour porter son fardeau. Il faut leur laisser du temps pour qu'elles se comprennent.


— Je ne pense pas que ce soit du temps qu'il leur faut, mais plutôt de traverser des épreuves ensemble pour les rapprocher, un peu comme…toi…et moi…


— Qu'insinues-tu l'avorton ? reprit Hakaze, un sourire en coin. Tu penses que nous avons mûri en même temps ? Tu n'es encore qu'un gamin.


— Eh ! protestai-je. J'étais sérieux ! Et puis ne cherche pas des cross à un Izrathien capable de te mettre en pièces !


— Tu ne tiendrais pas deux secondes face à moi et ma partenaire, me nargua celle que j'aimais. D'ailleurs regarde ton petit-frère. Zéphyra ressent quelque chose provenant de lui. Une aura sombre et opaque, semblable à celle d'un Izrathien.


— Tu décèles une relique quantique ? lui demandai-je, concerné. Et si cet Izrathien avait à voir avec sa perte de mémoire ?


— Pas de relique quantique. Mais c'est possible que ce soit lié avec ton histoire. Draekort attend son heure, il ne se manifeste pas et Reisuke ne semble même pas savoir qu'il est présent.


— Ah…ça pue tellement, m'apitoyai-je. On va devoir gérer deux Izrathiens en même temps quoi !


— Ne t'en fais pas, sourit Hakaze. J'ai un plan. »


Hakaze me raconta ce qu'elle avait en tête. Elle devait aller voir Erika pour lui proposer une quête abracadabrantesque ; celle de remonter le temps pour chercher du kvantiki dans le passé et ce, afin de briser de force l'engagement avec Toratura qui dut être rassurée par Zéphyra tant elle eut peur que l'on la trahisse. Le but étant de faire vivre des épreuves à Erika et la princesse afin qu'elles se comprennent, tandis que toi aussi tu devais établir une communication avec Draekort afin de t'accorder avec lui. Ainsi, tandis que Hakaze était partie à votre rencontre, je devais prévenir Soichiro du plan de sa fille.


Il avança que c'était de la pure folie et qu'il y avait plus de risques de créer des paradoxes plutôt que de revenir sains et saufs. Pourtant, il ne remit pas en cause la décision de sa fille. Il déclara que si elle avait entrepris ça, c'était qu'elle était capable de gérer la situation, et il lui fit confiance.


Ainsi, votre voyage peu banal débuta. Je me cachai dans la forêt — que je connaissais d'ailleurs assez pour ne plus m'y perdre — attendant votre arrivée. Je vous vis partir vers le passé, et lorsque cela fut enfin fait, je me positionnai à mon tour dans un des cercles bleus dessinés au sol afin de vous rejoindre et garder un œil sur vous tous.


« Tout ce cinéma alors qu'il suffit d'appuyer sur le bouton de la machine de ma gamine pour enclencher le processus, railla Soichiro. Quel sens du spectacle.


— Hakaze tient à tout faire dans les formes, me moquai-je. Vous savez, votre fille est agaçante, mais elle a un très grand cœur. Mais c'est justement ce qui la rend fragile, donc je m'en vais la surveiller.


— Je suis à quatre-vingt-cinq pourcents certain qu'elle créera un paradoxe, soupira le vieil homme. Il faut absolument que tu l'en empêches.


— Comptez sur moi, ris-je en pensant à cette pauvre Hakaze. Par contre, j'aurais besoin de mon partenaire de bataille. Medrawt ! Tu viens ? On embarque. »


Le chevalier se rua sur moi, ravi que je ne l'avais pas oublié. Ensemble nous actionnâmes la machine à remonter dans le temps, laissant Soichiro nous dire des derniers mots avant notre départ.


« Prenez soin de ma fille vous deux. Elle est tout ce que j'ai en ce bas monde.


— Comptez sur moi, répondis-je spontanément. Je la préserverai au prix de ma vie.


— Et surtout, qu'elle ne crée pas de paradoxe ! insista le père, apparemment vraiment concerné par cet aspect du voyage. »


Sur un sourire je partis donc dans le passé avec une heure de décalage par rapport à vous. Tout comme vous je me suis fait des allés à l'époque de Yokohama, ce qui m'a permis de survivre et d'évoluer dans un monde qui n'était pas le mien, tout comme je l'avais fait lorsque j'étais un gamin.


Il était clairement moins hostile cet univers, mais j'avais cependant une mission bien claire, celle de te retrouver et de te rendre la mémoire que tu avais perdu, dans l'espoir de pouvoir de nouveau te serrer dans mes bras un jour et entendre ce « grand-frère » qui viendrait désormais de ta voix d'homme. La seule chose que je n'avais pas prévu dans ce voyage, c'était les tourments de Hakaze. Elle ne m'avait pas détaillé son passé à ce point, et je n'avais pas la moindre idée de comment elle se sentait vis-à-vis de son père et surtout vis-à-vis d'elle-même. Aujourd'hui, si je n'arrivais pas à la sauver, cela serait un profond regret qui se marquerait en moi étant donné que j'ai promis à Soichiro de la ramener sauve et qu'elle est la seule femme qui ait jamais compté à mes yeux.


Reisuke, tout ce que nous avons vécu par le passé nous amène donc à cette scène où tu dois lire cette lettre. Si je suis mort en essayant de te sauver, j'espère ne pas avoir aggravé ton état avec ces sentiments que je gardais en moi, et si tu es conscient de notre histoire en lisant ça, je voudrais te dire une dernière chose : un de ces précieux conseils de frère aîné que j'aurais voulu te donner de vive voix mais dont je n'ai pas pu saisir l'occasion : Garde espoir. Ne pleure pas, n'attise pas la haine en toi, ne te sens pas coupable, ne te déteste pas. Ne garde pas une rancœur contre la vie pour nous avoir séparé de la sorte. J'ai malgré tout vécu des choses formidables en raison de cet événement aussi dramatique soit-il, et je ne regrette rien de tout ce qu'il s'est passé à ce jour.


Reisuke, Soichiro m'a appris que notre destin est entre les mains d'un être supérieur, Dieu si tu préfères. Parfois il nous arrive malheur, mais il y a toujours une contrepartie heureuse qui fait qu'en te retournant tu ne regrettes rien. Trouve celle apportée par ma mort si tu en viens à lire cette lettre, crois, vis, cours, ris, et ne te préoccupe pas du reste. Si je peux te faire une ultime requête, garde en toi le petit frère que j'ai connu, et quand tu te sens mal, lève les yeux au ciel, je serai là pour te guider, où que je sois.


Je t'aime bien plus que tu ne peux l'imaginer, Reisuke.


Ton frère, Hiroki.




heart earth
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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [02/02/2021] à 00:33

ce spam x)




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le bon temps…

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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [02/02/2021] à 09:47

Heureusement que je cherche pas de lecteur ici sinon les pauvres.


heart earth
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[Fic] Rising Hope Rebirth posté le [02/02/2021] à 12:52

pourquoi ce spam soudain en vrai? '-'




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